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HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE
HISTOIRE
LITTKRAIRE
DE LA FRANCE
OUVRAGE
COMMENCÉ PAR DES RELIGIEUX BÉNÉDICTINS
DE LA CONGRÉGATION DE SAI>T-MALR
ET CONTIMÉ
PAR DES MEMBRES DE L'INSTITLT
(académie des insciuptions et belles-letthes)
TOME XXXV
SUITE DU QUATORZIÈME SIÈCLE
PARIS 1921
KRAUS REPRINT
Nendeln/Liechtenstein
1971
?Q
lOl
Réimpression avec L' accord de
L Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris
KRAUS REPRINT
A Division of
KRAUS-THOMSON ORGANIZATION LIMITED
Nendcln/Liechtenstein
1971
l'riiiled in Gcrmany
I essingdruckerei Wiesbaden
AVERTISSEMENT.
Il n'est arrivé que deux fois depuis cent ans que la Commission
chargée de la continuation de YHistoire littéraire de la France ait
été renouvelée presque tout entière d'un volume à l'autre. Entre
le tome XXXV, qui paraît en i 92 i , et le tome XXXIV, comme
entre le tome XIX et le tome XX, paru en i84i, trois membres
delà Commission, sur quatre, ont disparu.
Nous n'avons l'intention d'apporter aucun changement notable
aux partis adoptés par nos devanciers immédiats, sous réserve des
observations suivantes.
Dix volumes ont déjà été consacrés au xiv*" siècle, avant
celui-ci, et l'Avertissement du dernier de ces volumes indique
que tous les auteurs qui y sont traités, sauf un, ont cessé de
vivre de i32i à i323, alors que l'on s'était félicité dans le
volume j^récédent d'avoir «atteint l'année i328». Chacun sait
comment s'explique cette marche si lente et, en apparence,
cahotée. Une partie très considérable de nos dix premiers vo-
lumes du xiv^ siècle est occupée par des <^tudes sur des écri-
vains du xiii^ qui sont morts dans les premières années du
siècle suivant ; on trouvera encore ici trois articles de ce genre
(Marco Polo, Pierre Gencien, Coutumier d'Artois), qui ont paru
indispensables. D'un autre côté, des «Notices collectives», desli-
MIST. LITTBR. XXXV.
Y, \\ ERTISSEMENT.
nées à présenter le lableau de l'ensemble des écrits d'un même
type, pour la plupart anonymes, pendant une période très étendue
de riiistoire de la littérature médiévale, voire depuis les origines,
ont fait leur apparition avec éclat à partir de notre tome XXXIII;
nous nous expliquons plus loin an sujet de celte innovation,
à laquelle les noms de Léopold Delisle et de Paul Meyer reste-
ront attachés''^ Entiri il est impossible, et d'ailleurs inutile,
on l'a souvent dit, dans une publication comme celle-ci, de
s'astreindre à suivre, même pour les personnages dont la mort
est datée avec précision, un ordre cbronologique rigoureux; les
retours en arrière, d'un volume à l'autre, sont inévitables et ils
sont sans inconvénients pourvu que l'on use de cette licence avec
la discrétion convenable.
FiU somme, retours sur la fin du xiif siècle et notices col-
lectives mis à part, le tome y\XXIV de Y Histoire littéraire traite
des écrivains qui ont disparu de i'6'20 à i323 environ; la
plupart de ceux dont il est question dans le présent volume
sont morts entre i3^îo et i34o. Il y a donc progrès certain sur
l'écbelle du temps. Nous sera-l-il donné d'acbever à peu près,
dans le futur tome XXXVI, fliistoire du second quart du siècle,
jusqu'à i35o? Nous fespérons, sans prendre d'autre engage-
ment que celui de ne dépasser sous aucun prétexte, au procbain
volume, la date de l'avènement du roi Jean. Encore restera-t-il ,
pour conduire véritablement fhisloire littéraire de la France
jusqu'au seuil de l'âge de Charles \ , à traiter au tome XXXVII
des écrivains, en assez grand nombre, dont f activité s'est mani-
festée surtout avant i35o, mais qui sont morts entre i35o
et i36o.
l'I Voir plus loin, p. xi\.
AVERTISSEMENT. vu
iNoiis nous rendons compte que nous n'arriverons, si nous
y arrivons, à épuiser complètement, de la sorte, en trois volumes,
la matière que nos devanciers nous ont laissée à élaborer jusqu au
milieu du xiv* siècle, qu'à des conditions dont celle qui vient
d'être énoncée n'est que la première. Il nous laudra sans doute,
de plus, ajourner un certain nombre de « Notices collectives n qui
ligurent à notre programme; renoncer aux articles très amples,
dans le genre de celui dont Jacques Duèse a été l'objet au
tome XXXIV, où des détails sont fournis sur une foule d'écrivains
en même temps que sur le persoimage central, sans dispenser de
notices particulières qui restent à faire par la suite sur ces écrivains;
renouer enfin, et surtout, une tradition abandonnée par la Com-
mission depuis le tome XXXII, c'est-à-dire depuis vingt ans, par
la rédaction de» Notices succinctes » sur les auteurs secondaires ou
plutôt sur ceux que la rareté des documents qui les concernent
laisse dans une pénombre irrémédiable. Les deux derniers vo-
lumes de XHhloire littéraire ne renferment, en tout, que quatorze
notices individuelles. Le présent n'en contiendrait (jue vingt-trois
si nous ne l'avions pas clos, à l'exemple de nos arrière-prédéces-
seurs, par des «Notices succinctes», en nombre égal. \ l'allure
ralentie des tomes XXXIIÏ et XXXIV, la nomenclature des écri-
vains de la première moitié du xw** siècle n'aurait pas été épuisée
dans la première moitié du xx", ou bien il aurait fallu passer
entièrement sous silence tous ceux qui ne prêtent pas à des
développements étendus. Or, nous ne nous crovons pas le droit
de sacrifier, au profit des coryphées, les plus modestes partici-
pants au chœur total.
Les auteurs de ce trente-cinquième volume de f/ÏM^otW littéraire
de la France, membres de l'Institut (Académie des Inscriptions
vu, AVERTISSEMENT.
et BeUes-Leities), sont désigoés à la fin de chaque article par
les initiales de leurs noms :
P. V. Pâli. Viollet.
A. T. Antoine Thomas.
H. 0. Henri Omont.
P. F. Paul Fournier.
C. L. Charles-Victor Langlois, éditeur.
NOTICE
PAUL MOLLET,
DN DES AUIEIBS DES TOMES XXXIH-XX\IV DE VIIISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAIVCE
(mort I.E 99 NOVEMBRE igiik
Le I a juin i 896, l'Académie des Inscriptions cl Belles-iielties confia à Paul Viollet ,
qui lui appartenait depuis neuf années, la mission de remplacer Barthélémy Ilauréau
à la commission de l'Hùtoire littéraire '^^K Cette désignation ne pouvait étonner aucun
de ceux <jui avaient apprécié les excellentes qualités de notre confrère, sa curiosité
toujours en éveil, sa très vaste érudition alimentée par les lectures les plus variées, sa
criti({ue aiguisée, originale comme l'esprit de l'auteur et impartiale comme sa con-
science. Au cours de sa longue carrière d'érudit, il avait maintes fois rencontré sur sa
route des monuments de notre ancienne littérature, par exemple une chronique
latine du xii° siècle sortie de cette abbaye de Saint-Denis qui fut au moyen âge un des
principaux ateliers où s'élabora notre histoire nationale, ou encore les œuvres chré-
tiennes des membres des familles royales de France, dont il crut devoir publier un
recueil, afin de faire mieux connaître la psychologie de personnages qui exercèrent
une influence prépondérante sur les destinées de la nation , ou enfin les enseignements
donnés par saint Louis à son fils, dont il appréciait très haut l'importance religieuse
et morale. Mais, avant tout, Viollet s'était consacré à l'histoire du droit public et
privé.
Pour comprendre le rôle qu'il joua dans cette province des sciences historiques, il
faut savoir qu'en s'adonnant à ces études Viollet n'avait été mû ni par un intérêt
'"' Il ne nous appartient pas de donner ici lui une notice très complète dans la séance
une biof^raphie de Paul Viollet. Son successeur du i5 novembre 1918. On y trouvera des
à l'Académie des [nscriptions et Belles-Lcttrei , indications bibliographiques sur les œnvres de
M. le comte H. -François Delaborde, a lu sur Viollet.
X NOTICE SIK PALL VIOLLET.
personnel ni par une vaine ruriositt'. Le trait iloniinanl de son àme était une préoc-
cupation constante de la loi morale (jui régit la conduite des hommes et leur fait un
devoir primordial de se conformer au\ préceptes de la justice. 11 eût aimé voir cet
idéal réalisé dans le présent , et se plaignait de ne pas le trouver dans le passé ; d'où
sa haine très vive contre l'iniijuité, où qu'il crût la surprendre, et sa sévérité à l'égard
de ceux qui s'en rendent coupables; sévérité (|ui croissait en proportion du rang
qu'occupaient les coupables dans la société.
On n'aura pas de peine à comprendre que l'étude du droit devait l'intéresser plus
que personne. C'est en effet le droit (jui donne une solution à nombre de problèmes
moraux que se posent toutes les sociétés. Sollicité à la fois par le piésent et par le
passé, VioUet se voua particulièrement à l'éludi-, trop délaissée au temps de sa jeu
nesse, de la législation des âges qui ont précédé le nôtre. C'est à cette résolation que
nous devons diverses œuvres d'une importance capitale au premier rang desquelles il
faut placer celles qui ont le plus contribué à établir la réputation de leur auteur : son
Histoire du droit civil fian<^ais , son Histoire des iiistilatwns politiques de la France et sa
magistrale édition des ÉtablissemenL^ dits de saint Louis, donnée dans la Collection
de la Société de l'histoire de France. A côté des gi-ands ouvrages, la bibliographie
de Piiul Viollet contient une foule d'écrits dont beaucoup témoignent de sa prédi-
lection pour l'étude des cas de conscience dont l'histoire est remplie, par exemple :
la doctrine de la légitimité à la chute de la dynastie carolingienne, le problème du
droit des femmes à la couronne, le conflit des droits du roi et de la nation, ou encore
celui des droits de la communauté rurale et du seigneur.
Sous l'influence de cette tendance, Viollet ne pouvait manquer d'être attiré parcefle
des législations qui donne la plus grande place aiL\ droits et aux obligations de la
conscience morale, c'est-à-dire par le droit canonique. De bonne heure il avait porté
son attention sur la législation de l'Eglise catholique. Pour s'en convaincre, il suffit
de jeter les yeux sur les comptes rendus qu'il consacra, dans la Revue critique ou dans
la Revue historique, entre 1870 et 1880, aux ouvrages des principaux canonistes
d'outre-Rhin , par exemple sur l'important article qu'il publia sous ce litre : Examen de
l'Histoire des Conciles de M'' Hefele, ou encore sur les écrits où, pour mieux se rendre
compte des origines du gallicanisme, il traita de la Pragmatique Sanction longtemps
attribuée à saint Louis.
Ainsi«ce n'était pas seulement l'histoire des institutions civiles, mais encore celle
des institutions ecclésiastiques qui était familière à Paul Viollet. L'étudiant qui le
voyait descendre de la Montagne Sainte-Geneviève, la figure cachée par un volume
où, pour économiser son temps, il continuait une lecture commencée dans son cabi-
net, aurait pu être tenté de croire qu'il rencontrait un maître de la vieille Faculté de
NOTICE SUR PAIL MOLLET. xi
Décrets, égaré dans le Paris du x\' siècle. Mais s'il s'approchait de lui pour solliciter
un renseignenncnt ou un conseil, et s'il pénétrait à sa suile dans le cabinet où VioUet
conservait, dans des casiers admirablement rangés, l'innombrable série de fiches où
il avait consigné les obsenations les plus variées, il s'apercevait bien vite que ce
maître, versé dans la science du passé, n'était pas moins soucieux des choses mo-
dernes, et que d'un regard attentif il suivait l'évolution des faits et des idées aussi
bien au xx° siècle qu'au xiii% avec le souci, qui ne le quittait pas, d'éclairer le passé
par le présent, comme le présent par le passé.
Juriste et canoniste, Viollet était bien préparé à l'étude de la littérature du viv' siècle
en France. Ce siècle, en effet, fut par excellence le siècle des jurisconsultes, parce
qu'il vit s'achever une évolution qui s'élaborait depuis longtemps. Deux cents ans
plus tôt, l'Occident avait retrouvé, avec les Pandectes, une législation rationnellement
construite, qui eut vite fait de se répandre dans les écoles, et de remplacer, pour les
esprits cultivés, les formules traditionnelles et les règles empiriques, d'ailleurs assez
peu précises , constituant le droit commun des nations issues de l'Empire carolingien.
Au contact de cette législation, le droit canonique, qui lui avait emprunté ses mé-
thodes et quelques-unes de ses constructions, devint rapidement un droit scientifique,
dont la connaissance exigeait une initiation. Les conséquences pratiques de cette
transformation se firent bientôt sentir dans l'Eglise. Pour appliquer le droit nouveau,
un personnel technique se forma, qui fournit aux prélats leurs conseillers et leurs
agents et finit par s'élever jusqu'au sommet de la hiérarchie, à telles enseignes que le
xiii' siècle et le xiv' furent lïige des Papes jurisconsultes. On sait la grande place que
tint l'un d'eux, Jean XXII, dans le premier tiers du xiv* siècle, et comment, sous son
règne, l'Université de Paris, où se conservaient les traditions de la vieille science sa-
crée, fut amenée à concevoir quelque défiance de la cour d'Avignon, où la prépondé-
rance semblait acquise aux canonistes. Dans le monde séculier l'enseignement
du droit de Justinien joint à l'exemple du gouvernement ecclésiastique ne tarda pas
à produire un mouvement parallèle, qui porta les légistes aux plus hautes fonctions,
judiciaires, administratives et politiques. La littérature du xiv* siècle ne pouvait
manquer de refléter cette double évolution ; large est la place qu'elle fit aux œuvres
inspirées par l'un ou l'autre droit. C'était un vaste champ qui s'ouvrait aux recherches
de Paul Viollet. Les quatre notices, toutes importantes, qu'il a écrites pour ï Histoire
littéraire, concernent des œuvres et des personnages relevant du domaine de fhistoire
du droit.
Viollet était entré dans la Commission trop lard pour prendre mie part active à
la rédaction du tome XXXII. La première des notices qui lui sont dues parut dans
le tome XXXIII ; elle donna la mesure de ce qu'il était permis d'attendre de sa colla-
XII NOTICE SLR PAIL MOLLET.
boration. VioUet y avait comblé une lacune des précédents volumes, en écrivant
l'histoire littéraire du droit normand au xiif siècle.
La race vigoureuse qui peuplait la Normandie, rajeunie au x" siècle par l'infusion
d'un sang nouveau, avait su adapter à ses besoins les institutions carolingiennes, et,
sans subir l'influence romaine, s'était donné un droit original et précis, singulière-
ment en avance sur le droit encore amorphe de beaucoup de provinces de France.
Sans suivre les destinées de ce droit dans les pays lointains où les Normands éta-
blirent leur domination, Viollet se borna à en étudier les monuments en Normandie:
d'abord' les deux textes capitaux du droit normand du xin' siècle, le Très Ancien
(joutumier et le Grand Coutamier; puis deux consultations du même temps ; enfin
une série de recueils de jurisprudence normande composés à diverses époques du
XIII* siècle. Ainsi Viollet a, pour tout ce siècle, fait connaître par le menu les sources
du droit normand en même temps qu'il analysait celles des prescriptions de ce droit
<[u'il estimait caractéristiques. Pour que ce tableau, tracé de main de maître, fût com-
plet, il a manqué à Viollet de pouvoir tirer parti du volume publié en igoS par
M. Joseph Tardif, où est reproduit le texte français du Très Ancien Coutamier, accom-
pagné d'une introduction critique ; au moins lui a-t-il été permis d'en mentionner
les conclusions dans les notes additionnelles placées, suivant l'usage, à la fin du
volume. Il n'en est pas moins vrai que sa notice, si ample et si consciencieusement
fouillée, constitue de la législation normande au xiir siècle un exposé qui est de
grande utilité aux historiens du droit.
La collaboration de Viollet au tome XXXIV est représentée par les notices de
deux canonistes : Guillaume de Mandagout et Bérenger Frédol, tous deux originaires
de la France méridionale, préparés par leurs études et leurs fonctions premières aux
hautes charges de l'Eglise, plus tard évêques, archevêques, cardinaux de l'Eglise ro-
maine, et tous deux classés parmi ceux qui, à la mort de Clément \, furent consi-
dérés comme ayant des chances d'être élus au suprême pontificat. L'un et l'autre,
mêlés aux plus grandes affaires religieuses et politiques de la période qui s'étend de
l'avènement de Philippe le Bel aux dernières années du pontificat de Jean XXII,
négociateurs, arbitres, juges, conseillers des puissants, collaborant à la rédaction des
nouveaux codes canonicjiies, ont manfué leur trace dans l'histoire de leur temps, et
laissé après eux des écrits estimés qui concernent la législation ecclésiastique. C'est
encore à un canoniste que \ ioUet consacra sa dernière notice , insérée au présent vo-
lume : Guillaume Durant le Jeune, évêque de Mende, neveu du Speciilator. Le nom
de ce personnage appartient à notre histoire à raison du rôle ((u'il joua dans la poli-
tique française. Plus considérable encore fut la part qu'il prit aux affaires de l'EgUse,
soit comme évêque français, soit comme agent de la politique pontificale en Italie,
NOTJCE SIR l>\L!L MOi.l.KT. xii.
soit L'iifin comme auteur d'un ouvrage où il traite de toutes les questions intéressant
le gouvernement ecclésiastique : le Tractatiis de modo celebrandi Coiinlii gencialis.Pai
(|uel(jues-unes des idées (ju'il y développe, Durant se trouve être le précurseur de la
théorie conciliaire, qui devait séduire tant d'espiits en Krance, quatre-vingts ans
plus tard, à l'occasion du Grand Schisme. Un tel ouvrage était hien fait pour attirer
sur son auteur l'attention très éveillée de Paul VioHet.
On retrouve dans ces diverses notices les qualités coutumières de notre (onfrère,
et, toutd'ahord, la richesse de son information. l'Vapperà toutes les portes, explorer
tous les dépôts, consulter tous les ouvrages dont il lui était permis d'esp.'^rer des ren-
seignements, c'était là pour lui une affaire de conscience ; il s'en acquittait avec le soin
méticuleux qu'il mettait à toutes chos(;s. On le vit, lorsqu'il préparait la notice de
Guillaume Durant, s'établir à deux reprises à Mende pour y recueillir des documents,
(hàce à ses recherches, il lui fut donné de découvrir plus d'un manuscrit incornm de
ses devanciers, de rectifier des atlrihutions erronées, de conjbler des lacunes de biblio-
graphie, de résoudre plusieurs inigmes. D'ailleurs il ne bornait pas sa lâche à faire
une histoire purement evterne des u'uvres qu'il ri'ncontrait sur sa route. Il les analysait
par le menti, comme on en pourra juger par l'analyse de l'écrit de (juilla.ime Durant,
ou par celle du tiaité de Guillaume de Mandagont sur les élections canoniques; il
appli(|uait ses facultés de critique perspicace à en dégager les idées maîtresses.
Comme il fallait l'attendre d'un homme toujours préoccupé des problèmes intéres-
sant la conscience, Viollet s attachait particulièrement à mettre en relief la physionomie
morale des auteurs dont il étudiait les ouvrages : c'est là le trait vraiment caractéris-
tique de son œuvie. S'occupe-t-il du Grand CouLumicr d<- Normandie, dont l'auteur est
fort mal connu, il saisit au \ol les informations dont il peut tirer parti pour en ébau-
cher le portrait. Aux préoccupations que décèlent divers passages du Coutumier,
Viollet reconnaît un clerc ; il a, dit il, la charité ([ui convient à cet état, à laquelle il
joint une linesse à la fois ecclésiastique et normande. Au fond c'est un brave homme
et un bon cœur; mais il a sa manière de donner, des choses, des raisons toujours
ingénieuses, souvent arlilicielles, qui sont moins les vraies raisons que des explication.s
de diplomate. « Il a brodé une tapisserie élégante, qui cache au lecteur superiiciel et
peut-être lui cache à lui-même les vraies raisons. . Viollet est heureux de soulever le
voile et de découvrir l'homme derrière le juriste. Cette étude ne sera pas inutile ; car
Viollet en conclut que le jurisconsulte et l'historien ne devront interroger l'auteur du
Grand Coalumier cp^i'avec quelque précaution.
Notre confrère n'est pas moins curieux de la psychologie des trois prélats dont il
lui est échu d'étudier l'œuvre. 11 s'est fait un idéal très élevé du rôle qui appartient aux
chefs de l'Église; aussi n'est-il pas indulgent à leurs vices ou même à leurs faiblesses.
HIST. LrrTER. XWV.
x.v NOTICE SLH l>\l I. VIOLI.ET.
li tient GuiHaumi; de Mandagout et Jiéiengei |- ivdol pour des personnages de mora-
lité moyenne, tn-s soucieux des mtéièts de leur «arrière; Mandagout lui apparaît
comme un homme de transaction et de concdiation, ([ui a j)eu de goût pour les solu-
tions logiques et les opinions extrêmes. Il est prudent et n'aime pas à se compromettre;
choqué de l'empressement qu'il mit à se justilier du soupçon d'avoir émis une opinion
désagréable au roi de Sicile, Charles 11, Viollet n hésite pas à le ranger dans
« la grande famille des trembleurs ". Cardiniil-e\é(|ue de Paiestrina, Mandagout joint
à son évêché de nombreux bénélices, en dépit de la iui(|ui prohibe la pluralité; cano-
niste, auteur d'un tiaité des élections, il s'est à trois reprises laissé nommer directement
par le pape à de grands sièges épiscopaux. >aii> prendre le moindre souci îles droits
des chapitres. Viollet ne peut se tenir de I en blànier sévèrement. Si Mandagout avait
pu répondre à ces critiques, il eût sans doute allégué, d'une part, (jue les cardinaux
étaient exempts des prohibitions concernant la pluralité des benélices, d'autre part,
que le droit de nomination directe, ex« rci' par l^ pape t n m itu des réserves, n était pas
sérieusement contestable, et (jn'ainsi, sur les deux points, il as ail la conscience tran-
(|uille. 11 eût ajouté qu'en dépit de la piudenee diPiil c)n lui faisait un grief, il était
de ceux i|ui, sous le pontificat de Clément V. avaii ?it défendu la mémoire de Boni-
face \ m et avaient combattu la (andidatnre du roi de France à fKmpire. Quanta
Hérenger Krédol , Viollet en lait un portrait |)en flatteur : « Bien né, bien apparenté,
« débonnaire et ambitieux, doux et avise, plu> cauteleux qu'honnête, mais compa-
« tissant et humain, sans giande originalité d'esprit, il avait tous les dons, toutes les
«qualités, tous les défauts et les lacunes cpii facilitent le chemin des honneurs.»
Viollet lui reconnaît cependant le mérite d'avoir, dan> lafTaire de Bernai d Délicieux,
combattu les excès des inquisiteurs, et le loue d'avoir, sous Jean XXll, pris le parti
des Franciscains spirituels, qui devaient être vaincus. Quant à sa conduite dans le pro-
cès des Templiers, il l'explique par une de ces hypothèses ingénieuses, auxquelles il
lui arrive de se complaire ; celle-ci n'a pas niaïujué de soulever de graves objections.
Guillaume Durant ne devait pas non plus sortii- indemne de len(|uêle à laquelle
s'est livré Viollet. Visiblement, Viollet lui sait gré de l'indépendance de quelques-unes
de ses a[)préciations et de son zèle pour la réforme de l'Mglise, non seulement dans
ses membres , mais encore et surtout dans son chef. Il ne l'en accuse pas moins d'oublier
trop facilement certains préceptes de morale chrétienne, ou même de morale natu-
relle. Sans doute s'étonne-t-il de la vigoureuse et durable hostilité que témoigna
l'évêque aux membres de la noblesse du Gévaudan, irréconciliables adversaires du
pariage conclu entre lui-même et le roi de France, dont le résultat fut d'ailleurs
d'assurer le repos de l'I'lglise et du pays.
Ainsi notre regrette collaboraleur s efforçait de lire entre les lignes de l'histoire et de
NOTICE SLR PAIL MOLLET. xv
dégager du langage souvent laconique des chroniques et du langage toujours convenu
des chartes le portrait d'hommes him vivants, mêlés aux alTaireset aux luîtes contem-
poraines, s'y mouvant sous l'empiic de considérations fort humaines et parfois de
passions qui eussent scandalisé les saints. Pour juger unpartialement ces honames, il
faisait appel aux inépuisables ressources de son éiudition, et s'en servait avec la belle
et noble indépendance qui caractérisait ses appréciations. 11 a marqué d'un cachet qui
est bien à lui les pages qu'il a données à Yllhtciie (iftéraire, parce qu'il y a mani-
festé sans ambages le souci, dont il fut toujours animé, de réserver ses louanges aux
hommes qui, à son avis, étaient demeurés fidèles au devoir et avaient respecte
le droit.
F. F.
NOTICE
SUR
NOËL VALOIS,
UN DES AUTEURS DES TOMES XXXIII-XXXIV DE L'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRAffCE
(mort le 11 NOVEMBRE IQlS).
Noël Valois appartenait à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis
un an à peine — il avait été élu membre ordinaire le 23 mai 1902 — lorsque les
suffrages de nos confrères l'appelèrent, le i"' mai 1903, à faire partie de la Com-
mission (le y Histoire littéraire de la France à la pla<;e de (îaston Paris, décé(l(''
le 5 mars précédent'". Pendant douze ans et demi , il a pris part aux travaux de notre
Commission et apporté une active collaboration à la publication de la dernière
partie du tome XXXIII, et surtout du tome XXXIV, qui est en bonne partie son
œuvre. Le 29 (jctobre 1 9 1 5 , il revisait encore les premières épreuves du tome XXX\ .
sans que lui-même eût deviné le mal qui cheminait traîtreusement et qui, quelques
jours plus tard, devait l'emporter, en pleine activité et à peine âgé de soixante
ans, le 1 1 novembre 1915.
Né à Paris, le li mai i855, dans l'ancien « petit hôtel de Nivernais «, au n° 1 1 de
la rue Garancière, notre confrère appartenait à une vieille famille parisienne,
illustrée au xvni° siècle par ses ancêtres, les peintres Hubert Drouais t'i Noël Halle,
plus tard par son grand-père, Achille Valois, sculpteur ordinaire de la coui- de
Louis XVIII, et, du côté maternel, par Philibert Guéneau de Mussy, le conseiller
de Fontanes lors de l'organisation de l'Université impériale, au début du siècle
dernier. Ses études secondaires brillamment terminées au lycée Louis-le-Grand et
''* La vie de Noël VaJois a été retracée en Ei\e est publiée, avec une bibliographie trùs
détail, et avec autant d'art que de précision, complète à la suite , dans les Comptes rendus des
par son successeur à l'Académie des Inscrip- séances de l'année 1918, p. iy-gS.
lions et Belles-LeUres , M. Ch.-V. Langlois.
xv„i NOTICE SI II NOËL V\L01S.
complétées parles deux licences es lettres el en droit , Noël Valois entrait à vingt ans,
en 1875, à l'École des chartes, en même temps que deux de nos confrères,
MM. Antoine Thomas et Paul Fournier, qui, plus tard, devaient le rejoindre à
l'Académie et dans notre Commission. Archiviste-paléographe en janvier 1879, il
était docteur es lettres l'année suivante avec deux thèses justement remarquées :
l'une sur GuUlaunie d'Auvergne , àvêqae de Paris {Î2'28-12Ù9), sa vie el ses ouvrages,
dans laquelle il faisait revivre la noble figure, imparfaitement connue encore, de ce
grand prélat et de ce savant théologien , en même temps conseiller de saint Louis
et agent dévoué de la papauté; l'autre intitulée : De arte scribendi epistolas apnd
Gallicos medii œvi scripbres rhetoresve, qui allait être bientôt suivie de son Élude
sur le lylhmc fies bulles pontijicales , publiée en 1881 dans la Biblv)lhèquc de l'École des
chartes: travail resté classique, où des problèmes longtemps insoupçonnés étaient
lésolus et qui ouvrait des voies nouvelles à la critique des textes diplomatiques du
moyen âge.
Nommé en 1 881 archiviste aux Archives nationales, Noël Valois y passa douze ans
de sa vie et y fut un fonctionnaire modèle, ainsi qu'en témoignent les deux gros
volumes d'Inventaire des arrêts du Conseil d'État [règne de Henri IV), parus à quelques
années de date, en 1886 et 1893. Le tome premier de cet Inventaire était précédé
d'un Essai historique sur le Conseil du Roi, qui, remanié et complété, formait,
en i888, le Conseil du Roi aux xiv',xv' et xvi' siècles, ouvrage dont l'Académie des
Inscriptions reconnaissait le mérite l'année suivante en décernant à son auteur le
1"' prix Goberl.
Le travail de l'archivisti' avait décidé de la vocation de l'historien , qui, désormais,
devait consacrer son activité presque exclusivement à l'étude du xiv* el du xv' siècles.
L'Inventaire des arrêts du Conseil d'Etat et ses recherches sur l'histoire du Conseil
du Roi avaient, en ellet, conduit tout naturellement Noël Valois à l'étude du
xiv' siècle, et, dans la seconde moitié de ce siècle, s'était présentée à lui la question,
importante el obscure entre toutes, des origines et des développements du Giand
Schisme d'Occident. Il avait rencontré Li voie où ses qualités émincntes d'historien
de la France et de l'Eglise allaient donner leur mesure. En 1893, il quittait les
Archives nationales, afin d'entreprendre en toute liberté une vaste enquèle dans les
dépôts français et étrangers, et ses recherches aboutissaient à la publication, de i 896
à 1902, de quatre volumes sur La France et le Grand Schisme d'Occident, qui lui
valurent une seconde fois le 1 " prix Gobert. Bientôt paraissaient encore son Histoire
de la Pragmatique Sanction de Bouiges [1906), suivie de deux volumes sur La Crise
religieuse du xv' siècle. Le Pape et le Concile (1 909)-
Ces derniers travaux, où Noël Valois renouvelait l'histoire sur une loule de points.
NOTICE SUR iNOÉL VALOIS. six
en suivant pas à pas If développement de la crise religieuse qui avait si profondé-
ment troublé les esprits au xiv' et au xv' siècle, avaient marché de pair avec sa col-
laboration à l'Histoire Hltéraiie de la France. Appelé dans la Commission pour rem-
placer Gaston Paris, il était cependant tout désigné pour reprendre parmi nous
l'œuvre interrompue de Barthélémy Hauréau et continuer dans le tome XXXIII
l'étude des écrivains scolastiques. C'est ainsi que les deux dernières notices de ce
volume ont été consacré«?s par lui, l'une à préciser la vie et les œuvres du hère
mineur Pierre Auriol, ce penseur original, suivant les propres expressions de notre
confrère, qui, en aucune des matières de l'enseignement philosophique, ne se con-
tenta des solutions fournies par les maîtres anciens ou modernes, et qui, toujours, eut
l'ambition de parvenir, par son effort personnel, le plus près possible de la vérité;
l'autre à un maître de l'Université de Paris, Jean de Jandun, dont les traités
philosophiques et les commentaires sur Aristote et Averroès ont longtemps obteim
des succès d'école, mais qui est plus connu par son Eloge de Paris et surtout jjar
la part qu'il a prise à la rédaction du célèbre Dejensor pacis , écrit à Paris en l'ôià,
en collaboration avec Marsile de Padoue, pour soutenir le chef de i'Kmpire, Louis
de Bavière, dans sa lutte contre Jean XXII; œuvre touffue, obscure souvent, et
pleine de contradictions, mais singulièrement audacieuse, tant en religion qu'en
politique, si bien qu'on a pu reconnaître en ses auteurs les précurseurs de la Réformr
et même de la Révolution française.
Dans le tome XXXIV de l'Histoire littéraire de la France, cinq des dix articles qui
le composent et en forment la partit- la plus considérable sont l'œuvre de Xoël
Valois : Jacques de Thérines, Jean de Pouilli, Jean Rigaud, Guillaume de Sauque-
ville et Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII : ce dernier article occupe à
lui seul plus du tiers du volume. Notre confrère a tracé de vivants portraits des deux
premiers de ces théologiens : l'un, le cistercien Jacques de Thérines, auquel il a
restitué son véritable nom, théologien renommé, philosophe disert, casuiste hardi,
le type en un mot du moine français contemporain de Philippe le Bel, indépendant
vis-à-vis du roi et plein de méfiance à l'égard du haut clergé séculier; l'autre, élève
de Godefroi de Fontaines, le « Docteur vénérable », sorboniste décidé, dévoué avant
tout è la défense des cboits du clergé séculier dans ses luttes contre les Ordres
Mendiants, et en qui l'on voit renaître, toutes proportions gardées, une sorte de
Guillaume de Saint-Amour. Le portrait de Jean XXII, que Noël Valois a peint
de main de maître, s'il sort un peu du cadre ordinaire de l'Histoire littéraire, fait
revivre à nos yeux, avec autant de vérité et de force que d'agrément, l'activité sur-
prenante de ce vieillard, pontife épris d'autorité avant tout, ennemi de l'hérésie sous
ses formes diverses, propagateur de la foi chrétienne dans les lointaines contrées
XX NOTICE SUR NOËL VALOIS.
de l'Orient, mais en même temps, et avant tout, défenseur de la suprématie tem-
porelle du Saint-Siège.
La vivante image que notre confrère a tracée ici du plus grand des papes d'Avi-
gnon restera comme le couronnement de son œuvre, prématurément interrompue,
mais qui, de Guillaume d'Auvergne à Jean XXII, n'a cessé d'être d'une parfaite unité.
Cette imité se retrouvait dans sa vie. Savant et artiste à la fois, «gentilhomme
français et chrétien», suivant la très juste expression de celui qui l'a remplacé
parmi nous, Noël Valois a laissé le souvenir de l'honnête homme, simple, droit,
courtois et ferme, imposant le respect et l'estime autant pour son caractère que pour
son talent d'historien.
H. 0.
NOTICE
SUR
PAUL MEYER,
CN DES AUTEURS DES TOMES XXXII -XXXIV DE VBISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
(mort le 7 SEPTEMBRE 1 9 1 7 )■
Né à Paris le 17 janvier 18/io, Marie-Paul-Hyacinthe Meyer fut élu membre de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 3o novembre 1 883 ; neuf ans plus
tard, le U décembre 1892, l'Académie le désigna pour succéder à Ernest Renan
dans la Commission chargée de continuer {'Histoire littéraire de la Fiance.
La Commission n'a jamais été composée d'une manière aussi brillante et aussi
eflicace qu'alors. Quelle époque, dans l'histoire de Y Histoire littéraire, que celle où
Barthélémy Hauréau, Gaston Paris , Léopold Delisle et Paul Meyer, après Renan, ont
été appelés à mettre en commun leurs ressources pour surélever de ipielques assises
cet édifice immense et disparate auquel tant de générations avaient déjà travaillé et
dont l'achèvement se perd et se perdra longtemps encore dans des perspectives loin-
taines! Agrégé le dernier, par le hasard des vacances, à cette équipe illustre,
Paul Meyer en a été aussi le dernier survivant. Nous, qui en avons connu tous les
membres , et qui sommes leurs disciples , nous savons par quelles nuances ces grands
hommes différaient, mais, tout mis en balance, notre admiration les place à peu près
sur le même plan. Et nous savons aussi que, pour bien des raisons, pareille conjonc-
tion de talents supérieurs ne se reproduira plus, vraisemblablement, sur le terrain
de nos études.
Une carrière comme celle de Paul Meyer, en particulier, ne parait plus possible
désormais. Outre que les hommes aussi bien doués que lui pour la recherche et la
découverte dans Tordre des problèmee dont on s'occupe ici, et qui ont de si bonne
heure une vocation si décidée, sont très rares, les circonstances ne se prêtent plus,
comme il y a un demi-siècle , à ces enquêtes triomphales dans des dépôts de manuscrits
HIST. LITTÉR. XXXV. d
2 *
XXII NOTfCE SUR PAIL MEYER.
mal explorés, surtout ii lYtranuLT, que Paul iNIeyer entreprit dès l'adolescence et
continua pendant près de ciiK|uante années avec une ardeur et un bonheur sans
pareils. Personne n'a lait autant de trouvailles éclatantes que Paul Meyer dans le
domaine de l'histoire littéraire du moyen âge. Et personne n'en fera autant à l'avenir,
notamment pour ce motif qu il n'y en a plus tant à faire.
il entra à l'Ecole des chartes en novembre iSSy, et, dès i858, son maître Guessard
l'attacha à la publication des anciens poètes de la France. On vit paraître, dans cette
collection, en 1861 , un volume qui contenait deux chansons de geste, Ayed'Avignon,
par Guessard et Paul Meyer, et Guy de Nanleiiil, par Paul Meyer seul. Entre temps,
L. Delisle s'en était remis à lui pour éditer et conmienter un texte provençal, récem-
ment découvert à la Bibliothècpie nationale, qui forme la principale pièce d'un
recueil d'Anciennes poésies religieuses en langue d'oc, inséré dans la Bibliothèque de
l'École des chartes en 1 860. Ce texte était difficile; on est émerveillé encore maintenant
de la science et de la dextérité critiques dont fit preuve, en l'élaborant, cet éditeur de
vingt ans; un professeur allemand a voulu, eu 1886, recommencer ce travail de fond
en comble O, et il l'a manqué. Paul Meyer préludait d'ailleurs, simultanément, sur
tous les tons et sur tous les thèmes où il devait exceller par la suite. Le long compte
rendu qu'il consacra, en i8G'2, aux Etudes sur l'histoire de la langue française de
Littré'^' le fait voir déjà installé, en ce temps-là, dans les fonctions qu'il a toujours
aimé à exercer, et qui l'ont rendu longtemps redoutable, de censeur des travaux
d'autrui. Il faisait enfin ses premières armes dans fhistoiro littéraire proprement
dite: ses Études sur la chanson de Gérard de Roussillon, composées en i858-
1859, dès l'École, furent publiées en i86o>''; en 1861, il découvrit à la Biblio-
thèque de Châlons-sur-Marne le manuscrit de la Chronique de Jean le Bel, décrit
au xviii' siècle mais considéré depuis comme disparu, qui devait renouveler la
connaissance de Froissarl ' ; il ouvrit en janvier 1 865 , à l'Ecole des chartes, un cours
libre, dont des fragments ont été imprimés'^', sui- l'histoire de la littérature proven-
çale, un champ oîi il était dès lors considéré comme sans rival; la même année,
il faisait connaître . par une édition princeps, accompagnée d'une traduction , le poème
'■> E. Stengel, dans la Zeitsclnifl fiir toma- ''' Ecole impériale des chartes. Cours d'histoire
nische Philologie, t. \, p. i55. delà littérature iirovençale {Paris, ln\f>r. A. Laine
''' Bibliothèque de l'Ecole de< chartes , 'y se- et J. Havard). C'est un prospectus. La leçon
rie, t. V, p. igS. d'ouverture a paru dans la Revue des cours
''' Ibid., 5* série, I. M, p. 3l-()^. littéraires, e\ k fari . —Cl. Bibliothèque de l'Ecole
''' Comptes rendus de l'Académie des Inscrip- des chartes, 6* série, t. 1", p. 4oi-442.
tiens, séance du 18 octobre 18G1.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxni
(le Flamenca, un des chefs-d'œuvre, sinon le chef-d'œuvre, de l'ancienne littérature
en langue d'oc"'; c'est aussi en i865 que, chargé par le Ministère de l'Instruction
publique d'une . mission littéraire en Angleterre », il commença l'exploration systé-
matique des bibhothèques anglaises et, comme entrée de jeu, mit la main, entre
autres choses, sur la traduction française, exécutée par frère Jean du Vignai, d'un
fragment considérable de la chronique latine perdue de Primat, moine de Saint-Denis,
dont on ne connaissait alors que le nom'^'. Telles furent, en raccourci, les « enfances »
de cet esprit lucide et puissant, servi par un courage et une force de travail tout
à fait exceptionnels.
Cette première période de la vie de Paul Meyei- s'achève en i865. Or, c'est cette
année-là, le 29 décembre, que Gaston Paris, présenta à la Sorbonne, comme thèse
de doctorat, ï Histoire poétique de Charleniagne. La France avait donc, enfin, en ligne
deux champions qui lui assuraient le premier rang sur le terrain de sa philologie
nationale. Et ces deux émules, dont les qualités étaient, pour ainsi dire, complé-
mentaires, étaient unis d'une étroite amitié. Ils avaient décidé, d'ailleurs, d'associer
leurs efforts.
Paul Meyer, dans sa notice sur Gaston Paris, jiubliée en tète du tome XXXIJI de
YHistoire littéraire (1906), a raconte, avec une autorité incomparable, les origines
des entreprises où s'entrelacèrent bientôt l'action de son illustre ami et la sienne :
il a dit dans quel esprit fut fondée, principalement par leurs soins, la Revue critique
d'histoire et de littérature, dont le premier numéro parut le 6 janvier 1866, et
pourquoi ils créèrent, de concert, au commencement de l'année 1872, sous le nom
de Romania, « une revue spéciale pour les langues et les littératures romanes pendant
" le moyen âge, la France occupant naturellement la première place, comme ayant
« la littérature la plus considérable et la moins connue ... Ce qu'il a dit là que Gaston
Paris avait pensé, ib l'avaient pensé ensemble, et même il l'avait sans doute, en partie,
suggéré. Nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur à ces pages
magistrales.
.. C'est dans la Romania, dit-il, que Paris a publié, à partir de 1872 , ses travaux
« les plus originaux sur la linguistique française et sur notre ancienne littérature. «La
même chose est vraie de lui, quoiqu'il ait aussi beaucoup écrit ailleurs, notamment
dans le Bulletin de la Société des anciens textes français (fondée en 1875), qu'il fut
longtemps presque seul à alimenter. Dans son âge mûr, il souriait parfois de l'em-
'■' Le roman de Flamenca, publié d'après le (1866), p. 36a ; cf. ibid.. t. II ( i865), p. 638:
manuscrit unique de Carcassonne, traduit et el A. MoWmer, Sources de l'histoire de France]
accompagné d'un glossaire (Paris, i865). t. HI, n" 353o-253i
'*' Archives des Missions, 2" série, t. III
i.
xx,v NOTICE SUR PAIIF. MEYER.
barras où seraient un jour les érudits qui s'occuperaient de dresser la noinonclalure
de ses publications et il se faisait volontiers fort, si sa « bibliographie » paraissait de
son vivant, d'en remontrer à l'auteur. Pour ce motif, ou pour tout autre, la liste de
ses publications n'a pas été dressée. Ce n'est certes pas ici le lieu de l'esquisser, même
en la réduisant à ce qui intéresse directement l'histoire littéraire de notre paysjusqu'à
la fin du moyen âge. 11 faut pourtant jeter un coup d'oeil sur l'énorme bagage qu'il
avait accumulé en ce genre lorsqu'il fut appelé, encore dans la pleine vigueur de son
âge et de son talent, quoique relativement sur le tard, à la Commission académique
où Gaston Paris l'avait précédé de onze ans.
Les écrits du moyen âge que Paul Meyer a découverts ou mis en valeur, seul ou en
collaboration avec divers érudits, en en procurant un texte correct et en les munissant
de dissertations, d'éclaircissements, de glossaires, etc., sont très nombreux. Citons
le Bestiaire de Gervaise (1872), Blandin de Cornouailles ( 1 8 7 3 ) , Brun de la Montagne
(1875), Un récit en vers de la première croisade Jondé sar Baadry de Boargueil
(1876), le Débat des hérauts de France et d'Angleterre (1877), la Chanson de la Croi-
sade contre les Albigeois (1870-1879), Daarel et Béton (1880), Haonl de Cambrai
( 1882), la Vie de saint Grégoire par frère Angier ( i883), les Fragments d'une vie de
saint Tliomas de Cantorbéry ( i883), les Contes moralises de Nicole Bozon ( 1889), le
roman d'£s<fcer en provençal (1892), i'EscoaJle (^iS^k), Guillaume de la Barre(i895).
De 1891 à 1901 parut encore, en trois volumes, l'Histoire de Guillaume le Maréchal,
régent d'Angleterre de 1216 à 1219, une des perles de la littérature française du
moyen âge, enfouie jusque-là dans ia plus profonde obscurité. Nous ne résistons pas
au désir de le laisser exposer lui-même les circonstances de cette magnifique trou-
vaille, car elles sont caractéristiques du fait que le bonheur des grands découvreurs
comme lui est dû, autant qu'à la chance, à une patiente, très patiente, méthode
d'investigation. La chasse du manuscrit Savile, qui contient l'œuvre extraordinaire
du biographe anonyme de Guillaume le Maréchal, a duré vingt ans :
Les manuscrits réanis à Li tin du xvi° siècle et au commencement du xvii' par divers membres
delà famille Savile, el mis en vente publique , à Londres, le 6 février 1861, formaient assurément
i'nne des coileclions les plus précieuses qui aient été mises aux enchèi'cs en ce siècle. . . J'assistais
à la vente, à laquelle j'avais été envoyé par l'administration de la Bibliothèque impériale. Ce fut
mon premier voyage en Angleterre . . . L'administration m'avait particulièrement signalé trois
manuscrits qu'elle désirait acquérir. Quant aux autres manuscrits français , j'eus à peine le loisir
de les fenilleler rapidement pendant la vente. Entre ces manuscrits, il en est un [le n° 5i ] qui
avait excité vivement ma curiosité . . . J'avais cherché à savoir, le jour de la vente, quels étaient les
acquéreurs des manuscrits qui m'intéressaient le plus particulièrement, et des renseignements que
j'avais obtenus résultait ia certitude j^resque absolue que le manuscrit n° 5 1 avait été acquis par
Sir Thomas Phillipps. Sir Thomas avait coutume d'imprimer, dans sa petite imprimerie de Middlehill,
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxv
le catalogue de ses manascrits par feuillets isolés, au fur et à mesure des accroissements de sa
collection. Cette publication. . ., commencée en iSSy, parait s'être poursuivie jusqu'à la mort de
Sir Thomas en février 1872... J'ai pu me convaincre qu'aucun des manuscrits de la vente Savile
n'y figurait. . . Je demeurai néanmoins persuadé qu'il devait se trouver dans une partie non cata-
loguée. . . Je n'hésitai donc pas à faire demander aux héritiers de Sir Thomas [en avril 1880],
ce qu'était devenu le manuscrit 5i de la vente Savile, que je savais de source certaine avoir été
acquis parle baronet en 1861. Le manuscrit fut trouvé; il porte actuellement dans la Bibliothèque
de Middiehill le n° a5,i55. . .
Lorsqu'il sera connu, on jugera sans doute que la littérature française du moyen âge ne
possède pas, jusqu'à Froissart , une seule cvuvrè, soit en vers, soit en prose, qui combine
au même degré l'intérêt historique et la valeur littéraire; je n'excepte ni Villehardouia ni
JoinvilleO.
Voilà les principales éditions que Paul Meyer a publiées à part, en forme de
volume ou d'article étendu; les poèmes en langue d'oc (dont notre confrère s'était
fait d'abord une sorte de spécialité) et les monuments de la littérature anglo-
normande dominent , comme on voit , dans cette série ''". Mais c'est à peine la majeure
partie de ce qu'il a mis de textes du moyen âge à la disposition des savants. Car il
a, toute sa vie, dépouillé des manuscrits, transcrit ce qui s'y trouvait de neuf
(sa connaissance de l'ancienne littérature et des études modernes qui s'y rap-
portent lui permettait de le reconnaître avec une sûreté admirable) et communiqué au
public ce qui en valait la peine, soit au fur et à mesure, soit lorsqu'il avait réuni,
au cours de ses investigations, une quantité jugée suffisante de données apparen-
tées. Telles sont, en ce dernier genre , ses dissertations sur Henri d'Andeli et le chan-
celier Philippe (1873), sur Les premières compilations françaises d'histoire ancienne ( 1 885 )
et sur les Versions piwençalcs du Nouveau Testament {188^). Quant aux «Notices»
de manuscrits et aux « Mélanges » , avec extraits , communiqués au fur et à mesure
des rencontres, il suffit de parcoiu-ir les tables de la Romania et du Bulletin de
la Société des anciens textes français pour avoir une idée de la masse très considé-
rable de faits entièrement nouveaux que Paul Meyer a mis en circulation de cette
manière modeste et précise, qui lui plut toujours entre toutes. S'il avait réuni en
recueil, sous un titre commun, comme l'a fait B. Hauréau dans ses Notices et
extraits de (quelques manuscrits..., ces « contributions » dispersées dans les périodi-
ques, on en apprécierait mieux encore la richesse substantielle, la forme élé-
'"' Romania, t. XI, 188a, p. aa-a5. accompagné d'un vocabulaire, parut en 1901 ;
<'' 11 y faut ajouter une • deuxième édition, le second volume devait comprendre, avec
entièrement refondue», du roman de /''/ame/jf a, l'introduction de 1 865 remaniée, une traduc-
dont le t. 1" seulement, qui contient le texte tion intégrale.
XXVI NOTICE SIR PAUL MEYER.
gante et achevée. L'index général d'un pareil recueil serait un des vade-mccum du
médiéviste.
Il avait infiniment d'esprit : du plus vif , du plus mordant. Il écrivait comme il
parlait, avec une aisance, une désinvolture, une simplicité, une clarté et une pureté
charmantes. Il voyait les choses de haut et ne se perdait jamais dans les détails. Nul
enfin ne s'entendait mieux cjue lui à débrouiller, organiser, exposer. Les gens du
monde pourraient donc s'étonner qu'il ait consacré une si grande partie de sou
activité à des éditions et à des rapports d'explorateur, par le procédé sans préten-
tion, et comme naïf, des u notices et extraits ». D'autant plus qu'il avait commencé,
comme tout le monde, avec d'autres ambitions, et cjue, quand il consentait, par
hasard, à disserter sur des questions générales ou à faire ce que le grand public
appelle «un livre», il y excellait. Voir ses leçons ou conférences De l' influence des
tivabadours sur la poésie des peuples romans'^^ et Des rapports de la poésie des trouvères
avec celle des troubadours ''^', qui donnent un aperçu de ce que cette « Histoire géné-
rale de la littérature provençale », à lacjuelle il avait rêvé dans sa jeunesse, aurait pu
être ; ou encore ses « Vues sur l'origine et les premiers développements de l'histo-
<i riographie française » ''', son discours De l'expansion de la langue française en Italie
pendant le moyen â(je^"K Témoin, surtout, son livre sur Alexandre le Grand dans la
littérature française du moyen âge, conçu de bonne heure pour faire pendant au livre
de Gaston Paris sur la légende de Charlemagne; Paul Meyer aimait à dire, plus tard,
en souriant, qu'il avait toujours compté sur ce livre-là pour « entrer à l'Institut », et
que, pourtant, il n'en avait pas eu besoin, ayant été admis dans la Compagnie trois
ans avant de favoir fini '■^K Mais à qui serait un peu surpris de cette sorte d'ascé-
tisme intellectuel, il faut conseiller la lecture de la notice qu'il a consacrée à Barthé-
lémy Hauréau, dans notre t. XXXII. Après avoir écrit son Histoire de la philosophie
scolastique, B. Hauréau n'avait plus fait de « livres » et s'était lancé sans esprit de
retour sur la mer illimitée des recherches dans les manuscrits. Il s'en était justifié en
ces termes : «Ce genre de labeur ne saurait prétendre aux suffrages du public, qui
« ne peut louer que ce qui l'intéresse; mais il a beaucoup d'attraits pour celui qui s'y
CI consacre. Oui, sans doute, c'est une humble étude; mais combien d'autres compen-
« sent la peine qu'elles donnent en permettant de dire aussi souvent : « J'ai trouvé''''. »
'') Romania, t. V, p. 357. ''' T. l". Textes ; t. H, Histoire de la légende
'') Ihid.,l. XIX, p. 1. (Paris, 1886).
''' Dans \' Annuaire-Bulletin de la Société de '*' B. Hauréau, Notices et extraits de quelques
l'histoire de France, 1890, p. 89. manuscrits latins de la Bibliothèque nationale,
'•' Rome, 190.4. t. l"(Paris, 1890), p. vi.
NOTICE SUR P\UL MEYER. xxvii
Paul Moyen, faisant cerlainement , à co propos, un retour sur lui-même, l'en a
approuvé de son côté , par ces lignes d'un accent vraiment autobiographique :
Ces investigations piolongées à lra\ers des collections du manuscrits ineiplorés ont un intérêt
singulier pour celui qui les entreprend avec une préparution suiïisante, c'est-à-dire avec la notion
exacte des lacunes de nos connaissances et le désir d'arriver à les combler. C'est comme un
voyage d'exploration dont la fatigue est compensée par l'attrait de la découverte qu'on fait quel-
quefois et qu'on espère toujours. 11 est dillicile de s arracher à cette douceur quand on l'a une
fois éprouvée: on regrette presque le temps emplové à mettre en œuvre les éléments recueillis;
on le fuit de la manière la plus brève, pour retourner au plus tôt au\ recherches un instant
interrompues, et on perd promptement le goût des travaux d'ensemble, dont une partie seule-
ment consiste en nouveautés , le reste n'étant que résumé et compilation.
On peut dire de lui, comme il l'a dit d'Hauréau, que «le dépouillement des
« manuscrits fut son occupation préférée ». Mais il faut ajouter que, comme Ilauréau,
il a eu l'art do manifester, dans l'exposé des résultats de ses recherches de cet ordre,
tout ce que sa pensée avait d'originalité et de vigueur. Ces deux savants, dont la for-
mation première et l'allure n'avaient rien d'analogue, ont eu en commun, avec la
plus haute conscience scientifique et une certaine appréhension de la synthèse, le
goût et le talent de s'exprimer tout entiers — incidemment, pour ainsi dire —
dans des monographies étroites : notices sur des textes anciens et aussi sur des livres
nouveaux. Comme leurs notices de manuscrits, les comptes rendus d'Hauréau dans
le Journal des Savants et de Meyer dans la Romania sur les ouvrages récemment
parus sont, enefïet, un trésor inépuisable de notions, de faits, d'idées, de rappro-
chements, de .suggestions; ils ont teim en haleine, parlois en respect, tonifié et
ravitaillé les spécialistes pendant une ou deux générations. 11 est difficile et laborieux
de prendre aujourd'hui connaissance de ces innombrables pages éparses, d'un
caractère en apparence éphémère et dont 1'» actualité » s'est évaporée, mais telle en
est la plénitude qu'on ne s'en dispense pas sans dommage.
Lorsque Paul Meyer fut élu membre de notre Commission, il y eut aussi-
tôt un grand rôle à deux titres distincts, comme «éditeur» et comme «auteur».
D'abord, comme «éditeur». Les fonctions d'éditeur, c'est-à dire de secrétaire de
la rédaction, avaient été exercées jusque-là par les membres les plus exclusivement
dévoués à l'entreprise , et qui en avaient lait l'essentiel des préoccupations de leur vie
scientifique, tels que Victor Le Clerc et Barthélémy Hauréau. À la mort d'Hauréau
( 1896), elles furent assignées, comme de juste, à P. Meyer. G. Paris et L. Delisle
avaient d'autres intérêts considérables que l'Histoire littéraire, et même que l'histoire
Httéraire sans italiques. Et surtout P. Meyer était connu pour ses aptitudes de
XXVIII NOTICE SUR PAUL MEYER.
melteur en œuvre. C'était lui, à n'en pas douter, qui avait successivement dessiné
les cadres de la Revue critique et de la Romania, veillé à ce que ces revues et les
publications de la « Société des anciens textes français » se présentassent sous une
forme intrinsèquement harmonieuse et typographiquement très agréable. Dans son
association avec G. Paris comme directeur de grandes publications, Paris a plutôt
joué le rôle de Marie; Meyer s'était plutôt réservé celui de Marthe. Tout le désignait
donc. Son action, à cet égard, commença à se manifester dès le t. XXXII, le pre-
mier qu'il ait fait paraître, en 1898. Ce volume est muni d'une Table générale des
t. XXV à XXXII (dressée par M. Delisle, président delà Commission) : tVHistoire
« littéraire, dit l'Avertissement, rédigé par l'éditeur, est, en somme, un recueil de
" monographies indépendantes, auxquelles il serait impossible d'imposer un classe-
« ment rigoureux. Des tables fréquentes sont le seul moyen de remédier aux irrégu-
« larités que comporte la rédaction d'une oeuvre collective. » A partir du t. XXXIII
(1906), certaines dispositions typographiques, qui n'avaient pas été modifiées
depuis le xviii* siècle, sont changées. L'aspect de Y Histoire littéraire est sagement
modernisé; plus de manchettes, des notes: «D'où résulte un double avantage.
« D'une part, nous élargissons la justification, et, d'autre part, les renvois, formulés
«d'une façon souvent trop brève lorsqu'ils étaient placés dans la marge, ont pu
" être donnés d'une façon assez complète pour nous permettre de supprimer la
«table des ouvrages cités, qui, jusqu'ici, a occupé dans nos volumes une place
« considérable. » Toutes ces innovations excellentes, qui seront durables, étaient
évidemment dues au nouvel « éditeur ». Qu'il en soit remercié Jtei.
Ensuite, comme» auteur ». Sa collaboration officielle commenceaveclet.XXXII'";
elle ne s'est malheureusement continuée que jusqu'au t. XXXIV. Mais, nos trois
derniers volumes renferment , sous sa signature , des morceaux de premier ordre.
La littérature provençale avait été presque entièrement laissée de côté par la
Commission depuis qu'elle ne comptait plus de provençaliste , c'est-à-dire depuis la
mort d'Emeric David en 1889'^'. Le premier soin de Paul Meyer, allant au plus
pressé, fut de combler les lacunes ainsi béantes, en remontant à la fin du xui' siècle,
où elles apparaissaient. De là les notices qu'il consacra à Guillaume Anelier, de
Toulouse, auteur d'un poème sur la guerre de Navarre ( 1 27/i-i 276); à Matfré
''' Rappelons que ce sont de» découvertes crés au xiv* siède, on ne relève que la notice
de Paul Meyer qui avaient permis de rédiger sur Philippine de Porcelet (cf. la note précé-
antérieurement les articles consacrés à Jean de dente), et deux notes complémentaire» de
Journi (t. XXV, p. 619-623) et à Philippine G. Paris sur Blandin de CornouaUles et sur
de Porcelet (t. XXIX, p. 5a6-546). /an/re (t. XXX, p. laietp. ai5).
''' Dans les sept premiers volume* eonsa-
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxix
EriDengau de Béziers, auteur du Breviari d'Amor (achevé après lago); aux trouba-
dours Guillem d'AutpoI , Guillem de Murs, Peire et GuiHem, Bertran Carbonel,
Jacme Mote, Motet, Ponçon, Johan de Pennes, Guillaume de l'Olivier, Bérenguier
Trobel, Rostanh Bérenguier; aux «Légendes pieuses en provençal» (Vie de
sainte Enimie, par Bertran de Marseille; Vie de sainte Marie-Madeleine; Vie de
sainte Marguerite ; Evangile de Nicodème; Évangile de l'Enfance). De ces articles,
celui sur le Breviari d'Amor, immense encyclopédie de forme allégorique où la théo-
logie et fhistoire religieuse tiennent la plus grande place et se trouvent bizarrement
juxtaposées à des préceptes sur l'amour empruntés aux poésies des troubadours,
est , de beaucoup , le plus important. Paul Meyer connaissait cet ouvrage à fond et
de longue main, car il avait établi lui-même, jadis, le texte des cinq premières
livraisons de l'édition Azaïs, publiées de i86q à 1866.
Cela fait, notre ëminent confrère cessa presque entièrement de rédiger des notices
individuelles sur des écrivains, du type ordinaire de celles qui ont figuré, de tout
temps, dans notre recueil'", pour entreprendre, sinon inaugurer, des articles d'une
espèce absolument nouvelle. Essayons d'expliquer comment, et pourquoi.
Lorsqu'on a pris l'habitude de faire son principal de dépouiller les nianusci ils
pour y relever ce qui s'y trouve de nouveau, de quelque date et de quelque nature
que c^ soit, il devient peu tentant de s'astreindre à rechercher systématiquement
dans les collections tout ce qui concerne un sujet précis ou un auteur déterminé,
surtout si l'on n'a pas déjà eu, au cours de ses dépouillements antérieurs, l'occasion
de commencer à se faire un dossier sous la rubrique de ce sujet ou de cet auteur.
Or, les collaborateurs de l'Histoire littéraire de la France sont obligés, par la règle
de leur institution, de traiter, non pas les auteurs sur lesquels ils ont déjà des
dossiers, qui les intéressent de longue date ou particulièrement, mais ceux que
l'ordre des temps leur impose. L'Histoire littéraire en était arrivée depuis longtemps
au xiv* siècle quand Paul Meyer eut à s'en mêler; sans doute il avait par devers lui,
sur le xiv° siècle comme sur toutes les autres périodes de notre histoire littéraire, des
notes en abondartce; mais il n'avait pas de préférence pour cette époque (qui donc
en a ?), et l'ordre des temps ne pouvait manquer de lui imposer des sujets qu'il n'eût
pas choisis. Des sujets en vue desquels il serait obligé de se livrer à l'opération inverse
de celle qu'il avait toujours pratiquée , plus fructueusement que personne : chercher
''' li n'a plus donné qu'une courte notice qu'elle comporte des renseignements inattendus
sur le médecin Pons de Saint-Gilles el sur le sur des ouvrages qui n'ont d'autre lien avec
manuscrit qui nous a conservé sa compila- Pons de Saint-Gilles que de se trouver dans
lion (t. XXXll, p. 594-595). Encore cette le même manuscrit qu'un libellas de cet
notice si courte est-elle exceptionnelle en ceci auteur.
HIST. LITTÉR. XXXV. g
XXX NOTICE SUR PAUL MEMIR.
n'importe où, au risque d'omissions graves, des données .>)Ur une question proposée,
au lieu de chercher librement n'importe quoi de neuf à des sources définies et
clioisies. Or, il est aisé de se persuader que la seconde de ces méthodes est non
seulement plus agréable, mais plus rationnelle et moins iiasardeuse que la première.
Et, en eiïet, il y a du vrai. La première est et restera un pis-aller, tant qu'il y aura
encore des régions de sources inexplorées. Elle ne se justifie que par cette considé-
ration, mais capitale, (|uil est utile, même nécessaire, décrire l'histoire sans attendre
qu'il soit possible de le faire avec la certitude de ne laisser de côté aucune infor-
mation, c'est-à-dire vraiment bien. Voilà, semble-t-il, des motifs qui ont pu agir pour
détourner inconsciemment Paul Mever, tel que nou^i l'avons connu, de la routine
oïdinaire des notices individuelles sur le premier venu.
Mais voici des motifs indubitables et beaucoup |>lus puissants. Des hommes
consciencieux , venus à fhistoire littéraire du moyen âge d'autres régions de l'érudition,
peuvent toujours, la preuve en a été maintes Ibis administrée, composer sur d'an-
ciens auteuisdes notices individuelles qui réalisent un progrès par rapport aux connais-
sances antérieures. Mais il n'appartient qu'aux érudits dont toute la vie fut dévouée
à cette discipline d'entreprendre et de mener it bien, >oiis lorme de " notices collec-
tives », des revues ou tableaux d'ensemble «embrassant toute une série d'ouvrages
« anciens qui présentent entre eux des analogies, de fond ou de forme, et dont il y a
« intérêt à traiter simultanément». Or, Paul Mejer se savait éminemment propre à
ce genre de travail, récompense, privilège et couronnement de longs travaux anté-
rijuis. Il résolut donc de s'y livrer, estimant que c'était là, pour lui, la meilleure
manière d'employer, dans l'intérêt général, son expéiience et ses collections incom-
parables.
Il y avait déjà, en ce sens, quelques précédents. Duni Brial (au t. XV) et Victor
Le Clerc (au t. XXI) avaient jadis consacré de longues notices collectives à la littéra-
ture annalistique. Léupold Delisle, avec sa rare connaissance des dépôts de manu-
scrits, avait artistement groupé des renseignements sur de> ouvrages de même nature,
pour la plupart anonymes : sur les « Anciens Catalogues des évêques des églises de
France » (t. XXIX), sur les Traités De proprietaliltus rerum (t. XXX), sur- les auteurs
de Recueils (ÏEaempla à l'usage des prédicateurs et sur les Livres d'images (t. XXXI),
sur des « Chroniques et annales » monastiques (t. XXXII). G. Paris avait intitulé un
article (t. XXIX) : « Chrestien Legouais et autres traducteurs et imitateurs d'Ovide ».
Dans l'Avertissement du t. XXXIII, Paul Meyer écrit officiellement à ce sujet, en
qualité d'éditeur :
Nous serons de plus en plus amenés à rédiger des notices collectives sur des écrits d'un même
genre qui, pris isolément, n'olIVent qu'un assez faible intérêt, tandis que, groupés, ils peuvent
NOTICE SUR P\l L MEYER. xnxi
donner lieu à des conclusions générales d'une certaine portée. . . C'est ce que nous tentons dan»
le présent volume pour les Coutnmiers normands, oeuvres d'époques diverses dont il n'eût guère
été possible d'établir les rapports en des notices séparées, et pour les innombrables Vies de
saints traduites en prose française au cours du xiii" siècle et au commencement du xiv*. 11 est
assez indifférent que des notices de ce f;enre, où il n est guère question que d'écrits non datés,
soient placés à un endroit ou à un autre. . .
Des notices collectives ainsi annonrées, Paul Meyer en a rédigé deux : Versions en
vers et en prose des • Vies des Pères « (t. XXXIII, p. a 58-3 27), Légendes hagiographiques
en français (p. 32 8-458). — Dans ia première, il fait connaître, en les classant
rigoureusement, des œuvres d'édification dont le fond est sans originalité, mais dont
la genèse et la forme jettent un jour curieux sur une partie de la littérature française
que la critique avait complètement négligée. Tirant presque exclusivement ses
matériaux de manuscrits inédits de la France et de l'étranger, il ordonne ce cpii
était auparavant un véritable chaos. Et de ce chaos émergent trois figures littéraires
intéressantes: un poète, Henri d'Arci, frère du Temple, qui vivait en Angleterre,
au comté de Lincoln, dans la seconde moitié du Mif siècle; un polygraphe, plus
ancien d'une génération au moins, Wauchier de Denain, en qui, par un trait de
cette merveilleuse perspicacité dont il a donné tant de preuves, Paul Meyer recon-
naît, avec toute vraisemblance, l'un des continuateurs du Perceval de Chrestien
de Troyes et l'auteur d'une ■< Histoire universelle » depuis Adam jusqu'à .Iules César;
enfin un prosateur anonyme, traducteur de divers recueils, que notre confrère
revendique pour ia France, bien que les deux manuscrits qui font connaître
ses ouvrages aient été exécutés en Italie'". — L'article sur les Légendes hagiogra-
phiques, fondé sur quantité de monographies antérieurement publiées par l'auteur
dans la Romania et dans le recueil académique des Notices et extraits des manuscrits ,
est plus étendu encore. Il est divisé en deux parties, dont chacune a son objet propre,
et la première, qui est une nomenclature de toutes les légendes versifiées depuis les
origines delà littérature française jusqu'à la fin du moyen âge, une forme tout-
à-fait inaccoutumée dans YHistoire littéraire. « Ce n'est pas proprement une notice :
• c'est une sèche bibliographie en ordre alphabétique »'*', précédée d'une introduc-
tion à grands traits.
La raison pour laquelle nous avons cru devoir nous écarter de notre méthode haoïtuelle, dit à
ce propos Paul Meyer, est celle-ci ; les légendes en vers, toutes traduites ou imitées de composi-
tion» latines, foisonnent dans notre littérature du xii* au xv' siècle. Nous en avons relevé plus de
<"' Les conclusions de P. Meyer sur ce point traductions de l'Anonyme montre qu'il était
ent été récemment contestées (Bomnnin, t. XL, originaire de l'Italie du Nord.
1911, p. 6o5); l'étude lexicographique des ''' T. XXXIII, p. iv.
xxxu NOTICE SUK PAUL MEYER. .
deux cents, et nous n'osons aHiirncr que notre énutnération soit complète. Entre ces poèmes il en
est plusieurs qui ont été composés à une époque à laquelle nous ne sommes pas encore arrivés :
nous les signalons à nos successeurs; mais la plupart appartiennent à une période, maintenant
close, de ÏHistoirc Itltéiaire, et bien peu cependant ont obtenu de nos devanciers les notices aux-
quelles ils avaient droit. Nous avons voulu qu'ils eussent du moins une mention dans notre œu>re ,
et, sans leur consacrer des notices qui ne seraient plus à leur place, nous avons iru devoir
fournir des indications bibliographiques qui seront utiles aux personnes disposées à en entre-
prendre l'étude.
Dans la seconde partie df cet article capital (« Légendes en prose »), l'auteur étudie
d'abord les légendes isolées, puis les légendes groupées. Les groupes qu'il établit
sont au nombre de sept; mais il lui faut encore passer en revue des manuscrits qui
ne rentrent dans aucun de ces sept groupes, et constituer une dernière section pour
les légendiers classés suivant l'ordre de l'année liturgique. A ia fin est la liste, par
bibliothèque, des manuscrits utilisés, qui s'élèvent au chiffre de quatre-vingts.
Ces détails étaient nécessaires pour faire mesurer l'importance des innovations
introduites par l'éditeur de notre t. XXXIII. Jusque-là les principes n'avaient pas été
contestés que l'ordre chronologique, d'après la date de la mort des auteurs étudiés,
devait être, autant que possible, suivi par les collaborateurs de YHistoire littéraire;
et que l'on ne devait, sous aucun prétexte, ni revenir sur le passé : « Ce qui est fait
est fait», ni empiéter sur l'avenir. En réalité on avait donilé, parfois, de légères
entorses à ces principes, dans des cas particuliers; mais ils n'en subsistaient pas
moins '". Or il est posé désormais que l'ordre des temps n'est plus à prendre en
considération, dans l'un ou l'autre sens, s'il s'agit de cette nouvelle espèce d'articles,
dont celui sur les Légendes hagiographiques en français est et restera probablement
longtemps le spécimen le plus typique : « Articles sur dés écrits du même genre, —
pour la plupart anonymes et sans date précise, — qui, groupés, peuvent donner
lieu à des conclusions générales, alors que, pris à part, chacun paraîtrait insigni-
fiant i, ou plutôt serait purement et simplement omis, par la force des choses. —
Ce n'est pas tout : il est désormais licite de réduire certains articles , ou certaines
parties d'articles de ce type, à de simples énumérations en forme de répertoire biblio-
'"' On avait employé divers artiGces pour «Pour cette partie de notre travail (les écrivains
repêcher, après que l'ouvrage avait déjà dépassé juifs français du xiv* siècle), il doit nous être
le commencement du xiv" siècle, des écrivains permis d'embrasser de longues périodes et de
du xnr méconnus ou oubliés; et c'est ce qui devancer l'ordre des temps » (t. XXXI, p. 35 i);
contribue à expliquer que tant de volumes c(. ib. .p- "jàQ: thés rè^a de VHistoire littéraire
aient été consacrés jusqu'à ce jour au xiv* siècle , seraient trop fortement violées si nous donnions
sans en avoir dépassé le premier quart. — On ici la suite des rabbins du xv* siècle • ; et on la
avait même «devancé l'ordre des temps»: donne tout de même.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xui,,
graphique. Paul Meyer, qui avait renoncé de bonne heure aux a livres ■ pour ies
«notices», avait ainsi abouti logiquement, au sommet de sa carrière, à condenser,
dans certains cas, les «notices» mêmes sous la forme parfaitement impersonnelle,
dépouillée et sublimée de nomenclatures comme celle qui occupe les pages 33 7 ;i
378 du t. XXXIII.
Dans quelle mesure ces nouveautés radicales se consolideront-elles, à l'avenir,
pour devenir des traits caractéristiques de ce magnum opus des Bénédictins qui, depuis
près de deux cents ans , a déjà plusieurs fois changé d'aspect ? Nous ne saurions le dire.
Nous savons seulement que Paul Meyer était décidé à persévérer, quant à lui, dans
le chemin qu'il avait frayé. Le seul article qui figure sous ses initiales au t. XXXIV
(il était déjà fatigué au cours des années pendant lesquelles ce volume, paru
en 191 d, fut préparé) est une revue générale des Bestiaires (c'est-à-dire des imita-
tions françaises d'un original qui appartient à la littérature grecque), composés
à quelque époque du moyen âge que ce soit — dont aucun, du reste, n'est
du xiv" siècle. Il avait l'intention d'en faire autant pour les Lapidaires '". 11 avait bien
d'autres projets. Et, comme il n'a jamais craint de faire part au public de ses
desseins '2', nous les connaissons. Il envisageait au moins trois grandes notices collec-
tives où il aurait fait entrer, comme dans celles qu'il a effectivement achevées, la
quintessence de recherches continuées pendant cinquante ans. Afin d'utiliser les
notes qu'il avait prises toute sa vie dans les manuscrits médicaux, en souvenir des
relations qu'il avait entretenues pendant sa jeunesse avec Ch. Daremherg, le savant
historien des sciences médicales, il «préparait pour l'Histoire littéraire un article
général sur des ouvrages de médecine qui appartiennent à la première moitié
du XIV" siècle»"'. D'autre part, l'étude des manuscrits médicaux l'avait conduit à
celle d'une autre littérature technique du moyen âge, difficile et inconnue entre
toutes : les manuscrits des astrologues et des géomanciens de profession; et ce qu'il
a publié là-dessus, dans la Romania et ailleurs, qui est très considérable, donnerait à
penser, s'il ne l'avait d'ailleurs affirmé expressément '"', qu'il se proposait de rassemble!-
de même pour notre recueil, dans des notices collectives, des notions sur l'ensemble
de ces écrits qu'il était seul à posséder. Enfin il serait surprenant qu'il n'eût pas
pensé à traiter dans le même cadre des monuments de la littérature morale ou
catéchétique , à intentions pieuses ou édifiantes , en prose française , depuis les origines
jusqu'au milieu ou plutôt jusqu'à la fin du xiv' siècle. Province riche, très riche,
'■) Romania, t. XXXVIII (1909), p. 44- ''' Romania, t. XLIV (1915), p. 162.
'*' «Occupé depuis bien des années à ras- '*! Romania. l. XXVI (1898), p. aa5, 478.
sembler les éléments d'un grand dictionnaire Cf. t. XXXII (igoS), p. 589.
de la langue d'oc. . . » [Romania , 1. 1", p. ^oi).
XXXIV NOTICE SUR PALL MEVER.
mais très peu connue, de notre histoire littéraire, parce que la plupart des opuscules
qui la composent sont inédits, anonymes, sans date, et jouissent, en outre, dune
réputation a priori, bien établie, de platitude et de nullité. Mais Paul Meyer, (|ui
avait comme un faible pour les productions obscures et, littérairement, mal famées
comme celles-là, et qui avait déchiffré patiemment, toute sa vie, dans les très nom-
breux manuscrits où se trouvent ces sortes de compositions, à partir du xni° siècle,
plus d'homélies que n'en avala jamais chanoine ou dévote du temps passé, savait
qu'il y a des parcelles d'or dans cet amas. Ou plutôt il s'était rendu compte que,
ainsi qu'il l'a dit avec son ton tranquille, sans emphase aucune, des traductions de
«Vies de saints» — autre partie de la littérature d'édification, autre objet de sa
curiosité scientifujue — - « ces écrits peuvent donner lieu à des conclusions générales
« d'une certaine portée ». l\ avait publié par avance, notamment dans le Bulletin delà
Société des anciens textes français, les notices de plusieurs manuscrits consacrés aux
écrits de cette veine ; il en connaissait davantage. Il est certain qu'un exposé générai
de lui sur une matière comme celle-là, à peine mentionnée dans les tableaux d'en-
semble classiques de l'histoire d<' la littérature française au moyen âge, eût été en
vérité une révélation.
« Dans les premiers momens où un auteur forme un dessin de cette nature,
« rien ne lui coûte, et sa propre complaisance lui aplanit tous les obstacles. . . Mais
« combien d'ouvrages qui n'ont subsisté que dans l'imagination de leurs auteurs? »
Ainsi s'exprime dom Filipe Le Cerf de La Viéville en i 726, à propos du prospectus
de l'Histoire littéraire de la France, que dom Rivet venait de lancer'". Paul Meyer se
rendait très bien compte que plusieurs existences ne lui auraient pas suffi pour venir
à bout des travaux qu'il avait entrepris ou médités. 11 avait d'ailleurs d'autres
choses sur les bras que celles dont nous avons parlé et, avant de faiblir, il en a réalisé
encore beaucoup : signalons notamment la recrudescence de sa collaboration ,
de 189131 908 , aux Notices et e.rtraiti des manuscrits de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres, publication rigoureusement appropriée à ses habitudes et à ses
goûts, qu'il considérait avec raison, de même que B. Hauréau l'avait fait longtemps du
Journal des Savants, comme une sorte d'auxiliaire de VHistoire littéraire; c'est là qu'il
a fait paraître quantité d'additions et de corrections aux parties anciennes et vieillies
de noire ouvrage, dont une des plus importantes, sur les Corrogationes Pivmetliei
d'Alexandre Neckam (t. XXXV, 1897), ^t^^*^^ ^^^ services qu'il aurait rendus à
l'histoire de la littérature en latin du moyen âge, s'il avait eu le temps de s'en
occuper. Cependant, il vieillissait. On ne besogne pas impunément, toute sa vie,
'■' D. Filipe I>e Cerf de La Viéville, Diblio- Congrégation de Sainl-Maiir (La Haye, 1726),
tlièqae historique et critique des auteurs de la p. 4a8.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxxv
beaucoup plus des huit heures par jour réglementaires du credo social de nos jours,
avec un appétit de travail perpétuellement inassouvi. Dès 1891, il avait songé, ainsi
que Gaston Paris, à se décharger des soins matériels que la direction de la Romania
leur imposait à tous deux : « J'avais entrepris des recherches de longue haleine que
je ne terminerai jamais,. . . sans parler de mes occupations ofTicielles'". » Il ne lui
parut, néanmoins, possible de confier à d'autres mains le sort de leui" « lille » qu'en
1911. Mais, tlès 1 906, il avait abandonné sa chaire du Collège de France, pour i»e
garder (|ue la direction et son enseignement de l'Kcole des chartes, les moins rému-
nérées des places que l'évidence de son mérite lui avait values jadis, sans qu'il en eût
jamais sollicité aucune. Il faiblissait :« Mes forces ont beaucoup diminué» (1912).
11 s'atténuait. Des jours vinrent, prématurément, où celle lumineuse intelligence fut
envaiiie par une fatigue incurable et sombra enfin dans la nuit.
Paul Meyer a siégé pour la dernière fois à la Commission de V Histoire littéraire
le 3 mars 1916. Il n'est mort qu'un an et demi ajirès.
Nous passons notre temps à écrire les faits et gestes de personnages qui ont disparu
depuis six cents ans, après avoir recueilli scrupuleusement les moindres traits qui
laissent entrevoir ou soupçonner leur manière d'être. Mais nous n'en connaîtrons
jamais aucun, par les témoignages presque toujours indigents dont on dispose; à
distance, comme nous avons connu directement Paul Meyer. Il serait donc assez sin-
gulier de prendre une dernière fois congé de ce maître, après avoir esquissé son
œuvre scientifique, sans parler de l'homme qu'il était: un homme d'une sincérité
absolue (ce qui, comme l'a dit un humoriste anglais contemporain que l'on interro-
geait sur son secret, est la meilleure manière «le faire des plaisanteries, et aussi de
terrifier les gens); qui allectait d'être extraordinaircment malicieux et qui avait des
parties de candeur; que l'on croyait arrogant , et qui était délicat, modeste, môme
timide ; qui paraissait parfois méchant, et qui était bon. Une sorte de pudeur, (|u'il
aurait approuvée, nous interdit pourtant de développer ici nos souvenirs et nos
sentiments à cet égard. Qu'il suffise de dire qu'il a e.\ercé sur nous, qui passâmes
tous successivement sous sa férule, en même temps qu'une grande action intellec-
tuelle, un autre genre d'influence encore, quasi morale : f image que nous gardons
de lui est incorporée à notre idéal de l'érudit, c'est-à-dire que cet idéal est, dans
une large mesure, à son image.
A. T. et C. L.
'■' Romania, t. XLI (1912), p. 2.
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ÉVÈQUE DE MENDE.
SA VIE.
Lt' i^ oclobre i3o4, une scène, très probablement unique dans
les fastes de l'histoire ecclésiastique, se déroulait à Mende.
L'évêque réunit, ce jour-là, les chanoines de l'église cathédrale
et quelques autres témoins; devant cette assemblée il fait, en son
nom et aussi, dit-il, au nom de ses successeurs, une déclaration
solennelle :
Quoi que dans le présent il puisse dire ou faire, quoi que "dans le
passé il ait dit ou fait, quoi que dans l'avenir il puisse dire ou
faire au regard de tels seigneurs et de tels chevaliers (il les nomme
tons), quelque désaccord qu'il puisse y avoir entre ses paroles ou
ses actes, passés ou futurs, le prélat atteste qu'il ne remet, ni n'entend
remettre auxdits seigneurs et chevaliers, ou à l'un d'eux, l'injustice
qu'ils lui ont faite à lui-même, et en sa personne à l'église de Mende,
ni la commise de tous biens qu'ils ont encourue par suite du complot
ourdi, cette année même, contre sa personne et contre ses biens. Il
veut que ce qu'il vient de proclamer soit consigné en un instrument
officiel.
C'est ce procès-verbal même dont le libellé, aujourd'hui encore
HIST. I.ITTER. XXXV.
3 *
2 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
vibrant, ressemble à la parole sténographiée, c'est ce procès-verjjal
que nous avons sous les yeux '''.
Celui qui le fit dresser est Guillaume Durant le Jeune '^', évêque
de Mende, dont nous voudrions dire ici la vie agitée et tourmentée,
l'àme ardente et passionnée; ardeur et passion unies, comme on le
verra, au génie des alTaires et à l'instinct de la diplomatie. Guillaume
a abordé, dans son œuvre principale , le De modo celebrandi concilii, des
sujets de morale très variés; on ne sera pas surpris qu'il ait oublié de
dire un mot du pardon des injures.
Nous rencontrerons bientôt sur notre route ces conspirateurs aux-
quels l'évêque vouait, en i3o4, une rancune tenace; cette protes-
tation à toujours, restée inconnue des historiens, nous aidera à scru-
ter la situation réciproque du prélat et des barons, nous permettra
peut-être de mieux saisir la pensée de ce haut dignitaire au cours des
années dilhciles durant lesquelles il prépara l'acte le plus important
de son épiscopat, le pariage de iSo", nous permettra enfiç de lire
sans embarras ni hésitation certain document qui, vers la fin de la vie
•'' 11 Noveiint,elc.,quod revcrendus inChristo
0 pater doininus G. , episcopus Mimatensis pre-
11 dictus , existens Mimate , in capitule , in prt'sen-
11 tiu canonicoruin et testium infrascriptoruin
Il dixit ol protestatiis fuil, suo et successoruin suo-
11 ru m nomine, quod pnr allqua verba vel farta
11 qu(> lacial, (lical, habucrit, liabeat vel habobil in
« rului'uiii, quecuraque lueiint illa et quantum-
11 cumqiie dissiniilia , cuin nobilibus viris A. , do-
« luino de l'etra . et doniinis Guig. de Senareto ,
iiHug. deOtieutiniaco, inilitibus, Hichardo de
11 Pelia , n. de Mayreriis, non remittit nec lemit-
II tere inlendit eisdemvel alicui ipsoiuniinjuriam
11 dotniiio episcopo et ecclesie Mimatensi in per-
II sona sua fartani, nec comniissionem quorum-
II cunique l)onorum suoruin lactain et contrac-
11 tani per ipsos vel aliquos eoiuindeui occasione
Il et ratione conspirationis facto per ipsos, ut
« dicitur, ipso anno contra personam ipsius do-
« mini episcopi et ejus bona vel quacuuique alia
« causa. De quibus ipse dominus episcopus petiit
• sibi fieri publicum instrumentum. Actum Mi-
11 mate, in capitule. » Suivent les noms des per-
sonnes présentes (Arch. de la Lozère, G i55,
fol. I ai V*).
'*' Dans le livre des obits de l'église de
Mende, composé en iSaS, Guillaume Durant
le Jeune est appelé une fois Daranli et huit
ou neul fois Durant nu Daran (Bibl. de la ville
de Mende, ms. n° 3, fol. 17, 3a v", 49, 96,
137 V" et 169 v°). Nous dirons, nous aussi,
Durant et non Durant} ; la forme Duranli d'ail-
leurs était usitée couramment, même dans les
textes en langue romane. On lit dans le livre
des obits : « R. P. en D. messire Guillem Du-
« ranti second, evesque de la présent gleysa. »
Ce 11 Guillem "Duranti second» est incontes-
tablement celui dont nous écrivons la vie;
il est qualifié ailleurs Guillaume IV, comme
nous le verrons ci-après ( p. 6), mais non Guil-
laume Durant IV; il est bien le second Guil-
laume Durant.
Nous citerons souvent, au cours de cette no-
tice, les Archives départementales de la Lozère.
Les documents utilisés plus loin n'ont pas tous
été transcrits par nous. M. Philippe, ancien
archiviste de la Lozère, qui nous a si heureu-
sement secondés au moment où nous faisions
ces recherches, a eu l'extrême obligeance de
transcrire lui-même, à notre intention, tout un
lot de pièces d archives. Nous devons beaucoup
aussi à la complaisance éprouvée de son suc-
cesseur M. linmel, à qui nous avons eu re-
cours un peu plus tard.
EVEQUK DE MENDE. — SA VIE. 3
(le Guillaume, s'offrira à notre examen et qui resterait en partie
énigmaticjue, si l'on perdait fie vue le souvenir des querelles de
i3o3-i3o4'".
Sans plus tarder, nous a])ordons la biographie de cet homme vin-
dicatif.
Il était le neveu du fameux Guillaume Durant, le Specnlator, lui
aussi évêque de Mende '-'. Bien des auteurs, notamment Bossuet ''",
l'ont confondu avec son oncle. Confusion qui remonte très haut :
nous en constatons couramment l'existence dès le xv* siècle I'*'.
La famille des Durant est originaire de Puimisson'^', au diocèse de
Béziers. Du père et de la mère de noire Guillaume, nous ne savons
rien; mais nous lui connaissons de nombreux parents. C'est ainsi
que nous pouvons citer quatre frères de Guillaume Durant le Jeune,
à savoir: Pierre'*'', sans doute l'aîné de la famille, en tout cas le seul
qui ne soit pas entré dans les ordres, et qui demeura à Puimisson;
Bernard on Bertrand*^', chanoine d'Agde et de Mende; Pons***', cha-
noine de Mende et de Mirepoix; Guillaume, chanoine régulier, qui,
ayant appartenu de i3o6 à i 3 18 au monastère de Cassan, du dio-
'"' Nous faisons allusion à une lellii' de
Charles le Bel, analysée ci-ajirès, p. ij : le roi
y exprime le désir d'apaiser rancœurs el dis-
cords; il fait é\idemnient allusion aux luttes
tenaces de Gnillaunie el de la famille des de
Peyre.
''I Hift. lin. (le la France, t. XX, |). 'n i-
497-
''' Bossuet, Défense de la Déclaration de
l'Assemblée générale du, clergé de France de
1682, Dissertation préliminaire, S l (Ams-
terdam, 1745), t. I, p. 63.
'** Voyez la manière dont est désigné l'au-
teur du De modo celebrandi coHci/ii dans le ms.
168 de l'hôpital Saint-Nicolas de Cues, dans
le ms. 1687 de la Mazarine, dans les mss. 786
de Troyes et Sao de Tours. Il est qualifié Spe-
cnlator. ce que les copistes ahrègenl ordinai-
rement par les lettres Spc.
'*' Et non de Puimoisson, Basses- Alpes,
comme l'ont prétendu d'anciens historiens
provençaux. Cf. J. Maurel, Histoire de la com-
mune de Puimoisson etde la commandcrie des che-
valiers de Malte [9&T\i, 1897), p. ga. L'épilaphe
du Speculator ne laisse aucun doute sur ce
point [Hist. litt. de la France, t. XX, p. /i3i).
''' Il est nommé en i3i3 dans l'acte de
fondation, à la cathédrale de Mende, d'une
chapellenie qui devint ensuite le collège des
prêtres de la Toussaint; cette fondation fut
faite en exécution des dernières volontés du
Speculator. En i3i8, avec ses frères, Pierre
Durant exerce le droit de présentation qui
leur appartient pour une place au collège de
Toussainis. Cl. Arch. de la Lozère, G 1880,
338i et a385 [Inventaire, t. II, p. 91, 2o3 et
aO(4).
''' MoUat, Jean XXII, Lettres communes,
n" 65^5, 6526 et 6601. Dans ces actes le
frère de l'évêque est appelé Bernard; c'est
sûrement le même personnage qui est
appelé Bertrand dans ['Inventaire des Ar-
chives de la Lozère, p. 2o4, cité à la note
précédente.
w Mollat, n" 6652, 66i3 et 661 5. Suivant
F. André, Bertrand et Pons seraient, non frères,
mais neveux de Guillaume; voir F. André,
Les évéques de Mende pendant le xiv' siècle, dans
Bulletin de la Société d'agriculture de la Lozère
(1871), t. XXII, 2* partie, page 3a. C'est là,
croyons-nous, une erreur, peut-être une simple
distraction.
4 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
cèse (le Béziers, devint en i3i8 membre du chapitre calliédral de
Pamiers, soumis à la règle de saint Augustin'"'.
Les dignitaires ecclésiastiques ne sont pas moins nombreux parmi
les neveux et les cousins de l'évèque de Mende. Un neveu, qui portail
le même nom que lui, Guillaume, était dès i3o6 pourvu d(^ la cure
d'Esclanèdes, au diocèse de Mende, et d'un canonical à l'église cathé-
drale de cette ville'^'. Ce personnage s'était consacré aux études juri-
diques; pour s'y livrer à loisir, il obtint du pape Clément V, en
i3i 1, l'autorisation de garder pendant cinq ans sa cure, sans être
tenu de se faire promouvoir à la prêtrise *'''. A cette époque, l'ancien
étudiant était devenu un maître; c'est lui vraisemblablement qui
accompagna son oncle au concile de Vienne*'"'. Nous savons qu'il ensei-
gna le droit romain et le droit canonique à Toulouse, et aussi à Lerida,
où il résidait en i 3 1 5 ; au cours de cette année, son oncle l'évèque le
recommanda instamment au roi Jacques II d'Aragon**'. C'est sans
doute le même Guillaume que nous retrouvons, en i 3 1 8 et en i 3 20,
à Bénévent, où il exerce les fonctions de trésorier pontifical, «;ii
même temps qu'il possède la cure de Briols, au diocèse de Vabres'".
En i3i6, Jean XXII conféra à un autre neveu de l'évèque, Raymond
Blanc, l'expectative d'un bénéfice à la collation des chanoines
réguliers de Maguelone'^'. En outre des témoignages certains attes-
tent que cinq au moins des cousins de Guillaume Durant appar-
tenaient aussi au clergé : Etienne Bedotii , chanoine et vicaire
général de Mende en décembre i32 2 '^'; Guillaume Carrerie de
'"' Reg. Clein. V, ann. I. p. 247, n° 1847; Die Einnalimen dcr apostotischen knintiier untei
MoHat, II" f)r)29 et G53i . Johann XXII (Padorborn, igog), p. 293.
'*' Reg. Clcm. V, ann. I, p. 232, n° ia46. Il résulte de ces textes que Guillaume n'était
''' Ibid., ann. VI, p. 208, n° 7018, texte plus à cette époque curé d'Esclanèdes. Un do-
clté par Gatien-Arnoult (Ménioiics de l'Ara- cument conservé aux Archives di^ la Lozère
détitie des fcienrcs... de Toulouse, S' série, t. I, (G 1870) est ainsi résumé par V Inventaire
p. 12, note 16), mais attribue par lui à Guil- (t. II, p. qo) : «Union de la cure d'Escla-
laume, évêque de Mende. Il résulte de la lettre nèdes à la uiense eniscopale; cette cure est
de Clément V que Guillaume;, le neveu, était vacante par la mort de (luillaume Durant.
diacre en i3i 1. neveu de l'évèque dernier titulaire.» La cure
'*' Jbid. , ann. Vil, p. 278, n° 8719. d'Rsclanèdes fut sans doute vacante et unie à
''' Voirie document publié dans le Moyen- la mensc épiscopale; mais nous doutons que
A(je, 2' série, t. XIX (igiti), p. 354-355, par la vacance ait eu pour cause la mort de (îuil
M. F. Valls Taberner, archiviste aux Archives laume Durant.
de la Couroime d'Aragon. ''' Mollat,n° i;')G8.
'•' Davidsohn, Forsrhungen zur Gesrhichte '*' /6itf. , n° Gf) !4; Bibl. nat. , ms. l'r. 2o88r' .
von l'iorenz, t. III, p. i4o, n" 707; GôHer, n° 90.
FAEQDE DE MENDE. — SA VIE. 5
Bassaii, curé de Notre-Dame de la Val, au diocèse de Mende, qui,
n'ayant pu entrer en possession de l'archidiaconé d'Armagh, en Ir-
lande, à lui attribué, eu i3o8,par Clément V ''', dut s'estimer heureux
d'obtenir, en i3iG,deson successeur l'expectative d'une prébende au
chapitre de Mende*^'; Raymond André de Bassan, moine bénédictin
à Saint-Victor de Marseille, et Guillaume d' Aiguesvives, moine béné-
dictin du monastère de Saint-Tibéri, au diocèse d'Agde, qui, l'un
en i3iG, l'autre en i3i8, furent gratifiés par Jean XXII de l'expec-
tative d'un bénéfice régulier'"''; enfin Pierre Rainaud, curé de Cha-
denel, au diocèse de Mende, qui, en i3i8, reçut du même pontife
l'expectative d'une prébende au chapitre de Castelnaudari''''. Toutes
ces grâces, les lettres de Jean XXII nous fattestent'^', avaient été ac-
cordées en considération de l'évêque de Mende, excellent parent,
dont la haute fortune fut ainsi forigine des nombreuses faveurs qui
se réj)andirent sur les membres de sa famille.
Des premières années de Guillaume nous n'avons à peu près rien
appris. Un érudit, Gatien-Arnoult, le croit docteur en droit et profes-
seur à riJniversité de Toulouse; mais il le confond évidemment avec
le neveu dont nous avons parlé '*"'.
Guillaume était, en 1296, archidiacre de féglise de Mende. Le
Speculator mourut à Rome cette année-là , vacance en cour de Rome
qui ouvrait la voie à une provision directe par le pape. Le neveu de
l'évêque décédé, notre Guillaume, non encore promu aux ordres sacrés
et n'ayant peut-être pas 1 âge requis pour la dignité épiscopale <'^ fut
nommé par Boniface VIII, qui le releva en même temps de toute
irrégularité (17 décembre 1296)'*'. La nomination du nouvel évêque
'"' Reg. Clem. K, ann. III.p. 191, n° 30/17. '*' GaWa christ. J.\ Joe. cil. CeslCAimrnlW
''' Mollat, n° 1571. . qui transforma en régie canonique l'usafje
''' Ihitl., n" 1667 et 653 1. assez fréquent des collations directes par le
'' Ibid. , n° ()6o3. pape en cas de vacance in caria (Sexte, III,
''' Pour s'en convaincre, il sulTit de se re- iv. De praeb., a). La constitution qu'il pro-
porter aux sommaires des lettres précitées, mulf;^a à ce sujet souleva de vives protesta-
qui accordent des bénéfices aux parents de lions (P. Viollet, Hist. des instit. polit, et
Guillaume et les dispensent souvent de l'obser- administr. de la France, t. II, p. 33i ). Au con-
vation de la loi canonique prohibant la plu- cile de Lyon, on obtint de Grégoire X une
ralité des bénéGres. atténuation à la décrétale de Clément IV
'*' Voir ci-dessus, p. 4, note 3. (Sexte, ibid.. c. 3), atténuation que le Specii-
''' Le pape, du moins, l'a entendu dire: ut lalor, dans un commentaire sur le concile de
asseritur (Gallia christ. , t. I, lnsti'uin.,col. 26). Lyon, déclare plus apparente, plus verbale que
Nous ne sommes pas mieux renseignés à cet réelle (Gôlier, Zar Geschichte des zmeiten
que Boniface VIII. Lyoner Konzilt and des Liber Sexlus , dans Rôm.
6 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
fut notifiée, par cinq bulles distinctes, au chapitre, au clergé et au
peuple du diocèse, aux vassaux de l'évêque, au roi de France''*. Ce
Guillaume fut souvent considéré comme le quatrième évêque de
ce nom. Il était alors qualifié Guillaume IV, bien qu'il fût en réalité
le sixième Guillaume'^'.
Nous rencontrons en 1297 une formalité très intéressante : la jiro-
messe réciproque de l'évêque et des chanoines, promesse, faite sur
les saints Evangiles, de respecter les libertés, coutumes et statuts de
féglise de Mende'"''. Pareilles précautions sont révélatrices; elles suf-
fisent à nous faire entendre que l'évêque et le chapitre ne vivaient pas
toujours en parfaite intelligence. Trois ans plus tard, en i3oo, les
deux parties convinrent d'une transaction tendant à faire disparaître
tout sujet de discorde ''''.
En la même année 1 297, notre jeune prélat, dont l'esprit vindicatif
se révélait ainsi dès le premier jour, décida, entre autres choses, avec
l'assentiment du chapitre, qu'aucun parent (jusqu'au troisième degré)
de quiconque aurait lésé l'église de Mende ne pourrait désormais être
])romu chanoine''''. Douze ou treize ans plus tard, dans le De modo
celchrandi concilii, Guillaume reviendra sur cette conception, qui lui est
chère, et proposera d'en faire une loi de l'Eglise universelle''''.
Quartnhclii ijt, l. W, \Qo6, Geschichle, p. 84- surtout une lettre du 18 octobre 1 338, que
85). « nous croyons rédigée par Guillaume lui-même
''I Digard, Faucon, Thomas, Registres de [ihid. , G àSi).
Boniface VIII , n° 1^02. ''' « Et incoiitinenti idem dominus episcopus
'*' Les auteurs de la Gallia chrislinna aanrent • eorum singulos ad osculum pacis admisit et
avoir vu un acte où il est qualifié Guillaume VI trecepito (Arch. de la Loz.ère, G 633).
{Gallia christ., t. 1, col. 96). Les cinq Guil- '*' Ch. Porée, Le consulat et l'administration
laumc antérieurs sont: Guillaume de Peyre au manicipale de Mende (Paris, 1903), p. r>7-64.
X' siècle, un autre Guillaume au xi' siècle, en- A noter aussi une curieuse lettre de l'évêque à
core deux Guillaume de Peyre au xil* et ou xiii' l'occasion de la nomination d'un nouveau pré-
siècle, enfin Guillaume Durant, dit le Specu- chantre et la réplique du chapitre (.\rch. de
lator , au xiiT siècle. Mais, au temps qui nous la Lozère, G 639).
occupe, on oubliait souvent les deux plus an- '*' Gallia christ., t. I, col. 96-96. Ce statut
ciens Guillaume: on commençait la série des fut confirmé par Boniface VIII le 35 décembre
Guillaume avec Guillaume de Peyre ou de Châ- 1Z02 {Registres de Boniface VIII, n° 4985).
teauneuf, mort en 1 i5o, et on qualifiait volon- La confirmation est accompagnée de ce
tiers Guillaume 11 Guillaume de Peyre , mort correctif : à moins que le tort n'ait été
en 13 33 [Mémoire relatif an pare'aqe de 1301, réparé. Nous ajouterons que ce statut, dont
éd. Maisonobe. Mende, 1896, p. 7). Quant nous n'avons pas le texte primitif, pouvait
à la qualification de Guillaume IV appliquée à fort bien contenir originairement la même
notre Guillaume, voir notamment une trans- clause.
action de i333, un vidimas de ladite pièce '"' Cf. De modo celebrandi concilii, III,
daté de 1337 (Arch. de la Lozère, G 124) et 35.
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 7
Une des premières préoccupations du nouvel évêque fut d'obtenir
du saint-siège le droit de tester; cette faveur lui fut accordée le
3o avril 1297 '"'. Le 29 juillet suivant, une autre bulle pontificale
le dispensait de la visite ad limina, qui devait être renouvelée tous
les deux ans '^'.
Ce n'est pas sur Rome, c'est sur Paris que le prélat se devait pronip-
teinent diriger. En novembre, il se dispose à partir pour cette ville,
afin de prêter serment de fidélité au roi. L'année suivante, ses
nombreux vassaux lui prêteront à lui-même serment de foi et hom-
mage '■".
Un seigneur féodal qui prend possession de son domaine doit
surveiller de près ses intérêts. Ainsi l'hommage pur et sinij^le ne serait
pas toujours considéré comme une formalité snlllsante. Pour certains
châteaux dits "jurables et rendables», il est sage de se conformer à
un usage qui souligne les droits du suzerain.
C'est ce qui eut lieu en 1 299 au regard du château de Cénaret, le-
quel , pour un quart, relevait de l'évêque. Tout d'abord , ce fief « ren-
dable » devant ce jour-là être «rendu», tous les hommes du vassal,
pour quelques instants, vidèrent les lieux; après quoi, le drapeau de
saint Privât fut arboré sur le château. Un des hommes de l'évêque
quatre fois sonna de la trompette. Le même jeta à pleins poumons, à
trois t^t quatre reprises, le cri qui, avec le drapeau déployé, proclame
et résume cette prise de possession : Saint Privât , peu Mossenlior levés-
que de Mende! Saint Privât! Dieus 0 vol^'^K — Le majus dominiuin de
l'évêque sur le quart de la baronnie de Cénaret était dès lors assuré ,
et le caractère tout spécial de ce fief rendable rituellement reconnu et
alïirmé. Tous les hommes du vassal purent aussitôt rentrer dans le
château.
L'entrée en jouissance du domaine éminenl de févêque sur la
baronnie de Florac fut plus laborieuse et moins complète. Guillaume
rencontra là un obstacle sérieux, qu'il ne leva peut-être qu'imparfai-
tement.
'"' Registres de Boniface VIII , n° 1921; présence à Mende de l'évêque Guillaume n est
Arch.de la Lozère, G 44. pas mentionnée. Elle est attestée dans une pres-
''' Registres de Boniface V/7/, n°2i3i. tation d'hommage datée du 3 septembre (l'fcirf.,
''' Arch. de la Lozère, G 87, 89, 91. Lors G laS, pièce n" 19).
de ces hommages, qui sont de juin et juillet, la '*' Arch. de la Lozère, G 87.
8 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
En 1299, tous les châteaux de cette baronnie, appartenant à un
groupe de parents, parmi lesfjuels les deux fils et héritiers (dont
un mineur) de feu Isabelle, dame de Montlaur et de Florac, étaient
sous la sauvegarde et protection du roi, représenté par le viguier
d'Anduze. Celui-ci y avait établi des gardes. L'évêque se déclarait
prêt à se substituer au roi et à assurer l'ordre et la paix dans ces
domaines; ce qui serait, assurait-il, conforme aux précédents. Mais
se débarrasser du roi sans en demander la permission au roi, qui
l'oserait.^ L'évêque s'adressa à Philippe le Bel. Celui-ci prescrivit une
enquête dont le résultat paraît avoir été très favorable à l'évêque.
Ce qui lui fut sans doute un secours plus puissant, c'est l'inter-
vention de Guillaume de Nogaret. Nogaret, en effet, rédigea lui-même
les résolutions prises sur les requêtes du prélat'". Avons-nous ici
la preuve des bonnes relations personnelles qui auraient uni
l'évêque de Mende, énergique défenseur des droits de l'Eglise, mais
critique inlassable de la cour de Rome, et Guillaume de Nogaret,
avocat de l'Etat contre l'Eglise, grossier contempteur de Boni-
face VIll? Serait-il dès lors permis, en d'autres circonstances, de
soupçonner dans l'ombre la présence de cet ami, qui ne se laisse
point apercevoir.^
Ij'alïaire de la baronnie de Florac ne fut pourtant pas clairement
résolue. Ee viguier d'Anduze se confondit en bonnes paroles, mais
montra beaucoup d'obstination. Ea famille, de son côté, était fort peu
empressée à déférer aux sommations de l'évêque, et, sans une re-
connaissance des droits épiscopaux, arrachée enfin, la sépulture reli-
gieuse eût été refusée à Isabelle, dame de Montlaur et de Florac. Ea
paix obtenue (octobre 1299) fut, semble-t-il, une paix contrainte et
mal assurée, une manière de paix armée '^'.
Ee voyage à Paris, que l'évêque annonçait à la fin de l'année 1 297,
.sera souvent répété, sans préjudice d'autres absences extrêmement
'■' «Item, quedam arresta facla in Francis « teni, legiim professorem, consiliariunidomini
..super petilionibus in parlamento hiemali .. régis ; quarum quidem requeslarum et arres-
I. proxinip pioterito per dictuiii dominuni ppi- » lorum ténor tnlis est. • La suite du texte ne
» scopuin ledditis, quorum quidem arrestorum permet pas de dégager les arresla qui seraient
..et litlerarum dixit copiam habere niagister l'œuvre de Guillaume de Nogaret (Arch. de
..Hugo, proniralnr regius in senescallia Boili- la F.ozère, G i.S5,fol. ioI)elsuiv.)
«cadri, qui prcdicti» arreslationibus [sic) '" Ibid., fol. lod et suiv. La (]ucslion di-
• inlerfuit. Et dicta arresta scripla fuenmt per Florac est longuement traitée dans le Mémoire
« nobilem vinundominumG. de iNogarelo, mili- relatif an paréage de iSOl , p. 338-397.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 9
fréquentes, car la loi de la résidence ne paraît pas avoir préoccupé
Guillaume Durant. Il eut même à Paris et aux portes de Paris
deux habitations : à Paris l'hôtel de la Calandre'"', et un manoir à
Argenteuil'^*.
En 1 297, l'évéque part pour Paris, non seulement en vue de prêter
serment au roi et de plaider la cause des sujets de l'église de Mende,
auxquels on veut imposer de lourdes contributions, mais encore pour
suivre activement un ancien et très important litige qui, depuis
près de trente ans, divise le roi et l'évéque de Mende'^', litige sur lequel
nous reviendrons plus loin. De ce fait, des dépenses considérables
sont à prévoir. Mais la mense épiscopale est insuffisante et le prélat
a besoin de ressources extraordinaires. Les chanoines, les curés et
les chapelains sont informés de la situation et saisis, comme nous
dirions, d'une demande de crédit. D'accord avec son clergé, Guil-
laume décide (novembre 1297) que tous les curés en mesure de faire
ce sacrifice remettront chaque année à l'évéque la somme de
60 sous tournois tant que la grande affaire en question le retien-
dra hors du diocèse. Les recteurs hors d'état de fournir pareille
subvention donneront ce qu'ils pourront, eu égard à leurs revenus.
Enfin, durant six ans, l'évéque jouira desannates de tous les bénéfices
qui viendront à vaquer dans le diocèse '**'.
Les affaires courantes sont d'ordinaire les plus urgentes. Ce sont
celles auxquelles le prélat donne, en effet, pour commencer, tous ses
soins; nous voulons parler des subsides réclamés par le roi. Dès le
12 février 1 298, Philippe le Bel, saisi par Guillaume Durant, résout
une question délicate relative à la perception des subsides, question
qui intéresse en même temps les rapports de l'évéque avec le roi et
avec certains grands vassaux : sur les terres où l'évéque possède haute
et basse justice, lui seul, et non certains seigneurs qui, tout récem-
ment, ont usurpé ce rôle, lui seul, déclare le roi, doit percevoir
*'' Voir Dotainiiient Arch. de la Lozère, Paris qu'il qualifie « tiers quartier» (Lebeiif,
G 72 (acte du 25 décembre i3i5);G7i (acte Histoire de la ville et de tout le diocèse de
du3mai i323);G48i (lettredei328);G72 Paris, Paris, i883, t. I, p. 178,275, 317
(acte du 3ojuin 1329). La rue de la Calandre et 376).
appartenait presque tout entière au territoire *'' Lettres de i3i5, de i32i et de i32a
de Saint-Germain-le-Vieux ; elle donnait sur la (Arrh. de la Lozère, G 3o, 33, la/i et 639).
rue delà Barillcrie etsur la rue de laSavaterie, '^' Ci'. Mémoire relatif aa paréage de 1307,
plus tard appelée rue Saint-Eloi. Un manu- p. 3-2 1; Porée, p. xvi.
scrit du xv' siècle la classe dans le quartier de '*' Arch. de la Lozère, G 33.
IIIST. I.ITTKR. XXXV. 2
10 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
les subsides accordés au roi; le sénéchal de Carcassonne fera exé-
cuter cet ordre''*. Le 28 avril suivant, l'affaire des subsides se
représente sous une autre forme; c'est cette fois une lettre de non-
préjudice : le roi affirme n'avoir jamais eu l'intention, en exigeant de
l'évêque certains subsides, de porter atteinte aux privilèges et libertés
de l'évêque et de l'église de Mende'^'. Le 1" août 1 298, Philippe le Bel
aborde la question des annates, pierre d'achoppement entre l'évêque
et le roi; pierre d'achoppement, car le prince, lui aussi, a songé à ce
moyen de se procurer de l'argent, et il a obtenu du pape la faveur
de jouir, pendant la durée de la guerre, des annates des bénéfices
vacants en France. Les intérêts des deux parties sont donc en condit.
Le roi consent à tenir compte des décisions régulières [ordinatlo légi-
time facta) qui ont pu être prises en faveur de l'évêque avant la
concession octroyée par le pape.
Nous soupçonnons qu'on a mal renseigné le roi sur la date de la
convention faite avec le clergé gévaudanais; on a dû lui dire qu'elle
était très antérieure à la concession octroyée par le pape [dm ante
gratiam de annatil>us)^^\ Mais le roi a quelque sou])qon. Il parle avec
intention (ïordinatio légitime Jacta, réservant par là cette question :
une décision qui aurait été prise par l'évêque et son clergé en
novembre 1297, en opposition avec la concession du souverain ])on-
tife au roi, laquelle est du 8 août 1297'''', ne sérail pas régulière;
^elle ne saurait être considérée comme légitime Jacta.
Pour le moment, le roi partage inégalement le gâteau : il aban-
donne à l'évêque le quart des revenus pendant deux ans. Quant à
la suite de cette affaire, nous savons seulement qu'en l'an i3oo
Philippe le Bel percevait les annates en Gévaudan '^'; plus tard
l'évêque semble les percevoir sans contestation , ainsi qu'il résulte de
ses lettres de iSog et i3i5.
Guillaume ne perd pas de vue toute une catégorie d'affaires qui
concernent soit les droits de l'église de Mende au regard du roi, soit
les prétentions opposées de l'aristocratie gévaudanaise et de l'évêque.
''' Roiicaute et Sache, Lettres de Philippe le sont en dehors de la concession faite au roi.
Bel relatives au pays de Gévaudan. p. lo.n'vi. Voir Jusseiin, Etude sur les impôts royaux en
''' Ibid., p. la, n° vu. France sous le règne de Philippe le Bel et de ses
''' Ihid., p. li, n° IX. fils ; mémoire manuscrit, couronné par l'Aca-
''' Registres de Boniface VIII. n" 2367. Les demie des Inscriptions en 1914.
archevêchés, évêchés, monastères et abbayes '*' Roucaute et Sache, p. 20-31, u" xi.
ÉVKQUE DE MENDE. — SA VIE. 11
Le tout sera, dans quelques années, réglé directement ou indirec-
tement par un arrangement solennel dit pariage, ou association entre
le roi de France et levêque de Mende. Pour l'instant, certaines dif-
ficultés sont résolues. Le 28 avril 1298, Philippe le Bel ordonne
au sénéchal de Beaucaire de veiller à ce que levêque soit remis en
possession de certains biens et droits usurpés par plusieurs barons
du Gévaudan'''. Le 1" décembre suivant, le roi invite le même
sénéchal à faire une enquête sur les droits de levêque, qui paraissent
avoir été violés par cet officier, parce que, sans le consentement
de l'évêque, il a exigé du seigneur de Randon un droit d'amortisse-
ment pour des manses qui seraient mouvants de l'évêque*"-'. Le
24 février i3oo, le roi prescrit à ses olhciers de ne porter aucune
atteinte à la juridiction spirituelle ou temporelle de l'évêque de
Mende, de n'exiger aucune subvention des clercs — mariés ou non
mariés — vivant cléricalement''^'. Cet édit royal, considéré comme
très important, fut renouvelé, en i3o2, par Philippe le Bel''*' et con-
firmé, en 1 3 1 5 , par Louis X'^'.
Le prélat, disions-nous plus haut, se disposait en novembre 1297
à quitter Mende. Deux ans plus tard, le 27 janvier i3oo,date
d'une importante transaction avec le chapitre'''*, il était, croyons-
nous, de nouveau absent de sa ville épiscopale. Aussi bien nous
savons, par ailleurs, que ses fréquents séjours en « France» lui coû-
tèrent extrêmement cher'''. Il était de retour à Mende en février 1 3o 1 ;
le 4 février, il léunissait tous ses chanoines et les entretenait du
grand litige que lui avaient légué ses prédécesseurs.
Ce débat, qui oppose l'une à l'autre deux conceptions toutes diffé-
rentes de la condition juridique du Gévaudan, qui embarrassa au
plus haut point le Parlement de Paris et sur lequel s'entassèrent pen-
dant des années délais sur délais, enquêtes sur enquêtes**', se peut
résumer en quelques lignes.
L'évêque prétend avoir sur le Gévaudan une autorité souveraine
''' Roucaute et Sache, p. i3, n" viii. •'> Porée, ouvrage cité, p. 57-64. Voir aussi
'*' Ibid., p. i5-i6, n° X. plus haut, p. 6. L'absence de l'évêque en pa-
''' Ibid.. p. 17-21, n° XI. Cf. une lettre de reille circonstance implique, à nos yeux, qu'il
Philippe le Bel, d'octobre i3oi [ibid., p. 21- est retenu au loin.
22,n''xii). '') • Per ipsum episcopum veniendoetstando
''' Arch. de la Lozère, G 20, d'après I'/h- «in Francia non abs(|ue magnis sumptibusi
ventaire, t. I, p. 5. (Mémoire relatif au paréaqe de 1301, p. 20).
''! Ibid. ") Ibid.,^. l5-2 1.
12 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
qu'il qualifie de major dominatio, ma/us dominium , plénum jus cum recja-
libus. U reconnaît toutefois que certaines parties du Gévaudan relèvent
du roi à des titres divers^'*. Mais, ces terres exceptées, il ne doit,
assure-t-il, au roi de France, ni redevance ni obéissance. Ici intervient
une distinction plutôt obscure que subtile : févéque ne doit au roi ni
redevance ni obéissance {jedihentia et ohedientm) , mais il lui doit lidé-
lité et soumission. A ce devoir de fidélité et soumission les évêques de
Mende s'obligent par serment depuis le pontificat d'Aldebert III du
Tournel, au temps de Louis VII'-'.
Le sénéchal de Beaucaire ou ses olliciers troublent f église de Mende
en la possession ou quasi-possession de cette situation traditionnelle.
L'évèque entend faire cesser ces attentats répétés à ses droits.
Le roi soutient, au contraire, que, suivant le droit commun et la
coutume antique, l'évêcbé de Mende, de temps immémorial, relève
tout entier de la couronne pleno jure quoad majorent junsdicttoncm.
Il est lui-même lésé par févèque'^'.
L'évèque exposa au chapitre que le résultat final de ce grand procès
politicpie lui paraissait douteux, et il demanda conseil.
L'église de Mende, févêque actuel et ses prédécesseurs, répondirent
les chanoines, se sont épuisés à suivre cette affaire. Ni peines ni frais
n'ont été épargnés. Pendant cette longue période de lutte, les droits
de févêque, ceux de f église, ceux du chapitre ont été de mille
manières foulés aux pieds et usurpés par les barons, les com tors*'*', les
châtelains, les aobles et les puissants. L'évèque qui, par lui-même,
'"' Voir Jean Roucaute, La formalion terri- protectear des troubadours, dans Bomania ,
toriale du domaine royal en Gcvaadan, 1161- 1910, p. agy-ooi-
1307 , avec la carie des ferres propres an roi au ''' Voir le texte du pariage dans G. de
temps de Philippe le iie/ (Paris, 1901). C'esl Burdin, Documents historiques sur la prorince
l'édition IVancaise d'une thèse latine publiée de Gévaudan (Toulouse, 18^6), t. 1, p. SSg-
sous ce titre : Qua ratione et qaibus temporibns o-j6 , et dans Roucaute et Sache, Lettres de
fines doniinii renii in Galialitano constituli sint Philippe le Bel relatives au pays de Gévaudan,
(Mimat.T, 1900). Cf. aussi Robert Michel, p. 17^ et suiv.; le Mémoire, p. 4, 96, a64>
L'administration royale dans In sénéchaussée de A02 et passim. Quant aux territoires sur les-
lieaucaire (Paris, igiO), p. 1 16 et i46. quels l'évèque, depuis un arrangement avec le
"' Méihoirc , p. 4-6. L'expression se suhdens, roi, n'a pas les mêmes droits, voir Mémoire,
qui se trouve dans l'acte émané de Louis VII, p. a3. Cf. Arch. nat. , J 34». ri° 6; Arch. de
est corri^'ee par cette explication : «Quod sane la Lozère, G 780 à G 74a [Inventaire , t. I,
• factum ad nulluni delrimenlum, ad nullaiu p. i58-i64}.
u prorsus privatlonem hactenus habite potes- '*' Sur les comtors, voir Paul Viollet, His-
• iatis in posterum converti volenles. • — Sur toire des institutions politiques et administratives
cet Aldebert duïournel, voirCrunel, Randon, de la France, t. 11, p. 419-
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 13
ne peut les contenir, n'ose s'adresser à la cour du roi de peur de
porter préjudice aux droits régaliens [jura reyaluim) et à la souverai-
neté du Gévaudan, objet même du litige. Il convient donc que, con-
fiant en Marie et en saint Privât, patron du diocèse, l'évêque s'emploie
à obtenir enfin, malgré l'incertitude du résultat, un arrêt de justice.
Cet arrêt ne pourra faire perdre à l'église de Mcnde plus qu'elle n'a
perdu dès ce jour, car les olficiers du roi se sont emparés par violence
du pouvoir et de la souveraineté en Gévaudan. Ils jouissent en fait des
droits et de la domination que l'évêque et le chapitre leur contestent.
C'est pour(pioi les chanoines prient instamment el humblement le
seigneur évêque de poursuivre, quoi qu'il puisse advenir, l'obten-
tion d'une sentence de justice; il pourra se pourvoir contre cette
sentence, s'il le juge à propos, par voie de supplication ou d'appel.
Tous pouvoirs lui sont donnés en vue d'une solution définitive*'^
On s'attend, après avoir pris connaissance de la délibération du
cha])itre, à une lutte judiciaiie très énergique; et, cependant, si on
interroge les archives, au lendemain de cette déclaration de guerre
(où, à la vérité, on pourrait peut-être apercevoir une allusion voilée
à la possibilité d'une transaction)'-', on rencontre une série de déci-
sions royales qui accusent un échange de bons rapports entre les
deux parties et qui sont, à bien prendre, comme l'acheminement à
une entente définitive. Cette entente sera le pariage de iSoy.
Ce qui répond fort bien au ton de la délibération de i3oi, c'est
l'écrit qui a été publié par M. Maisonobe sous le titre de Mémoire
relatif au pariage^^\ mémoire où est longuement et solidement déve-
loppée la thèse de l'évêque. Ce mémoire, très étudié, fut rédigé par
un procureur dont le nom malheureusement ne nous est pas
parvenu. Il ne semble pas avoir eu en vue le pariage. Mais ce
'"' Arch/de la Lozère, G 74i- munication de M. E. Perrot.) Le mémoire
''' Après une énumération de tout ce qui est donc postérieur à 1298, date de la publi-
peul s'interpréter comme pouvoir donné à cation du Sexte. Nous ajouterons qu'il a dà être
l'évêque de poursuivre judiciairement le écrit environ quatre ans après le départ pour
triomphe du litige, ces mots et ad omnia alia Paris de Guillaume Durant, départ qui eut
dictain causam seu processnm ejasdem generaliter lieu vers novembre 1297 (voir Mémoire,
vel specialiter contingentia couvriraient-ils la p. 30). Du • Mémoire relatif au pariage • on
possijjilité d'un accord? rapprochera utilement le relevé, divisé en
''' Mende, 1896. Le Sexte est mentionné quatre sections, des assertions de l'évêque dans
dans ce mémoire, p. 121 et 5o5. (Nous de- son différend avec le roi (Arch. nat., J 34ii
vons cette observation importante à une com- Mende, n" 6).
14 GUirXAUME DUR\M LE JEUNE,
factum, qui apporte des arguments sérieux contre la thèse des ofTiciers
rovaux, n'aurait-il jias contribué, en fait, à procurer une entente?
Le roi n aurait-il pas transigé, afin d'éviter une défaite judiciaire, qui
n'était peut-être pas rigoureusement impossible? Ou encore le roi et
l'évêque, perplexes l'un et l'autre, n'auraient-ils point senti qu'ils
avaient tout avantage à faire la paix et à s'entendre ''* ?
D'ailleurs, tandis que les conseillers du roi pesaient les arguments
et les faits versés au débat par le procureur de l'évêque, ce dernier,
très remuant, agissait en cour et se ménageait l'appui du souverain en
diverses affaires se rattachant de près ou de loin aux questions
controversées. Il obtint notamment, le 3 mai i3o2, au sujet de ses
droits de justice, ce mandement royal : le sénéchal de Beaucaire ne
devra pas inquiéter les gens de l'évêque, qui, en poursuivant à main
armée des malfaiteurs soumis à sa juridiction, traverseraient les
terres du roi'"'. Six jours plus tard il fut ordonné de surseoir à la
levée des contributions de guerre demandées aux églises et aux
ecclésiastiques ^^K
Intervint le fameux « différend » avec Boniface VIII. Guillaume
assista au synode qui se réunità Rome en octobre-novembre i3o2 '"',
date qui coïncide avec celle de la bulle Unam sanctam. À cette bulle
Philippe le Bel répondit par l'acte solennel d'accusation contre le
j:)ontife, acte auquel les évoques et tout le clergé de France furent
conviés à s'associer. Nous n'apprenons pas que l'évêque de Mende ait
répondu à l'appel du roi. Quant au chapitre, il envoya une procura-
tion extrêmement prudente et, pour tout dire, parfaitement vide de
sens
(5)
''' Le roi et révèque le disent chacun de «esset dubius litis eventus» fut libellée par
leur côté. Voici tout le passage : » Et maxime l'évêque.
«quia dictus senescalliis et alie gentos nostre, M. Rnucaute a publié un document qui
«que ad probandum aliquos arliculos petebant parait bien indiquer que le roi pouvait, en
«se admitti , dlcebant quod non erat adliuc in définitive, perdre son procès [La formation tcr-
« causa conciusum , et esset dubius ipsius litis riloriale du domaine royal en Gévaudan , Paris,
« eventus, et lis dicto episcopo, ecclesic et pa- igoi , p. 83-8^). Cf. Mémoire relatif au j>uréa(je
«trie foret ex multis causis daninosa, et etiani de 1307, p. 499-
«sumpluosa. . . » (Arch. nat. , J 3^1, Mende, ''' Roucaute et Sache, Lettres de Philippe le
n° 4)- Cf. G. de Burdin, Documents historiques sur Bel relatives au pays de Gévaudan , p. 26 , n° xv.
laprovince de Gévaudan (Toulouse, i846), t. I, '^' Ibid., p. Q7, n° xvi.
p. 362. L'évêque adéj.idit, en i3oi,auciia- '*' Dupuy, Histoire du différend d'entre
pitre : «Dubius esset predicte litis eventus n Boniface VIII et Philippe le Bel (Paris, i655),
(Arch. de la Lozère, G 74i). D'où nous con- p. 86.
cluons qu'originairement cette formule tel '*' G. P'icol, Documents relatifs aux Etats gêné-
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 15
Faut-il expliquer par le méconteutemenl du roi une décision du
26 août i3o3, qui soumet cette fois les ecclésiastiques au payement
de la décime ou plutôt de la demi-décime'*'? Nous ne le pensons pas.
Des considérations d'ordre général expliquent cette mesure. Elle n'en
fut ])as moins pénible au prélat, qui avait, par ailleurs , de très sérieuses
inquiétudes et sentait le sol trembler, en Gévaudan, sous ses pas.
Un sourd mécontentement se propageait parmi les féodaux; une con-
spiration le menaçait. En cette lieure d'angoisse, il lit appel au ])ape
Benoit XI et lui demanda une bulle de sauvegarde. Cette bulle est
restée à l'état de projet'"-'.
\ ers le même temps, nous rencontrons (îuillaume Durant prési-
dant un concile de la province de Bourges, avec l'évêque de Limoges
et les vicaires généraux du primat d'Aquitaine, lequel se trouvait
pour lors en cour de Bome. 11 figure au second rang, après févêque
de Limoges. Ce dernier prélat et l'évêque de Mende ainsi que les
vicaires généraux de l'archevêque de Bourges, primat d'Aquitaine,
transmirent à l'abbé de Cluni, délégué du roi de France, les délibé-
rations du concile. C'est par ce message que nous sommes renseignés
sur cette assemblée, qui eut lieu en mars i3o4. Elle fut très peu
nombreuse; c'est à peine si la sixième partie des personnes appelées
à siéger aux conciles provinciaux avait pu se rendre à la convocation.
Sans la présence de Guillaume Durant, l'assemblée n'aurait compté
qu'un seul évêque. Les ecclésiastiques présents constatèrent avec
anxiété cette situation et exprimèrent le vœu qu'un autre concile fût
réuni, ou même prirent une décision en ce sens. Faudrait-il entrevoir
ici un procédé habile, qui aurait pu un jour, si les circonstances
étaient devenues favorables, servir à infirmer les délibérations qui
lurent prises .►> Elles sont d'ailleurs très prudentes ces délibérations.
Le roi demande un subside ; on lui offre, s'il plait au pape (^si placuerit
domino papœ), une décime qui serait levée par le clergé, suivant fan-
cienne taxation,' et cela, pourvu que le roi remplisse toutes les pro-
roux e( assemblées réunis sous Philippe le Bel {G allia chrisliana, t. Il, Instrumenta, col. 3oo-
(Paris, 1901), p. 339-330, n° i48. — En 3oi,n° xlii).
i3o3 (n. st. ), avant Pâques, Guillaume était à ''' Roucaute et Sache , p. 39,n°xvii.
Paris; il faisait partie d'une grande réunion ''' Arch. de la Lozère, G 3i. Cette pièce
de prélats et de barons devant laquelle l'ar- singulière n'est pas datée et ne parait pas avoir
chevéque de Bordeaux protesta qu'il ne été scellée. Benoît XI fut élu pape en octobre
devait pas foi et hommage au roi de France i3o3 et mourut, à Pérouse, en juillet i3o4-
16 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
messes qu'il a faites, notamment au sujet de la monnaie, et pourvu
qu'il n'exige pas, à l'occasion de la guerre actuelle, d'autre subside
ou d'autre service. Si cette offre était rejetée comme insuffisante, le
clergé pourrait aller, s'il plaisait au pape, jusqu'aux décimes de grossis
fruclibus; cette seconde proposition est faite, elle aussi, à certaines
conditions, nombreuses et précises'"', dans le détail desquelles nous
n'entrerons pas ici.
Ces conditions, qui semblent avoir été sensiblement les mêmes dans
toutes les provinces, furent acceptées par Philippe le Bel, pour le
moment du moins. Plusieurs ordonnances royales octroyèrent au
clergé des faveurs et des grâces'"', qui sont précisément celles que
léclamaient et le concile de la province de Bourges et, sans nul
doute, d'autres conciles.
On doit supposer que l'attitude de l'évéque de Mende au concile
de mars i3o4 satisfit pleinement Philippe le Bel; peut-être même
cette attitude avait-elle été ménagée à f avance : l'évéque avait besoin
du roi, le roi avait besoin de févêque. Dès le printemps de fannée
i3o4, les actes royaux favorables à l'évéque se renouvellent et se
multiplient, symptômes d'une entente prochaine et définitive entre
les deux pouvoirs : lo mars i3o4, ordre au sénéchal de Beaucaire
de se montrer favorable aux requêtes de l'évéque de Mende, qui a pu
être lésé par diverses sommations [monitiombns) émanées de l'au-
torité royale*''^; lo mai i3o4, enquête au sujet d'un projet d'échange
entre le roi et l'évéque — le roi céderait à l'évéque la moitié du péage
de Mende, qui lui appartient depuis 1266, et l'évéque renoncerait à
une rente annuelle de vingt livres, qui lui est due sur la trésorerie
royale de Nîmes; — i5 juin i3o4, ordonnance octroyant diverses
faveurs à l'évéque de Mende et aux églises de son diocèse, en récom-
pense de leur contribution au subside pour l'armée de Flandre,
notamment Texenq^tion du droit de franc fief, l'interdiction des
« nouveaux aveux »''*', etc. Ces dernières lettres patentas formaient un
ensemble assez inqîortant pour qu'ultérieurement l'évéque et le clergé
de Mende jugeassent utile d'en demander et d'en obtenir confirma-
'"' Arcli. nat. , J 1025, n° 4. La petite phrase i3o4 (Roucaule et Sache, n° xx, p. 37 et suiv.;
relative à la monnaie est énergique dans sa Méneslrier, Histoire de Lyon, Lyon, 1(196,
soltriéte : «El hoc, si dominas rex suis sump- p. un, col. a; Ordonnances, t. XV, p. 454).
(itibus mulet inonetam , ut piomisit. » ''' Iloucaute et Sache, p. 36, n°xix.
''' Lettres de Philippe le Bel, du i5juin ''' Ibid., p. 34 , n° xviii.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SA VIE. 17
tion de Louis X, confirmation qui fut accordée sous forme de vidi-
mus*'*.
Au demeurant, au lieu de lutter en justice, le roi et l'évêque,
visiblement, s'entendaient et marchaient de concert. Un accord défi-
nitif était proche.
Si cet accord se réalise, les féodaux auront désormais à compter,
non plus avec févêque seul, mais avec févéque et le roi. C'est un
coup désastreux qui frappera les seigneurs du Gévaudan, ombra-
geux et turbulents, avides d'indépendance. Ils savent tous qu'au
cours du xiif siècle plusieurs alliances temporaires entre l'évêque
et tel connétable du roi au Puy, tel sénéchal à Reaucaire, ont sulh à
les materC^'. Les associations avec le roi lui-même, non point tempo-
raires, mais permanentes, leur sont bien connues, car les pariages
ne sont pas rares en Ciévaudan'"*'.
Tout cela chacun le sent en Gévaudan. Le sentent surtout très
vivement les puissants seigneurs de Peyre'"', qui, en fait de pariage,
sont fort entendus, et savent ou devinent tous les ressorts du système.
Le chef de cette maison , Astorg de Peyre, jouit personnellement (fan
pariage conclu avec le roi : il y a à Marvejols une cour commune
à lui et au roi'^'. Un prieur d'Ispagnac — prieuré qui ressemble
fort à un apanage féodal de la famille de Peyre — avait lui-même
conclu avec Philippe le Bel, en 1298, un pariage pour ce prieuré,
pensant le soustraire par là à toute immixtion de l'évêque'''^. Le
grand pariage que préparait Guillaume allait étouffer ces conven-
tions, écraser ces petits pariages et établir sur le (Jévaudan une
domination tout ensemble royale et épiscopale, domination active,
agissante.
<'l Ordonnances , t.V, p. 6^-i\ t. XI, p. 430; p. ag; Roucaute et Sache, p. 96, n° xlviii.
Roucaute et Sache, p. 37,11° XX. MM. Uoucaute ''' Roucaute et Sache, p. A/i, n° xxii. Cf.
et Sache emploient le mot t)i(/imus( p. 4 1, note), Arch. de la Lozère, H i4o, d'après Vlnven-
qui est parlaitement exact; mais il est clair laire. p. 5i. A la suite du pariage de 1298,
qu'ici un vidimas a la valeur d'une confirma- Guillaume Durant, très préoccupé d'une pa-
lion. CF. Arch. de la Lozère, G 8i-], d'après reille combinaison, avait obtenu de l'abbé de
l'Inventaire, t. I, p. 182. Saint-Géraud et du prieur d'Ispagnac la pro-
''' Mémoire, p. 9-11. messe que ces deux dignitaires travailleraient
''' Cf. Annales du Midi, t. XV (1903), à l'aire révoquer cet acte, promesse qui n'eut
p. .^3. aucune suite ( F. André , Ispagnac el son prieuré,
(*) Comm. de Saint-Sauveur de-Peyre, canl. notice historique, dans Annuaire de la Lo-
et arr. de Marvejols. zêre. 1874, 43° année, partie historique,
C G. de Burdin, Documents historiques, LÏ, p. 10-11)
HIST. LITTER.
3
18 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Un complot fut organisé. La famille de Peyre en fut la tête. On
espérait écarter le pariage en assassinant l'évêque'''. Ce complot, qui,
d'ailleurs, fut assez facilement réprimé, exaspéra Guillaume, mais
probablement aussi l'épouvanta. C'est à l'occasion de cette con-
spiration que, le 23 octobre i3o4, Guillaume Durant réunissait,
comme nous l'avons vu, son chapitre et vouait ofliciellement une
haine implacable à ses ennemis; il nomma, ce jour-là, Astorg de
Peyre, Gui de Cénaret'"', Hugues de Quintinhac'^', Richard de Peyre
et un cinquième personnage, Raymond de Meyrières''*'. 11 ne semble
pas avoir désigné nommément le prieur d'ispagnac, Aldebert de
Peyre'^'; ce nom le gênait-il dans la circonstance, Aldebert étant
lui-même chanoine de Mende'''*.^ Ou encore sous le nom d'Astorg
de Peyre, chef de la maison, englobait-il les cadets, qui sont tous
des Aldebert'^*?
Ce que nous savons de l'attitude de Guillaume entre 1 3o4 et i Soy,
date de la conclusion du pariage, révèle, ce semble, un grand
trouble : la colère et la soif de vengeance, mais aussi la peur, agitent
cette àme ardente, soumise à une très dilficile épreuve. Guillaume
dénonce au roi le prieur d'ispagnac et ses complices. Le sénéchal
de Beaucaire est aussitôt avisé par le prince d'avoir à se saisir des
criminels; ceux d'entre eux qui sont clercs, par conséquent le prieur
susnommé, devront être livrés à la justice épiscopale '*'. Un autre
prieur remplace peu après Aldebert de Peyre''^'; Richard de Peyre,
poursuivi comme son parent, est lui-même incarcéré'"^*, mais nous
''1 Roucaute et Sache, p. 43, n° xxii. "■ Sur le nom d'Aslorg réservé aux aînés el
'*' La quatrième partie du château de Ce- celui d'Aldebert aux cadets, voir B. P[ru-
naret relevait de l'évèque de Mende (Arcli. de nières]. L'ancienne haronnie de Peyre, dans
la Lozère, G 87). Bnlletin de la Société d'agriculture , industrie.
'^* Hugues de Quinlinliac était vassal d'As- sciences el arts de la Lozère (186G), t. XVH,
lorg de Pejre (Arch. de la Lozère, G 108, 2° partie, p. 1G7, noie 1.
d'après 17Hi'eH(ai/c, t. 1, p. 29). '"' Roucaute et Sache, p. 43, n° xxii. Un
' ' Vassal d'Aldebert de Peyre, prieur d'Is- religieux du monastère de Bonnevaux, au dio-
pagnac, il tenait de lui le quart indivis du cèse de Poitiers, fut mêlé à celte affaire; mis
mas de Fraissinet et plusieurs autres biens à la torture, il confessa avoir conspiré la morl
(Arch. de la Lozère, H i46 , d'après l'Inven- de Guillaume Durant [Invent. somm. des arcli.
taire, p. 5/i ). de la Lozère, série G, t. I, p. 1 ).
>*' .1. dominas de Pelra me parait désigner ''' Arch. de la Lozère, H i/iG , d'après l'/n-
Aslorg de Peyre plutôt que le prieur Aldebert. venlaire, p. 34-
''' Aldebertas de Pelra, precentor, assiste ''"' Il fut mis en liberté sous caution en
à une réunion du chapitre le 24 novembre 1297 i3i3 (Boutarir, Actes du Parlement, t. II,
(Arch. de la Lozère, G 33). n° 4i3i ; cf. n"' 7787-7789).
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 19
ignorons la date de son arrestation; elle est peut-être postérieure de
plusieurs années et pourrait se rattacher à une autre accusation''^.
Quant à Guillaume Durant, sa situation devient d'autant plus dilTicile
que, vers le même temps, d'autres mécontents l'accusent d'avoir
perçu irrégulièrement des subsides sur son clergé. Le 17 mars i3o5,
il se fait libérer, en assemblée générale, de toute obligation de resti-
tution, en même temps qu'on lui octroie un nouveau subside cari-
tatif, subside très inférieur à celui qui lui avait été accordé en
novembre 1297*^'.
En résumé, d'une part, Guillaume est menacé par ses adversaires,
qui lui font, on peut le dire, une guerre au couteau; d'autre part,
des ennemis plus cauteleux lancent contre lui une accusation cruelle.
Comment ses fidèles le soutiennent-ils? En l'exemptant de toute
« restitution », défense qui, dans nno certaine mesure, confirme l'ac-
cusation et, par conséquent, constitue une offense nouvelle. En un
pareil moment le séjour de l'évéque dans sa ville épiscopale devait
être singulièrement pénible et peut-être dangereux. Guillaume se
trouvait heureusement en bons termes avec la cour de Rome, qui,
dans le même temps, eut à s'occuper des affaires de la malheureuse
Italie, décbirée par les partis politiques '■'l Clément V alla-t-il de lui-
)nême chercher l'évéque de Mende, ou celui-ci l'aborda-t-il le pre-
mier.'^ Nous l'ignorons. Mais nous savons de source sûre que le
nouveau pontife nomma l'évéque de Mende et l'abbé de Lombez ses
légats en Italie'**. Guillaume put quitter tête haute la capitale du
Gévaudan.
La mission confiée aux légats était très importante. Ils furent
chargés de pacifier une grande partie de la péninside, livrée aux dis-
sensions intestines et aux guerres civiles. Entre autres pièces émanées
d'eux, nous possédons les rapports très circonstanciés et très intéres-
<'' Voir ci-après, p. 45. Ne pas oublier que, Speculator dans la Romagne et la Marchetl'An-
le 2?) octobre i3o/i, l'évéque a pris ses prc- cône ne contribua pas à ce choix, fort inat-
cautions à l'avance pour agir à sa guise contre tendu, de l'évéque de Mende. Sur le rôle joué
ses ennemis : vel quacamqae alla causa. en Italie par le Speculator, voir Hist. litl. île la
''1 Arch. de la Loière, G 33. France, t. XX, p. 422-427; Max Heber, Gut-
'■''' Viilani, VllJ, 82 , dans Muratoii, iîcrum achtcn and Reformiorschlâge fur das Vienner
Italicarum scriplores, t. XIII, p. 4ai-42a. Gcneralconcil (Leipzig, 1896), p. 66. La niis-
'*' On s'est demandé si le souvenir du grand sion confiée à Guillaume ressemble si ngu-
rôle politique joué autrefois par son oncle le lièrement à celle qu'avait reçue son oncle.
3.
20 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
sants qu'ils adressèrent au souverain pontife; il en sera question plus
loinC).
Sans doute, le procureur ou les procureurs du prélat continuèrent,
pendant ce temps, les négociations à la cour de France, et Guillaume,
sa mission- accomplie (il était encore en Italie en mars i3o6)'"^'', put
lui-même les suivre de près. Elles aboutirent au pariage, qui est daté
de février iSoy (n. st.)'"*^.
A peine ce traité conclu, l'infatigable prélat partait pour l'Angle-
terre, chargé par le souverain pontiie d'une alfaire bien diflércnte de
celle qui lui avait été confiée en Italie : il s'agissait, cette fois, d'en-
quêter en vue de la canonisation de Thomas de Canteloup, évêque
de Hereford, mort excommunié, assurait-on '^^ Nous nous occu-
perons de l'une et de l'autre mission, en traitant des œuvres de
Guillaume '*'.
Le pariage de février iSoy est l'acte le plus considérable de fépi-
scopat de Guillaume Durant. Par une délibération du chapitre, posté-
rieure à celle que nous avons analysée plus haut, le prélat avait été
autorisé à transiger avec le roi, mais deux chanoines lui avaient été
adjoints à cet eifet, et c'est d'accord avec ces deux délégués qu'il
pouvait conclure.
L'acte de pariage fut promulgué sous deux formes différentes :
dans l'une, c'est le roi qui parle''''; dans l'autre, c'est févêque'^'. Toutes
les clauses du contrat sont dans les deux instruments identiques quant
au fond, matatis mutandis. Mais l'évèque a soin de mentionner qu'il
est assisté des deux chanoines, que lui avait adjoints le chapitre de
(') \ oir ci-dessous, p. 64 et suiv. but que d'arriver à un traité définitif, officiel
''' Clément V confirma, le i(^ août i3oG, et public,
certains échanges et opérations que Guillaume '*' Acta Sanctorum, Oct., t. I, p. 539-599.
avait soumis à son approbation (11. Grange, Cette mission fut conllée à Guillaume Durant
Sommaire des lettres pontificales concernant le peu après sa mission politique en Italie. La
(jiiril, XI y' sil^cle. Ninics, 1911, 1" partie, ])remiére lettre de Clément \ , qui s'y réfère , est
p. l'y, n° 5). Nous devons supposer qu'à cette daJée de lîordeaux, aS août i3o6; mais l'exé-
dale l'évèque était de retour en France. cution fut retardée profiter multa et varia impe-
'^' Nous nous sonnnes plus d'une fois de- dimenla [ibid., ]). 586).
mandé si le complot de i3o4 n'avait pas eu '*' \'oir ci-dessous, p. 64 et suiv., -ja et
pour résultai d'ajourner la conclusion défi- suiv,;cf aussi p. 56-57.
nilivp et la pronmljjatlon d'un accord déjà ''' 0;y/();i;inn(C<, t. \l, p. 296, et variantes au
réglé, et dont les conspirateurs auraient eu con- t. XVI, p. 256; (i. de Burdin, Documents hi'-
naissance. S'il en était ainsi, les négociations toriques sur la jirovince de Gévandan , t. I,
et pourparlers en cour, dont nous disons un p. 359-376.
mol dans le texte, n'auraient guère eu d'autre '"' Arch. nat., J 34i, Mende, n° 4.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 21
Mende'''; cette circonstance fort intéressante n'est pas relatée dans
la charte parallèle qui émane du roi. Confirmé à maintes reprises par
les rois de France'^', en dernier lieu par Louis XV, en 1720'''', le
pariage de 1 807 a continué jusqu'à la lin de l'ancien régime à régler
théoriquement les rapports du roi et de révêque'*'. Nous l'analyse-
rons sommairement.
Tout pariage est une association. L'association de 1807 ne
comprend pas l'ensemble des biens du roi et de l'évêque : toute
une catégorie de terres et de droits afférents à ces terres en est exclue.
Pour ces territoires hors pariage, le roi et l'évêque restent, en regard
l'un de l'autre, sur le pied de la quasi-indépendance réciproque où
ils étaient avant 1807. En d'autres termes, Philippe le Bel et Guil-
laume font chacun deux parts de leurs droits : pour une part, ils
concluent un pariage, ils s'associent; pour l'autre part, celle des
biens propres, ils demeurent dans le statu (juo ante. La lecture atten-
tive du document nous conduit à constater que la major superioritas
et le ressort souverain sont reconnus au roi, non pas à l'évêque,
quant à ses biens propres'^'. En revanche, et ceci est capital, le roi
met en commun avec l'évêque le merum et mixtum împerium, la juri-
diction haute et basse et le ressort, tous les jura regalia sur les
biens compris dans le pariage''''. Que sont donc ces biens, objets du
pariage .►* Précisément ceux sur lesquels l'autorité de l'évêque est très
im^iarfailement assise. Cette clause, par conséquent, étrangle la fière
et insoumise aristocratie du Gévaudan.
Le prieur d'ispagnac, par exemple, est directement touché. Voici
comment : il est expliqué que ce prieur a conclu lui-même antérieu-
''' « Assistenlibus nobis venerabilibus viris *'' Comparez le passages relaliTs à ces biens
« Raiidone de Tornello, preposito Aniciensi réservés dans G. de Burdin, t. 1 , p. 363-
• et canonico Mimatensi, et R. Barroti, precen- 365.
• tore Mimatcnil, cuin quiDus transigendi et '•"' Voir Je texte, ibid. , p. 363. Convient-il
«coniponendi potestatem a nostro capilulo de rat'acher à cette souveraineté de l'évêque
« habebamus» ((7'i(Z. ). le privilège du port d'armes dans toute
'*' Notanniienl en i3i5 par Louis X (Or- l'étendue du royaume, qui lui fut accordé en
donnanres, t. XII, p. 4«o) et en février i3i7 i3io, à lui et à ses serviteurs ( Arcb. de
par Philippe le Long (Arch. nat., J 34i, la Lozère, G 864, d'après V Inventaire , t. I,
Mende, n" 3; JJ 53, n° ia8; cf. Ordonnances, p. i85) ? Lors d'un procès soutenu en i34i ,
t. X\'I, p. Qa5). le procureur du roi déclara que ce droit
'^' TextedansG.de Burdin, t. I, p. 38i-38/i. de port d'armes, attribué à l'évêque, causait
**' Cf. Ch. l'orée. Le consulat et l'administra- au pays dommages et violence (Arch. de
tion municipale lie Mende (Ptirii,i^O-i), p. xt\, la Lozère, G 873, d'après l'Inventaire, t. I,
cxxxiv et cxxxv. p. 186).
22 GUILLAUME DUMNT LE JEUNE,
rement un pariage avec le roi; l'évèque souhaite la résiliation de ce
contrat, qui lui porte préjudice. Le contrat cependant ne sera point
supprimé; mais on arrive au même résultat par cette voie, tout à la
fois élégante et correcte : le roi met en commun avec l'évèque tous
ses droits de pariage sur Ispagnac. En d'autres termes, le grand
pariage de iSoy avec l'évèque se superpose au petit pariage d'ispa-
gnac avec le prieur et l'écrase. Peut-être cette clause du futur contrat
de pariage était-elle déjà connue ou entrevue en i3o4, lors du com-
plot criminel ourdi contre Guillaume. Elle dut exaspérer le prieur
d'ispagnac.
Précisons maintenant quelques détails de ce pariage ou association
des deux pouvoirs. En vue de régir la catégorie des biens mis en
pariage, le roi et l'évèque instituent d'un commun accord un bailli et
un juge ordinaire, chargésde rendre la justice en leur nom collectif.
Au cas où ils ne s'entendraient pas sur le choix de ces dignitaires, la
nomination en serait faite, une année, par le roi et, une année, par
l'évèque. Le bailli et le juge ainsi nommés désigneront les ofilciers
subalternes. La cour commune siégera alternativement, une année,
à Mende et, une année, à Marvejols. Les émoluments de celte justice
commune seront partagés entre le roi et l'évèque'''. En cas de récu-
sation du bailli ou du juge, le sénéchal de Beaucaire et l'évèque
pourront adjoindre à la cour un prud'homme [probus vir). Le roi et
l'évèque nommeront aussi un juge d'appel de la cour Commune, ©u,
comme on disait jadis, un juge d'appeaux. Les arrêts de ce juge d'appel
ne pourront être attaqués que devant le roi [in caria nostra Franciœ)
ou devant le sénéchal de Beaucaire'-^. Cette dernière clause rend illu-
soire, au point de vue de l'évèque, la mise en commun du merum
impennm et du ressort.
Est-il besoin de signaler les inconvénients de ces nombreuses voies
de recours, notamment au Parlement de Paris et au sénéchal de Beau-
caire.^ Sans compter que la situation se trouvait encore compliquée
par le fait des commissaires que le Parlement déléguait en Gévaudan.
Cernai, les parties en cause le sentaient vivement, et il leur arriva quel-
quefois, dans l'espoir d'éviter ces renvois interminables de juridiction
'■' Cf. Arch. <le la Lozère, G 867, d'après ''' Cf. Boularic, Actes du Parlement de
l'Inventaire, t. I, p. i85. Paris, t. l, n" 7348 (appel de i3a3).
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 23
en juridiction''^ de formuler un premier appel en termes intention-
nellement vagues et compréhensifs : ad jiidiceni appellatioimm, tel ad
senéscallum Belhcadri , sea ad nos, lisons-nous dans un arrêt du Parle-
ment, ad illiiin tamen,ad Cjiiem. meluis possunt et debent appellarc appella-
verunt ^"^K
()uant aux droits fiscaux, il est dit que, dans les terres communes,
le roi ne ])ourra lever de tailles sans le consentement de son parier.
Ilelativement aux terres de l'évêque le pariage est muet : les évêques
pourront donc soutenir que cette interdiction de lever la taille existe
a forliori sur leur domaine propre, et ils défendront, en effet, vivement
cette prérogative et, du même coup, les privilèges de leurs sujets. En
i333, au début de la guerre de Cent ans, les citoyens de Mende,
auxquels le bailli de Marvejols réclamera l'impôt royal, se lève-
ront menaçants et proclameront qu'ils n'ont d'autre roi que leur
eveque'^^
Mais revenons au texte même du pariage. Nous y voyons que le
roi prend sous sa protection el sauvegarde spéciale l'évêque, sa famille
et ses serviteurs, le chapitre et l'église de Mende. Enfin le Gévaudan
est érigé en comté : l'évêque et ses successeurs se qualifieront comtes
de Gévaudan. A l'occasion de ce titre, il est dit, dans la convention
même de pariage, que, théoriquement, la moitié de ce comilatus
appartient au roi, car l'évêque ne touche lui-même que la moitié du
péage de Mende, évaluée à forfait à 20 livres, mais inférieure en fait
à ce chiffre '"^l Cette observation présente un intérêt historique qui
n'échappera pas à quiconque se préoccupe de l'origine des évêques-
comtes. Le droit de battre monnaie d'argent ou de billon est reconnu
à l'évêque; cette monnaie a cours dans tout le Gévaudan.
'"' Voir l'énumération de renvois répétés, le procureur du roi soutint que ie roi avait
qui donuent une bien fàclieuse idée de ces amoindri son patrimoine en donnant à
procédures, dans un arrêt du Parlement de l'évêque vingt livres par an, à prendre sur le
Paris, du i5 février iSaS (Arch. nat., X'* 5, péage de Mende (Arch. de la Lozère, G 878,
loi. 4a6 v° et ia^ ; analyse dans Uoutaric, d'après VInvenlaire , t. 1, p. 186). Voir le texte
t. II, p. 61 1, n° 7789). du pariage dans G. de Burdin.t. I, p. 359-376.
''' Affaire compliquée, où figure Richard de Cf. une lettre de Philippe le Bel, du 10 mars
Peyre (Arch. nat., X'' 5, fol. 458 v* et 459; i3o4, dans Roucaute et Sache, p. 34-36,
analyse dans Boutanc, 1. 11, p. 6i5, n° 7828). n° xviii; Arch. de la Lozère, G a56 {Inveiit.,
''' Ch. Porée, Le consolai et l'administration t. I, p. 59) et G 864 {Invent., t. 1, p. i85);
municipale de Mende, p. xxi. D. Vaissette, llist. de Languedoc, éd. Privât,
'*' En 1 34 1, lors d'un procès contre l'évêque, t. IX, p. 297, note 1.
24
GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Quant à la catégorie des biens propres, qu'il est souvent si difficile
de distinguer des droits mis en commun et faisant l'objet du pariage,
il nous suffira de dire, sans entreprendre une longue et fastidieuse
énumération, que la ville principale des domaines propres du roi
est Marvejols'", et que la ville principale des domaines propres de
févêque est Mende'^'.
Ce résumé rapide permet d'entrevoir les nombreuses difficultés
qui, fatalement, surgiront'^'. H fait également bien sentir que lessei-
gneurs du Gévaudiui auront désormais un maître, le roi ou févêque,
sinon le roi et févêque réunis. C'est ce que la noblesse comprendra
parfaitement : contre le pariage entrevu elle a fomenté un mouvement
criminel; contre le pariage conclu elle se coalisera et fera judiciaire-
ment opposition '''*.
Une liste des opposants au pariage, dressée en i3o8, s'ouvre ainsi
par le nom d'un seigneur puissant, Béraud de Mercœiir, que nous
retrouverons au cours de ce récit'^'. Sur la même liste figurent — et
cela n'est pas pour nous surprendre — Astorg de Peyre, Gui de
Cénaret, Hugues de Quintinhac'*"'. L'opposition légale de i3o8 resta
d'ailleurs stérile : le roi et févêque usent de procédés dilatoires, mais
ces procédures se prolongeront pendant trente-trois ans et se termi-
neront par la défaite des barons ou de leur postérité '''.
"' G. (le Burdin, l. I, p. 39-34; Ch. Porée,
p. XVI, note 2. — Le roi a en outre, à Mar-
vejols, une juridiction commune ^vec le sei-
gneur de Peyre; voir une difficulté à ce
sujet dans Roucaute et Sache, p. 96-98,
n° xxxxviii.
''' Sur ces domaines propres de l'ëvêque,
voir G. de Burdin, t. I, p. 33-37; Ch. Porée,
Le consulat et l'adminislration municipale de
Mcnde , |). xvii, note 1.
''' Joignez Houcaute et Sache, n" xxvii à
xxxiii, xxxvii à xxxxi, xxxxiv à xxxxvi et
passim.
''' Roucaute et Sache, p. 67, n" xxxiii.
'*' Voir plus loin, p. 39.
'*' Rouraute et Sache, p. ao3-ao4-
''' Cf. Roucaute et Sache, p. 67, n° xxxill,
p. ao3-ao8. Un mémoire, rédigé après la mort
de Guillaume Durant et copie par feu l'abbé
CharboiHiel, contient les articles suivants rela-
tifs à l'opposition féodale :
3/|. «Item, quod aliqni de diclis nobilibus.
• qui fecerant et perpetraverant plura nialeficia
• et delicta dicta lite pendente, dubitantes jus-
« titiam régis, qui fortificabat ecclesiam , ratione
• pariatgii initi, et penasquas debebant portare
«ratione delirtoruni per eos coinmissoruni, tra-
«diderunt diveisos articulos in l'arlamento
«contra diclum pariatgium pariter; et fmalilcr
• mandavit rcx scnoscallo Bellicadri et suo pro-
• curatori quod adjornarentur ad Parlamentum
• tune s«'quens omnes illi qui vellcnt se oppo-
• nere contra dictuni pariatgium, ad ccrlam
• diem, et quod venirent cum omnibus muni-
« mentis suis ad dicendum et objiciendum con-
• tra dictum pariatgium , alioquin in poslerum
• minime audirentur. Et ila fuit factum.
35. tltem, quod dicti nobiles, barones,
«comptores, castellani et alii de patria non se
• opposuerunl nd diclam dleni eis assignalam
• in dicto Parlamcnto, et si aliqui se opposue-
• runt, non tamen sunl prosecuti suam o[>|)o-
• sitionem; sed dicta compositio, pariatgium,
< communie et associatio remansit in sua vir-
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 25
Cependant une émeute parallèle à ce recours à la justice fut répri-
mée et sévèrement punie par le Parlement de Paris. Le chef des émeu-
tiers n'était autre que le lieutenant du baile royal''' de Marvejols,
vieux fonctionnaire que le régime nouveau amoindrissait cruel-
lement*^'.
La lutte de Marvejols contre l'évêque s'identifie, à bien prendre,
avec la lutte des de Peyre contre le même évêque. Marvejols él.'lit, eu
effet, avsint le pariage , le centre féodal des de Peyre : ils y exerçaient,
en commun avec l'autorité lointaine du roi, un pouvoir respecté; ils
y avaient, en féglise des Mineurs, des tombeaux de famille'^'. Leur
crédit semble y avoir été considérable : on sent que, lors du pariage,
une partie de la population partagea l'indignation et la colère de ses
seigneurs.
En 1809, au lendemain de fémeutede i3o8, un fait matériel, qui
rendait palpable et visible à tous l'installation du pouvoir nouveau,
vint frapper les populations : des fourches patibulaires et piloris
furent établis sur les terres communes au roi et à l'évêque. Les
fourches lurent dressées entre Mende et Marvejols, un pied dans le
domaine royal et l'autre dans le domaine épiscopal''**.
Enfin cette année 1809 fait date, non seulement dans l'histoire de ces
contestations'^', mais surtout dans celle des embarras d'argent qui en
résultèrent pour notre prélat. En septembre, il exposait à son clergé
cette situation difficile, lui disait ses litiges compliqués et demandait,
de ce chef, un nouveau subside caritatif, les frais se multipliant avec
les incidents de procédure'*''. La même année, Guillaume se procura
un autre subside qui n'avait rien de caritatif: il obtint du roi le tiers de
« Iule et fuit concordatum , servalnm et raliflca- Peyre , dans liullelin de la Société d'agriculture. . .
• tuin por ipsos expresse vel tacite. . . » de la Lozère, 186G, t. XVII, t' partie, p. aig
Rapprochez Iloucaute et Sache, p. 67, 81, et siiiv., 29G; Koucaute et Sache, j). i3(), i3i
note I, 302 el 208. et note a. — Ajoutons tjue, d'après plusieurs
'"' (]e baije royal nous parait ne faire qu un témoignages produits en 1 3 1 7, Astorg dt- Peyre,
avec le chef de Ja cour commune du roi et du que nous appellerons pins loin Astorg 1", fut
seigneur de Peyre. Il n'est pas surprenant qu'il inhumé au monastère de Chirac (Arch. de la Lo-
soil hostile à la puissante cour commune du zère, G8()i, vers la lin du registre),
roi et de révê(|ue. (*' Roucaulc et Sache, p. 89, n° xwxv.
'*' Boutaric, Acte/ du Parlement de Paris, '*' Voir, an sujet de ces conl«>stations, Arch.
, t. II, p. 57, n" 3587; Itoucaute et Sache, de la IjOzère,G ao, 783, 787, 837, 8G/1 (/«ccn-
p. 81, n° xxxxiii, I, p. 106, note i; Arch. lairc.t. I, p. 173, 180, i85); BouUric, Actes
de la Ix)zère, (i -jSi (Inventaire, t. I, p. 17a). du Parlement de Paris, t. II, p. 58, n° SSyG;
*'' Arch. de la Lozère, Inventaire, série K, Koocautc et Sache, p. v, 9a, gS, n° xxxxvii.
p. 1 35 ; 1)' B. P[runières], L'ancienne baronnie de ''* Arch. de la Lozère , G 33.
HIST. I.ITTÉR. XXXV. 4
26 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
tous les biens des Juifs du Gévaudan. L'évêque eût voulu, à l'occa-
sion de l'expulsion générale de 1 3o6, s'approprier le tout; mais le roi
exigea pour lui-même les deux tiers'*'.
Les préoccupations financières ont joué dans la vie de Guillaume
Durant un rôle énorme. H fit entendre à Philippe le Bel que le pariage
l'avait appauvri et obtint, assure-t-on, cette étrange promesse : le roi
ferait négocier auprès du souverain pontife l'octroi d'une rente de
cent livres à prélever au profit de l'évêque sur les prieurés du Gévau-
dan '-'. Cette requête fut-elle vraiment présentée à Clément V ? La
laveur ambitionnée fut-elle accordée.^ Nous ne sommes en mesure
de répondre ni à l'une ni à l'autre question. Mais nous constatons
que, en i3o6 et en l^oS, Clément V vint au secours du prélat en
lui accordant l'autorisation de réunir à la mense épiscopale, dont les
revenus étaient, au dire de l'évêque, extrêmement exigus, d'abord
quatre, puis deux paroisses de son diocèse'^'.
En dépit de difficultés, sans cesse renaissantes''^', le pariage de
Mende, maintes fois confirmé, se maintint cependant jusqu'à la fin
de l'ancien régime. La plus ancienne confirmation remonte à
Louis X et à l'année i3i5. En même temps que cette confirmation
du pariage, Mende obtint toute une série de ratifications de chartes
antérieures*^', dont la plus importante était celle du 2 3 mars i3o3,
qu'on a quelquefois qualifiée grande charte française*^'.
A ces vidimas ou confirmations se joignent deux chartes nouvelles,
datées de décembre 1 3 1 5. Ce sont des chartes de liberté, qui font pen-
dant à la charte aux Normands, à la charte aux Auvergnats, à la
<'' Outre son tiers, l'évêque obtint, hors Marvejols en iSaa (André, iii't/., p.go, note i).
part, la maison d'un Juif (le la ville de Mende, •'' Roucaule, La jormalion territoriale (la
qui était tout à fait à sa convenance. Sur les domaine royal en Gévaudan, p. 84-
Juifs en Gévaudan et sur les arrangements de ''' Reg. Cleni. V, ann. I, p. aSa, n° iSSa;
Guillaume avec Philippe le Bel, voir André, ann. III, p. 191, n° 3o48.
Notice snr les Juifs , dans Bulletin de la Société '*' Les efforts des seigneurs jwur obtenir la
d'agriculture. . . de la Lozère, 1872, t. XXIII, révocation du pariage de i3o7 sont fréquents
partie hist. , p. 85-90; Roucaute et Sache, au XV* siècle. Ils demeurèrent vains.
|). 53-56 et 116-118. La lettre de Philippe '*' Parmi lesquelles on peut citer deux
le Bel, que MM. Roucaute et Sache publient, chartes de saint Louis. Cf. Arch. de la Lozère,
p. 116-118, n" LViii, est datée : Anno mille- G ao; A. Artonne , Le mouvement de iSiU et
simo trecentesimo nono , mense aprilis. La fête de les chartes provinciales de 1315 (Paris, 191a),
Pâques tombait, en i3o9, le 3o mars; il y eut p. 88.
donc deux mois d'avril dans l'année i3o9 '*' ^rf/o/inanccs, t. I, p. 354. Pour les antres
(ancien stvie). L'expulsion ne fut pas com- chartes confirmées en 1 3 1 5, voir le détail dans
plèle, car il y avait encore quelques Juifs h Artonne, p. 85.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SA VIE. 27
charte aux Picards, à la charte aux Champenois, en un mot à toutes
les chartes que Louis X accorda aux alliés coalisés. Mais elles n'ont
rien d'original : elles ne sont autres que la charte aux Bourguignons
et Forésiens''' et la charte aux Languedociens'"^', en tant que ces deux
documents se peuvent appliquer aux habitants du Gévaudan, proul
se possnnt extendcre ad cosdein et ad eos pertuiere. Nous remarquons que
l'expédition de ces chartes est adressée à l'évèque de Mende, aux
autres personnes fl'Eglise et à leurs sujets; les féodaux laïques ne sont
pas visés dans ce salut initial''''. Le roi, se souvenant du pariage de
iSoy, dirigé contre l'aristocratie gévaudanaise, aurait-il voulu éviter
de lui accorder quelque apparence d'encouragement? Nous indiquons
cet aspect de la question, nous gardant de rien affirmer, car ces
bénéfices d'assimilation aux Bourguignons et aux Languedociens
furent accordés par Louis X à un très grand nombre d'évêques de
France, peut-être à tous, peut-être enfin dans les mêmes termes.
Le roi récompensait ainsi les prélats de l'octroi de la décime pour la
guerre de Flandre'*', dépendant (îuillaume Durant paraît avoir été,
en cette circonstance, plus généreusement traité que la plupart de
ses confrères: ce fut, en i3i5, pour f évoque de Mende, une vraie
pluie de faveurs et de libertés. Il avait besoin, pour maintenir son
pariage, de l'amitié solide du roi; il avait su se la ménager.
Le grand pariage de 1807 n'est pasle seul qui appartienne à notre
étude. Deux autres pariages doivent être ici mentionnés.
En i3ii, Guillaume Durant donnait pouvoir au préchantre et à
deux chanoines de Mende de traiter, avec les fondés de pouvoir du roi
(parmi lesquels Guillaume de Plaisians), d'un pariage pour diverses
localités appartenant soit à f église de Mende (Saint-Julien d'Ar-
paon et Fontanilles), soit au roi (Saint-Etienne-Vallée-Française)'^'.
En i3i5, Guillaume concluait encore avec le seigneur d'Alais un
'"' Disons, avec plus de précision, la deu- comme le prouve une lettre adressée le 20 aoùl
xième charte aux Bourguignon» ( Artonne, ifciJ., i3i4 par se» vicaires généraux aux barons,
p. iS?)- comtors, châtelains et autres nobles, feuda-
''' Disons, avec plu» de précision, la pre- taires de l'evéché , leur ordonnant de se rendre
mière charte aux Languedociens (Artonne, avec chevaux, cavaliers et fantassins armés,
p. i55). sous la bannière de l'église de Mende, ver»
''' Ordonnances, t. XI, p. 44o; Arch. de la Arras, pour la défense du royaume (Arch. de
Lozère, G 19. la Lozère, G 27, d'après l'Inventaire, t. I,
'•' Artonne, p. 85, 86, 88. L'évèque de p. 7).
Mende s'était distingué par son loyalisme, ''' Arch. de la Lozère, G 824-
28 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
partage, qui nous fait toucher du doij^t un état de la propriété au
moyen âge, très curieux et trop peu remarqué : nous voulons parler
de l'extrême fractionnement des droits de propriété et des droits
féodaux fonciers, fractionnement accompagné d'indivision persis-
tante. L'évê([ue de Mende et le seigneur d'Alais mettent en com-
mun, entre autres biens, des fractions de mouvances qui appar-
tenaient avant le traité au seul seigneur d'Alais : févêque commence
par acquérir, moyennant une somme d'argent, la moitié des droits
qui vont être l'objet du pariage ; une fois cette situation de proprié-
taire réalisée, il conclut le pariage. Nous notons, entre autres objets
de cette singulière association, deux parts de la moitié de la mou-
vance du château de Sueilhes'*', au diocèse de Nîmes, déduction faite
du tiers de cette moitié pour lequel fhommage est du au roi'-^. Nous
avons peine à comprendre pareil émiettement delà propriété féodale ;
il n'était pas rare cependant'''^
Très répandu, très actif, Guillaume avait évidemment de grands
besoius d'argent, et, tout naturellement, il faisait appel, comme on
l'a vu, à son fidèle clergé. Il avait cependant, à foccasion, quelques
ressources extérieures. C'est ainsi que, désigné en août i3o8 parle
pape Clément V pour prendre part à l'enquête dirigée contre les
Templiers, il se vit allouer une vacation journalière de douze florins
d'or à prendre sur les revenus de fOrdre''''. L'affaire des Templiers
l'occupa à plusieurs reprises. En i 3 i i , il était membre de la com-
mission chargée de réunir et de vérifier les comptes des administra-
teurs des biens de la milice du Temple'^'. On peut conjecturer qu'il
ne chicana pas sur l'attribution des douze florins par jour, dont nous
venons de parler. Cette affaire des Templiers valut à Guillaume des
animosités nouvelles, qui, s' ajoutant aux hostilités anciennes, parais-
sent l'avoir fortement ému. Une fois encore, il crut sa' vie menacée
'"'Comni. et cant. de Saint'>)ean-da-Gar(J , d'autres fractions de l'ractions ; il est l'ait men-
arr. d'Alais. tion notamment d'un arbre tenu en fief ( Arch.
'"' Arch. de la Lozère, G 7a, d'après Un- de la Lozère, G bb6).
ventaire. t. I, p. 18. ''' Reg. Clem. V, ann. III, p. 319, n" 353 1.
'"'Un exemple parmi bien d'autres : Guil- Cf. Micbelet, Procès des Templiers, t. I,
lanme de Fontanilles tenait de l'évêque de p. 285.
Mende le quart du château de FonUnilles; '*' Reg. Clem. V, ann. VI, p. l33,n° 6816.
Guillaume P.squirol tenait du même prélat la — Son nom reparait, en i3i5, à l'issue de
moitit- de la vingt-quatrième partie du même ce cmel et douloureux procès [ibid. , ann. VU,
château, sans parler d'autres vassaux pour p. yi, n° 7886).
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE 29
et, en juilfet i3ii, il obtint de Philippe le Bel l'autorisation de se
faire escorter jusqu'à la fin de l'année par quelques familiers armés ''^
Ainsi dans son Gévaudan, et même dans la France entière, l'évêque-
comte marchera précédé et suivi de gardes du corps.
Guillaume avait la confiance de la famille des vicomtes de Nai'-
bonne. Il régla, en qualité d'arbitre, un différend qui divisait le
vicomte Amauri il et son frère; sa sentence fut rendue, à Paris,
le 19 février i3io -'. Douze ans plus lard, en i32a, il jouait de
nouveau ce rôle (farbitre conciliateur, cette fois entre Amauri 11
et ses enfants '^'.
Pacilicateur, en i3io, de la famille des vicomtes de Narbonne,
Gmllaume Durant assista, un peu plus tard, au concile de Vienne;
il y fut accompagné par le prévôt et le préchantre de sa cathédrale et
par \in neveu, vraisemblablement le chanoine de Mende, qui portait
le même nom que lui et était versé dans l'étude du droit''"'. Avant la
réunion du concile, l'évêque de Mende avait écrit l'important ouvrage
par lequel sa mémoire devait être conservée à la postérité; c'est le
traité De modo celehrandi concilu (/enemlis. Comme on le verra par
fanalyse qui en sera donnée ci-dessous, l'auteur y démontrait la
nécessité d'une réforme de l'Eglise dans son chef et dans ses membres
et indif[uait les moyens de la réaliser.
Arrivé à Vienne, il essaya de répandre ses idées réformatrices et
de les faires triompher. Par quels moyens, nous l'ignorons; ce n'est
pas, en tout cas, par le mémoire intitulé Libellas de ivbns m con-
cilio definiendis, rédigé après la première session du concile, qui lui
a été autrefois imputé et qui certainement n'est pas son œuvre'^'.
Sous quelque forme que se soit produite son action, nous savons,
par une lettre de Jean XXII'®', écrite quelques années plus tard,
qu'elle parut de nature à provoquer un schisme. Ce danger
semble avoir été conjuré par l'intervention de Clément V; grâce à
l'entremise de négociateurs ofiicieux, l'évêque désavoua son livre et
obtint son pardon du pontife suprême. La réconciliation fut com-
'"' Roucaute et Sache, p. i35, n' lxxii. '*' Beg. Clem. V, ann. VII, p. 378, n° 8719.
''' Wégné, Ainauri II, vicomte de Narbonne, ''' Il est de Guillaume Le Maire ; voir cides-
p. 401-409, n° xviii. L'officialile de Pari» sous, p. i38.
homologue cet accord en i320 (ibid.,p. 428- '*' Lettre écrite en iSig à la reine Jeanne
432, n° xxiv). de France, dans Coulon, Lettres secrètes et
'^> Régné, ibid., p. a83 et 286. cuiiales de Jean XXll , t. I, n" 849.
30 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
plète; car nous pouvons constater qu'à l'issue du concile, l'évêque et
ses familiers eurent leur bonne part dans les faveurs que le Pape
distribua aux membres de rassemblée''^
En ces années i3i i-i3i2, qui sont celles du concile de Vienne,
Guillaume Durant fit dans son diocèse plusieurs fondations, que
nous devons mentionner. H fonda, en i3ii, à Marvejols une col-
légiale dite : « Collège des prêtres et des clercs de Notre-Dame de
Marvejols». Ces ecclésiastiques étaient chargés d'assurer des oHîces
réo^uliers ; tous devaient savoir lire ; aucun prêtre de mauvaise vie ne
pouvait être admis dans la communauté. Le document est daté de
Paris, en la maison de M' Guillaume de Cbanac (le texte dit Chant) ,
près Saint-Germain , i 2 janvier 1 3 1 1'"^', où habitait le prélat.
Le Speculator avait ordonné dans son testament la fondation
d'une chapellenie en l'église cathédrale de Mende et désigné à cet
efiet l'autel de saint Martin. Dès 1297, notre (Guillaume s'entendit
avec le chapitre pour la création et de cette chapellenie et d'une aulre
chapellenie à l'autel de saint Privât, dans la crypte. Le patronage de
ces deux chapellenies devait appartenir à Pierre Durant, du diocèse
de Béziers, frère de Guillaume. Cette fondation se transforme en
i3i 2 ; notre prélat, trouvant la crypte très obscure, fait construire à
ses bais dans l'intérieur de la cathédrale une chapelle assez spacieuse
en l'honneur de la sainte Vierge et de tous les saints; il y établit
quatre chapelains, chargés de prier Dieu pour l'àme de Guillaume
Durant l'ancien et pour ses parents. Une maison à Mende sera la rési-
dence des chapelains'^). Ce collège, dit de Toussaints, doit une rede-
vance au chapitre. L'acte que nous venons d'analyser fut passé à
Lyon, dans le monastère des Clarisses, où Guillaume résidait en ce
moment'*'.
Une troisième fondation , œuvre commune de l'évêque, du chapitre
et d'un prêtre de Mende, date aussi de i3i2. Elle a pour but d'as-
surer et de développer le service religieux de la grotte de saint
C Reg. Clcm. V, ann. VII, p. 278-280, tins, t. I, p. 76; André, Les évêqaes de Mende
n" 8719-8721 (lettres du 23 juin i3i3). pendant lexiv' sièele, dans Bulletin de la Soeiété
'*' Arch. de la Lozère, G 2247. d'agriculture... de la Lozère (1871), t. XXll,
("> D'après les frères de Sainte-Marthe, les 2° partie, p. 3). Quelques débris de ce collège
Bénédictins et F. André, la résidence des cha- des chapelains subsistent à Mende, rue Nolre-
pelains fut l'ancienne synagogue (Scévole et Dame. Le nom de cette rue en rappelle aussi le
Louis de Sainte-Marthe, Gallia christ., t. III, souvenir,
p. 73; nouvelle Galliu christ., par les Bénedic- ''' Arch. de la Lozère. G a38i et 2382.
ÉVÈQUK DE MENDE. — SA VIE. 31
Privât, qui jusque-là n'a eu qu'un seul chapelain. Il y en aura désor-
mais quatre; ces quatre chapelains du collège de Saint-Privat-
la-Pioche vivront eu communauté. Trois d'entre eux sont dotés par
l'évèque, le chapitre et le préchantre; le ([uatrième est doté par un
prêtre de Mende, appelé Pierre Frontut. Les quatre chapelains
furent installés dans un hâliment construit, au dire des historiens
de Mende, en i3 17 '''.
Nous rapprocherons de ces fondations divers actes qui témoignent
aussi (le 1 intérêt actif qufe Guillaume portait aux affaires du diocèse :
il unit plusieurs églises à la mense épiscopale, lit hàtir la chapelle
(le Rramonas "^' et l'église paroissiale du Villard''' , dota l'évêché de la
terre et seigneurie du Cheylard, nommé depuis Cheylard-l'Evêque'"'.
Après de longues contestations, il déclara, avec beaucoup de solen-
nité, soumis à la juridiction de l'évèque de Mende un couvent de reli-
gieuses bénédictines, relevant de l'abbaye de Saint- Jean-du-Buis
d'Aurillac, le prieuré du (^hambon'^'.
\ers la fin du règne de Phili|)pe le Bel, en janvier i3 i3, fut tenue
à Paris une réunion de prélats et de barons, où l'on délibéra sui- le
projet de croisade dont s'était occupé, l'année précédente, le concile
de Vienne. Guillaume Durant fut invité par lettre du roi, du 3o dé-
cembre 1 3 1 j , à se rendre à l'assemblée '*"'. C'est certainement à cette
occasion qu'il rédigea un mémoire dont il sera question ci-après'^'.
L'évèque de Mende était dans les meilleurs termes avec le roi.
La marque la plus frappante de cette bonne entente est peut-être une
lettre du 22 mars i3i4, par laquelle Philippe le Bel prescrivait le
dépôt, dans le trésor du chapitre de Mende, de tous les registres et
mémoires envoyés au Parlement par le sénéchal de Beaucaire, en sa
qualité de procureur du roi, au cours de l'interminable procès qui
aboutit au pariage de i3o7; ces mémoires devaient être réunis à
'■' Arch. de la Lozère, G a366; Félix Re- ''' Comm. de Balsièges, cant. de Mende.
niize, Saint Privât, martyr, évéqae du Gévaudan ''' Cant. de Chanac, arr. de Marvejols.
(Paris, 1910), p. SaS-.^ag. '*' Gant, de Chàtoauneuf-de-Randon, arr. de
D'une cliapclienie fondée à Saint-Sifirein de Mende. Art. cité, p. 32.
Carpentras il est dit dans des actes du moyen ''' Arch. de la Lozère, G 6^7 (acte de
af;c : « per Guillermum Durant, ut dicitur, l'un- iSoa). Cf. H 336 (Inventaire, p. 1 13).
• dntuin» (Bibl. d'Avignon, ms. 4aa3). De quel ''' Roucaute et Sache, p. i4ii n° lxxiv.
Guillaume Durant s'agit-il? ''' Voir p. 129.
32 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ceux que 1 evêque, partie adverse, adressait lui-même à la cour pour
défendre sa cause : 71 registres et 19 rouleaux du côté du sénéchal;
35 volumes et 48 rouleaux ou documents du coté de l'évêqi^e'''. L'un
des mémoires rédigés pour le compte de l'évêquc, mémoire con-
servé aux Archives de la Lozère, a été publié de nos jours, et nous
l'avons utilisé plus haut.
Entre Guillaume et Louis X ces bons rapports continuèrent.
En 1 3 1 5, l'évêque rejoignit à Arras l'armée royale, qui marchait contre
les Flamands '^^ Nous le trouvons, en 1 3 1 6 , siégeant aux Enquêtes et
en la Grand Chambre'^'. Sans doute, il avait déjà le titre de conseiller
du roi, que lui donnent explicitement des actes de 1 3 18 et de i32o''".
La conliance enfin qu'il inspirait à Philippe le Long lui valut l'hon-
neur déjouer un rôle dans la dernière phase des grands débats,
qui, à la mort de l'héritier posthume de Louis X, surgirent entre
Philippe et plusieurs grands leudataires au sujet du droit de suc-
cession à la couronne.
Au moment où nous rencontrons dans les documents de cette pé-
riode agitée le nom de Guillaume, la succession de Louis X n'est pas
encore pleinement et tranquillement assurée. Sans doute, le frère du
roi défunt, Philippe, comte de Poitiers, s'est déjà fait sacrer à Reims
(9 janvier iSi/]. Une assemblée de nobles, de prélats, de doc-
teurs de l'Université et de bourgeois notables réunie à Paris, en fé-
vrier 1 3 1 7, a approuvé et confirmé cette prise de possession, rejeté par
conséquent les réclamations de ceux qui revendiquent le trône pour
Jeanne, fille du feu roi Louis X. Enfin l'Université elle-même a
adhéré en corps. Philippe, très habile et très actif, a su gagner à sa
cause son frère Charles, comte de la Marche, et son oncle, Louis,
comte d'Evreux. Mais Eudes, duc de Bourgogne, frère de Marguerite,
première femme de Louis X, et, par conséquent, oncle de Jeanne,
Eudes, petit-fils de saint Louis par sa mère Agnès, Agnès elle-même,
duchesse douairière de Bourgogne, restent attachés à la cause de
Jeanne. Agnès a même lancé, le 10 avril i3i7, une protestation so-
lennelle, rédigée dans une assemblée tenue à Esnon, près de Joigny :
elle persiste à réclamer le trône pour la fille de Louis X. Les nobles
'■' HoucauteelSaché, p. iSy-iôS, n°LXXXlv. ''* Boutaric, t. Il, p. i43-i44.
''' Arcli. di' la Lozùre, G 1 30, d'après 17«- '*' (loulon, Lettres da pape Jean XXII,
ventaire, t. I, p. 37. n" 776 et 778; Arch. de la Lorère, G 783.
EVEQLE DE MENDE. — SA VIE. 33
de Champagne ont répondu nombreux à cet appel. Louis, comte de
Nevers et de Rethel , fds du comte de F"landre , a embrassé , lui aussi , la
cause de Jeanne. Tous ces opposants refusent de rendre hommage
au « comte de Poitiers » , c'est ainsi qu'ils persistent à qualifier celui
qui vient d'être sacré à Reims.
Pour venir à bout de ces adversaires, Philippe le Long mit en
œuvre plusieurs procédés. Il réduisit par les armes le comte de Nevers.
Au duc de Bourgogne il laissa entrevoir un mariage avec sa propre
fille, pourvue d'une très belle dot; leur nièce, la fille de Louis X,
épouserait Philippe, fils aîné de Louis d'Évreux. En même temps que
se poursuivaient ces pourparlers, le nouveau roi constituait un groupe
d'arbitres médiateurs, sur lequel il s'était ménagé la haute main et
dont la mission, d'allure à demi juridique, consistait à statuer sur la
question des hommages, autrement dit sur la question théorique des
droits de succession à la couronne.
C'est dans ce groupe, où se poursuivent des négociations très
actives et très pratiques, que nous rencontrons l'évêque de Mende.
En juillet iSiy, il est au nombre des seigneurs, ayant à leur tête
Louis, «fils de roi de France''^), comte d'Evreux, qui exposent à la
féodalité armée l'état des négociations et projets officiels d'arbitrage
entre le nouveau roi et ses adversaires, à savoir Eudes, duc de Bour-
gogne, Eudes, comte de Joigny, et plusieurs autres genldshommes
champenois. L'organisation de ce travail d'arbitrage officiel, qui couvre
des eflorts plus pratiques, est assez compliquée.
Le comte d'Evreux et ses acolytes, agissant au nom du roi et se
quaHfiantsesprocureurs, nous narrent eux-mêmes,au cours d'un exposé
général, comment Guillaume a pris place dans ce groupement dévoué
au roi. Ils ont désigné, disent-ils, quinze arbitres; à ces quinze ar-
bitres le roi, « de sa volonté et de son spécial commandement », en a
adjoint cinq autres, au nombre desquels le comte d'Evreux lui-même
et Guillaume Durant. Si l'un des vingt arbitres venait à être em-
pêché, le roi pourvoirait d'autorité à la vacance. La décision à
laquelle s'arrêteront ces vingt arbitres, ou quinze d'entre eux, sera
définitive et sans appel. Le duc Eudes et ses alliés s'obligent à ac-
cepter la sentence arbitrale. Cette sentence sera rendue avant la Noël
''' C'est la formule ofTicielIe. Le comte d'Évreux était fils de Philippe le Hardi et de Marie
de Brabant.
HIST. LITTÉB. XXXV. 5
5 ♦ ..p.,..,„ ..„„,...
34 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
de l'année iSiy ; d'ici là les deux parties en présence, à savoir le roi
et les alliés, observeront une trêve très rigoureuse.
Mais les arbitres n'ignorent pas qu'à côté d'eux le roi, se plaçant
sur un terrain tout autre que le droit de succession à la couronne,
travaille à sa manière et négocie. Il importe de laisser à son action la
liberté et les délais qui lui sont nécessaires, car une sentence intem-
pestive pourrait renverser l'édifice politique auquel il se consacre.
Voilà pourquoi lesdits arbitres se réservent avec grand soin le droit
d'ajourner leur décision : « lequel temps nous, ou les quinze de nous,
« pourrons eslogner une foiz ou pluseurs, selon ce que il nous samblera
«que sera à faire''^>. De fait, quand la Noël approcha, on ajourna
jusqu'à la fête de Pâques de Tannée suivante; cette dernière décision
est datée de Lorris-en-Gâtinais, i5 novembre iSiy '"^'. Les prévisions
que suppose cet ajournement à Pâques étaient justes, car les projets
de paix par voie de mariages, que nous indi(juions plus haut, furent
délinitivement arrêtés avant Pâques, le 27 mars i3i8. La mission
confiée aux arbitres s'évanouissait, par conséquent, d'elle-même,
comme ils l'avaient pressenti.
Parallèlement à l'affaire des hommages de Bourgogne et de Cham-
pagne, affaire d'ordre politique de la plus haute importance, s'était
posée pour Philippe le Long une question moins grave, mais délicate
à bien des égards, celle du douaire de la reine Clémence, veuve de
Louis X. Guillaume Durant fut mêlé à ces pourparlers; il est fun des
témoins du traité passé à Poissy, le if) août iSiy, par lequel furent
réglées certaines conditions de ce douaire : la clause la plus intéres-
sante en est peut-être celle par laquelle la reine Clémence cède au roi
sa maison de Vincennes, le roi lui abandonnant en échange, soit • la
« grant maison, qui fut du Temple, à la grant tour, vers Saint-Martin-
« des-Champs » , soit la « maison appelée Neele, sur la rivière de Seine ■>.
Dans cet acte, la reine (îlémence appelle le roi « noslre chier seigneur
«et frère»; le roi appelle la reine Clémence « nostre chiere dame et
Mseur^^'». L'accord de 1817 ne supprima pas d'ailleurs toutes les
''' Arci). nal. , J 3o6, Provins, n° 2. Ces nient de Philippe le Long, on peut lire : Paul
engagements forent pris à Melun, en juillet Viollet, //ufoiVp f/« institutions. .. de la France,
l3i7 (J 20/i, n° a). Cf. Coulon, t. I, n° aaS, t. II, p. 68-70; Lehugeur, Histoire de Phi-
note 3, et n° 869 , note 1. lippe le Long (Paris, 1897), p. 28-43 et 79-
<'' Arcli. nat. ,J aOi4.n° a. Sur les diiricultés io5.
et les contestations qui surgirent à lavène- ''' Arch. nat., J io3G, n° 7, et J io44.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 35
difficultés. En janvier i3i8. Ta (Faire du douaire n'était pas encore
terminée, et le pape, qui avait conféré à ce sujet avec les ambassa-
deurs du roi, parmi lesquels levêque de Mende, engageait la reine
Clémence à prendre patience ''^
Les démêlés de Philippe le Long avec les « alliés » et avec la reine
Clémence n'absorbaient pas toute l'activité et tous les instants de
Guillaume, car nous le voyons, précisément en l'année iSiy, jouer
ce même rôle d'arbitre entre Bernard VI d'Armagnac, les consuls et
habitants du bourg de Rodez, d'une part, l'évêque, le chapitre de
Rodez et les consuls de la cité, d'autre part. Le désaccord de Bernard
d'Armagnac et de l'évêque avait pris naissance vers 1 3 1 5 , à l'occasion
de la police des foires de Rodez. La querelle s'était ensuite développée
et aggravée. 11 y avait eu lutte à main armée, suivie d'excommuni-
cation lancée par l'évêque. Le 3i mars i3i7, Guillaume, assisté de
deux commissaires du roi et du sénéchal de Rouergue, rendit une
sentence arbitrale, qui établissait un pariage entre l'évêque et le comte.
Cette sentence assoupit momentanément le dillérend, mais les contes-
tations se renouvelèrent, et, en i325, Guillaume fut invité par le roi
à intervenir de nouveau pour régler certaines questions restées pen-
dantes. Le débat ne fut pas encore clos déhnitivement à cette date;
il devait renaître ultérieurement''^'.
Bien que l'évêque de Mende ait écrit, du temps de Clément V, le
fameux traité De modo celebrandi concilii , si cruel pour la cour de Rome ,
il ne parait pas, on l'a vu plus haut>^\ que le pape lui en ait, après la
dissolution du concile, témoigné du ressentiment; au contraire, il le
traita avec faveur.
Les relations de Guillaume Durant avec Jean XXII furent, comme
on le verra, plus mouvementées.
Ces relations commencent dès l'année i3i6, au lendemain de
l'élection du souverain pontife (7 août). À cette date, elles sont excel-
lentes. Le conseiller du roi, lequel est l'ami du pape'*', semble avoir
n° 22. Cf. Coulon, n" 233 et 36i, avec les abbé Guérard, Documents pontificaux- sur la
notes. Gascogne, Pontificat de Jean XXII (Paris,
''■ Coulon, Letties secrètes et curiales de '9o3), t. II, p. 26, note 3; Bibl. nat., ms.
Jean XXII, n° 476. fr. 2637, p. 6i3 et suiv.; Gallia christ., t. I,
'*' D.Wa\ssele, Histoire de Languedoc, t. IX, col 96.
p. 35i-352; Baron de Gaujal, Études histo- ''' P. 29 et 3o.
riques sur le Rouergue, t. II,p. i53-i57 et i63; '*' Sur les relations amicales de Jean XXII et
36 GCILLAUMI-: DURANT LE JEUNE,
lui-môme la confiance du pontife. En voici la preuve. L'archevêque
de Reims et son concile provincial ont entamé, puis délaissé, une
procédure criminelle contre levéque de Châlons, sur lequel pèsent
les plus graves accusations; en octobre i3i6, Jean XXII charge f ar-
chevêque de Cambrai, les évêques d'Amiens, de Mende et d'Arras de
poursuivre l'enquête, tout en maintenant sous bonne garde l'évêque
accusé'". Bien que le souverain pontife ait écrit à ces quatre prélats
de procéder SH/nmane et de piano, sine strepilii et figura judicii , l'afialre
traîna en longueur; l'année suivante, le pape la rappelait aux quatre
commissaires'"-', et, de nouveau, il les pressait de transmettre leurs
conclusions à la cour de Rome'^'. L'innocence du prélat fut finalement
reconnue'*'. Du reste, aux termes des lettres pontificales, la présence
de deux des quatre prélats suffisait pour que fenquête fût régulièic.
Nous ne pouvons donc affirmer que févêque de Mende ait pris à cette
affaire une part effective et personnelle. C'est même peu probable,
car en iSiy Guillaume faisait partie d'une ambassade solennelle
envoyée par Philippe le Long auprès de Jean XXII pour l'entretenir
de questions diverses : affaire de Flandre, demande de subsides,
règlemeiit du douaire de la reine Clémence, projet de croisade, enfin
projets d'érection d'archevêchés et d'évêchés, étudiés par le souverain
pontife et auxquels le roi ne se montrait pas très favorable'*'. L'évêque
de Mende partit pour Avignon en compagnie des évêques de Laoïi
et du Puy, des comtes de Clermont et de Forez, et du sire de SuUi.
Au commencement de f année i3i8, il était encore à la cour ponti-
ficale; nous apprenons par une lettre de Jean XXII, du 25 mars
i3i8, qu'il se disposait, vers cette date, à retourner à la cour de
France '*"'.
Les mêmes évêques de Laon, de Mende, du Puy, et les seigneurs
laïques ci-dessus nomrnés furent chargés par le roi de diverses mis-
-sions, qui rappellent, pour partie, les enquêtes ordonnées par saint
Louis, puisqu'ils avaient notamment pouvoir de réprimer les excès
de Philippe le Lonjj, voir Lehugeur, Histoire '^' Cf. Coulon , n° 33o, note a, et n° i'jS,
(le Philippe leLonif.p. 30o-ao4- note 7; Ilisl. lill. de la Fr., t. XXXIV, f>.àc)/i;
'"' MoUat, n' 1457. Lehugeur, ouvr. cité, p. ao/i 3o5. M. I.ehugcur,
''' ("oulon, n" 4 10. il est bon dVn faire la remarque, ne croit pas
''' Coulon, n° 5i6; MoUat, n° 0(565 (ai que Philippe le Long ait été hostile à ces de-
mars i3i8). membrements.
•'1 G allia christ. , f. IX, col. 800-801. '*' Coulon, n° 5a5.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 37
et abus imputables aux officiers royaux. C'est précisément lors du
voyage d'Avignon qu'ils jouèrent ce rôle d'enquêteurs réformateurs'^^.
Ils eurent occasion d'informer au sujet d'une plainte portée devant
eux ])ar l'évèque de Maguelone : plusieurs ofliciers royaux de la séné-
cliaussée de Beaucaire avaient outragé, violenté et même incarcéré,
les traitant de voleurs, un professeur de droit canonique à Montpel-
lier'"*, conseiller et familier de cet évêque, et quatre autres clercs, atta-
cliés à des tilres divers à la cour de l'évèque. Celui-ci demandait
justice. Les commissaires, ou plus exactement deux d'entre eux (les
autres ayant été retenus par diverses occupations) , adressèrent au roi
un rapport entièrement favorable à l'évèque de Maguelone. Le roi
transmit au Parlement le dossier de l'aflaire. Après que la cour eut
entendu contradictoirement les parties, Philippe envoya à son Par-
lement l'ordre de juger dans le sens indiqué par les commissaires,
et l'arrêt rendu le 9 juin i3i8 fut, en effet, très dur aux officiers
coupables ^^'.
Au mois d'avril i3i8, un accord solennel fut conclu, ])ar l'en-
tremise de l'évèque de Mende, entre la duchesse de Bretagne Isabelle
et son beau- frère Gui, pour mettre lin aux difficultés relatives à la
possession de la vicomte de Limoges'*'. Guillaume joua aussi un rôle
actif dans l'enquête relative à certaines accusations portées contre
Raoul de Pereaus; ce conseiller du roi était en butte à de conti-
nuelles attaques contre lesquelles Jean XXII chercha en vain à le
défendre'^*.
Au commencement de mai i3i8, diverses mesures, fort étranges,
prises par Jean XXII contribuent à nous faire sentir le crédit dont jouit
Guillaume, tout à la fois auprès du pape et auprès du roi. 11 s'agit de
dispenses de mariage demandées par Philippe le Long, qui veut unir
sa fdle Jeanne à Eudes, duc de Bourgogne, et sa nièce Jeanne, fdle de
Louis X, à Philippe, fils du comte d'Evreux : dispenses de parenté et
aussi dispenses d'âge, car la fille de Louis X n'a pas encore sept ans
''' L'affaire dont ii est question nous reporte qui aura bientôt sa notice dans notre ouvrage,
à l'aller et non au retour des commissaires, ''' Beugnol, Otini.t. III, a* partie, p. 1273-
car le sire de SuUi ne revint pas avec les 1375, n° liv; Boutaric, Actes du Parlement de
évoques de Laon et de Mende (Coulon, Pan'j, t. II, p. a44, n° 544o.
n° 5a5). '*' Coulon, n° 374, note a. Cf. GaWia c/irù(..
*'' Ce professeur n'était autre que Jesselin de t. I . col. 97.
Cassagne (His. litt. de la Fr. , t. XXXIV. p. 5 1 8). ^ Coulon , n" 554. Cf. n° 7a , note 1 .
38 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
et le fils du comte d'Evreux n'a pas quatorze ans accomplis. Cette
dispense d'âge embarrasse cruellement le souverain pontife, qui tient
à obliger son ami et allié le roi de France, mais auquel une commis-
sion de cardinaux, de théologiens et de canonistes a donné sur cette
question un avis nettement défavorable: pareille dispense serait con-
traire au droit naturel. Que faire .«^ Vraisemblablement le souvenir de
Philippe le Bel n'est pas étranger au désir très vif qu'exprime
Jean XXII de complaire au fds du redoutable adversaire de la pa-
pauté.
Le pape imagine donc, ou on imagine pour lui, une très curieuse
combinaison : deux lettres pontificales sont expédiées, qui toutes deux
accordent la dispense de parenté; en Tune des deux lettres il est ex-
pliqué que cette dispense est accordée en vue de contracter mariage
en âge de puberté; sur ce point l'autre lettre garde le silence. Permis-
sion est donnée au roi de se servir de l'exemplaire des lettres ponti-
ficales qui lui conviendra le mieux. En même temps, le pape donne
pouvoir à l'archevêque de Rouen, à l'évêque de Laon et à l'évêque de
Mende, ou à l'archevêque assisté d'un des deux évèques, d'accorder
toutes les dispenses qui leur paraîtront compatibles avec ce qui est
licite au pape et sied à sa dignité'*'. 11 était vraisemblable que le roi
choisirait la lettre pontificale où il n'était question que de la parenté
et n'était pas fait allusion à l'âge; pour cette dispense d'âge il devait
utiliser les pouvoirs généraux donnés aux trois prélats. Faut-il sup-
poser que, par ce procédé, le pape estimait libérer sa conscience et
charger celle des trois fondés de pouvoir du poids qui l'oppressai t.**
Que firent les trois prélats.^ Aucun texte ne fournit à cette question
de réponse directe. Mais il nous paraît aujourd'hui vraisemblable que
la décision des évêques vint opportunément compléter la lettre de dis-
pense où il n'était pas dit un mot de l'âge '^*, car les deux mariages
furent célébrés, ppr verba de prœsenti , le 1 8 juin 1 3 1 8 ''''.
Ces manœuvres di])lomatiques dans le domaine du droit naturel
et de la conscience ajoutent des traits assez inattendus aux physio-
nomies, d'apparence si énergique, des auteurs delà bulle Ëxsecrabilis
'"' Coulon , n" 576, 576, 577 et 579. plu» minulieuse de la situation nous ont fait
'*' Nous exprimions l'opinion contraire, dans changer d'avis.
YHtst. lin. de la Fr.. t. XXXIV, p. i3i. L'exa- <'' Cf. Lehugeur, ouvr. cit.-, p. lo'i; Hisl.
men plus attentif de» documents et l'analyse litt. de la Fr., t. XXXIV, p. iSg.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SA VIE. 39
el (lu traité De modo celehrandi concdii. Ils sont l'un et l'autre cuirassés
de fer. Mais, sous ce fer, que de mollesse, que de souplesse, parfois que
de duplicité! À qui la lit tout entière, la bulle Exsecrahdis elle-ménie
trahit déjà cette faiblesse de caractère''*. Quant à l'auteur du De mudo
celehrandi concdii, ce pur chrétien des premiers siècles et des grands
conciles œcuméniques, il oublie trop facilement certains préceptes de
morale chrétienne et même de morale naturelle. Aussi bien, les trois
évêques, auxquels le souverain pontile abandonnait tacitement le soin
de résoudre ce difficile problème de la dispense d'âge, purent facile-
ment découvrir dans les Décrétales de Grégoire IX un texte sauveur'"^'.
Pendant les premières années du pontifical de Jean XXII, jusqu'en
mai i3i8 inclusivement, les indices de rapports excellents entre le
souverain pontife et Guillaume Durant abondent. En mars i3i8, la
faveur dont jouit l'évêque est attestée par de nombreuses concessions
de ])rivilèges pour lui-même, el de bénéfices accordés, sur son inter-
vention*^', à ses parents et protégés*'', (l'est le résultat presque nécessaire
de la situation que le roi et le pape ont faite à notre prélat. Mais nous
touchons à des temps moins tranquilles. Cette phase nouvelle de la
carrière de Guillaume nous ramènera, pour êlre parfaitement enten-
due et comprise, et au pariage et au concile de Vienne.
Béraud VII de Mercœur, le plus opulent seigneur d'Auvergne, ne
relevait pour son château de Mercœur que de Dieu. 11 avait de nom-
breuses et belles possessions dans plusieurs autres provinces, en Bour-
bonnais , en Champagne , en Bourgogne, en Franche-Comté , en Lyon-
nais, en Forez, en Velay, en Rouergue et en Gévaudan, sans parler
de ses hôtels de Paris et de Lyon. Il fut, à dater de i3o4 environ,
connétable de Champagne. C'était un féodal actif et agité. Les affaires
de Gévaudan tiennent dans sa vie une place considérahle. Il avait, en
eifet, dans ce pays de grands intérêts : une partie de la vicomte de
'"' Cf. Hist. lilt. de la Fr., t. XXXIV, laume Durant dans sa mission auprès du saint-
p. iSa. siège.
''• \\\ u, Detlcsponsalioiie, ^. "' MoUat, n°' 6532 à 6536. Nous rele-
''* MoUat, n°' 6524 à 6537, 6552, 66o5, vons parmi ces lettres pontificales une nou-
66i2, 66i3 et 66i5. Il faut ajouter que le velle licence de tester (n" 6533). En mai i3i8,
registre des lettres communes de Jean XXII nous voyons encore une mission , fort délicate ,
atteste que des faveurs analogues ont été accor- confiée par le pape à Guillaume et à d'autres
dées à la même époque aux collègues de Guil- évêques (Coulon, n"* b-jb à 877 et 579).
40 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Gévaudan , dite de Grèzes, près de Marvejols, plusieurs chàteHenies et
domaines iui appartenaient.
Au temps de Guillaume Durant, les plus importants seigneurs du
pays de Marvejols étaient le roi et Béraud de Mercœiir. Mais qui
était en Gévaudan le suzerain de Béraud, le roi ou l'évéque? Long dé-
bat à ce sujet, on l'a vu plus haut, entre les deux puissances : débat
non seulement à l'endroit de Béraud de Mercœur, mais aussi à l'en-
droit de plusieurs autres féodaux. C'est aux dépens de celte noblesse
avide d'indépendance que fut conclu le pariage de iSoy.
Aux griefs que les gentilshommes invoquaient en commun contre
l'évéque de Mende, Béraud ajoutait un grief spécial : il avait, depuis
un certain temps, introduit la coutume d'Auvergne dans les terri-
toires possédés en Gévaudan par la maison de Mercœur'*'; or la cour
commune du roi et de l'évéque, dont le rôle en Gévaudan était
consacré par le pariage'''', voulait bannir la coutume d'Auvergne et
prétendait que les terres de Mercœur devaient abandonner cette
coutume et être régies par le droit romain. La contestation fut ter-
minée comme l'entendait la cour commune. Cette question et quel-
ques autres furent réglées par une transaction conclue dans le châ-
teau de Saint-Cirgues, près de Brioude, le '26 septembre i3i2, sous
réserve de l'approbation royale. Philippe le Bel approuva cet accord
par lettres-patentes, datées de Paris, au mois d'août i3i4'^'. La paix
ainsi établie entre les deux adversaires semblait si solide que Béraud
de Mercœur crut pouvoir faire de l'évéque un de ses exécuteurs testa-
mentaires, lorsque, le 26 mai i3i4, jour de la Pentecôte, il rédigea
son testament'*'. Peut-être cependant les vieux ressentiments sont-ils
seulement endormis jusqu'au jour où des circonstances favorables l«s
viendront réveiller. Ces circonstances se seraient-elles produites lors
d'un séjour prolongé de Béraud de Mercœur à la cour d'Avignon,
sous le pontificat de Jean XXll? Nous arrivons à ces événements.
Béraud, qui vraisemblablement avait eu certaines relations avec
''' Cf. Marcpllin Boudet, Béraad VII de <'' Aich. nat., JJ 5o, n" /jS: Roucaute et
Mercœur, dam Revue d'Auver<ine(\^oi)^t. XXI, Sache, Lettres de Philippe le Bel relatives au
p. 3, 110, ii5, 118, 120 et 265. pays de Gévaudan, p. i54, n" lxxxi, p. i6l
''' Cf. le texte du pariage dans G. de Burdin, et n° lxxxvi, p. aia; Chassaing, Spicilcgiuin
Documents historiques sur la province de Gévau- Brivatcnse , p. 380, n° io4; 0. Vaissete, Hisl.
dan, t. 1, p. 368-369 ; dans Roucaute et Saclié, de Languedoc, t. 1\, p. 296, note 1.
Lettres de Philippe le Bel rchttives au pays de '*' Baluze, Hist. de la maison d' Auvergne ,
Gévaudan, p. i8Â- *• IL P- ^^1- Cf. GaUia christ., t. I, col. 96.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. fa
Jacques Duèse, offrit, dit-on, à celui-ci, devenu Jean XXII, sa per-
sonne et son épée, lorsqu'au lendemain du couronnement le pape
crut sa vie menacée par un groupe hostile de conspirateurs"' Le
souverain pontife remercia Béraud et lui voua dès lors, en dépit
de divers incidents fâcheux, une vive sympathie. Sympathie solide
et durable, car, en i3i8, à l'heure où Philippe le Long, offensé par
Beraud de Mercœur, procédait contre celui-ci les armes à la main
Béraud trouva un refuge à la cour d'Avignon'^). Le paj)e s'intéressa
vivement a son protégé et écrivit au roi de France lettres sur lettres
en laveur de Mercœur.
Vers le même temps, la cour d'Avignon était saisie de plaintes
nombreuses contre Guillaume Durant. Celui-ci dut, en effet, en
i3i8, faire tête à un assaut d'accusations: accusations en Gévaudan
accusations en Avignon. En Gévaudan, c'est le baile de Marve-
jois, probablement un vieux titulaire, mi-parti officier royal mi-
parti officier des de Peyre, magistrat amoindri depuis la cr^tion do
la cour commune instituée par le traité de pariage, qui fait courir,
assure-t-on, de très méchants bruits sur le compte de l'évéque • en
présence de personnes honorables, il a dit, entre autres choses que le
prélat avait à son service ou entretenait des brigands et des assassins •
qu il avait a force de pressurer le peuple, réduit à la prostitution une
centaine de femmes f^). Ce médisant baile, qui avait proféré bien d'au-
tres injures, fut cité à comparaître par-devant le lieutenant du séné-
clial de Beaucaire. 11 fit piteuse mine en justice, niant les propos qui
lui étaient attribués , se soumettant d'ailleurs humblement à tous ordirs
et injonctions qu'il plairait à l'évéque de lui dicter^*'. De ces hostilités
gévaudanaises nous ne savons directement nulb; autre chose. Mais nous
ne devons pas oublier qu'en 1 3 1 8 les mécontents, ligueurs de la veille
s agitaient encore en France sur bien des points, notamment en Au-
vergne. En Gévaudan, l'heure dut sembler favorable à tous ceux qui
en i3o4, puis en i3o8-i3o9, s'étaient levés contre l'évéque. On sent
que le baiIe de Marvejols n'est pas une voix isolée; il représente tout
de l /t:;':'xXXW p '/os'''- '' ''"• '"'• • I^^J."'-.'^'--' !^'^- <lo.i„u,. episco,,u,„
m M II n j'. % r o ^ "fecisse in diocesi Mimalensi..
Marcelhn Boudet p. ^S-5,j6. <») Arch. do la Lozère. G 783. Sur les difli-
) Nous v.,ons celle phrase : . ac eliam cen- cultes intérieures que trouvait à ce mom t
.IZnTZT '''' '" P'-" """f "•"• '''^^^'J"« ^'''- -" dio--. voir auss G .sT
•rafone exact.onum quas dictus 800, d'après VInvenlaire. t. J, p 3, et i^S
HIST. LITTER. XXXV.
6
42 GUILLAUME DURANT LR JEUNE,
mi courant hostile. Peut-être le lecteur n'a-t-il pas oublié qu'en i.îo8
le lieutenant du baile royal était, en ce même Marvejols, chef
(r(''meute''*. La vieille jui,^erie de cette ville était certainement un centre
d'opposition au paiiage.
Du Gévaudan nous nous transportons en Avignon où, comme on l'a
vu, s'est rélugié ])rès du pape le plus important des 0j)posants de
i3o8, Béraud de Mercœur. Des accusations contre l'évêque sont
arrivées jusqu'au souverain pontife. Mais Guillaume, évidemment
inquiet, a saisi de l'alTaire le roi et la reine de France : il a demandé
et obtenu leur intervention. Le roi, considérant comme un crime de
lèse-majesté qu'on accusât ainsi un de ses conseillers, l'a pris de très
haut et a demandé des explications. Très noblement, Jean XXII jus-
tifie sa conduite. Une coriespondance s'engage alors entre le roi et
la reine, d'une part, le pape, d'autre part; mais seules les lettres du
pape nous sont parvenues; nous les résumerons brièvement. Les
plaintes contre Guillaume datent déjà d'assez loin; elles remontent
à plus de huit mois, écrit le pape, le i3 décembre i3i8'-'. Au début,
on s'occupa de l'alîaire en consistoire secret. Mais la divulgation des
faits allégués lut telle qu'il devint impossible de continuer cette infor-
mation occulte; une procédure en règle s'imposait. Les témoins en-
tendus sont au-dessus de toute suspicion : ce sont des cardinaux, des
évèepies, des abbés, des religieux, notamment des Mineurs et des Bé-
nédictins, des chanoines séculiers et des curés, enfin des laïques en
petit nombre, mais nobles, jmiici, sed nobdes'^K On sait, en effet, qu'en
<jévaudan les principaux adversaires de Guillaume étaient des gen-
tilshommes, sur lesquels pesait lourdement le pariage de iSoy.
L'enquête est conduite par deux cardinaux, les ]irocureurs de (îuil-
laume ont communication de toutes les accusations; en un mot la
liberté de la défense est assurée **'.
Mais quel est le principal instigateur de ce procès intenté en cour
dd Rome à un conseiller du roi, qui jouit de toute la confiance de son
maître.^ Ceux qui connaissent l'état des relations de Guillaume et de
Béraud de Mercœur, et qui, déplus, savent Béraud en cour d'Avignon,
où il est le protégé et comme l'ami du pontife, nomment le seigneur de
''' Arrh. de la Lozère , itiW. Cf. ci-dessus, p. a5. — '*' Coulon, n" 776 et 778. Le 10 avril iSig,
le pape dit que les plaintes reçues remontent à plus d'un an (n° 85o). — *'' Coulon, n°' 776 et
84q. — '*' Coulon, n" 85o.
KVÈQUE DE MENDE. — SA \IE. 'i3
Meicœur. Philippe adopte celte opinion , très fermement , semble-t-il , et
(lési|^ne au souverain pontife Béraud de Mercœur comme le calomnia-
teur (le févêque. Le pape proteste : il n'a point agi ad mstantiam uohiUs
vin Beramh^^\ Nous croyons Jean XXII sur parole, sans rejeter abso-
lument pour cela les conjectures de ceux qui estiment que l'inlassable
Mercœur s'efforçait à noircir l'auteur du pariagc de iSoy. C'est chose
très vraisemblable*^', c'est aussi chose incertaine. Quant au pape, il
n'a pas besoin des incitations de ce grand seigneur pour entamer le
procès de l'évêque; il est régulièrement saisi de l'affaire par d'auties
plaignants, moins compromettants, car ils ne sont point en lutte avec
le puissant roi de France. Il a, d'ailleurs, comme pontife suprême,
contre Guillaume Durant des griefs autrement graves que ces accu-
sations du dehors. Jean XXII nomme une seule partie plaignante,
l'église de Rodez, à laquelle Guillaume, en qualité d'arbitre, avait,
en iSiy, imposé un pariage et qui, sans nul doute, se disait lésée '^'.
Suivant toute vraisemblance, nous pouvons ajouter Astorg de Peyre,
qui, lui aussi, était en instance à lîome*'**. Mais que pèsent les griefs
de l'église de Rodez, de la famille de Peyre '^' et de tous ceux qui se
disent lésés par le pariage, en regard de la conduite de Guillaume
au concile de Vienne, en regard du libelle qu'il écrivit contre Rome
et qu'il eut l'audace d'offrir à Clément V [cum linmililate apparenti) ? Il
poursuit , d'ailleurs, contre l'évêque de Rome cette guerre, commencée
au concile''''. Tels sont, quant au procès de Guillaume, les traits que
nous fournissent les lettres de Jean XXII*''.
11 semble que le roi de France réussit finalement à éteindre
l'affaire. Succès diplomatique, bien digne du fds et successeur
de celui qui, après avoir outragé Roniface vivant, parvint à faire
ouvrir contre Boniface mort le grand procès d'hérésie. À la vérité,
un autre prince pourrait bien, comme on le verra, avoir contribué lui
'"' Coulon, n°" 776 et 778. — Rien dans ode chose qui le touchoit, nul de ses anemis
les lettres citées par M. Haller {Papsttum iind «ni fust appelez ne oïzi.
kirchcnreform. Berlin, 1 goS , t. 1 , p. 58) ne ''' Coulon, n° 85o.
permet de penser que Guillaume Durant ait <*' Arch. de la Lozère, G 892, art. xill.
été emprisonné à Avignon. l'' Sur la lutte, eni3i8, de Richard de Pe^re
''' Marcellin Boudet, dans Revue d'Auveryne et ses amis contre Guillaume, voir Arch.de la
1906), t. XXII, p. i63. — M. Boudet, en dé- Lozère,G895, d'aprèsl7Huen<aire, t. I,p. 190
crivant une comparution solennelle de Béraud <'' Coulon, n° 849-
devant le roi en iSig, signale ce passage de *'' Voir encore les mentions dans Coulon,
sa déclaration: • suppliant que, au Conseil, n"" 8G1, 914 et 915.
6
44 GUlIXAUiVIE DURANT LE JEUNE,
aussi à cet heureux résultat. Si nous ne nous abusons, cette procédure
en cour de Rome avait, à i'origine, profondément ému l'évéque de
Mende, qui voyait renaître contre lui une coalition redoutable. Il
semble avoir ébauché un plan de conduite qui rappelle celui qu'il
avait très heureusement réalisé en i3o5 et qui consistait à fuir la tète
haute. En i3o5, Guillaume, ne povivant rester à Mende, s'était fait
donner une mission en Italie, mission des plus honorables. Vers i 3 i 8,
il songea à se faire attribuer une mission ou légation pour la croi-
sade projetée [JegaUo uhramarnu passafiii), probablement une légation
pacifique et religieuse, qui correspondrait assez bien à certaines vues
émises par lui-même dans un mémoire dont il sera question ci-
après; mais il abandonna très vite ce projet. On semble lui avoir
prêté aussi, vers ce temps, le désir d'obtenir le patriarcliat de Jéru-
salem, ambition irréalisable, car le patriarche n'avait point passe de
vie à trépas'''. Guillaume finira douze ans plus tard sur ce cbemin
de l'Orient latin qui déjà l'attire. Il ne sera janiais patriarche de
Jérusalem; mais il fera ce grand et dernier voyag(> en compagnie du
patriarche.
Béraud de Mercœur, amoindri et humilié en Gévaudan par (îuil-
laume Durant, n'était point pourtant du nombre de ces conspira-
teurs qui, en i3o4, avaient rêvé d'écarter le pariage, déjcà menaçant,
en assassinant l'évéque, et auxquels ce dernier avait voué solennel-
lement, le 23 octobre i3o4, une haine sans merci. Par contre, la
famille de Peyre, à laquelle nous arrivons, était, on s'en souvient,
lame de ce complot. Les de Peyre et leurs amis étaient de riches
seigneurs'-', en sorte que cette haine vigoureuse, accompagnée
d'une déclaration de commise ou confiscation, se manifestait par
une tentative de mainmise sur un grand nombre de domaines ou
fiefs du (lévaudan ''*. Quelle passion l'emporta ce jour-là en l'àme
agitée et complexe de Guillaume, aussi fougueux qu'avisé, la haine
ou la convoitise? Nous pouvons suivre, au travers des pièces d'ar-
chives jKirvenues jusqu'à nous, non certes l'accomplissement inté-
gral du serment prêté par l'évéque, mais de persévérants elforts pour
'■' Coulon, n° 76a. t. XXVII, a' partie, p. i85, 186 el 197; Arch.
''' Voir, à ce sujet, B. P[runières], L'an- de la Lozère, H i46, d'après V Inventaire,
tienne haronnie de Peyre , àam Bulletin de la p.6&.
Société' d'agricnltare , ...de la Lozère (1866], ''" B. P[runièresl. l'iit/., p. 160.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 45
y parvenir. Cette enquête, qui nous conduira jusqu'aux années i328-
1 3 29, va faire passer de nouveau sous nos yeux les noms connus du
prieur Aldebert, d'Astor<ç et de Richard de Peyre. C'est au regard
(lu seul Aldebert que le complot de i3o4 fournit une base avouée
d'accusation. Contre Astorg et Richard il fallut trouver d'autres
griels. Guillaume en rechercha avec obstination; il avait d'ailleurs,
dans sa déclaration de i3o4, prévu la nécessité de ces détours'"'.'
Aldebert se présente le premier dans l'ordre chronologique des do-
cuments. Il ne semble pas, nous l'avons dit plus haut, que ce prieur
d'Isi^agnac, principal représentant de la branche cadette des de Peyre,
ait été nommé par l'évèque lors du serment solennel du 2 3 octobre
i3o4. Mais ni le prieuré, ni Aldebert ne furent un moment oubliés.
Le |)ariage d'ispagnac devait être, comme on l'a vu, adroitement
annihilé par le grand pariage de i3o7. Quant à Aldebert lui-même,
les premiers soins du prélat, avant son départ pour l'Italie, en août i3o5,
lui furent consacrés. D'une part, Guillaume dénonça Aldebert au roi,
avec les autres conspirateurs, et Philippe donna à tous ses olhciers de
Reaucaire, Rodez, Auvergne et Velay l'ordre de livrer à l'évèque, s'ils
en étaient requis par le prélat, Aldebert et tous les clercs qui tombe-
raient entre leurs mains (lettre du roi, du 24 juin i3o5)'''. D'autre
part, écrivant, le 26 mars i3o5, à M*" Etienne de Suisi, prêtre,
archidiacre de Rruges, lequel devait peu après être créé cardinal
(i5 décembre i3o5)'^\ Guillaume déclarait le prieuré d'ispagnac
vacant en droit, bien qu'occupé de fait, mais indûment, par
Aldebert, et l'offrait audit M" Etienne, assez puissant j)our y faire
régner le bon ordre et la paix'*'. Très vite, en effet, le cardinal Etienne
devint titulaire du prieuré : une reconnaissance féodale concernant
un terroir des environs de la ville de Mende est reçue par son
procureur en i3o7'^'. A la vérité, cet acte isolé ne suffirait pas à
prouver, une prise de possession sérieuse, complète et définitive;
mais nous avons, à cet égard, d'autres indications probantes'®'. Poli-
tique habile, Guillaume Durant a voulu se débarrasser d'un ennemi
'"' 0 Ratione conspirationis facte..., vel '*' Arch. de la Lozère, II l4i-
< quacumqiie alia causa > (Arch. de la Lozère , '*' Ibid.. H i46, d'après l'Inventaire,
G i55, loi. 121 v°). p. 54-
''' Roucaule et Sache, p. 43, n° xxii. ''' Cf. André, Ispagnac et son prieuré, notice
''' Eubel, Hierarchia catliolica medii œvi, historique, dans Annuaire. .. de la Lozère, 18"] ^
3° édil. (1913), p. 4i. (43' année), partie hist., p. 1 i-ia.
46 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
dangereux, qu'il avait sur ses terres et qui ne pouvait tolérer les
atteintes portées à la situation et à l'autorité du prieuré d'ispagnac,
patrimoine quasi familial; il a voulu lui substituer un ami très haut
placé, abondamment pourvu par ailleurs, vivant au loin, et dont il
a su faire, par le don d'Ispagnac, son obligé. Suivant toute vrai-
semblance, le cardinal Etienne s'inquiétera fort peu des affaires du
prieuré et de la splendeur passée d'un bénéfice dont il ne sentira
point la déchéance.
La lutte contre les divers membres de la famille de Peyre, annoncée
en i3o4 par l'évêque de Mende, n'eut point, nous favons laissé en-
tendre, un caractère uniforme. Guillaume Durant prit conseil des
circonstances. Au surplus, ce fut une guerre longue et opiniâtre, et
qui reste pour nous enveloppée de certaines obscurités. On plaida vn
Parlement'" et jusqu'en cour de Rome'^*.
Les débats avec la branche aînée, à laquelle nous arrivons, se rat-
tachent originairement àl'alfaire du pariage de i3o7,si dommageable
pour cette branche, au regard notamment de ses droits à Marvejols'^'.
Son pariage avec le roi était étouffé à Marvcjols, comme celui des ca-
dets fêtait à Ispagnac. Mais le grief qui joua, en fait, le principal rùle
est assurément fort inattendu : il s'agit de la non-exécution, ou plutôt
de fexécution incomplète, du testament d'Astorg de Peyre, daté de
l'an i3o2. C'est ce testament qui fournit à févêque foccasion d'une
grande lutte. Astorg avait fait divers legs et avait muni l'expression
de ses volontés dernières de cette clause pénale : au cas où ces legs ne
seraient pas délivrés, 5oo marcs d'argent devront être versés au roi
de France'*'. Or les legs ne furent pas, assura-t-on, entièrement ac-
quittés. Les Astorg se trouvaient donc astreints au payement d'une
grosse amende. C'est cette seconde affaire qui mit le plus sérieuse-
ment aux prises les deux adversaires, Astorg et Guillaume. Guillaume
pouvait ici entrer en scène, car, depuis la conclusion du pariage, les
intérêts du roi et ceux de févêque se trouvaient confondus. Telle était
du moins la prétention de févêque de Mende.
Pour résumer brièvement ces longs débats, nous appellerons le
testateur Astorg \" et son successeur immédiat Astorg II. Ce suc-
'■' Rouraute et Sache, p. i3o, n° lxviii. — ''' Arch. de la Lozère, G 892. — ''* Astorg
provoqua lui-même ce débat judiciaire. — '*' Arch. de la Lozère, G 891 (voir notamment le
petit résumé final du notaire du roi) et G 894.
EVEQLE DE MENDE. — SA VIE. 47
cesseur n'ayant pas exécuté le testament clans le délai qui lui avait été
imparti, les commissaires du roi le condamnèrentàune amende, non
plus de 5oo marcs, mais de io,5oo marcs d'argent au profit de Phi-
Ii|)pe le Long et de l'évêque de Mende^'l L'exécution de cette sentence
fut cruelle aux de Peyre : plusieurs châteaux et villages appartenant
à Astorg 111, successeur d'Astorg II, tombèrent aux mains du roi et
de févc(pie. Alors la maison de Peyre put croire arrivée fheure de
la commise générale déclarée par Guillaume en i3o4. Le chef de la
famille, en détresse, implora, suppliant et pressant, la pitié du roi'-',
11 fui entendu; le Parlement, saisi de l'alfaire. se prononça contre
l'évêque, et le procureur du roi annula tout ce qui avait été fait depuis
la mort d'Astorg t\ condamna l'évêque à restituer les revenus touchés
de|)uis sept ansel à verser 2,000 livres tournois à litre de dommages-
intérêts, du chef des détériorations subies par les immeubles saisis'^'.
Contre cet arrêt Guillaume s'éleva vivement, le roi ne pouvant,
disail-il, faire 1 émise d'une amende qui, en vertu du pariage, doit
profiter également au roi et à l'évêque''''.
Sur ce, Charles le Bel intervint à titre de paciilcateur : désirant,
proclama-t-il, ramènera la concorde les parties adverses et éviter les
scandales que pouvaient faire naître rancœurs et discords, il avait
Fait savoir à Guillaume el à Astorg (pi'il souhaitait être librement
choisi par eux comme arbitre du dillérend, proposition que le sire
de Peyre et l'évêque avaient acceptée. Le roi chargea donc le chan-
celier Jean Cerchemont de statuer en son nom; celui-ci fit remise à
Astorg de toute j)eine pécuniaire encourue au profit de la Couronne,
el le roi confirma cette sentence (juillet iSaG)'^'. Au demeurant,
dira-t-on, si tous les biens d'Astorg de Peyre ne tombèrent pas en
commise, comme l'eût voulu Guillaume en i3o4, il en saisit du moins
et en garda une ])artie; en effet, la sentence arbitrale de Charles IV
<'' Arch. do la Lo/.ère, G 89^; Arch. nat., voir Tessereau, Histoire chronologique de la
JJ 64, loi. i5o, n" 3o2. grande Chancellerie (Paris, 1710), t. I, p. i 3,
'I' Arch. de la Lozère, G 894. où ce grand olTicier est appelé Jean de Cer-
''' Cf. Arch.nat., X'-ô, fol. 4i8r°el v'(ana- cheniont; dans G 8()4, nous lisons . Johannes
lyse dans Boularic, Actes du Parlement , t. Il, Cerchemont». M. L. Perrichet {La grande
p. 599, n" 7G90). Chancellerie de France, des origines à 1328. Paris,
I*' Arch. de la Lozère, G 893 (nombreux 1913, p. 535) adopte la forme de Cerchemont;
mémoires en faveur de l'evèque). la particule n'est pas justiliée, car Cherche-
''' Arch. de la Lozère, G 894; Arch. nat., mont est un sobriquet et non pas un nom de
JJ 64, fol i5o, n° 3o2. Sur Jean Cerchemont, lieu.
48 GUILLAUME DURANT LK JEUNE,
comporte annulation de l'arrêt du Parlement; ce que Guillaume dé-
tient reste donc de bonne prise. Le roi ne rend que sa part du butin ;
il ne dessaisit pas l'évêque et celui-ci n'est condamné ni à restitution
ni à dommages-intérêts. C'est du moins ce que nous supposons; mais
cette interprétation n'est-elle point trop favorable à l'évêque? Le texte
est à double entente, et prudemment nous nous garderons ici de rien
affirmer.
Nous arrivons à Riciiard de Peyre, nommé par Guillaume en i3o4
et jamais oublié. Sur l'action énergique exercée par l'évêque contre
ce Richard de Peyre nous ne possédons que des renseignements frag-
mentaires. Nous les résumerons suivant l'ordre chronologique. C'est
en i3i2 que la lutte se dessine clairement à nos yeux. Gomment
s'ouvre-t-elle.-^ Par une gigantesque accusation de faux, faux aussi
nombreux qu'audacieux, qui auraient été fabriqués, à finstigation
de Richard et de son fils Richardon, et à leur profit, au détriment de
l'évêque. L'acte qui nous révèle ce scandale ajoute les détails les plus
minutieux. Guillaume affectant de se montrer très miséricordieux,
l'affaire se termine ou semble se terminer en i3i3 (27 avril) par la
promesse d'une grosse indemnité (800 livres tournois) , qui sera versée
par Richard et son fils'"'. N'est-ce pas au cours de cette affaire que
Richard de Peyre fut incarcéré, comme on l'a vu, au Chàtelet de
Paris.^ Il fut mis en liberté sous caution en cette même année i3i3
(23 avril) *^', mise en liberté qui ressemble à un ajournement indé-
fini. Des crimes de faux nous n'entendons plus parler; le silence a
été acheté 800 livres.
Cependant l'évêque n'oubliait pas ses ennemis, et les ennemis de
l'évêque n'oubliaient ])as l'évêque. Richard fut de nouveau indirecte-
ment mis en cause : son fils, Richardon , avait, prétendait-on , en compa-
gnie de complices, maltraité plusieurs officiers ou serviteurs dupvélat.
Une lettre du roi, de l'année i3i8, est relative à cette affaire'^'. Peu
après le père et le fils furent accusés f un et Tautre nominativement''*'.
N'est-ce point le même incident que vise, en termes un peu différents,
'"' Arcli. de la Lozère , G 41)3, n°' anciens 4 porte Tancien n° 2g. L'inventaire de la série G ,
et 36. t. I, p. 190, semble attribuer ce méfait a Ri-
''' Arch. nat., X''i (analyse dans Boutaric, cliard liii-mênip ; il s'agit, dans celte première
l. 1 1 , |). 1 09, n' 4 1 3 1 ). pièce , de Richardon , iils de Richard.
*'' Arch. de la Lozère, G 896, pièce qui '*' Ihid. , pièce qui porte l'ancien n° 106.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 49
un arrêt du Parlement de i^ib? Dans ce dernier document il n'est
plus question de serviteurs maltraités, mais vaguement de propos in-
jurieux et ditTamatoires, de félonies diverses. Quant au but pratique
que poursuit révèque,il reste en parfaite harmonie avec le serment
de i3o4 : il s'agit toujours de confiscation; le prélat voudrait confis-
quer la moitié du château de Servières, appartenant à Richard, la
part de propriété du même seigneur dans le château de Rochebelot,
le château de Ghanac et autres domaines. L'affaire a été portée
devant la cour commune du Gévaudan, qui a été récusée; mais,
cette récusation n'ayant pas été admise par le juge commun*",
Richard a interjeté appel au Parlement. Celui-ci, par arrêt du i5 fé-
vrier iSaô, décida que des commissaires enquêteurs seraient envoyés
en Gévaudan'^'.
Sur ce premier débat s'en greffait un second : un certain emplace-
ment [platea vocata de Terjiila) faisait-il ou non partie de la moitié du
château de Servières ajq^artenant à Ricfiard.!^ Là dessus contestations,
l^roduction de témoins, qu'on accusa d'avoir été subornés par Richar-
don. Sur ces entrefaites, Richardon vint à mourir; à la suite de cette
moit, le Parlement décida, par un nouvel arrêt daté du même jour,
qu'il ne serait tenu aucun compte de l'enquête relative à la subor-
nation de témoins '■*'.
Mais nous ne suivrons pas dans toutes leurs ramifications ces inter-
minables procédures, qui se compliquent sans cesse d'incidents nou-
veaux. Nous devons pourtant relever un jugement de la cour com-
mune du Gévaudan condamnant Richard de Peyre à une amende
de 600 livres tournois; ce jugement fut suivi de recours et d'appels
singulièrement midtipliés. Nos renseignements prennent fin avec un
troisième arrêt du Parlement de Paris, du i5 février iS'iô, qui or-
donn'fe lui aussi l'envoi sur les lieux de commissaires désignés par la
cour; ceux-ci reprendront fétude du procès à partir d'une certaine
''' La récusation admise entraînait tout sim- de Beaucaire ; autant vaut se présenter tout de
plement radjonction d'un prudhomme désigné suite devant le Parlement,
parle sénéchal de Beaucaire et par Tévèque '*' Arch. nat. , .\.'°5, fol. 446 r° (analyse
(ci-dessus, p. aa). Il est probable que les deux dans BouLiric, t. II, p. Gi i, n* 7787). — On
parties sont d'accord pour éviter cette compli- peut voir des détails curieux sur un des inci-
cation, qui retarderait foule la procédure; car dents dans G 896 (anc. 197) des Arch. de la
l'arrêt de la cour, quel qu'il soit , serait porté de- Lozère.
vant le juge d'appeaux, et du juge d'appeaux on ''' Arch. nat. , X'"5, fol. 446 r° et v° (analyse
irait soit en Parlement, soit devant le sénéchal dans Boutaric, t. II , p. 61 1, n° 7788).
HIST. LITTÉR. XXXV. 7
50 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
phase, précisée dans l'arrêt, et transmettront à la cour le résultat de
leur enquête'". Richard de Peyre acquitta-t-il finalement ces 600 livres
d'amende'^'? Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette
question.
Une affaire plus intéressante, où la personnalité de Guillaume va se
dégager sous nos yeux très nettement, appartient, elle aussi, à l'histoire
des luttes entre Guillaume et Richard de Peyre, si toutefois nous sai-
sissons le sens vrai d'une phrase de Guillaume Durant, aussi vague
qu'énergique. Il nous laut auparavant dire ici quelques mots d'une
institution féodale, fort curieuse, qui existait en Gévaudan. Le château
de la Garde-Guérin'^' commandait, sur les confins du Gévaudan et du
Vi\arais, une route très fréquentée, d'origine romaine, la célèbre
•1 Régourdane »,'''' qui reliait Nîmes à l'Auvergne. Les gentilhommes
auxquels appartenait en commun cette seigneurie — on les nom-
mait les II pariers i> de la Garde-Guérin, — constituaient dans ces
r'gions montagneuses, favorables aux entreprises des brigands,
une sorte.de milice policière, chargée d'assurer le bon ordre.
Ils se partageaient les revenus de la seigneurie ; le « péage » et
le «guidage», droits destinés théoriquement à assurer la vial)ilité
et la sûreté de la route, formaient le plus clair de ces revenus ''.
Les jiareries étaient aliénables, ou plutôt partiellement aliénables;
l'acquéreur, en ellet, ne jouissait que d'une fraction des revenus
communs, notamment du péage, le sur|)lus des revenus faisant
retoui" à la communauté. La fraction ainsi aliénée était dite pareiie
moVle'"'. La communauté des seigneurs pariers relevait de l'évèque
de Mende '^'. Ses statuts étaient promulgués soit par l'évèque,
soit par son délégué ou vicaire ; on possède ainsi les statuts de
l'évêcpie Etienne de Brioude (1 2 38 et 1 i/jS), ceux de l'évèque Odllon
de iMercœur (1260), enfin deux rédactions complètes et un texte
''' Aicli. nat. , X'" 5, fol. 4 '16 v° et !\\i r° '*' Voir J. Bédier, Les légendes éiiiqucs , 2' éd.
(anaiyso dans Boutaric, t. II, p. fil 1, 11° ■yyScj). (Paris, 1914), t. I,p. 368 l't suiv.
*'' Quant aux conPiscalions (le fiels, on verra '' Cli. Porée, Les staluts de la commiinaaté
plus loin (p. 53, note i)(jue, vers la lin de l'épi- des seigneurs parifis de la Gar<lr-Gnériii en Gé-
scopal de Guillaume, deux de Peyre, Richard vaudan , dans liibliothèque de l'Ecole des chtirivs
et Guibert, éiaient coseigneurs de Servières : (itjoy), t. I^WIII, p. 81-82.
l'évèque n'avait pas réussi à confisquer la part '*' (]h. l'orée, p. iji-ga.
de Richard. '"* Vx, pour partie, du seigneur du Tournel
''' Comm. de Prevenihères , cant. de Ville- (Arch. de la Lozère, G 761, d'après i'Inven-
forl, arr. de Mende. taire, t. 1, p. 1C8).
ÉVRQUE DE MENDE. — SA VIE. 51
addilioniiel, qui sont du temps de Guillaume Durant. Ces trois der-
nieis documents sont datés des années 1299, i3io et i3i3.
Quelques traits nouveaux et importants caractérisent les statuts de
i3io : les consuls de la Garde-Guérin, chargés de gérer les revenus
communs, seront désormais élus par l'assemblée des pariers, au lieu
d'être désignés par les consuls sortants'''. Suivant une règle très an-
cienne, tout parier qui voulait aliéner sa parerie devait tout d'abord
l'olTiirà la communauté; l'aliénation ne pouvait avoir lieu qu'au cas
où cette offre aurait été déclinée'-'; la règle est maintenue, mais le
parier obtient pour cette transaction des facilités nouvelles. En effet,
la parerie ne pouvait, avant Guillaume, être aliénée en faveur d'un
autre parier; cette interdiction du cumul disparaît'^'. La parerie
pourra être acquise, est-il dit dans les statuts de i3io'''', soit par un
vilain, soit par un gentilhomme; les barons seuls sont exclus. Si on
songe aux préoccupations dont devait s'inspirer Guillaume Durant
en i3io, au lendemain de la conclusion du pariage, et en face des
résistances qui se manifestaient parmi la noblesse, on sera induit à
supposer que l'évêque, effrayé de ce soulèvement des esprits, souhaite
l'allaiblissement de la Garde-Guérin, qui a fait cause commune avec
la noblesse'*' et veut l'empêcher de se fortifier en s'agrégeant des
hommes puissants.
Gef article fut modifié en i3i3; alors furent exclus, non seule-
ment les barons, mais tous personnages plus nobles et plus puissants
que les autres pariers, car ils pouvaient opprimer leurs associés;
fut exclu également tout homme inhabile à porter les armes, enfin
tout vilain '*''. Ces exclusions de 1 3 i3 ont un tout autre caractère que
celles de i3io;cesont, cette fois, les pariers eux-mêmes qui re-
cherchent l'égalité dans la communauté et redoutent d'absorbantes
influences.
Les statuts ne mentionnent pas expressément, mais, suivant toute
vraisemblance, supposent, au profit de l'évêque, un droit de retrait
ou préemption''', qui d'ailleurs était au moyen âge le droit commun
"' Statuts de i3io, art. 7 (Ch. Porée, '*> Voir Roucaule et Sache, p. 2o4.
P- »3.Hj. (•> Voir les statuts de i3io, art. 5, avec les
'*' Statuts de i238, art. 9 (Ch. Porée, additions de i3i3 (Ch. Porée, p. laa et
p. io3). 126).
''' Ch. Porée, p. gS, gd, gg. <'' Ce droit de retrait nous semble visé , sans
'*' Statutsdei3io, art. 5(Ch.Porée,p. 122). d'ailleurs être exprimé, par ces mots des statuts
52 GUILLAUMIi DURANT LE JEUNE,
du suzerain. Les évêques de Mendn ne semblent pas avoir négligé
ces placements en parts de la communauté de la Garde-Guérin :
donations'*', retraits'^', achats '"^^ ont procuré à Guillaume lui-mémo
pareries ou demi-pareries.
Un incident singulier survint en i3'i8. Deux ct)ntractants avaient,
si Ton s'en tient à l'acte qu'ils produisirent, conclu un échange de
pareries, acte qui n'ouvrait pas la voie au droit de retrait. Ils compa-
rurent devant les représentants de l'évêque et furent amenés à con-
fesser que l'acte aurait plutôt mérité le nom de vente. Sur quoi, les
représentants de l'évêque voulurent exercer au prolit du prélat le
droit de retrait. Mais les consuls de la Garde-Guérin s'opposèrent à
cette prétention et soutinrent que le droit de retrait leur compé-
tait avant tout à eux-mêmes. Us invoquaient le texte de leurs statuts,
texte dont le sens, à nos yeux, est douteux et qu'il n'est peut-
être pas impossible d'interpréter en faveur de la communauté des
pariers,à laquelle le droit de retrait appartiendrait en première ligne,
l'évêque ne venant qu'après la Garde-Guérin. Guillaume était alors à
Paris, en son hôtel de la Calandre'*'. 11 fut saisi de l'affaire et lança
une épître, adressée tout à la fois à ses vicaires généraux et aux
consuls et pariers de la Garde-Guérin, épitre qui, certes, n'est pas
l'œuvre d'un secrétaire. C'est qu'en effet l'affaire est particulièrement
grave pour l'évêque, car le contrat concerne, en même temps que la
parerie, le château de Servières, auquel une parerie ou une demi-
parerie est attachée, château qui appartient pour partie à Richard
de Pevre et que convoite Guillaume. Un certain Guibert de Peyre,
parent de Richard, est coseigneur de Servières'^', ce qui, depuis
longtemps, complique la guerre que se livrent sans relâche Richard
et Guillaume.
Nous analyserons ici cette curieuse épître. Elle débute par un
préambule philosophique, suivi d'une allusion probablement très
claire pour tous ceux qui la lurent; c'est, à nos yeux, Richard de
de i3io, art. 5 : « Dicti domini episcopi et ejus ''' Arch. de la Lozère, G /48i.
« successoi-um jure salvo in omnibus ac per '*' \ oir ci-dessus, p. 9.
tomnin et retento» (texte publié par Ch. ''' Voir le récit d'une curieuse affaire relative
Porée, p. 133). au château de Servières et où Richard de Peyre
'"' Arch. de la Lozère, G 48o et 48i d'après et les gens de Guibert de Peyre jouent un rôle
l'Inventaire, t. I, p. 107. actif (Arch. nal. , X'' 5 , fol. 4-'>9 v°-459 r°; ana-
<'' Arch. de la Lozère, G 48o. iyse dans Boutaric, t. II, p. 6i5, n* 7828).
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 53
Peyre qui y est visé en termes, comme on va le voir, singulièrement
amors :
Lh sagesse supérieure, écrit levêque, a établi dans la société des degrés et des
ordres distincts, afin que, par le respect des inférieurs pour les supérieurs, par
l'amour et dilection des supérieurs pour les inférieurs, pût s'établir une véritable
concorde. Cette diversité assure la régularité de chaque fonction. Aucun corps, en
effet, ne subsisterait si cette ordonnance générale ne le maintenait, car des créatures
toutes d'une seule et même qualité ne sauraient vivre, ne sauraient être régies et
gouvernées. Cela est attesté par l'Ecriture. Certes, jusqu'ici, cette concorde dans la
chanté, cette union dans un amour mutuel s'est maintenue inviolée entre nous et
nos prédécesseurs, d'une part, et vous, nobles, consuls et pariers et vos aïeux, d'autre
part. Cette union, à l'avenir, se maintiendra, le Seigneur aidant. Cependant, un
ennemi, perturbateur de la paix, de la concorde, de la tranquillité et de lunité,
fomenlateur de zizanie, a ménagé entre vous et nos vicaires un sujet de dissentiment,
ainsi que me l'a expliqué tout au long et de vive voix noble G. de La (îarde, da-
moiseau, votre comparier et consul"*; et cela par le moyen d'ime parerie que le
noble damoiseau Roland de La Carde aurait, par voie d'échange, transférée à notre
amé et féal noble homme Guibert de Peyre, damoiseau, coseigneur du château de
Servières ; cette parerie, vous l'avez retenue, vous, nos vicaires, par droit de préla-
tion, en vertu des règlements et statuts établis et confirmés par nos prédécesseurs
et par nous-même. •
L'évêque explique alors que, en édictantou confirmant règlements,
coutumes et statuts de la Garde-Guérin, il n'a jamais eu, ne peut avoir
et n'aura jamais l'intention de concéder aux pariers, de préférence à
l'évêque, le droit de retraire les pareries, lesquelles sont tenues en fief
de l'évêque et de f église de Mende; le droit de retrait du seigneur
suzerain est notoire et incontesté dans le Gévaudan et dans les pays
voisins. Avant que les statuts et règlements de la Garde-Guérin exis-
tassent et depuis qu'ils existent , les prédécesseurs de Guillaume et
lui-même ont acquis des pareries par voie de retrait et par toute autre
voie leur compétant, au su des pariers et consuls, et sans aucune
contradiction. Les évêques n'ont pas le droit de renoncer à ce privi-
lège du retrait ni de l'aliéner; s'ils avaient jamais consenti pareille
aliénation, un tel acte eût été nul, et ils auraient pu, de ce fait, être
''* Ces explications ou révélations ne peuvent cache pas. C'est, croyons-nous, Richard, le
guère concerner des machinations imaginées coseigneur de Servières, parent de Guibert,
par Guibert de Peyre, car son nom apparaît que l'évêque soupçonne ici de manœuvres téné-
dans ia convention, objet du litige; il ne se breuses.
5^1 GUILLAUME DURANT LK JEUNE,
repris et légitimement châtiés. S'arrêtant à cette question des statuts,
l'évêque affirme solennellement ses pouvoirs :
l^uisque à tfuifait la loi , il appartient de l'interpréter -^K puisque , en vertu du pouvoir
que nous nous sommes rL'servé en édictant ou en confirmant les statuts, il nous est
loisible d'annuler, corriger et changer lesdits statuts, nous édictons, alin de lever ù
l'avance toute h(''sitation sur ce point, et vous adressons la déclaration que voici :
Sont supprimés, corrigés, écartés et annulés tous statuts, quels ((u'ils soient, et. dans
lesdits statuts et règlements, toutes expressions d'après lesquelles vous compéterait,
de quelque manière que ce soit, à vous, consuls et pariers, le droit d'acheter ou de
vous procurer, de quelque manière que ce soit, pareries entières ou demi-pareries
tenues de nous en fief, au cas oîi nous voudrions nous-mème, nous ou nos succs-
srurs, retraire, acheter, acquérir ou retenir, à quelque litre légitime que ce soit,
lesdites pareries. Que si nous ou nos successeurs ne voulions point avoir ou acquéiii',
comme il a été dit, lesdites pareries, nous déclarons qu'il a été et qu'il est de notre
intention que vous jouissiez, avant tous autres, du droit de les acheter et retenir, l't
({ue vuus usiez de vos statuts et règlements, sauf en toutes choses notre droit, celui
de l'église et de nos successeurs.
Suit un projet d'arrangement, qui prouve que l'évêque sait compter :
il e\pli([ue que les droits de (juidaciuim et de retrocjuidaguim , ainsi que
lesémolumentsde justice afférents au cliàteau de la Garde, sont compris
flans les droits faisant l'objet du débat, ce qui n'est pas le cas pour
les autres pareries appartenant aux évêques de Mende (pareries dites
mortes) '''. Guillaume pourra abandonner lesdits droits, si on lui con-
cède par surcroît une demi-parerie, plus cent livres tournois une fois
payées.
Nous n'avons ni traduit ni analysé une curieuse proposition d'arbi-
Irage qui précède, dans la lettre de Guillaume Durant, l'exposé de ses
droits et les décisions législatives qu'il promulgue d'autorité. L'inanité
pf le peu de sincérité de la susdite proposition résultent, avec évi-
''' « Ejus est intcrprelari cujus est condere. » à jtropos du canon vi du concile. Entre autres
Cet axiome, ([ni est encore enseigné dans les réiérences, le Spec«/a(or renvoie à (îratien, (|ui
écoles, est souligné dans la lettre de Guillaunae. formule presque littéralement cet axiome {l)e-
Quclques autres passages de ladite lettre ont cretum. Causa XI, q. i, c. .So, S Ëjc his). La
été aussi soulignés. M. Brunel, ancien archi- Ibrnie consacrée, Ejits est interpretari cujus est
viste de la Lozère, qui a examinédetrès près ce condere, se trouve dans la glose du c. i a Cinn
document, estime «jue ces divers passages ont venissent , titre De judiciis, aux Décrétales de
été soulignés au xv* ou au xvi* siècle. L'axiome Grégoire IX, lib. Il, lit. i, sur le mot jndicnii.
Ejiis est , e\c. a été aussi invoqué par Guillaume ''' Sur les pareries vives ou mortes, voir
Durant, \e Speciilator (In sacrosanct. Lagdan. notamment Arch. de la Lozère, G 761, dernier
onc. cnmmentarins. Fano, 1669, fol. 63 r°), feuillet.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 55
dence, (le cet exposé et surtout des déclarations qui font suite aux
statuts et que nous avons reproduites. Voici le texte même de la
pioposition :
Désirant et voulant supprimer eutrt' nous et vous tout sujet de conllit, ne cher-
chant point à abuser de notre puissance et grandeur, mais désireux de vous gou-
verner, vous et nos autres sujets, en clémence et douceur, afin que, jouissant de la
paix, objet des vœux de tous les hommes, vous vous reposiez dans ses tabernacles,
nous vous mandons à vous, nos vicaires, s'il plaît auxdits pariers et consuls, et si, à
1 unanimité, ils vous en font la demande, nous vous mandons de vous entendre avec
eux ])our préciser par écrit le point de fait d'où naît le présent désaccord et de trans-
mcttri! ce point de fait, avec les arguments des parties, à un , à deux ou à trois d'entre
les ri'vércnds pères en Dieu nos seigneurs les cardinaux de la sacrosainte Eglise
romaine, lesdits cardinaux choisis en commun avec les pariers et consuls susdits,
et de leur demander leur avis d'un accord unanime. Si tel est leur sentiment, vous
révoquerez sans dilTicullé celles de vos entieprises au regard des choses susdites qui
seraient préjudiciables aux susnommés pariers et consuls. Ceux-ci agiront de même
s ils ont entrepris au regard desdites choses quoi que ce soit qui porte préjudict? à
nous ou à notre église '".
Personne ne pouvait prendre au sérieux ces phrases creuses et cette
pompeuse proposition d'arbitrage; quelques jurisconsultes conli-
nuèient à discuter, les avocats de l'évêque invoquèrent avec une fa-
cile et trompeuse abondance le droit romain et le droit canonique'"-',
et bientôt les pariers s'inclinèrent devant la volonté du prélat. Sa
lettre est du 18 octobre iSsS; le l\ août 1829, ses représentants
exerçaient au profit de l'église de Mende le droit de retrait et rem-
boursaient à l'acheteur Guibert de Peyre le prix de la parerie, soit
260 livres'^'.
Ici s'arrête, pour nous, la suite des mesures prises par le ])rélat
en exécution de son serment de i3o4; cet historique est vraisendjla-
blement incomplet, car il est improbable que les pièces se rattachant
à ces longs démêlés aient été toutes respectées par le temps et nous
soient toutes connues. Nous n'avons pas retrouvé sur notre route les
divers amis des de Peyre que (îuillaume comprit dans sa solennelle
déclaration de haine et de vengeance et désigna nommément. Peut-
être, en effet, se contenta-t-il de frapper, ou au moins de viser la
'' Arch. de la Lozère, G 48i. ''' Arch. de la Lozère, G 48i. Nous devons
''' Arch. de la Lozère, G 484. copie de cette pièce à l'obligeance de M. Brunel.
56 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
tête, c'est-à-dire la famille de Peyre, négligeant les membres secon-
daires de ce groupe féodal.
Le long exposé des démêlés de Guillaume Durant avec Béraud de
Mercœur et avec les de Peyre nous a fait perdre de vue son rôle ])o-
litique à la conr de France. H y garda la grande position qu'il occu-
pait antérieurement. De décembre i3i6 à mars iSiy, nous le trou-
vons à Saint-Pol, Arras, Amiens, Moiitdidier, Corbie, etc., chargé,
en même temps que d'autres agents du roi, de longues négociations
avec les seigneurs d'Artois et de Picardie'''. Le 8 novembre i3i7, il
fut, avec Henri de Sulli et Pierre Bertrand, un des mandataires de Phi-
lippe V pour rédiger un projet de traité avec la Castille*"^'. Le 1 1 octo-
bre 1 3 18, il prit une part importante à une conférence tenue, sous les
auspices des nonces pontificaux, Bernard Gui et Bertrand de La Tour,
à lloyallieu, près de Gompiègne, pour traiter de la paix entre Phi-
lippe V et le comte de Flandre'^'. Une autre conférence se tint sous sa
présidence à Gorn])iègMe, le uG mars i3 19, et aboutit à un accord entre
le roi et les nobles du Vermandois''"'. En 1 3 20-1 32 1, il fit, avec .Jean
de Varonnes et Bertrand Boniface, deux voyages en Angleterre et en
Ecosse pour les affaires du roi ; f objet principal de ces voyages était
de* travailler à la conclusion de la paix entre les rois d'Angleterre
et d'Ecosse'^', (iuillaume, toujours très préoccupé de l'hostilité de
Jean XXII à son endroit, mit à profit cette mission à l'étranger.
On se souvient qjiie, sous le pontificat de Glément V, il avait été
envoyé en Angleterre en qualité d'enquêteur pour la canonisation
de saint Thomas de Ganteloup, évêque de Hereford''''. Lors des
voyages de i320, il obtint d'Edouard 11 une lettre que ce prince
adressa, le 7 août i320, à .lean XXII, qui venait de canoniser cet
évêque anglais ; le roi lui rappelait le rôle joué par (îuillaume lors
de l'enquête de i3o7 et lui demandait pour cet homme éminent,
'"' Lohugeur, ouvr. cité, p. i66. — Cf. In- ''' Ibid.. p. ii2-i43.
venlaire d'anciens comptes royauje dresse' par '*' Ibid. , p. i8i.
Robert Miifnon. éd Ch.-V. Langlois (Paris, ''' Uyiner, Fœdera, t. IF, pars l (Lon-
i8()()), j). .'ifii : « Compoliis rpiscopi Minmlcnsis dres, 1818), p. 4.'5ri, 4/|T et 4r)0 ; J. Viard,
»de viapio Bituricensi ad Regeni [nnno] xvii. » Les joarntiax da Trésor de Charles IV le Del
''' (]. Daumet, Mémoires sur les relations de (Paris, 1917), n" .396, 5i2, 3'.î3(), ^920,
la France H de la Cnslille (Paris, s. '(!.), p. i35 /jo 1 5 , 5oi6 et 6363. Cf. Lehugeur, p. a6à.
et a3i. '*' Cf. ci-dessus, p. ao, et ci-dessoas, p. 7a
ÉVÉQUE DE MENDE. _ SA VIE. 57
qui avait laissé d'excellents souvenirs, mansuétude et paternelle sol-
licitude'•'. En juillet i32, , l'évêque de Mende porta la parole au
nom du roi dans une assemblée de députés des bonnes villes, tenue
a t'ai-is, sur la question des mesures et des monnaies ^'\ Le 4 octobre
r , r rf l^'^T ^" ^«"*'^t ^« "'«'••âge de Charles, duc de
La labre, lils aine du roi Robert, avec Marie, fille de Charles de
Valois, contrat passé à l'abbaye du Val-des-Écoliers ; parmi les
témoins igurait avec lui la reine douairière, Clémence de Hongrie (^)
• Au début de 1 32 3, Guillaume fut chargé, avec Amauri II, vicomte
de Narbonne, très zélé pour la croisade, de préparer le passage en
1 erre sainte , pour lequel ce dernier reçut un subside de 2 4,ooo livres W
On sait que Charles le Bel, à son avènement, avait proclamé haute-
ment son intention de passer outre mer'^J. — Quant à la mission
conhée en commun à Guillaume Durant et au vicomte de Narbonne
nen de plus naturel que la coopération de ces deux personnages!
Nous ayons eu déjà 1 occasion de noter les bons rapports qui unis-
saient leveque de Mende et la famille de Narbonne Un acte, passé
e 16 mars i323 en la Chambre des comptes, à Paris, et où Guil-
laume figure en qualité de témoin, doit être mentionné ici à ce
propos : Amaun, qui avait reçu lui-même du roi de France des
sonimes considérables destinées à l'expédition projetée, s'engage à les
restituer si cette expédition n'est pas elFectuée <•').
L'intérêt que Guillaume portait aux aflaires de Terre sainte était
bien connu en Europe ; l'inlassable promoteur d'une croisade nou-
velle, Marino Sanudo lancien, lui écrivit souvent à ce sujet. Une
lettre de ce personnage, datée de Venise, i326, est adressée à
leveque comte de Gévaudan, procurator passa^ii , et aux socii dudit
eveque m eodem negoUo insUtiiû. Cette qualification, ;,rocam^or«a55afl,ï
est une allusion très claire à la mission dont il s'agit plus haut'
Manno a adressé, dit-il, lettres sur lettres à l'évêque de Mende et n'a
pa^^ rS/"^" ''"'"^' *• "• ''")• , '' ^'«'^ \ ^^ ^^-^l-'^. Proie, ^e croisade
de Paru i884), t. XI, p. 61 Tyyyiv ^- ^^^- ^'^ ^"' ''"' ^ '" ^r..
(') A-^i, . I / " ,„ «• AAA.1V, p. 5oa.
'■ ' Arch. nat. , J 4 1 1 . n° 43 (« n ' ■
• " J?r?-r ^«97- CU.Ré,ne,AmauriII, 43 . nS.r^^- "''' P" '''''' '' '''
vicomte de Narbonne, p. i44-i45. ''
HIST. LITTÉR. XXXV.
8
58 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
reçu aucune réponse ; il semble que tous, grands et petits, sommeillent
au lieu d'agir. Ce thème inspire ati noble Vénitien de longs dévelop-
pements oratoires, qui sont purs exercices de rhétorique; mais, che-
min faisant, il précise quelques détails intéressants ; nous apprenons
qu'il a saisi de ses projets le roi de France et Louis, sire de Bourbon et
comte de Glermont'' , qu'il a remis au roi et à l'évèque lui-même son
fameux Liber secretorum fidclmm crucis et qu'il y a joint des cartes géo-
graphiques. Sans doute le plan d'une grande croisade est abandonné,
Sanudo le reconnaît avec, douleur. Cependant un projet réduit pour-
rait aboutir; qu'on se reporte aux instructions et aux notes en langue
française qui sont entre les mains de Guillaume, les voies et moyens
V sont exposés. Il faut espérer que débile principium inehorjorliinu seque-
tiir. En tout cas, qu'on ne l'oublie point, il y a dans cette sainte entre-
prise plus d'argent à gagner que de dépense à faire '^'.
À la date de 1829, où nous a conduits l'histoire des relations de
Guillaume avec les de Peyre, cet évêque, si souvent hors de son dio-
cèse, était au loin. H avait entrepris le grand voyage d'Orient où il
devait trouver la mort, voyage sur lequel nous avons, par malheur,
des renseignements trop sommaires. Ce voyage est-il en relation
directe avec les projets de Marino vSanudo.»^ C'est peu probable.
Guillaume, chargé de mission par Jean XXll et Philippe de Valois'^',
partit pour la Terre sainte avec le train d'un grand seigneur; le pape
l'avait autorisé à emmener une suite de trente personnes, outre ses
familiers '*'. 11 prit ])lace dans l'une des quatre « galées » nolisées pour
transporter la lille du duc de Bourbonnais, Marie, liancéeà l'héritier
delà couronne de Chypre, Gui de Lusignan. La princesse avait été
confiée par son père à deux chevaliers français et à Pierre de la Palu,
patriarche latin de Jérusalem'^', qui devait être le compagnon de
l'évèque de Mende dans son ambassade. H est peu probable que le
'' Pliilippe le Long avait, en i3i8, nommé registre du Vatican 91, cp. 2498). Le même
ce prince capitaine d'une armée d'avant-garde jour, le pape avait accordé à l'évèque de Mende
qui (levait précéder le passage général (A. de la faculté d'affecter au |)ayement des frais de
Boisiisle, toc. cit., p. a3i). son passage outre-mer les revenus en argent
'*' Bongars, Gesta Dei pcr Francos, t. 11, et en nature de son évêrhé [ihid., registre
p. U94-2f)7<- d'Avignon, loi. 534 h; registre du Vatican
''' Ceci résulte de l'épitaphe qui sera repro- 91, ep. 3499)- Ces deux notes nous ont été
duite ci-dessous, p. 60. communiquées pai- M. i'abbé MoUat.
"*' Lettie du 10 avril i3a9 (Archives du ' Huillard-BréhoUes, Inventaire des tili-es
Vatican, registre d'Avignon 33, fol. 534 ''; de la maison ducale de Bourbon, n' 1894.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 59
départ, dont on faisait les préparatifs au mois d'août'"', ait eu lieu
avant une époque assez avancée de l'automne. Nous en ignorons la
dale; mais un document atteste que le mariage ne fut célébré qu'en
janvier i33o, à Nicosie, en présence des deux ambassadeurs'^'. Con-
formément aux instructions qu'il avait reçues du pape et du roi,
l'évéque de Mende se rendit ensuite en Egypte, avec le patriarche de
Jérusalem; les deux prélats avaient pour mission de sonder les inten-
tions du Soudan. On espérait sa neutralité et peut-être son appui
pour le projet de croisade formé en Occident'^'.
Des résultats de leurs pourparlers avec le Soudan nous ne savons
rien de précis, mais nous pouvons allirmer que ce voyage ne fut
pas considéré comme une tentative d'enquête inutile et vaine, car le
souverain pontife, par lettre du 2 i février i33i, invita Philippe VI à
délibérer au sujet de la croisade avec le patriarche de Jérusalem qui
revenait de sa mission auprès du soudan ''*'. D'autres délégués furent
envoyés en i333, et finalement Philippe VI fut désigné comme chef
de la croisade projetée'^'. Un document postérieur de quelques aimées
nous apprend, en outre, que le patriarche de Jérusalem et l'évéque
de Mende s'acquittèrent aussi en Egypte d'une mission accessoire rjue
leur avait confiée le roi de France'^'.
Si, en i33i, il n'est plus question que du patriarche de Jérusalem,
''' Le la avril, le Génois Sadnr l'oiia, (|ui celui ci avait adressé au roi de France des
avait fourni les navires, s'occupait don recruter lettres « quae graliosae erant »; sur quoi il ajoute
les é(|uipaf,'es (ibid. , n° i8()7). cette réflexion : « Quare cum suinnius pontifex
'"' Huillard-Bréholles, n°' igiS, i()iJ et «et rex Francia- illustrissimus requirit ad si;
igi6; Mas-l,atrie, Histoire de l'Ue de CliYpre , «trahere has gentes hujusmodi conditionis et
t. II, 1" partie, p. 162. Le contrat de mariage «maxime soldanum Babyloniae • (Kunst-
fut ratifié solennellement à Nicosie le i4jan- mann, Sladienùbei Marina Sanudo den A eltcren,
vier i33o. dans Abhandiungen der hist. Klasse der kônigl.
''' 0 Hoc anno, frater Petrus de Palude, pa- bayer. Akademie der Wissenschaften , i855,
• triarcha Jérusalem , qui missus fuerat ad soi- t. VII, p. 765-766). Cf. Max Heber, Gutachteu
0 danum ad sciendum utrum via possit inveniri und Reformvorschlàge fur dos Vienner General-
« qua Terra sancta recuperaretur. . . n (Conti- conci7 (Leipzig, 1896), p. 70.
nuateur de Guillaume de Nangis, éd. H. Gé- '*' Arch. du Vatican, reg. 116, fol. ag,
raud, t. II, p. 108, 1 10, i3o; Lequien, Oriens n° i33 (communication de M. Coulon).
ckristiaiius , t. III, col. ia65-i266). Joignez ''' Communication de M. Coulon.
ce qu'a écrit à ce sujet H. Lot, dans la /Jifc/io- '*' Il s'agissait de déterminer le rôle
thèque de l'Ecole des chartes (iSbcf), t. XX, joué par un certain Guillaume Bonnesmains,
p. 5o3. Sanudo fait allusion à cette mission manière d'ambassadeur envoyé par Charles IV
dans une lettre, datée de Venise, 10 avril i33o; auprès du Soudan (H. Lot, dans la liibl. de
il nous apprend que , l'année qui a précédé l'en- l'Ecole des chartes , t. XX , p. 5o3 , et t. XXXVI ,
voi de celle ambassade au Soudan de Babylone, p. 691 et 598).
S.
60 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
c'est que son compagnon l'évêque de Mende n'était plus de ce monde.
En effet, revenu d'Egypte en Chypre, Guillaume, qui en homme
prudent s'était, cinq ans à l'avance, assuré, pour ses derniers mo-
ments, la faveur pontificale de l'indulgence plénière''', y trépassait
bientôt. Son corps, mis dans un sac de cuir, fut inhumé à Nicosie
dans la plus grande des chapelles latérales, à gauche du maître-
autel, de l'église des Cisterciens de Sainte-Marie de Beaulieu'^'. L'épi-
taphe gravée sur son tombeau a été conservée par un historien de
Bologne, Ghirardacci ^', sous la forme suivante:
HIC lACET REVERENDISSIMVS IN CHRISTO
PATER D. VILELMVS DVRANTI DEl GRATIA
EPISCOPVS MIMATENSIS COMESQ; GABALLITANI
ET PEREGRINVS AD SANCTVM SEPVLCHRVM, ET NVNTI\ S
DD. PAPAE, ET REGIS FRANCIAE
AD SOLDANVM
QVl IN REGRESSV OBIIT IN MONASTERIO BELLl LOCI CYPRI.
ANNO D. MCCCLVI. DIE... IVLII.
CVIVS ANIMA REQVIESCAT IN PACE.
AMEN.
Mais la date de l'inscription a été imparfaitement déchiffrée; si
Ghirardacci n'a pas hésité à imprimer mccclvi, avant lui Baldo degli
Ubaldi et Diplovalazio, reproduits par Sarti, n'avaient lu que mcccvi.
Sarli proposa xxviii''', les Bénédictins, auteurs de la Gallia chrisùana,
plaç.'inl la mort de Guillaume en 1828 et leur opinion s'imposant à
titre d'autorité indiscutable. (^)uaiit à nous» qui venons de voir
Guillaume s'embarquer à Marseille peu après juillet 1829, et qui
savons que son successeur à Mende, Jean d'Arci, fut nommé le
'■' Le 1" juin iSaô, Jean XXII lui accorda aussi par Schulte {Geschichie der Quellen... des
«ut suus contessor semel in morlis articulo can. fiechts, t. IF, p. 19')); MM. Max Heber
«possit i| si plenam remissionem peccatorum (Gutachten iind Reformvorschiâgejurdas Vienner
« conceilere» (Mollat, n° 32467). Generalcoiicil , p. ^i ), et I\. Scholz (Die Pabli-
''' Appelée plus tard iSan Giovanni in Monte zisiik zur Zett Pkilippsdes Schôncii und Bonifaz
Forte. F///, Stuttgart, igoS, p. 3 10) proposent i33i.
''' Historia di vari saccessi d'Ilalia ( Holo- — Nos prédécesseurs ont relevé l'erreur de
gna, i6(i<)), t. II, p. a32 (communication Simon Maiolo, qui attribue au 5/)ecu/a(or cette
de M. L. Dorez). mission en Orient et, par suite, le fait mourir
'"' De claris archigymnasii Bononiensis pra- en Chypre {Hist. litt. delà Fr., l XX,p. /jsg).
fessoribiis (Cononiae, 1769), t. 1, part, i, Baldo, Diplovatazio et Ghirardacci ont fait le
p. 3y6. Cette date de i3a8 est adoptée même quiproquo.
EVEQLIE DE MENDE. — SA VIE. 61
i4 décembre i33o, nous n'hésitons pas à affirmer qu'il mourut à
Chypre en juillet i33o'''.
S'il fut donné à Guillaume Durant de jeter, en mourant, un regard
su r sa vie agitée , il put apercevoir au loin , dans le passé , ses vengeances
commencées, non point assouvies, son ambition du patriarchat de
.lérusalem déçue, ses rêves magnifiques de réforme de l'Église de-
meurés impuissants et vains. H laissait pourtant une œuvre, une seule,
l'organisation politi([ue du Gévaudan,le pariage.
Jean d'Arci, successeur de Guillaume, était un des légataires du
défunt. Le chapitre de Mende lui remit, en i33i , un pontifical, un
missel et deux chapes, ([ue Guillaume lui avait destinés; Jean d'Arci,
très ])r()mptement transféré à Autun, renvoya ces objets au chapitre
de Mende '^^.
Les Bénédictins, auteurs de la Gallia christiana, ont maladroite-
ment intercalé entre Guillaume Durant et Jean d'Arci un certain
Bernard '•'^ évêque imaginaire, resté très légitimement inconnu à
leurs prédécesseurs, Scévole et Louis de Sainte-Marthe'"^. Nous n'insis-
terons pas sur cette erreur, depuis longtemps relevée'^'.
Les mêmes savants ignorent le voyage en Orient de Guillaume et
sa mort en Chypre. Au tome I", ils placent son tombeau
dans l'église du prieuré de Notre-Dame de Cassan, près Béziers, et
décrivent la statue tombale qui représente, pensent-ils, le prélat <**'. Au
tome VI, ils semblent avoir reconnu leur erreur ; ils ne parlent plus,
en effet, de tombeau à Notre-Dame de Cassan, mais de cénotaphe'^'.
'" Eubel , Hierarchia catholica , a° éd. ( 1 9 1 3 ), "i Par André , Les évéques de }fen<îe, p. 33-34.
p. 342. Cf. Coulon, Lettres secrètes et curiales Cf. Eubel, a* éd. , p. 3 '12, note 6. Aucun des
de Jean XXII. n° 776, noie 5 in fine. Néan- auteurs que nous avons consultés ne donne
moins, le 1" décembre i33o, un mandataire de renvoi précis permettant de retrouver la
de Guillaume Durant a^t encore à ce titre charte, source de celte erreur. Les recherches
(André, Les évèques de Mende pendant le de M. Brunel, archiviste de la Lozère, consulté
xiv' siècle, dans le Bulletin de la Société d'agri- par nous, n'ont pas abouti. Il veut bien nous
culture ...- de la Lozère, 1871, t. XXIF, signaler le renseignement le moins vague qu'il
p. 33, note 1 ); mais le mandant, à coup sûr, ait rencontré : les auteurs de l'Histoire de Lan-
n'est plus de ce monde. — Depuis bien des guedoc parlent des souscriptions d'une charte
années, VOrdo du diocèse de Mende donne pour l'abbaye de Mcrroire, où figurerait ce
exactement pour la mort de Guillaume Durant Bernard , évêque (t. IV, p. SgS).
cette date indiscutable de i33o. Voir Ordo <*' Gaffia cAnst.. I. 1, col. cjy.
divini officii ( Mimali, 1 90a ) , p. 67. O T. VI, col. SaS. En disant cénotaphe , les
Ga//m cftris/. , t. I , col. 97. savants auteurs abandonnent peut-être impli-
^ '""'•. citement l'identilicatioii avec Guillaume Durant
<' Ga//iacATO<.,t. III(Paris, i656),p. 731- le jeune; songeraient-ils au Speculator, qu'ils
7*'^- savent inhumé à Rome?
62 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Cénotaphe est la seule expression qui ait chance d'être exacte. Mais
la statue tombale de Notre-Dame de Cassan était-elle vraiment la
statue de notre Guillaume? La question, à nos yeux, est obscure et
embarrassante. Elle est jusqu'à un certain point emmêlée à cet autre
problème : connaissons-nous sûrement les armoiries de Guillaume
Durant le jeune?
Au xvii^ siècle, Scévole et Louis de Sainte-Marthe, en marge de
la notice consacrée, dans leur Gallia christiana, à notre Guillaume,
décrivent ainsi qu'il suit les armoiries de ce prélat : « D'argent, à trois
bandes d'azur, au chef d'argent, à un lionissant d'azur, le même chef
soutenu d'azur, à trois étoiles d'or'"'.» Les Bénédictins corrigent :
« à trois trèfles d'or «.
Par ailleurs, aucun sceau armorié, aucune indication directe.
La description des Sainte-Marthe est notre base unique. Comment
donc ces érudits ont-ils connu les armes de Guillaume? Quelle est
leur autorité? Nous craignons fort que cette attribution ne résulte
d'une erreur matérielle. En elTet, les armes décrites en français par
les Sainte-Marthe, en marge de l'article consacré par eux à Guil-
laume Durant le jeune, sont exactement celles que tout le monde
peut relever sur le monument funéraire de Guillaume Durant fancien ,
à Home'"'. Or les Sainte-Marthe, dans l'article consacré au Speciilator,
ne décrivent point ses armes. Cependant ils connaissaient fort bien le
tombeau de la Minerve et savaient que les armes du Spcculator sont
reproduites sur sa statue'^'. La description que nous lisons en marge
de la notice de Guillaume Durant le jeune n'était-elle point destinée
à la notice précédente, celle de Guillaume Durant l'ancien?
Quant à la statue tombale de Notre-Dame de Cassan, les
Sainte-Marthe, se reportant à une épitaphe gravée sur la muraille, con-
jecturaient que c'était l'efiigie d'nn évêque de Béziers, morl en i 2o5 ,
Guillaume de Roquesel'"'. Ici interviennent les Bénédictins. Ils afiir-
mèrent, au xviii" siècle, que les insicjnia (à traduire, ce semble, par
armoiries) de Guillaume Durant le jeune se retrouvaient sur la tombe
de Notre-Dame de Cassan [in fornice et in propylœoy'''' -^ les Sainte-
*'* T. III, p. 731-733. l'appelle de Rocozels, d'après la forme usuelle
''' Heprodijclion daus Bertaui , Borne (Paris, du nom de la localité d'où cet t'vè(|uc lirait
iQo5), p. 79, fig. 34. son origine [Hist. de la ville de lioajan. Béziers,
('' T. III p. 731. 1869, p. 117).
'*' Gadia christ., t. Il, p. 419 M. Crouzat '*' Gallia ckrist., t. VI, col. 3-î.^.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SA VIE. 63
Marthe, par lesquels les Bénédictins étaient renseignés sur les armes
de Guillaume le jeune, n'y auraient rien vu. Ce tombeau, ou ce céno-
taphe, devenait dès lors, en dépit de l'épitaphe, le tombeau dudit
(uiillaume.
Le monument funéraire de Notre-Dame de Cassan, qui n'existe
plus dans cette église, est conservé aujourd'hui au musée de Tou-
louse. Sur la ])hotographie de ce uîonument, que nous avons sous les
veux, nous ne distinguons point d'armoiries in forniœ et iii propylœo.
Le conservateur du musée, qui a décrit cette statue avec grand soin,
n'a pas vu davantage ces ins'ujnla inforniceet in propylœo; mais il aperçoit
certains souvenirs ou débris des armoiries ci-dessus décrites dans les
broderies de l'aube et dans les trèfles des chaussures'''.
Un connaisseur, M. l'abbé Auriol, veut bien nous communiquer à
ce sujet la noie suivante, qui complète très heureusement ce que
nous pouvons dire du monument funéraire conservé à Toulouse :
« La statue tombale, dite de Guillaume Durant, fut trouvée par
Al. du Mège, en i833, chez un marchand nommé Grimm, à Mont-
pellier. On assurait que ladite statue provenait de l'église du prieuré
de Notre-Dame de Cassan, au diocèse de Béziers, et avait recouvert la
tombe de Guillaume Durant, dans la chapelle Saint-Privat, que cet
évêque avait faitajouter à l'église de ce prieuré... Ladite statue ne porte
aucune inscription. Son soubassement n'a jamais été au musée. . .
Les écussons de l'orfroi, du collet et du coussin n'ont jamais porté
d'armoiries; c'est simple motif d'ornementation. Les gants du prélat
étaient ornés de plaques métalliques; un anneau de métal était fixé à
l'annulaire gauche. La mitre, tant sur le circulus et le titulus que sur
les galons de la bordure, était enrichie de cabochons; ces ornements
ont disparu. »
Si les observations qui précèdent viennent affaiblir certaines consi-
dérations favorables à l'attribution proposée par les Bénédictins et
par le conservateur du musée de Toulouse, il reste en faveur de
cette thèse un fait incontestable : notre Guillaume avait une grande
vénération pour saint Privât, auquel était dédiée la chapelle en
question de Notre-Dame de Cassan. Relevons aussi une assertion
qui, contrôlée et vérifiée, serait un sérieux argument. Guillaume le
'"' Description du n' SSg, dans Roschach, des objets d'art (Toulouse, i865), p. 3i8-
Miisée de Toulouse. Catalogue des antiquités et 3 19.
64 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
jeune aurait été, au dire des Bénédictins, chanoine de Notre-Dame de
Cassan''). Ce dire n'est appuyé malheureusement d'aucune référence.
Les recherches qu'on a bien voulu faire à ce sujet aux archives dépar-
tementales de l'Hérault (fonds de Notre-Dame de Cassan et de la
commune de Roujan) n'ont pas donné de résultat.
Nous passons aux écrits laissés par Guillaume Durant. Nous n'avons
pu d'ailleurs retracer sa vie sans faire allusion déjà à quelques-uns
d'entre eux.
SES ECBITS.
I. — Actes relatifs a sa mission en Italie ( i3o5-i3o6).
Dans les premières années du xiv^ siècle, une grande partie de
l'Italie était en proie à de sanglantes dissensions. Le pays était déchiré
par la rivalité séculaire des Guelfes et des Gibelins ; à cela s'était
ajoutée, en Toscane, la lutte entre deux fractions du parti des Guelfes,
les Blancs et les Noirs; enfin les faveurs exorbitantes accordées par
Boniface VIII à ses jiarents, les Gaetani, avaient provoqué chez leurs
adversaires, les Colonna, dépouillés à leur profit, une irritation qui,
dès la mort du pontife, se transforma en hostilité déclarée, si bien
que les régions soumises à l'Eglise romaine en furent profondément
troublées. Boniface VIII avait suivi une politique entièrement favo-
rable aux Noirs ; rompant avec cette politique , Benoît XII avait essayé,
sans y réussir, de refaire l'unité du parti guelfe. Clément V, qui,
lors de son avènement, se proposait de ramener la papauté au tom-
beau de l'Apôtre, ne pouvait (jue désirer ardemment l'accord des
partis, condition indispensable du rétablissement du saint-siège à
Rome. C'est pour apaiser les discordes que, dès les premiers jours de
son pontificat, il envoya au delà des Alpes, comme ses délégués,
.Guillaume Durant, évêque de Mende, et Pelfort de Rabastens, abbé
de Lombez'^^.
<■' Gallia christ., t. VI, col. 325. — Nous ''> Cf. A. Eitcl, Der Kirchenslaat itntcr KU-
devons aussi de précieuses indicalioas à MM. mens V (Berlin, 1907, iD-8°). Los actes des
Berlhelé, Coulon, Prinet et Martin-Chabot. délégués de Clément- V sont mentionnés h
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 65
Cette mission nous est connue : i° par une sorte de journal
ou mémorial, conservé aux Archives du Vatican, qui reproduit ou
résume les actes écrits et en général les faits et gestes des légats;
2° par les pièces nombreuses qui, depuis six siècles, sont conservées
dans les archives de plusieurs villes ou villages d'Italie. M. David-
sohn") a largement puisé à ces deux sources; M. Goller''^) et surtout
M. Schûtte<^' ont mis à contribution les seules Archives du Vatican.
Les pubhcations de ces trois érudits permettent d'étudier, pièces en
mains, ce voyage odîciel.
Guillaume avait près de lui quelques famihers; trois au moins nous
sont connus: Raimond Barot, préchantre de Mende'*', Jacques
d'Assise, chanoine de Meaux, Pierre de Césène. Ces personnages
secondaires ont parfois joué un rôle actif: c'est ainsi que, le 27 dé-
cembre i3o5, Guillaume Durant constituait Raimond Barot et
Jacqui^s d'Assise ses procureurs et les chargeait d'intimer en son nom
des injonctions à plusieurs gentilshommes du diocèse de Rieti. Le
29 décembre suivant, Pierre de Césène s'acquittait d'une mission ana-
logue à San Gemini. Mentionnons enfin un certain Jordns de Mercolerio ,
qui est qualifié domicellus dicti episcopi^^K
Les envoyés étaient accompagnés aussi de deux notaires : Dominicus
(juondam Insegne, de Poggibonsi, et Sof ridas fiwmdam Spedalerii, de
Pistoie. Ce sont ces notaires qui rédigent le mémorial, les actes
divers et les lettres qui constituent l'histoire de la mission. Mais tenir .
la plume n'est pas leur rôle unique ; ainsi nous les voyons, le
17 mars i3o6, recevoir, au nom des légats absents, la soumission
de plusieurs villes et villages'^'.
Parmi les nombreux documents publiés en ces derniers temps et
intéressant la mission des deux légats, nous relevons trois rapports au
souverain pontife*" et plus de quarante lettres ou actes divers. Les
diverses reprises, p. 10 et suiv., 100,110,136, dans Beitràge zuni Osterprogramm 1909 des
'^?r^ 'i^'*^ „ , knnigl. kath. Gymnasiums su Leohschûtz.
Uavidsohn, Forschungen zur Geschichte '" Cf. ci-dessous, p. 76 note i
vonFlorenz (Berlin, 1901), t. III, p. 387.321. ('> Scliùtte, p. .5, n" 17 et 18.
' Goller, Zar Geschichte der italienischen m Schiitte, p. 4, n" 4; p. 33, n* 38
Légation Daranlis des Jungeren von Mende . dans O Davidsohn, t. III, p. 388-3q5 • Schûite
Rômische QuartaUchnJÏ, t. XIX, 3' partie, p. S-g. n» 4; Gôlier, p. 3 1 ; texte tronqué
GeschchteJ xç)o5)p liM. dans Schùtte, p. 44. n° 46. - Il y a des
' bchulte, Valikamsche Aktenslûcke znr traces d'un quatrième rapport dans le mémo-
itahenischen Légation des Duranti imd Pillfovt. rial de lamission (cf.Schulte, p.47-48,n° 48).
HIST. LITTÉB. XXXV.
7 * '""'""" ""°""''
66 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
deux légats agissent presque toujours en commun. Cependant, Guil-
laume procéda seul pendant la dernière semaine de décembre i3o5,
son collègue s'étant absenté pour affaires, et, c'est lui qui, le 29 dé-
cembre, reçut la soumission des habitants d'Acquasparta".
Les légats partirent pour l'Italie le 28 août i3o5. Us étaient munis
de plusieurs lettres pontificales en date du 18 août, à Bordeaux,
lettres qui les investissaient de grands pouvoirs, mandaient aux cités
italiennes d'obtempérer à leurs ordres, et à tous les dignitaires de
l'Eglise de leur donner conseil, aide et assistance'"^'.
Les deux prélats étaient, le 12 septembre, à Gênes, le 19, à Pise,
peu de jours après, à Lucques. Reçus avec honneur dans le camp du
duc Robert, qui, à la tète des Florentins et des Lucquois, dits alors
les Noirs, assiégeait les Blancs de Pistoie, ils traversèrent le camp et
entrèrent dans Pistoie; de Pistoie ils proclamèrent une trêve de
quinze jours, à dater du 22 septembre. Ce délai fut employé par
les légats à des tentatives de conciliation singulièrement compliquées.
Ils avaient mission de Clément V d'obtenir la levée du siège de Pistoie
et par là de faire enfin cesser Teffusion du sang. Mais les Florentins et
les Lucquois soutenaient qu'ils n'étaient que les instruments de
fEglise et qu'ils guerroyaient contre les citoyens de Pistoie sur
l'ordre de Boniface Vlll. Aussi bien, ceux de Pistoie avaient été,
disaient-ils, excommuniés par le légat de Boniface. Ces derniers
répliquaient qu'ils avaient été absous par un autre légat, en sorte
que les rebelles à fEglise de Rome, c'étaient leurs ennemis, non
point les Blancs de Pistoie. Ces vrais rebelles, Florentins et Lucquois,
avaient été d'ailleurs excommuniés à leur tour et leur pays frappé
d'interdit'^'.
Après quelques tentatives infructueuses, les légats quittèrent la
Toscane en décrétant, au nom du souverain pontife, une trêve qui
devait se prolonger jusqu'à la prochaine fête de Pâques. N'ayant pu
sauver Pistoie, qui devait plus tard tomber aux mains des assiégeants,
ils se dirigèrent vers Pérouse, dont les habitants, disaient-ils, se
montraient indociles aux ordres du saint-siège'*'. La population de
''' ScliiiUe, p. 16, n° 19. '*' «Dicti Perusini sunt sue volunlatis et non
''' Davidsohn, t. III, p. 3i6-3i7; Gôller, « consueveruiU mulluni legualos et nuncios
|). 18-21. c sedis apostolice inibi volentes processus fa-
''' Davidsohn, t. III, p. 390-293. «cere revereri • (Davidsohn, t. III, p. 293). Pé-
EVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 67
cette ville, favorable aux Florentins et aux Lucquois, était très émue
de l'intervention des légats. On recommanda donc à ceux-ci beau-
coup de modération, la populace pouvant se porter sur leur personne
aux derniers excès et profiter du désarroi pour piller le trésor laissé
par Benoît XI *''. Les légats suivirent ce sage conseil, et, quittant
Pérouse, se dirigèrent vers Foligno, où ils espéraient pouvoir conférer
avec des délégués de Pérouse; mais arrivés à Foligno, ils ne purent
même y promulguer leurs injonctions'"^'.
Dans la Marche d'Ancône, profondément troublée, ils décrétèrent
des trêves et des paix, qu'il n'était pas facile de faire respecter. Les
représentants des cités furent convoqués pour le i5 janvier i3o6 à
une grande assemblée, à Pausula'"*'. Plusieurs obtempérèrent aux
injonctions des légats. Mais quelle confiance avoir en des promesses
de paix échangées par ordre .^ Les prélats sentaient eux-mêmes la
fragilité de pareils engagements. Ils imaginèrent, un jour, poiir con-
solider ces liens, de recourir à un procédé assez inattendu. Il s'agissait
d'établir une paix durable entre la ville de Camerino et les communes
de San Severino, Fabriano et Matelica. Le 18 février i3o6, non
contents d'avoir fait échanger le baiser de paix entre les représen-
tants de ces localités et d'avoir décidé que, dans un délai de huit
jours, tous les habitants, depuis dix-huit ans jusqu'à soixante-dix,
jureraient d'observer la paix, ils décrétèrent quatre-vingts mariages
ainsi répartis : d'une part, quarante femmes de Camerino, prises dans
toutes les classes de la société, se marieront, savoir : dix à San Seve-
rino, vingt à Matelica, dix à Fabriano; d'autre part, quarante femmes
des diverses classes de la population, savoir : dix de San Severino,
vingt de Matelica, dix de Fabriano, se marieront à Camerino. Le tiers
de ces mariages devra être célébré dans un délai de deux mois ; un
autre tiers dans un second délai de deux mois; le dernier tiers dans
un troisième délai de deux mois. Quelques prud'hommes (quatre, six
rouse fut un asile sûr pour Benoit XI après son Écoles d'Athènes et de Rome, fasc. 80). Sur cette
départ de Rome, ce qui parait s'Iiarmo- affaire du trésor, voir Davidsohn, t. III, p. Sog
niser assez mal avec le dire des deux en- et suiv.
voyés. (*) Schùtte, p. 45. Et même certaines in-
''Davidsohn, p. Qg3. L'inventaire de ce jonctions importantes semblent n'avoir pu être
trésor, dressé en 1 3 1 1 , est arrivé jusqu'à nous publiées à Pérouse : « Sed processus super dis-
( J. de Loye , Les archives de la Chambre aposto- « solutione coUigationum non fuerunt ausi pre-
lique aa xiy' siècle, 1" partie, inventaire, Paris, «sentare eisdem » (Gôller, p. 24).
1899, p. 2o5, n° 10, dans h Bibliothèque des ''* Schùtte, p. ao.
9*
68 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ou huit) organiseront effectivement ces mariages [pvocurelur ejjectua-
liter et ordinetur). Tous les hommes qui épouseront des femmes de
Camerino deviendront par là même citoyens [cives) de Camerino;
tous les hommes de Camerino qui épouseront des femmes de
Fabriano, de San Severino, de Matelica, seront réputés castellani^^^
de chacun de ces castra^^K
Ces injonctions matrimoniales furent-elles suivies d'ellet? Les
quatre-vingts mariages assurèrent-ils la paix et l'union? Le lecteur en
doutera, et peut-être cette curieuse tentative ne lui paraîtra-t-elle pas
avoir eu plus d'efficacité que certain mandement du 29 mars 1 3o6 par
lequel les légats imposèrent un perpétuel silence à la ville de Came-
rino et à la commune de San Severino, à la ville de Camerino et à la
commune de Matelica au sujet de divers territoires contestés. Voici
l'histoire, très brève, de ce perpetuum silentnim. A peine avait-il été
proclamé par les deux légats, en séance publique et solennelle, qu'il
fut rompu. Une voix s'éleva : c'était celle du syndic de Camerino qui
interjetait appel, déclarant qu'il entamerait régulièrement une procé-
dure écrite. L'évêque et l'abbé répondirent qu'ils ne recevaient pas
ini semblable appel, mais qu'ils citaient par devant eux à trente jours
le syndic de Camerino. Le perpetiium siîentium n'avait pas duré deux
minutes''*'. Quant aux quatre-vingts mariages ordonnés le 18 fé-
vrier i3o6, la première série ne s'organisa pas vite et les prélats se
virent obligés de proroger d'un mois le premier délai de deux mois.
Les légats nous laissent entrevoir, à cette occasion, que cette vaste
opération diplomatique et matrimoniale menace ruine; ils se réservent
de pourvoir, comme ils pourront, à ces dilïicultés : Ad hec reser-
vamiis nolns putestatein . . . declarandi super hiis de (jiiibus . . . videbitur
expedire , citantes . . . syndicos dictoram cornmuitiam ... ut compareant
personaliter coram iiohis, ulncanaue fuerunus, die Inné post octabas Pasce,
audituri et impleluii (jue eis duxerimus injumjenda. . . ac informaturi nos
ad plénum '**. Cet ajournement aux octaves de Pâques, ubicuncjiie
fuerimus, ressemble, comme nous disons, à un renvoi aux calendes
'"' Caslellani signilic tout siinpienient ici satisfaits de l'attitude plus pacifique de Came-
liabitaitti. rino : il s'y prépare, disent-ils, cent qua-
''' Schûtle, p. 20, 21, 35. rante mariages (Schûtte, p. 47)- N'est-ce
''• Ibid., p. 43. point maStre Dominique, ou son confrère, qui
''' Schûtte, p. 43. Dans un autre docu- s'amuse ici des procédés matrimoniaux des
ment, un peu postérieur, les légats paraissent deui prélats ?
ÉVÉQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 69
grecques, car, à cette date, les deux prélats devaient être en route
pour la France'"'.
La scène du ag mars i3o6, qui eut lieu, ce semble, à Macerata
et dont nous venons de donner une idée, n'était pas la première de
ce genre. L'année précédente, une autre séance solennelle, tenue à
Sienne en novembre, avait été de même interrompue par un appe-
lant. Les légats racontent au pape ce curieux incident. Un juriscon-
sulte, qui représentait les syndics de Florence, Lucques, Sienne,
Prato, se leva et demanda l'autorisation de lire un mémoire où il
développait ses moyens. La nuit approchait : cette autorisation lui fut
refusée. Le juriste prit néanmoins la parole et commença la lecture
de ses considérants et conclusions, alors qu'en face de lui maître
Dominique, notaire des légats, lisait de son côté leurs injonctions.
Les deux voix s'emmêlaient confusément. Mais on distinguait, sortant
de la bouche du juriste ces mots : «J'en aj)pelle. » Ce fut un beau
tumulte. Les légats eux-mêmes y apportèrent leur concours. Pou-
vaient-ils, en effet, s'abstenir? Ils intervinrent, comme c'était leur devoir,
mais avec quelle prudence et quelle série de cautèles, car une parole
inspirée par la prudence peut elle-même devenir une imprudence.
Ils protestèrent donc, déclarant expressément ne point donner leur
assentiment aux dires de l'appelant en ce que ces dires pourraient
avoir de contraire à l'honneur et au respect dus au saint-siège, de
contraire à leur office de pacificateurs, de contraire enfin au droit,
à moins pourtant qu'ils ne fussent eux-mêmes dans la nécessité juri-
dique d'acquiescer'"^'.
Clément V, en lisant ce message, dut sentir que ses affaires d'Italie
n'étaient pas claires. Peut-être le comprit-il mieux encore le jour où
il reçut le dernier message des légats relatif à la Marche d'Ancône,
message dont nous avons seulement une analyse. L'évêque de Mende
et l'abbé de Lombez y mettaient en relief la qmîstion capitale qui,
'"' Scliûtte, p. 4 1-42. L'évêque de Mende ayant le pas'sur l'abbé de
''' Schûtte, j). 4- Nous suivons le rap- Lombez, il est très vraisemblable qu'en cette
port adressé au souverain pontife par les com- grave et comique circonstance, c'est lui qui
missaires et nous les faisons protester en improvisa (soufflé peut-être par maître Domi-
commun. C'est la manière dont ils parlent nique de Poggibonsi) protestation, réserve et
d'eux-mêmes en écrivant au pape , et c'est évi- réserve sur réserve. — L'appel immédiat et
demment en employant ces formules coHec- oral, dont nous parlons dans le texte, fut suivi,
tives que l'un d'eux prit ia parole ; il va de soi dès le lendemain , d'un acte d'appel auquel les
qu'ils ne parlèrent pas tous deux ensemble. légats répondirent par écrit (Schùtte, p. 5).
70 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
flans la Marche d'Ancône, dominait toutes les autres. Boniface VllI
avait accordé, en i3o3, à la Marche des statuts remarquablement
larges et libéraux. Cette concession fut suspendue en i3o/i par
Benoît XI'''; sur ce, cinquante-deux communes de la Marche se
liguèrent pour résister à la bulle de Benoît XI. Les deux légats
se virent contraints, tant cette ligue était menaçante, de rapporter la
décision de Benoît XI et de remettre provisoirement en vigueur
la bulle si regrettée de Boniface VIII jusqu'à ce que le saint-siège
statuât définitivement à cet égard. Ils firent les plus grands efforts
pour obtenir la soumission des cinquante-deux communautés armées;
plusieurs d'entre elles maintinrent la ligue qu'elles avaient formée et
ne tinrent compte ni des injonctions des représentants du pontife, ni
des excommunications et amendes encourues'"^'.
La série fies mécomptes des deux commissaires de Clément V est
interminable. Dans une lettre adressée, le 27 ntnembre i3o5, aux
syndics de Pise, d'Arezzo, de Pistoie et aux Blancs émigrés de Flo-
rence, de Lucques, de Prato et de Volterra, ils confessent naïvement
leur extrême embarras; ils ne réussissent pas à faire promulguer leurs
fléclarations et décisions. Parmi les frères Mendiants, un bien petit
nombre acceptent cette mission de hérauts, soit qu'ils aient peur de
])erflro les aumônes auxquelles ils sont habitués, ou qu'ils craignent
mèmeflêtre tués, soit qu'ils s'attachent simplement à maintenir intacts
leurs privilèges'^*.
La situation politique était telle que les injonctions pacifiques des
impuissants prélats se détruisaient souvent d'elles-mêmes du jour au
lenflemain. Ainsi , le 2 3 décembre 1 3o5 , ils intimaient aux habitants fie
Rietil'ortlre de cesser tout armement, tout fait de guerre; mais, le 2^,
ils étaient obligés de déclarer qu'ils n'avaient point eu l'intention d'in-
terflire aux habitants de Bieti de se fléfendre les armes à la main contre
leurs ennemis'*'. Le 4 janvier 1 3o6 , les légats faisaient pour Spolète une
déclaration analogue : il leur fallait amender et expliquer de manière
identique un ordre de désarmement du 18 décembre précédent'*'.
'■' Tlieiner, Codex diplomatie us dominii tem- (p. ai-a4)et tronquée dans Schùtte (p. /i'i-
poralis Snnctœ Sedis (Rome, 1861), t. I, 46, n° 47), ne mentionne pas encore ce retour
n" 571-577. aux libertés concédées par Boniface VIII.
<■' Schlitte, p. 34, 48, 49; Davidsohn, ''' David.-iohn, t. III, p. 3ii.
t. m, p. 395. Une lettre au pape, du 19 jan- '*' Schiilte, p. la et i3.
vier i3o6, publiée intégralement par Gôiier ''' Ibid.,f. 17.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 71
Nous n'avons pas parlé encore de la Romagne; il nous suifira de
dire que les deux légats l'avaient trouvée en pleine anarchie. Ce qu'ils
purent mander de plus consolant au pape, c'est qu'au moment de
leur passage les guerres cessèrent en grande partie : cessaverunt com-
iminiter a guenis . . . quamdiu nosjuimiis m partibus i//fs*''.
À Anagni , où les deux envoyés parurent à la fin de l'année 1 3o5,
ils obtinrent que les habitants reconnussent la seigneurie du pape ;
mais le parti des Gaetani prit ombrage de leur action, si bien
que les luttes recommencèrent de plus belle et troublèrent de nou-
veau toute cette région ''^'.
Telle était la situation au moment où prit fin la mission de l'évêque
de Mende et de l'abbé de Lombez. L'entreprise confiée par Clément V
à Guillaume Durant et à Peltort de Rabastens s'inspirait d'une pen-
sée profondément humaine et vraiment chrétienne, mais elle dépas-
sait les forces de ces pacificateurs spirituels et désarmés, dont les
ordres n'avaient d'autre sanction que le stérile anathème'^' ou la con-
damnation, nous pourrions dire théorique, au payement d'une
amende'''^ Un mot, un seul, résume pour nous l'impression qui se
dégage des rapports, des lettres et du mémorial des légats : impuis-
sance.
Les deux prélats étaient encore à Macerata en mars i3o6'*'. Ils
reprirent le chemin de la France vers les fêles de Pâques de la même
année '*''. Un des cardinaux qui avaient provoqué l'intervention de
Clément V, Napoléon Or.sini , succéda comme légat à l'évêque de Mende
et à l'abbé de Lombez; sa grande situation personnelle faisait espérer
que son action pourrait être plus efficace*^'.
'"' Davidsohn, t. III, p. agS. j*'t^ appel et plus de cent cavaliers armés
'*' Cf. A. Eilel , Der Kiixhemtaat uiiler kle- viennent menacer, dans Macerata , les légats
mens V, p. i lo et suiv. du pape (Schûtie, p. 47-48; Davidsohn, t. lll,
''I Cr. Davidsohn, t. 111. p. 317. p. 396 ).
'*! Cf. Schûtte, p. 49; GôUer, p. a3. <'• Schùtte, p. 4i.
Incident caractéristique les légats ont '*' Schùtte, p. 4i-42-
imposé aux hab^ants de Fermo une ''> Davidsohn, t. 111, p. 3 1 3. C'est ce même
amende de 5o,ooo marcs d'argent, les ont Napoléon Orsini, doyen du Sacré Collège, qui ,
excommuniés et ont frappé leur territoire le i4 novembre i3o9, avait couronné Clé-
d'interdit. Loin de se soumettre , Fermo inter- ment V à Lyon
GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
II. — Enquête en vue de la canonisation
DE SAINT Thomas de Canteloup, évêque de Hereford.
S'il est difficile d'exercer une acHon politique sur un grand pays
à l'aide d'armes purement spirituelles, il ne l'est pas moins de cano-
niser un chrétien qui passe pour être mort excommunié ; ce second
problème se posa pour Clément V en 1 3o6.
Thomas de Canteloup, évèque de Hereford, jadis étudiant es arts
à Paris, étudiant en droit civil à Orléans, puis derechef à Paris, cette
fois étudiant en droit canonique et en théologie, ancien professeur à
l'Université d'Oxford, où il avait enseigné le droit canonique, ancien
chancelier de cette Université'"', était mort, en 1282, en odeur de
sainteté. Les miracles obtenus par son intercession faisaient son nom
célèbre et vénéré. Sa canonisation fut demandée au souverain pontife
par le roi Edouard 1", par l'archevêque d'York et par un grand nombre
de prélats, abbés et seigneurs'"^'. Cette requête fut reçue avec faveur ;
Clément V chargea de l'enquête préparatoire Guillaume Durant,
Raoul de Baldock, évêque de Londres, et Guillaume Teste, archidiacre
d'Aran, au diocèse de Comminges, nonce apostolique en Angleterre.
Mais, à peine le souverain pontife avait-il pris cette décision qu'une
nouvelle inattendue lui parvint. Le saint évêque de Hereford, rompu
dès sa jeunesse aux discussions juridiques, avait eu, au cours de son
épiscopat, de très graves différends avec son supérieur hiérarchique,
Jean Peckham, archevêque de Cantorbéry, primat d'Angleterre. H
était mort, assurait-on, sous le coup d'une sentence d'excommunica-
tion majeure portée par le primat'''', grosse difficulté qui compliquait
singulièrement l'affaire. Par de nouvelles lettres, le pontife chargea
les trois commissaires d'enquêter avant tout sur ce point : une sen-
tence d'excommunication a-t-elle été prononcée contre Thomas, ou,
tout au moins, a-t-il encouru l'excommunication? 11 sera sursis à l'en-
quête sur la foi, la vie, les mœurs et les miracles, s'il ne conste de
l'absolution ou de la nullité de la sentence ''"'.
L'enquête prescrite par ces deux lettres pontificales, qui sont datées
c Acta Sanctorum. Ocl., t. I, p. 5/»/i-5/j8. ''' Ibid.. p. b-]i-b-j2, 584-585.
Cl Ibid.. p. 584-585, 59a. (•) Ibid.. p. 586.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 73
respectivement des 23 août et i" septembre i3o6, ne commença pas
immédiatement : elle fut retardée jusqu'en avril i^o-j,proptermidta et
varia impedimenta, expliquent les commissaires. Nous connaissons un
de ces impedimenta : iévêque de Mende ne pouvait quitter la France
avant la conclusion de son traité de pariage avec le roi; or ce traité
ne fut conclu qu'en février 1807.
Nous possédons le rapport adressé au souverain pontife par les
trois commissaires enquêteurs; il est daté de décembre iSoy''). La
question de l'excommunication est , comme il convient, abordée la pre-
mière : Tbomas a-t-il été excommunié? Sur ce point les commissaires,
après s'être heurtés à un silence évidemment concerté, trouvèrent
moyen de recevoir la déposition ?le celui-là même qu'on disait avoir
prononcé la sentence et celle de quatorze famibers de l'archevêque''^'.
Les dépositions reçues furent transmises au souverain pontife; après
quoi, à Londres même, un cardinal, plusieurs auditeurs du Sacré
Palais, délégués par le souverain pontife, et les trois commissaires
examinèrent en communies procès-verbaux de l'enquête et étudièrent
longuement les questions de droit que soulevait cet examen. 11 parut
qu'il convenait de procéder à la seconde partie de l'enquête sur la foi,
la vie et les miracles de Thomas de Ganteloiip, non obstantibus (jui-
biisciimqiie de dicta et aliis excommanicationibas, (jiias dicebatur idem archi-
episcopus tulisse in prœfatum domimim T/iomam, per processum inventis^^K
Les commissaires ne se contentent pas de relater ainsi sommaire-
ment la décision de la conférence de Londres; ils s'efforcent de don-
ner au pape une idée des pourparlers qui ont eu lieu, car ils tiennent
à justifier la résolution prise. La discussion semble avoir été quelque
peu pénible, et le résumé qu'en donnent les commissaires est par-
fois légèrement embarrassé. Nous nous efforcerons de le simplifier,
autant que possible, sans l'altérer.
Avantd'être excommunié par l'archevêque da Cantorbéry, Thomas
avait interjeté appel en cour de Rome. Les excommunications Jancées,
il avait de nouveau interjeté appel, avant que les injonctions con-
tenues auxdites sentences d'excommunication eussent pu être suivies
[■' ^c/aSa«c/on,m, Ocl.. t. I, p. 596. «alios, qi,i in parlibus fuerant clerici et
" . Hecepimus eliam ex officio nostro in . familiares archiepiscopi antedicli. libid.
■ testes illum , qui dicebatur praedictam excom- p. 5y3).
« municationis sentcntiam protulisse, et xiiii ''< Ibid.
HI6T. LITTEH. XAXV.
74 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
d'effet. 11 parait même établi qu'avant de recevoir la signification
des monitions de l'archevêque, il avait présenté au primat des lettres
du pape lui conférant certains droits contestés.
Thomas se rendit à Rome pour suivre ses appels. Le pape Mar-
tin IV, averti de la situation, le reçut cependant très honorablement
ad oscuhim; les cardinaux agirent de même. Il communia in divinis avec
le souverain pontife et avec ces hauts dignitaires de l'Eglise. Tombé
malade au cours de ce voyage, il mourut près de Montefiascone,
après avoir reçu du pape l'autorisation de tester. Il s'était confessé à
un Mineur, pénitencier du pape; l'absolution que lui donna ce confes-
seur fut ratifiée par le souverain pontife. Plusieurs cardinaux assis-
tèrent à son inhumation dans le 'monastère de San Severo, près
d'Orvieto. Peu après, ses ossements furent transférés en Angleterre,
dans l'église même de Hereford. L'archevêque de Cantorbéry, qui tout
d'aboid s'était opposé à ce que ses restes fussent déposés dans le lieu
saint, donna ensuite son autorisation sur le vu d'une lettre du péniten-
cier attestant fabsolution donnée'''. Tels sont les faits, bien établis,
qui permettent d'affirmer que févêque était mort absous.
Nous n'analvserons pas la partie du rapport des commissaires
consacrée à l'exposé des vertus, au récit de la vie édifiante, à l'énoncé
des miracles. Qu'il nous suffise de noter que, au dire d'un des
témoins les plus importants, l'évêque de Hereford avait ressuscité
neuf cadavres'^'. Thomas de Canteloup fut finalement canonisé par
Jean XXII le 17 avrd 1 3 20(^1.
Le document que nous venons d'analyser émane officiellement des
trois commissaires. Nous ne croyons pas cependant que Guillaume, ou
l'un des deux autres commissaires , ait ten u ordinairement la plume, soit
pour la rédaction des procès-verbaux d'enquête (qui ne nous sont
pas parvenus), soit pour la rédaction du rapport adressé au souverain
pontife. Guillaume Durant était assisté de maître Raimond de La
Prade, ijotaire impérial et épiscopal du diocèse de Mende, et de
Raimond Bérenger, moine de Figeac, qui, à l'occasion, suppléait ce
notaire; enfin quatre notaires impériaux du royaume d'Angleterre
étaient délégués aussi à ce service, et deux d'entre eux toujours pré-
'■> Acla Sanctoram, Oct., t. I, p. 677-580 ''' Ibid., p. 596-598; Coccpielines, Bulla-
et 593-5()4. rium, t. III, a' partie, p. 178, n° a5. Cf. Hisl.
''' Ibitl, p. 593-595. lia. de la Fr. . t. XXXIV, p. 53o.
E\EQLE DE MENDE. — SES ECRITS. 75
sents. Ce sont donc des notaires (jui in scriptis omnia redegerunt. Suivant
toute vraisemblance, Guillaume dirigeait la procédure.
Nous devons noter toutefois une singularité qui nous autorise à
dire que quelques lignes du rapport signalé ci-dessus ont été écrites
par Guillaume Durant lui-même. C'est lui, en effet, qui, vers la fin
de cette pièce, prend un moment la parole et donne au pape les
renseignements mêmes que nous venons de reproduire : « Rursus
Sanctitatis vestrae, beatissime Pater, clementia non « ignoret me
« episcopum Mimatensem . . . affuisse et iiiecum ad conscribendum
« singula magistrum Raymundum de La Prada, de mea diœcesi
« oriundum,. . . aut dominum Raymundum Berengarii, . . . capel-
« laniim meum. », etc.*''.
Guillaume Durant paraît avoir mis à profil pour un des siens ce
voyage en Angleterre, car il obtint de Clément V, en i 3o8, pour son
cousin Guillaume Caircrie le titre et les émoluments de chanoine et
archidiacre d'Armagh'^'.
III. — Addition alx Instructions et Constitutions
DU SPECULATOn.
Ce morceau, oublié depuis très longtemps, a été signalé par
M. l'abbé Albert Soianet, en i 897'^', vers le temps où MM. Berthelé et
Valniary préparaient leur édition des Instructions et Constitutions du
Speculalor^'*\ oubliées elles-mêmes. Evidemment, ces deux érudits
ont eu sous les yeux l'addition du neveu, car elle fait suite aux Instruc-
tions et Constitutions de l'oncle dans un très ancien livre imprimé
qu'ils ont utilisé, mais ils n'ont pas cru devoir en faire mention. L'ad-
dition de notre Guillaume ne nous est connue quepar cet imprimé'^',
'"' j4c/n Sancforam, Oct., t. I,p. 596. Nous ne culture... de la Lozère (1897), t. XLIX,
relevons pas ce qui est dit des interprètes. Signa- p. 147-1^9-
Ions en passant un Gévaudanais, préchantre '*' Berthelé et Valmary, Instructions et Cou-
de J'église de Mende, Raimond Barot, dont le stitulions de Guillaume Durand le Spécnlateur
nom est altéré en Garrot dans les Acta Sanc- (dans Archives de l'Hérault, t. V, Montpel-
torum; voir ci-dessus, p. 65. lier, 1900).
''' Voir ci-dessus, p. 5, note 1. . ''' Un exemplaire appartient à la Société
"' Abhé Albert Soianet, Instructions et Consii- d'agriculture de la Lozère, nn antre à la bi-
ttttions synodales de Guillaume Durand, dit le bliothèque de la ville de Mende; l'un et l'autre
Spéculateur, dam le Bulletin de la Société (Tagri- sont mutilés à la fin et celui de la ville l'est
70 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
tandis que cinq manuscrits''' nous ont conservé les Instructions et
Constitutions de Guillaume l'Ancien.
L'addition de Guillaume Durant le Jeune est fort intéressante; elle
accuse chez notre prélat deux préoccupations : en premier lieu,
l'horreur de l'usure, entendue au sens qu'a aujourd'hui l'expression
« prêt à intérêt » ; — à l'usure il déclare une guerre implacai)Ie; — en
second lieu, le souci de faire exactement connaître aux hdèles cer-
taines décisions de l'autorité religieuse. Voici l'entrée en matière de
notre auteur :
Nous n'oublions pas que feu noire prédéeesseur et oncle, le seigneur (îuillaume,
(l'heureuse mémoire, proscrivit naguère par constitution synodale le crime d'usure,
que condamnent l'Ancien et le Nouveau Testament aussi bien que le drcjit; nous n'ou-
tîlions ])as qu'il défendit que dorénavant nul, dans notre cité et diocèse de Mende,
pratiquât l'usure, ou certains contrats illicites et frauduleusement entachés d'usure;
(|u'il (h'clara excommuniés ipso Jaclu tous ceux (jui , après trois monitions publiques
du chapelain ou du recleur, coiitinu<raient l<'urs pratiques, lesdits coupables ne pou-
vant être absous tant qu'ils ne si- seraient pas amendés et n'auraient pas restitué le
bien mal ac(|uis, leurs oll'randes ne pouvant être acceptées dans les églises, leur
corps ne pou\ant être inhumé dans les cimetières, des prières ne j)ouvant être
adressées à Dieu pour le repos de leur àme''^'.
Mais, nous le disons ici avec douleur, quelques-uns de nos sujets, aveuglés par
l'avarici', se livrent incoiisidéiément aux démons qui les dévorent et, par de dévo-
rantes usures , dévorant eux-mêmes et épuisant en peu de temps les ressources des
autres'^', s'ellorcent de ])allier gains illicites et contrats réprouvés par l'excuse de la
simplicité et de l'ignorance.
heaucouj) plus gravement que celui de la So- de lVlefz(ni». in3), le quatrième dans celle de
ciéte d'agricullure. Un troisième exenqilairi-, l'université de Graz (nis. Il , 583). ISous devons
idenliqup aux doux autres l'I contenant lad- à l'obligeance de M. le professeur 11. Schenki
dilion de Guillaume [durant le Jeune, est des extraits de ce dernier manuscrit, qui per-
conservé aujourd hui aux Archives de l'Ile- mettent d'alTinner qu'il s'agit des Instructions
rouit ; i'e>l le seul exemplaire complet que et Constitutions du Speculalor. M. Goller s'est
nous connaissions. U est sans date et ne porte certainement trompé en attribuant le traité
indication ni de libraire ou imprimeur, ni de conservé à Graz à notre Guillamne [)urant
lieu d'imi ression (communication de M. Ber- (Zur Geschichte der italienischen Légation Du-
thelé, archi\islede l'Hérault). lantis des JûiKjerenvon Afende , p. i.^)).
''' Un de ces cinq manuscrits est déposé ''' Allusion aux décisions du Spcctdalor qui
aujourd'hui aux Archives départementales de ligurent dans les Instractions et Constitutions .
l'Hérault (Berlhelé et Vahnary, p. i). Les édit. Bertheléet Valmary, p. 137. LeS/«;cu/a/or
quatre autres, que les éditeurs ne paraissent suit de très près Grégoire X au concile de Lyon
|>a3 avoir connus, sont conservés, l'un dans la, (Sexle, \ , v, c. 1 c. et a) et notre (iuillaume,
)ibliotl)('(|ue delà ville deTroyes (ras. 1550), à son tour, copie en grande partie le iS/»ecu/a(or.
l'autre dans celle de Clermont-Ferrand (ms. ''' Ici Guillnunie Durant le Jeune s'inspire
l58■l37^ fol. 47-133), le troisième dans celle de Grégoire X au concile de Lyon {ibid., c. 1).
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 77
Afin de chasser celte malice et de couper court à ces fraudes, considérant la valeur
et la force de la constitution susdite, en ce moment même confirmée et renouvelée,
nous déclarons tout d'abord par le présent édit perpétuel :
Doivent être réputés usuriers ceux qui pratiquent directement des usures mani-
festes à peu près pour tous, en prêtant une somme moindre afin de retirer, en vertu
de la convention passée entre les parties, une somme plus forle, prêtant lo, par
exemple, pour recevoir i i en raison du délai accordé pour le remboursement.
En second lieu , nous déclarons que lesdits usuriers sont touchés par la constitu-
tion ci-dessus et tombent sous le coup de toutes autres peines portées à ce sujet par
nos prédécesseurs et parle droit; nous mentionnons spécialement la constitution du
seigneur pape Grégoire X, aux lermes de laquelle les usuriers ne peuvent tester ni
être entendus en confession tant qu'ils n'ont pas effectué restitution pleine et entière
ou fourni caution suffisante'".
Pas.saiit ensuite à l'usiife déguisée, l'évêque énumère une série de
contrats entachés d'usure. Nous citerons notamment la convention
dite, cjuand elle concerne le bétail, cheptel de fer, en remarquant
que Guillaume n'adopte pas encore cette qualification empruntée
au Talmud*^'. Voici comment il décrit l'opération prohibée :
Remettre de l'argent, des animaux ou toutes autres choses à des particuliers, en
formant avec eux une société avec cette clause : tout dommage, tout ris(jue sera
supporté par le preneur, mais les émoluments et bénéfices seront communs, les
objets remis au preneur, ou leur estimation, ne cesseront pas d'être dus, bien que
leur destruction ou détérioration ne puisse s'expliquer par le dol, la négligence ou
la faute du preneur'^'.
Dans cette longue revue des opérations entachées d'usure et dans
la définition même de l'usure, nous n'avons aperçu aucune allusion
directe à la théorie du damiuim emeryens, en d'autres termes, à la
théorie de Vinteresse ou de ïid (jiiod interesi^'*\ laquelle, se précisant et
s'élargissant, aboutira très légitimementà nos conceptions modernes.
Non pas cependant qu'un examen attentif des termes employés ne
puisse donner ouverture au système fécond de Vinteresse; mais il paraît
bien que l'auteur, extrême ici comme il l'est ailleurs, n'est nullement
sympathique à ces explications. S'il leur eût été favorable, pouvait-il
•'' Cf. Grégoire X au concile de Lyotï{ibid., *'' S. Thomas, De nsoris.c. i3et ii{Opera,
c. 2). i865, t. XVII, p. 429-430); 8. Célestin V,
'*' Bnbylonische Talmad, irad. Goldschmidt, De usaris, dans La Bigne, Bibliotheca maxima
t. VI, p. 719. Patrum, 1677, *• XXV, p. 853. Le lucrum ces-
''' Fol. CL v° et CLi r". sans apparaît, croyons-nous, postérieurement.
78 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
manquer de les communiquer à ses prêtres? Mais il les ignorait
peut-être.
Nous relevons, à l'occasion des difficultés qui surgissent entre
créancier et débiteur, une préoccupation intéressante : Guillaume ne
songe pas à interdire l'excommunication pour dettes; mais il la soumet
à certaines formalités et délais, car, dit-il, le glaive avec lequel on
frappe çà et là, comme au hasard, s'émousse très vite : ensis cum (jiio
passim perciititur sepius hebetatur^^K
La seconde partie de ce précieux document est consacrée à la
publicité qu'il convient de donner à certaines prescriptions de l'auto-
rité ecclésiastique. Ces prescriptions devront être rappelées aux
fidèles deux fois par an , en temps de carême et au mois de septem-
bre : les prieurs, recteurs et curés sont invités, en vertu de la sainte
obéissance et à peine d'être suspens, à procéder et faire procéder à
ces promulgations, en langue vulgaire [vnlgariter) , aux dates ci-dessus
indiquées''^'. Elles comprendront : i° toutes les décisions relatives à
l'usure, que Guillaume a renouvelées ou édictées le premier; 2° une
série de prescriptions d'un autre ordre, empruntées aux constitutions
du Spcculator, De statu, vila et conversatione persunarum ecclesiasticarnm^^^
et De ecclesiis et earnm prmlecj'ds^'*^ ; 3° deux constitutions deGrégoireX,
relatives à l'usure'^' et deux constitutions de BonifaceVIII, qui ont
pour objet de sauvegarder l'immunité des églises'^'.
La lecture de ces documents in extenso serait interminable : Guil-
laume en a donc rédigé lui-même, ou fait rédiger un texte très abrégé
qui devra être lu au jieuple en langue vulgaire. Mais son instruction
étant destinée aux prieurs, recteurs et curés, c'est un résumé en
latin qui nous est parvenu '^l
Gette addition aux Instructions et Constitutions du Specnlator
a-t-elle été entièrement écrite par Guillaume.^ Cela nous paraît assez peu
probable. Guillaume a vraisemblablement mis à profit l'expérience
et les connaissances tbéologiques de son entourage. Mais quelques
phrases, quelques expressions imagées'^' trahissent çà et là, croyons-
nous, son intervention personnelle.
(') Fol. CLV \°. <'l Sexte, V, v, c. i et a.
<'' Foi. CLV v° et CLvi r°. "' Sexte, III, xxiii, c. 4 et 5.
''' Cf. liertheléet Valmary, p. loo-ioa. <'' Fol. CLXi r" et suiv.
'*' lbid..f. io3. '"' Nous visons notamment les mots uoranrfos.
EVEQUE DE \IENDE. — SES ÉCRITS. 79
Examinée intrinsèquement, l'instruction supplémentaire de Guil-
laume Durant le Jeune nous fournit, quant à la date de la rédac-
tion, cette donnée unique : elle a été rédigée postérieurement à la
promulgation du Sexle (1298), puisque les constitutions de Gré-
goire \ et de Boniface VIII, qui y sont visées, figurent dans ce recueil.
Mais nous pouvons pousser un peu plus avant : voici comment.
Les Instructions et^ Constitutions du Spcrulator sont copiées dans un
manuscrit de la bibliothèque de la ville de Troyes''^. Ce manuscrit ne
contient pas, conime le petit volume imprimé au commencement du
xvi^ siècle, l'addition de Guillaume Durant le Jeune. Dans ce manu-
scrit, l'explicit d'un traité De ordinatlone misse, qui fait suite immédiate
aux Constitutions de Guillaume l'Ancien et qui est de la même main,
nous fournit la date de i3o3, indiquée comme la date du travail
exécuté par le copiste, llest donc extrêmement vraisemblable que l'ad-
dition de (iuillaume le Jeune n'existait pas encore en i3o3. S'il nous
fallait serrer de plus près ce petit problème chronologique, nous son-
gerions aux environs de l'année i3o9, date à laquelle Guillaume se
fit adjuger le tiers des biens des Juifs expulsés par Philippe le Bel ; il
est naturel de supposer que, à l'occasion des alï'aires des Juifs, la ques-
tion de l'usure a retenu plus particulièrement son attention. Aussi
bien l'expulsion des Juifs rendait l'argent plus rare et plus cher; cette
préoccupation s'imposait à tous.
IV. TrACTATUS de modo CELEBRANDl CONCILH^'^K
Cette rubrique ne donne pas de l'ouvrage une idée juste; en l'écri-
vant, Guillaume Durant a voulu mettre en relief tout ce qui, dans la
lora^me (Zeuo;anteî; voir ci-dessus, p. 77, notre très exactement ce morceau au Sftecalator
traduction. Sans doute le texte même de la (p. 659-660), mais te rédacteur de la table
constitution de Gréî,'oireX [voruginem, dévorât) l'attribue à tort à Guillaume Durant le Jeune
est le point de départ de ce développement (p. io64). Il a été induit en erreur par la date
littéraire; mais c'est une métaphore qui a de i3o3 qui figure, comme il sera dit dans le
fleuri sous la plume de Guillaume. Cf. la consli- texte, à Vexplicit d'un autre traité intitulé : De
tution de Grégoire X, déjà citée, dans le Sexte, ordinations misse (fol. 77 r").
V, V, G. I. A noter cet autre jeu de mots qui ''' Manuscrits : Tours, 337 (incomplet) ;
n'est pas traduisibie : «Recipiuntin baratis eos Troyes, 786; Paris, Mazarine, 1687 (incomplet) ;
ndinferniducentesinra^rMmn(fol.xLVlil-XLix). Paris, Bibl. nat., lat. 1 443; Cues, hôpital Saint-
'■' Ms. i556, fol. 22 r"-74 r°. Le rédacteur Nicolas, 168. Editions : Lyon, i53i, et avec
du catalogue des manuscrits de Troyes attribue un autre frontispice , i534;Paris, i545, i56i.
80 (ÎUILLAUME DURANT LE JEUNE,
législation canonique, et parfois dans la législation civile, dans la
coutume contemporaine «t dans la pratique, devrait, suivant lui, être
restauré, modifié, complété ou abrogé. C'est une revision qui porte
sur les points les plus divers, pour tout dire en un mot, sur l'en-
semble de la société chrétieime en ses grandes lignes et en ses plus
minces détails, depuis la primauté de saint Pierre et la suprématie
de l'Église jusqu'à la clochette dont le son doit, à «ertains moments de
la messe, éveiller l'attention des fidèles.
Clément V, avant l'ouverture du concile de Vienne, avait invité
les évêques à lui adresser par écrit toutes les con)munications qui
leur paraîtraient utiles au bien de l'Eglise et du peuple chrétien'''.
Le traité que nous abordons est une réponse à l'invitation du pape
en ce qui concerne la réforme générale de l'Eglise.
Esprit vif et ouvert, àme ardente et passionnée, Guillaume Durant
est avide de réformes. Il a pris ou fait prendre quantité de notes. Il les
utilise et les commente, sans les avoir au préalable convenablement
classées par matières, et sans apporter toujours à l'étude' des textes
un sens critique parfaitement équilibré. 11 emprunte de nombreuses
citations à l'Ancien et au Nouveau Testament. Celles qu'il tire du
Corpus juris canonici sont innombrables; pour le plus grand nombre,
elles proviennent du Z)me( deGratien, dont Guillaume possédait une
connaissance approfondie. Il cite souvent les Pères de l'Eglise : saint
Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise, saint Grégoire, parfois
Isidore de Séville, Bède le Vénérable, ou saint Bernard; mais il est
visible que c'est le Décret qui lui a fourni la plupart de ces citations.
L'auteur a aussi mis à contribution le Corpus juris civilis : on trouve;
dans son œuvre des fragments du Digeste, du Code, des Noveiles,
et aussi des constitutions de Frédéric Barberousse qui leur ont été
ajoutées en appendice. 11 cite les capilulaires des rois Francs, les
œuvres de canonistes et de légistes tels que Henri de Suse, cardinal
d'Ostie, et Geoffroi de Trani. Il a aussi demandé quelques textes à
(>icéron, aux écrits attribués à Sénèque, à Valère-Maxime, et, en ce
^'cniseet Paris, 1C17 , i()35; Paris, 1671 (par après bien d'autres, aUribue ce traité au Spc-
.\nt Faure). Ce traité se trouve aussi dans le culutor. Fabricius est parfaitement renseigne
Traclatus illastriam in utraquc lam pontificii tum [BMiolkcca latina mediœ et infimœ œtalis, e.lit.
cœsareijurisFacullulciiirisconsullorum. t.Xm, Mansi, 1754, t. II, p. bg). , , , ,.
pars I (Venise, ir>8/,), fol. i.VviSa. '"Voir la préface du De modo celebramU
Dans la Défense de lu Déclaration, Bossuet, concilii.
EVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 81
3 ni concerne les œuvres du moyen âge, à Alcuin et à la chronique
e Marlin le Polonais. Peut-être a-t-il connu l'écrit composé par
Ilumbert de Romans pour préparer les travaux du deuxième concile
de Lyon; mais si, comme il est naturel, les deux auteurs se ren-
contrent «ur plusieurs points, il paraît certain que Guillaume Durant
n'a pas fait usage de l'opuscule de son prédécesseur.
Il connaissait, nous le savons déjà, les Instructions et Constitutions
de son oncle Guillaume Durant l'Ancien*, instructions et constitutions
qu'il a même complétées. Ce qu'il dit dans le De modo cclehrandi concilii
au sujet de la tenue des clercs, de la défense faite aux laïques de
toucher aux choses d'Église, du caractère exclusivement religieux des
églises et des cimetières, des atteintes portées par le pouvoir civil aux
libertés et privilèges de l'Eglise et des ecclésiastiques, se retrouve dans
les Instructions et Constitutions''^ Mais, entre ces deux œuvres, le trait
commun le plus frappant est, à coup sûr, cette pensée : le clergé, qui
prêche la morale, doit avant tout se réformer lui-môme : Qui trabem
(jestat in ocalo, non potest festncam educcre de ocnio fratris sui^'^\ Cette
allusion à un passage bien connu de saint .\hittiiieu s'écarte sen-
siblement du texte même de son évangile. En comparant ici les deux
auteurs, nous constatons immédiatement que le second Durant a
copié directement, non pas saint Matthieu, mais son oncle le Spe-
culator.
Un autre écrit de Guillaume l'Ancien, le Commentaire sur le
concile de Lyon'^', contient, à propos de l'usure et au regard de
Rome, cette observation mordante : Dehuil a se ipso dominus Papa
incipere et hanc constitutionem in sua curiafacere observari, nam a capite
ratio est reddenda^'^K Guillaume généralise cette critique et y revient
sans cesse. Tout lecteur du De modo celebrandi concilii sera frappé de
la gravité des accusations et des reproches que le ])rélat adresse à la
cour de Rome; telle est l'impression dominante qui se dégage néces-
sairement. Elle est résumée en cette formule énergique qui fit for-
tune : l'Eglise doit être réformée dans son chef et flans ses membres.
Nous analyserons de près ce célèbre traité.
''' Berthelé et Valmary, p. 11,49, 'O^' menlarius a Simone Mawlo...editns (Fano, ib6i)).
io3, io5, ili2. I») Cf. Ciôller, Znr Gcschiclite des zweiieii
'*' Berthelé et Valmary, p. 10. Lyoner Konzils . dans Rômische Quartatschrift
<'' In sacrosanctum Lagdanensc concilium corn- (1906), t. XX, Gescliichle, p. 87.
HIST. LITTÉR. XXXV. 1 l
8 * ..".-"« ..fo,....
82 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Précédé d'un avertissement très sobre , il est divisé en trois parties*'* ,
et chaque partie est subdivisée en titres, divisions et subdivisions qui
s'adressent à l'œil plus qu'à l'intelligence, car, dans son ensemble,
l'œuvre est confuse et hâtive ; ce sont, pourrait-on dire, des notes
jetées comme en courant.
Nous suivrons autant que possible cet « ordre dispersé » , qui cor-
respond fort bien au tempérament de l'auteur; nous n'essayerons pas
d'y substituer une classification arbitraire, qui altérerait gravement
la physionomie de l'ouvrage et lui enlèverait son originalité.
La première partie est la plus courte. Les titres i à /i de cette
partie peuvent être considérés comme la préface de l'ouvrag<^; l'au-
teur s'y révèle déjà tout entier. Nous résumons cette préface.
Le pape Clément V ayant mandé à tous les archevêques et évêques
convoqués au concile de Vienne de communiquer à l'assemblée des
mémoires sur toutes les questions intéressant l'Eglise, le peuple
chrétien et les progrès de la- foi, l'évêque de Mende s'est fait un
devoir d'obéir au souverain pontife ; il a relu avec attention les
canons des conciles, trop souvent méconnus, et il a consigné par
écrit le résumé de ce qui lui paraît, suivant du moins sou faible
entendement {juxta parvitatis meœ moclulam)^ devoir être soumis au
concile.
Penseur agité, moraliste combatif, notre auteur prend les choses
de haut. Voici la ]wrtie essentielle de son entrée en matière : c'est,
sous une forme énergique et passionnée, une pensée très juste qu'avait
déjà exprimée, comme on sait, le Speculalor. Celui qui a une poutre
dans fœilne saurait, est-il dit dans l'évangile de saint Matthieu,
enlever un fétu de l'œil de son frère'-'. (Jeux qui se mêlent de re-
prendre autrui, et ne font point pénitence, doivent être rappelés à
eux-mêmes, écrit saint Grégoire, afin qu'ils aient à se corriger tout
d'abord, pour songer à corriger les autres. Il est donc utile, il est
nécessaire de corriger et de réformer, avant tout, ce qui, en l'Eglise
''' Dans le manuscrit de Troyes n° 786, l'ou de la seconde partie. Ce chapitre est nunié-
vrage est divisé en deux parties seulement, la roté 100 dans le manuscrit. — Pour toutes
Iroisièine partie ne faisant qu'un avec la se- nos citations, nous suivrons les divisions
conde. La troisième partie manque dans le adoptées par l'éditeur de 1671.
manuscrit de Tours ainsi que dans le manu- ''' Saint Matthieu dit : • Sine cjiciam festu-
scrit de la Mazarine n" 1687, qui s'arrête « cam de oculo, et ecce trabsest in oculo tuo ?•
aux mots tjravaminihus Erclcsie du ch. 7a (vu, 4)-
EVEQLE DE MENDE. — SES ECRITS. 83
(le Dieu, est à corriger et à réformer dans le chef et dans les mem-
bres, tam III capite (jiiam in membris. Je parlerai cam pace etvenia, et mon
excuse sera l'obéissance au souverain pontife [et ex obœdientia excu-
satas liabeor). Je n'ai trouvé, dit saint Jérôme, pour diviser l'Eglise
de Dieu et éloigner le peuple de la maison du Seigneur, que ceux-là
mêmes qui sont institués par Dieu, les prêtres et les prophètes.
Prêtres et prophètes sont des éclaireurs; et ces éclaireurs-là partout
tendent des pièges et, en tous lieux, promènent le scandale'''. L'Eglise
de Dieu est souillée par ceux qu'on appelle ecclésiastiques, par ceux
qui devraient être pour les autres autant de flambeaux, autant de
flammes lumineuses. Ceux-là mêmes qui manquent de toute connais-
sance de Dieu détestent cette folle conduite et, plus sainement, plus
sagement inspirés, réprouvent ces voies désordonnées, si opposées à
la loi divine. 11 est nécessaire que les savants soient repris par les
ignorants, les clercs par les laïques.
Comment corriger, comment réformer l'Eglise et la chrétienté?
L autorité ecclésiastique et l'autorité civile, le souverain pontife et
les rois doivent se conformer au droit naturel, aux préceptes de la loi
et de l'Evangile, aux décrets des conciles, aux règles établies [juribus
apprubatis). Ni le pape, ni saint Pierre lui-même n'ont reçu, avec le
pouvoir attaché au siège apostolique, licence de pécher. Aussi bien,
plus les papes sont rapprochés du Sauveur, plus ils sont visés par
l'ennemi du genre humain, qui a tant de moyens de tromper et qui,
depuis l'origine, s'efforce de détruire l'unité de fEglise, de blesser la
charité, de s'attaquer aux œuvres saintes par le fiel de la jalousie, de
troubler et de pervertir de mille manières le genre humain.
Notre sérénissime seigneur pape et les rois doivent avant tout agir
correctement et faire le bien, afin de prêcher d'exemple, car, comme
dit Sénèque, les exemples valent plus que les paroles. Nous oppose-
ra-t-on que pape et rois sont au-dessus des lois ( le(jibiis soluti] ? Nous
répondrons qu'ils ne sont point dispensés d'obéir aux lois divines;
car, suivant le pape Urbain, le pontife romain lui-même ne peut in-
nover là où le Seigneur ou ses apôtres et les saints Pères, leurs succes-
seurs, ont porté une sentence définitive; il doit, au contraire, la main-
tenir et la confirmer jusqu'au sacrifice de sa vie'^'. Le pape Zosime
"' Décret de Gratien, C. XXIV, qii. m, c. 33, — '' Ibid.. C. XXV, qu. i, c. 6.
84 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
écrit aussi que l'autorité du siège apostolique ne peut rien changer aux
saintes décisions des Pères'''. Si j'abrogeais ce qu'ont décidé mes pré-
décesseurs, a dit saint Grégoire, je serais justement qualifié destruc-
teur, non pas constructeur'^'. Ce pontife accepte et vénère, à l'égal des
quatre Evangiles, les quatre conciles de Nicée, de Constantinople,
d'Ephèse et de Chalcédoine. Quant aux princes séculiers, ils con-
fessent qu'eux aussi tendent à se conformer aux lois ecclésiastiques;
ils sont, d'autre part, soumis eux-mêmes aux lois qu'ils ont portées.
Telles sont les notions générales que l'auteur, pour commencer,
met nettement en relief; il les considère comme la base même des
observations qu'il va présenter.
Tout pouvoir, continue-t-il, doit être régi, limité et contenu par
la raison, qui gouverne toutes choses, comme l'écrivait le pape Gré-
goire à l'empereur Maurice. L'avis des anciens et des notables est une
garantie de justice et de vérité ; il serait donc salutaire à l'Eglise et à
l'État que le souverain pontife ne fît point usage du pouvoir sans le
conseil des cardinaux, ni les rois et les princes sans le conseil
d'hommes sages (comme c'était l'usage jusqu'à ces derniers temps);
le pape devrait surtout procéder de la sorte pour toute concession en
opposition avec les canons des conciles et avec le droit commun
en vigueur (jura approbata conwiumtery
Contre les conciles et contre le droit commun les souverains pon-
tifes ne devraient rien décider si ce n'est en concile général, car,
suivant l'un et l'autre droits, ce qui intéresse l'universalité doit être
approuvé par f universalité, comme fa dit aussi saint Augustin. Les
papes sont plus élevés en dignité que le reste des hommes, mais ils
ne sont pas plus assurés de la rectitude de leurs actions et de leurs
décisions, comme le fait observer saint Grégoire. Toute exemption du
droit commun, en d'autres termes, toute dispense doit être justifiée
par un besoin réel ou par la nécessité. Si le pape était suffisamment
pénétré de ce ])rincipe,il s'abstiendrait d'accorder dispenses, indul-
gences, privilèges et exemptions contraires au bien général de la
chrétienté.
Ainsi, dès les premières pages, la cour de Home est mise en cause.
Cette note alarmante, qui tout de suite est venue frapper nos oreilles,
i') Décret de Gratieii, C. XXV, qu. i, c. 7. — ''' Ibid. . C. XXV, qu. 11, c. 3.
E\ EQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 85
se fera entendre à chaque instant, avant même que nous arrivions à la
troisième et dernière partie de l'ouvrage, dont le titre premier est in-
titulé : De re/ormatione iiniversalis Ecclesiœ, et (jiiod in ea est primo a
capite , scihcet liomana Ecclesia , prœlalis et aliis>.superioribus inchoandam^^K
C'est vraiment le tocsin qui, dès le temps de Philippe le Bel, annonce
les crises redoutables fin xv*" et du xvT siècle.
x\près ce préambule, l'auteur aborde, dans le titre 5, une des ques-
tions qui lui tiennent le plus à cœur, question qui devait être si vive-
ment débattue au concile de Vienne, je veux parler des exemptions :
il cite tous les textes favorables au pouvoir des évêques et demande
l'abolition des exemptions. Or, comme les exemptions sont une des
manifestations les plus caractéristiques du pouvoir suprême du Siège
apostolique, l'auteur ébauche à ce propos une théorie de la primauté
de Pierre, qu'il construit en s'eiTorçant de résumer et de rapprocher
des textes bien connus un fragment d'une fausse décrétale attribuée
au pape Anaclet*^' et des passages souvent cités de la lettre 69 de
saint Gyprien'^'.
Revenant, après quelques détours, aux exemptions des religieux,
Guillaume Durant fait remarquer que tous les monastères, toutes
les maisons religieuses doivent être soumis aux évêques. Sans doute
le pape a le pouvoir d'accorder exemptions et immunités, mais ces
privilèges lui nuisent à lui-même, nuisent à l'Église universelle et à la
religion, à cause des scandales de toute sorte qui en résultent. Si cer-
tains de ces privilèges furent autrefois sérieusement motivés, ils ne se
justifient plus aujourd'hui. Que le souverain pontife prononce donc
fabolition générale de privilèges attentatoires aux droits de l'épiscopat,
qui est d'institution divine. Sur ces conclusions radicales se clôt la
première partie du traité.
Pour la seconde partie, l'auteur a adopté un plan singulier, une
méthode que nous serions tenté d'appeler grossière : il se préoccu-
pera d'abord des conciles grecs, desquels il rapprochera divers con-
ciles latins et divers textes canoniques (tit. 1 à 24); après quoi, il
utilisera les conciles latins (tit. 25 à 72). Gette division des matières,
que les collections canoniques anciennes ont probablement inspirée,
se justifierait à merveille dans un recueil de textes; mais elle ne
'" Voir ci-après, p. loo. — ''' Décret de Gratien , D. xxi, c. a. — <" Ibid., C. XXIV,
qu. I , c. 18.
86 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
convient pas à une dissertation du genre de celle que nous étudions,
car elle ne correspond nullement à l'ordre méthodique. Les répéti-
tions, les doubles emplois seront donc très fréquents. Nous laisse-
rons ordinairement de coté les conciles invoqués, pour nous attacher,
autant que possible, à la pensée même de l'auteur; c'est elle qui avant
tout nous intéresse.
Dans un préambule énergique, l'auteur pose ce principe fonda-
mental : la coutume, si elle est mauvaise, ne doit pas être respectée.
Elle doit céder devant la vérité, car le Seigneur n'a pas dit :
E(jo suin consuetudo, mais : E(jo siim vcritas^^K La victoire doit rester à
la raison et à la vérité : elles doivent chasser la coutume. Ceux qui se
sentent vaincus par la raison nous opposent la coutume, a dit saint
Augustin, comme si la coutume était supérieure à la vérité.
Si notre évèque n'entend pas se laisser vaincre par la coutume, il
ne sera pas non plus l'esclave des documents qu'il a colligés; et, au
sujet de ces sources (conciles et textes divers), il reproduit, sous cou-
vert d'une ])rétendue citation de saint Ambroise, une maxime heu-
reuse, qui fait bien augurer de ce qui va suivre : il s'entoure, écrit-il,
de documents, car il faut lire certains textes canoniques, afin de ne
pas les négliger; d'autres textes, afin de ne pas les ignorer; d'autres,
enfin, en vue, non pas de s'y conformer, mais bien de les rejeter''^'.
Le saint concile pourra trouver en ces documents divers des pres-
criptions à faire observer , d'autres à révoquer ou à modifier.
Sur quoi, l'auteur aborde son sujet et consacre un titre entier à
énumérer une longue série d'actes prohibés par le droit canonique.
Il insiste tout particulièrement sur les interdictions qui visent les
ecclésiastiques ; il reviendra ultérieurement sur plusieurs d'entre
elles, mais, pour certaines défenses, le présent énoncé sufiira. Nous
relevons les décisions suivantes : tout évêque qui se sera servi du
pouvoir civil pour obtenir son siège sera déposé; les évêques doi-
vent se réunir en concile deux fois par an; l'évêque ne doit pas faire
''' Décret île Gralien, D. vin, c. 7. «ne iegantur ; legimus ne ignoremus ; legimus
''' «Ad hune fineni ut legainus aliqua ne «non ut teneamus , sed ut repudiemus. . . t
n negiiganlur, alla ne igDorentur, et alla non ut (Migne, Patr. lat. , t. XV, col. i533). Guil-
«teneantur, sed ut repudientur •. Saint Am- laume Durant ajoute un renvoi au Décret de
broise, auquel Guillaume Durant nous renvoie (îratien, D. xxxvii, c. 9, où le texte de saint
[ncut ait hcatas Ainbrodus super Lticain) , parle Ambroise est reproduit sans la modification que
uniquement de la troisième catégorie, celle notre auteur y a apportée en l'insérant dans son
des livres (jui sont à rejeter : « Legimus aliqua traité.
EVEQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 87
profiter sa famille des biens de l'Église, etc. Ce titre V\ très long,
ressemble à un recueil de notes que fauteur aurait placé en tête des
parties II et III, en manière de table des matières.
Suivent trois titres très courts, en aucun desquels la cour de
Rome n'est oubliée. Les premiers' chrétiens avaient établi parmi
eux la communauté de biens; ne conviendrait-il pas de revenir à
ces antiques usages, ou, du moins, de s'en rapprocher un peu en
supprimant les gains dont profitent et le collège des cardinaux et
d'autres collèges, en supprimant aussi la pluralité des bénéfices
(tit. 2).:>
Dans les pages suivantes, fauteur s'en prenrl à des décisions ponti-
ficales qui, très sagement, avaient restreint le privilège du for. Il les
critique parce que ces décisions du saint-siège n'ont pas été con-
firmées par un concile général; sans doute il voudrait que les ques-
tions relatives au privilège du for fussent comprises dans le pro-
gramme du futur concile. En tout cas, il reproche à la cour de Rome
d'avoir autorisé, à titre exceptionnel, il est vrai, les juges laïques à
porter la main sur les clercs; c'est là sans doute une allusion à des
concessions comme celles que fit, en 1260, le pape Alexandre IV au
roi saint Louis quand il lui accorda le privilège de n'être pas excom-
munié s'il faisait arrêter des clercs notoirement coupables de crimes
énormes, ou accusés de ces crimes par la voix publique, pourvu qu'il
se proposât de les remettre aux tribunaux ecclésiastiques"'. Plus loin
Guillaume Durant blâme les décisions que prit Boniface VIII pour
restreindre le privilège clérical au détriment des clercs mariés; il s'a«rit
évidemment des deux décrétales insérées au Sexte, dont fune excfut
du privilège les clercs bigames (au sens canonique du mot) et les
clercs marchands''^ tandis que l'autre attache une grande importance,
pour la preuve de la qualité de clerc, au port de l'habit ecclésias-
tique'''. Il semble bien que les auteurs de ces diverses décrétales
n'aient pas mérité les critiques de l'évêque de Mende.
Après ces propositions au regard de Rome, févêque s'attaque
au pouvoir civil : les princes entravent la liberté d'acquérir des
°7b^H^'"'' "^^ ^'"""^ '''' ''""''"' '■ '"' ^'"'^'' contraxerunt. Cf. Paul Fournier, Les
" (1) l ■ . ,„ , ^ officialités au moyen âge. p. 69 et suiv., note.
' 'Sexte, III, „, c. ,. I^ Sexte réserve le O C'est la décrétale bien connue 5/ index
privilège du for aux clercs qai cani nnicis et vir- laicus, Sexte, V, xi, c. la.
88 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
propriétés, qui appartient de «Iroit aux églises et doit être respectée.
C'est sans doute pour lui une manière de protester contre l'applica-
tion du droit d'amortissement. Suivent de vives récriminations au
sujet de la non-observation de la bulle Clericis laicos (tit. 5).
Notre auteur a-t-il espéré compenser, aux yeux du pouvoir civil,
l'aigreur de ces ])laintes en les faisant suivre d'un titre où il recom-
mande que des prières soient faites dans les églises, non seulement
pour tous les hommes, mais spécialement pour les rois et pour tous
ceux qui sont élevés en dignité (tit. 6).>*
Le titre suivant (tit. 7) concerne les droits des évêques. Ici encore
Home est mise en cause : les évêques et les prêtres sont beaucoup trop
facilement cités en cour de Rome. Les cardinaux romains prennent
place, quoique simples prêtres ou diacres, au-dessus des archevêques
et des évêques, ce qui est contraire à toute règle. Le rang des
évêques n'est pas respecté dans les cérémonies, de nombreux oRi-
ciers de la cour de Rome prennent le pas sur les successeurs des
apôtres, sur les frères de l'évêque de Rome. Celui-ci ne devrait pas se
qualifier universalis papa. Qui n'acquitte pas ce qu'il doit, réclame en
vain ce qui lui est dû : Non servanli Jidem Jides interdnm. non servatiii:
La cour de Rome ne devrait jamais, sans l'aveu des évêques, con-
sentir aux princes séculiers un subside sur les églises. Elle devrait
renoncer aux réserves et aux grâces expectatives. « Cil qui tôt convoite
« tôt perd », dit un proverbe populaire'''. Celui ([ui se mouche
trop fort, tire le sang, a dit Salomon'^'. Oublie-t-on que l'Eglise
grecque a rejeté l'obédience de Rome?
Le titre 8 est consacré aux negotia sœculana interdits à tous ceux
tjiii militant Deo.
Dans le titre 9, rappelant la donation de Constantin, notre auteur
insiste avec complaisance sur la haute situation du souverain pontife.
Constantin non seulement lui a reconnu la primauté sur toute l'Eglise,
mais lui a abandonné Rome et l'empire d'Occident'^'; aussi bien le
Seigneur n'a-t-il pas confié à Pierre, porte-clefs de l'Église, les droits
royaux dans le ciel et sur la terre .^
'"' Guillaume Durant dans son livre ùnonce ''' Proverbes, XXX, 33.
ce j)roverl)e en latin : «Qui totun» viilt, totuni ''' Cf. Décret de Gralien, D. \cvi, c. i/i
|ierdit. » Cf. Le Roux de Lincy, Le Livre des (extrait de la donslion de Constantin), avec la
^roi'crfccj //-(//ifaii- ( Paris, iSôg), t. il, p. 37/1. glose sur le mot Utile.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 89
Il serait utile, si la chose se peut tenter sans scandale, de faire
comprendre aux princes qu'ils n'ont point à se considérer comme
offensés lorsque l'Eglise s'entremet en certaines affaires séculières.
Le concile pourrait déterminer en quoi la primauté de Rome s'étend,
dans l'ordre régulier de ses pouvoirs, sur le spirituel et sur le
temporel.
Rome est visée de nouveau, à l'occasion des rapports avec les
femmes , que les clercs doivent éviter (tit. i o). H faudrait, conclut à ce
propos l'évêque de Mende*'*, que les maisons publiques ne fussent pas
attenantes aux églises, qu'à la cour de Rome elles ne fussent pas pla-
cées dans le voisinage du seigneur pape ou des prélats; il faudrait,
enfin , que le maréchal du pape et les officiers similaires ne touchassent
aucune finance des courtisanes et des proxénètes.
Le titre 1 1 est consacré aux conciles provinciaux qui, aux termes
d'un canon de Nicée*^', doivent être tenus deux fois par an. La diffi-
culté de se réunir deux fois par an a fait qu'on s'est contenté d'un
seul synode annuel'^', ou même qu'on s'assemble tout simplement
quand le métropolitain le juge à propos. Ce titre n'est pour partie
autre chose que le texte des prescriptions diverses relatives à ces
conciles, copié sur le quatrième concile de Tolède**' et celui de
ÏOrdo de celehrando concdio, placé en tête du recueil du faux Isidore.
Çà et là, pourtant, se trouvent certaines observations intéressantes,
celle-ci entre autres : il serait utile d'appeler aux conciles quelques
membres des chapitres, quelques prêtres et quelques laïques.
A l'appui de ce vœu, l'auteur invoque, et il en a le droit, un synode
de Tarragone'*'.
La question des conciles appelle aussi quelques observations sur les
pouvoirs du souverain pontife, qui font l'objet des préoccupations
constantes de notre auteur. Toutes les affaires intéressant le clergé
régulier et séculier, qui n'ont pu être terniinées devant l'ordinaire ou
qui sont en appel, devraient, suivant Guillaume Durant, être déférées
aux conciles provinciaux; celles qui, d'après le droit, sont maximœ
' ' Tout ce qui suit concerne probablement aussi tous les manuscrits que nous avons con-
plutôt Avignon que Rome. suites.
'*' Can. 5; et non 6, comme il est imprimé ''' Cf. Décret de Gratien, D. xviii, c. 7.
notamment dans l'édition de l'œuvre de notre '*' Can. i3 de ce concile,
auteur, Paris, 1671, et comme le portent '*' Hinschius, p. 344 et suiv.
HIST. LITTÉR. XXXV. 12
90 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
causœ^^K seraient seules dévolues â la cour de Rome. On devrait
toujours, avant d'aller en appel à Rome, soumettre l'affaire aux
évêques voisins, comme le prescrivent le concile de Nicée'^', le sixième
concile de Cartilage et le concile de Sardique'^l
Dans les titres suivants ( i 2 à 2 4 ) , Guillaume Durant passe en revue
les prescriptions canoniques qui interdisent la magie et les sorti-
lèges'*', qui fixent l'âge des ordinations et déterminent le nombre des
diacres, celles qui défendent qu'un dignitaire ecclésiastique soit pris
hors du diocèse où on l'envoie exercer un office, celles qui règlent
l'élection des évêques, prescrivent la résidence, interdisent les acqui-
sitions hors de la province, défendent les visites à la cour du prince
sans fautorisation du métropolitain et des évêques de la province,
excluent de l'épiscopat les personnes indignes ou ignorantes, impo-
sent la dignité et la décence dans la célébration des offices, pro-
scrivent la simonie, la pluralité des bénéfices, les coalitions contre
l'évêque, l'ordination des diacres avant vingt-cinq ans, la consécration
à Dieu des vierges avant le même âge. Il rappelle la nécessité pour
les évêques de se décharger sur des économes pris dans le clergé de
la gérance des biens d'Eglise, et sur des avoués de la conduite des
affaires litigieuses.
Au cours de ces treize titres (titres 1 2 à 24), l'auteur met sept fois
en cause la cour de Rome. Nous énumérons ses griefs : promotion au
cardinalat de sujets trop jeunes, célébration des offices sans dignité
et solennité (l'évêque parait avoir surtout en vue le nombre insuffisant
des diacres), promotion d'évêques étrangers, (jui nec subditos intelli-
(junt, nec intelli(jantur ah eis^^\ promotion d'évêques insuffisants ou
indignes'^', simonie permanente, accumulation de bénéfices sur les
mêmes têtes, pensions et commendes au profit des cardinaux, ac-
cueil beaucoup trop facile fait en cour de Rome aux accusations
contre les évêques.
A foccasion de la pluralité des bénéfices, Guillaume Durant
''' Guillaume Durant invoque ici le Décret ''' Décret de Gralien, G. VI, qu. iv, c. 7.
de Gratieii, C. H, qu. vu. c. 'jS. C'est un '*' C(. Inslnict. cl Constit.de Guillaume Durant
argument péniblement forgé. le Specalator, éd. Berthelé et Volmary, p. 1 i 1 .
'*' Le concile de Nicée est ici invoqué, l'au- •'' Cette critique s'étend aux proniotions de
teur le dif expressément. Sur la foi du canon 3 dignitaires ecclésiastiques par des prœsbyteri
du sixième concile de Carthage, on confondait preelati (part. II, lit. i5, in fine).
Sardique avec Nicée. '*' Partie II, tit. 18.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 91
n'oublie pas l'histoire, souvent contée, de Philippe de Grève, chan-
celier de l'église de Paris, qui fut livré aux flammes de l'enfer pour
avoir gardé jusqu'à sa mort de nombreux bénéfices'"'.
Le passage relatif à la simonie en cour de Rome est concis et éner-
gique. A chaque promotion d'évêque on perçoit une finance : nos
seigneurs les cardinaux entendent partager cette finance avec le pape,
comme si commettre la simonie n'était pas péché, ou comme si
donner et recevoir après n'était pas la même chose que donner et
recevoir avant. L'auteur établit sa proposition d'après les textes du
Décret'^'.
Nous arrivons aux extraits des conciles latins. Nous nous contente-
rons d'indiquer sommairement les sujets abordés dans les titres 2 5 à 33
inclus. L'auteur y traite : de la clôture des religieuses et il critique à
ce propos une décrétale de Boniface VIII'^'; de la promotion des clercs,
laquelle ne doit pas avoir lieu tant qu'ils ont des comptes à rendre;
de fobéissance aux canons des conciles et aux ordres des supérieurs
du respect et de la soumission due par les religieux aux sentences
d'excommunication ou d'interdit portées par lesévêques; du scandale
donné par certains prélats ou autres dignitaires qui prennent des
engagements et ne les tiennent pas, accordent des grâces et les retirent
sans raison. Ce dernier reproche peut être adressé aux souverains
pontifes, car on les a vus, non seulement révoquer ce qu'avaient fait
leurs prédécesseurs, mais encore ce qu'ils avaient concédé eux-mêmes,
conduite qui est en opposition avec la gravité, avec l'autorité, avec
l'honnêteté ecclésiastique, avec Vhonestas juridica. Guillaume Durant
traite ensuite de l'obligation imposée à tout ecclésiastique, avant
d'être ordonné prêtre ou promu à i'épiscopat, de connaître les
décrets des conciles concernant son office et les canons péniten-
tiaux (partie 11, tit. 3o). La décadence du régime ancien de la
pénitence alarme au plus haut degré l'évêque de Mende; aussi parle-
t-il souvent de ces canons pénitentiaux si négligés. Il y reviendra au
'"' Sur cette légende, voir Noël Valoi», exige la clôture perpétuelle des religieuse».
Guillaame S Auvergne, évéqae de Paris (Paris, Guillaume Durant observe: «nec provislo do-
1880), p. 33-35. « mini Bonifacii sufficit , qnod multae snnt, qUae,
'*' Partie II , tit. ao. t si includerentur, non haberent unde viverent .
''' Sexte, III, XVI, c. unie. Cette décrétale (tit. a 5).
92 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
titre 36 de la deuxième partie, et encore aux titres !\\ et /^ 5 de la
troisième.
Aux titres 3 1, Sa et 33, notre auteur traite du jugement des évéques,
qui devrait être déféré aux conciles provinciaux; cette règle est éludée
par la cour de Rome, les allaires des évéques étant rangées par elle
au nombre des causœ majores. Il s'occupe de l'organisation si souhai-
table de la gratuité pour les affaires des indigents, des règles diverses
imposées aux clercs ])our que leur vie soit toujours décente, régulière
et honnête. 11 voudrait que les clercs mineurs, pourvus de bénéfices,
renonçassent au mariage, que l'interdiction de tenir dans les églises
et dans les cimetières des réunions mondaines et d'y traiter d'affaires
séculières fût respectée.
Au titre 34, Guillaume Durant reprend longuement une question
qu'il a déjà touchée et qu'il traitera encore''* : l'évêque qui occupe le
premier siège de la chrétienté, l'évêque de Rome, ne doit pas prendre
le titre d'nniversalis papa ou quelque qualihcation analogue; notre
auteur ne manque pas d'invoquer à ce propos le troisième concile de
Carthage '^' et Grégoire le Grand'^l Sur quoi il formule cet avis, qui
certes ne manque pas de noblesse : « Admonendi sunt subditi ne plus
« quam expédiât sint subjecti. »
Tout ecclésiastique qui n'avait aucun bien au momeni de son
ordination et, postérieurement à cette ordination, a fait des acquisi-
tions en son propre nom, doit abandonner ces biens à l'Eglise (tit. 37).
Suit un titre très long (38) consacré aux évoques, dont les devoirs
divers et les abus de pouvoir sont passés en revue ; l'auteur, après en
avoir achevé la rédaction, a senti que son exposé restait incomplet et
a pris soin de nous informer qu'il faut joindre au titre 38 vingt-deux
autres titres de la seconde partie, qu'il énumère soigneusement. Il
aurait pu d'ailleurs grossir notablement ce renvoi. Dans le titre 38
nous remarquons la proposition d'attribuer aux pauvres écoliers
des universités le dixième de tous les revenus des bénélices ecclé-
siastiques, et le conseil de défendre énergiquement contre les pouvoirs
laïques la juridiction de l'Eglise.
L'évêque de Mende se réfère , dans le titre 3 g, aux décrets conciliaires
'■' Cf. p. 88, 108 et 118. est tiré d'une lettre de S.Grégoire, livre VIII,
'*' Can. a6. lettre 3o de l'édition des Bénédictins, et 29 de
''' Décret de Gralien , D. xcix, c. 5. Ce texte l'édition des Monumenta Gcrmaniœ.
EVEQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 93
anciens qui défendent de recevoir des olTrandes des oppresseurs des
pauvres, des sacrilèges, de tous ceux qui dépouillent l'Eglise. Un trait
final est dirigé contre les Mendiants : « Videretur esse super hoc pro-
«videndum verissime, potissiuie cum a religiosis de ordine pauper-
« tatis fréquenter usurarioruni funera prae caeteris honorentur. »
Guillaume Durant a lu dans un concile de Carthage que les églises
doivent demander aux empereurs des défenseurs qui les puissent pro-
téger : il voudrait que les princes de son temps rendissent aux églises
le même service (tit. 4o). Naturellement, il ne paraîl pas soupçonner
que les advocati (avoués) nommés souvent par les empereurs carolin-
giens ne sont autre chose que ces anciens dejensores *''.
Avec le titre ^i^ Guillaume Durant revient à une idée qui lui est
chère : il faudrait réunir un concile général chaque fois qu'il s'agit du
bien commun de l'Église, ou chaque fois qu'on songe à une innova-
tion législative.
Le titre 45 mérite d'être signalé tout particulièrement, car l'auteur,
si ardent d'ordinaire à défendre les privilèges de l'Eglise, s'y montre
assez peu favorable au droit d'asile. Non pas qu'il en demande l'abo-
lition, mais il propose d'y apporter des restrictions et atténuations
considérables. Nous sera-t-il permis de rappeler une seconde fois à ce
propos que l'évêque de Mende est en même temps prince temporel.'*
Il a pu, comme tel, sentir vivement les dangers et inconvénients du
droit d'asile '^'.
Le titre 46 est très important. L'auteur, déplorant l'incontinence
des clercs et reconnaissant que les besoins de la chair sont presque
invincibles, rappelle l'opinion exprimée par Paphnutius au concile de
Nicée *^' et demande s'il ne serait pas opportun d'adopter en Occi-
dent la discipline de l'Eglise d'Orient en ce qui concerne le mariage
des clercs promus aux ordres majeurs.
Une autre innovation est proposée au titre 48. Notre prélat cite
deux textes anciens qui prescrivent en termes absolus trois com-
munions annuelles. Sur quoi il introduit cette question : y aurait-il
'"' Cf. Paul VioUet, Histoire des institutions <'' Guillaume Durant vise ici VHistoria tri-
politiqaes et administratives de la France, t. I, par<i<a et renvoie aussi à Gratien, D. xxxi, c. i a.
p. 373. Cette allusion et cette citation ne font qu'un,
'*' Le Speculator est beaucoup plus rigide sur ie chapitre du Décret ci-dessns indiqué étant
le droit d'asile (/nf(rac<ion}e(Con5(ifa(ion«, édit. un extrait de VHistoria tripartila de Cassio-
citée, p. io4-io5). dore, II, i4.
94 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
lieu de revenir à l'ancienne discipline? Guillaume n'ajoute pas
qu'on abrogerait ainsi la loi portée par le concile général de Latran
de 1 2 i5, qui prescrit tout simplement la communion annuelle. Mais
qui pouvait, au concile de Vienne, ignorer l'existence de ce canon
de Latran '^' ?
Voilà donc en ces deux titres des textes canoniques de la plus haute
importance que notre auteur serait assez volontiers disposé à ranger
dans la catégorie de ceux dont on doit se préoccuper, non pas afin de
s'y mieux conformer, mais, tout au contraire, en vue de les rejeter,
ut repudientur, comme il a été dit dans la préface même de cette
seconde partie.
Le titre 4 7 est consacré aux legs pieux: ils doivent être exécutés
religieusement.
Dans le titre ^9, l'auteur s'occupe des émoluments (sf/joenrffa) attri-
bués aux clercs. Ces émoluments doivent être proportionnés aux ser-
vices rendus : les docteurs et les lettrés seront préférés aux illettrés,
affectione contraria non obstante.
La question de l'assistance des clercs à la messe et aux offices est
étudiée dans le titre 5o. Il ne convient pas que les clercs absents des
offices soient traités comme les clercs présents; ceux mêmes qui ont
des causes légitimes d'absence, approuvées par leurs supérieurs, ne
devraient cependant recevoir que le tiers ou le quart des émoluments
attribués à ceux qui sont présents.
Dans les titres 5i et 62, l'auteur rappelle les prescriptions cano-
niques qui interdisent aux clercs le plaisir de la chasse et qui leur
défendent de s'éloigner du diocèse sans lettres de l'évêque [litterœ
commendatitiœ). Il v a lieu de restaurer cette discipline négligée, car
les ecclésiastiques circulent de tous côtés, sicut oves non habentes pas-
torcm. A propos de la chasse interdite aux clercs, notre auteur, s'aban-
donnant à son fougueux instinct de réforme, ou plutôt écrivant sans
précision et avec une négligence hâtive, semble proposer d'étendre
cette interdiction aux rois et aux princes, car ces personnages perdent
leur temps à chasser: tVideretur de observatione dictorum jurium
« providei)dum non solum quoad personas ecclesiasticas, verum
''' Le Specalator se préoccupe aussi des trois dire qu'il souhaite, lui aussi, une modification
communions annuelles auxquelles il fautexhor- au canon de L&tnn { Instrnrtions et Constitutions,
ter (monendi) les fidèles, mais nous n'oserions édit. citée, p. lao).
EVEQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 95
« etiaiii quoad reges et principes, quorum aliqui expendunt tempus
«suum in venationibus. . . »
Avec le titre 53, Guillaume Durant aborde et traite longuement
une des questions qui lui tiennent le plus à cœur : il s'occupe des mo-
nastères et des moines. Dès les premiers mots, l'évêque affirme son
autorité : le moine doit obéissance à son abbé et à son évêque, duquel
relèvent''', nous le savons, tous les monastères. L'évêque a droit de visite
et de correction ; il faut s'acquitter exactement envers lui des jura
episcopaha.
On ne doit rien payer ])our entrer dans un monastère et devenir
moine; ce serait simonie. L'auteur insiste sur les devoirs de la vie
monacale , sur les nombreuses incapacités dont sont frappés les moines.
Un moine ne doit être fait clerc que s'il est vraiment digne de la clé-
ricature. Celui qui a été fait clerc ne pourra être ordonné diacre ou
prêtre que s'il est entré avant trente ans dans les ordres mineurs.
Si un mauvais moine ne saurait faire un bon clerc, il ne faut pas
croire qu'un bon moine fasse toujours un bon clerc, car le bon moine
peut être suffisamment continent, mais manquer de l'instruction né-
cessaire au clerc ou présenter quelque autre irrégularité. Guillaume
attache une grande importance aux conditions d'âge qui devraient
être établies au regard des moines pourvus de prieurés ou de fonc-
tions emportant charge d'àmes, alors même que cette charge serait
confiée à un vicaire. Le concile de Vienne est entré ici dans les vues
de notre réformateur''^'.
Signalons la proposition qui clôt ce titre 53 : les correcteurs et
visiteurs résident souvent en dehors de la province ou même du
royaume, et, par suite, ne visitent, ni ne corrigent; les abus restent
donc impunis. Il paraît souhaitable que chaque « religion » ait un
visiteur par province et que les visites soient annuelles.
Les évêques sont trop souvent absents de leur diocèse, notamment
à l'époque de l'année où ils doivent distribuer le saint chrême; ne
serait-il pas expédient de les astreindre très sévèrement à la présence
dans leur diocèse, lors des grandes fêtes, surtout à Pâques? Tel est
l'objet principal du titre 54-
Dans le titre 55, l'auteur se préoccupe d'écarter les laïques du
'■' Ou du moins doivent relever, car Guillaume Durant ne veut plus des exemptions. Voir
partie I, tit. 5 et ci-dessus, p. 85. — '''Clémentines, III, x, c. i, S7.
96 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
sanctuaire et de tout contact avec les reliques des saints et les objets
du culte '^'.
Le titre 56 est consacré à la question des jeûnes prescrits par
l'Eglise; le titre 57, aux peintures et sculptures dans les édifices reli-
gieux : il importe de n'y rien tolérer d'inconvenant, de ridicule, de
contraire à la foi ou aux témoignages dignes de créance, car ces repré-
sentations ne doivent pas s'écarter a veritate rei gestœ. Un souci ana-
logue se retrouve chez le Speculator, qui, très sagement, a édicté cette
défense : Altaria (iiiofjiie per somma et inanes (juasi revelatwnes hominum
construi pnTkihemus ''^*.
Les conversations, les chants indécents et les jeux doivent être
proscrits dans les églises et dans les cimetières (tit. 58) '^'. Un autre
titre (62) traite de la prohibition générale des jeux de dés et des
tournois.
Il faut éviter, pendant les offices, le contact des adultères notoires.
Quant aux diacres, aux prêtres et aux évêquesqui se sont rendus cou-
pables de cette grande faute, ils devraient être déposés (tit. 59). Un
autre titre (63) rappelle le concile d'Elvire, qui défend aux femmes
d'entretenir aucune correspondance à l'insu de leur mari '*'. L'auteur
reviendra, au titre 69, sur les préceptes relatifs aux femmes et leur
prescrira la modestie.
Le titre 60 mérite une mention particulière : l'auteur y réclame
la gratuité absolue, non seulement des sacrements, mais aussi des
sépultures. Il n'admet même pas cette pseudo-gratuité qui est suivie
d'une oflrande dite volontaire, et il invoque le canon 48 du concile
d'Elvire, qui défend aux nouveaux baptisés de déposer dans la coupe
[conclia) des pièces de monnaie, « ne sacerdos, quod gratis acceperit,
« pretio distrahere videatur». Les remèdes essayés contre ces abus
sont jusqu'ici restés vains, « pro eo quod multi exmajoribus columnls
«et praelatis Ecclesia» in his peccant». Guillaume renvoie à ce qui a
été dit au titre 20, intitulé: De simonia et de cxactionibus (jiiœ in Rnmana
caria et alibi pro votis reqnirunlur, où il oppose à ces habitudes déplo-
rables la Prima causa presque entière du Décret de Gratien.
Le titre 6 1 est consacré aux Juifs : les nombreuses prescriptions
''' Rapprocher le Speculalnr (^Instructions et ''' De son coté, le Specninlor s'est beaucoup
Constitutions , cdit. citée, p. ig et 5/»). préoccupé de ces abus (ibid., p. 79, 80, lO/i).
'*' Instructions et Constitutions, p. io3. '*' Can. 81.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 97
édictées à leur sujet doivent être observées, et aussi celles qui con-
cernent les Chrétiens qui trafiquent avec les Sarrasins: on leur accorde,
en cour de Rome et ailleurs, dispenses et absolutions avec une
facilité scandaleuse, (juasi pro nihilo.
Divers conciles ont interdit l'ouverture des tribunaux, la tenue de
foires et de marchés les dimanches et jours de fêtes, interdictions
dont on ne tient compte ni en France ni en d'autres pays. « Videretur»,
conclut Guillaume Durant, « esse super hoc providendum, cum plura
« mala in dictis dominicis et festivis diebus quam in aliis committan-
« tur, et fréquenter sepopuli exerceant in ludis turpibus, et amatoriis
« plausibus et cantilenis » (tit. 64).
Un concile de J'arragone, un concile de Tolède et un concile de
Bra<ra ont imposé aux clercs de chaque paroisse la présence aux
olhces; notre prélat estime qu'il serait utile de faire observer ces pres-
criptions anciennes (tit. 65).
Le titre 66 est consacré aux visites annuelles des évê(|ues et aux
droits de gîte ou de procuration. H est très souhaitable (jue la cour de
Rome n'accorde jamais le privilège d'exiger le droit de gîte {^procurât io'j
sans que la visite soit effectuée; il ne faut pas non plus que ces droits
de gîte dégénèrent en très pénibles et lourdes vexations ''^ À propos
des procurations, notre auteur pose ce])rincipe : en droit toute église
est immiinis et libéra, à moins qu'il ne soit bien établi qu'elle est serva.
Il ne semble pas que le pape puisse établir pareille servitude, ainsi
qu'il l'a lait en faveur de certains rois; comment celui qui a mission
de défendre les droits de l'Eglise pourrait-il détruire des immunités
qui sont un fait général et qui doivent être vues avec faveur ?
L'évêque de Mende reprend ici une question qu'il a déjà abordée
plus haut : plusieurs princes et tyrans [malt i principes et tyranni) entre-
prennent d'obliger les églises à mettre hors de leurs mains les acquisi-
tions nouvelles; à cette prétention il oppose des décisions d'Alexan-
dre 111 et de Boniface VIII ^^K Les laïques violent encore les droits de
l'Église en tenant leurs assises intra ecclesias et monasteria , claustra et
cœmcteria ; c'est une atteinte à l'immunité, laquelle s'étend, suivant
l'importance de l'église, dont il s'agit, jusqu'à trente ou quarante pas
de l'enceinte'^l
''' On s'efforça, au concile de Vienne, d'al- '*' Sexte, III, xxiii.r. i et 3.
ténuer ces abus (Clémentines, m, XIII, c. 2). ''' Trente pas, d'après le canon 10 du dou-
HIST. LITTÉR. XXXV. |3
98 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Toute possession de l'Eglise, si elle remonte à trente ans, doit être
respectée : c'est la prescription de trente ans, que l'auteur invoque
en faveur de l'Eglise. Il ne fait aucune allusion au canon célèbre du
concile de Latran de i2i5 : « Synodali judicio definimus ut nuUa
« valeat absque bona fide praescriptio, tani canonica quam civilis,
« cuni sit generaliter onini constitutioni derogandum, quae absque
M mortali non potest observari peccato. Unde oportet ut qui pra;scri-
« bit, in nuUa teniporis parte rei habeat conscientiam aliénée *"'. »
Un peu plus loin (tit. 70), l'auteur n'oubliera pas de noter que,
contre l'Eglise, ce n'est pas la prescription de trente ans, mais celle de
{[uarante ans, qui peut être invoquée. 11 est juste d'ajouter qu'il ne
fera pas davantage ici intervenir la question de bonne ou de mauvaise
foi ; il néglige cette considération, que l'intérêt en cause soit celui de
l'Eglise ou celui des laïques. Mais rien, en définitive, n'autorise à
supposer qu'il songe à classer le canon de Latran parmi les textes
à éliminer.
A l'occasion des diverses atteintes portées aux droits de l'Eglise, le
roi de France, à la fin du titre 66, est pris directement à partie :
« Régi eliam Franciae videtur imponi nécessitas quod talia non prae-
« sumat. »
Suit un titre très intéressant (67), dans lequel l'auteur s'attaque
avec vigueur à l'abus des présents faits aux juges dans les alfaires
judiciaires, à la vente des cliarges de justice, au radiât des peines à
prix d'argent.
Dans le titre 68 nous notons le vœu de voir s'établir dans chaque
province ecclésiastique l'uniformité des cérémonies religieuses *"^'.
A cette occasion, Guillaume Durant, d'après un concile de Tolède,
qu'il emprunte au Décret de Gratien'"^*, met en relief l'autorité et la
haute situation des métropolitains.
Avec le titre 70 l'auteur reprend, non sans d'abondants détails, la
question des droits et privilèges des églises et des ecclésiastiques; il énu-
zième concile de Tolède (Décret de Gratien, ''' Ce vœu est inspiré à Guillaume Durant
XVII, qu. IV, c. 35); trente ou quarante pas, par la lecture de plusieurs décisions conciliaires
suivant l'importance des églises d'après le con- espagnoles. Dans la troisième partie de son
cile romain de loSg (C. XVll. qu. IV, c. 6). On traité, il réclamera une uniformité liturgique
remarquera que le texte original de ce con- beaucoup plus complète, et, cette fois encore,
cile fixe la limite à soixante pas, non a qua- il s'inspirera d'un concile espagnol (Migne,
rante. Pair. lat.. t. LXXXIV, col. 365).
''* Décrétales de Grégoire IX, II, XXVI, c. -jo. l'' Dist. XII.c. i3.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 99
mère les torts sans nombre qui leur sont faits. Les juridictions ecclésias-
tiques sont persévéramment battues en brècbe: « Quasi per quamdam
« alluvioneni frustatim domini temporales ad se omnia trahunt. Et
.. sicut frustatim lupus agnum comedit, ita et per ipsos jurisdictio
« ecclesiastica frustatim quodam modo devoratur. » La situation est
telle « ut deterioris conditionis factum sub eis sacerdotium \ideatur
« quam sub Pharaone fuerit, qui legis divinae notitiam non habebat ».
L'auteur proteste ensuite contre les collations de bénéfices par des
laïques, contre leurs interventions, accompagnées souvent de vio-
lences, en vue d'imposer leurs candidats en cas de vacance des sièges
épiscopaux, contre les citations à comparaître devant la justice royale
que reçoivent fréquemment les évéques et les archevêques, contre le
droit de dépouille que s'attribuent souvent les princes temporels,
contre le serment de fidélité imposé à des ecclésiastiques qui ne
tiennent aucun lief du roi.
Suit un titre fort long (71), presque entièrement emprunté aux
quatrième'", cinquième*^' et sixième '^' conciles de Tolède; il y est
traité des devoirs étroits de quiconque, laïque ou ecclésiastique, a
prêté serment au roi ou à un autre prince temporel et, en général,
des devoirs des sujets envers le roi. Le canon 3 du sixième concile de
Tolède (638), qui rappelle l'expulsion des Juifs par le roi Chintila,
est transcrit avec une référence très précise; mais le roi visigoth qui,
dans le texte original du concile, n'est pas nommé, devient, pour
Guillaume Durant, le christianissimus princeps , Francomm rexLudovicns.
Ces trois derniers mots sont une addition au texte du concile '*^
addition singulière qui appelle une observation. Au moment où il
substituait par ce procédé au roi des Visigoths le très chrétien roi de
France, Guillaume sentait, croyons-nous, le besoin de placer sous les
auspices et sous le patronage du pieux roi. Inscrit par Boniface VHl
au rang des saints vénérés dans l'Eglise, sa haine des Juifs, haine
accompagnée d'un goût prononcé pour leurs biens. H n'avait pas les
'■' Canon 75. munication de M. A. Collon); Troyes, 786,
(») Canons a à 9. loi. i48 r°. Ces trois mots manquent dnns le
''' Canon 3. ms. latin i443, fol. lxxvi v°, de la Bibl. nat.
''' L'existence de ces trois mots a été vérifiée (xv'-xvi* siècle), qui nous ofiTre, par ailleurs,
sur les manuscrits suivants : Cues, hôpital nn texte détestable et dont il est impossible de
Saint -Nicolas, 168, fol. 78 v°; Mazarine, s'autoriser pour rayer dans tous les autres les
1687, 'fol. 08 r°; Tours, 237, fol. 77 v° (com- trois mots Francorwn rex Ludovicus.
i3.
100 r.UILLAUME DURANT I.E JFXNE,
mains netles ; l'expulsion générale et la confiscation décrétées par
Philippe le Bel, en i 3o6, avaient, on s'en souvient, excité ses propres
convoitises. Il aurait voulu s'approprier, à l'exclusion du roi, tous les
biens des Juifs établis sur ses domaines; le roi, ou plus exactement,
les gens du roi avaient, bien entendu, la même prétention. Le débat
s'était clos récemment, en iSog, par une transaction'". Voilà com-
ment saint Louis prit, sous la plume complaisante de l'évoque de
Mende, la place de Chintila. Ce morceau, très hostile aux Juifs et
en général aux non-catholiques, acquérait par là une force singulière.
Le patron que se donnait Guillaume était assez heureusement choisi.
La seconde partie du traité se clôt par un titre récapitulatif très
court, intitulé : De reformatione recjam et sœculanum personariiin. Les rois
et les princes doivent être dirigés par un conseil de prudhommes,
et non abandonnés à eux-mêmes ; qu'ils se gardent de grever les
églises, dont les (/ravamina (au nombre de cinquante) ont été énumérés
un peu plus haut dans le titre 70; qu'ils se gardent aussi d'altérer
les monnaies, de créer des charges inutiles de tabellions, de porter la
main sur les clercs, d'empêcher les églises d'acquérir des biens; qu'au
lieu de les vexer et de les grever, ils leur donnent des protecteurs;
qu'enhn ils n'abusent pas des plaisirs de la chasse. Ici notre auteur
renvoie au titre 5 1, où, par suite d'une rédaction hâtive, il avait paru,
on s'en souvient, demander que la chasse fût interdite aux princes
comme elle l'est aux clercs. Il ajoute un renvoi très utile à tous les
titres où il a déjà traité de la réforme des rois et des princes séculiers.
Une observation qui lui est familière résume heureusement sa
pensée : la réforme des rois et des princes, celle de l'Église de Rome,
des prélats, des religieux et de tout le clergé serait un adjuvant puis-
sant pour la réforme générale de tous les séculiers, car la conduite des
princes et celle du clergé servent d'exemple aux laïques.
Avec la troisième partie, Guillaume Durant aborde enfin de front
cette réforme de l'Eglise dans son chef et dans ses membres à laquelle
il a fait déjà de si fréquentes allusions.
Le titre 1 est intitulé : De re/ormalioue universalis Ecclesie, et (juod
ïti en est primo, a capite, scilicet Romana Ecclesia , prelatis et aliis supe-
riuribus inclioandum ''^
''' Voir ci-dessus, p. 25 et 26. — '*' Nous suivons le ms. de la Bibl. nat. , latin i443, fol. xlj v°,
car les éditions donnent un texte défectueux.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 101
L'Eglise de Rome est, à la fois, la tête et la mère de toutes les
églises. Elle est «omnibus posita in spéculum et exemplum»; elle
doit donc être ■■< spéculum sine macula atque ruga, exemplum absque
Il reprehensionis nota ». Si la tête languit, lous les membres souffrent.
Si les évêques se permettent des actes pervers, Itnirs inférieurs suivent
facilement cet exemple, car, comme l'a dit Sénèque, les actes en oppo-
sition avec les paroles ont plus d'influence que les paroles.
Suivent, dans ce titre i et dans le titre 2, des fragments visigo-
thiques, qui sont à rapprocher de ceux qui ont déjà été signalés plus
haut. On peut se demander si quelque confusion dans les notes de
notre auteur n'explique pas la bizarrerie de ces citations.
Le titre 3 et, un peu plus loin, le titre 26 sont fort curieux, quoique
vides. L'auteur nous explique, sous le titre 3 comme sous le titre 26,
qu'il voulait traiter des rapports du pouvoir temporel avec le pouvoir
spirituel, mais qu'il préfère renvoyer tout simplement le lecteur à
l'écrit de frère Gilles, archevêque de Bourges, qui a étudié cette
question avec sa science profonde et vigoureuse, son talent sublime.
A défaut de ce que nous savons déjà de la doctrine de Guillaume
Durant, ces renvois suffiraient à nous édifier; Gilles de Rome est, en
eflet, cet énergique théoricien de la suprématie du pouvoir spirituel,
auquel sont empruntés plusieurs passages de la bulle Unam sanctam,
et qui pourrait bien avoir rédigé lui-même ce document fameux. Le
traité visé est le De ecclesiastica potestate, dont Charles Jourdain a
signalé naguère le caractère et l'importance.
Notre titre 3 est intitulé : De fiis (juœ imperatores, reges, principes
et domini temporales intra Ecclesiam et m personis ecclesiasticis , rébus et
bonis acjere et exercere possunt. Nous relevons en note les passages du
traité de Gilles de Rome qui semblent correspondre à la question , fort
complexe, indiquée en ce libellé'''. Le titre 26 est intitulé; De potestate
''' «Aliter eruni [res] sub Ecclesia et aliter • dominio vero inferiori et secundario debentur
• sub 60 [domino teinporali] erunt. Sub Ecclesia • potestatibus terrenis et temporalibus dominis
oerunt tanquain sub ea que habet dominium • de ipsis temporalibus rébus alie utilitates et
• superius et priroarium, quod dominium est « olia emolumenta que proveniunt ex tempora
« principale et universale, sed erunt sub domino ilibus rébus. .. In temporalibus suum jus nabet
« temporali tanquara sub domino qui habet do- « Ecclesia et suum jus habet César» (part. III,
«minium inferius et secundarium, quod est cap. xi ; d'après Jourdain , Un oavraqe inédit de
«immediatum et executorium. Kx hoc autem Gilles de Rome, Paris, 18.S8, p. 16, note 1; ex-
« dominio superiori debentur Lcclesie de cm- trait d\x Journal général de l'inslraclion publique).
• nibus temporalibus décime et oblationes; ex C(. Hisl.litt. delà Fr.. t. XXX, p. 5ia-544.
102 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ecclesiastica snper temporales dominos et dominia temporalia. Il s'agit ici des
idées fondamentales de Gilles de Rome, et, par conséquent, de Guil-
laume Durant. Résumons cette doctrine.
C'est à l'Eglise que le Seigneur s'adresse par la bouche du prophète :
"Je t'ai établie sur les nations et sur les royaumes, pour que tu les
«arraches de la terre et que tu les détruises, et que, les ayant dis-
« perses, tu fondes et élèves de nouveaux empires'''.» Il appartient
donc à l'Église d'instituer les rois et, quand ils gouvernent mal, de les
juger. Le glaive temporel et le glaive spirituel sont aux mains du
pape, comme ils furent, sous l'ancienne Loi, aux mains de Moïse et
des grands prêtres. Le souverain pontife doit, d'ailleurs, user avec
modération de l'autorité qui lui est confiée et ne pas s'en servir pour
porter le trouble dans les Etats.
L'Eglise perçoit la dîme, les offrandes et les autres revenus appar-
tenant aux institutions religieuses. Elle a, en outre, sur toute espèce
de biens un droit supérieur. En d'autres termes, il n'y a de domimum
que suh Ecclesia et per Ecclesiam. Nul n'est digne de succéder aux
biens paternels, s'il n'est serviteur et fds de l'Eglise. La puissance de
l'Eglise est telle qu'il est impossible d'en calculer et d'en mesurer
l'étendue : In Ecclesia est tanta potestatis plenitiido (juod ejiis posse est
sine pondère, numéro et mensnra'^^K Telle est textuellement la conclu-
sion de Gilles de Rome; c'est donc aussi celle de Guillaume Durant.
Mais il renvoie le lecteur au canoniste dont il adopte la doctrine,
sans prendre la peine de formuler à son tour ce qu'a dit Gilles de
Rome.
Le titre A est consacré à l'instruction du clergé, qui devrait être
l'objet des préoccupations et des soins les plus assidus. Guillaume
expose ici des vues personnelles. Bien des questions, dit-il, sont con-
troversées; le souverain pontife ne devrait-il pas en déférer l'examen à
des hommes instruits et compétents qui prononceraient sur les points
douteux? Mais notre évêque sent immédiatement le danger de ces so-
lutions officielles ou quasi-ofFicielles, et il ajoute ces mots essentiels:
« remanentibus tamen ipsarum scientiarum textibus originalibus». II
faudrait, de plus, faire rédiger de petits résumés de la doctrine, qui
seraient de la plus grande utilité dans les écoles; ils ne seraient pas
''• Jéremie, I, lo. — ''' Ch. Jourdain, mémoire cité.
ÉVÈQLE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 103
moins utiles aux administrateurs et à tous ceux qui ont charge
d'àmes.
Autre vœu : le pape, les cardinaux, les prêtres ne devraient-ils pas
se faire lire l'Ecriture sainte pendant les repas, comme le recom-
mandent plusieurs conciles (tit. 5) ?
Le titre 6, est consacré aux enterrements : notre auteur voudrait en
bannir les pleureurs et les pleureuses.
Le titre 7 traite des enfants procréés par des clercs engagés dans
l'ordre du sous-diaconat et dans les ordres supérieurs : ces enfants,
qui sont des bâtards, n'ont aucun droit successoral; Guillaume tient
beaucoup à établir qu'ils sont serfs de l'Eglise'*'.
Une question relative aux offices fait l'objet du titre 8. (^uand la
chose est possible, le célébrant devrait avoir près de lui un coadjuteur,
qui le puisse au besoin suppléer; il n'est trop souvent assisté que
par des personnes qui sont à peine capables de répondre aux prières
(tit. 8).
Dans le titre 9, Guillaume Durant s occupe des revenus ecclésias-
tiques. D'après divers conciles, ces revenus devraient être divisés en
trois parties égales : l'une attribuée à l'évêque, l'autre aux clercs
assistant à l'office divin, la troisième aux réparations de l'église et à
la fabrique. Or, dans certains diocèses, les évêques touchent la pres-
que totalité des revenus; dans d'autres, presque rien. N'y aurait-il
pas à ce sujet quelque décision nouvelle à prendre ?
Le titre 10 est consacré au costume ecclésiastique.
Le titre 1 1 aborde une question intéressante, qui eût été mieux
placée à côté du titre 6, consacré aux enterrements : il a pour objet
d'obtenir l'interdiction d'inhumer à l'intérieur des églises d'autres
corps que ceux des évêques, des abbés, des dicjni presbyleri et des
fidèles laici. On y sent l'embarras de notre réformateur, qui pose une
règle et l'énervé immédiatement par de larges et flottantes exceptions.
Les titres la et i3 ont trait à la liturgie et aux jeûnes. Au titre \k
l'auteur agite une importante question de procédure, qui concerne
la déposition- des évêques et des cardinaux. 11 s'agit du nombre des
témoins requis en pareil cas : l'auteur invoque le texte des Fausses
Décrétales inséré au Décret'^'.
'"' C'est la doctrine du neuvième concile de '*' Décret de Gratien, C. II, qu. v.,c. 9
Tolède , canon 1 o. et 3.
104 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Dans le titre i5 est visé l'abus des quêtes et des quêteurs qui sé-
duisent les simples : « Videretur super hoc de competenti remedio
« providendum , et insuper quod cessarent quaestus cursorum et
« nuntiorum Romanae curiae. »
Le titre 16, que l'auteur consacre aux Ordres mendiants, révèle des
vues pratiques, vraiment très sages, et suffit à dénjontrer que
Guillaume Durant savait à l'occasion faire preuve tout à la fois de sens
critique et d'esprit bienveillant. Il n'ignore aucun des reproches ([u'on
peut adresser aux religieux mendiants, mais il admire les grands
exemples que donnent la plupart d'entre eux, et il voudrait qu'on les
utilisât pour le service des paroisses confiées à des curés ignorants et
négligents.
Il passe ensuite aux lépreux et insiste sur la nécessité de les isoler;
il voudrait que la nourriture leur fût assurée par les communautés,
«quod de publica alimonia praestaretur eisdem » (tit. 17). II faudrait
de même pourvoir aux besoins des mendiants invalides, et interdire
la mendicité aux mendiants valides (tit. 18), fonder enfin, partout où
ces maisons n'existent pas, des asiles pour les pauvres voyageurs,
pour les orphelins, pour les vieillards, pour les nourrissons, et, plus
généralement, pour les malheureux, restaurer les établissements de
ce genre qui existent et leur rendre leur avoir dissipé (lit. 19).
Toute peine pécuniaire infligée par l'Eglise à des sacrilèges ou à
des excommuniés devrait être appliquée à des œuvres pies. Toute
autre pratique fait dire du mal de l'Eglise. Les voies de coercition
devraient être employées contre les excommuniés qui ne viennent pas
à résipiscence (tit. 20).
Le titre 21, consacré à la question des dîmes, trop souvent non
acquittées, est très bref, et fait supposer que l'auteur aperçoit maintes
dinicultés et complications que le concile devra résoudre'"'.
Dans les titres 22 et 23, l'auteur reprend une question qui, on le
sait, lui tient fort à cœur : l'insoumission des moines au regard de
'■' Puisque nulle part, fait observer Guil- Sur le» dîmes dites personnelles, voir J. Viard,
Jaunie, ne sont acquittées les dîmes personnelles, Histoire de la dîme ecclésiastique aux xii' et
• q>i;rdebpnlur ex negotiatione, artificio, scien- xiir' siècles, p. 16-18. Le Specalator a dit, en
• tia, militia et venatione, et maxime in Italia ternies absolus, mai» vague» : • Omnes fidèles
• et inulli"; aliis partibus..., videretur esse « integraliter illa» solvant de omnibus proven-
• propter aniroorum periculum super his per itibusi {Instruct. et Conslit. de Guillaume Du-
• Ecclesiam providendumi (part. 111, tit. aij. ranl , p. 83).
FA'EQIIE DE MENDE. — SES ECRITS. 105
l'évêque (lit. 23). À ce problème, toujours présent à son esprit, se rat-
tache la situation, déplorable à certains égards, des paroisses dont le
titulaire est à la présentation d'une maison religieuse. À ce mal, qui est
grand, le concile devra pourvoir par des remèdes appropriés (tit. 22).
Avec le titre 24, Guillaume aborde une série de questions d'ordre
temporel. Il voudrait qu'on mît un terme à l'altération des monnaies
et à celle des poids et mesures. H s'élève contre les dots et les trous-
seaux exagérés que les parents constituent à leurs fdies; contre les
vexations et spoliations dont les puissants accablent les hommes libres,
les transformant ainsi en véritables serfs; contre les créations arbi-
traires de nouveaux tonlieux et péages; contre les nominations de
notaires ignorants et incapables.
Des ambitions rivales se donnaient rendez-vous sur ce terrain des
tabellionages; le souverain pontife avait ses notaires, le roi avait ses
notaires, l'évêque avait ses notaires. Nous devinons facilement que, au
jugement de l'évêque, ignorants et incapables se rencontrent parmi
les notaires royaux , plutôt que dans les rangs des notaires éiiiscopaux.
A ces notaires royaux Guillaume fil d'ailleurs une rude concurrence
en créant des cliarges nouvelles; nous aimons à penser que les notaires
épiscopaux institués par le vicaire général, auquel Guillaume avait
conféré ce pouvoir''', furent, ainsi que les notaires apostoliques nommés
par l'évêque lui-même à ce autorisé par le souverain pontife'-*, des
hommes instruits et capables, bien préférables aux notaires royaux.
Au titre 25, sont traitées deux questions très différentes. Dans un
premier paragraphe, l'auteur exprime le vœu qu'aucun bénéfice ecclé-
siastique ne puisse être concédé, fût-ce par lettres apostoliques, à
celui qui s'est rendu coupable d'offenses envers l'Eglise, ou dont les
parents jusqu'au troisième degré (cousins issus de germains) sont
dans le même cas, et ce jusqu'à entière satisfaction. 11 propose aussi
que ces mêmes fautes entraînent, pour ceux qui s'en rendront cou-
pables, déchéance du droit de jirésentation aux bénéfices. Guillaume
Durant demande ici tout simplement l'extension et la généralisation
'"' Archives de la Lozère, G 3o. de revendiquer le droit de créer des notaires
''' MoUat et P. de Losquen, Jean XXII, dans toute l'élendue de son évêclié, droit que
Lettre! communes, n° 6536 (année i3i8). — lui contestait le lieutenant du sénéchal de
Cette question des notaires institues par l'évêque Beaucaire (lettre de Chsrles le Bel au sénéchal
était l'objet de contestations et de litiges. Vers de Beaucaire, 1 4 janvier iSa^; Archives de la
la fin de son episcopat, Guillaume eutl'occasion Lozère, G 3o).
HIST. LITTÉn. XXXV. l4
100 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
d'une refile qu'il a établie dans son propre diocèse et qu'il a fait
conlirmer, en 1 3o.i, par Boniface VIII •''. Dans un second paragraphe,
Guillaume se plaint vivement des interdits, suspenses et excommuni-
cations que les délégués du siège apostolique fulminent tout à coup,
et parfois sans cause suffisante, ne suspendant l'exécution de la sen-
tence que pendant un délai beaucoup trop court (six jours), accordé
pour obtempérer à l'ordre intimé.
Nous avons déjà mentionné le curieux titre 26, où l'exposé de la
suprématie du pouvoir spirituel se réduit à un simple renvoi à Gilles
de Rome'"^'.
Nous arrivons au titre 27 : Guillaume Durant se place enfin face
à la cour de Rome, objet constant de ses préoccupations. Tradui-
sons ses propres paroles :
Quant à la réforme de l'Église de Rome, Eglise qui ne doit avoir ni tache, ni ride,
Kf;lisc qui est la mère de la foi et doit être la maîtresse de l'Eglise universelle. Eglise
à lacjuelie doit être rapporté et par laquelle doit être réglé tout ce qui touche à
notri' sainte religion, il semblerait bon qu'elle se manifesti'it comme la norme et
comme l'école des vertus, et que, par sa vie exemplaire et par sa fidélité à suivre elle-
même les voies de la justice, elle marquât aux autres la règle de la conduite et
ne s'abandonnât à aucun abus. Ayant ainsi commencé par se corriger elle-même,
s'.ippuyant sur l'amour de Dieu et du prochain, sur l'humilité vraie, sur l'honnê-
teté de la conduite, sur la gravité des mœurs, sur le zèle pour le culte divin, sur
la simplicité de la table et du costume, ayant su restreindre le luxe et la superfluité
des ornements, de l'apparat, de la domesticité, de la mise en scène, riche d'une
science profonde, l'œil enfin débarrassé de la poutre, elle pourrait corriger tout ce
qu'elle verrait de mauvais et défectueux en ses sujets, et elle accomplirait la
réforme suivant l'exemple du Christ, lequel a commencé à agir avant d'enseigner.
I^a première loi qu'elle s'imposerait serait celle de ne transgresser ni les lois divines
ni les lois humaines, de n'accorder aucune dispense contraire à ces lois, de ne
délivrer ni privilèges, ni indulgences, ni exemptions, de révoquer toutes faveurs anté-
rieurement concédées et contraires à ces lois. Le pape ne devrait rien faire d'impor-
tant sans le conseil de ses frères; il ne devrait pas révoquer ce qui a été raisonnable-
ment décidé'ou accordé par ses prédécesseurs; il ne devrait tolérer aucune atteinte
à la liberté de l'Eglise.
Après cette entrée en matière, l'auteur rappelle ce principe, que
les évêques sont les successeurs des apôtres et qu'ils tiennent de Dieu
'■' f{e<iistres de Boniface VIII, n" 4985 le résumé que nous avons sous les yeux ne
(a3 décembre i3o3). Ce dorument concerne parle pas du droit de presenUlion.
seulement les canonicals de l'église de Mende; '*' Voir ci-dessus, p. loi.
ÉVÈQLE DE ^lENDE. — SES ÉCRITS. 107
parcmcum Petro honorem et potestatem. Ils doivent donc, ainsi que tous
les hauts dignitaires, archevêques, primats, patriarches, abbés, rece-
voir les honneurs et occuper les places qui leur sont dues. En consé-
quence, Guillaume demande :
Que les pontifes romains ne troublent point l'ordre établi dans
l'Église par Dieu, par les apôtres et par les conciles; qu'ils .s'abstien-
nent par conséquent de toute usurpation dans le jugement des affaires
litigieuses, de toute usurpation en la connaissance des causes portées
en appel; qu'ils s'abstiennent — l'abus dont i\ s'agit est plus grave
encore — de conférer évêchés, patriarchats, archiépiscopats; qu'ils
renoncent enfin au système des réserves, car ces procédés jettent
l'Église entière dans le désordre et la confusion*''.
Que dans les cas où les papes accorderaient certaines provisions,
les dignitaires pourvus par eux ne soient pas indignes, ignorants,
insuffisants ou affligés de quelque irrégularité canonique, mais qu'ils
soient ductores bene litterati et hene ineriti.
Que la cour de Rome ne se contente pas de se défendre par des
mots, qu'elle se défende par le fait de toute apparence de simonie,
de tnipta et inhonesta lucra, de toutes exactions à l'occasion soit de pro-
motions, soit de déhvrance de lettres pontificales, de toutes exactions
par la voie de ses légats, de ses courriers, de ses nonces; que le sei-
gneur pape et les cardinaux se fassent libéralement et facilement
accessibles; qu'enfin nos seigneurs les cardinaux mettent tous leurs
revenus en commun et n'aient séparément aucun bénéfice ecclésias-
tique; que la cour de Rome ne confère jamais plusieurs offices à la
fois, soit à un cardinal, soit à tout autre; qu'elle ne pourvoie pas de
bénéfice celui qui ne parle ni ne comprend la langue du pays.
Qu'aucun procès en cour de Rome ne se prolonge plus de trois
ans; qu'aucun appel en cour de Rome ne soit reçu après deux ans;
que toutes les affaires des indigents soient traitées et terminées abscjue
strepitu et figura judiciorum.
Que l'Église de Rome ne promulgue aucune loi générale sans avoir
convoqué un concile œcuménique, et que ce concile se réunisse régu-
lièrement tous les dix ans.
Qu'enfin la cour de Rome, observant vis-à-vis d'elle-même tout ce
'"' On se rappeJlera que Guillaume Durant par application du principe des réserves en cas
lui-même avait été promu évêque de Mende de vacance in curia. Voir ci-dessus, p. 5.
i4.
108 GUILL\UME DURANT I.E JEUNE,
qui a été sagement réglé et ordonné, fasse observer ces aiènies lois
et règlements dans toute l'Eglise par les patriarches et primats; ceux-
ci imposeront à leur tour la même discipline aux archevêques et mé-
tropolitains; ces derniers l'imposeront aux évéques; les évêques l'im-
poseront aux abbés, aux chapitres, à tous les séculiers et réguliers.
Pour assurer cet oi'dre parfait, des exécuteurs et visiteurs pourraient
être envoyés par la cour de Rome dans les divers royaumes ; tous les
trois ans ces délégués de Rome assisteraient à un concile provincial.
Que les faveurs et l'argent n'aillent pas à des laïques, parents ou
amis soit du souverain pontile, soit des cardinaux, soit d'autres digni-
taires ecclésiastiques; que, dans la mesure du possible, les laveurs de
cette catégorie déjà accordées soient retirées.
Qu'aucun ecclésiastique ne soit admis en cour de Rome sans lit-
lerœ coinincndalitiœ de son évêque , et que, sans motif sérieux, il n'y
reste pas plus de six mois.
Que, sur les biens surabondants des ecclésiastiques, soit prélevée
une somme raisonnable alléclée aux besoins de la cour de Rome, qui
pourra ainsi se sulTire honorablement et supporter les charges qui
lui incombent; cette provision n'aura rien d'odieux comme lerait
une taxe, à condition que l'Église romaine n'aille point désormais
outre ou contre ce qui vient d'être dit, à condition qu'elle se soumette
aux autres mesures qui paraîtront raisonnables au concile, et qu'elle
ne puisse plus étendre, au ]Méjudice des lois divines et humaines,
les bornes de sa pleine puissance.
Un ])aragraphe est consacré à l'élection des papes. Nous pouvons
le résumer ainsi qu'il suit : les cardinaux auront trois mois pour élire
le nouveau pape; si, dans les trois mois de la vacance, l'élection n'a
pas eu lieu, les cardinaux seront, pour cette fois, déchus de leur
droit, et l'élection sera transférée ad aluiuos arcliiepiscopos et episcopos,
et alios de (juibus videretar expédions; si cette solution ne paraît pas
acceptable, (px'on en trouve (juelque autre qui complète les prescrip-
tions de Grégoire X et contraigne les cardinaux à s'entendre.
Que le seigneur pape ne soit pas qualifié universahs Ecclesiœ ponti-
Je.v, ce qui a été prohibé par Grégoire le Grand. Ce n'est pas la pre-
mière fois que l'évéque de Mende formule ce vœu'''.
'"' Cf. ci-dessus, j>. 88, 93, et li-dessous , p. 1 i8.
ÉVÈQUE DE MENDE — SES ÉCRITS. 109
Que les évêques et cardinaux ne puissent être condamnés si, pour
jusliiler l'accusation portée contre eux, n'a été produit le nombre de
témoins prescrit par le pape Clément'''.
Ici Guillaume Durant, s'apercevant peut-être qu'il comnience à se
répéter, fait remarquer que beaucoup d'autres observations relatives
à la réforme de l'Église de Rome ont déjà été consignées dans la pre-
mière partie de ce traité et en plusieurs titres de la seconde partie.
À ces divers titres notre auteur renvoie avec précision.
Les titres suivants (28 et 29) sont intitulés : De reforinationeprœla-
toram et De re/'ormalione cleri. Dans le premier de ces titres, l'auteur
réclame la tenue de conciles provinciaux, insiste sur le devoir de la
résidence Incombant aux évêques , surtout tenipoie clirismatis conjiciendi ,
et sur la visite annuelle du diocèse, blâme les excommunications,
suspenses, interdits, lancés sans raison ou pour des motifs futiles,
s'élève contre les excès du luxe, rappelle enfin aux évêques qu'ils
doivent pourvoir leurs diocèses de bons maîtres chargés d'enseigner.
Dans le second nous retrouvons des observations déjà faites : les
clercs doivent s'abstenir des sœculares curœ et des nccjotia sœcidana.
Aucun clerc ne doit mendier. Pour être admis à la cléricature, il
faut avoir de quoi vivre : haberent iinde viverent. A détaul d un patri-
moine, une profession honnête suflira [ars scribendi sen aha Iwnesta
ars). Aucun séculier ne sera admis à une ordination s'il ne sait sulïi-
samment chanter et lire, s'il n'entend et s'il ne parle convenablement
le latin. Quant à l'ordre de prêtrise, il ne pourra être conféré qu'à
ceux qui, indépendamment des connaissances déjà indiquées, sau-
ront les canons pénitentiaux et tout ce qui est nécessaire à la direction
des âmes.
Les ecclésiastiques ne cohabiteront pas avec des femmes. Tous
ceux d'une même paroisse devraient vivre ensemble, sub disciplina
curati vel alionim probomm. Nous retrouvons ici cette préoccupation
de la vie commune, qui reparaît à toutes les époques de l'histoire de
l'Église. Le bon ordre veut aussi que, les dimanches et jours de fête,
1') 11 fallait dire, comme au lit. i4, le pape que dans le Décret de Gratien, G. II, qu. iv,
vSilveslre. On trouvera le texte du concile c. a : il faut 7a témoins pour condamner un
apocryphe de Silvestre dans Hinschius, Deere- évéque, 04 pour condamner un cardinal prêtre,
taies Psewio-hidoiianœ, p. 4^9, et le passage 27 pour condamner un cardinal diacre, ce (|Ui
de ce concile , que vise Guillaume Durant , dans revient à dire qu'il est à peu près impossible de
les Capitula Angilramni. ibid., p. 768, ainsi condamner un de ces prélats.
1 0
110 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
les ecclésiastiques se réunissent aux offices, et qu'ils ne voyagent pas
sans lettres de l'évêque.
Suit le titre 3o, De reformatione relujiosorum; le texte même ne ré-
pond pas à ce libellé. L'auteur, après un renvoi aux chapitres où déjà
il s'est occupé des religieux, copie le canon lo du huitième concile
de Tolède (653) et le décret qui clôt ce concile. Ces textes n'ont
pas trait aux religieux et concernent l'élection et les devoirs des rois.
Vers la fin de cette longue intercalation, Guillaume Durant nous rap-
pelle — c'est une pensée qui l'obsède — que le successeur de Pierre
n'a pas reçu le privilège nun peccandi. Mais il ajoute, cette fois, copiant
un autre texte bien connu, qu'aucun mortel n'a le droit de convaincre
de faute le pontife, « quia cunctos ipse judicaturus a nemine est judi-
« candiis, nisi a fide deprehendatur devins ''^).
Le titre 3 i et le titre 32 sont consacrés aux moyens de réft)rmer
l'Eglise universelle. Réformer le pouvoir spirituel et le pouvoir royal,
voilà les choses urgentes. Toutes les mesures prises contre le droit
naturel, le droit divin, le droit positif, tous privilèges, libertés,
immunités, exemptions contraires au droit, doivent être révoqués
par les pontifes et par les princes temporels. Ici l'auteur reprend son
thème favori, le trouble apporté par l'Église de Rome à f ordre gé-
néral de l'Eglise. Quant aux rois, notre auteur leur rappelle ce prin-
cipe, formulé notamment par Isidore : le prince doit observer ses
propres lois.
Il revient, dans le titre 32 , à la cour de Rome : qu'elle se réforme la
première pour réformer ensuite graduellement toute l'Eglise. Négliger
de réformer les abus qui régnent parmi les prélats, c'est un j)éché
mortel qui doit être suivi de la déposition, « et deposilionem inducit,
«sicut jura testantur». Ici Guillaume Durant oublie qu'il a invoqué
un peu plus haut la doctrine d'après laquelle le pape ne doit être jugé
par personne.
Du titre 33 au titre 3g, l'auteur passe en revue les vices qu'on a
appelés les péchés capitaux, depuis l'avarice jusqu'à la paresse. Inu-
tile d'ajouter que, suivant son habitude, il ne songe point à un exposé
pédagogique et ne s'attache pas à énumérer les péchés ou vices que
l'école envisage comme fondamentaux. Son exposé n'est même pas
'"' Décret de Gratien, D. xl, c. 6.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 111
assez technique pour que nous sachions très sûrement s'il compte,
avec les auteurs dont la doctrine est devenue classique, sept péchés,
ou, avec d'autres écrivains, huit péchés capitaux.
L'avarice d'abord, àpreté au gain de l'Eglise de Rome et de l'Eglise
tout entière, est un de ses sujets favoris : l'argent, écrit-il, joue un
rôle constant dans les collations de bénéfices et de dignités ecclésias-
tiques; les légats, les nonces, les familiales du saint-siège sont d'in-
tolérables quêteurs. Subsides, procurations, frais pour la délivrance
des lettres apostoliques et pour le sceau, indulgences, privilèges,
dispenses, exemptions, tout se ramène à l'argent. Les offices de justice
se vendent; ce sont de tous côtés tiirpia lucra et inhoncsta, et beau-
coup (le ces trafics sentent l'usure. Des petits jusqu'aux grands, tous,
en celte Église, sont avides et avaricieux ; voilà le cri universel. Non
seulement le pauvre, qui ne peut rien oflVir, est traite avec mépris,
mais en sa personne la vérité et la justice sont opprimées; quant au
coupable, qui se peut racheter avec des écus, il n'a rien à crainclre
(tit. 33). Partout le luxe, l'ostentation, l'orgueil et la vaine gloire
(lit. 34). , , ,
Dans le titre 35, l'auteur s'occupe surtout des mœurs du cierge.
Son attention s'était portée antérieurement sur ce sujet; il s'était même
demandé (livre II, titre 46), sans conclure, s'U n'y aurait pas lieu
d'admettre en Occident la pratique de l'EgUse d'Orient qui permet le
mariage des clercs engagés dans les ordres majeurs. En ce passage,
il ne revient pas sur cette question et se borne à rappeler, en les
appuyant de nombreux textes, les préceptes qui constituent pour le
clergé la règle des mœurs.
Suit une exhortation à la sobriété , où il est recommandé aux évêques
qui visitent leurs diocèses de ne pas se faire servir trop somptueuse-
ment par les curés (tit. 36).
Dans les titres Sy à 39, l'auteur met le clergé en garde contre
l'envie et la fureur des dénigrements entre confrères, contre la
colère, si dangereuse surtout chez celui qui est appelé à rendre
la justice, enfin contre Vacedia, qui, pour l'évêque de Mende, est
synonyme de neglicjenlia et iynorantia. Guillaume s'étend longuement
sur ce vice et sur les moyens de le combattre. Il distingue lanegli-
gentia eraditionis, la negligentia circa curam animarum, la neghgentia
circa ojficmm.
112 (GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Neqliqentia eniditionis. — Contre cette pestis icjnorantiœ , le premier
remède est le choix des évêques : ils ne doivent être ni processifs, ni
cupides, mais pudiques, instruits dans la loi du Seigneur (tit. 4o].
Quant aux curés, il importe qu'ils ne soient pas non plus paresseux,
ignorants, négligents. Ne serait-il pas opportun de provoquer la com-
position d'un guide très simple à leur usage? Les canons pénitentiaux
y seraient reproduits; un concile de Tolède prescrivit jadis une me-
sure de ce genre ''' (tit. 4 i )•
Une sollicitude analogue doit présider à la formation de tous les
clercs (tit. 42). Ici l'auteur rappelle les prescriptions du concile gé-
néral de Lalran, qui ordonne la nomination dans toutes les églises
cathédrales et dans toutes autres églises importantes de maîtres qui
seraient chargés d'instruire les pauvres clercs, et même les laïques,
et de leur apprendre gratuitement le chant, la lecture, l'écriture,
la grammaire et la logique '"^^. Ce vœu donne une extension considé-
rable au canon 1 1 du quatrième concile de Latran'^*, lequel ne men-
tionne ni les laïques ni l'enseignement de la logique.
L'évêque de Mende conseille aussi, en invoquant l'autorité d'un
concile de Tolède'"', la création d'établissements qui ressembleraient
à nos petits séminaires. On y accueillerait et on y instruirait, dans un
local clos [sub uno conclavi) , les enfants destinés par leurs parents à la
cléricature; ils recevraient la tonsure et y passeraient, sous l'œil d'un
maître expérimenté, les liibricw œtatis annos, non in luxuria, sed in
disciplinis ecclesiasticis. H semble, d'après cette rédaction, que, pour
notre auteur, les luhricœ œlatis an/ir prennent fin vers dix-huit ans;
à cet âge, les jeunes gens ainsi élevés feraient vœu de chasteté, si
clerici esse relient, et seraient plus tard promus aux ordres. Guil-
laume, qui rédige toujours hâtivement, a probablement mal dit ce
qu'il avait dans i'espiit. 11 ajoute, d'ailleurs, que si, à dix-huit ans,
ces adolescents, n'ayant pas encore émis le vœu de chasteté, vou-
laient se marier, la permission" du pape ne leur serait pas refusée.
Ils pourraient demeurer clercs, pourvu qu'ils ne se mariassent qu'une
''' Allusion aux canons 25 et 26 du qua- ''' Décrétalcs de Grégoire IX , V, v, c. 4-
trième concile de Tolède. '*' Ce concile est le second concile de Tolède ,
''' Sur l'ignorance du clergé, voir notam- can. 1, dont la décision est très difleiviite des
ment Hi^l. Ull. de la France, t. XXXI, p. f)3, propositions, qu'on va lire, de Guillaume Du-
et t. XXXIV, p. 34. rant.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 113
seule fois, et avec une femme vierge, et jouiraient des privilèges de
cléricature.
11 serait facile de pourvoir les clercs pauvues et instruits : il suffirait
pour cela de supprimer la pluralité abusive des bénéfices, de doter
moins richement les clercs déjà fortunés, d'écarter tous les étrangers
qui ne comprennent même pas la langue des pays où sont situés
leurs bénéfices. Cela d'ailleurs a déjà été dit (part. II, tit. i5). Cer-
taines paroisses sont si riches que, tout en y nommant un vicaire
perpétuel avec portion congrue, on pourrait avec le surplus pourvoir
bon nombre d'étudiants (tit. /j.'^).
L'auteur continue, au cours du titre 44 1 la série de ses observations
lelatives à l'ignorance et à la négligence, ces deux aspects de ïacedia.
Que les clercs non mariés se gardent de l'oisiveté, radix omnium malo-
mm; qu'on ne confère jamais la tonsure à celui qui ne sait ni lire ni
chanter, aucun ordre mineur à celui qui n'a pas poussé plus loin ses
études. Suivent d'excellents avis, mais nous les connaissons; ils ont
déjà été donnés.
Le dernier remède général proposé contre la neglujenlia eriiditionis
est fort intéressant. Les études sont trop compliquées et trop longues;
la masse des gloses et des auteurs écrase les écoliers, qui perdent
leur temps, se nourrissent de brocards et de mots plutôt que (le
science; il faudrait faire rédiger en chaque faculté des abrégés, d'où
on éliminerait toutes superfluités, répétitions et contradictions'*'. Les
étudiants se nourriraient de ces abrégés, approuvés par le saint-siège.
Ils apprendraient en cinq ans plus qu'ils n'apprennent aujourd'hui
en dix, et ils ne mèneraient pas une vie coûteuse et dissolue. L'évèque
revient, en finissant, aux canons pénitentiaux qui lui tiennent si fort
à cœur (tit. 45).
Neçfligentia circa curam animarum. — Quatre titres sont consacrés à
cet aspect si important de Vacedia. Très vite la cour de Rome est mise
en cause : par des voies diverses elle attire à elle tous les procès en
'" Noire auteur aime les abrégés ou guides ; cUin an moyen Age et dans les derniers siècles, dans
on l'a vu, un peu plus haut (p. 78) , réclamer Bulletin de la Société (Fagricullure de lu Lozère.
un livre de ce genre pour les curés. Cf. ci- l863, t. XJV, p. 274). Nous pensons plutôt
dessus, p. 112. Un érudit, ayant feuilleté à qu'il s'agit ici tout simplement des /ns<ruc«ions
Mende deux manuscrits qui contiennent pré- et Constitutions du Specalator, suivies d'une
cisémenl un abrégé, la attribué à notre pré- addition de notre Guillaume; cf. ci-dessus,
lat (Charbonnel, Quelques notahilités du Gévaii- p. 78.
HIST. LITTEB. XXXV.
1 0 ♦
i5
114 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
matière d'élection et prolonge ainsi les vacances au grand détriment
des églises (tit. 46). Elle accorde, sans nécessité, sans utilité, des dis-
penses de la règle prohU^ant la pluralité des bénéfices. La loi de la
résidence n'est pas observée (tit. 4 7)- Des bénéfices de tout genre,
même des prélatures, sont donnés à des hommes qui sont notoire-
ment, par défaut d'âge ou défaut de science, inhabiles ad curam anima-
lum. Ces bénéficiers ne s'occupent en aucune manière des âmes
confiées à leurs soins; ils se contentent de percevoir leurs revenus, la
sacoche à la main, les jours de pleine lune, c'est-à-dire les jours
d'échéance (tit. 48). Enfin les pécheurs publics restent impunis ou
insuffisamment punis; leurs offrandes sont reçues dans les temples.
Les fautes les plus graves des ecclésiastiques ne sont châtiées que par
des amendes, alors qu'elles devraient entraîner la prison perpétuelle.
L'auteur propose, en outre, de décider que toutes sommes perçues
par l'Eglise, à titre de peine, seront employées en œuvres pies. Aussi
bien, d'après quelques docteurs, cela déjà serait de droit (tit. 49)-
Necjligentia circa ojficium. — Les prélats et autres personnes d'Eglise
ne doivent point s'occuper d'affaires séculières, mais assister aux
offices et au saint sacrifice. Les évêques n'habiteront pas loin de leur
église, ut divinis comjrue vacare possint, est-il dit dans le 14*" canon du
quatrième concile de Carthage, et cependant nos évéques se plaisent
à habiter des manoirs et des châteaux éloignés, qui parfois même sont
situés dans une autre province que la leur. Outre que la loi de la
résidence est très mal observée, ceux qui assistent aux offiices le
font rarement avec l'attention et la dignité requises (tit. 5o).
Les chanoines et les membres des églises collégiales ne s'acquittent,
la plupart du temps, de ce devoir d'assistance qu'en vue des émolu-
ments qui y sont attachés. Sont-ils présents, on les voit trop souvent
converser entre eux, s'endormir, ou troubler l'office divin. Certains
sortent du chœur, se promènent dans féghse, causant, riant, plaisan-
tant avec les fidèles, hommes et femmes*''. Un concile général*^' a
décidé que semblables délinquants pourraient être sus])endus. Cela
paraît insuffisant; il faudrait déclarer que quiconque n'assiste pas à
'"' Le Speculator a abordé sommairement menlarias a Simone Maiolo. . . éditas, Fano,
celte question de la tenue à l'église dans son iTiGg, fol. 85 v°-86 v").
coramenlairc du canon a5 du concile de Lyon ''' Il s'agit du quatrième concUe de Latran,
[In sacrosanctum Lagdunense concilium. .. com- canon 17.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 115
l'office dans le chœur n'a droit à aucune distribution. Il faudrait aussi
réserver à ceux qui assistent à l'office divin les émoluments qui, en
beaucoup de localités, sont attribués à des ecclésiastiques absents sans
motif légitime (titre 5i).
La mauvaise tenue des princes et des gens du peuple aux offices est
une conséquence de cette négligence, de cette acedia du clergé. Il
arrive souvent que, durant les messes solennelles qu'ils font célébrer,
les princes ne cessent guère ou de donner audience ou de s'occuper
d'alîaires diverses, sans faire attention aux offices et sans prier. Des
gentilshommes, des gens de tout état, de toute condition, n'entrent
à l'église qu'au moment de l'élévation et, aussitôt après, se retirent
hâtivement; à peine ont-ils eu le temps de réciter un Pater noster.
A ces abus il faudrait pourvoir : sur quoi notre auteur invoque, sui-
vant son habitude, une série de conciles; il y joint le 43* canon des
Apôtres, qui oblige les fidèles à venir à l'église pour les diverses solen-
nités. Ceux qui ne resteraient pas jusqu'à la fui de la messe seraient
privés de la communion (tit. 02).
Les dimanches et fêtes ne sont pas observés; bien plus, les tribu-
naux, ces jours-là, rendent la justice, les marchés sont ouverts, on
travaille aux champs, et même on se permet plus d'actes répréhen-
sibles que durant la semaine : jeux divers, danses, chansons déshon-
nêtes. L'intérieur même des églises et les cimetières ne sont pas à
l'abri de ces mondanités. Suit la mention des conciles qui déjà se
sont élevés contre ces abus (tit. 53).
Notre évèque, après avoir énuméré quatre négligences circa ojicium,
en dénonce une cinquième : dans les paroisses on n'a pas d'heures
régulières pour les offices; on offense la langue latine par des bar-
barismes et par des solécismes. Motets et chants déshonnêtes, can-
tilènes lascives se mêlent souvent à l'office divin, ou encore le
chant est déformé par des modulations recherchées et compliquées,
que déjà saint Jérôme critiquait, parce qu'elles étaient dignes du
théâtre et non de l'Église ''^ Les offices, d'ailleurs, sont trop longs
(tit. 54). Ces observations ne sont pas déplacées sous la plume d'un
évêque qui a composé ou composera pour son église un Direclorium
chori '^'.
'■' Cf. Hist. litt. de la France, t. XXXI V, p. 535. — ''' Cf. ci-dessous, p. i34.
i5.
116 GIJ1LL-\UME DURANT LE JEUNE,
Revenant sur une question qu'il a déjà abordée '^ et adoptant cette
lois une solution beaucoup plus radicale * , Guillaume Durant propose
maintenant d'établir, non plus dans chaque province ecclésiastique,
mais dans toute l'Eglise de Dieu , l'unité liturgique , et de prendre
pour modèle la liturgie de l'Eglise de Rome, qui doit semr d'exemple
à tous, d autant plus que l'Italie, la Gaule, l'Espagne, l'Afrique, la
Sicile et les îles n'ont été évangébsees que par des évèques délégués
par Pierre ou par ses successeurs, et n'ont point connu d'autre apôtre.
!Notre auteur prévoit ici une objection. Cette uniformité n'entraine-
rait-elle pas la perte d'un grand nombre de livres liturgiques en usage
dans les diverses églises ?Nou; ce grave inconvénient pourra être évité
par des additions aux livres existants. L'uniformité n'exclurait pas
d'ailleurs quelques variétés locales (tit. 55 et 56 . L'auteur fait une
large concession : si les réguliers insistent beaucoup, on pourrait
leur laisser leurs liturgies particulières (tit. 57). Pour justifier ces
tolérances, Guillaume Durant invoque l'épitre de saint Augustin à
Januarius et le commentaire de Gratien^'l
Il v a souvent, surtout dans les églises à la présentation des
monastères exempts, pénurie d'ornements, pénurie de vêtements et
de vases sacrés. Les ornements, parfois, sont sordides. Chez certains
rehgieux, on voit des convers laïques ou des enfants serMr la messe;
ils tiennent ainsi la place du prêtre qui, régulièrement, doit assister
le célébrant; ils répondent à ce célébrant qui, avant l Introït, récite
le Confiteor et. par conséquent, ce sont eux qui, sans pouvoir, donnent
en quelque façon.au prêtre l'absolution des péchés dont il s'est accusé
in (jlobo. Il faudrait pourvoir à ces abus (tit. 58).
En dépit des règles etabhes, certains prélats permettent que les
reliques des saints soient portées par les laïques, et même présentées
par eux à la vénération des fidèles; ils autorisent aussi des laïques à
T>orter les croix et les encensoirs el tolèrent d autres irrégularités'*^
(tit. 59).
Les prélats et les curés néghgent de faire exécuter dans les églises
P' Partie II , tit 68; cf. ci-dessus p. 98. "' Le Spccnlator s'est préoccupé aussi
**' Guillaoïne invoque id le quatrième cou- d^écarter les laïques de tout contact avec les
c3e de Tolède, canon 3. choses saintes ou 4cs choses d'église ! Instrac-
'^^ Décret de Gratien, I). lU. c. 1 1 ; cl. S. An- tlons el Conslilations de GaiUaame Dartuit.
gnstin, Epifloim (lligne, Patr. ht., XXXIII. aooj. p. ^9-54 )■
ÉVEQLE DE MENDE. — SES ECRITS. 117
les réparations nécessaires. Ils ne s'occupent pas davantage du lu-
minaire. Cependant le tiers des revenus doit être affecté à cette
catégorie de dépenses. Dans certaines églises, surtout chez les reli-
gieux, on n'allume pas les torches et on n'agite pas la sonnette au
moment de l'élévation (tit. 60).
C'est sur le chapitre des intérêts matériels de l'Eglise et des droits
des pauvres que l'auteur terminera son traité; il consacre à ces ques-
tions les trois derniers titres. Les prélats et les curés négligent de
défendre les droits de l'Eglise et ceux de leurs sujets et tenanciers :
canes muti non valenles /a/rare'''.' Bien plus, ils chantent les louanges
de leurs oppresseurs : le haut clergé comble de faveurs les seigneurs
temporels. Quant à l'Eglise de Rome, elle grève de charges les églises
et les ecclésiastiques et, par là, énerve et brise toute discipline
(til. 61).
Suivant les règles canoniques, les revenus et oblalions doivent être
divisés en quatre parties : un quart à l'évêque, un quart aux clercs,
un quart à la fabrique, un quart aux pauvres. Cette part qui leur est
due, les pauvres ne la reçoivent pas.
L'auteur, enfin, clôt l'ouvrage par une sortie éloquente contre le
luxe, qu'à la même époque stigmatisait aussi Raimond Lull dans sa
Petitio in concilia (jenerah^'^K Les magnifiques revenus des églises sont,
dit-il, dépensés en superfluités de tous genres.
Tel est le traité fameux De modo celebrandi concilii , œuvre hâtive,
mal digérée, parfois incohérente, mais pleine de vie et de vues.
Incohérente, avons-nous dit. Nulle part, peut-être, cette incohé-
rence n'est plus frappante que dans les derniers chapitres. Ainsi, au
titre 60 de la troisième partie, l'auteur nous apj)rend que le tiers des
revenus doit être affecté aux réparations et au luminaire des églises;
au titre 62, il écrit que le quart des mêmes revenus appartient à la
fabrique (et, par conséquent, doit être affecté aux réparations). 11 y
a plus : si nous nous référons au premier paragraphe de ce même
titre 62 , nous tiendrons que le total des revenus des églises est le bien
des pauvres, mais, si nous lisons le second paragraphe, nous appren-
drons que ce qui est le bien des pauvres, ce n'est pas la totalité, c'est Je
quart des revenus. Un certain nombre de ces contradictions s'expli-
<■' Isaïe, LVI. 10. — <«) Cf. Hiit. litl. de la Fr.. t. XXIX, p. Uo.
118 (ÎUILLAUME DURANT LE JEUNE,
quent très facilement : notre auteur a sous les yeux d'anciens textes
conciliaires qui règlent le partage des revenus de l'Eglise, les uns en
trois, les autres en quatre parties'"'; il ne s'embarrasse pas pour si peu
et se reporte au hasard à tel ou tel de ces conciles. Peu soucieux
d'être toujours d'accord avec lui-même, il laisse aller sa plume soit
au gré de ses impressions, sôit au gré des citations disparates qu'il a
amassées ou qu'on a amassées pouâ' lui.
Mais, dira-t-on, sur un point de la plus haute importance, Guil-
laume ne varie pas, et sa pensée est solide et ferme : le souverain pon-
tife ne se doit pas qualifier iiniversalis papa. Cependant la doctrine de
Guillaume est ici bien mal assise. Il invoque l'autorité de Grégoire
le Grand, qui, en effet, a rejeté ce titre. Mais qui donc l'avait décerné
aux prédécesseurs de Grégoire .►• Le concile même de Chalcédoine*^'.
Ainsi Guillaume, qui si souvent réclame l'intervention du concile, se
trouve ici en opposition avec un concile œcuménique. 11 a lu le frag-
ment Grégorien dans le Décret de Gratien, qui ne donne pas le texte
complet de la lettre où le pontife déclare très nettement professer,
sur ce point, un sentiment contraire à celui du synode. Guillaume
pouvait-il choisir un plus mauvais terrain? Nous ajouterons qu'il
reconnaît formellement que le siège de Home a reçu autorité et
pouvoir sur toutes les églises'^'.
C'est en s'attacliant à la question des droits comparés du concile
général et du pape qu'on a cru pouvoir résumer en quelques lignes,
très précises et très nettes, la doctrine de Guillaume, et l'opposer à
celle de saint Thomas d'Aquin et de beaucoup d'autres docteurs. Aux
yeux desaint Thomas et de ces docteurs, le pape n'est lié par les
décisions conciliaires qu'autant qu'elles reconnaissent et proclament
des règles de droit divin; il n'est pas lié par le droit positif établi par
les conciles*'*'. Tout au contraire, poursuit-on, Guillaume Durant pro-
'"' Sur ces deux systèmes, voir Stutz , Ge- «Patribus hoc decessoribusmeisoblatuniVesIr»
schichte des kircidichen Benefizialwesens (Berlin, «Sanctitas novit. Sed tamen nuUus eorum uli
iSqS), p. 26-39. «hoc unquain vocabulo voluiti (Epistola ."îo,
''' iNain dixi, nec mihi vos, nec cuiquam ad Eulogium, episcopum Aleiandriuum , dans
• alteri laie aliquid scribere debere; et ecce in Migne, l'atrol. lat. , t. LXXVll, col. gSi).
« praEfalione epistobe quam ad me ipsum, qui ''• Part. III, tit. i.
• prohibui, direxistis, superbx appellationis '*' tQuod ergo primo, objicitor quod Roraa-
• verbum.universalem me papam dicentes, im- inxSedis auctoritas non potexl aliquid condere
• |)rimere curastis. . . Et quidem in sancta Chai- • vel mutarc contra statuta sanctorum Patrum,
• cedonensi synode atque post a sabsequentibus •dicendum quod verum est in illis qus statuta
ÉVÉQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 119
clame que les règles de droit positif portées par les conciles généraux
obligent le souverain pontife, lequel ne peut les modifier ou les
abroger qu'avec le concours d'un autre concile général'''. Certains
passages'^', dont Bossuet a tiré grand parti'^', sont favorables à cette
interprétation. Mais, prise dans son ensemble, la pensée de l'évêque
de Mende nous paraît un peu différente; elle est, la plupart du temps,
moins absolue. Certes il voudrait, en effet, que le pape ne se mît
jamais en opposition avec un concile général sans le concours d'un
autre concile, et même qu'il réunît un concile chaque fois que l'intérêt
de toute l'Église est en jeu**'. Mais nous ne voyons pas qu'il nie l'exis-
tence des pouvoirs du souverain pontife; mésuser de ses pouvoirs et
manquer absolument de pouvoirs sont deux choses différentes. H ne
nous apparaît pas que l'évêque de Mende ait jamais méconnu cette
distinction fondamentale. Nulle part, sans doute, il ne la formule;
mais, presque partout, il l'accepte implicitement. Il n'en est peut-
être que plus à l'aise, se sentant orthodoxe, pour relever, avec une
constante énergie de langage, tous les abus romains. Ennemi inlas-
sable de ces abus, Guillaume Durant est, en même temps, cham-
pion convaincu de la supériorité absolue du pouvoir spirituel sur le
pouvoir temporel ; ce qui donne à son œuvre une rare originalité et
une particulière saveur.
On se demande, après avoir lu le traité de Guillaume Durant, si
pareil acte d'accusation contre la cour de Rome put vraiment être
produit au concile. La réponse à cette question n'est pas douteuse :
oui, Guillaume fut au concile l'intrépide mécontent qui nous appa-
raît, si vivant, dans son œuvre; et, après le concile, il demeura long-
temps vis-à-vis de Rome accusateur ardent. Nous en avons pour
garantie pape Jean XXII lui-même'^'.
tsaiictorum determinaverunt esse de jure di- ''' Pari. I, tit. 5.
«vino, sicul articull fidei, qui determinali sunt ''' Cf. ci-dessous, p. ia3-i34.
c per concilia;sed illa, quae sancti Patresdeter- ''' Part. I , tit. 3 ; part. H, tit. ^\ ; part. III,
. minaverant esse de jure positive , sunt relicta tit. 17. Au titre ^ de la seconde partie, Guil-
• sub disposilione papae, ut possit ea mutare laume critique vivement une décrétale de Boni-
« vel dispensare, secundum opportunitates tem- face VIII rendue sans le concours d'un concile;
tporum vel negotiorum » (S. Thomas d'Aquin , il ne dit pas qu'elle soit nulle. 11 en demande
Contra impugnantef Dei caltam et religionem. la révocation par le concile de Vienne (présidé
dans Opéra omnia, Parmae, i864, t.XV.p. aà). par le souverain pontife). On ne révoque que
<■' Scholz, Die Publizistik zar Zeit Philipps ce qui existe; on ne révoque pas ce qui est
des Schônen und Bonifaz' l^//7, p. a2a-2a3 (Air- nul.
chenrechtliche Abhandlungen deSiult,li\r.6-S). ''' Voir ci-dessus, p. ag.
120 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Une autre question se pose. Guillaume Durant eut-il, au sein de
cette grande assemblée, une influence personnelle? On sera tenté
de le croire si on compare certaines décisions du concile aux propo-
sitions consignées dans le De modo celehrandi concihi. (cependant
Tévêque de Mende devait, sur plusieurs points, se rencontrer, en
dehors de toute action et de toute propagande, avec nombre de
confrères qui constataient, comme lui, de très graves abus dans l'Eglise
et dans le monde civil. Il y aurait donc témérité à tenir pour certain
que cette influence se fasse sentir dans les actes du concile qui
correspondent aux préoccupations du prélat. A ce point de vue,
nous nous contenterons de signaler rapidement, et sans insister sur
ce problème délicat, les constitutions, émanées à la fois de Clément V
et du concile, qui intéressent la situation des curés ou vicaires per-
pétuels institués sur la présentation d'une maison religieuse'"', le relè-
vement des établissements charitables en décadence'^', la question des
dîmes'''', les divertissements dans les églises et dans les cimetières, la
négligence des clercs qui n'assistent pas aux olFices ou leur mauvaise
tenue'''', l'âge des moines chargés de prieurés ou de fonctions empor-
tant charge d'àmes'^', les abus du droit de gîte'"' ou procuration,
enlin les entreprises du pouvoir civil attentatoires aux droits de
<■' Guillaume Durant, part. II I, tit. 32; Clé- ''' Guillaume Durant, part. III, til. -i i ;
mentines, III, \ii, De jure patronatus , c. i. Mollat, Les dolrances de la province de Sens au
''• Guillaume Durant, part. III, tit. 19; Clé- concile de Vienne, dans Revue d'histoire ecclé-
mentines, lil, \i , De relit/iosis domibus, c. 1. siaslique, t. VI, p. Saô.
Un mouvement de laïcisation des hôpitaux ^'' Guillaume Durant, part. II, tit. 35, Ho,
s'était manifesté, dès le xiii' siècle, sur divers 58, 6'j; part. III, tit. 5i et 53; Clémentines,
points, et se justifiait par l'incurie et l'esprit Ill.xiii, De censibus.c. a; III, %i\ , De celebra-
égoiste d'un trop grand nombre d'ecclésiasti- tione missarum, c. 1. — -On remarquera que la
(lues. Il semble que le concile de Vienne, loin déformation du chant ecclésiastique, riitiquée
de condamner ces transformations, les accepte par Guillaume Durant (ci-dessus, p. ii5), a
implicitement, car il parle du choix des admi- appelé aussi ratten<ion de Jean .WII, qui re-
nistrateurs en des termes vagues, qui n"ex- commande le maintien du chant traditioimel
cluent point les laïques. Cf. sur ces laïcisa- et classique (Extrav. comm. , lib. III, lit. \ , De
tions précoces: H. d'Arbois de Jubainville, vita et konestate clericoram , c. un.); cf. Hist.
Histoire df^s ducs et des comtes de Champagne, lilt. de la Fr.,l. XXXIV, p. 535-536.
t. V, p. 71, n" 811: Guibert, dans le Cabinet '*' (iuiliaume Durant, part, ill, tit. 53; Clé-
historiqae. nov.-déc. i883, p. 618 et 6i(), 6a6- mentines, 111, x. De statu monachoram , c. i,î •].
63 1; Leroux, Invent. somm. des arch. dép.. Cf. le rapprochement déjà fait par Antoine
Haute-Vienne, Se'rie H. Supplément, p. xvi, Faure dans son édition, donnée en 1671, de
XVIII, XIX; (iilliodts van Severen , Coutumes des- l'œuvre de Guillaume Durant, p. 177.
pa)s et comté de Flandre, Quartier de Bruges, '*' Guillaume Durant, part. III, tit. 66;
Coutumes des petites villes, t. II, p. 170, etc. Clémentines, III, xiii, De censibus , c. a.
EVEQUE DE MENDE. — SES ECRITS. 121
l'Eglise '"', autant de sujets abordés à la fois par Guillaume Durant
et par le concile.
Autre rapprochement: notre vindicatif prélat aurait voulu étendre,
sinon les peines proprement dites, du moins certaine responsabilité
aflliclive, jusqu'aux parents au troisième degré de quiconque se serait
rendu coupable d'oiî'enses aux églises. 11 s'agissait donc de généraliser
ce que (iuillaume avait fait lui-même, dèslepremier jour, en son dio-
cèse de Mende'->. Divers textes du droit canonique étaient déjà comme
des jalons posés dans cette direction; l'évêque ne manquait pas de
les invoquer. Le concile entra dans cette voie, mais plus timidement
que ne le voulait Guillaume'^'.
On nous permettra aussi de rapprocher l'énergique Clémentine
De «.suns''*' du document analysé plus haut'^', où Guillaume mani-
feste une hostilité violente contre l'usure et tout ce qui en approche.
H n'est pas impossible qu'au concile cel homme entreprenant ait joué
un certain rôle loisque fut adopté le décret contre l'usure.
On sait combien la conception d'un gouvernement assisté de sages
conseillers est chère à l'évêque de Mende; un très important témoi-
gnage nous prouve qu'au concile de Vienne Clément V montra, en
certaine rencontre, vis-à-vis des Pères, cette déférence souhaitée par
le prélat''''; mais nous le voyons aussi, en une autre circonstance, leur
tenir tête résolument et à leurs réclamations instantes opposer son
vetoP).
Certains échecs de notre évêque sont bien constatés. Et même une
phrase nettement hostile, par laquelle Clément V et le concile rejettent
une ])roposition relative à l'élection des papes, pourrait bien viser
personnellement Guillaume Durant <**'. Ce prélat était assez favorable,
"' ('.uillaumt" Durant, part. 11, til. 5,47, ()(), (''Guillaume Durant, part. III, tit. 25;
70; Mollat, Les doléances du clergé de la pro- Ehrle, A us den Acten desViennei Coiicih , \>. 53;
vince de Sens, p. 3a3 ; Ehrle, Aus den Aclen des Clémentines, V, vin , De pœnis , c. i .
Vienncr Conciii.p. 6 cl suiv. (extrait de i'Archiv ''> Clémentines, V, v, De usuris.
fur Litcratiir- and Kirchemieschichte des Miltel- ''' (;f. ci-dessus, p. 76.
allers, t. IV, 1888). Les doléances des évèques ''' Guillaume Durant, part. III, lit. 27 et
gascons au concile de Vienne ont été traduites passint; Ehrle, Aus den Aclen des Vienner Con-
en français et lapprochées de textes analogues cils, p. 83.
par Dufibur, dans Reoue de Gascogne, nouvelle •'' Cf. ci-dessous, p. 122, note (i.
série, t. Vfigoô), p. 244 et suiv. <*' «Nos inter caetera pra>cipue attendeiites
''' Cf. ci-flessus, p. io5 et 106. On se rap- (. quod lex superioris per inferiorem tolli non
pelle que ce statut avait été approuvé pour « potest, opinionem adstruere, sicut accepimus,
Mende par Boniface VIII. .«salagenlciu quod constitulio felicis recorda-
HIST. LITl ÉR. XXXV. , f\
122 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
nous l'avons remarqué, à un certain amoindrissement du droit d'asile;
on jirojeta, au contraire, de donner une sanction nouvelle au système
de l'asile, et Bérenger Frédol reçut la mission de rédiger une consti-
tution dans cet esprit'" . Guillaume réclamait la suppression des
qaœstorcs, et aussi des c«/-.sorei' et naiilii Romance curiœ , lesquels abusaient
des gens simples. Le concile reconnut, en effet, que les quêteurs abu-
saient des simples, et il exigea qu'ils se munissent dorénavant de lettres
de l'évêque ou de lettres du pape'''. iN'était-ce pas là comme une
sanction de l'alîus critiqué .-^ Guillaume, cej^endant, put ici trouver
dans la lecture des constitutions de son oncle quelque adoucissement
à ses regrets; son prédécesseur sur le siège de Mende se plaignait,
en effet, lui aussi, des quêteurs, mais il n'imaginait d'autre remède
au mal''' que celui-là même ([ue devait plus tard apporter le concile de
Vienne. Lnlin, l'évêque de Mende''*' et un grand nombre de ses con-
frères''''demandaient l'abolition des exemptions. Clément V combattit
énergiquement ce projet : nnhdt papa conseil tire^^K Le concile se con-
tenta d'édicté;' quelques mesures propres à faire mieux respecter
l'autorité des évêques'^'.
Sur un point l'hésitation nous paraît jîermise. Guillaume sou-
haitait l'abrogation ae la décrélale Clerici de Boniface VllI. Que ht
le concile? Le titre des Clémentines, Dr vita et lioncstate cleruorum,
inflige des peines au clerc qui n'a ni l'habit ecclésiastique ni la ton-
sure'*', mais il ne renouvelle pas la décision de Boniface VIll pro-
nonçant, en ce cas, si le clerc est marié, la perte du privilège du
« tionis Gre<;orii papap X, praedecessoris nosiri, ''' Berttielé et Valmacy, Inshactions et Con-
ucirca eleclionem praefatam édita in concilio stiliitinns de Guillaume Durant le Spcculatear,
oLiigdunensi, per cœtuin oardinalium l\o- p. 112.
» iiiana' Ecclesi.T, ipsa vacante, nii)di(icaripossit , '*' Guillaume Durant, part. 1, lit. 5 ; part. 11,
• corrii,'! vel immutari, aut quicquam ei delrahi lit. 53 et passiin.
«sivcaddi, vel dispensari cpiomodollbet circa '^' Voyez notamment Mollat, Les doléances
• ipsani seu aliquam ejus parteni, aut eidem de la province de Sens, p. 3 ic^, ^"iZ, ^2b, 326;
• etiani renunciarl per euni , tanquam veritatl Guillaume Le Maire, édit. Porl, p. 48o.
mon ronsonam, de IVatrum nostromm consilio '*' Ehrle, Aas den Acten des Vienner Concils,
«reprobatnus. . . » (Clémentines, I, m, De p. 80.
etectione et electi potestate, 2). — Rapprochez ■'' Clémentines, V, x, De senteiitia e.ccom-
ce qu'avait dit à ce sujet l'évêque de Mende, municationis , c. 1.
part, m, lit. 27, et ci-dessus, p. 108. '"' Clémentines, III, i. De vita et honestate
''' Guillaume Durant, part. Il, tit. 45; Ehrle, clericontm , c. a. Le c. 1 parle bien de la perte
Ans den Acten des Vienner Concils , p. 86. du privilef,'e, mais il ne vise pas puren>ent et
<*' Guillaume Durant, part. III, tit. i5;Gié- simplement l'abandon de l'habit et de la ton-
mentiiies, V, x, De pmnitentiis , a. sure : ce qui est notre cas.
ÉVÊOUE DE MENDE. — SES ÉCRITS.
123
for. Supposa-t-on , dans les premiers temps, que cette decrétale était
par Là implicitement abrogée? Nous n'en serions pas fort surpris'"'.
Mais, d'antre part, il nous paraît certain que, du temps même de
Guillaume, dans le Gévaudan, le roi suivait, pour déterminer les
limites de la juridiction temporelle et de la juridiction spirituelle,
les règles posées par la decrétale de Boniface Vlll, et qu'à la fin du
MV"" siècle, à Toulouse, par exemple, cette decrétale était en pleine
vigueur''^'.
H n'est pas possible de lire le traité de Guillaume Durant sans
songer aux Pierre d'Ailli et aux Gerson, qui, au xv'' siècle, voulurent,
eux aussi, réformer l'Église dans son cbef et dans ses membres et qui
firent décréter, comme le souhaitait Guillaume Durant, la périodicité
décennale de conciles. Quelle fut sur ces grands hommes l'influence
de notre Guillaume ? Bossuet, qui prenait notre évêque pour le fameux
Spcridator, écrit que sa doctrine fut le flambeau qui dirigea leurs
''' Vu cortain Jean de Senlis, mari»'-, sans
liabit ni tonsure, est arrêté pour meurtre par
les. gens de l'archevêque de Heims, plusieurs
années après la promulgation définitive des
Clémentines : Tarrlievéque entend lui faire son
procès devant sa cour spirituelle. Conilit a\ec
le pouvoir civil, (pii ne seinlile pas avoir invo-
qué le défaut d'habit et de tonsure, mais avoir
utilisé d'autres circonstances (Olivier Martin,
L'assemblée de Vincennes de 1329, p. i>.2G).
L'archevêque de Reims estimait-il que le concile
de Vienne et Clément V avaient tacitement
abrogé la decrétale de Boniface Vlll ? On serait
tenté de le croire. .Autre fait : dans im texte
de i334, nous voyons le pouvoir civil reven-
diquer un clerc ou prétendu tel, marié, sans
habit ni tonsure; la cour a soin de le qualifier,
non pas clerc, mais laïque, et d'ajouter que
ce taicus pro laico se gerebai (Génestal, Le
procès sur l'état de clerc au j- x 1 1 1' et xiv' siècles,
p. 33, note i, dans Ecole pratique des hautes
études. Section des sciences religieuses, lyog).
Le tribunal civil ne se place donc pas au point
de vue de la decrétale de Boniface VIII; il ne
prétend pas juger un clerc qui, étant marié et
sans habit ni tonsure, aurait perdu par là le
privilège clérical; il soutient qu'il juge un laïque.
Une lettre de Philippe le Bel, adressée en 1292
au sénéchal de Toulouse, est conçue dans le
même esprit : le roi interdit au sénéchal d'em-
pêcher l'évêque de punir les cUics el écoliers
prévenus de crimes, lors même qu'ils auraient
quille leurs habits (René Gadave, Documents sur
l'histoire de l'Université de Toulouse, dans Bi-
bliothèque wéridionide , 2' série, t. XIII, Tou-
louse, 1910, p. 79, n° 27). A l'inverse, en
i328, le roi de I'"rance n'admet en Gévaudan
la compétence de l'évêque qu'au regard des
clercs mariés avec une vierge, et mariés ime
seule lois, qui ont gardé la tonsure et l'habit
clérical (Arcb. de la Lozère, G 926, lettre
de PiiilippeVI, du 19 mai i?>iH). C'est très net-
tement le système de Boniface VIII. Toutefois
la decrétale Clerici n'est point invoquée : il est
dit simplement que les droits et coutumes
existant avant le pariage de i3o7 doivent être
maintenus; or il n'est douteux pour personne
que tel était , en effet, le droit avant le pariage
et au moment de la conclusion du pariage.
En résumé , si on entrevoit que les critiques
adressées par Guillaume Durant à la decrétale
Clerici ont peut-être exercé pendant un temps,
par l'intermédiaire des Clémentines, quelque
influence pratique, il faut ajouter que cette
influence a été nulle dans le diocèse même de
Guillaume, le pariage de i3o7 immobilisant
les droits réciproques de l'évêque et de la jus-
tice royale.
''' Decisiones capelle Tholose (Lugduni,
1 53 1 ) , qaaestio ccxxvii , fol. lxxx v°.
16.
124 GlIILLAliME DURANT LE JEUNE,
pas'"', dette lumière du Gévaudan, parfois très vive assurément, est trop
vacillante pour justifier pleinement le jugement porté par l'évêque de
Meaux. Le dogmatisme scolastique de Pierre d'Ailli et de Gerson n'a
rien de commun avec la véhémence impulsive de notre auteur, chez
lequel les théoriciens de combat du xv*" siècle ont pu trouver des ob-
servations très utiles et un énergique stimulant plutôt qu'une direction
toujours claire et nettement tracée.
Pierre d'Ailli a lu, croyons-nous, Guillaume Durant, bien qu'à
notre connaissance il ne le cite nulle part. Toutefois cette parenté
entre les deux auteurs, sommairement signalée dès le xvi" siècle'-', ne
saurait être reconnue et alïlrmée qu'avec beaucoup de ])récaution.
Envisage-t-on la situation réciproque du pape et du concile général,
on constatera facilement que Pierre d'Ailli résun^e ce problème en
quelques lignes prudentes, qui paraissent harmoniser plusieurs pas-
sages, quelque peu incohérents, de Guillaume Durant''''. Dans toutes
les allaires (lilbciles qui intéressent l'Eglise luiiverselle, le pape, écrit
en substance Pierre d'Ailli, doit consultei' le concile général; telle
est la bonne coutume qui s'était établie'*'. Se préoccupe-t-on de la
tenue des conciles provinciaux et du rôle qu'ils devraient jouer dans
l'Eirlise, des droits des électeurs et des collateurs de bénéfices ecclé-
siastiques, si souvent violés.? Songe-t-on à l'abus criant de la pluralité
des bénéfices? On constatera que Guillaume Durant et Pierre d'Ailli
se rencontrent dans la même réprobation''*'. Mais s'autoriser de ces
seuls rapprochements pour établir le fait d'un contact immédiat entre
Guillaume et le cardinal de Cambrai serait excessif, car ces questions
préoccupaient tous les esprits au lenq^s de l'illustre cardinal. Pour
''' De/èn.çe (/(■/« ûec/ara/io/i. Dissertation pré- aux règles posées par les conciles généraux,
liminaire, S i. (Amsterdam, ly/iS), t. I , p. G3. et part. I, lit. 3 (p. i G), où il admet ce droit,
''' « liane rrformationem etiam in capile et pourvu que le pape prenne le conseil des car-
" nienijjris ecclesiœ late disculit D. Petrus de dinaux.
« .\liaco, cardinalis Camcracensis, per sex con- '•' De rcformationc Ecclisiœ , c. i , dans lédi-
• siderationcs, in suo tractalu De reformatione tion des Œuvres de Jean Gerson el Pierre
'Ecclesiœ, qua; ab hoc Iractalu exiraclae vi- d'Ailli (Anvers, i 706), t. 11, col. ()o5-t)o6.
«dentur» ( Note de Probus, reproduite par Ant, ''' Guill. Durant, part. 11, tit. 11, 3i;
Faure, dans son édition du l)c modo gencruUs part. 111, tit. 37; Pierre d'Ailli, De rcforin. ,
concilii ceMirandi . Paris, 1671, p. adA). c. 1 , col. god-goS. — Guill. Durant, part. II,
''' Rapprochez part. I, tit. T) (Paris, 1671, tit. 7; part. 111, lit. 27; Pierre d'Ailli, De
p. 34, d'i, /!•")) et part. II, tit. /|, 4i (p. fia, reform. , c. 11, col. go8. — Guill. Durant,
i5i), ou Guillaume parait supprimer d'une part. H, tit. 21; Pierre d'Ailli, De lejorm.,
façon absolue le droit du pape de contrevenir c. 11, col. 907.
ÉVÈOUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 125
les résoudre à la manière de Guillaume, il n'était nul besoin de
l'avoir lu.
Cette objection , on se l'opposera peut-être prudemment à soi-même,
si on compare Guillaume Durant et Pierre d'Ailli en leurs vues et
parfois même en leurs expressions touchant la réforme de l'Eglise,
lani in capite (fuam m memhris^^^ (formule devenuf^ courante), touchant
l'abus des exemptions''^', touchant le faste scandaleux de la cour de
Rome et de beaucoup d'ecclésiastiques'"'', touchant la prétention des
dignitaires romains de prendre rang avant tous autres prélats'''', touchant
la nécessité de modérer et de régler les subventions envoyées à Rome'^',
d'arrêter l'abus des cjuétes incessantes'***, touchant la nécessi[é de tenir
très grand compte pour le choix des évêques de la moralité et de
l'instruction de celui qui doit être promu à cette dignité'^', touchant
l'importance capitale de l'exemple donné par les ecclésiastiques'*^',
touchant le devoir de la résidence si souvent méconnu par les prélats''^'.
Mais on ap])rochera d'une conclusion ferme en signalant chez l'un et
l'autre auteur les mêmes doléances au sujet de l'absence trop fréquente
des clercs pendant les offices''"', en relevant chez Pierre d'Ailli un
vœu contre la trop grande variété des peintures et des sculptures'"',
vœu qui rappelle une observation fort curieuse de Guillaume, signalée
plushaut''^'; nous touchons ici, en effet, à la série des impressions per-
sonnelles. On arrivera enfin à une conclusion, si on ajoute les obser-
vations suivantes : Guillaume Durant avait demandé qu'on abrégeât
les offices chez certains réguliers et séculiers''^'; Pierre d'Ailly exprime
le même vœu au regard de quelques Ordres religieux'"''. Guillaume
C' Guill. Durant, part. 1, tit. i ; part, il, <'' Guill. Durant, part. II, tit 18; part, llf,
lit. 18; Pierre d'Ailli, De Ecclesiœ . concilii lit. ào, col. 911; Pierre d'Ailli, De refoiiii.,
ijcneTulu , Romani pontificis et cardinaliam auc- c. m, v, col. 90g, 91 3.
loritate, prima pars, cap. iv, nona conclusio, '*' Guill. Durant, part. 1, tit. j; part. !II,
ibid. , col. 9.^9. tit. 1; Pierre d'Ailli, De refoiiiiatione , c. vi ,
'*' GuiU.". Durant, part. II, tit. 53 ; part. 111 , col. 916.
tit. 23; Pierre d'Ailli, De reform. , c. 11, <"' Guill. Durant, part. II, tit. 16; Pierre
col. 908. d'Ailli, De reform., c. m, col. 910.
<'' Guill. Durant, part. III, tit. 36, 63; "») Guill. r)urant, part. III, tit. 5i; Pierre'
Pierre d'Ailli, De re/ôrm., c. II, V, col. 907, 913. d'Ailli, De reform., c. m, col. 910.
<*' Guill. Durant, part. Il, tit. 7; Pierre '"' Pierre d'Ailli, ite reformatione , c. m,
d'Ailli, De reform., c. 11, col. 908. col. 911.
'*' Guill. Durant, part. III, tit. 37; Pierre ''*' Ci-dessus, p. 96.
d'Ailli, De reform., c. 11, col. 907. '"' Guill. Durant, part. III, tit. 54.
'*' Guill. Durant, part. III, tit. i5; Pierre '"' Pierre d'Ailli, De reformatione, c. iv,
d'Ailli, c. IV, col. 911. col. 91a.
126 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
avait demandé la suppression absolue du casuel''' et la rédaction d'un
guide ou sommaire à l'usage des curés'''; Pierre d'Ailli sur ces
deux points'^' se rencontre avec Guillaume. Enfin Guillaume Durant,
traitant des conciles provinciaux, avait visé plusieurs conciles relatifs
à celte matière'*'; Pierre d'Ailli, abordant à son tour le même sujet,
ne se réfère pas à un seul concile qui n'ait été allégué par Guillaume.
Ce dernier avait cité le texte même d'un seul de ces conciles, un concile
de Tolède; c'est également le seul texte que cite Pierre d'Ailli'"'.
Il nous paraît, par suite, légitime et même nécessaire de conclure
que Pierre d'Ailli a lu et utilisé Guillaume Durant.
Qu'on ne se méprenne pas, d'ailleurs, sur notre pensée. Nous n'en-
tendons point que Guillaume Durant soit l'inspirateur par excellenc»
et le guide de Pierre d'Ailli. Tant s'en faut ! Mais nous signalons
quelques traits qui permettent d'afiiriner que le cardinal de Cambrai
a connu le traité de notre prélat. H est bien loin d'être son disciple
fidèle; il nous sutlira, pour le faire bien sentir, d'opposer la doctrine
de Guillaume Durant touchant la suprématie absolue, le t/o/ni/^Hm de
l'Église sur le temporel'"', <à celle de Pierre d'Ailli'^', d'opposer l'aver-
sion tenace de Guillaume Durant pour le titre d'universalis papa , ou
toute qualification analogue donnée au souverain pontife ou prise par
lui'^', à renseignement de Pierre d'Ailli qui se résume ainsi : « In Petro
«et suis successoribus duo episcopatus concurrunt, videlicet univer-
« salis Ecclesia; et ])articularis Ecclesi;c Romame'^'. »
Si nous rapprochons du traité de (iuillaume Durant certaines dé-
cisions du concile de Constance et les projets de réforme de la Nation
française au concile de Sienne en 1^23, nous constatons sans peine
de nombreuses similitudes, sans prétendre d'ailleurs apercevoir tou-
jours l'influence directe de (iuillaume. La réforme de l'Eglise m capite
et in memhris est solennellement annoncée par le concile de Con-
stance'"'' et la périodicité décennale des conciles décrétée par celte
'■' Guill. Durant, part. li, lit. 60. secunda pars, ibid. , col. 9^4. Cf. Salembier,
<'' Guill. Durant, part. III, lit. 4, 4i et àb. Petriis de Alliaco (Lille, 1886), p. aSo-a.Si.
''' Pierre d'Ailli, lie reformatione , c. m, '*• Guill. Durant, part. II, tit. 7, 34 et
col. t)io ; c. V, col. gi4. passim.
'*' (luill. Durant, part. Il, tit. 1 1. ''' Pierre d'Ailli, De Ecdesiœ... auctorilale,
''' Pierre d'Ailli, De relorm..c. l, col. 904. prima pars, ibid., col. 9Q9.
<•' Guill. Durant, part.III, lit. 26. ''"' Session IV et V(Labbe et Cossart, 5arro.!.
''> Pierre d'Ailli, De Ecdesiœ . .. anctoritate , roiic. , t. XII, col. 19 et 2a).
EVEQLE DE MENDE. — SES ECRITS. 127
assemblée (canon I're(juens)^^K Parmi les projets de réforme de 1^2 3
figurent l'abolition des perce])tions fiscales connues sous le nom de
ravantia, et de communia et minuta servitia, fabolition de tout ce qui, en
cour de Rome, sent la simonie, la suppression des grâces expectatives
et des commendes, l'attribution aux cardinaux d'un rôle sérieux et
eileclil dans certaines affaires intéressant les pouvoirs temporels du
souverain pontife, la restitution de l'exercice de leurs pouvoirs judi-
ciaires aux juges ecclésiastiques dans toute la chrétienté, l'amélio-
ration des procédures judiciaires en cour de Rome'-*. Une bulle de
Martin V, du 16 moi i4-i5, beaucoup moins radicale, mérite encore
dêtre mentionnée; elle a pour objet de restreindre le luxe de la
cour de Rome, de supprimer les taxes indûment perçues en chancel-
lerie, de restaurer la discipline de f Eglise touchant la résidence des
évêques; elle ordonne encore la tenue des conciles provinciaux tous
les trois ans; elle prétend corriger les mauvaises mœurs et la mau-
vaise tenue des ecclésiastiques. Excellentes mesures qui n'eurent que
le tort de n'être point appliquées, comme l'a fait très justement
observer fun des nôtres'^*.
Les décrets du concile de Dàle nous fourniraient aussi d'intéressants
rapprochements. Ce concile a légiféré, comme on sait, sur toutes les
grandes questions qui déjà préoccupaient de bons esprits au commen-
cement du xiv"" siècle et qui, au xv% agitaient toute la chrétienté : ré-
tablissement des conciles provinciaux, des juridictions ecclésiastiques
ordinaires et des élections, restauration des droits des collateurs,
abolition mitigée des réserves pontificales, abolition des annates et des
grâces expectatives. Certains détails d'un intérêt secondaire, qu'avait
abordés Guillaume Durant, reparaissent dans les canons de Baie :
dignité de l'office divin, présence des ecclésiastiques au clueur,
proscription des chants profanes'*', etc.
Postérieurement au concile de Bàle, plusieurs papes s'occupèrent,
mais mollement, des réformes. Le projet de réforme, devenu projet
''' Session XXXIX. Ce canon fut lu solennel- <*' Concile de Bàle, session VJll, ran. 2;
lement dans la première session du concile de session X, can. a ; session XII, can. Quemad-
Bàle (Labbe et Cossart, t. Xll, col. ^38 et modum; session XV; session X.\l, can. i, 3,
/(Ga). Cr. Guill. Durant, part. 111, tit. jy. i, 6, 8; session XXIII, can. 5 et 6 ; ses-
'^' Monumenta concilioram geiieraliam seeculi sion XXXI, can. a; session XXXVIlI,can. 2
decimi quinli. Concilium Basiliense, t. 1 ( VVien, (Labbe et Cossart, t. Xll, col. 499 , 5oo, 5oa,
1857), p. 32-35. 5i3, 5a5, 526, 55a, 553,554 5(J6, 601,
''' N.Valoii, Le pape et le concile, l. l, p. 81. 60a , 606, 633, 634).
128 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
(le bulle, que Nicolas de Cues rédigea, très probablement à la
demande de Pie H, mérite d'attirer notie attention, car ce cardinal
avait lu et même annoté le Traclatus de modo celebrandi co»cj7h'''. Nous
nous garderons d'énumérer tous les textes qui autoriseraient une
comparaison entre ses projets de réforme et le traité de Guillaume
Durant. Si Nicolas de (lues étudie et lit , il reste maître de l'activité
de son intelligence et du mouvement de ses idées : c'est lui qui
pense, qui raisonne et qui conclut. Aussi ])ien, nous le répétons, les
observations et les critiques de Guillaume sont devenues courantes
au xV siècle. Les nombreux rapprochements qui< pour ainsi dire,
s'offrent d'eux-mêmes ne sauraient donc établir toujours avec certi-
tude une relation directe entre les deux auteurs. Mais que de proba-
bilités pour que cette relation existe en effet !
La grande pensée de réforme de Nicolas de Cues est celle même de
Guillaume, celle aussi, d'ailleurs, de tous les bons chrétiens du temps,
à savoir la réforme de la cour de Rome et de l'Eglise ; il y insiste lon-
guement. Son plan se peut résumer ainsi qu'il suit : trois visiteurs,
après avoir travaillé à épurer la curie, seront envoyés par le souverain
pontife dans tous les royaumes; ces hommes, graves et mûrs, fidèles
imitateurs du Christ, faisant passer la vérité avant tout, unissant le
zèle pour Dieu à la science et à la prudence, ne recherchant ni les
honneurs ni la richesse, entameront et poursuivront à travers le
monde chrétien une guerre inlassable à tous les abus'"'. Quiconque,
après avoir lu Guillaume Durant, prendra connaissance de la bulh;
projetée par le cardinal et lira ce qu'elle prescrit au sujet de ces visi-
teurs, songera tout de suite aux exécuteurs et visiteurs délégués de
Rome, que Guillaume, lui aussi, envoyait tous les trois ans à travers
les diocèses, afin de réunir les conciles provinciaux et de rétablir
l'ordre et la disci|)line'^'.
'"' On peut lire les f,'loses t'rriles par lui- .«finc;Zfi((Ralisbonne,i847), t. Il ,|i. 234-23:').
nu'iiie en marge d'un manuscrit, légué avec ''' Cf. Nicolas de Cues, Epistola ad Rode-
sa hihilotliéque à riiopital Saint-INicolas, fondé ricuni de Treviiui, dans Opéra (Bàle [iSfi."!]),
par lui à Cues. Ce manuscrit porte aujourd'liui p. SaS-Sai) ; Diix, op. cit. , t. II, App. II, p. /»5i-
le 11' i()8 dans la bibliothèque de cet hôpital; 466; l'astor, Ilist. des papes , Irad. Furcv Hay-
il ligure sous la cote K. 48 dans lin\entaire des naud , t. III, p. aôS-aSg; Peter Khsel, Der
mss. (le Cues, publié en i865 par Kr.-X. Kraus Refonncnlwuij de.': Kaidinals Nikolaiis Ca.'aiiii.f,
dans le Serapeam, l. XXVI, y. [)4. Cf. Dùx, Deut- dans Hial. Jahrbiich, t. XXXII, p. 274-297.
sche Cardinal Xicnlaus von Casa und die Kirclie ''' l'art. III, tit. 17.
KVKQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 1:29
r.uillaume Durant nous conduit, en passant par Nicolas de Cues,
jusqu'au pape Pie II. En effet, un projet de bulle émané de Pie II
lui-niènie, qui resta tonte sa vie très dévoué à la réforme, est appa-
renté au curieux essai de Nicolas de Cues. Cette bulle, qui n'eut
jamais un caractère définitif et ne fut point expédiée (la mort du
pontife suspendit cette opération de chancellerie), trahit, sans contes- ■
tation possible, certains emprunts aux vues du cardinal Nicolas'^'.
Nous ne pousserons pas plus loin ces comparaisons avec les docu-
ments du w" siècle; mais nous compléterons ce qui vient d'être dit
par une observation générale. Un sentiment de prudence doit guider
tout historien placé en face (h- ce problème délicat : quelle a été l'in-
lluence du De modo celebrandi concihi sur telle ou telle œuvre publique
ou privée du xV^ siècle? Toutefois ce sentiment risquerait de s'exagérer
et par suite, de pousser trop facilement au sacrifice de telle ou telle
conjecture intéressante, si le critique oubliait que, déjà au xr siècle,
l'auteur du De modo rclehrandi concilii a été continuellement confondu
avec Guillaume Durant l'ancien, c'est-à-dire avec l'un des maîtres
du droit canonique, avec le fameux Spcculator, qui jouissait d'une si
crrande autorité. A qui était attribué le De modo celebrandi concdii
dans le manuscrit lu et annoté par Nicolas de Cues.^ Précisément au
Speculator. Tous les manuscrits du \v^ siècle conservés dans nos bi-
bliothèques et portant un nom d'auteur sont dans le même cas. Aussi
bien la seule existence de ces copies du xv^ siècle et la nature des
écrits qui, dans certaines d'entre elles''', sont réunis au De modo cele-
hrandi concilii, prouvent l'importance qu'on attachait, lors de ces
orandes luttes religieuses, à ce traité fameux.
V. MÉMOIRE SLR LES PREPARATIFS DE LA CrOISADE.
Le manuscrit latin 7/170 de la Bibliothèque nationale, où un
compilateur soigneux a réuni, vers 1 33o, des écrits divers, quil esti-
mait utiles au projet de croisade caressé en Occident dans le premier
tiers du xiv^ siècle, contient, du folio 117 au folio 128, un
mémoire intitulé : Injormacio brevis super hiis (jne viderentur ex nunc
(■) Ehsel. article cité. p. ^79, note 3; .80, note , ; 396, note 3. - '\Nou, signalons à ce
point de vue le ms. 786 de la Bibliothèque de Troyes et le ms. .687 de la Mazanne.
IIIST. 1.ITTEB. XXXV. '
i;^0 (;UILLAUME DURANT LE JELNK,
fore providenda (laantum ad passagium, divina favente (jrana, faiien-
Jum'*'. Dans la préface mise en tête du manuscrit, le compilateur
parle ainsi de ce mémoire : In hoc presenti vohimine ponuntiir decem
libri. . . Septimus traitât de passacjio, et hahet quatuor traclatus. Prunus
est episcopi Mimatensis, in quo ponnnltir viçjmti sex capitula dr prepa-
ratoriis circa passagium Jaciendum^'^K
Le manuscrit i65^ de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, qui re-
monte aussi au xix" siècle, contient, du folio 189 au folio 1^3.
un texte français du même mémoire, sans attribution, (pii débute
ainsi : Ci commence une information brie: sus les choses qui samhlent dès
ore estre à pourveoir quant au passage à faire par la grâce de Dieu '' .
Une comparaison attentive des deux textes permet facilement de
constater que le français est traduit du latin et renferme çà et là
quelques contresens''*'. Il n'y a donc à tenir compte que du texte
latin, lequel est sûrement sorti de la plume de l'auteur <lu mé-
moire'^'.
L'attribution à Guillaume Durant est parfaitement justiliée, car
nous retrouvons dans cet écrit quelques observations étrangères à l'idée
de croisade et émises d'autre part dans le Tractatus de modo cclehrandi
concilii. Ces observations, qui nous apparaissent comme autant de
marques d'auteur, concernent la passion exagérée de la chasse chez
les princes*'*', les dots excessives allouées à leurs fdles par les genlils-
hommes*'^ l'altération incessante des monnaies, si dommageable au
peuple*^', le luxe et les dépenses superflues^'. Enfin nous avons vu
l'auteur du Tractatus de modo celehrandi concilii , qui connaît assez bien
certains documents visigothiques, substituer audacieusement le roi
'■' Titre abrégé, dans le catalogue Imprimé latin dit : non sempei ujijdUanl ahi tst opii-
de l'ancien Tonds, t. IV, p. 363 (Paris, 1744, wmh (foi. 1 18'').
in fol.), en : Informalio hievh de passagio fn- '^ La comparaison des deux textes serait ulile
laro. pour établir une édiiion critique du mémoire,
''' Ms. cité, fol. I r° et v°. car le texte lalin n"a pas toujours été correcle-
''' Cf. Ch. Rohler, Cataloyae des manuscrit.^ menl transcrit par le scribe du nis. lat. 7470.
de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, t. I ( Paris, Ainsi, au folio 1 l8N i)erditi est une faute pour
1893), p. 117. parati, que la traduction française, où on lit :
'*' Deux exemples suffiront à établir ce que appaieillie (fol. iSq'') , permet de corriger,
nous avançons. Le texte français porte : ef de- " \t{. 9. Cf. Guillaume Durant, De mode
deiu (fol. 139'), quand le texte latin donne, celehrandi concilii, part. II, tit. 5i.
correctement : intérim (fol. 118''). Le texte ''' Art. a3. Cf. liiW., tit. a4.
français porte : loasjoars n arrivent pas à armes '* Art. a4. Cf. ilnd., id.
là où mestier est (fol i4o'), quand le t"xte '' Art. au. Cf. ibid., tit. 63.
KVÉQllE DE \IENDE. — SES ECRITS. 131
saint Louis au roi Chintila*'^; or l'auteur du mémoire, employant un
procédé analogue, substitue à une loi de Chindasvinde une prétendue
loi nmiaine qui n'a jamais existé. Nous faisons allusion à l'article 2 5
du mémoire, qui est ainsi conçu :
Item, cum multi nobiles depauperentur propter filias suas maritandas, quia
opoitet fis dare dotem ultra et supra vires facuitatum eorumdem, videretur utile
super hoc remedium adhibere, sicut duduni factuni exslitit Rome, ubi statutum
luit (juod nuliius dos ultra mille aureos transcendere possot'^'.
Aucune loi romaine ne fixe le montant maximum des dots; mais
une loi de Chindasvinde établit un maximum de mille sous d'or''^';
c'est évidemment à cette loi visigothique que songe notre auteur. Le
droit romain a une autorité et un crédit qui manquent au droit
visigothique : Guillaume invoque donc sans scrupule ce qui, d'après
lui, fut fait à Rome.
Nous savons que Clément V, lors du concile de Vienne, invitait les
jirélats à donner leur avis sur la question des Templiers, sur la ré-
forme générale de l'Eglise, sur le projet de croisade qui lui tenait
fort à cœur. Guillaume Durant, dans le De modo celebrandi concilii , s'oc-
cupe uniquement de la réforme générale et laisse entièrement de côté
les deux autres questions. Il paraît naturel que, dans un mémoire
s])écial, il ait abordé, vers le même temps, le projet de croisade.
La formule finale vi.se directement le roi de France. Quel est ce
roi de France, auquel s'adresse l'auteur? C'est, croyons-nous, Philippe
le Bel. Delaville Le Rotilx penche pour une date un peu plus récente :
il estime que cette consultation a pu être adressée à Charles le Bel'**.
Quant à nous, nous ne pouvons oublier que Guillaume assista à Paris,
en janvier i 3 i 3, à l'assemblée de prélats et de barons , où l'on s'occupa
de la croisade^*'. Nous constatons, en outre, que le mémoire a dû
être écrit peu de temps après le De modo celebrandi concilii; par suite,
nous sommes conduits à penser qu'il a été rédigé à l'occasion de
l'assemblée de i3i3.
'"' Cf. ci-dessus, p. 99. '*' La France en Orient aa xir' siècle, p. 79-
'*' Bibl. nat., lat. 7470, fol. 1 2a v°. 81; cf. une œuvre posthume du même auteur.
''' Lejc Visigothorum Hecessvindiana ,]U , i,5. Les Hospitaliers à Rhodes (Paris, igiS), p. 8i-
dans Zeumer, Leges Visigothorum antiquiores ''' Roucaute et Sache, p. i/n , n° lïxv.
(1894), p. 90. Cf. ci-dessus, p. 3i
132 GUILLAUME DURANT LE JEUNE.
Le mémoire se compose de vingt-six propositions ou avis, que
nous résumerons brièvement.
H convient qu'avant tout le pape et le roi de France travaillent en
commun à la suppression de toute guerre entre princes chrétiens et à
l'établissement de la concorde et de la paix. Plusieurs autres mesures
préalables sont indiquées : faire partir les premiers pour la Terre
sainte les princes qu'on croit cajjables de troubler la paiv de la
chrétienté pendant la croisade; interdire tout commerce avec les
Sarrasins; avant d'entreprendre le «gênerai passage», organiser sur
mer une vaste course, afin d'alfaiblir la ]Hiissance des mécréants;
armer un nombre considérable de navires destinés au passage gratuit,
non seulement de tous les gens de guerre s'engageant à rester pen-
dant un an outre mer, mais aussi des cardinaux, des archevêques,
des évêques, des abbés, des prieurs et de toutes au Ires personnes
d'Eglise, des religieux, exempts et non exempts :« licet multe ex
M dictis personis non essent ad arma apte, nichilominus tamen vite
« exemplo, predicalionis el exhortationis verbo, orationis et devotionis
«studio, consilio et ex coniitiva, quam multi secum ducerent, valde
•( proficere possent, et multi sequerentur eosdeni ''' ».
On se souvient que l'évêque de Mende attache une valeur capitale
à l'exemple que donnent les gens d'Église, exemple si souvent détes-
table. Espère-t-il ([ue les ecclésiastiques croisés seront parmi les meil-
leurs.^ Estime-t-il, en outre, que se croiser soi-même, lorsque la
croisade est annoncée, c'est donner l'exemple le plus louable,
l'exemple par excellence? Peut-être. Nous remarquons toutefois que
notre auteur insiste longuement sur les garanties et faveurs diverses
dont devront jouir, suivant lui, les membres du clergé qui s'engageront
à prendre j)art à l'expédition. Nous reviendrons, en finissant notre
analvse, sur cet as])ect de la question, qui ji^tte peut-être un jour assez
inattendu sur une bonne partie du morceau.
Tout chef de bande devra faire connaître le notnbre d'hommes
d'armes à cheval et à pied qui le suivent et s'engager à les nourrir
pendant un an. On devra s'entendre avec les Génois, les Pisans, les
Vénitiens et toutes autres puissances maritimes sur l'assistance
qu'elles pourront donner. On devra aussi faire ample approvisionne-
''' Cl'. Ilisloire litléraiic, t. .WXIV, p. i<jÇ).
EVÉQUE DE MENDE. — SES ÉCRITS. 133
inenl de tous engins nécessaires. Suivent des conseils assez confus sur
l'utilité de la tactique et les exercices militaires. Il vaudrait mieux
lire Végèce et autres auteurs c[ue perdre son temps à chasser. La
France manque d'armes et de chevaux. Elle a dix fois moins de
chevaux que lors de la dernière croisade; il conviendrait d'enjoindre
dès à présent à tous de se munir d'armes et de chevaux.
Après ces avis, qui seraient bien placés sous la plume d'un conseiller
militaire, l'évêque, dont nous connaissons la mobilité d'esprit, passe
à des considérations d'un autre ordre. Il est nécessaire, écrit-il, de
réformer la justice : les procès s'éternisent au grand dommage des
sujets, et «ex hoc dominus Rex perdit corda prelatorum, baronum
«et aliorum, qui niultipliciler dicunt se aggravari*'' ». Il est nécessaire
de réprimer le luxe, qui devient intolérai)le ; les familles nobles
s'épuisent et se ruinent en donnant aux filles des dots excessives.
H faut bien revenir, en finissant, au projet de croisade. Voici la
conclusion. Concurremment à la vaste course préparatoire dont
notre auteur a jiarlé plus haut, mais qu'il a peut-être déjà oubliée, on
enverra outre mer, et particulièrement en Grèce, des religieux et des
séculiers qui évangéliseront les mécréants, ce qui, avec l'aide du
Sain t-Esp lit, pourra produire de grands fruits. Enfin, dès ce moment,
le pape ordonnera par toute la chrétienté oraisons, messes et
prières, et accordera un pardon général à tous ceux qui se prépa-
reront à la croisade; le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel se
doivent unir ])Our entraîner les hommes vers le bien et les éloigner
du mal.
Guillaume Durant termine son mémoire en reproduisant à l'usage
du roi de France les paroles encourageantes du Deutéronome, qui
commencent par : « Si autem custodieritis mandata qua» ego prae-
« cipio vobis » , et vont jusqu'à : « terrorem vestrum et formidinem dabit
« Dominus Deus vester super omnem terram quam calcaturi estis*^' ».
A cette citation il joint le vœu suivant : « Quod régie Majeslati Veslre
«prestare dignetur Jésus Christus, rex regum et dominus domi-
«nantium, a quo regnum vestrum confirmetur in secula seculorum.
« Amen. »
Les longs développements et l'insistance du prélat sur l'élément
''' Mémoire cité, art. ii. — ''* Deutéronome, XI, aa-aS.
]34 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ecclésiastique de la croisade et sur l'évangélisation préalable des mé-
créants nous suggèrent, nous l'avons déjà laissé entendre, certaines
réflexions de nature moins édifiante. I^ors du concile de Vienne, le
clergé avait promis pour la croisade le versement, pendant six ans,
de la décime des revenus de l'Eglise'"; or Guillaume a soin d'établir
que tous ceux qui promettront de se croiser seront exempts de la
décime. La perspective de cette exemption n'expliquerait- elle pas
les exhortations pieuses de notre auteur.^ Plus l'Eglise se croisera,
moins elle paiera. Nous suggérons cette explication, sans, d'ailleurs,
nous y arrêter.
VI. [^F, DlHECTORIUM CHORI.
Un livre liturgique de l'église de Mende, qualifié Directoruim ou
Ordinarium chori , est conservé à la Bibliothèque de \Iende'^\ L âge de
cv manuscrit correspond assez bien à l'épiscopat de notre Guillaume,
et une main moderne lui en a attribué avec vraisemblance la pater-
nité, en traçant au recto de la feuille de garde ce titre: Directoriam de
Gmllanme Durant le neveu.
L'examen du Propre des saints dans le Directoruim est favorable à
cette attribution. La fête de saint Louis, roi de France, qui fut cano-
nisé en 1 297, y est mentionnée au mois d'août'^' ; la rédaction défini-
tive de ce Propre est donc postérieure à 1297; or Guillaume était
évêque depuis le mois de décembre 1296. La fête de saint Thomas
d'Aquin, qui fut canonisé par Jean XXII en i323, n'apparaît pas;
d'où il suit que la rédaction du document se place sous le pontificat
de Guillaume avant i323. Nous savons, d'autre part, que ce prélat
s'intéressait vivement au bon ordre des cérémonies'*'; if parait donc
légitime d'accepter l'attribution proposée.
Un érudit, auquel nous devons une bonne notice sur le Directorium,
a fait avant nous les observations qui précèdent ; mais il rappelle
que le Specnlatnr a écrit lui-même le Rationaîe divinorum officiorum et
''' Cf. Histoire littéraire, t. XXXFV, p. 499- perdu, était conservé aux archives de l'évéché.
"' Bihl. de Mende, ms. a (mutile au com- ''' • Ludovic! Francoruin[ régis]» (fol. 8o v*;
mencement ; le folio ^g est aux trois quarts cf. fol. 71 r" et v°).
déchiré); un autre manuscrit, aujourd'hui '*' Cf. ci-dessus, p. itb.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SES ÉCKITS. 135
un Pontifical '•', et il est tenté en conséquence d'attribuer à ce prélat
le Directorium en question , qui correspond à des préoccupations du
même ordre '^'. Nous devrions ajouter, si nous adoptions cette opi-
nion, que le Propre des saints fut retouché sous le pontificat de Gud-
laume Durant le Jeune et qu'on y introduisit à cette épocjue la fête
de saint Louis, roi de France, canonisé après la mort de Guillaume
Durant fAncien. Mais nous ne voyons pas de raison suffisante pour
nous ranger à cette opinion '^'.
Vil. CoRKESPONOANCK.
Cinq lettres rédigées, croyons-nous, par Guillaume lui-même'"'
nous sont parvenues. Nous avons déjà utilisé et longuement cité une
de ces lettres, la plus curieuse peut-être, qui concerne la parerie de
la Garde-Guérin'^'. Nous nous occuperons ici de quatre autres lettres,
conservées elles aussi aux Archives de la Lozère.
Le 9 septembre iSog, févêque adresse, de Moret, au diocèse de
Sens, une lettre d'alïaires à Gaston (fArmagnac, vicomte de Fezen-
saguet, baron de Roquefeuil, et à \alhourg, sa femme, lllle de feu
Henri, comte de Rodez. 11 les salue en ces termes : Salutem cniictis
Jelicitatibus opulentam, et entre en matière. Il a obtenu de Gaston,
agissant en son nom personnel et au nom de sa femme, recon-
naissance, foi et hommage pour toutes leurs terres du Gévaudan,
tenues en fief de l'évêque et de l'église de Mende, à raison du comté
de Rodez et de la baronnie de Roquefeuil ; cet hommage lui a été
rendu à Paris'»*'. Guillaume a fait approuver et ratifier cet acte im-
''1 Voir sur ce Pontilical M«' Batiffol, dans (Arch.de Je Lozère, G 63a, (ol. i y°); d'après
le Balletin d'ancienne UttéTalure et tt archéologie l'Inventaire, série G, l. I, p. loi, il existe un
chrelienne, i' année, n° 4 . 1 5 cet. 1912. règlement relatif à l'office divin dans la cathé-
(•' AbbéRemize, Le , Directorium chori . de drale, daté de 1299 et coté G i55 ; nous
GttiUuame Durand, dans Bulletin de ta Société n'avons pu retrouver ce document.
d'agriculture de la Lozère (1908), p. 353. '^79. <** Nous laissons de côté ici les lettres d'un
''' Il peut être utile de noter, comme se rat- caractère politique, citées plus haut, p. 64 el
tachant vraisemblablement à la rédaction du suiv., sur la mission de Guillaume en Italie.
Directorium. les deux faits suivants : le pro- ''' Voir ci-dessus, p. 5o et suiv.
cès-verbal à demi effacé d'une réunion du <*' Dans l'église des Augustins, le 18 février
chapitre de Mende, tenue en 1398, s'occupe iSog, d'après le texte original de l'hommage
de la réforme d'abus intérieurs de l'église (Arch. de la Loière,G7i).
l.-^e (]LILI,AUMK DURWT LE JEUNE,
portant par le chapitre de Mende. Il transmet cette ratification à Gaston
d'\rmagnac, auquel il demande en échange la ratification de Val-
bourg. Il enveloppe cette lettre d'envoi des tours de langage les plus
aimables et en même temps les mieux choisis pour garantir les droits
de Téglise de Mende. En finissant, Guillaume se met au service de
Gaston d'Armagnac et de sa femme pour tout ce qui pourrait leur
être agréable : qu'ils s'adressent à lui avec confiance'*'.
Une lettre un peu postérieure, du i .5 septembre i3og, datée éga-
lement de Moret, est adressée au chapitre et au clergé du fliocèse de
Mende. L'évêque vise ici à la haute éloquence et n'aboutit le pins
so\ivent qu'à un obscur pathos. Il demande à son clergé la ])roroga-
tion pour six ans du subside, avec droit aux annates, qui antérieure-
ment lui a été accordé. Il résume, en un style enflammé, les souf-
frances de l'église de Mende, souffrances cjue le traité de pariage,
conclu par ses soins, est venu enfin apaiser. Mais ce traité de paix,
cette compositio, on la combat, on la veut abolir. Ici Guillaume,
emporté par sa passion des citations, ose se comparer au Christ
et s'approprie les paroles du Psalmiste : Fremuernnt etemm (fenles et
medhatœ siiiU inania, et convcnernnt m tiiuim adversns Dominum et adversus
Cliristiini ejus''-^; il emprunte, dans la même lettre, le langage d'Isaïe,
de Jérémie, de saint Grégoire, efforts d'éloquence qui ont pour
objet de persuader le clergé de l'énormité des frais nécessaires
pour défendre le traité de pariage, violemment, savamment attaqué.
L'église de Mende ne peut laisser j)érir le pariage : Non Jims per princi-
puim, sed per finem pnnapiiim comniendatur, a dit Sénèque. La tête
et les membres sont solidaires : de capite memhrorum descendit gloria. Si
l'œil, l'oreille, la main ou le pied vient à dire : «Je ne fais pas partie
du corps», en résulte-t-il que chacun d'eux n'en fasse pas partie?
Que le chapitre de Mende et tout le clergé du Gévaudan s'unissent
donc à leur évêque et lui accordent le subside qu'il demande, car
ses seules ressources sont cruellement insuffisantes'^'. Fie secours
réclamé fut accordé; en effet, six ans plus tard, l'évêque sollicitait, par
une seconde lettre, le renouvellement de ce subside pour six ans
encore.
Celte lettre, datée du manoir d'Argenteuil, 28 septembre i3i5,
-'' Arch. de la l.o^^re, G 71. — ''• Psaumes, II, la. — ''' Arch. de la Lor^re, G 33.
lAKOlK DE MKNDE. — SES ECKITS. 137
est moins amphigourique que la précédente. L'évéque invite son clergé
à prier pour l'élection du souverain pontife, le Saint-Siège étant vacant
par la mort <le Clément V, et aussi à j)rier, à la messe, poui- le roi et
la reine, pour levêque de Mende et pour son troupeau. H l'entretient
ensuite de ses incessants efforts et travaux pour la défense des droits
et des libertés de l'église de Mende. Il insiste sur les énormes dépenses
(in'il a dû faire et déclare que, depuis son élévation à l'épiscopat, il a
prélevé sur sa fortune personnelle plus de 20,000 florins d'or. Pour
conclure, il demande instamment, humblement même, la con-
tiinialion pour six ans du subside et des annates ])récédemment
accordés. 11 observe, en linissani, que les divers droits dus à l'évéque,
d'après les canons, ne lui sont pas régulièrement payés. H invoque
cette fois, en fait d'autorités anciennes, saint Paul, saint Léon, saint
Bonilace, les conciles d'Antioche et de Tolède. Ajoutons cpie le sub-
side caritatif et les annates demandés furent accordés''^.
Dans les deux lettres que nous venons d'analyser, lettres adressées
au chapitre et aux prieurs, recteurs, curés et bénéficiers, la saluta-
tion initiale est ainsi libellée : Salutem cl /ehcttatcm ctcriialiiiin (juu-
(lioruin. Le 7 novembre i32<, l'évéque, écrivant de son manoir d'Ar-
gentenil et s'adressant cette fois au seul chapitre, emploie une autre
formide : Salutem et sincère (hleclKinis ajfeclum.
Cette dernière missive est de nature fort délicate. La charge de
préchantre est vacante en l'église de Mende, et le chapitre a décidé
de procéder à l'élection du successeur le 19 décembre et jours sui-
vants. L'évéque prend, à cette occasion, les plus grandes précautions
])Our éviter querelles et dissentiments, tout en sauvegardant ses droits.
Le chapitre, écrit-il, n'a eu que de bonnes intentions en prenant cette
décision, il n'a nullement songé à attenter aux droits de l'évéque, il
a voulu simplement obvier aux inconvénients d'une vacance pro-
longée. Guillaume Durant envoie donc sa ratification, mais pour
cette fois seulement et sans préjudice pour l'avenir, car pareille nomi-
nation ne compète pas aux seuls chanoines : le droit de nommer le
préchantre appartient en commun à l'évéque et aux chanoines.
Guillaume prend la précaution de convoquer lui-même le chapitre
pour la date du ) 9 décembre. Il veut qu'il soit procédé à l'élection
''' Arch. de Ja Lozère, G GSg.
HIST. LITTÉH. XXXV. l8
138 GUILLAUME DLIUNT LE JKLNE.
comme si la date en avait été fixée, suivant l'usage, par l'accord de
l'évêque et du chapitre, sans que par suite du présent arrangement
H aucun droit nouveau vous soit acquis, écrit-il aux chanoines, à vous
ou à vos successeurs, et sans qu'il soit dérogé en quoi que ce soit à
nos droits et à ceux de nos successeurs ».
A ces cautèles le chapitre répondit par des cautèles correspon-
dantes : par-devant notaire et témoins, les chanoines, chacun person-
nellement et tous en corj)s, dirent et protestèrent ne consentir, ni
tacitement, ni expressément, soit à renseni])le, soit au détail de la
missive épiscopale. Ils refusent, déclarent-ils, leur assentiment, pour
le cas où il se trouverait dans cette lettre quoi que ce soit cjui fût ou
qui pût ])araître préjudiciahle, présentement ou dans l'avenir, aux
droits, usages, coutumes et statuts du chapitre'"'.
Ces réserves réciproques n'impli([uent pas, nécessairement, un
véritable dissentiment. Ce sont surtout précautions de gens très |)ru-
dentsqui, en présence d'un fait nouveau, ne veulent rien engager,
rien compronictlie, et entendent demeurer dans le slalii (fiii).
VllI. — Écrits attribués par erreur à Guillaume Durwi.
1. Le LiheUus de rébus in coiicilio defimendis a parfois été attribué a
(luillaunie Durant le Jeune. Il aurait été rédigé par lui en réponse
à une demande adressée par le pape aux mem])res du concile de
Vienne lors de la première session de cette assend^lée. Comme l'ont
fait remaixpier nos devanciers, cette attribution a été contestée dès
le début du XMii" siècle; de nos jours, il a été éta])li péremptoirement
que le mémoire en question doit être attribué à un autre membre du
concile de Vienne, (luillaunie Le Maire, évèque d'Angers'-'. Nous
n'éprouvons aucune hésitation à rayer cet ouvrage de la liste des
écrits de Guillaume Durant'*'.
2. On a aussi attribué cà (Tiiillaume un office ancien de saint
''' Arch. de la I.o/i'ii", G GSg. Kliile, lus dfii Aiten itcs \ icnitoi Coiuils , dans
''' Histoire liltrniire, \. XW! , p. 87 et suiv. , Archii fur Litteralur- und Kirclienrfeschicltte ,
p. 210 et suiv. 1888, t. IV, p. 437. et la a' édition de l'His
''' Les critiques inocU-rnes n'éprouvent pas loire des conciles de Helele (liadiulion fran-
sur ce point plus d'Iiésitalion que nous; cl. (aise), I. VI, p. 6\-, noie (i.
BERNARD GlI, FRÈRE PRÉCHEliR. 139
Privât'''. Nous constaterons simplement que l'office de saint Privât,
qui ne parait pas avoir été composé au temps de Guillaume Durant,
figure dans son Directorinm^'^K
3. On conserve dans la bibliothèque de Dresde un manuscrit qui
contient un calendrier précédé de cette mention : GiUelmus, presbiter
Mimatensis, mirifice composuit hns versus^^K.. Il n'y a aucune raison de
suivre l'auteur du catalogue imprimé dans l'attribution de ces vers
à Guillaume Durant, évêque de Mende.
P. V.'*).
BER>ARD GDI, FRÈRE PRÊCHEUR.
Dès le siècle même qui a vu la fondation de fOrdre des Frères
Prêcheurs, quelques-uns de ses membres, par la plume et par la
parole, se sont acquis une réputation éclatante. Le religieux dont
nous allons parler n'appartient pas à cette phalange glorieuse, mais
ses écrits, qui forment une masse imposante et sont une mine d'in-
formations sur l'histoire de son temps, le recommandent particu-
lièrement à l'estime et à la reconnaissance de la postérité. Un de
nos devanciers, qui les a minutieusement étudiés, n'hésite pas à
déclarer qu'il en considère l'auteur comme « fun des pins remar-
« quables historiens du commencement du xiv*" siècle'^' ».
Ce religieux n'a écrit qu'en latin. Il se nomme lui-même liemardus
Gwdoiiis, et telle est, en latin, la seule forme autorisée de son nom
de famille. Plusieurs de ses biographes français disent «Bernard
Guidonis '•■'», comme si ce nom était irréductible à une forme
''' Voir nolammenl ÏOido divini ojficii '■') L. Delisle, Ao/iVe mr les manuscrits de
(Mimali, 1902), p. ()7. lieinaid Gui, dans Ao(iV« et cxliails des uia-
'■' Cf. Ulysse Chevalier, Reperlorium hym- nuscrits , t. XXMI, 2* partie (i87(j), p. iGy-
nologicain , n"' 7778, ii45o, i54()9; ^"^''^ ''^i-
Reinize, Snin( Privai, martyr, évêqae da Gévaa- l'; Notamment le P. Touron , //i.v/. Jej /lommes
(fan (Mende, 1910), p. 347-36i et 371-374. illustres de l'Ordre de Saint-Dominique, t. Il
''' Fr. Schnorr von Carolsfeid, Cataloy der ( 1745), p. 94, el le chanoine Arbellot, Étude
Handsckriften ...zu Dresden. t. I (Leipzig, biographique et biblioqrapbiqae sur Bernard Gui-
1882), p. 387. donis. évéque de Lodèie, dans Bull, de la Soc.
''' .\vec additions et retouches de la Com- archéol. et hist. du Limousin, 1896, t. XLV,
mission. p. 6 et suiv. C'esl aussi sous Gvidonis que le rha
18.
140 BERNARD GLI, FRÈRE PRÉCHEl R.
vulgaire assurée. Mais il est permis de secouer la tyrannie du latin
quand il s'agit d'un personnage né dans la seconde moitié du
Kiir siècle : à cette date, les noms de famille, comme les noms
de baptême, peuvent s'énoncer en langue vulgaire. 8'appuvant sur
l'exemple donné par deux traducteurs des œuvres de frère Bernard,
dont l'un écrivait en langue d'oïl et l'autre en langue d'oc, Léopold
Delisle a adopté la forme du cas sujet, Gui, de préférence à la
forme du cas régime, Gnioii, comme étant celle qui correspond
le mieux au nom de famille énoncé Giiidonls en latin. Tel est,
en fait, l'usage le plus généralement suivi en Linu)usin flès le
xiii" siècle. Le chroniqueur Bernard Itier mentionne à plusieurs
reprises un moine de Saint-Martial de Limoges du nom de «Ilelias
'iGtm< '*; il enregistre, en outre, sous 1219, la mort d'un certain
" lliimbert Gtii »'-' et, sous 1 2 < ■> , celle de « P. Gai « ' ' . Nous avons donc
de bonnes raisons pour suivre l'exemple de Delisle; nous dirons « Ber-
nard (lui »"''.
S V V I E.
Une ancienne biographie, rédigée par un anonyme, peu de temps
après la mort de notre auteur'^', nous apprend c[u'il était originaiie
du diocèse de Limoges, « ex vico vocato lioeria, prope lUipem Apis '"' ".
11 s'agit de Royère, paroisse à laquelle la Révolution conféra le titre
de chef-lieu de commune, qu'elle a perdu en 1829, date de son in-
corporation à une commune voisine, celle de La Roche-l'Abeille^'.
ndine L'ivsse Chevalier a j)lacé le long arlicle '"' IVlisIe, p. 427.
bibliographique qu'il a inséré dans son Ilépei- '"' Cant. de Nexon, arr. de Saint-^rieix.
loire (les siiiirces Infloiiques du moyen âge. 11 \aiit mieux écrire Royerc, conibrmément à
'' l)u|)lés-Aj;ier, Chroniques de Saint-Mur- la tradition, fidèlement suivie par les cartes
liai de Limoijcs (Paris, 1874), p. 249, a5i, de Cassini et de l'Ltat-Major, que Royéres ,
374, a8i et 28^^ comme le l'ait une pratique récente, à laquelle
" Ihid.p. 10."). le Dictionnaire des Postes prête sa publicité.
''' Ibid.,p. "'.73. Deux autres paroisses homonymes existaient
'' (]eu\ (jui l'appellent « Bernard de La (iitin dans le diocèse de Limoges : l'une est devenue
« nie «[Histoire littéraire ,1. X\\ , p. 433) antici- chef-lieu de canton de l'arrondissement de
()cnt sur les événements; voir ci-dessous, p. 1 43. Bourganeuf; l'autre, à laquelle I orthographe
'*' Le texte en a été publié en dernier lieu oflicielle attribue un ; final, est un chef-lieu de
par Delisle, p. 'n7-43i. Echard en attribue commune du canton de Saint-Léonard, arron-
ronjecturalement la paternité à Pierre Gui, dissemeni de Limoges. C'est par erreur que
neveu de Bernard I^Seript. Ord. Prtedic. , l. I, (Charles Molinier place le lieu de naissance de
p. fiaô . Bernard Gui dans cette dernière commune'^//»-
SA VIE. 141
Le biographe ne nous fait connaître ni le nom, ni la condition des
parents de Bernard Gui. Nous apprenons par d'autres sources domi-
nicaines qu'il avait un frère nommé Laurent, qui vivait encore en
i32 7 et fut recommande aux prières de fOrdre, dans le chapitre
provincial tenu à Limofi^es en cette année'", et un neveu du côté
paternel, Pierre, qui suivit la même carrière que son oncle et mourut,
probablement en iS/iy, à Saint-Girons '-\ après avoir été prieur des
couvents de Périgueux et de Carcassonne, provincial de Toulouse
et, vers la fin de sa vie, inquisiteur dans cette dernière ville '■**.
Les registres pontilicaux, récemment mis à la portée du public,
nous apprennent que deux autres neveux de liernard Gui, non
reconnus jusqu'ici comme tels, bénéficièrent, au début de leur car-
rière, de sa haute situation dans l'Église, où eux-mêmes obtinrent
à leur tour des fonctions importantes. Par une bulle du ■>. i septembre
1 3 18, le pape Jean AXll conféra l'église paroissiale deTliurageau''',
au diocèse de Poitiers, vacante par démission, à Aimeri l[a<}onis, dont
la parenté avec Bernard Gui est expressément mentionnée '■''. Le même
jour, un autre neveu, non encore pourvu de bénéhce, (\niGmdonis,
obtenait un canonicat, avec expectative de prébende et de dignité,
dans l'église de Saint-Paul de Fenouillèdesf^), au diocèse d'Alet<"'. On
ne peut hésiter à idenlilier Aimeri avec le prélat qui occupa, long-
temps après Bernard Gui, le siège épiscopal de Lodève, de i36i
à 1370, après avoir été chanoine de Poitiers, officiai de Bourges,
prieur de la collégiale de Vatan '*' et auditeur des causes du Sacre
Palais*^'. Quant à Gui, nommé par le même pape chanoine et archi-
diacre de Tuy, le \l\ mai iSa/i*'"), il devint préchantre de Lodève,
quisitiou dans le Midi de In France . Paris , 1 880 , '*' Gant, de Mireheau , arr. de Poitiers.
p. 206, noie S). La traduction de /Joe/m par <■'■ Mollal, Jenn XXII. Letlics commiwo .
«La Roère», adoptée par les nouveaux édi- n" 843''i.
teurs de V Histoire de Lnngaedoc. t. IV, p. 292, ("'Saint-Paul, ch.-l. de canl. de lari. de
ne correspond à aucune réalité. Perpignan.
(') Pelisle, p. 173 et ^\o. '" Mollal, ouv. cité, n" 8436.
(') Et non à Géronce (Basses -Pyrénées), (»' Gh. 1. de cant. de l'arr. d'Issoudun.
comme disent quelques l)iographe3," trompés '" H faut l'appeler H„>joj,. et non Hii;i,,e.<
par la façon dont Échard a rendu en latin ou lïHmjaes: cl. Ahbé .loseph Nadaua, .Vo-
le nom de\Saint-Girons ( Crerunliifamim ). hiHaire de In ,fémhahtc de Limoijes. t. Il , P- 3o8.
(') Quétif et Échard, Script., t. 1, p. 625: La notice que lui avait consacrée 1 abbé .^adaud,
Delisle, p. 173-17/i; Ch. Molinier, ouvr. cité, et à laquelle il renvoie, ne nous est pas par-
p. ao8, note; Douais, Les Frères Prêcheurs en venue.
Gascogne. i885, p. 453-'',r)4. '"' MoUat, ouv. cité, n- 19658 et igSag.
]'V2 BERNARD (iUl, FRKRK PRKCHKl IL
et il assista aux derniers moments de son oncle ". L'un et l'autre
furent professeurs utriiisfjiicjuns.
Nous pouvons jusqu'à un certain point suppléer an silence de
l'ancien biographe en ce qui concerne la condition sociale de la famille
de Bernard Gui et sortir de la prudente réserve que s'est imposée
Delisle à ce sujet*"^. Cette famille appartenait à la petite noblesse
limousine. Elle possédait, dans la paroisse de Uoyère, un manoir
dont le nom primitif, aujourd'hui inconnu, fut remplacé, dès le
XV* siècle, sinon plus tôt, par celui de La (jnionie^^K dérivé du
nom même de ses possesseurs. Bientôt les leprésentants de la famille
abandonnèrent leur nom patronymique pour prendre celui de leur
manoir, à la sonorité plus avantageuse. Ce n'était, après tout, qu'un
prêté rendu. Il n'en était certainement pas ainsi au temps de Bernard
Gui'*"'; on ne saurait même affirmer que le manoir existât au moment
de sa naissance*''. Le plus ancien membre de la famille qui nous soit
connu par les documents d'archives est appelé simplement « Ber-
nardus Guidonis, miles, de Roheria » dans deux actes de iSôS'*"'. Ce
Bernard, mort au plus tard en ]36> '', pouvait être neveu et fdleul
du célèbre Dominicain'*.
La fréquence du nom patronymique Gui, en latin G»ff/o/H5, peut faci-
'" A oir ci-dessous, p.i SB.note-»: Benoit XII le
nomma doyen de la collégiale de Montréal, au
(liorèsp de (^arrassonne , le 2.1 déceinl)iv i3j()
A idal , liciiod Xll , Lellre<: rniiiiiiiiiies , n" G^gd}.
* Notice citée, p. l'y.^ : «La condition des
• parents de Bernard nest pas connue. Des au-
« teurs modernes le rattachent à une noble fa-
Miiiile du Limousin; d'autres allirmcnt qu'il
" était d'une liumblc extraction. A cet égard les
"anciens témoignages font délaut.»
'' Orthographe de Cassini ; on écrit le plus
souvent aujourd'hui l.a (iiiYonie. Les premiers
tirages de la carte de l'Etat- Major portent,
par suite d'une faute de gravure, la (iulonie. Le
manoir a dispai-u, mais, dans le voisinage, un
domaine agricole perpétue ce nom , que les
derniers tirages de la carte de l'Elat-.Major ont
supprimé indûment. Dans une rex ue des nobles
du Haut-Limousin, passée le 4 janvier 1471.
figure « Helyot Guy, escuier. seigneur de
t Guiomero (G. Clémenl-Simon, Arch. Iiist. de
la Cnrrèze, Paris, igoS, t. I , p. Sa); Gaiomer
doit être corrigé en : [/>«] Gtiionie.
'' Dans les analyses d'anciens actes que
nous a laissées dom \iilevieillc, on trouve des
•■(le La Guyonie» dès 1378 (Bibl. nat., franc.
."îiÇjsS, loi. i5() et suiv. ); mais les textes latins
qui! avait sous les yeuy, et qu'il a traduits,
(levaient porter Guidonii.
' 11 est donc très hasardeux de placer le
berceau de Bernard Gui à La Guionie, comme
le fait le chanoine Arbellot (p. 9). Les bio-
graphes qui le font naître à Juvé, château
encore debout dans la partie nord de l'ancienne
paroisse de Royère, sont encore plus mal
inspirés, car Juve est entré par mariage dans
la famille Gui à la lin du xv' siècle.
' \'oir les analyses de dom \'illevieille (Bibl.
nat., ms. cité, fol. i25 v°), où il est appelé :
« Messire Bernard Guidon , chevalier de Bo-
« heria «.
' D'après le Nobiliaire de la gcne'ralite île
Limoges de l'abbe Joseph Nadaud, t. Il , p. 333.
'■ Le Aobiliaire le dit fils d'un certain Gui
Guidonis, mais ne cite aucun document à l'ap-
pui de ce «lire.
SA VIE. 143
leinent induire en erreur. Il est bon de rappeler que notre auteur
a lui-même pris soin de nous avertir qu'on ne devait pas le confondre
avec un de ses homonymes, frère Bernard Guidonis, religieux du
même Ordre que lui, originaire du diocèse de Béziers'''. Il n'est pas
moins certain, bien qu'il ne nous ait pas fait de confidences à ce sujet,
que sa famille est tout à fait distincte d'une famille de haute noblesse
établie dans le nord-ouest du diocèse de Limoges, où elle posséda
notamment les seigneuries de Brillac'-' et de Chabannes*-'', et dont
deux mend)res, probablement frères, occu])èrent des situations en
vue durant le premier quart du xiV siècle : Guiard Gui, mort
sénéchal de Toulouse, le 4 février i32i'*^ et Hélie Gui, abbé de
Nouaillé jusqu'en i3o8, mort évêque d'Autun en i322^^'.
Bernard Gui naquit en 1261 ou en 1262, puisque, d'après un
témoignage autorisé*'^', il était dans sa soixante-dixième ou dans sa
soixante-onzième année au moment de sa mort, le 3o décembre 1 33 1 .
Tonsuré dans le couvent des Dominicains de Limoges par l'évêque
de Périgueux, Pierre de Saint-Astier, ([ui s'y était retiré en 1265 et
qui y mourut en 1276, il prit l'habit de l'Ordre le 16 septembre
1279'^^ et fit sa profession solennelle, le 16 septeiidire 1280''^^
entre les mains du frère Etienne de Salagnac, religieux éminenl
dont il devait plus tard publier, en la complétant, une importante
compilation historique. Selon l'usage, il se consacra d'abord à
•'' Delisle, |). 171. \ous ne savons rien sur sénéchal de Toulouse , mais , sur la loi do doni
les attaches d'un frère Guillaume (^uiWoni.s (|ui Estiennot, il lattaclie l'évcque d'Autun à la
se trouvait au couvent de Paris en i,îo3 (Du i'aniille de Bernard (iui (Etude citée, p. 8). Les
puy, Hist. du différend..., p. iJi). Quant à armes ligurées sur le sceai- de l'évêque d'Au-
Irèie Arnaud Ciiidonis, mailre en théologie en tun prouvent qu'il était apparenté au sénéchal
i358, il est établi qu'il était Limousin, mais de Toulouse (voir Douët d'Arcq, Catal. de la
non qu'il fût parent de notre Bernard, comme coll. des sceaux des Archh'es de l'Empire.
l'attirme Ecliard. n° 1)47 i ; Aug. Coulon, linent. des sceaux de
<-' Canl. sud etarr.de (lonl'olens. '" bourgogne, n" 910; cl'. Bibl. nat., l'ranç.
<') (^omni. de Saint Plerre-deFursac, cant. ^TD-î?' dossier t.uy, n° StqOIj, p. 3i).Ces
du Grand-Bourg, arr. de Guéret. armes consistent en trois Heurs de lis; celles
' Delisle n groupé de nombreux, documents des Gui, de Bo\ere, comportent, au contraire,
sur Guiard (iui considéré comme sénéchal de d'après le NobiUinre de l'abbé Nadaud, trois
Toulouse, mais il n'a rien dit de sa famille créneaux ou, d'après dom Estiennot, trois
( Historiens de la France . I. \XI\ , p. ■•j()/i-'j()5 ). guignes.
Il est curieux de constater (pie le sénéchal de '*' Ancienne biographie anonyme, d:ins
Toulouse Guiard Gui prêta serment, en sep- Delisle, p. 429.
lenibre iSig, entre les mains de l'inquisiteur ''' Quétif et Echard, Script. Ord. Prœdic.,
Bernard Gui. t. I, p. 57!); cf. Arbellot, p. 10.
'■ Le chanoine Vrhellot ne parle pas du '*' Delisle, p. \'j^\.
144 BERNARD r.LI. FRERE 1>RECHEI R.
Tétude de la logique, puis de la physique; en laNo, on le trouve
inscrit comme étudiant en cette dernière matière ;ui couvent de
Limoges, qu'il n'avait probablement ])as quitté dejîuis sa profession;
en 1 284 1 le chapitre provincial, tenu à Perpignan, le désigne comme
lecteur de logique alîecté au couvent de Brive. Il passe ensuite aux
études théologiques, qu'il poursuit à Narbonne, en i285''', et à
Limoges, de 12 86 à 1 2 88, pour les terminer à Montpellier, en 12 8()
et 1290'"'. Dès lors, il est en état d'enseigner lui-même en cette
matière. Sous-lecteur de théologie à Limoges, en i2()i, lecteur à
Albi, en 1292 et 1298, à Castres, en i2()4, il n'abandonne pas l'en-
seignement, qu'il cumule avec l'administration, (|uand on le charge
des fonctions de prieur dans divers couvents de l'Ordre, à Albi
(juillet 1294), à Carcassonne (octobre 1 297 ),à Castres (16 août i3oi).
En i3o5, il quitte momentanément l'administration; mais, à peine
installé comme lecteur de théologie à (Carcassonne, il doit descendre
fie sa chaire de professeur pour n'y plus remonter'' : pendant un an
et demi (août i3o5— janvier 1807), il exerce exclusivement les fonc-
tions de prieur du couvent de Limoges. Quand il en fut relevé par
ses supérieurs, il était destiné à servir l'fCglise dans un champ plus
vaste, avec le titre d'inquisiteur de l'hérésie.
Sur cette ])remière ])artie de sa carrière, Bernard Gui lui-même
nous a conservé maints détails dont il sulïlra de rapporter les plus
intéressants : 1(> 5 juillet 1298, il assista à la pose de la première
pierre de l'église du couvent d'Albi, faite solennellement par l'évêque
de cette ville, Bernard de Castanet; pendant son premier séjour à
Carcassonne (1 297-1 ^^0' ^P'^ès avoir été, comme ses compagnons,
en butte aux sentiments hostiles de la population, dont il nous a tracé
un tableau saisissant, il eut la satisfaction de voir les magistrats de
la ville faire amende honorable et se réconcilier avec l'Inquisition;
''' Pvaclicu Inquisilioiùi . . . , aactore llernardo l'rêcliciiis . Paris el Toulouse, i884, |>. i05.
GttifioHii , éd. Douais (Paris, i88(j),p. vi. '^i D'après Chartes Molinier {L'Inquisition ,
'"' Douais nomme comme professeurs de p. aïo, noie i) ei Douais (Practica Inqaisi-
Bernard Gui, « Huj;ues de Creyssel, Bernard lionis . p. \i), il aurait, rempli, en i3i8, les
" Lamollie, ltier(le(^i)mpiiliac (/(Ve; Oimpnhac) ronctiqns de jirincipal lecteur en théologie à
■ et (iuillaume de Quinsac ». 11 y a erreur .Saint-Etienne de Toulouse; mais le lait est dou-
pour ce dernier, car il mourut à Montpellier (eux, irétani a[>puyé que sur la compilation
le 24 juin l'.ji, comme l'auteur lui-même pertiue du frère Antonin Règinald, mort en
nous l'aj)prend dans son Essai sur l'oiga- i()7G, citée ])ar Percin, Monu;«. roni<. 7'o/osani,
nisiilidii des <Hudes (hins l'Ordre des Frères j'oulouse, iG()S, p. 68, n" 10.
SA VIE. 145
;i Castres, il assista à l'érection, dans l'église de Saint-Vincent, de
deux chapelles, sur la construction desquelles il nous a transmis des
renseignements de la plus grande précision, et qui furent terminées
peu de temps avant son départ, le jB mai i3o5; à Limoges, où il
hébergea le pape Clément V (23-2^ avril i3o6), qui lui concéda
quelques menus privilèges, il s'occupa d'une œuvre particulièrement
méritoire à nos yeux, à savoir de la construction d'une bibliothèque,
terminée en cette même année i3o6*'*.
Il est naturel (pie, dès lors, les livres aient tenu une grande place
dans ses préoccupations : s'il les avait aimés comme étudiant et comme
professeur, son amour avait dû encore augment(>r depuis qu'il avait
conçu le projet de marcher sur les traces d'Etienne de Salagnac et de
se constituer, pour ainsi dire, at-chiviste de son Ordre. Son activité
dans cette direction remonte au moins à 1297; c'est ce que nous
devions indiquer ici d'un mot, sans anticiper sur la partie de cette
notice ((ui sera consacrée à ses écrits.
L'année i3o7 est une date importante dans la carrière de Bernard
Gui : le 16 janvier, il reçut sa nomination d'inquisiteur dans le
royaume de France au siège de Toulouse, fonctions dont il ne fut relevé
([ue le 18 décembre i323. Ce n'est pas ici le lieu de rechercher, en
utilisant tous les documents qui se sont conservés'^', comment il s'en
est acquitté. Notons seulement que parmi ses œuvres Hgure une
volumineuse Practica In(]iiisitionis, qui sera étudiée plus loin.
Plus d'une fois il dut se faire suppléer comme inquisiteur, car il ne
put toujours se soustraire aux obligations passagères que lui impo-
sèrent la confiance du Saint-Siège et celle de ses confrères ''l On
constate, par exemple, que le tribunal de l'Inquisition de Toulouse
fonctionna en son absence en septembre 1 3 1 3 1'*', et il est probable
(') Delisk, p. 178-179. Cette biblioltièque '' Nous ignorons s'il se rendit réeUement à
était encore flonssanle sous Charles VII; en Strasbourg, en litoy.età Padoue, en i3o8,
.429, un aventurier normand dont on a pour prendre part aux chapitres généraux de
esquissé récemment la biographie, maître l'Ordre qui s'y tinrent et où il lut délègue par
I\oberl Masselin, l'ut admis à ^j travailler [An- son chapitre provincial; mais nous savons qu il
nnks du Midi. 191a, t. XXIV," p. 5o6). assista aux chapitres provinciaux de Condom
'-> Le principal est le registre tenu par les no- (juillet i3o7) et de Bordeaux (août i3ii),
laires Pierre de Clavières et Guillaume Julien, dont il fut un des déiiniteurs, et qu'il présida,
de i3o8 à i3a3, lequel a été publié par Phi- quelques années plus tard, celui d'AuviUar
lippe de Limborch en appendice à son Histoiia (juillet i3i4)-
Inquisitionis (Amsterdam, 1692), p. 281 etsuiv. '*' Delisle, p. 181.
HIST. I.ITTER.
>9
1^16 BEHNARI) GUI, FRÈRK PHtlCHËlR.
que, pendant la période d'environ quatre ans ( i3 i 7-1320 !') ou il lui
procureur des Dominicains à la cour pontificale''', il dut le plus souvent
déléguer à d'autres le soin de poursuivre les hérétiques du Languedoc.
Nous le trouvons à Avignon le 26 mars i3i 1, écrivant un prologue
pour ses Flores clironicoiuin, qui étaient sur le chantier depuis cinq
ans''*, et à Lyon le 1 1 septembre i3i6, peu de temps après l'élection
du pape Jean XXll (7 août), prenant des mesures pour que la mort
de son collègue Jofroi d'Ablis, inquisiteur de Garcassonne, survenue
la veille, n'interrompe pas rolTice inquisitorial pendant la vacance de
ce poste '^'.
Bientôt la confiance du nouveau pape vint ouvrir à l'activité de
Bernard Gui une carrière imprévue, qui n'était en rapport direct ni
avec ses fonctions officielles, ni avec ses goûts, et qui devait le tenir
éloigné pendant quelque temps et du Languedoc et de la France elle-
même. Dès le 29 janvier i3i7'*', Jean X\ll avait fixé son choix sur
f inquisiteur de Toulouse ])our lui confier la lourde mission de rétablir
la paix dans le nord de f Italie, mission que partagea avec lui un
membre de l'Ordre des frères Mineurs, Bertrand de La Tour, ministre
provincial d'Aquitaine, et qui fut plus tard étendue à la Ligurie et à la
Toscane. Il serait hors de propos d'analyser ici et même d'indiquer
une à une les nombreuses bulles pontificales qui se rapportent à cette
'"' Delisle, p. 182-183, s'insdil un l'aut con- p. i5, n° 3i ; MoUat, Jean XXII . Lettres com-
tre les auteurs qui rapportent à l'année i3i2 la munei, n'Sotjg). Une analyse inexacte, commu-
nomination de Bernard (iui à i-es fonctions, et niquée à Montfaucon (Bibl. bibl. mss. . t. I,
établit qu'il les exerçait en i3i-et i3i8. Quant col. 160), a fait dire à Delisle (p. 179, n. 3
à l'affirmation d'Echard (Script. Oïd. Prwdic. , que lune de ces bulles contenait des instructions
I. I , p. 376), d'après laquelle Bernard aurait du pape sur la conduite à tenir envei's les heré
remplacé Simon SnftareWi , en i3i7, et étérem- tiques. Si l'on ajoutait foi à Wilhehn Preger
placé lui-même par Guillaume Dulcini, en i32i, [tJber die An fange des kirclLenpolitisclien Kompfès
ellen'est pas exacte, car nous savons que la nomi- unier Lndwig dem Bcier, dans le t. XM ,
nation de Guillaume Du/fini est de i324(Mar- 1' partie, 1882, des Abhandlungen de l'Aca-
tene et Durand, Amptiss. coll. , t. \ I , col. 43 1 ; demie de Munich , p. 1 ôg- 1 60) , Bernard Gui
cf. Douais, Les Frères Prêcheurs en Gascogne, et Bertrand de La Tour auraient reçu cette
p. 417). mission dès le i4 octobre i3i(), date attri-
<*' Delisle, p. 190 et 393. buée à une bulle transcrite dans le même
''' Ibid., p. 397. registre sous le n° 87; mais l'exactitude de la
C Date de deux bulles de même substance, date adoptée par Preger est sujette à caution ,
transcrites, sous le n° 58 des curiales, dans le car W adding a publié la bulle en question avec
registre 109 des Archives du\'atican (voir An- la date du 1" mars i3i7 (Ann. Minorum, t. \ I ,
toine Thomas, Les lettres à la cour des papes, p. 2() 1-364), et, depuis, on a remarqué que
dans les Me7anjfes publiés par l'Ecole française le registre du Vatican qù elle est transcrite,
de Rome, 188a, l. II, p. 455; Sigmund Riez- sous le n* 87, en a omis la date [Mèlan<ie>
er, Vatikanbche Akteii..., iiinsbruck, 1801, cités).
SA VIK. 147
mission. Mais comme une singulière bonne lorluue nous a conservé
cinq lettres, échelonnées du 18 avril au 20 août, où les deux repré-
sentants du Saint-Siè},^e rendent compte de leur voyage à Jean XXII''',
nous nous attacherons à leurs pas sur la foi de leur propre témoi-
gnage.
Ils avaient attendu le printemps pour franchir les Alpes. Le len-
demain de Pâques ( l\ avril 1 3 1 7) , ils vont trouver Philippe de Savoie
dans son château de Vigone*^', puis le marquis de Saluées à Saluées,
et, accompagnés de ces deux princes, ils se rendent à l'abbaye de
Stafl'arde*^'(8 avril), où ils publient les trêves imposées par le pape.
Le 11, ils sont à Avigliana'*', d'où ils donnent des ordres ponr la
pubhcation des trêves dans la vallée de Suse''^ le 12, à Turin, ils
procèdent eux-mêmes à cette publication. A Asti, où ils avaient con-
voqué deux agents de Robert, roi de Sicile, Giovanni Conterio et
Galvagno Buxamantica, ils se mettent en rapport avec les magistrats
de la ville, qui leur font le meilleur accueil à la maison commune'"'
et qui édictent des peines contre ceux qui n'obéiraient pas aux ordres
du pape. Le dimanche 17 avril, dans une assemblée populaire tenue
(levant la cathédrale, ils prêchent et ils font lire, en latin et en vulgaire
piémontais, deux bulles pontilicales relatives aux trêves et aux projets
de paix .La foule applaudit à leur mission pacificatrice.
Philippe de Savoie et son allié le marquis de Saluées, représentants
en Piémont du parti gibelin , avaient promis d'envoyer une ambassade
au pape pour traiter, sous ses auspices, avec le roi Robert, chef du
parti guelfe. Tout semblait donc aller pour le mieux; mais les ambas-
sadeurs pontificaux ne se leurraient pas de vaines espérances sur le
résultat final, malgré les égards dont ils étaient l'objet, car ils écrivaient
au souverain pontife, au moment de quitter le Piémont : «Nous
«craignons plus les astuces du renard que l'orgueil du lion. »
La suite de leur voyage allait les convaincre de plus en plus de
''' Ces lettres ont été analysées et publiées '"' Arr. de Pignerol , prov. de Turin,
partiellement par Preger, en 1882 (ouvr. cité, "' Comm. de Revello, arr. de Saluées, prov.
n° 23) , d'après les archives du Vatican. Une édi- de Cuneo.
tien intégrale, que déparent d'assez nombreuses '*' Arr. de Suse, prov. de Turin.
fautes de lecture , a été donnée plus récemment ''' Riezler imprime : vallis Fecusie , au lieu
par Riezler (ouvr. cité, n° 5o,p. aa-Sg). Elles de : vallis Secasie (ouvr. cité, p. a3).
sont respectivement datées d'Asti (18 avril), de '*' Riezler imprime : ad dominam commnnem ,
Côme (23 mai), de Crémone (i5 juillet), de au lieu de : ad domtim communem.
Parme (i8 juillet) et de Bologne (20 août).
«a-
148 BERNARD (iLI, FRERE PRECHElll.
la difficulté de leur tâche. D'ailleurs, ils ne devaient pas toujours
trouver des égards ou des simulacres d'obéissance; presque partout,
d'un bout à l'autre de la Lombardie et de l'Eniilie, où ils visitènMit
successivement Verceil, Novare, Milan (du 26 avril au 1 4 mai) , Côme,
Bergame, Brescia, Vérone (du i4 au 22 juin), Mantoue, Crémone
(pendant douze jours), Parme, Beggio et Modène, éclatèrent sous
leurs yeux les manifestations atroces des passions politiques qu ils
avaient mission de calmer et devant lesquelles ils se sentaient trop
souvent impuissants. Les (iibelins dominaient des Alpes à l'Adria-
tique, organisés en une puissante ligue, dont le chef, reconnu de
tous, était le vieux Matteo \ isconli, seigneuj de Milan, où il avait ter-
rassé les Délia l'orre, représentants du parti guelfe, et que secondaient
deux autres vicaires impériaux, Beginaldo Passerino de' Bonacossi,
de Mantoue, et le jeune et ardent Can Grande Délia Scala, de Vérone.
Au cours d'une réunion nombreuse et solennelle tenue le 9 mai dans
la cathédrale, en prc'sence de Matteo Visconti, dont un porte-parole
complaisant exalte les vertus et la justice, les représentants du pa]ie
ont beau parler de concorde, de ra])pel d'exilés, de délixrance de
prisonniers, voici que des voix s'élèvent pour s'écrier : «Il y a cin-
(iquante nobles à Milan qui mangeraient plutôt leurs propres enfants
M que de voir les Torriani revenir d'exil ou sortir de prison. » Puis c'en
est une autre, ({ui ajoute cyniquement : « Si on avait décapité les
M prisonniers, il n'en serait plus question aujourd'hui''*. »
Les trêves, publiées partout au nom du j)ape, restent lettre morte.
La présence même de ses envoyés n'arrête pas les hostilités : le
9 mai, les Guelfes expulsent les Gibelins de (Crémone; le 8 juin, les
Gibelins donnent l'assaut à Brescia; le 4 août, les habitants de Ferrare
chassent les représentants du parti guelfe, démolissent le château
et écartèlenl le châtelain Bostan. Impuissants, épuisés par leurs
efforts stériles, les j^acificateurs séjournent du 3 au 20 août à
Bologne, où Bernard Gui, particulièrement éprouvé par la fièvre
''' «El ibidem in fine lupiunl inulla gran- « rianos, vel eos vel alios de carcere liberarenl;
» dia et cnorm[i]a proj(osil;i et explicata contra • et addidit ibidem quidam quod, si fuissent
"illos de Tune, projjter quod dixerunt iilos i decapitati , verbum amplius non lierel de
« nunquam esse admiltcndosad civitattun Mcdio- « eisdem » ( Hie/ier, ouvr. cile , p. 26 ; cf. Robert
« lanensem.addentes quod in Mediolano erant Michel, Le procès de Matteo et de Galeuzzo
«quinquaginta nobiles qui ante comederent l ïjcon/i, dans les Mf/dni^w publiés par l'Ecole
« lUios suos quam illuc redire permitterent Tur- française de Home, 1909, t. XXIX, p. "il'x)-
SA VIE. I'i9
tierce, doit garder le lit. Mais leur clairvoyance n'est pas en défaut :
ils se rendent compte que les cliels qui prétendent servir l'Eglise
commettent souvent des excès qui la déconsidèrent; ils pressent
le pape de faire de meilleurs choix, surtout en ce qui concerne la
Marche d'Ancône et la Romagne, pour éviter que ce qui s'est jwssé
à Ferrare ne se renouvelle ailleurs. Elevant même plus haut leurs
regards, ils avaient déjà écrit de Parme dès le 18 juillet : « Beaucoup
« disent que la Lombardie n'aura jamais la paix tant qu'elle n'aura
M pas un roi propre, qui ne soit pas de nation barbare'"'. » 11 est bon
de remarquer qu'au moment même où ces deux Français faisaient
part au souverain pontife. Français lui aussi, de cette vue profonde
sur la politique italienne, un illustre proscrit de Florence, qu'ils
purent coudoyer à Vérone, à la cour de Can Grande Délia Scala,
Dante Alighieri, tournait toujours obstinément ses regards du côté
de la «nation barbare» qui s'attribuait, pour le malheur de l'Italie,
la mission de perpétuer le « saint Enqiire romain ».
Aucun renseignement direct ne nous est parvenu sur la ftiçon dont
Bernard Gui et Bertrand de La Tour poursuivirent leur mission en
Italie a])rès le jo août iSiy, et nous ne pouvons les suivre ni en
Toscane ni en Ligurie. Une seule chose est hors de doute, c'est que
leurs ellorts en faveur de la paix ne lurent pas couronnés de succès.
Jean XXII se décida, en iSic), à laire une nouvelle tentative ])our
pacilier l'Italie, et il s'adressa alors à un légat dont le rôle politique
devait s'affirmer avec éclat, le célèbre cardinal Bertrand Du Pougel.
Dans la bulle qui investit le nouveau légat, le pape rappelle la mission
de Bernard Gui et de Bertrand de La Tour; il rend justice à leur
zèle, mais il ne dissimule pas leur échec : « Et licet iidem inquisitor et
t( minister, ad partes accedenles easdem, pro reformanda pace multo
M labore sudaverint, nichil tamen prolecerunt''^'. »
Bernard Gui trouva du moins en Italie un genre de protlt dont il
n'eut garde de faire part oITiciellement à Jean XXII, qui l'eût sans
doute peu apprécié. H y put satisfaire, en elfet, au milieu du fracas
des armes, quelques-unes de ses curiosités d'historien du passé, satis-
''' iDIcunt plurimi, clerici et laici et pei- • naluralein dominuin qui non sit barbare
> sone ecclesiasticc et regulares, quod vix aut "nationis» (Riezler, p. 87; cf. H. Michel,
• nunquam patria Lombardie pacem habebit, p. 3o5).
« nisi habnerint regem unum propriuin et '"' Riezler, n° lai, p. 73.
150 BERNARD 011. FRERE PRECMEl 15.
faction dont ses œuvres nous ont conservé de touchants témoignages :
à Vérone, il lui fut donné de feuilleter un très ancien lecueil des
actes des conciles, f[ui était conservé dans la bibliothèque de la cathé-
drale'"'; à Reggio, il apprit des détails intéressants sur les reliques de
l'évêque saint Prosper, qu'il identifiait naïvement avec saint Prosper
d'Aquitaine et dont il faisait arbitrairement une gloire de son cher
Limousin'^'; à Bologne, enfin, il constata l'existence, rlans la biblio-
thèque du célèbre couvent de son Ordre, des actes du sixième concile
de Constantinople'''. Il n'avait pas complètement perdu son temps et
sa peine outre monts.
I/année suivante, au mois d'août, nous retrouvons Bernard Gui
cà la cour pontificab^ d'Avignon, comme procureur de son Ordre''''.
Une nouvelle mission politique l'atlpudait, ainsi que frère Bertrand
do La Tour, son compagnon d'Italie. Gette fois il s'agissait d'un
vovage moins long et moins pénible; peut-être est-ce le seul qui l'ait
conduit dans cette Ile-de-France où tant de méridionaux comme lui
avaient eu, depuis un siècle, l'occasion de déployer leur activité
au service direct de la royauté'^'.
Une bulle, datée du 17 septembre i3i8, conféra à Bernard Gui et
à Bertrand de La Tour le titre de nonces apostoliques, avec la charge
spéciale de décider le comte de Flandre, Robert de Béthune, et ses
sujets à accepter les garanties fixées par le pape, à la demande des
parties, pour assurer l'exécution du traité de paix signé à Paris, le
i3 septembre i3i6, entre le régent de France, devenu, depuis lors,
le roi Philippe V, et le comte de Flandre '•"'. Le but était précis,
mais difficile à atteindre, car les Flamands cherchaient sans cesse à
gagner du temps. L'archevêque de Bourges, Rainaud de La Porte,
et le maître de l'Ordre des Don)inicains, Bérenger de Landorre,
désignés antérieurement par le pape pour s'y employer, venaient
d'y voir échouer leurs efforts diplomatiques, échec qui ne faisait
que souligner celui de leur prédécesseur, le célèbre théologien frère
'■' Voir ci-dessons, p. 172. tenu à Paris en mai 1 3o6 (Doussot, dans
''' lbid.,p. 2a'î-3a4. les Mélanges de litl. et (thist. reliijienses , pu-
''' Ibid.,p. 172. bliés à l'occîsion du jubilé episcopal de
''1 Delisle, p. 18.1. M'' de Cabrières, Paris, "1899, t. 1, p. 35 1).
''' C'est par erreur qu'on a dit que Bernard '*' BuHe publiée par Aug. Cou Ion . Lettres
avait été désigné comme compagnon de son secrètes et curinles du pape Jean XXII, n° 71O;
prieur provincial au chapitre général de l'Ordre cf. les n" 7 1 1 à 7 1 9 , 72^, etc.
SA VIE. 151
Pierre de La Palu, et qui était de mauvais augure pour leurs suc-
cesseurs'"'.
Les trêves ayant été prolongées d'un coniniun accord et rendez-
vous pris pour négocier, à Compiègne, le dimanche 8 octobre, les
délégués des deux parties s'abouchèrent dans cette ville. Un procès-
verbal détaillé nous est parvenu de la séance solennelle du i i oc-
tobre'^^ tenue au prieuré de Uoyallieu, dans laquelle intervinrent les
deux nouveaux nonces"^'. Sans entrer dans tous les détails, nous nous
attacherons à laire connaître la façon dont Bernard Gui et son col-
lègue préludèrent à ces dilhciles négociations.
Dès l'ouverture de la séance, ils ])rirent la jjaiolc, non en lalin,
comme on serait porté à le croire, mais en langue vulgaire'*'. Ils
parlèrent d'abord de l'amour paternel du souverain pontife pour tous
les chrétiens, et spécialement pour le roi « très chrétien » et les sujets du
rovaume de France; puis ils rappelèrent les malheurs dus à la guerre
de Flandre et l'obstacle qu'elle apportait au projet toujours caressé
d'une croisade en Terre sainte contre les inlidéles; enfin ils expo-
sèrent le but de leur mission. Pour préciser ce dernier point, ils firent
lire une cédule, rédigée en latin , dans laquelle les déléguésidu comte
et des villes de Flandre étaient nommément requis d'accepter les
garanties de la paix, telles que le pape les avait lixées, le 8 mars pré-
cédent, et de les faire accepter par leurs mandants, sous peine d'en-
courir l'indignation du Saint-Siège. Le plus qualifié des délégués
français, Guillaume Durant, évèque de Mende*^', ht alors un discours
latin en forme, sur un thème approprié, mais sans sortir des géné-
ralités; puis il céda la parole au bouteiller de France, Henri de SuUi,
plus compétent que lui sur les affaires de Flandre. Ce grand seigneur
s'exprima en français. Il lit un long exposé historique des négocia -
'"' Paul Lebogeur, Hisl. de Philippe le Long , c'est-à-dire le jiroveiiçal , au sens large du
Paris, 1897, p. i/ia; cf. Histoire littéraire, mol; toulelois, l'idée de se servir du pro-
t. XXXIV, p. a4o. M. Leliugeur a confondu vencal en pareille circonstance nous parait si
« le mestre des Pre»clieur»» , Bérenger de Lan- étrange que nous hésitons à l'attribuer au\
dorre, avec Bernard Gui. représentants du pape. Nous sommes portés à
'*' Du II octobre i3i8, bien entendu, et croire qu'ils parlèrent Irançais, au moins d'in-
non iSig, comme il est dit dans les Historiens tention, mai» que leur français, se ressentant
de la France , t. XXI, p. 780, note 3. trop de leur origine méridionale, fit sur le
''* Arch. nat. , J 56 a b, n° 3o. notaire à qui nous devons le procès-verbal le
'*' In eorum lingaa valgari, dit le procès- même effet que s'ils avaient employé la langue
verbal, expression qui, prise au (lied de la vulgaire du Limousin et du Querci.
lettre, désigne la langue au Midi de la France, •'' Cf. ci-dessus, p. 56.
152 RKRNAUD CU, FRKRE PRECHEIR.
lions en cours, véritable réquisitoire contre les Flamands, qui ne
souillèrent mot. Quand il eut fini, les nonces rappelèrent qu'il leur
fallait une réponse précise sur le point suivant : les garanties fixées
par le pape étaient-elles acceptées de part et d'autre? Les délégués
français dirent oui, mais à condition que les Flamands en fissent
autant avant de quitter Gompiègne. Mis en demeure de se prononcer
catégoriquement, ceux-ci remercièrent le pape de sa sollicitude,
demandèrent copie de la cédule, puis déclarèrent que leurs pouvoirs
ne leur conféraient pas le droit de décider eux-mêmes, mais simple-
ment de faire part à leurs mandants de ce qu'ils avaient entendu.
La séance continua, en présence des nonces, par une discussion
entre les délégués sur la forme des saul-conduits à donner aux Fla-
mands. Elle se termina par la lecture d'un long mémoire, présenté
par les Français, sur les attentats commis à l'encontre des trêves,
mémoire dont les Flamands demandèrent et obtinrent copie. Quand
on se sépara, la question des garanties de la paix n'avait pas avancé
dun pas.
Nous ignorons ce que purent laire par la suite Bernard Gui et
Bertrand de La Tour. Toujours est-il que leur diplomatie échoua en
France comme elle avait échoué en Italie. Il était réservé à un autre
nonce, plus habile ou plus heureux, d'en finir avec la temporisation
cauteleuse des Flamands, (compatriote, sinon parent de Jean \XII,
depuis ])eu cardinal-prêtre du titre des saints Marcellin et Pierre,
Gaucelm Dejean fut chargé, le 20 mars i3i9, de reprendre l'affaire.
Il fit si bien que le 22 aoiit suivant, à Saint-Léger près de Tournai,
Robert de Béthune fléchissait le genou devant le représentant du
Saint-Siège. Les premiers serments requis pour que le traité de paix
eût son plein effet furent échangés séance tenante; les dernières for-
malités s'accomplirent solennellement à Paris les 4 et 5 mai i32o'''.
Get heureux résultat, qui justifiait la confiance du pape dans le
nonce, réjouit à la fois la Flandre, la France et la chrétienté. Bernard
Gui ne fut pas le dernier à y applaudir. Il prit la plume pour ajouter
à ses Flores clironicorum un chapitre sur la paix de mai i320 : soit
modestie, comme on l'a dit, soit par un juste sentiment de l'ineffica-
cité de son intervention en cette affaire, il passa sous silence la confé-
'' I.ehiigeui-, ouvr. cité, p. 145-153.
SA VIE. 153
rence de Royallieu, mais se complut à exalter les mérites de son suc-
cesseur, le cardinal Gaucelm "'.
Instruit par l'expérience, Jean XXII comprit enfin que les membres
des Ordres religieux n'étaient pas particulièrement indiqués, comme il
semblait l'avoir cru d'abord, pour mener à bien des négociations diplo-
matiques. On peut présumer que Bernard Gui avait, dès la première
lieure, senti que la politique n'était pas sa véritable vocation, et qu'il
s'était prêté aux intentions du Saint-Siège par obéissance plutôt que
par goût. 11 regagna sans doute avec plaisir le Midi de la France pour y
reprendre le fardeau de ses obligations professionnelles et le cours de
ses travaux personnels. Mais le souverain pontife, reconnaissant de sa
bonne volonté, ne devait pas le perdre de vue; il lui réservait un
autre genre d'bonneur, l'épiscopat, qui sembla d'abord devoir
l'obliger de nouveau à (juitter le Languedoc et à franchir les Pyré-
nées, comme il avait naguère franchi les Alpes.
Bernard Gui fut en effet promu à la dignité épiscopale le i6 août
i3ii3. Pour des raisons qui nous échappent, c'est le siège de Tuy, en
Galice, qui lui fut attribué'-'; mais quehpies jours après, le i" sep-
tembre, le pape lui enjoignait de continuer provisoirement à résider
dans le Midi de la i'^rauce et à y exercer son office d'inquisiteur <^'.
Le 18 décembre suivant, ayant été consacré solennellement, à Avi-
gnon, par le cardinal Rainaud de La Porte, évêque d'Ostie, Bernard
reçut l'ordre de se rendre dans son diocèse'''^. Obéit-il .3 Nous n'oserions
rafTirmer. L'auteur de YEspana safjrada, Ilenrique Florez, a vu un acte
d'où il résulte que le nouvel évêque de Tuy, retenu à la cour pontificale,
avait nommé des vicaires généraux chargés d'administrer le diocèse
en son absence; ceux-ci prêtèrent le serment d'observer les privilèges
et coutumes de l'église, le i3 février i334. Vu acte postérieur, du
27 mars, est un accord passé entre ces mêmes vicaires et le chapitre
de Tuy, relativement au monastère de Pesegueiro. Florez déclare,
d'après la teneur de cet acte, que le nouvel évêque n'était pas encore
<•) llislorieus delà France, t. XXI, p. y.io. sous le litre suivant : „De passione sanc-
U est probable que, en se rendant à Royallieu, . torutn martyrum Dionysii, Rustiti et Eleu-
BernardGui lit un court séjour à Paris, et que .therii, ex gestis ipsoruni que Parisius hahen-
la, comme en Italie, il mit à profit les doru- «tur».
ments qu'il eut loccasion de voir. Une note '^) Mélanges publiés par l'École française de
de lui. renfermant des extraits de la passion de Rome, 1882, t. 11, p. 4,56-467.
saint Denis et de ses compagnons, est transcrite O Ibid. , p. 457-458.
dans le ms. Vatic. Palat. lat. 965, fol. 161, <') Ibid., p. 458.
HIST. LITTÉn. XXW. „_
15'i BEUNAllD (iUl, FREKK PlŒCUEl K,
venu flans son diocèse". Il est vrai que le pape assure, un peu ])lus
lard, au moment même où il relève Bernard Gui de ses fonctions
(l'évoque de Tuy, que le prélat s'y est rendu « loiiablenient utile'-'»;
mais on peut se rendre utile de loin. Toujours est-il que, par bulle
du lio juillet i324, Bernard Gui fut nommé à l'évêché de Lodève
en remplacement de Jean de La Tessenderie, lransf(''ré à Rieux''^'.
Comme nous savt)ns que, le jour même de sa nomination, il était à
Avignon et offrait au paj)e les deux premières parties de son Spéculum
sanctoralc '', nous supposons qu'il sollicita lui-même la faveur d'être
déc hargé d'un évêché dontl'éloignement ressemblait à un exil déguisé,
et d'obtenir un poste é([uivalent dans ce Languedoc qui était pour lui
comme une seconde patrie, (l'est sur le siège de Lodève que s'écou-
lèrent ses dernières années. Il fit son entrée solennelle dans sa nouvelle
ville épiscopale le 7 octobre 1 32 4 , niais ce n'est que le 21 mars suivant
(|u'il reçut, comme seigneui' féodal, le serment des vassaux de l'évè-
clié'''. Nous n'avons pas à donner le détail de son administration;
([u'il nous suffise de dire que l'âge ne parait pas avoir affaibli sensi-
blement son activité, et que, jusqu'à ses derniers moments, l'évèque de
Lodève fit preuve de beaucoup d'énergie pour la défense des intérêts
spirituels et temporels qui lui étaient confiés''''. La lourde tàclie de
l'épiscopat ne le détourna pas complètement, tant s'en faut, des tra-
vaux liistori(jues qui avaient tenu jusqu'alors une si grande place dans
sa vie. C'est pendant qu'il était évêque de Lodève qu il termina les deux
dernières parties de son Spéculum sanctoralc et qu'il fit des additions
à ses Flores chronicoruin et aux divers abrégés qu'il en avait tirés. Enfin,
il lit bénéficier son diocèse des restes d'une ardeur que seule la
mort pouvait éteindre, et, grâce à lui, Lodève s'enrichit d'un groupe
d'œuvres historiques et géographiqui s dont le détail sera donné plus
loin, mais dont la mention doit trouver place ici.
''' Espnna sayrada [Madrid, ï-jG"]), t. Wll, celle de l'entrée solennelle de Bernard (iui
p. i63-i64- dans la ville de Lodève; M"' L. Guiraud a lait
'*' «Regimini ejusdem Tudensis ecclesie lau- justice de cette erreur dans une note jointe à
• dabiliter profuistii [Mélanges cités, p. 459). 17/is/oi/e i/e /a Di7/e (/e Loi/eie, œuvre posthume
'■'' Texte de la bulle dans Mélanges cités, d'Ernest Martin, publiée par ses soins en 1900,
p. 458-459. t. Il, p. 353-334.
"' Voir ci-dessous, p. 167. " Galtia christiana . t. VI, col. 554; cf.
'' Plantavit de La Pause, suivi par la plu- Douais, Bernard Gui, cvéqae de Lodève, et le
part des anciens biographes de notre auteur. caré de Xébian , dans Annales du Midi, 1891»,
indique la date du 3 I mars i3t5 comme étant t. X, p. 197-203.
SES ECRITS. - 155
Bernard Gui mourut dans le château épiscopal de l>aurou\'",
le 3o décembre i33 i, à l'aulne ''^', âgé de 70 à 7 i ans, et laissant une
grande réputation, non seulement de science, mais de sainteté'^'. Ses
obsèques furent célébrées solennellement dans la cathédrale de Lo-
dève; puis, selon le désir qu'il avait exprimé, son corps fut transporté
à Limoges et inhumé dans l'église des Frères Prêcheurs, à gauche de
l'autel. î) ne tombe de cuivre jaune, élevée au-dessus du sol , fut placée
sur sa dépouille peu de temps après sa mort; elle ne nous a pas été
conservée. Nous ignorons à quelle date lut gravée une épitaphe que
Plantavit de La Pause a imprimée le premier'**, et comment le texte
en est parvenu à sa connaissance. Va\ tout cas, le style de ce document
n'autorise pas à le faire remonter au xiv' siècle; c'est pourquoi nous
nous abstenons de le reproduire.
SES ÉCRITS.
flnumérer, analvser et critiquer, (Tapns les imprimés ou les manu-
scrits, les ou\ rages de Rernard Gui, est une tâche très longue et très
compliquée. Delisle y a consacré 1 77 pages in-quarto, sans prétendre
épuiser la matière. Sur bien des points, ses recherches ont abouti à
des résultats déhnitifs, et il nous suffira de les résumer. D'une manière
générale, nous renverrons à son mémoire ])Our les menus détails de
bibliographie, nous contentant de compléter ses indications quand il
y aura lieu. Parfois cependant il nous faudra entrer dans des dévelop-
pements nouveaux et examiner certaines questions qui n'ont ])as
''' Commune du canton de Lodévp. Mirnaturols avant d'y élic coiinup aiilh<iiti(|iie-
'-' Dès le jour même de son décès, le cha- mont ( Delisle , p. 'i'i(.)-f\'6\).
pitre de Lodève nomma des vicaires ca|)itulaires **' Chrunol. prœsiiliim Lodovensium, \i. "i^S.
chaigcs de l'administration du diocèse (Douais, Cette épitaphe a été plusieurs fois republiée.
Travaux pratiques et une conjérence de pnléogra- en dernier lieu par Delisle (p. 1 85), par le cha-
phie à rinstilulcalholique de Tou/ouie , Toulouse noine Arbellot (p. l'i) et par le R. P. Poussot
et Paris, iSgu, n° XXXI, p. 75-76). Le premier {Mélanges publiés à l'occasion du jubilé de
chanoine mentionné dans cet acte est le pré- M*' de Cabrières, t. 1, p. 354). On notera que
chantre « Guido Guidonisi, neveu de Bernard iesMemoraliapro conventu Lemovicensi.réâ'igéi.
Gui, dont il a été question ci-dessus, p. i4i- peu après 1693, au couvent même de Limoges,
''' D'après son ancienne biographie, il aurait parlent du tombeau de Bernard Gui, mais ne
fait deux miracles pendant son séjour à Avi- disent rien de son épitaphe; cl. Bail, de la Soc.
gnon, en août i3i 8, et la nouvelle de sa mort arch. et histor. du Limousin, 1893, t. XL,
aurait été annoncée à Limoges par des signes p. 3oi-3o3.
156 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
attiré son attention ou pour l'étude desquelles il n'a pas eu à sa
portée les documents nécessaires.
L'ordre dans lequel doivent être passées en revue les productions
de notre auteur peut prêter à discussion. Delisle en a adopté un qui
n'est ni chronologique ni méthodique, et qu'il ne s'est pas cru tenu
de justifier. Notre préférence est allée à un ordre méthodique, fondé
sur la nature des matières traitées''', et nous avons établi dix sections :
I, théologie; 11, liturgie; 111, hagiographie; IV, histoire des conciles;
V, histoire des papes; VI, histoire des empereurs; VII, histoire des
rois de France et géographie de la Craule; Vlll, histoire des Domini-
cains; IX , histoire de l'Inquisition; \, histoire locale. La numérotation
des ouvrages sera poursuivie à travers les dilFérentes sections, et, dans
chaque section, nous suivrons, autant que possible, l'ordre chrono-
logique de conq)osition.
I. — Théologie.
1. De articulis fidei'''^K
C'est un abrégé de la doctrine chrétienne, une sorte de caté-
chisme. L'auteur en a donné deux éditions, faciles à distinguer.
Première édition. — Insérée à la suite des plus anciens exemplaires
des Flores chroniconim, elle a dû être rédigée, au plus tard, en i3i5.
L'opuscule n'a ni titre général ni préambule; il est divisé en cinq
parties: 1, Dr preceptis Dccalogi; 2, De arlicnhs fidei ; 3, De tnplici
symholo fidei; 4, De seplein sacrainentis Ecclesie; 5, De dotibus glorie
bealoram. Onze manuscrits nous en ont conservé le texte, resté inédit'^^
Inc. : Preceptorum divine legis Decalogus . . .
Des. : . . .quam preparavit diligentibus se Dominus Jhesus Christus qui est
Deus benediclus in secula.
'" C'est ce qu'a fait aussi le chanoine Arbel- ''' Delisle en cite neuf, auxquels il faut en-
lot, p. 17 et siiiv. lia établi huit sections: his- core ajouter deux manuscrits du Vatican, le
toire générale , histoire provinciale ou locale, Palal. lai. 965 et le Regin. lat. jof)' [Mélanges
nagiographie, liistoire monastique, théMogie, publiés par rEcole française de Rome, 1881,
droit canon, liturgie, mélanges. t. I, p. 261, note).
''' Article xxiii de Delisle, p. 363-363,
$$ 2 1 0-2 1 1 .
SES ECRITS. 157
Deuxième édition. — Lorsque Bernard Gui fut devenu évêque de
Lodève (1824), il remania son premier texte et le répartit en huit
divisions, précédées d'un titre développé : \ , De articulis fidei ; 2, De
triplici synibolo; ^, De septem sacramentis; k , De decem preceptis ; 5, De
scptem openbus misrncordie corporalibus; (), De scx opcribiis misericordie
spiritnahbiis ; 7, J)e septem peccatis principalibas; 8, De dotibus qlorie
beat or uni.
Inc. : Quoniam, ut ait Apostolus, Hebr. XI, sine fide impossibile est. . .
Des : . . , nec alimonto pgebit. Hec ex predicta glosa.
A la (in, l'auteur plaça un résumé [recollectio) destiné à soulager la
mémoire des curés de son diocèse, résumé qui est mentionné expres-
sément dans le titre de l'ouvrage, lequel esl ainsi conçu: Libellas brevis
et utilis de articulis fidei et sncrarnentis Ecclesie et precrptis Decalogi, cum
(jiiibusdam aliis annexis in fine pro rectoribus et ciiratis ecclesiarum nostre
Lodovensis dyocesis ad eriidiendum plèbes sibi commissas '''.
Inc. : Aiticuli fidei christiane sunt ([uatuordeciin . . .
Des. : . . . repetenda ea altiiis duximus conscribendum.
Sept manuscrits représentent aujourd'hui cette deuxième édition''^'.
Elle a été publiée, en 189^, par le chanoine Douais, qui s'est contenté
de reproduire le manuscrit 1 18 de Toulouse, sans s'apercevoir que
le Libellas et la Recollectio y ont été maladroitement enchevêtrés, et
sans saisir clairement le plan de l'auteur*''^.
Parmi les œuvres de Bernard Gui traduites en français, en 1869,
à la demande du roi Charles V, par frère Jean Golein, de l'Ordre des
Carmes, figurait un article dont le traducteur nous parle en ces
termes, dans une table en prose rimée dont il a fait précéder sa tra-
duction : M La XVI* partie sera des commandemens de la loy divine
«par manière polie. » H s'agit manifestement du De articulis fidei ; mais
''' Texte du ms. Bihl. nat. , lat. nouv. acq. ''' Un nouvel écrit de Bernard Gui. Le Syno-
779, Col. 294'. dal de Lodeve. . . (Paris, 1894), p. 61-76. L'é-
''' Delisle en cite quatre, auxquels il faut diteur a fait remarquer (p. ix) que la Somme
ajouter Bibl. nat. , lat. nouv. acq. 779 (jadis de la foi chrétienne copiée dans le manv.jcrit
collectioii de Sir Thomas Philiipps 965a), ma- 191 de Toulouse, et attribuée à Bernard Gui
nuscrit sur lequel il était insuiïisaminent ren- par l'a
saigné, Montpellier 29 et Toulouse 118; ces l'opusc
deux derniers ont été signalés par le chanoine saurai)
Douais dans la brochure mentionnée plus loin. p. a3i
nuscrit sur lequel il était insuiïisaminent ren- par l'auteur du catalogue, n'est pas en réalité
seigné, Montpellier 29 et Toulouse 118; ces l'opuscule dont nous nous occupons et ne
deux derniers ont été signalés par le chanoine saurait émaner de notre auteur; cf. ci-dessous.
158 BERNARD GLU, FRERE PRECHEIR.
le manuscrit offert au roi de France par Jean Golein ne contient pas
la copie de cette seizième partie, et nous ne saurions dire si le tra-
ducteur avait suivi la première ou la deuxième èdilion'"'.
2. De peccato origi'\ali''^\
Bernard Gui indique lui-même, dans un titre dillus, cpii est un avis
au lecteur plutôt qu'un simple titre, le caractère d(> cet opuscule.
Voici ses propres termes :
Hec sunt dicta sanctorum atquc doctoruni Ecciesie locjuentium de peccato origi-
iiali quod, a transgressione peccati primorum |jarentum Ade et Eve citra, omnes
humilies utriusque sexus, qui j)er coucubituin \iri et inuiieris generantur, contra-
xeruut et contrahuiit in conceptu, ixcepta luiica persuna Doniini Nostri Jesu Christi,
(]ui soius sine peccato ronceptus est de Spiritu Sancio ex Maria Virgine"'.
11 n'a donc pas voulu écrire un livre, mais réunir un dossier sur la
(Uiestion du péché originel et de la conception de la Vierge Marie,
question passionnément débattue de son temps'**. On n'y trouve que
des extraits mis bout à bout, et où l'ordre chronologique n'est pas
strictement observé. Nous voyons successivement dédier saint Paul,
saint Augustin, saint Anselme (avec une courte note biographique,
analogue à celle qui ligure dans les hlores clironicnrum) , saint Jérôme,
saint Ambroise, saint Grégoire le Grand, Origène, Rémi d'Auxerre,
Bède, le Décret, saint Bernard et Hugues de Saint- Victor. En dernier
lieu se lit le texte intégral de la lettre adressée, à ce sujet, par saint
Bernard aux chanoines de Lyon'^'.
Six manuscrits nous ont conservé la compilation de Bernard Gui '^'.
Elle a été signalée pour la première fois par le Père Pedro de Alva
y Aslorga, sans inthcation du nom de l'auteur '''. ï^e mérite d'v avoir
reconnu la main de Bernard Gui revient à Echard***'.
'"' Cl. Antoine Thomas, Un manuscrit de '*' Réimprimée par Migne, Pafro/o'/ia /a<i/i(i,
Charles V au Vatican, dans le.s Mélanges publiés t. CLXXXII, col. 33a-336.
par l'Rcole Crançaise de Rome, i88i, t. I, '*' Deiisie n'en a cité que quatre; les deux
p. 268. autres sont au Vatican , Palat. lat. ()6fS et Regin.
''' Article XXV de Deiisie, p. 365-366, lat. ^oS' ( WcVnni/w publiés par l'Ecole française
$S ai4-2i.S. de Rome, /or. ri(.).
''' Deiisie, p. 365. ''' .So/ l'enVn/i* (Madrid, 1660), radius 366,
'*' C(. Histoire littéraire, t. \\\\V,f. fjn et col. aa-îg.
543. '"' .SVri>r Ord. Prœdic. t. I , p. 578.
SES ECRITS. 159
Le De peccato oriyinah est encore inédit, et il n'y a pas apparence
qu'on songe jamais à le publier.
Inc. : Paiilus apostolus in epistola ad llomanos. . .
Des. .... ipsius, si quid aiitei' sapio. i)aratus jiidicio eiufiidaie.
II. LiTUtKilE.
3. De 0HDi\4Tiu\h: offic.u missk'^I
Opuscule divisé en deu.v parties. La |)rennère porte ce titre expli-
cite : De orduiatioue officu misse facta a Dumiiiu Jesti Christo et sanctis
ejiis apostoUs ac dernurn per siimmos llomanos ponti/ices successive. Elle
consiste essentiellement en extraits des livres saints et des constitutions
pontificales, auxquels le compilateur a joint quelques remarques inci-
dentes '-'. La deuxième est intitulée : Casus qui contingere possunt in
celehrando, et débute par ces mots : « Periculis seu defectibus. . . »
Ce n'est qu'un abrégé de la question 83 de la dernière partie de la
Summajidei contra (jentiles de Thomas d'Aquin, ce dont Bernard Gui
prévient loyalement le lecteur dès les premiers mots. Comme il qua-
lifie simplement le célèbre Dominicain de « venerabilis doctor » , la
composition de cet opuscule doit être antérieure à la canonisation de
saint Thomas (i8 juillet i323).
liu. : Jhesus Christus primiis et summus pontilex et sacerdos. . .
Des. .... sicut de rasura tabule dictum est supra.
Les manuscrits sont nombreux : Delisle en a décrit seize, et nous
en connaissons six autres'^'.
Echard avait vu une édition gothique de la seconde partie dans la
''' Art. XXIV de Delisle, p. .^64-363, SS 3 12 " Paris, Sainte-Geneviève 1267 (Hauréau,
y i-^. dans Journal des Savants , iSgS, p. 3o6) ; Gain •
'■'• Delisle a signalé dans It- maiiusciit. Bibl. bridge, Pembruko Collège 98, loi. 71 (.Mon-
nat., lat. â^^b un paragraphe sur la forme tague lihodes James, .4 afescn'p/ii'e C'o^//o^«('...,
delà consécration dans la liturgie grecque, p. 91-92) ; Escorial P. i. 5, art. i3 et i4 (Guill.
placé à la fin de la première partie; comme le Antoliii, Cutâlogo de los côdices latinos de la real
chanoine Douais l'a aussi rencontré dans un Bibl. del Escorial, t. III, 19 13, p. Sai-S-ia);
manuscrit inconnu à Delisle et conservé au Merville (Mém. de la Soc. aichéol. du Midi de
château de Merville (canton de Grenade, /a i'rance, 1889, t. XIV, p. 44 1 -44a); Rome,
arrondissement de Toulouse), on peut ad- Vatic. Palat. lat. 965 et Regin. lat. 706' {Mé-
mettre que cette addition remonte à l'auteur /a;i./e.< de l'Ecole française de Rome, i88i,
lui-même. t. j, p. 261, note).
160 BERNARD (iUl, FRERE PRECHEUR.
Bibliothèque de la Sorbonne'"'; cet exemplaire a disparu, et l'on n'en
connaît pas d'autre. Une édition intégrale a été publiée, en 1899,
d'après un manuscrit du château de Merville, parle R. P. Doussot'^l
Jean Golein a traduit l'opuscule de Bernard Gui en français, à la
demande de Charles V. Cette traduction est restée inédite; le seul
exemplaire qui en soit connu fait partie d'un manuscrit présenté au
roi de France, en 1869, ^lont nous avons déjà parlé '^'.
111. — Hagiographie.
Bernard Gui s'est appliqué avec une ferveur soutenue à l'hagio-
graphie, et il a rendu de grands services à cette branche de l'histoire,
soit comme simple compilateur, soit comme metteur en œuvre. Aux
saints du diocèse de Limoges il a consacré un opuscule spécial que
nous étudierons plus loin, dans la section X, réservée à l'histoire
locale. Il a dressé un catalogue des apôtres et compilé des documents
biographiques sur cinq saints de la région toulousaine (saint Saturnin,
saint Exupère et saint Germier, évêques de Toulouse; saint Papoul
et saint Bérengcr, honorés à Saint-Papoul), catalogue''*' et compila-
tion*^' qui ne méritent qu'une simple mention. Mais il convient de
s'arrêter plus longtemps à son traité sur les soixante-douze disciples
du (-hrist, à sa Legenda de saint Thomas d'Aquin, enfin et surtout à
son monumental Specnlnm sanctorale.
h. NOMINA DLSCIPULORUM DOMIM JhESV ChRISTI^^K
Inc. : Designavit Dominus et alios septuaginta duos discipulos . . .
Des. (abstraction faite des appendices) : . . . quem in Actibus Apostoloruui
beatus Ijuchas commémorât.
Cet opuscule, qui a eu une très large diffusion et dont le sujet est
lié à la question de l'apostolicité des Gaules, n'est, à vrai dire, que la
suite du catalogue des apôtres dont il vient d'être question : la forme
'"' Script. Ord. Prifdic. , t. I, p. 578. tmina duodecim aposloiorutn Domini Jhesu
' *' Mélanges de litl. et d'hist. relig., publiés à « Christi scripta sont in Evangeliis. . . • ; des. :
roccasion du jubilé de M*' do Cabrières, t. I, • . . .cnin Barnaba assumpto Thito» (Bibl.
p. SGa-Syy. Le texte est précédé d'une analyse. nat. , lat. nouv. acq. 779, fol. ^•jo'-i'jl'').
''' Voir ci-dessus, p. i57-i58. ''' Ibid., p. 39^-395, S lib.
'*' Delisie, p. 299-300, S i5i. Inc. : «No '*' Art. xix de I)elisle, p. 397-399, SS i47'i5i.
SES KCRITS. l()l
du début en témoigne et dlfiFérents renvois le prouvent, [/auteur en a
donné deux éditions.
La première édition, rédigée en i3i3, nous a été conservée par
«ne vingtaine de manuscrits'*', dont quatre ont été exécutés sous
les yeux de Bernard Gui lui-même, qui y a fait des corrections et des
additions.
La deuxième édition ne se laisse pas dater avec autant de précision,
mais elle doit être antérieure au 2 5 juin iSiy, date de la création du
diocèse de Montauban : on remarque, en effet, que Bernard Gui,
ayant à parler de (^astelsarrasin, à propos de saint Alpinien, place
encore cette localité dans le diocèse de Toulouse, et non dans le
nouveau diocèse de Montauban, auquel elle fut attribuée en i3i7.
Le texte a été rléveloppé dans certaines de ses parties (notamment en
ce qui concerne les saints Eu'.rope, Gatien et Maximin); en outre,
on y trouve deux notices nouvelles (sur saint Georges du Puy et
sur saint Luc), et deux appendices : une liste récapitulative [Nomina
discipulorum sub compendio), et une messe en l'iionneur des soixante-
douze disciples. Treize exemplaires nous en sont parvenus'^', dont
plusieurs sont constitués par des manuscrits de la première édition, qui
ont reçu après coup les modifications et additions faites par l'auteur
à sa rédaction de i3i.H; mais la liste récapitulative linale et la messe
ne se trouvent pas dans tous ces exemplaires.
L'ouvrage a été traduit en français, à la demande du roi Charles V,
par Jean Golein, en 1369; la traduction repose sur la première édi-
tion. Nous n'en connaissons qu'un manuscrit, celui qui lut offert au
roi de France par le traducteur lui même; il est conservé à Rome,
dans la Bibliothèque du Vatican*^'.
Texte et traduction sont restés inédits. On doit le regretter, car
l'œuvre n'est pas sans intérêt. Dehsle l'a fort bien montré, et nous
ne saurions mieux faire que de reproduire ses paroles (p. 299) :
« Le traité sur les disciples de Jésus-Christ mérite d'être étudié avec
'' Delisle en a mentionné vingl-et-un, parmi nuscrit de Lisbonne, Vlcobaça agS, que Delisle
lesquels figure à fort un manuscrit de Cam- n'a pu classer, le manusciit de Cambridge cité
bridge, Corpus Christi Collège 4^. qui con- et un manuscrit de Rorrie, Vatic. Palal. 588.
tient la deuxième édition. Il faut ajouter le ''' Vatic. Regin. lat. 697 [Mélanges publiés
Vatic. Palat. lat. 965; cf. ci dessus, p. i56, par l'Ecole françaisede Rome, 1881, t.I, p. a68
note 3. et 270, art. vin).
''' Parmi eux doivent prendre place un ma-
HIST. LITTÉB. XXXV. 21
I(j2 BERNARD (]ll, FRERK PRECItiail.
«soin, parce qu'on y peut saisir le point auquel les traditions rela-
« tives à l'origine des principales églises de l'rance étaient arrivées
« au commencement du \iv* siècle. Bernard Gui range résolument
«parmi les disciples de Noire-Seigneur : saint Martial de Limoges et
«ses compagnons Austriclinien et Alpinien, saint Saturnin de Tou-
«louse, saint Georges du Puy, saint l'ront de Périgueu\. saint Julien
«du Mans, saint Ursin de Bourges, sainl Trophime d'\rles, saint
« Maximin d'Aix, sainl Lazare de Marseille, saint Clément de Melz,
«saint Eucaire, saint Valère et saint Materne de Trêves, saint Sixte
«deBeims, sainl Mansuet de Toul, saint Savinien, saint Potencien
« et saint \ltin de Sens et d'Orléans. Mais il n'inscrit sur son cata-
a logue qu'avec des réserves les noms de saint Eutrope de Saintes, de
« saint Gatien de Tours et de saint Menge de Chàlons. »
T). Legem).\ SA\GTi Thome de -lg(//vo''.
Inc. : Saiicliis Thomas de \quin(), Ordiiiis Predicaioruni , doclof .'gni^ius. . .
Des. : . . .coiilidenfian» majoreni concipiani ad puindeiii.
En désignant par le titre qu'on vient de lire l'importante mono-
graphie consacrée par Bernard Gui à saint Thomas d'Aquin, nous
nous servons de ses propres termes. Voici, en elfet, la dédicace qui
ligure en tèle de l'exemplaire offert par l'auteur à Pierre Roger, le
futur pape Clément VL'' :
Venerabiii viro domino Petro Roggerii, magistro in theologia Parisius, f'ratcr
B[iTnardus], episcopu.s Iiodo\ensis, prcsentem legcndam saiicti Thome de Aquino
liansinittit'^'.
Pierre Roger obtint l'abbaye de Fécamp le 2 3 juin i326; puisque
Bernard Gui, évèque de Lodcve depuis le 20 juillet 1824 , ne lui
donne pas le titre d'abbé, la dédicace est antérieure au 2 3 juin iSafi
et postérieure au 20 juillet i324.0n peut s'arrêter, avec le R. P. Man-
donnet**', à la moyenne de i325 comme date de celle dédicace. Cette
date doit être très voisine de celle où la Legenda reçut de l'auteur sa
''' Art. XVIII de Deiisle, p. 396, S \i('). manuscrit, non mentionne pai- t)eiisle ;
'*' Vatic. lat. 3847: le texte de ia Leyeiido cf. Arcliiv fur Litlciatni- and Kirchengeschiclilf
commence au folio 37. des Mittelallers. 1886, t. II. u. 180, note i.
''' Nous empruntons le texte au P. Denifle, ' Des écrits antlienliqiief de sainl Tliomiis
qui a le premier attiré I attention sui' ce d'Aquin, 1910, p. 55.
SES KCRirS. 103
forme delinitive, laquelle est postérieure à la canonisation de saint
TlioTuas (18 juillet i323), comme cela résulte de son propre ténioi-
gnaj^e. On lit en elTet dans le prologue qui ouvre le livre 11 de la
Legeiula, consacré au récit des miracles de saint Thomas :
. . . taiTi (le prima (juam secundà iin[uisitione usque ad ejus canonizationem,
()u;f facta luit postea, quadriennio jain elapso, sub aimo Domini inillcsimo triceii
tHsinio \icrsiiiio tertio. In fine vito pracedi iitiuin niiraculorum addita sunt non-
nuUa alia, (|uae relatione hI assertione pluriFnnrnni approbata sunt et comperta, et
addi etiani alia poterunt in futnrum '".
La Leqenda est divisée en deux livres : dans le premier on trouve la
vie du saini, dans le deuxième, ses miracles. La vie a été écrite par
Bernard Gui non seulement avant la canonisation, mais avant les
deux encjuètes préliminaires. C'est ce qu'il déclare nettement dans la
quatrième partie de son Spéculum sam torale, terminée en iSag :
Quamplura coHe^mus sub compendio, tam de prima quam de secunda inquisi-
tionc sdlltiupiii . . ., ([ue conscripsimns in line libeUi (|uem piius scripseramus de
(irlii, \ila et (ibitu ejus<lim '-'.
Il est possible que l'auteur, rédigeant les miracles cpii constituent le
fond du deuxième livre, ait fait quelques additions au texte du
premier tel qu'il l'avait d'abord établi. Comme ce premier livre n'a
pas encore été publié intégralement, il y a là un point qui reste à
éclaircir.
Mais une question beaucoup plus importante, sur laquelle ne s'est
pas portée la critique de Delisle, attend aussi une solution déiinitive.
LesBollandistes ont publié in extenso une Vie de saint Thomas qui a
pour aulenr frère Guillaume de Tocco, prieur de Bénévent, lequel,
dans sa jeimesse, s'est trouvé en relation^ personnelles avec le saint.
Des deux biographes, fpiel est celui à qui revient la priorité? De part
et d'autre, même cadre et même fond ; Guillaume de Tocco est plus
dilfus, Bernard Gui plus concis. Les Bollandistes en ont conclu que
le texte du second n'est qu'un abrégé du texte du premier, et ils ont
donné le pas à Guillaume de Tocco, en le publiant intégralement '^\
''• Acta Saiictornm , Mars, l. I, p. 716-717; "'* Delisle, p. 296, d'après le manuscrit 48i
voir une déclaration analogue à la fin de l'ar- de Toulouse.
ticle consacré à saint Thomas par Bernard Gui '* Dans les Acta Sanctoram, Mprs, t. I,
dans son Specalum sanr'ornie (Delisle, p. 296). p. 667 et suiv.
164 BFlRWRD gui, FRERR PRECHEUR.
tandis qu'ils se sont contentés de faire connaître la table des matières
(le Bernard Gui et de ])ublier les chapitres qui ne se retrouvent pas
dans la Vie qui a pour auteur Guillaume de Tocco'''. Tout autre est
la manière de voir d'un critique contemporain, le D' .1. A. Endres :
d'après lui, ce n'est pas Bernard Gui qui aurait abrégé le texte de
Guillaume de Tocco , mais Guillaume de Tocco qui aurait délayé le
texte de Bernard Gui; donc la Lccjenda de ce dernier devrait être
considérée comme le texte fondamental de la première Vie de saint
Thomas d'Aquin qui ait été rédigée en forme*""'. Echard a accepté les
conclusions des BoUandistes''''; mais voici que le R.P. Mandonnet fait
bon accueil à la thèse opposée soutenue par le D' Endres, du moins
dans ses données essentielles'*'. Nous devons déclarer que l'argumen-
tation du D"^ Endres nous a paru peu concluante et que les habitudes
de travail de Bernard Gui parlent plutôt en faveur de l'opinion des
Bollandisles. En tout cas, la question ne pourra recevoir de solution
définitive que quand nous posséderons des deux Vies de saint Thomas
un texte non seulement intégral, mais établi d'après les procédés de
la critique liislori(|ue et fondé sur un classement rigoureux des manu-
scrits*'^'. En ce qui concerne particulièrement la Lecjcuda de Bernard
Gui, bien que les Bollandisles déclarent avoir eu sous les yeux quatre
manuscrits, un exe;nj)le suffira à montrer ce (pi'il reste à laire pour
en établir correctement le texte.
Le chapitre 86 de la troisième partie du livre II, publié intégrale-
ment dans les Acta Sai\clonim^^\ contient le récit d'un miracle opéré
au profit de Marie, femme d'Arnaud de Trian, neveu du pape
Jean XXIl*''. Deux évêqnes, membres de fOrdre de Saint-Dominique,
y figurent successivement : l'un est appelé par les manuscrits ej)i-
scopus Lodunensis ou Luqdiinfnsis, Y autre, episcopus Canturiensis. Pour le
''' Alla Sniulonim, Mdti, t. I, p. 716 et suiv. « lieure à celle de Guillaume de Tocco. ... et
''' Studicn ziir Biographie des lil. Thonias i non inversement , mais la question me parait
von Aqiiiii , dans Historisches Jahrbucli , 1908, «pluscomplexe» ( Mandonnet, ouvr. cité, p. 54 .
p. 53^ et suiv. {7('st ])ar erreur (pie le l\. P. ''' Le D' Kndres n'a connu le texte de Ber-
Mandonnet (oii\i;if;e citi-, |). 54) dit que le nard Gui que par les extraits qui figurent dans
mémoire du D' l'.iidrcs a paru dans la Tiihin- les Actii Sdintnrum et dans le Sdiiclinirium de
ger Qiiiiitnlschi ifl. Mombritlus.
''' Script. Onl. l'rtedii. , t. 1, p. 579. ''' Mars, I. I, p. 721.
*'' «Le docteiu- .1. A. Endres a le premier t'ait •'' Cette dame mourut en ii2)i(Albe, Autour
«observer et établi , croyons-nous, que la com- de Jean XXII. Lesfdinillet du Quercy, i" partie,
«position de la \'ic par Iiernard Gui est anté- Home, iqoa, p. 76).
SES KCRITS. 165
premier, les BoUandistes ont corrigé avec raison les leçons erronées
des manuscrits en Lodovensis , sans dire toutefois qu'il ne s'agit pas
de Bernard Gui, mais de Jacques de Concots, évêque de Lodève de
■i3i8à i3'i2. Pour le deuxième, ils ont supposé qu'il s'agissait d'un
évèque de lile de Candie, et proposé de lire Cantanensis ; il s'agit en
réalité d'un évéque de Caliors [Caturcensis), Guillaume de La Broue,
qui occupa ce siège, après le célèbre Hugues Géraud, de iSiy
à i324-
Les manuscrits de la Lecjenda sont relativement rares. Nous avons
déjà mentionné le Vatic. lat. 3847, 4"^^ ^^^^ ^^^^ considéré comme
le plus ancien, peut-être même comme un original; ajoutons-y un
manuscrit de Barcelone'"', un manuscrit de Charleville (n° 88),
un manuscrit de Poitiers (n° 255) et un autre manuscrit de Rome,
Vatic. lat. i2i8'''. Le manuscrit de Saint-Victor de Paris (n° 64 i),
signalé par les BoUandistes, et d'après lequel le biblit>tliécaire de
l'abbaye, Jacques Bouet de La Noue, devait donner une édition,
s'est ])erdu, ainsi que le manuscrit des Dominicaines de Poissi, men-
tionné par Ecbard'^'. 11 n'est pas sur que la bibliotbèque du chapitre
de Prague ait possédé un manuscrit de la Lcçjenda, quoi qu'en disent
les BoUandistes : le D' Endres pense qu'ils ont confondu notre texte
avec l'abrégé qui figure dans la quatrième partie du Spéculum sancto-
rale, dont un exemplaire est encore aujourd'hui conservé à Prague'*'.
Rappelons en terminant que, si des fragments de la Legenda ont vu
le jour dans le Sanctuariuin de Mombritius et dans les Acta Sanctorum,
le public en attend toujours une édition intégrale.
6. Spkcvlvm sanctorale^^K
C'est à la requête du maître général de l'Ordre des Dominicains,
Bérenger de Landorre (i3i2-i3i8), que Bernard Gui se mit à
lœuvre pour remplir une tâche analogue à celle qu'avait assumée,
à la fin du xiii^ siècle, frère Jacques de Varazze, dont la Leyenda
''' Delisle, p. 437-438; ce manuscrit a passé * Hiitorisches Jahrhuch , iqo8, p. 55o;
de San Juan à l'Université. d. ci-dessous, p. i68.
''' Alb. Poncelet, Cataloyui codicum hagiogi. ' Art. wii de Delisle, p. 273-29^, SS i3i-
latin. Bibl. Vaticanœ [Rraielies, 1910), p. 80. i45.
'' Quétif et Échard , Script. Ord. Prtedic. , 1. 1,
P- 579-
IhO BERNAUI) Gl;l, FRKRK PRFXJIKLR.
aurea a eu tant de succès. H ne nomme pis ses devanciers dans sa
préface, 'mais il leur fait collectivement un double reproche : ils sont
si brefs, dit-il, que les vies des saints, telles qu'ils les racontent, font
l'efTet d'être tronquées; d'autre part, beaucoup de saints manquent'
dans leurs recueils*''. Toutefois l'auteur du Spéculum sanclorale ne
s'est pas résigné à faire office de simple compilateur. S'il s'interdit
d'inventer, il se réserve de choisir, de laisser de côté les traits apo-
cryphes et d'élaguer les détails superflus, (l'est jusqu'à un certain
point une œuvre de ciitique qu'il a l'ambition de présenter au
lecteur.
Il a divisé son immense matière en quatre parties, dont chacune
peut former un volume séparé ayant son individualité propre. La pre-
mière est consacrée aux fêtes de Jésus-Christ, de la Vierge Marie, de
la Croix, des \nges, de la Toussaint, des Morts, de la Dédicace des
églises; la deuxième, à saint lean-Daptiste, aux apôtres, aux évangé-
listes et à quelques-uns des soixante-douze disciples de Jésus-Christ;
la troisième, aux martyrs; la quatrième, aux confesseurs et aux
vierges. Dans les deux dernières parties, l'ordre suivi doit être, comme
dans la Legenda auren et autres recueils analogues, celui dans lequel
les fêtes des saints et saintes figurent dans le calendrier'^'; saint Etienne
ouvre la troisième, et saint Sylvestre, la quatrième.
Delisle a donné le détail complet du contenu de chaque partie; il
n'y a pas lieu de le reproduire ici. Bornons-nous à quelques indi-
cations. Dans la seconde partie, les saints admis comme disciples
du Christ sont les suivants: Saturnin, Martial, Front, Georges,
Maximin, Joseph dit Barsabas, Nathanael, Thadée, Jude, Silas,
Céphas, Gléophas, Simon ou Slméon. L'auteur dit expressément que
ce sont ceux dont il a pu trouver les actes, et il semble inviter les
lecteurs mieux informés que lui à y faire des additions en rapport
avec leurs découvertes. Les notices de la troisième partie sont au
nombre de cent cinquante, chiffre qu'il faut un peu réduire si l'on
remarque que quelques récits de translation forment des articles
séparés et que la notice sur saint Ruf est restée vide faute de rensei-
■'' Delisle, p. Vi3. liigni, honoré le ij octobre, n'est pas traité
''' Quelques interversions ont des causes par- .i sa date, mais renvoyé à la suite d'un autre
ticulières qu'il n'y a pas lieu d'exposer ici dans saint Léonard, ermite honoré à Saint-Léonard
le détail; c'est ainsi que saint Léonard de Cor- près de Limoges, le 6 novembre.
SES ÉCRITS. 167
"^nements'''. Celles de la quatrième ne montent qu'au chiflPre de
quatre-vingt-un, en y comptant les extraits des Vitœ Patrum de sainl
Jérôme et d'Héraciide, qui terminent le recueil. Quand Bernard Gui
faisait allusion, dans sa prélace, aux lacunes des recueils antérieurs
qu'il voulait combler, il songeait surtout aux saints honorés dans cer-
taines régions de la France, saints d'une autorité relativement peu
étendue, mais que nous devons lui savoir gré d'avoir accueillis. Sou
Spéculum sanctorale, à coté des |)ages générales qui intéressent toute
la chrétienté, a un petit coin «gallican» qui nous le rend particu-
lièrement précieux.
Bernard Gui dut consacrer un temps considérable à l'exécution du
Spéculum sanctorale, entreprise entre 1 3 1 2 et i3i8, comme nous
l'avons dit. Les deux premières parties étaient prêtes avant le 20 juil-
let i32/i, date du jour où il les présenta au pape et où il fut trans-
féré à l'évêché de Lodève'^'. Il lui oflrit en deux fois, par la suite,
la troisième et la quatrième; de ce dernier hommage Jean XXII le
remercia le 2 1 juillet 1329'^', ce qui précise la date à laquelle l'œuvre
fut achevée. Nous possédons aussi une lettre de remerciement du
même pontife pour l'envoi de la troisième partie, lettre datée du
17 juin, qu'on a cru pouvoir rapporter à l'année 1330'*'. 11 est à
croire que cet envoi supplémentaire correspond à quelque rema-
niement opéré par l'auteur dans cette troisième partie, bien que
Delisle n'en ait pas retrouvé les traces dans les manuscrits qui ont
passé sous ses yeux '^'. ,
Les dimensions énormes du Spéculum sanctorale étaient peu favo-
rables à sa large diffusion''''. Des copies qui en furent faites, une seule
nous est parvenue dans son intégrité : elle se trouve à la bibliothèque
de Lisbonne, fonds d'Alcobaça, n"* 29^, 296 et 297; Delisle a décrit
sommairement les trois volumes dont elle est composée'^'. Le manu-
scrit 64 de la bibliothèque de Tours contient la première partie et
''' «Istius sancti Ruphi gesta nondiiiii iii\e- plaires de celte tioisièine partie (Oelisle, p. 37 1 ;
a iiimus. . . • (Delisle, p. a8a). cf. Maurice Fnucon, La librairie de.r pape>
*'' Voir ci-dessus, p. 1 53. d'Avignon, Paris, 1886-1887, t. Il, p. if\?t
''' Delisle, p. 274 et tiib. \Mi].
'*' Voir les Mélanges publiés par l'FxoU' '*' Cf. Alb. Poncelet, Anal. Bolland., ujk),
française de Rome , 1881, t. I, p. 459-A60. t. XXIX, p. 2628. Paul Meyer a remarqué
''' En fait, dan» l'inventaire de la bibliothè- ici-même (t. XXXIII, p. libo) que le Speculnm
que pontificale, fait à Peniscola au conimen- •■ ne parait pas avoir été mis en français h.
cernent du xv* siècle, on trouve deux exem- '' P. ài^-fi?)'].
168 BERWRD Gl'I. FRKRE PRECHEl R.
le commencement de la deuxième; c'était le premier volume d'une
édition qui en comprenait trois : le deuxième a disparu et le
troisième est conservé à la Bibliothèque nationale, lat. S/ioy. De
la deuxième partie il nous reste trois manuscrits : deux à Paris (Bibl.
nat., lat. 5^o6 et 9781 ), et un à Vienne (Bibl. imp., lat. 439^).
Enfin , trois manuscrits de la troisième et de la quatrième partie réunies
ont été signalés, à Avifi^non (Musée Calvet, n°^ 296 et 297), à Prague
(Bibl. de la cathédrale, G. 23. i '") et à Toulouse (n" .^H i ).
Au xV siècle, le recueil de Bernard (îui retenait encore l'attention
d'un moine de la chartreuse de Val-Dieu, près de Mortagne, lequel
en a parlé en termes élogieux''^'; mais les imprimeurs ont reculé de-
vant uneédilion intégrale. Seuls, quelques érudits l'ont utilisé d'après
les manuscrits et en ont publié des extraits relatifs à tel ou tel saint.
Delisle a donné une liste de ces publications isolées; elle demande
(iiielques suppressions et quelques additions. On s'est eilorcé d'être
plus précis et phis complet dans la liste suivante, où les noms, énoncés
en latin, sont rangés dans l'ordre alphabétique et suivis de l'indi-
cation du jour où on honore le saint :
Amandis, évèqiie de Mapstricht (6 février). — Texte publié par les BoHandistes,
Acin Sanctorum, Févr. , t. I, p. 85/i-85j, d'après une copie d'André Du Cliesne;
cf. krusclî et Levison, Passiones . . ., t. V (Hanovie et l^eipzig, 1910), p. 626-
437'^'.
Amandds et son disciple JuniANrs ( 16 octobre). — Texte publié par Benoit Gonon,
Yntp et sententiœ Patrum Occidenlis [Lyon , 1625), livre IV, p. 208-209, d'après
le nis. 297 du Musée Calvet d'Avignon; nouvelle édition des trois premiers para-
graphes, collation née sur le manuscrit de Prague, Acta Sanctomni , Oct. , t. VII,
2° partie, p. 889.
Antomus de Padla ( i3 juin). — Le texte des passages empruntés par Bernard Gui
h la Vie du saint composée par frère Rigaud a été publié par le chanoine
\rbellot. Saint Antoine de Padoae en Limousin (2' éd. , Limoges, 1 898) , p. 65-68 ;
cf. Histoire littiToire , t. XXXIV, p. 282, note 1.
DoMiNiccs (4 août). — Texte publié par le P. Percin, Monumenta conventiu Tobsani,
p. 3o, d'après le ms. A81 de Toulouse.
'' Sur ce manuscrit , voir Historisches Jahr- pliquer à saint yliain, patron de Lavaur. Bernard
hach, 1908, p. 55o. Gui est étranger à cette supercherie, mais déjà
') Delisle, p. agi. dans son texte, quelle qu'en soit la cause, te
'' Dans le ms. 481 de Toulouse , un laussaire nom de lieu Nanto, fourni par la plus ancienne
achangéle nom d' A mandas en Alaniu pourl'ap- vie de saint Amand, est remplacé par Vaaro
SES ECRITS. 1()9
Ftohis ( i" novembre). — Texte publié par les Bollandistes, AcUi Sanclorum, Nov.,
t. II, i" part., p. 268-269, d'après trois iiianuscrits (Bibl. nat. , lat. 5/io6 et
5 'j G 7 ; Toulouse /i8i); cf. Analecta Bollandiana, t. XIV, p. 3i9-32i, et Ernest
Martin, Hist. de la ville de Lodhe (Montpellier, 1900), t. II, p. 32i-33i, note
due à M"" Guiraud.
FuLCRANNUs ( 1 3 février). — Texte publié par les Bollandistes, Acta Sanctorum, Févr.,
t. Il, p. 711-717, d'après le manuscrit de Prague; extraits et étude critique dans
Ernest Martin, ou\r. cité, t. II, p. 382-397, note due à M"' Guiraud.
Germehivs (16 mai). — Texte publié par le chanoine Douais, Mém. de la Soc.
des Anti(juaires de b'ratxce , 1890, t. L, ]). 95-99 , d'après les mss. k^o et ^Si de
Toulouse.
Jdmanus. Voir Amandus.
Leonardds Corbiniacensis (i5 octobre). — Texte publié par Gonon, ouvr. cité,
p. 2(>g-2 10, d'après le ms. 297 du Musée Calvet d'Avignon.
Leonardus Lemovicensjs (6 novembre). — Texte publié par Gonon, ouvr. cité,
p. 2 1 0-2 1 3 , d'après le ms. 297 du Musée Calvet d'Avignon.
LuDOVicus rex (25 août). — Texte de l'appendice, intitulé : Brevis chronica de
progressa temporis sancti Ludovici , publié dans les Historiens de la France, t. XXIII
(1876), p. 176-177, d'après le ms. lat. 5oZi6 de la Bibliothèque nationale.
Pardi LKHs (6 octobre). — Texte publié fragmentairement par (îonon , ouvr. cité,
p. 2 1 0-2 1 1 , d'après le ms. 297 du Musée Calvet d'Avignon.
Pbivatus MiMATENsis (2 1 août). — Texte utilisé par les Bollandistes, Acta Sancto-
ram, Aoijt, t. IV, p. à^g-lxlio.
Sacerdos (5 mai). — Texte publié par Baluze, Discjuisitio sœculi <^uo vixil sanUlus
Sacerdos . . . (Tulle, i655), p. i3-i8, d'après le ms. Ii8i de Toulouse; repro-
duit d'après Baluze, et collationné sur une autre copie du manuscrit, par Labbe,
A'wa bibl. mss. libr. (1657). t. II, p. 66i-665.
Thomas de Aquino (7 mars). — Texte de i'Epilogus brevis publié par le D'' Endres
dans Hislorisches Jahrbuch, 1908, p. 55i-552, d'après le ms. lai. hi^li de la
Bibl. imp. de Vienne.
Delisle a groupé un certain nombre de faits pour mettre en reliel
la méthode de travail de notre auteur au cours de son immense com-
pilation et montrer le profit que la critique historique peut tirer des
matériaux qu'il a réunis et des observations dont il les a souvent
accompagnés. Il nous paraît inutile de reproduire tout ce que notre
devancier a écrit à ce sujet; mais il est bon de faire connaître
quelques-unes de ses constatations: «Bernard, dans son Sanctoral,
HIST. LITTEB.
170 BERNARD CUl, FRERE PREClIEl H.
« ne se contente pas de copier ou d'abréger les anciennes légendes :
Il il y enregistre çà et là des événements relativement modernes et
« des indications topographiqnes fort curieuses '". ... Il cite ses
«autorités, et renvoie souvent à des relations qui n'ont jamais reçu
« une grande publicité'^'. . . Plus d'une fois, Bernard s'est trouvé en
a présence de récits contradictoires et de prétentions rivales. De tels
«embarras ne le déconcertent jamais. Parfois il propose des solu-
«tions; le plus souvent il résume avec impartialité les faits allégués
« de part et d'autre'^'. »
Delisle n'a examiné que la troisième partie du Spccalnin sauctorate,
consacrée aux martyrs, et les extraits textuels qu'd publie viennent
du manuscrit 48 1 de Toulouse. A notre tour, nous avons par-
couru la quatrième partie, consacrée aux confesseurs et aux vierges,
telle que la donne le manuscrit latin 5o46 de la Bibliothèque natio-
nale. La place nous manquerait si nous voulions relever tous les
passages de Bernard Gui qui olFrent quelque intérêt. Il nous sulTira,
pour faire connaître la portée de sa critique, de prendre un exemjde
caractéristique''''. Nous l'empruntons à l'article qu'il a consacré à
saint Ililaire de Poitiers (i3 janvier).
Bernard Gui donne en premier lieu un abrégé de la Vie attribuée
à Fortunat, et termine l'abrégé par cette indication : « Hec ex gestis
« sancti Hylarii verioribus et antiquis. » Puis viennent des extraits
textuels de la Chronique de saint Jérôme et du De vins illuslnhas du
même auteur. Enlln il prend lui-même la parole et expose au lecteur
sa manière de voir au sujet de récits dont le caractère historique ne
lui parait pas solidement établi :
Quod autem de saricto Ilyiario sulel dici el ab aliquil)Us compilatoribus scribi.
quod Léo papa, Arriana heresi depravalus, sedens in consilio prelatorum, tardiu>
''' P. aSy ; suivent des extraits relatils a d'Auguste Muliniei sur ce point: «Bien de*
sainte Valérie et à saint Pons. tfois, il fait pieuve de ce qu'on appelle aujoui-
''' P. 289 ; suivent des indications relatives ■ d'hui l'esprit critique; il pèse et apprécie les
à saint Privât et à saint Pons. • témoignages, et au lieu de chercher à les
'^' Delisle appuie ses dires en publiant •concilier tant bien que mal, comme beau-
quelques extraits relatifs à saint Georges, à • coup d'écrivains de son temps, il s'attache
saint Cyr et à sainte Julitte, à saint Pons, «à faire un choix raisonné entre deuv ver
à saint Baudile, p. 289-191. «sions contradictoires d'un même fait. Cette
''' Cet exemple permettra au lecteur de «qualité se montre notamment dans le 5a«(-
reconnaitre ce qu'il y a de juste et de corriger ttornle. . . • (Source.* de thifloiie de linnte,
ce qu'il y a d'un peu excessif dans le jugement l' t. \, introd. gén., S 172).
SEJ ECRITS. 171
vfnipnti llvlai'io dixPi'it : « Tu ps Gallus, sed non do g<THina », et ipse Hylarius lespon-
(lerit ei : « Tu es Léo, sed non de tribu Juda »; et quod, in consilio nutio sibi assur-
gente vcl locum dante, ipse in terra sedere volens dixerit : • Doniini est terra «, et
ipsa tellus se erexerit et excrev[er]it ; (|uod eciam papa sibi comminando , sicut Hyla-
rius predixerat, subito expiraverit, non \idetur habcre consonanciam cum hystorie
verilate, quoniani in gestis ejus verioribusetantiquis, nec eciam in aliquibus antiquis
cronicis Ensebii, Jeronimi, Prosperi et Ysodori [sic), de hoc nulla niencio invenitur;
nulla eciam hystoria dicit , nec in gestis pontificum Romanorum invenitur aliquem no-
mine Leonem tempore Hylarii sedi apostolice prefuisse; nisi forte Liberius papa, qui
Cunstancio et suis iabe Arriana iiifectis [postquam ab cxilio Romam rediit] favebat,
Léo alio oomine vocaretur, vcl forsitan illo tempore fuerit aliquis falsus pseudo-
antipapa [sic) Léo vocatus. Et ideo predicta, tanquam ambigua et incerta, suntpenitus
relinquenda^^'.
IV. — Histoire HKs CONCILES.
7. J)h: TEMIOHK CELEBfiATIONIS CONCIUORUM^'^I
Le titre complet et le début sont ainsi donnés par les manuA^rils :
Incipit Iractatus hrevis de lemporihiis cl nnnis (jeiieralium et particalarinm concilionuu.
t)c sacrosanlis synodis seu «onciliis generalibus seu universalibus trartans
(îracianus . . .
Il existe deux rédactions de cet oiivra«^e. La première, terminée
entre la mort du pape Clément V (2.3 avril i3i/i) et l'élection du
pape .lean XXII (y août i3i6), sans qu'on en puisse préciser davan-
tage la date, a pour derniers mots: « sede Romana vacante hodie
« qiio hoc scripsi». Elle nous est parvenue dans huit manuscrits au
moins, dont un original.
La deuxième est beaucoup plus abondamment représentée dans
les bibliothèques. Delisle en a énuméré dix-neuf manuscrits, dont
'"' Bibl. nat.. lat. 54oH,fol. i3°. — Sur res |ias ignoré romplétement , car on lit dans les
récits légendaires, échos des relations diffi- F/or« (/ironiVornni , sous Léon I" :« (llanieiiinl
ciles de saint Hilaire d'Arles avec le pape «hoc tempore Genovefa virgo Parisiensis,
Léon I", qui ont fini par s'attacher à saint t Euckeriiis, Lagdunensis archiepiscopus, it lly-
Hilaire de Poitiers, beaucoup plus célèbre larius Arelatensis.. . t (Bibl. nat., lat. 4()83
que son homonyme, voir les indications réu- fol. 35; les mots soulignés ont été ajoutés en
nies par M. Paul Fournier, Mélange.^ Julien marge par l'auteur; de même dans Bibl. nat.,
Havet (Paris, 1895), p. 271, note à. Saint lat. nouv. acq. 1171, fol. a6).
Hilaire d'Arles, honoré le 5 mai, ne ligure pas ''' Art. xx de Delisle, p. 3oo-.3o3, SS i5a-
dans le Spernlum , mais Bernard Gui ne l'a i55.
172 BERNARD GUI, FRKRE PRECHEUR.
quatre originaux, auxquels de récentes découvertes permettent d'en
joindre au moins cinq autres'"'.
Cette rédaction est postérieure, probablement de peu, au mois
de novembre iSiy, cai- elle mentionne la bulle de lean XXII, qui
promulgua les Clémentines, dans la dernière plirase, ainsi terminée :
M constitutiones que usquc tune steteranl in suspenso ». Elle ne ditFère
guère de la première, en dehors de l'addition finale, que j)ar des
indications bibliographiques recueillies par Bernard Gui dans le
voyage qu'il fit en Italie, pendant cette même année i3i 7, en com-
pagnie de Bertrand de La Tour'"''; ces indications se réfèrent toutes à
un manuscrit «in littera anticpia dlft(jngala " , qu'il déclare avoir lu
dans la bibliothèque do la cathédrale de \érone'^'. Des notes plus
détaillées, sur ce manuscrit et sur d'autres analogues, nous ont aussi
été conservées, l^ernard Cui y mentionne des manuscrits de l'abbaye
de Saint-(TaU, de l'Hôpital de Saint-Jean d'Acre, des Dominicains
d'Orvieto, et enfin un manuscrit des Dominicains de Bologne, qu'il
déclare avoir eu à sa disposition'*'; toutefois, dans le remaniement
de sa première rédaction, il n'a fait état que du manuscrit de Vérone.
Frère Jean Golein traduisit l'opuscule de Bernard Gui sur les
conciles, en iSGg, à la demande du roi Charles V; nous avons déjà
eu occasion de signaler le seul manusciit qui renterme l'ensemble de
ses traductions'^'. Ajoutons que Jean Golein a eu sous les yeux la pre-
mière rédaction de l'auteur'^''.
Texte et traduction sont restés inédits, et la nature de l'opuscule
ne le fait guère regretter, car c'est un sommaire très sec et cjui n'offre,
''* l'aris, Bibl. nat., lai. nou\. acq. 779; autre de Bernard Gui ; cl. C'nf'//. co(/ir. /a<. BiTi/.
Gaiiibridf^'e, Corpus Christi Collège 45 (Mon- reg. Monac, t. Il, a' partie, p. 1/17, n° i4333.
iague Whttdes Jantes, A descriptive catalogue ... , '"' Voir ci-dessus, p. i5o.
Cambridge, 1909, p. 91); Merville (Mém. de ''' Delisle, p. 3os.
(a Soc. iiiclwol. du Midi de lu France, i886- -'' Cf. Delisle, p. 3o2-3o3 : • Gesta Galce-
1889, t. XIV, p. 445-4'i7); Rome, Vatir. «donensis synodi et librum sancti Secnndi
Regin. lat. (Jgc) (Bibl. de l'Ecole des chartes, «contra Macedonium, item gesta sexte synodi
1876, t. XXXVll, p. 517), et Valic. Palat. « apud Constantinopolim inveni Bononie, in
lat. 588 (communie, de M. Jassemiii, membre «annario Fratruin Predicatorum. » Delisle
de l'Ecole Irançaise de Rome). Les renseigne- public ces notes d'après un manuscrit de la
ments tournis sur le nis. lat. 'I973 de la Bibl. comtesse Le Gonidec de Traissan ; nous pou-
iuipér. de Vienne par le catalogue ofTiciel vons certifier qu'elles se trouvent aussi dans un
[Tabulée codiciiw , I. III, p. 458) ne sullisenl manuscrit du Vatican, Palat. lat. 965, fol. 355.
pas pour le classer. — Un manuscrit de Mu- '' Ci-dessus, p. 157-1 58.
nich, mentionné par Delisle sur la foi de Pot- '"' Voir les Mélanges de l'Ecole française de
tha.st, ne contient ni cet opuscule ni aucun Rome, 1881, t. I, p. a65 et 370, art. vi.
SES ECRITS. 173
pour le fond, qu'un intérêt assez restreint'''. Mais il est heureux que
l'infatigable curiosité de Bernard Gui se soit portée dans cette direc-
tion, car nous lui devons, sur le concile de Lyon, réuni en i 274. la
rédaction d'un épitomé qui ne manque pas d'intérêt, et auquel il
nous paraît bon de consacrer un article spécial, bien que Delisle se
soit contenté de le mentionner en appendice de son article xx, et que
le mémoire résumé par notre auteur ne soit pas perdu sous sa forme
primitive, comme on l'a cru longtemps.
8. EXTRACTIONES DE LIBRO QUEM FECIT FRATER HyMBERTUS DE RoMi^lS
DE HIIS QUE TRACTANDA IIDEBANTVR /A' CONCILIO GE\ERAU LuGDUM
CELEBRANDO SUB AN/\0 DoMlNl M" C(f LXX" HW^'^^
Martene et Durand ont publié, d'après les papiers de Mabillon et
sous le titre que nous venons de reproduire en l'abrégeant un peu,
des extraits faits par Bernard Gui d'un important traité de frère
Humbert de Romans, maître général des Dominicains, composé en
vue de la réunion du concile général convoqué à Lyon, pour le
1" mai 1274, par le pape Grégoire X*"**. La copie de Mabillon a
certainement été exécutée sur le manuscrit du Vatican qui porte
aujourd'hui le n" 880 dans le fonds de la reine Christine, et
que Delisle a décrit en 1876''''. C'est d'après cette copie qu'il est
parlé de ce traité de frère Humbert dans le recueil de Quétif et
Echard'^'. Delisle a signalé un autre exemplaire des Extractiones
de Bernard Gui dans un manuscrit de la comtesse Le Gonidec de
Traissan. Le même texte se lit dans deux autres manuscrits, con-
servés au Vatican (Palat. lat. 588, fol. 96, et 966, fol. 209), bien
que la table placée en tête du second de ces manuscrits puisse don-
ner le change et faire croire qu'il s'agit du traité même de Humbert
de Romans, puisqu'elle porte : « xxi. Item, liber fratris Hymberti de
Romanis. . . »
Inc. : Ad omnes siquidem prelatos pertinet vigUare . .
Des. : . . . ante concilium vel post , illa expédiât sine ipsis.
'"' Remarquons cependant qu'un fragment , ''' Veleram scriptoruni ampUssima collectio ,
relatifà la promulgation des Clémentines et qui t. VII (1733), col. ly^-igS.
termine l'opuscule, a été publié en 1 855 dans ''' Bibl. de l'École des chartes, 1876,
les Historiens de la France ,i. XXI, p. 733, n. 5. t. XXXVII, p. 5 16.
'" Art. XX de Delisle, p. 3o3, S i55. C' Script. Ord. Prœdic. t. I, p. lAGi/i?.
1 4
17'l BKRNARD GUI. FRERE PRECHEUR.
Nos prédécesseurs, dans l'article qu'ils ont consacré à Humbert
de Romans'"', ont cru que le manuscrit du Vatican, mis à la dispo-
sition de Mabillon, contenait le texte même de frère Humbert, dont
Mabillon n'aurait pris qu'une copie imparfaite et dont Martene et
Durand n'auraient inséré que «quelques extraits» dans leur AmpUs-
sima collectio. La vérité est différente : Mabillon a copié intégralement
ce que contient le manuscrit de la reine (Christine (les trois autres
manuscrits que nous avons mentionnés ne contiennent rien de plus),
et Martene et Durand ont publié intégralement la copie de Mabillon,
c'est-à-dire les E.rtractiones de Bernard Gui. Une intéressante consta-
tation a été faite n-cemmentà ce sujet. M. Max Hueber a identifié le
texte original du traité de Humbert de Romans, qu'aucun manu-
scrit ne nous a conservé, avec VOpiis tnpartitnm imprimé à Londres,
en 1690, par Edward Brown,dans VAppendi.r du célèbre Fascicalus
jvnim cxpetendarnm , dont le premier tome, paru sous le nom de Gra-
tins, remonte à i535''^'. L'identification est tout à fait sûre. Bernard
Gui a résumé, livre ])ar livre, cbapitre par chapitre, le traité com-
posé par Humbert de Romans. Dans un chapitre, le rapport indiqué
se trouve interverti. H s'agit du chapitre xi du troisième livre, intitulé
dans Brown : «Circa Imperium » et dans \Amphss.ima collectio : «De
'< corrigendis circa Imperium »; le texte de Bernard Gui est beaucoup
plus étendu que celui de Humbert de Romans. Comme ce chapitre
offre de l'intérêt pour l'histoire générale, nous croyons utile de
mettre les deux rédactions sous Ips veux du lecteur. Connaissant le
manuscrit de la reine Christine par une reproduction photogra-
phique, nous sommes en mesure de donner un texte plus exact que
celui de Martene et Durand.
Bernard Gui. HrMBERT de Romans.
(' M'vr M. — De corritjendis circa Imperiam. Capvt xi. — Circa Imperium.
Ciica Imperium vacans, videretur In muitis nationibus, quae subjacent
constitueiidiis vicarius ad quem habe- Imperio, ut sunt itltT nationes, in quibus
retur n-ciirsus propter gueiras et casus olim fuit legnum Arelatense et siniiies,
varios émergentes, vel addendo quod fiunt ex defectu domini generaiis, cujus
statueretur, cuni pace comnmnitatum , non habent copiam, ad quem possint
''' Jlisloire littéraire, t. XIX, p. 342. Vienner Generalconcil (Leipzig, 1896), p. 46,
''' Gntnchten nnd Rejormrorschlàne fur das note 2.
SES ECRITS. 175
quod lex The-utonie fient non per elec- habere recursuin, innumeialulia niala.
tionem, sed per sucressionem , et esset Unde bonum viderotur, qiiod vel aiiquis
contentus d<Mncepb regno illo; et magis generalis dominas in illis nationibus
timeretur, et jnsticia in regno Theutonie crearetur, vel quud saltem imperator,
nielius servaretur. [teni, quod in Italia quando esset, vel papa, quando vacaret
provideretur de rege uno vei duobus, luiperiuni, provideret illis nationibus de
sub ceitis legibus et st;itutis, habito con aliquo vicario, ad queni recursiis in ni-
sensu conimunitatuni et preiatoruin, et cessitalibus urgentibus haberetur"'.
per sucressionem regnarent in poste
rum, et in certis casibus possent deponi per Apostolicam Sedem (aliquando enim
Lombardi regem habuerunt); vel quod rex in Lombardia institutus esset vicarius
Imperii in Tuscia, vaccante Impei io, et impeiatori conliimato et coronato per Apo-
stolicam Sedem, et non alitei-, regnum recognoscerel ut vassallus. Iniperiutn enim
quasi ad nichilum est redactum, et a pluribus [annis] citra, cjuotquot fuerunt electi
ad [mperium sen promoti, plura mala sub eorum dnnn'nio sequta sunt, et pax et
unitas turbata, et strages hominum facte et pauca bona sequta. Et alla multa sunt
que racionabiliter persuadent ut queratur niodus aiiquis conveniens ad providen-
dura circa hoc, si valeat inveniri ''^'.
Etant donné la conscience ordinaire avec laquelle Bernard Gui se
comporte vis-à-vis de ses sources, nous ne pouvons, semble-t-il,
admettre qu'il ait à ce point transformé et allongé le texte de Hum-
bert de Romans. Il nous faut supposer qu'il a utilisé, pour ce cha-
pitre, soit une rédaction de l'auteur, tout autre (jue celle dont le
manuscrit a servi de base à l'édition de Brown, soit un manuscrit
où un interpolateur n'a pas craint d'exposer ses propres idées sous le
nom de Humbert de Romans. Et ainsi, en tout état de cause, s'il n'a
pas le mérite exclusif de nous faire connaître, dans ses éléments
essentiels, l'œuvre du maître général des Dominicains, puisque le
texte nous en est parvenu indépendamment de ses Extractiones , Ber-
nard Gui nous révèle, sur la politique pontificale en Italie, des
considérations bonnes à méditer, quelle qu'en soit l'origine. Rien
ne permet de déterminer l'époque précise où il en a eu connais-
sance. On aimerait à penser que ce curieux morceau a été son vadf-
inecum au cours de la mission politique qu'il remplit en Italie pendant
l'année 1817.
''' Brown, AppenJu ud t'asciculum lerum '*' Ms. Vatic. Regin. lat. 880, fol. 73'; tl.
crpetendaram . p. ■îa8. AmpHss. coll.. t. VII, col. 198.
176 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
V. — Histoire des papes.
C'est à i'histoire, ou plutôt, comme il le déclare lui-même, à la
chronographie ^'' des papes, que Bernard Gui a consacré celle de ses
œuvres qui a obtenu le plus large succès. Il lui a donné le double
titre de Flores chronicorum ou de Catalocjus pontificum Rotnanoriim, en
laissant au lecteur la faculté de choisii' celui qui lui agréerait davan-
tage'^'. Nous userons de cette faculté et nous opterons pour Flores
chronicorum. Ce titre a l'avantage de distinguer nettement l'œuvre
en question d'une chronique abrégée des papes, rédigée concurrem-
ment par notre auteur, et dont nous parlerons après nous être
occupés d'abord des Flores chronicorum.
9. Flores chroi\icorum''^\
Dans un premier prologue, daté d'Avignon, le lendemain de l'An-
nonciation (26 mars) i3i 1 *'*', Bernard Gui déclare qu'il a passé plus
de cinq années à réunir les matériaux d'un livre qui doit s'étendre
de la naissance de Jésus-Christ jusqu'au pontificat de Clément V '*';
dans un second prologue, il annonce un abrégé ayant les mêmes
limites chronologiques que le livre complet'^'. Mais il renonça bientôt
à publier ces deux compilations sous la forme première qu'il leur
avait donnée dès 1 3 1 1 ; remettant la publication à plus tard , il s'oc-
''' » Cronographiam igitur, non liystoriogra- de dater dkprès le style de Pâques: c'est ainsi
(iphiam, in sequentibus prosequendoi (prolo- qu'il place la mort du pape Honorius IV, »ur-
gue des Flores chronicoram , dans Delisle, venue le 3 avril 1287, à la fin de 1286
p. 393) . [Hùloriens de la France, t. XXI, p. 708).
'*' « Quod quideni , ex ratione jam prelacta, ''' «Usque ad tempera domini démentis
» potest non inconvenienter intitulari : Flores «pape quinti,quihodie, scilicet in crastino An-
• a-onicorum , vel , si cui magis placuerit , Catha- • nunciacionis dominice , quo hoc scripsi , sedet
clogus pontificum Romanorumn (prologue cité • in cathedra sanrti Pétri, cujus pontificatns
par Delisle, p. 394; texte d'après une des va- «anno sexto, Avinioni consistens, in Romana
riantes indiquées dans la noie 1). «curia, sine curis, anno Domini m°ccc*xi°,
''' Article II de Delisle, p. i88-a35,SS 14-72. «hoc conscripsl opus, a me jam antea plus
'*' Bernard Gui s'est fait une loi, et il en «quam quinquennio, cum labore scripture et
prévient le lecteur, de suivre le style méridio- «studii, premedilalum et in nienbranis ac
nal de son temps, qui changeait le millésime «memorialibus prenotatum ex libris origina-
del'année au 25 mars (Delisle, p. 372 , fin de la «libus plurium cronicorum. » (Delisle, p. 190
note 5 de la page précédente). Il lui est cepen- et 393-394).
dant arrivé, au moins une fois, de la violer et '*' Delisle, p. 190.
SES ECRITS. 177
cupa, pendant quelques années encore, de remanier son texte et d'en
poursuivre la rédaction jusqu'au moment où son travail de remanie-
ment serait terminé. Ses deux prologues devinrent ainsi caducs;
il les modifia lét^èrement pour annoncer qu'il irait jusqu'au début du
pontificat de Jean XXII '"'. En fait, il semble avoir offert, dès i3i5,
au maître général des Dominicains, Bérenger de Landorre, un
texte des Flores chronicornin ; mais ce n'était qu'une ébauche, puisqu'il
lui offrit un nouveau texte le i" mai i3i6'^'. C'est donc la date
de i3i6 qu'il convient d'attribuer à la première édition réelle de
cette célèbre compilation, qui descend, selon les manuscrits où elle
nous est parvenue, jusqu'à i3i5, i3i9, i32o, i32i, i327, i33o
ou i33i.
Delisle a étudié directement et classé trente-sept exemplaires des
Flores chromcorum; il en a mentionné, en outre, dix-sept autres, quel-
ques-uns perdus, plusieurs sans intérêt particulier, ou insuffisamment
connus. Nous renvoyons à son mémoire le lecteur qui voudra avoir le
menu détail de cette magistrale enquête bibliographique et saisir en
(luelque sorte sur le vif l'activité soutenue de Bernard Gui et ses
efforts, prolongés jusqu'à la veille de sa mort, pour tenir au courant
l'œuvre immense qu'il avait entreprise et qu'il ne perdit pas de vue,
malgré tant d'autres travaux absorbants, pendant un cpiart de siècle '^'.
11 suffira, pour le but que nous nous proposons ici, de résumer les
résultats des recherches de Delisle, résultats que l'on peut considérer
comme définitifs, du moins dans leurs grandes lignes, et qu'il a
consignés lui-même dans un tableau récapitulatif'''. Nous nous con-
tenterons de signaler, chemin faisant, les manuscrits les plus impor-
tants, et ceux que l'illustre savant n'a pu connaître ou étudier à fond.
Inc. (après les deux prol()j;nes) : Jhesiis Ctiristus, filius Dei ab eterno genitus...
Première édilion, dédiée à frère Bérenger de Landorre. — Le texte se
termine, à la fin de l'année i3i4, par la mention de l'avènement du
roi de France Louis X, avec ces mots : " filius ejus primogenitus Lu-
dovicus». Il est contenu en original dans le ms. Bibl. nat., lat. nouv.
''' Delisle, p. 190-191. ne fit pas de remaniements internes, mais se
''' Ibid., p. 191-192. contenta d'ajouter à ia fin de chaque nouvelle
''' Il semble cependant que, une fois les pre- édition un court supplément chronologique,
mières assises établies , de 1 3o6 à 1 3 1 fi , l'auteur •'' Ibid., p. 2i5-ai6.
HIST. LITTÉll. XXXV. 33
i78 BhlKNAim (lUI, FRI^RK PlU':(;ilt:i II.
acq. 1171, où Bernard Gui lui-mènie a elTectutî des corrections el
des changements intéressant le fond et la forme'''. On y a ajouté
après coup une continuation qui pousse le récit jusqu'au com-
mencement de i3i6 et se termine par quelques détails sur une
comète; les derniers mots sont : « minor quam alia videbatur ». La
première dédicace à Irère HiM'erger de i.aiidorre avait été inscrite
sur cet exemplaire avec la date de Tannée et du mois; la date a été
modilléepar la suite de façon à être lue : » in kalendis maii, anno Verbi
« incarnali m''(:cc"xvi° ». La modification ayant élé faite par addition
pour le chiffre de l'année, il est facile de se rendre compte qu il y avait
d'abord «xv"»; mais le nom du mois ayant été récrit sur un grattage,
on ne peut restituer sûrement la leçon primitive.
Deuxième édition , dcdiée au pape Jean XXII (7 août i3i9). — Texte
s'arrêtant à l'institution des chevaliers du Christ en Portugal, le
i4 tnai's i3i9, avec ces mots : «aclum Avinioni, ad perpetuam rei
«memoriam». Le ms. Bibl. nal., lat. 4976, (pii le contient, est
contemporain de la dédicace; jieut-être faut-il le considérer comme
un original.
Troisième édition, dédiée au pape Jean XXII (7 août i32o). — Texte
s'arrêtant à la canonisation de saint Thomas de Canteloup, évêque de
Hereford (17 avril i32o), avec ces mots : «et colendum exhibuit
«universis». Le plus ancien manuscrit est le lat. 49^3 delà Biblio-
thèque nationale, sur lequel Bernard Gui lui-même a consigné
maintes corrections et additions, et dont l'importance n'est pas
moins grande que celle du manuscrit oiiginal de la première édition
(pir nous avons signalé ci-dessus'-'.
Quatrième cdilion'^^ . — Texte s'arrêtant au traité conclu entre le
roi Philippe V et les Flamands, en mai i320, avec ces mots : « hac
'-'' Il faut remarquer que le texte imprimé nait la troisième édition. L'étude directe de ce
sous le titre de Preclara h'ruiirnnim facinora re- manuscrit, entré depuis lors à la Bibliothèque
pose sur un manuscrit perdu de la première nationale (cf. ci-dessus, p. 157, note 3), ne
édition, où le texte de Bernard (>ui n'avait conlirme pas cette conjecture; c'est en réalité la
pas subi tous les remaniements qui ont élé dixième édition qui s'y trouve,
effectués dans le ms. Bibl. nat. , lat. nouv. acq. ' Peut-être s'agit-il plutôt d'une copie tron-
I 171 ; cf. ci-dessous, p. i83. quée de l'édition suivante; Delisle ne tranche
'*' Delisle avait conjecture que le ms. 9662 pas la question, qui nous parait insoluble
«le la collection de sir Thomas Phillipps conte- connue à lui.
SES ECRITS. 17<J
«de causa specialiter destinai!. Deo gratias». Le seul exemplaire
connu est le ms. Bibl. nat., lat. ^982, exécuté par une main Italienne
vers la lin du xiv' siècle. Notons cpie cette édition a servi de base à la
traduction provençale mentionnée plus loin'''.
Cinquième édition. — Texte s'arrêtant à la oréation de cardinaux
qui eut lieu le 19 décembre 1820, avec ces mots : « tltulus dyaconi
cardinalis Sancte Marie in (^osmidin ». Le manuscrit original, décrit
minutieusement par Delisle, est conservé à la bibliothèque de Tou-
louse sous le n° /|.5o (72 de Delisle). Dans cette édition figure pour la
première fois le récit consacré par notre auteur à l'émeute des Pastou-
reaux, récit souvent cité par les historiens modernes.
Sixième édition. — Texte s'arrêtant au châtiment des lépreux en
i3 2 1, avec ces mots : « viris a mulieribus penitus separatis ». L'exem-
plaire le plus ancien est le ms. liibl. nat., lat. 4 976 A, peut-ètie
exécuté sous les yeux de l'auteur'^'.
Septième édition. — Te.xte s'arrêtant .1 la caucuisation de saint
Thomas d' Aquin ( 18 juillet i.'ia^), avec ces mots : « aliis miraculis
« in vita claruit et post morteni ». Delisle n'en signale c^u'un manuscrit,
conservé à la bibliothèque de Besanc'on sous le n°854,et il se demande
s'il s'agit d'une édition réelle, ou d'une copie tronquée de l'édition sui-
vante, tout en inclinant vers la première manière de voir.
Huitième édition. — Texte s'arrêtant aux ellorts de Louis de Bavièi-e
et de l'antipape Nicolas (Pierre de Corvara) pour troubler la paix de
l'Eglise (1.327), ^^^^ ^^^ mots : « suo post tem])ore scribendoium ».
Delisle en énumère dix manuscrits. Il faut v ajouter un manuscrit de
la bibliothèque de Leyde (n" 79 de l'ancienne série des nianuscrits
latins), décrit et classé par lui un peu plus tard''', et un manuscrit
de la bibliothèque privée du roi d'Espagne, à Madrid, coté 2 G 1,
sur lequel des renseignements ont été publiés depuis par un savant
''' Ci-dessous, p. i8i. temenls , I. XX, i8i)3, p. 167-168), et Taulie
''' Deux manuscrits de cette édition ont à Madrid, Bibl. nacionai, X 29 (iVeues ,4rt7iir ,
été décrits depuis la publiration du mémoire 1881, t. VI, p. .Si 5).
de Delisle : l'un est au Mans, n° 235 [Cat. •'' Dans ses Mélnnges de paléographie et de
ge'n. des manuscrits i/cv hihi. de France, Dépar- bibliographie (Paris, 1880), p. a33-234.
23.
180 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
allemand qui ne l'a pas sainement jugé'*'. Cette édition a servi fie
base à une des traductions fraïKjaises mentionnées plus loin <^^
Neuvième édition. — Texte s'arrétant à l'abjuration de l'antipape
Nicolas (août i33o), dont la formule, y reproduite, se termine par
ces mots : «facere queVestra Sanctitas duxerit ordinandum ». Un seul
manuscrit nous est connu : Bibl. nat., lat. '^975. Cette édition a servi
de base à une des traductions Irançaises mentionnées plus loin '^*.
Dixième édition. — Les exemj)laires de cette édition ne contiennent
pas la formule de l'abjuration de l'antipape, qui a pris place dans la
neuvième; ils ajoutent directement au texte de la huitième soit une
note sur un voyage de Louis de lîavière en Allemagne, effectué un
peu avant Pâques iS'^g [dcsimt : «in Theutoniam est reversus»), soit
îa mention de la promotion au cardinalat de févêque d'Auxerre,
Talleyrand de Périgord, le 'j4 niai i33i [desmil : «et nullum alium
« ista vice»), soit les deux compléments à la fois**'.
Le succès des Flores clironicoruni n est pas seulement attesté par le
nombre considérable des copies qui s'en répandirent dans tout l'Oc-
cident*^', mais aussi par quelques autres faits plus significatifs. Non
seulement, dans six des manuscrits qui nous sont parvenus, l'œuvi'e
de Bernard Gui a servi de point de dé])art à des continuations plus
ou moins considérables'"'', mais plusieurs chroniqueurs en ont fait
'"' Ce manuscrit a éti' di'ciit par P. Ewald, lat. 465 {Tabulée coilictiiii , I. I, iSfi/i, p. yfi),
qui y a vu à tort l'œuvre de Martin le Polonais deux à l'Escorial, 0. ii. 6 pI P. i. i5, dont le
pourvue d'une continuation (!\eiies Archiv , texte a été tronqué dans le récit de la prise de
1 88 1, t. VI , p. 344-345) ; l'erreui a été corrigée, Ferrare en août i3o9 {Neaes Archiv, i88i,
peu de temps après, pai- Holder-Egger [ibid., t. VI, p. aSç) et a6o-a6i; cf. Guill. Antolin,
p. C53-654). Catàlogo ci[é, l. Ul, igiS.p. 197-198 et 267-
'"' Ci-dessous, p. 182. 268), et un dans la coDection Hamilton,n°527
<" Ibidem. (A'eues /l rc/iic, 1 883 , t. VIII, p. 339). Ajoutons
*' Aux cinq manuscrits signalés par Helisle, que le premier feuillet d'un exemplaire détruit
il faut ajouter : Madrid, Bibl. nacional, I i 93, forme la reliure du registre des Archives de la
exemplaire offert par Bernard Gui à Philippe VI Haute-Vienne coté D 20 [Iitventaire sommaire,
en i33i {Bibl. de l'Ecole des chartes, 1896, Limoges, 188a, p. 9).
t. LVII, p. 637-639) et Merville {Mém. de la '*' Le détail est donné par Delisle, p. 321-
Soc. anhcol. du Midi de 1(1 Friiiue . 1886-1889, 22a; cf. MoUat, Etude critique sur les Vitaf
1. XIV, p. 42()-43i)j. paparum Avenionensium d'Etienne Baluze,
''' Jlelisle a mentionné cinquante-quatre ma- Paris, 1917 , p. 33 et suiv. Sur la continuation
nuscrits des Flores. Bien que nous en ayons annexée à la traduction française des Flores
nous-mêmes cité (juelques autres, en les répar- chronicoram contenue dans le ms. Bibl. nat.,
tissant entre les différentes éditions, il en reste franc, nouv.acq. 1409, voie, ci-dessous, p. 182,
encore à énumérer quatre : un à Vienne, note 2.
SES ECRITS. 181
jjasser la substance, et parfois les termes mêmes, dans leurs propres
ouvrages, notamment Henri de Hervord''*, Amauri Augier, Fran-
çois Pippino'"' et Pierre de Herenthals *"''. La dernière édition du
Liber pont ificali s reproduit textuellement la fin des Flores, âe Martin IV
à Jean WII''"'. Rappelons aussi que Raoul de Prrsles et Guillebert
De Mets ont fait appel à l'autorité de Bernard Gui dans les passages
oîi ils traitent des l'Vancs et des origines tle la ville de Paris '^'.
l'ne autre forme de succès, et plus intéressante peut-être, n'a
pas manqué à l'œuvre de Bernard dui : dès le xiv^ siècle, des
traducteurs ont mis les Flores chronicoram en provençal et en fran-
çais.
Le seul manuscrit conservé de la traduction provençale se trouve
à la Bibliothèque nationale, où il porte le n° i/iQ^o du fonds français.
11 n'a pas échappé à Raynouard, qui lui a fait quelques emprunts
pour son Lexiane roman '•"'. Le premier et le dernier feuillet ayant été
mutilés, on ne peut affirmer que le traducteur ait gardé l'anonyme,
mais le fait est probable. En tout cas, l'écriture est antérieure au
xv^ siècle, et la langue, où les lois de la déclinaison sont assez bien
observées, prouve que cette traduction a été exécutée peu de temps
après la mort de Bernard Gui. Le système phonétique et le lexique
paraissent indiquer comme lieu d'origine l'Albigeois ou le Querci.
Le traducteur a eu sous les yeux un exemplaire de la quatrième
édition. Il a rendu très fidèlement ce texte et n'a pas cherché à
dissimuler le nom de l'auteur, qu'il énonce sous la forme « fraire
BernartCîui « *'.
Nous possédons des Flores chronicoram deux anciennes tra-
''' Liber de rébus memorabilibus , publié par ''' Mollat, ouvr. cité, p. 107.
Potthast (GoUingue, 1859). ''' Voir l'édition L.Duchesne, l. II, p. xxxix,
''' Les rapports d' Augier et de Pippino avec xlv, xlvii, xlix, 449-485.
Bernard Gui ont été étudiés par Dietrich Ko- ''' Le Roux de Lincy et Tisserand, Paris et
nig, Plolemdcus von Lncca und die Flores chro- ses historiens. ... p. 99, 106, i.'^i et 137.
nicorum des Beniardus Gaidonis (Wurzbourg, '*' Ces emprunts ne sont pas exempts
1875), p. 43 et 46, et pari'abbé Mollat, oum'. de fautes de lecture : c'est ainsi; par exemple,
cité, p. ioi-io5. Il ne semble pas, malgré ce qu'un mot bien clair, badabec ■bàilloni
qu'on en a dit, que Bernard Gui doive grand (fol. 128"), a été transformé, dans le Lexiqae
chose à Ptolémée de Lucques; cf. ci-dessous, roman, en badahec.
p. i85, notes 4 et 5. D'autre part, la chronique ''* Une chronique provençale qui a péri, en
française de Simon de Montfort, que contient 1871, dans l'incendie de la bibliothèque de
le ms. Bibl. nat., franc. 6733, n'est pas traduite l'Ordre des avocats à Paris, était peut-être
du texte de Bernard Gui, mais de celui traduite de» Flores chronicoram (Delisle,
d'Amauri Auger. , p. î35).
182 lîKRNAHI) (ILI, Pr.KMK PRF.r.IlKLR.
(luctions trançaisos bien disliiirtes el pour la forme et pour
l'esprit''^
F>'nne nous est parvenue en trois exemplaires : Hihl. nat., franc.;.
17180 et franc, nouv. acq. 1^09 (jadis bihl. fie la (Ihambre des
députés, E 169 rt); Rome, Valic. Refi^in. lat. 700. l^e traducteur a
fait précédei' l'œuvre propre de hernard Cui d'un abrégé d'bistoire
ancienne, qu'il a tiré du Manuel rédigé par un anonynie pour Pbilippe
de Valois en 1 3 'i 6. S'il a conservé les prologues ;le Bernard Gui, plus
on moins intelligemment rendus, il a eu soin d'en retrancher son
nom et ses qualités. Sa traduction repose sur la neuvième édition;
mais il résume souvent au lieu de traduire, et il interpole parfois
dans le texte des pas.sages enq^runtés soit au Manuel de Philippe de
Valois, soit à d'autres sources. Comme le manuscrit, qui a passé de la
(ihambie des députés à la Bibliothèque nationale, porte une note
autographe signée de Charles \ , où le roi déclare qu'il l'a fait copier
en 1.H68, nous avons là un terminus ml rjurni pour la date de cette
traduction peu fidèle, mais c'est tout ce que nous en pouvons dire*"^'.
L'autre n'a été signalée que dans le manuscrit T^. iv. •.?- (autrefois
107 du fonds français] de la bibliothèque de Turin, lequel paraît
avoir été écrit au milieu du w*^ siècle*^'. Nous ne savons rien de l'au-
teur de cette traduction, mais son stvle indique qu'il est sensible-
ment plus récent que l'auteur de la traduction précédente. Il est aussi
plus consciencieux. Non seulement il traduit plus fidèlement, mais il
met en vedette le nom de « l'acteur » dès le début de sa traduction,
après la rubrique qui sert de titre : " Cy commence le pwlogue du livre
" nui est intitulé : l^es Fleurs des croniques, ou la Description de tous
■1 les evesques romains. Et commence T acteur : Je, frère Bernard Guy,
1 de l'Ordre (lesPrescheurs,de l'auctoritédu siège de Rome enquerreur
« de l'eresie es parties de Tholouse. ..«Ha eu sous les yeux le texte
de la huitième édition.
•'' Ce qui a été dit à ce sujet par Delisle, ''' Le manuscrit de la Bibl. nat., franc,
i). aa'j-'ilii, el même dans ses Hech. sur In nouv. arq. 1409, a reçu une cotitinuation qui
librairie de Charles V, partiel, p. 96 et a8i, pousse le récit des événements jusqu'en 1.343;
est devenu caduc; voir les Mélanrjes publiés cette addition est aussi étrangère à l'œuvre du
par lEcole (rançaise de Rome, 1881, t. 1, traducteur primitif qu'à celle de Bernard Gui.
p. 259 el sulv.,et Camille Couderc, Le \fiinael Delisle, qui la croyait de frère Jean (îoiein.l'a
d'histoire de Philippe VI de Valois, dans Etndes publiée fp. 4.3<-i-35).
d'histoire da moyen âije dédiées à Gain iel Monod '' Détruit dans l'incendie du ■>.() janvier
(Paris, i8()6), p. 4i 5-'i'i'l. '9"'i-
SES ÉCRITS. l«3
Les Flores clirouicorum n'ont pas été imprimés anciennement dans
leur intégrité et avec le nom de leur auteur sur le litre , mais il a paru ,
proliablement au début du xvi^ siècle, un petit livre anonyme de
56 feuillets in-8", intitulé : l'reclaia Fraiworum Jacinora, qui repro-
duit l'œuvre de Bernard Gui pour la période comprise entre les années
1-202 et i3i i"'. L'éditeur a eu à sa disposition la première lédac-
tiou des Flores chroulcoruin, et, pour le récit de la condamnation des
Templiers, il nous ofTie un le\le plus concis, dont la (orm<^ lalim
ne nous a pas été transmise par les uuirmscrils qui nous sont |)ai-
venus, et qui doit être le premier jet sorti de la plume de Bernard
Gui'"^'. Les Preclara Frumoruin fac'iiionnn\\ été réimprimés, en iGi3,
par Gudlaume Gatel'^', et, en iG^g, par François Du Ghesne'*'. Une
traduction française, peu lidèle, a vu le jour, en iSôi, sous ce
titre : L'Histoire des (jucrres /aiclcs en i)l(isieurs lieux de la France
(Toulouse, Jacques Golomiès). Le traducteur, J. Fornier, qui a dédié
son œuvre à « Mons. J. Goignard, conseiller pour le roy en son par-
* lement en Tolose ", a cru que la chronique qu'il mettait en français
était de Guillaume de Puilaurens'^'. Une nouvelle traduction a été
insérée, en 182^, dans la collection Guizot, sous ce litre : Des (jesles
ijlorieux des Français, de l'an 1202 à l'an ISll^^K
il nous reste encore à signaler d'autres éditions partielles de l œuvre
de Bernard Gui, dues à dilTérenls érudits, et indépendantes du livre
paru au début du xvi^ siècle dont nous venons de suivre la singulière
fortune.
Les dernières pages, à paitir de l'année i3o5, ont été mises au
jour, en 1698, par Baluze, d'après la dernière rédaction de l'auteui ;
l'éditeur les a scindées en deux sections, sous les titres respectifs de :
Quarta Vila démentis V, et Terlia Vita Joannis XXIF^K En 1716, dans
ses Miscellanea, le même savant a publié la vie du pape Innocent IV'"'.
'' b^ieniplaire au déparleuient des Iniprlinés '^' Exemplaire au dépailemeiil des Impriincs
de la Bibliothèque nationale sous la cote de la Bibliothèque nationale sous la cote La'" 4.
La'" i. B. Hauréau, dans les Comptes rendus de '"' Coll. des mémoires relatifs à l'histoire de
tAcad. des Insvr., 1871, p. sG^-a^S, a montré France, t. XV, p. 333-4io.
que Pierre de Lodève, prétendu auteui de ce ''' Vitœ paparam Avenionensiuni , l. l.tol.Gl-
livre, était un auteur imaginaire. 84 et 1 5 1-170. Une nouvelle édition de ces
'"' Delisle, p. 323-325. textes, faite d'après tous les manuscrits, a été
'' Hist. des comtes de Tolose. app. , p. 111- donnée par M. l'abbé Moliat (Paris, nji6).
1 55. <•' Miicellnnea. t. VII, p. 4o5-/|o6 ; éd. Mansi
'*' Hist. Franc. Scriptores , t. V, p. 7G4-792. (Lucques, 1761), t. I, p. 206.
18'l BERWRl) (ill. FRKUE PRECHEIH.
La première partie, jusqu'à Grégoire VII inclus, a fié édi-
tée, en i84i, d'après le manuscrit 2of\3 du Vatican, par le
cardinal Mai ''', mais avec des arrangements, des interpolations
et des suppressions arbitraires qui rendent peu sur l'usage de cette
édition.
La seconde partie, de Victor III inclus à Jean XXII, a été fidèle-
ment reproduite, en 1723, par Muratori ''^', d'après le manuscrit A
inf. 267 de l'Ambroslenne.
Enfin, des extraits relatifs aux xiii^et xiv" siècles ont été imprimés,
en i855, par Natalis de Wailly, d'après les manuscrits latins 497^,
4976 et 4977 de la Bibliothèque nationale'^'.
Ce long exposé de l'exécution et de la diffusion des Flores clironi-
cnrum ne doit pas ^aire perdre de vue le caractère de l'œuvre et la
place qui lui revient dans l'historiographie du moyeu âge. L'idée
d'écrire un pareil livre n'avait rien de nouveau : l'auteur a marché
dans la voie où un autre Dominicain, Martin dit le l'olonais, avait
obtenu, quelque trente ans auparavant, un succès considérable avec
son Clironicon pontificiim et imperatoram , et Martin lui-même avait de
nombreux devanciers. Mais, comme un bon juge l'a reconnu, la
chronique de Bernard (lui est conçue «sur un plan beaucoup plus
« vaste et exécutée avec un souci bien supérieur de la précision et de
« l'exactitude '''' ». Mérite relatif sans doute, Martin le Polonais, malgré
son succès, étant très médiocre; mérite réel pourtant, à l'époque où
vivait notre auteur. L'information et l'élaboration n'y sont pas moins
remarquables que la largeur du plan. Delisle a montré en détail
([uelle conscience Bernard Gui apporte à indiquer ses sources, écrites
ou orales, quels efforts il fait pour dégager la vérité quand les
sources sont contradictoires'^'. Sa critique est toujours en éveil.
Qu'elle soit toujours judicieuse, il serait excessif de le prétendre.
Le plus souvent, il faut l'avouer, elle porte sur des minuties de
'"' Spicilegium Romanam, i.Vl,p. 1-373. l'Ordre des Frères Prêcheurs, ainsi que les
'"' Rernmitalicnrum Scriptores,t.lll,[>. 3bi- deux prologues. Il a fondu les Flores chroni-
G84. Muratori a pourtant omis les Vies des coram avec les Reges t'rancorum. Le premier
papes Pascal II et Gélase II. extrait des Flores (p. 6\)i) est relatif à la
'" Hisioriens de la France, t. .\XI, p. 691- mort du pape Honorius III (18 mars 1327).
734. L'éditeur a mis en tète les dédicaces '' Auguste Molinier, Sources de l'histoire de
adressées par l'auteur au pape Jean XXII et France, t. V, inlrod. génér. , S 17a.
il Bérenger de Landorre, maître générai de '*' Delisle, p. 367-375, SS ai7--!a6.
SRS ECRITS. 185
chronologie. L'auteur nous fatigue par son souci continuel de
reproduire les contradictions de ses devanciers, et il nous déçoit
plus d'une fois par la naïveté dont il fait preuve quand il veut les
résoudre. On sent bien qu'on a affaire à un chronographe, non à un
historien. Sachons lui gré, du moins, de nous en avoir prévenus
lui-même.
Il va de soi, d'ailleurs, que la partie ancienne des Flores, simple
compilation , n'offre pas le même intérêt que celle où l'auteur parle en
contemporain. C'est dans cette dernière qu'il nous louche le plus, et
c'est surtout d'après elle qu'il doit s'attendre à être jugé. On aimerait à
y trouver, non seulement plus d'ampleur, mais plus d'abandon, plus
de couleur, plus de vie. Il serait injuste cependant de prétendre qu'il
est toujours sec et terne, sans élévation dans le ton ni dans les idées.
Il lui arrive parfois de s'émouvoir et de penser fortement, comme
lorsqu'il raconte la désastreuse expédition du roi Louis X en Flandre*''.
Il n'en reste pas moins que ses deux principaux mérites sont la ])ré-
cision et l'exactitude'^'; il est rare qu'on puisse le prendre en défaut
sur les questions de dates ou de noms'^'. On a contesté que la fin des
F/oms, consacrée aux pontificats de Clément V et de Jean XXII, soit
entièrement originale. M. l'abbé Mollat, non content d'affirmer que
Bernard Gui a souvent copié Plolémée de Lucques jusqu'en 1 3 1 1 , ce
qui est une manière de voir admissible, sinon assurée, pour expliquer
la concordance fréquente des deux auteurs, prétend que, pour les
dernières années, il a utihsé quelque chronique ])erdue'*', ce qui est
une supposition gratuite. Une critique plus pénétrante a remis les
choses au point '^'.
Quelque hasardeux qu'il soit de porter un jugement d'ensemble
tant qu'on n'aura pas une édition intégrale des Flores établie sur les
manuscrits originaux et munie de toutes les références nécessaires,
nous estimons que l'œuvre de Bernard Gui mérite mieux que l'apprécia-
tion peu bienveillante qui en a été récemment présentée au pubhc '^'.
'•' Historiens de la France, t X\l, p. -j 2b. '*' Voir Maurice Prou, dans Journal det.
<*' Cf. ihid.,yi. xvi et xlvi-XLVIII. Savants, 1918, p. a35-242.
''' Quelques légères erreurs ont été signalées <"' «Si le début des Hores chronicoram té-
par M. l'alibé Mollat , Étude critique sur les Vitae . moigne d'une crédulité aveugle , d'une absence
paparum Avenionensium d'Etienne Baluze ( Pa- « complète d'esprit scientifique , la fin . . . dénote
ris, 1917), p. 3o. .de bonnes lectures » (Mollat, Étude critique.
'*' Etude critique, p. a4-25. p. aa-aS).
mST. LITTÉB. XXXV* 3^
180 BFRNARI) (lUI, FRERE PRECHEUR
10. PoyriFicES RoMAyi ''*.
Apres avoir terminé la première rédaction de ses Flores clironi-
corum, Bernard Gui y avait placé en appendice un abrégé comprenant
un texte encadré dans des gloses marginales'^*. Cet abrégé qui s appli-
quait à la fois à l'Iiistoire des papes, des empereurs et des lois de
France, ne paraît pas nous être parvenu sous cette forme primitive.
C'est que bientôt l'auteur eut l'idée de scinder son abrégé en trois, et
{[ue cette idée donna nais.sance à trois opuscules traitant respective-
ment des papes, des empereurs et des rois de France.
liernard Gui lui-même ne reconnaît à ces opuscules que le ca-
ractère de « manuels», et il n'y a pas lieu d'en parler longuement.
Renvoyant au mémoire de Delisle pour le détail minutieux, nous
nous contenterons de résumer à grands traits le résultat de ses re-
cherches. Parlons d'abord de l'opuscule consacré aux papes.
Les deux premières éditions, rédigées à peu de distance l'une de
l'autre (i3i4-i3i6), ollrent un texte encadré de gloses: il nous en
est parvenu au moins quinze manuscrits'^'.
Inc. (texte) : Jhcsus Cliristus, riUu.s Dei, Deus et Doiuinus noster. . .
— (glose) : Jhesus Ctiristus, qui est verus sacerdos. . .
Dans les deux dernières éditions, qui se suivent aussi de très près
(i329-i33o), l'auteur a fondu les gloses avec le texte et a fait de
son opuscule un appendice de son Spéculum sanctorale.
Inc. : Primus omnium poutilicuui Romaiiorum, Symon Petrus. . .
Cette dernière forme des Pontijices Romani a été beaucoup moins
répandue que la première. Delisle en a cité expressément sept ma-
nuscrits, auxquels il a supposé qu'on pouvait en joindre deux
autres sur lesquels il n'avait pas de renseignements très précis, le
n" 1206 de la bibliothèque de Trêves et le n° 9662 de la collec-
tion de sir Thomas Phillipj)s. Ce dernier (aujourd'hui Bibl. nat.,
lat. nouv. acq. 778-779) ne contient pas réellement notre opus-
''' Art. m de Delisle, p. a35-24o, SS 73-77. on peut ajouter Bihl. nat., iat. 9C71, inanu-
'*' Ihid., p. 394. sent de la seconde édition (Neaes Archir ,
''' Delisle en énmnrre quatorze, au\(|uei3 1881, t. VI , p. 48i).
SES ECRITS. 187
cule. En invanche, on le trouve, datf' de la quinzième année de
Jean XXII (i33o-i33i), dans le manuscrit I i g3 de la Biblioteca
nacional de Madrid, offert par Bernard Gui au roi de France Phi-
lippe VI '»'.
Une traduction française faite, en iSôg, par frère Jean Golein,
n'a été signalée que dans le ms. Vatic. Regin. lat. 697; elle repose
sur la première édition '^'.
La fin de l'opuscule, relative aux pontificats de (ilément V et
de Jean XXII, a été imprimée deux fois au xvii* siècle, d'abord
par Bosquet qui a emprunté son texte à un manuscrit du Collège
de Foix, à Toulouse'^', puis par Baluze, qui n'a pas indiqué sa
source'*'; les deux éditions reproduisent la dernière rédaction de
Bernard Gui.
VI. — Histoire des empereurs.
11. Imi'Eratohes HomA'M^^K
Les manuscrits qui nous ont transmis cet opuscule sont encore
plus nombreux que ceux qui contiennent le précédent; il y en a plus
de quarante, dont quelques-uns insuffisamment décrits jusqu'ici.
Inc. : Juiius Cesai , (|ui l't (îiiyiis Julius dicitiir. . .
La première édition s'arrête au couronnement de l'empereur Henri
de liUxembourg (2g juin i3i 2), avec ces mots : « annoDomini m°cc(:°
xii"". Elle est représentée par quatre manuscrits, dont trois ont reçu
après coup des additions incorporées plus tard dans les éditions
subséquentes.
La deuxième édition va jusqu'à la mort de l'empereur (Buoncon-
vento, 24 août i3i3), dont la mention, suivie de celle du transport
de son corps à Pise, se termine par ces mots : «corpus ejus apud
'"' Bibl.detEcote des chaiief, i8g6, t. L\l\ , in ea sederunl , historia (Paris, i632), p. 9
p. 638. et 18.
''' Voir les Mélanges publiés par l'Ecole '*' Vitm paparam Avenionensiam , t. I,
française de Rome, 1881 , J. I, p. 267 et 268- p. i33-i52 ; nouvelle édition par M. l'abbé
269. MoUat (Paris, 1916).
''' Pontijicum Roininoruiu,(iai e Gallia oriundi ''' Art.iv de Delisle, p. a4o-245, SS78 85.
188 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
Pisas». Delisle la signale, en connaissance de cause, dans trois nou-
veaux manuscrits, et il conjecture (ju'elle figure dans deux autres.
Aux derniers mots de cette édition, « apud Pisas », Bernard Gui a
ajouté après coup : «et sepultum». Delà une troisième édition, dont
Delisle cite onze nouveaux manuscrits'"'; quelques-uns ont reçu des
notes plus développées, mais toujours relatives au même empereur.
La quatrième et dernière édition, destinée à former un appendice
du Spéculum sanctorale, est précédée d'une courte préface; elle s'étend
jusqu'au moment où l'empereur Louis de Bavière quitta l'Italie pour
regagner l'Allemagne, un peu avant Pâques 1329. On en compte
au moins dix-huit manuscrits, qui se divisent en deux classes, selon
qu'ils se terminent par: « nondum eniravenit finis ipsorum malorum »,
ou par : « rediit in Teutoniam »'-'.
On a signalé deux anciennes traductions françaises bien distinctes
des Imperalores Romani : celle de frère Jean Golein, exécutée en 1869,
et celle d'un anonyme, qui paraît avoir vécu à la fin du xiV ou au
début du xv'^ siècle. La première repose sur le texte latin de la troi-
sième édition, dont la fin est ainsi rendue ; «et fu son corps porté
à « Pise et là lut mis en sépulture» ; elle n'est conservée que par le
ms. Vatic. Regin. lat. 697'''. L'autre dérive de la deuxième édition,
et se termine ainsi : « et après fut pourtés le corps de luy en Pise » ;
elle était contenue dans le manuscrit L.iv. 27 de la bibliothèque
de Turin, aujourd'hui détruit'*'.
Vil. — Histoire des rois de France et géographie de la Gaule.
12. Reges Francorum^^K
La première édition de cet opuscule a été achevée le a 1 octobre
'' Ajouter Bibl. naf., lat. »)67i {Xeaes Ar- t. LVII , p. 638), et bibl. privée du roi
chiv, 1881, t. VI. p. 481) et Escorial, P. i. i5 d'Espagne, 3 G 1 [Neuei Archiv , 1881, t. M
(ibid., p. a6o-?.f)i ; cf. Guill. Antolin, Calàlorjo p. 3^4-345); Merville [Mém. de la Soc. arch
cité, t. III, p. t68). da Midi de la France. i886-i88(), t. XIV
''' Aux manuscrits cités par Delisle ajou- p. à^^-iii)-
1er Camhridgf, Corpus Christi Colle;,'e 45 '' Mélanges c'iléi, 1881 , t. 1, p. 267 et 269
(M. R. James, CuUilogae cité, p. 91; Delisle * Ibid., p. 381 et 38.I; cf. Delisle, p. i'\fi
avait conjecturé à tort que ce manuscrit conte- S 85.
nait la a* édition) ; Madrid, Biblioteca nacional, '^ .\rlicle V de Delisle, p. 345-353, S86
I i 93 [IVM. (le l'Ecole des chartes, 1896, 95615.
SES ÉCRITS. 189
i3i 2; la deuxième est datée du jour de la Toussaint i3i3'''. Par la
suite, l'auteur s'appliqua à le tenir à jour; les nombreux manuscrits
que nous en possédons s'arrêtent respectivement à i3i4, à i3i5,
à i3i6, à i32o, et à i33o. D'autre part, en i320, il procéda à
une refonte en donnant plus de développement au récit et en plaçant
en tête une introduction, où sont exposées l'origine des Francs, la
géographie de la Gaule, l'histoire des premiers rhefs des Francs et
la distinction des trois races qui ont régné sur la France. Cette lorme
amplifiée a été tenue à jour, comme la forme primitive; elle descend,
selon les exemplaires, jusqu'à i322, i328 et i33i. De l'une ou
de l'autre forme nous ne possédons pas moins d'une cinquantaine de
manuscrits"^'.
Inc. (forme primitive) : Hec >uiit iiomina regum l'ranconim, qui a principio. . .
— (forme amplifiée) : Franci origine Trojani, pagano ritui dediti. . .
Des fragments des Reges Francoriim ont été publiés dans trois
volumes des Historiens de la Frauce^^\
Deux traductions françaises distinctes nous sont connues. La
première, celle de frère Jean Golein, exécutée en 1369, a comme
base la forme primitive poussée jusqu'au mariage de Louis X avec
Clémence de Hongrie en 1 3 1 5 '*'.
La deuxième , anonyme, contenu e dans le manuscrit L. iv. 2 7 de la
bibliothèque de Turin aujourd'hui détruit, repose aussi sur la forme
primitive, mais poussée jusqu'au traité conclu, en mai i320, entre
Philippe le Long et le comte de Flandre ^^l
'■' Cette deuxième édition, inconnue à Madrid, bibl. privée du roi d'Espagne, 2G1
Delisle, a été signalée dans leins. gSi delà (Neues Archiv , 1881, p. 345); Madrid, Biblio-
Bibliolhèque de l'Université, à la Sorbonne; teca narional, I i cjS, exemplaire offert à Phi-
voir une publication pernozze, due à M. Emile lippe VI (Bibl. de l'Ecole des chartes, 1896,
Châtelain , .intitulée : Mariage Monod-StapJ'er . t. LVII,p. 638); Merville (Afem. de la Soc.
2i juillet 1896 (Pani,Dela\a\n{rèrei). archéol. du Midi de la France. 1886-1889,
''' Quarante-cinq sont énumérés par Oelisle , t. XIV, p. 443).
maison en connaît aujourd'hui quelques-uns de ''' Tomes XI, p. 385; XJI, p. a3o-233;
plus, notamment Bibl. nat., lat. 9671 (A^eiiej XXI, p. 691-734 (cf. ci-dessus, p. i83,
Archiv, 1881, t. VI, p. 48i); Rome, Vatic. note 7).
Palat. iat. 965 [Archiv de Pertz, 1874, t. XII, '" Manuscrit unique, Vatic. Regin. lat. 697;
348); Escorial, P. l. i5 [Neues Archiv. 1881, cf. Mélanges publiés par l'Ecole française de
t. VI, p. 260-261; cf. Guill. Antolin, Catà- Rome, 1881, t. I, p. 367 et 269-270.
logo cité, t. III, p. 263, où l'auteur amalgame ''' Ibid.. p. 281 et 283; cf. Delisle, p. 262 ,
les Reges Francorum et les Comités Tholosani); S 95 bis.
190 BERNARD GLl, FRERE PRÉCIIEIR.
13. NOMINA REGUM FràNCORUM^^I
Simple catalogue sur lequel il n'y a pas lieu de s'arrêter longtemps.
Delisle en a signalé treize manuscrits. Depuis, on en a lait connaître
un quatorzième, qui porte le n" 981 dans la bibliothèque de l'Uni-
versité de Paris, à la Sorbonne'^'. Par suite, les conclusions dcDelisle
doivent être légèrement modifiées. Il faut distinguer trois, et non deux
éditions : la première, que le manuscrit de la Sorbonne nous a seul
transmise, a été rédigée en octobre 1 3 1 3; la deuxième, en décembre
i3i4; la troisième, en mai i33o.
Inc. : In seqiientibus brevius colliguntur Pt suh compendio repetuntur nomina
regiim Francorum. . .
14. AbBOR GENEALOGIE RECUM FràNCORUM^^K
Cet opuscule a eu plus de vogue que le simple catalogue dont nous
venons de parler, jiuisque Delisle en a signalé trente-deux exem-
plaires**'. 11 est établi que Bernard Gui en avait donné au moins cinq
éditions, sur chacune desquelles, à la lin du préambule, est inscrite
une date différente : i3i3, i3i4, 1817, i32O0u i33i.
Inc. : Franci ex sua prima origine fuere Trojani. . .
Ce succès s'expli(|ue fort bien. On connaît le goût du moyen âge
pour les représentations figurées; ce goût trouvait une large satisfac-
liou dansVArbor (jenealogie , qui est une manière d'histoire de France
illustrée. Le texte débute par un préambule sur l'origine des Francs
•4 sur l'histoire de la cité de Sicambre. L'illustration est formée par
une suite de tableaux enluminés, sur lesquels se déroule la succession,
la filiation et la chronologie des rois de France. Chaque roi est repré-
senté en pied, dans un grand médaillon contenant son nom et la
durée de son règne. A coté sont groupés des médaillons plus petits,
"' Article VI de Delisle, p. a52-253,S96-()7. von Carolsléld, Katalog der Hanischr. der kô-
'•' Publication per nozze intitulée : Mariage nùjl. ôffenti Bibl. za Dresden , 1 882 , t. I , p. 392 ;
Monod-Stapfer , 2à juitlet 1896. p. 6 et 10-11. Madrid, Biblioteca nacional I, i (j3, exemplaire
''' Article vu de Delisle, p. 254-a58 , S 98- offert à Philippe VI [Bihl de l'Ecoledes chartes.
io3; cf. p. ib2. 1896, I. LVII, p. 638); Madrid, bibl. privée
'*' .\ux manuscrits signalés par Delisle ajou- du roi d'Espagne, 2 G i (Neues Archiv, 1881 ,
ter les suivants : Dresde, F 106 (F. Schnorr t. VF, p. 3.4.5).
SES ECRITS. lyi
qui renferment les bustes des reines et des enfants royaux, ceux des
princes et des saints les plus illustres, avec des légendes et des signes
distinctifs, tels que couronnes peuples rois et les reines, nimbes pour
les saints. Les médaillons sont supportés par des tiges d'arbre , qu'en-
toure un texte explicatif, tiré des llcges Framorum.
11 est tout naturel qu'un ouvrage de ce genre ait provoqué des tra-
ductions en langue vulgaire; aussi a-l-il été mis au moins trois lois en
français'"'.
La traduction de frère Jean Golein, exécutée en i^ôg, est la plus
ancienne qui nous soit parvenue : elle se trouve dans le ms. Vatic.
Regin. lat. 697. Bien que le début ait disparu, par suite d'une
mutilation récente du manuscrit, on peut facilement constater, gràre
kXexplicit publié'-', qu'elle repose sur la deuxième édition (i3i4).
Le ms.'677 de la bibliothèque de Besançon, qui paraît de la fin du
xiv' siècle*'', et un manuscrit du xv' siècle, qui a appartenu à Anne
de Polignac et qui est aujourd'hui conservé à la Bibliotlièque natio-
nale, franc, nouv. ac({. iiSg''', contiennent une traduction toute
dillerente, assez libre, deY/irhor (jenealogie, dont on a pubhé le début
et la fin*'''; le traducteur a eu sous les yeux la dernière édition (i33i).
Enfin, le ms. L. iv. 27 de la bibliothèque de Turin, aujourd'hui
détruit, renfermait un texte français de VArbor genealocfie, texte dis-
tinct des deux précédents, car il reposait sur la quatrième édition
(i3qo)<«>.
15. Descriptio Galliahum^''^
Opuscule très court, où fauteur a surtout en vue la Gaule romaine;
l'intérêt en est fort mince. Bernard Gui a eu conscience de cette insuf-
fisance, pïiisqu'il a placé, en tête de l'édition refondue de ses Reges
<'' Delisle ne cite qu'une de ces Ira- ''' Décrit dans le Calalogae ijénérat ilrs
ductions, celle du manuscrit l.abitle. C'est manuscrits 'jles bibliothèques de France,
par erreur qu'il a été dit, dans les Mélanges Départements, t. XXXI ( «897), p. dis-
publiés par l'Ecole française de Rome, i88i, di3.
t. I, p. a83, qu'on ne possédait que deux tra- '*' Delisle, Mél. de paléogr. , p. 343-346.
ductions française» distinctes de V Arbor genea- '^' Delisle, p. 452.
logie. '*' Mélanges publiés par l'Ecole française df
<'' Dans les Mélanges publiés par l'Ecole Rome, i88i, t. 1, p. 281-282.
française de lîome , 1881, I. I, p. 269; cf. ''' Article viii de Delisle, p. 258-259,
Delisle, Cabinet des manuscrits, t. III, p. 33i. S io4.
192 BERNARD GUI, FRKRE PRÊCHEUR.
Francorum, une introduction où se trouve une partie géographique
pius développée que l'opuscule en question '".
Inc. : Galliarum divisio per suos terminos. . .
Des. : Aqiiitania quoque avitum et antiquum nomen suum non est dignata
mutare.
Delisle ne signale que quatre manuscrits de la Descriptio Gallia-
rum : Bibl. nat., lat. 4976, 4977^ 5o29 et 5o36 a. On peut y joindre
deux manuscrits du Vatican : Regin. lat. yoô' et Palat. lat. 966.
Vlll. — Histoire DES Dominicains.
Les premières traces de l'activité historique de Bernard Gui sont
relatives à l'Ordre auquel il appartenait. Âous constatons que dès
1 297. au plu?^ tard, il recueillait les actes des chapitres généraux et
provinciaux*^'. Mis au courant de ses travaux, le maître de l'Ordre,
Aimeri de Plaisance, élu à Toulouse en i3o4, ne se contenta pas de
les approuver; il lui enjoignit de les poursuivre et de les mener à
bonne fin. Il ne devait pas attendre longtemps pour avoir pleine satis-
faction. Le 22 décembre delà même année, notre auteur, alors prieur
de Castres, offrait à son supérieur une vaste compilation historique,
dont il continua par la suite l'élaboration et le perfectionnement,
mais dont les assises étaient dès lors solidement jetées'^'. Cette compi-
lation se subdivise en sept parties bien distinctes : 1, Edition augmentée
d'un traité de frère Etienne de Salagiiac; II, Catalogue des maîtres
généraux; III, Catalogue des prieurs provinciaux; IV, Notices parti-
culières sur certains couvents; V, Catalogue de tous les couvents;
VI, Actes des chapit res généraux; VII, Actes des chapitres provinciaux'*'.
''' C'est celte partie de l'introduction qui a à Âimeri de Plaisance (22 déc. i3o4), l'auteur
été publiée par André Du Chesne en i636 distingue seulement cinq parties : i. Traité
[Ilisl. Franc. Script., t. I, p. 22), et non la d'Etienne de Salagnac; 2, Traité tde tribus
Descriptio Galliarum proprement dite. grndibus prelatorum in Ordine Predicatoium»,
'*' Delisle, p. 32g. comprenant le catalogue des maîtres généraux
''' Voir la dédicace de l'auteur ( Delisle , et celui des prieurs provinciaux des provinces
app. I, p. 377-379) et la lettre de remercie- de Provence et de Toulouse; 3, Catalogue
mentset de félicitations que lui adressa Aimeri des prieurs conventuels des vingt-sept couvents
de Plaisance, datée de Gênes, le 2 4 juin i3o5 d'hommes et des trois couvents de femmes de
[ibid. , app. Il, p. 379.) la province de Toulouse; à, Catalogue de tous
'*' Cette division, que nous empruntons à les couvents de l'Ordre; 5, Actes des chapitres
Delisle , correspond au dernier état de la com- généraux et des chapitres provinciaux de la
pilation de Bernard Gui. Dans sa lettre d'envoi province de l'auteur (Provence , puis Toulouse).
SES ECRITS. 1<)3
Pour la clarté de l'exposition , il nous paraît indispensable de con-
sacrer à chacune de ces subdivisions une notice séparée. Mais, aupa-
ravant, il convient de noter ici que l'exemple donné ])ar Bernard Gui
a porté ses fruits, même en dehors de l'Ordre des Frères Prêcheurs;
en eilet, une compilation analogue, quoique moins étendue, ([ui con-
cerne l'Ordre des (iarines, celle du frère Jean Trisse, exécutée en
i36o"*, s'inspire manifcstenjent de celle de notre auteur.
16. Edition AUGMKNrÉE ne traité d'Etienne de Sai.agnac'"^'.
On sait que Bernard Gui avait fait profession entre les mains de frère
Etienne de Salagnac, originaire comme lui du diocèse de Limoges.
Par là s'explique probablement l'intérêt qu'il prit à un ouvrage que
frère Etienne avait entrepris sous ce litre: De (jualiwrdotibns (jiuhns Deiis
Predicatorum Ordinem insi(jnivit, et dont la minute inachevée lui tomba
entre les mains. Le frère Etienne ne mourut qu'en 1290, mais, dès
1278, il avait posé la plume. On ignore à quelle date Bernard Gui
acheva la rédaction ([ui nous a été conservée par le manuscrit 488 de
Toulouse, où ses additions, relativement peu nombreuses, ne sont
pas distinguées du texte du premier auteur. Plus tard, et sans doute à
plusieurs reprises, notamment en 1 .S 1 1 et 1 3 1 2 , il remania et com-
pléta son travail et donna une nouvelle édition, où il marqua minu-
tieusement tout ce qui était de son cru. L'étendue de l'œuvre primitive
s'en trouva plus que doublée, mais le cadre resta le même. C'est en
cet état que le De (juatuor dotibiis nous est parvenu dans quatre manu-
scrits, exécutés sous les yeux mêmes de Bernard Gui, que Delisle a
minutieusement décrits et classés (ms. 3 d'Agen, mss. 489 et ^90
de Toulouse, ms. 780 de Bordeaux^, et dans quelques autres'^'.
Inc. : Omnipotens et misericors Deus. . .
Des. : : . . obiit in conventu I^emovicensi, sexto idus januarii, anno Doinini mille-
simo (lucentesimo nunagesimo.
Le traité d'Etienne de Salagnac comporte quatre sections : I, De
'■' Voir l'article du P. Denifle, intitulé: ''' Delisle, p. 3o4-'> ' i , SS 157-161.
Qaellen ziir Gelehrtengeschichte des Cnrineliten- ''' Cf. Denifle daiis Irc/iiu cité, t. II, p. 168-
ordens. . . , dam Archivjûr Littcratiir- iind Kir- 16g. Outre quelques manuscrits perdus, Delisle
chengeschichte, t. V, p. 368 et suiv. a signalé (p. /i44 et 445) un manuscrit appar-
HIST. LITTÉR. XXXV. a5
194 BERNARD rJUI, FRERE PRECIIEIR.
hono et streniio duce, éloge de saint Dominique, où se trouvent insères
des détails précis sur l'origine des couvents de Limoges et de Castres;
II, De glorioso nomme Predicatorani , on l'on remarque le récit de la
condamnation d'une hérétique de Toulouse, en i233 ou i'i3/i; IH,
De illnstri proie , énumération méthodique, province par province, des
religieux qui ont illustré l'Ordre à des titres divers, martyrs, savants,
papes, cardinaux, évêques, maîtres en théologie, etc.; IV, De securl-
tatc professionis el vile , éloge de la règle dominicaine, avec des détails
curieux sur les déhuts et les règles d'autres Ordres leligieux.
La section la plus intéressante pour nous est naturellement la
troisième : la plupart des noms qui y sont inscrits sont accompagnés
de notices substantielles fort utiles, surtout pour l'histoire ecclésias-
tique et pour l'histoire littéraire, et dont les éléments seraient au-
jourd'hui fort difficiles à réunir si nous ne possédions pas l'œuvre
collective d'Etienne de Salagnac et de Bernard (îui.
Il est regrettable que cette œuvre n'ait pas été publiée intégrale-
ment; quelques extraits seuls en ont paru, par les soins de Natalis
de Wailly, en i855''', et par ceux du P. Denifle,en 1886'^'.
17. Catalogue des maîtres généraux'^'.
La première rédaction s'arrête à l'élection d'Aimeri de Plaisance,
en i3o4 (mss. 488 et ligo de Toulouse dans leur état primitif); \a
deuxième, à la démission du même maître, (jui fut acceptée au cha-
pitre général de Naples, en i3i 1 (ms. 489 de Toulouse dans son étal
tenant à la Bibliothèque San Juan de Barcelone, bonne source. Mentionnons encore le ans. i5i/i
nasse depuis dans ia Bibliothèque de l'Univer- de la bibliothèque municipale de Francfort-
sité de cette ville, el un manuscrit conservé sur-le-Mein, qui a été étudié par Pregei(Zpi/-
jadis au couvent de Rodez, qui se trouve au- sclirift fur (jcscliiclitliclie Theoloyie , 1869, p. f\
jourd'hui à Rome dans les Archives générales et sulv.) et par Rollie [Neiies Archiv, i885,
de l'Ordre, sous la cote A 3. Ce dernier, que t. X,p. Sgô-Syy).
l'auteur de cet article a pu étudier directement ''' Fracfmentd lihelli de Ordine l'rœdicatorum ,
en 1880, est original et contient beaucoup de d&asie.i Historiens de la France , t. \.\], p. -jib.
notes autographes de Bernard Gui. Il en est de ''■ Archivfûr Liileratur- und Kirchem/., 1886,
même du ms. i54o de la Bibliothèque de l'Uni- t. Il, p. aoSaaS. Le P. Denifle a donné une
versité de Bologne, dont Delisle n'a pas eu édition critique de la liste des niaitres en théo
connaissance. Les Archives générales de l'Ordre logie, d'après tous les manuscrits, et il y a
possèdent en outre un manuscrit, coté A 2, joint les diverses continuations dont cette liste
qui était jadis conservé au couvent de Cracovie; a été pourvue,
il est de date [dns récente , mais remonte à une '^ Delisle, p. Si i-3i3, SS 162-163.
SES ECRITS. 195
primitif) ; la troisième, à l'élection de Bérenger de Landorre, en
mai 1 3 1 2 (mss. 488 do Toulouse et 780 de Bordeaux)'''. Le catalogue
a et' poussé plus loin dans certains manuscrits, mais Bernard (lui
est étranger à ces différents suppléments.
Inc. : Quoniam funiculus triplex diflicile ri^mpitur. . .
De,v. ( 1" éd.) : ... tam in theologia quam in philosophia xxiiii annis, fueratque
prior Bononie.
Des. (2' éd.) : . . . apud Neapolim celebrato, anno Domini mcccxi.
— (3' éd.) : ... in festo Gordiani et Epiinaclii martiruin.
Martene et Durand ont publié, en 1729, le catalogue des maîtres
généraux d'après le ms. lat. 5486 de la Bibliothèque nationale, copie
faite, au xvii* siècle, du ms. 490 de Toulouse, à laquelle est jointe la
copie d'un manuscrit de Carcassonne, aujourd'hui peixlu, où le texte
de Bernard (lui était suivi d'une continuation pousséejusqu'en i368'"'.
18. CvTAl.OGUK DES PRIEURS PROVINriAUX '^'.
Un catalogue historique des prieurs provinciaux demandait une
largeur d'information que Bernard Gui ne pouvait avoir la prétention
de jamais atteindre, le nombre des provinces de l'Ordre, répandues
dans toute la chrétienté, étant fort considérable. Son recueil, tel qu'il
l'offrit au maître général Aimeri de Plaisance , en 1 3o4, était limité à
la province de Provence et à la province de Toulouse, qui en avait été
démembrée en i3o3.
11 eut soin , plus tard , de tenir à jour le catalogue de la province de
Toulouse, et le poussa d'abord jusqu'à i3o6, puis jusqu'à i3o8
et 1 3 10; certaines additions vont ju.squ'à i 3 1 •.< , i3i7, 1 334 et i328,
mais elle n'émanent pas de lui. Pour la province de Provence, il arrêta
primitivement son catalogue à l'élection de Guillaume de Laudun, en
i3o5; par deux continuations successives, il l'étendit plus tard jusqu'à
i3 1 2, puis jusqu'à i3i5. U s'occupa aussi de la province de Dane-
mark et en catalogua les prieurs jusqu'en i3o8; les renseignements
lui manquèrent pour poursuivre, et nous n'avons aucune conti-
'"' À ces manuscrits, étudiés par Delisle, il viennent les quelques lignes qui se trouvent
faut ajouter ceux dont il a été question ci-des- dans les Historiens de la France, t. XXI,
sus, p. 193. p. 739.
''' Ampliss. coll. , t. V, col. 097/117; de là ''' Delisle, p. 3l3-3i6, $S 164-169,
35.
196 BERNARD GUI, FRERE PRECHEIR.
nualion de la première liste qu'il avait dressée. Enfin, en iSog, il
mit au jour le catalogue des prieurs de la province de France, qui
fut poussé plus tard, par lui ou par d'autres, jusqu'à l'élection de
Jacques de Lausanne, en i3i8.
Ces brèves indications suffisent pour faire connaître le Catalogue
des prieurs provinciaux, son contenu et ses lacunes*''.
Inc. (après ie pn-anihiilr) : IMmus prior proviiicialis in provincia Proxincie. . .
De la même ])lunie est sortie, il n'en faut pas douter, une liste de
tous les prieurs provinciaux, suivant leur ordre de séance aux cha-
pitres généraux, d'où toute indication historique est exclue; cette
liste a été pubhée en lyiç)'^'.
19. Notices particulières sur certains couvents'^'.
Dans sa première ébauche, en i ^ol^, lU-rnardOui ne s'était occup<''
que de deux couvents, ceux de ProuiUe et de Toulouse, à chacun
desquels il avait consacré une notice historique abrégée , qu'il déve-
loppa phis tard. Peu à peu, il étendit ses recherches à Ihistoire de
tous les couvents sur lesquels il put se procurer des renseignements,
soit par lui-même, soit par des intermédiaires. Son activité histo-
rique, par suite des circonstances, se limita forcément aux provinces
de Provence et de Toulouse; à vrai dire, ce n'est guère que pour cette
dernière province, au milieu de laquelle s'écoula la plus grande par-
tie de sa carrière, qu'il a laissé à la postérité une riche niolsson de
documents''''. Dès i .^07, la plupart de ses notices étaient rédigées, et
il procédait à la mise au net de son recueil (ms. 490 de Toulouse).
Il eut l'occasion d'y faire quelques additions plus tard, notamment en
1 3 1 2 et en 1 3 1 5. Une mise au net postérieure , exécutée vers 1 3 1 2 ,
offre des parties plus développées et des additions qui ne concordent
pas toujours avec celles qui se lisent dans le premier manuscrit. Les
'') Mornes maniisrrits que pour noire iaume de l.auduD, prieur provincial de Pro-
articlo iB. vence, Bernard Gui reconnaissait lui-même
•'' Quétif rt Kchard , Scriplores Ord. Prœdic. , combien son œuvre était insuffisante en ce qui
t. 1, p. XV. concerne celte province, et il exprimait l'espoir
<'' Delisle, p. 316-327, SS 170-179. que le prieur et d'autre» frères mieux informés
'*' Le 1" août i3i 1, en adressant de Tou- y feraient des additions, espoir qui ne parait
louse ua exemplaire de son recueil à frère (juil- pas s'être réalisé (Delisle, app. XF, p. 39.^).
SES ECRITS. 197
dernières additions dues à Bernard Gui ne paraissent pas dépasser la
date de 1 3 1 5 ; mais les cadres qu'il avait tracés pour chaque couvent
ont parfois suscité des continuations, voire des interpolations''', aux-
quelles il est resté étranger et dont nous n'avons pas à tenir compte
ici<^-).
Voici la liste alphabétique des couvents sur lesquels Bernard Gui a
rédigé des notices: Agen, Aix (hommes) , \ix (femmes) , Mais, Albi,
Arles, Aubenas, Auvillars, Avignon, Bayonne, Bergerac, Béziers,
Bordeaux, Brive, LeBuesc, Cahors, Carcassonne, (Jastres, Collioure,
Condom, Die, Draguignan, Pigeac, Genouillac , Grasse, Lectoure,
Limoges, Marseille, Marvejols, Millau, Montauban, Montpellier
(hommes), Montpellier (femmes), Morlaàs, Narbonne, Nice, Nimes,
Orange, Orthez, Pa m iers, Périgueux, Perpignan, Pontvert, Propille,
Le Puy, Puycerda, Ilieux, Rodez, Saint-Lmihon, Saint-Gaudens,
Saint-Girons, Saint-Junien, Saint-Maximin, Saint-Pardoux-la-Uivière,
Saint-Sever,Sisteron, Farascon, Toulon, Toulouse, Valence. Donc, en
tout, soixante notices, de dimension et d'intérêt très variables, comme
bien on peut penser. Chaque notice est suivie du catalogue des prieurs
qui ont administré la maison depuis l'origine. Les mieux fournies
concernent Agen, Albi, Bordeaux, Brive, Cahors, Carcassonne,
Castres, Limoges, Périgueux, Prouille, Saint-Junien et Toulouse.
Dans la notice sur Albi se trouve un long et dramatique récit du
soulèvement des populations de la région contre l'évéque Bernard
de Castanet et les inquisiteurs, en i3o'i et années suivantes'*', récit
que Delisle considère comme « f un des meilleurs morceaux d'histoire
« générale que Bernard Gui nous ait laissés'*' ». Dans la notice sur Tou-
louse, édition amplihée, a été inséré intégralement un mémoire sur
l'origine des terrains occupés par le couvent, mémoire rédigé, en
octobre i 263, par frère Guillaume Pelisson '^'. Parfois l'auteur, s'écar-
tant du sujet strict de sa notice, nous fait part de tel ou tel événement
''* L'une des plus curieuses de ces interpo- Sgo), qui semble avoir perdu de vue que ce
lations est relative a une trouvaille de reliques « morceau d'histoire générale » figure intégra-
de saint Denis faite dans l'église de Saint-Mar- lement dans l'Ampliss. coll., t. VI, coi. 5i i et
tin , hors les murs de Périgueux , où les Domi- suiv. , et dans les Historiens de la France, t. XXI ,
nicains s'installèrent vers ia4i ; Delisle l'a pu- p. 747-749.
bliée intégralement (p. 3a5). <'' Ibid., p. 3i8.
*'' Mêmes manuscrits que pour notre art. 16. '' L'Wij^oiVe /iVleVaire a consacré une notice
''» Publié par Delisle (app. VIII, p. 386- à ce personnage , t. XIX, p. ioimo3.
198 BERNARD C.ll, FRKRE PRKCHKIR.
mémorable qu'il a appris au cours de sa carrière : c'est ainsi que,
dans la notice sur Carcassonne, ajirès avoir enregistré la mort du
prieur Pons de Tourreilles, survenue à Limoux en iSog, il revient
sur ses pas pour noter que, le 39 novembre i3o4, on pendit à Car-
cassonne quarante habitants de f.imoux déclarés coupables de tra-
hison vis-à-vis du roi de France, et il s'étend avec complaisance sur
les dramatiques incidents survenus à Carcassonne, l'année suivante,
et sur la terrible répression du complot ourdi contre la royauté par
l'iie Patrice, complot dans lequel trempa, comnip on sait, le célèbre
Bernard Délicieux*''.
Que dans cette série de monogiaphics éparses, il y ait quelques
manques de coordination, quelqu(>s lacunes et quelques erreurs, il se
j)eut, et l'on n'en saurait être surpris; mais pour rompre en visière à
Bernard Gui, il faut être bien armé. C'est ce que n'a pas compris le
B. P. Beichert, lorsqu'il a proposé de corriger le témoignage de notre
auteur au sujet de Irère Géraud de Frachet, ce Dominicain éminent
auquel VHistoirc littéraire a consacré deux notices distinctes'^', et sur
la biographie duquel le souci de la vérité nous oblige à revenir ime
troisième fois Dans sa notice sur le couvent de Limoges, Bernard
Gui déclare que Géraud de Frachet y exerça les fonctions de prieur
de 1233 à 1245, sans indiquer qu'aucune circonstance l'en ait éloi-
gné jiendant son priorat'^'. El pourtant, d'après le B. P. Beich(M't, le
témoignage de Géraud de I' racliet lui-même établirait que, en 1 24 1, il
fut prieur de Lisbonne et fit construire le couvent de cette ville, k la
suite d'une apparition miraculeuse'*'. Cette assertion, admise sans
défiance par \ Histoire littéraire '^^ doit être considérée comme fausse.
Le B. P. Beichert a mal classé les manuscrits des Vita' Fratrum de
Géraud de Frachet: le texte qui contient le récit de l'apparition de
Lisbonne ne représente pas réellement une seconde édition, émanée
de l'auteur même du livre; il est interpolé, comme il est facile de
''' Ampliss. cull.,l. VI, col. 479; Historiens >'' Monuinenio Ord. Fratr. Prneilir. his-
de la France , i. .\XI,p. 744: cl. Hauréan, /ier- toricu, t. I, Fratiis (ier. de Fraclieto Vitae
nnrd Délicicur, cliap. VI! et viil; Delisle, Fratrum... [Louvain, 1896), p. xii : « As-
p. 3i7-3i8; Lavisse, Hist. de France, t. Ill, «serlio Bernardi corrigenda est serundum ea
3' i)artie, p. 2o4-3o5. • quae de se ipso fr. (ierardus scribil, li. I,
''' Tomes XIX, p. 174-176, et XXXII, » cap.V, S ix*, p. 23, nam anno ia4i fungens
p. 550-567. «ollifio piioratiis conslruxit conventum Uiyssi-
''' Bull, de la Soc. arch. et hist. du Limousin, • ponensem. »
1893, t. XL, p. 267-268. "' Tome XXXII, p. 55i et 555.
SES ECRITS.
199
s'en rendre compte"', et la biof^raphie de Géraud de Frachet n'a rien
à voir avec Lisbonne ''^'.
Martene et Durand ont publié une édition générale des notices
consacrées par Bernard Gui aux couvents de son Ordre *^', mais cette
édition est très incomplàr'e : di.v-sept maisons y ont été laissées de
côté, et les notices des autres y sont presque toujours tronquées.
Depuis lors, plusieurs de ces notices ont été publiées intégralement
d'après les manuscrits originaux. \ oici la liste, par ordre alj)liabé-
tique, des éditions dont nous avons eu connaissance :
Agcii ( Douais, Les Frères l^rècheurs en
Gascogne, i885, p. 282).
Auvillar (Douais, p. 32 1).
Bayonne (Douais, p. a55).
Béziers (Granier, dans Mélanges publiés
pour le jubilé de M*^' de Gabrières,
I. I, p. /ji8).
Bordeaux (Dt)uais, |). 263).
Golliuure (Douais, dans Congrès ar-
cliéolo(ji(jue de France, 5i' session,
1884, p. 5o5).
Gondom (Douais, Les Frèrex Prêcheurs ,
p. 3oi).
Lectoure (Douais, p. 328).
Limoges (Douais, dans Bull, de la Suc.
archéol. el hist. du Limousin, 1893,
t. XL, p. 266-280).
Montauban (De Rivière, dans Bull, de
la Soc. archéol. de Tarn-et-Garonne ,
1899. t. XXVII, p. 218).
Moiit|'elliei', botunies (Poujoi, dans
Mélanges cités, t. 1, p. 563).
Montpellier, femmes (Poujol, loc. laud. ,
p. 569).
Morlaàs (Douais, Les Frères Prêcheurs,
p. 3.5).
Narbonne (Douais, L'Albigéisnie et les
Frères Prêcheurs à ISnrhonne, 189^,
p. .,3).
Ortbez (Douais, Les Frères Prêcheurs,
p. 293).
Panuers (Douais, dans Congrès archéol.
de France, 5i' session, i883,
p. 297).
Pontvert (Douais, Les Frères Prêcheurs,
p. 337).
Saint Gaudens (Douais, p. 3^2).
Saint-Girons (Douais, p. 3/i6).
Saint-Sever (Douais, p. 332).
20. Catalogue de tous les couvents'*'.
Dans la préface de sa compilation, Bernard Gui annonce qu'il don-
nera le « nombre et les noms des couvents de frères et des monastères
''' Cf. lib. III, cap. 17, p. li4: «Et ego,
• fraler Lambertus , audivi ab ore domini
«Pelri, senescaili Lausanensis, qui et ipse
• interfuit. »
•'' Par suite, il n'y aurait pas lieu non plus,
cmble-t-il, d'admettre que (îéraudde Frachet
ait été à ^aples en i254 (Histoiiv littéraire.
t. XXXII, p. 552).
''' Ampliss. coll. . t. VI . col. 437-540. Elle dé-
rive du ms. Bibl. nat., lat. 5486, copie récente
du ms. 490 de Toulouse (voir ci-dessus, p. 195).
'*' Uelisle, p. 328-."? 29.
200 BERNARD (,l I. FRERE PRECllEl R.
« (le sœurs dans chacune des provinces ». Echard a cru pouvoir lui attri-
buer un état de l'Ordre en 1277-1.278, dans lequel on trouve sim-
plement l'indication du nomljre des maisons de chaque province,
sauf pour la province de Provence, dont les maisons sont nominati-
vement énumérées, parfois avec quelques (f tails historiques'*'. L'attri-
bution n'est rien moins que certaine. En revanche, aucun doute n'est
permis au sujet de deux catalogues distincts, rangés par provinces,
l'un pour les couvents d'hommes, l'autre pour les couvents de femmes,
qui nous sont parvenus dans plusieurs manuscrits originaux: ils sont
sûrement de notre auteur. Echard les a publiés, mais en les abré-
geant et en les arrangeant, sous le tilre de Notitm altcra totiiis Ordi-
«ji'^'. Martene et Durand ont donné Intégralement le catalogue des
couvents de femmes '*'. Le chanoine Douais en a lait autant, d'après
deux manuscrits de Toulouse (n" 489 el ^f)o), pour le catalogue
des couvents des provinces do Toulouse et de Provence'"'.
21. Actes hes chapitres généraux''''.
Bernard Gui avait d'abord réuni dans une seule et même série
chronologique les actes des chapitres généraux et ceux des chapitres
provinciniix, de sorte que le procès-verbal du chapitre général était
immédiatement suivi du procès-verbal du chapitre provincial de la
même année '*'. Il comprit bientôt qu'il valait mieux faire deux collec-
tions distinctes, l'une pour les chapitres généraux, l'autre pour les
chapitres provinciaux Parlons donc d'abord de la première de ces
collections.
C'est en i3 1 3 qu'elle fut tirée du recueil primitif, formé en 1 3o4 ,
où elle était confondue avec les actes des chapitres provinciaux, et
qu'elle fut transcrite à part dans le ms. 490 de Toulouse. L'ouvrage
fut revu et complété en i3i5. Cette revision fut incorporée dans la
partie correspondante du ms. 780 de Bordeaux, qui contenait d'abord,
'• .Scriy)/. Ord. Prœdic. l. I, p. i-lil, d'où (|uelques fragments ont passé dans les Histo-
ie texte .1 passé dans les Historiens de la riens de la France , l- ^^Hi . f- 187-199.
France, t. XXIII, p. 183-187. Remanjuons '*' Essai sar l'organisation de^ études dans
(|ue Delisle n'en connaît pas de manuscrit l'Ordre des Frères Prêchears. p. iFi^i-iSg.
ancien. ''' Delisle, p. 3a9-33.^,SS iSaigo.
*'' Script. Ord. Prœdic. t. !, p. iv-xv. '*' C'est ainsi que le recueil se présente dans
''' Aiiipliss. coll.. t. VI, col. r>39-.'J48, d'où le manuscrit 780 de Bordeaux.
SES ÉCRITS. 201
comme il a été dit, les deux collections non encore séparées; malheu-
reusement, les feuillets consacrés aux chajjitres généraux postérieurs
à l'année i3o/i ont aujourd'hui disparu'"'.
11 ne semble pas avoir existé de collection oITicielle des procès-
verbaux des chapitres généraux. Les résolutions prises dans chaque
chapitre étaient consignées sur des rouleaux de parchemin ou des
feuilles volantes dont chaque couvent était invité à se procurer une
copie, pour la transcrire dans un registre spécial, avec les réso-
lutions du chapitre provincial de la province'^*. Malheureusement,
bien peu de maisons avaient leur registre, et bien peu de ces regis-
tres étaient complets. Bernard Gui eut fort à faire pour mettre sur
pied sa collection, dont il s'occupait dès 1297 au moins. Il rap-
pelle lui-même qu'il fa constituée «ex diversis antiquis rotuhs
et quaternis coUigens cum multiplici tedio et labore <'* ». Parmi
ses sources, il ne cite expressément que le registre de Figeac, re-
montant à ii55, et un rouleau annoté au dos par frère Etienne de
Salagnac'**.
La mise eu œuvre a dû être d'autant plus longue que l'auteur n'a
pas voulu se contenter de transcrire fidèlement les procès-verbaux
dont il pouvait rassembler les copies '^', mais qu'il y a annexé diffé-
rents documents qui en sont comme le complément naturel (circu-
laires des maîtres généraux, bulles des papes, lettres des rois, etc.),
et qu'il y a intercalé de nombreuses notes d'un intérêt historique plus
ou moins considérable : biographies sommaires des Dominicains illus-
tres qui ont pris part à tel ou tel chapitre, comme Pierre de Parentaise,
pape sous le nom d'Innocent V, ou Albert le Grand; pèlerinage de
'■' A ces manuscrits il faut ajouter, outre publiée par Delisie, p. 879.
quelques-uns de ceux qui ont été mentionnés '*) Delisie, p. 333, notes 1 et a. Ber-
ci dessus, p. 193, deux manuscrits conservés nard Gui n'a pas connu une collection
jadis dans les couvents de Langres et de Car- des actes des chapitres généraux antérieure
cassonne, aujourd'hui disparus, mais qui ont à la sienne, et formée, à ce qu'il semhle,
servi à Echard à établir un texte des Acla dont en Italie, collection sur laquelle on peut voir
l'exemplaire autographe, conservé aux Archives une courte note du P. Denifle dans Archiv fur
nationales, sousles cotes LLi5a8 A et 1 5 a8B, Litteratur- tnd Kirchengeickichle . i885, t. I,
n'a pas été mentionné par Delisie, mais a p. i4g.
attiré l'attenUon du R. P. Reichert. W Pour les premiers chapitres généraux,
'*' Voir noUmment les prescriptions du de laio à ia38, il ne donne que des »om-
chapitre général de Cologne, en ia45 (Delisie, maire»; à partir de laSg, ce sont les procès-
P- ^^' •"*''* ')• verbaux eux-mêmes qu'il reproduit, presque
Lettre d'envoi à Aimeri de Plaisance, sans lacunes.
HIST. LITTÉR. XXXV -fi
202 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
Philippe III à Castres, en 1272; tremblement de terre à Rieti, eu
1298, etc.'".
Notons que, malgré son zèle, Bernard Gui semble s'être arrêté à
l'année 1 3 1 5 ; mais son initiative a porté ses fruits , et son recueil a été
continué dans différents manuscrits avec plus ou moins de sollicitude.
La compilation de Bernard Gui et de ses continuateurs, dont Mar-
tene et Durand avaient donné une édition très incomplète''^', a pris
place intégralement dans les tomes 111 et IV du recueil publié à Borne
sous ce titre : Monamenta Ordinis Fratrum Praedicatoram liistnrica '•^K
L'éditeur, le R. P. Reichert, a pris pour base le manuscrit 780 de
Bordeaux, mais il a eu soin de faire appel, pour le corriger ou le
compléter, aux autres manuscrits originaux.
Il est juste de rappeler que, dès i885, le chanoine Douais avait
fidèlement publié, d'après le manuscrit 489 de Toulouse, les actes
des chapitres généraux tenus à Bordeaux en 1^77 et en 1287 ''''.
22. Actes des chm'IThks provinciaux'" .
Démembré du recueil général des chapitres dont il a été parlé ci-
dessus, le recueil des actes des chapitres provinciaux a été transcrit à
part dans les mss. 488 et49o de Toulouse, dans le ms. 229 d'Avignon,
et, fragmentairement, dans un manuscrit de la Bibliothèque de l'Uni-
versité de Barcelone. 11 ne faut pas perdre de vue qu'il est limité à la pro-
vince de Provence, laquelle fut divisée en i3o3 et constitua dès lors
deux provinces distinctes : la nouvelle province de Provence et la pro-
vince de Toulouse. A partir de 1 3o3, il y a donc deux séries distinctes
de chapitres provinciaux, ceux de Provence et ceux de Toulouse.
Ce n'est qu'à partir de i 2^0 que la série des actes des chapitres de
Provence est à peu près complète, comme Bernard Gui le reconnaît
lui-même, sans dissimuler que, même dans ces limites, il n'a pu
''' Deiisle, p. 33a-333, S 187. '*' Les Frères Prêcheurs eu Gascogne, p. a3-
'*' Thesauras novas, t. IV, col. 1669-1963. 43.
'' Acta capitaloram generalium,i.l(iSg8)et '^' Deiisle, p. 335-35o, $$ 191-aoo. —
Il (1899). Le premier volume finit avec le cha- Ajoulons que le recueil de Bernard (iui est
pitre général de Besançon (i3o3). 11 est dilTi- beaucoup pins ample que celui du frère Rai
cile de dire quel est le dernier chapitre dont le» mond Masqaerie, rédigé à la demande de Bé-
actes ont été recueillis par Bernard Gui lui- renger de Landorre , alors prieur de la province
même, question que ne semble pas s'être posée de Toulouse, et poussé Jusqu'en i3o8 (Douais,
l'éditeur; c'est probablement celui de i3rj. ouvr. cité, p. i5).
SES KCRITS. 203
combler toutes les lacunes ''l Mise au net pour la première fois en
i3o5, elle a été tenue à jour par l'auteur lui-même à plusieurs
reprises, notamment en i3i5; mais il est difficile de dire à quelle
date il a cessé définitivement de s'en occuper et quand la tache
a été reprise par des continuateurs : le ms. 229 d'Avignon va jus-
qu'en iSqB, le ms. 488 de Toulouse jusqu'en 1828, le ms. 490
jusqu'en 1 3^f2.
Les actes des chapitres provinciaux recueillis par Bernard Gui et
ses continuateurs sont encore en partie inédits. Ceux des chapitres
qui se sont tenus en Gascogne, de 1246 (Bordeaux) à i34o
(Condom), ont été publiés, en i885, par le chanoine Douais,
d'après le manuscrit 490 de Toulouse'^*. Le même savant avait en-
trepris une édition intégrale que la mort ne lui a pas permis de
terminer ; le tome I*'des Acta capitniorum provinnaliuin Ordinis Fratnnn
Praedicatonim, publié en 1894, ne dépasse pas l'année i3o2 : c'est
le seul qui ait paru.
Plusieurs manuscrits nous ont conservé, à côté ou à défaut des
actes mêmes des chapitres provinciaux, un catalogue chronologique
des sessions de ces chapitres, catalogue qui est manifestement dû
à la plume de Bernard Gui; il suffît d'en signaler l'existence'"*'.
IX. — Histoire de l'Inquisition.
23. Phactica officii F!\QUISIT10NIS **'.
L'histoire littéraire n'a rien à voir avec les .procès-verbaux des pro-
cédures officielles dirigées par Bernard Gui contre les hérétiques du
Midi de la France au cours de sa longue carrière d'inquisiteur à Tou-
louse (i 307-1 32 3). Mais on ne saurait passer sous silence ici le recueil
''' • Ab exordio quo Predicaloruin Ordo « ceptis quibusdam «jue nondum potui , sicul
«cepit capilola provincialia celebrare, quod es- «vomi, reperire, que ab hiis qiiibus fuerit
• timo fuisse faclutn anno Domini mccxx, loportunum suppleri poterunt locis suis»
«nsque ad annuni Domini m ce xl, panca valde (Delisle, p. 336).
«que reperi de capitulis provincialibus in pro- '*' Ouvr. cité, p. ôg-aSS.
• vincia Provincie celebratis inferius recoUegi; ''' Delisle, p. 34i-3d3; Douais, ouvr. cité,
« ab anno vero Domini m ce XL nsque ad p. 35a et suiv.
«annum Domini mcccv, quo hec scripsi, '*' Article xiii de Delisle, p. 35i-362,
• complecius ponnntnr inferius recollecta, ei- S$ aoi-aoo.
26.
20'i BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
qu'il a composé sous le titre modeste de Practica, et qu'une édition
récente a mis à la portée du public *''.
Ce recueil nous a été conservé par quatre manuscrits du \iv* siècle :
Toidouse 387 et 388; Londres, Musée britannique, Egerton 1897 '^';
Rome, Vatic. lat. 4o32'^*. Une copie, exécutée en 1669 d'après un
ancien exemplaire des arcliives des Dominicains de Carcassonne,
se trouve à la Bibliolbèque nationale, où elle forme les volumes 29
et 3o de la collection Doat ''*'. Echard signale un autre exemplaire,
que les Dominicains de Rouen avaient cédé au couvent de la rue
Saint-Honoré, à Paris; il a disparu sans laisser de traces. L'édition
donnée par le chanoine Douais repose essentiellement sur le ms. 387
de Toulouse, le meilleur de tous, coUationné à l'occasion avec le
ms. 388 de la même bibliothèque.
La Practica a une étendue considérable '""l Indiquons-en tout de
suite l'économie générale.
Le livre n'a pas de prologue. 11 est divisé en cinq parties, suivies
d'un Appendice.
Première partie. — Série de trente-huit formules, au nom de lin-
quisiteur Bernard Gui, pour faire citer ou incarcérer les personnes
accusées ou suspectes d'hérésie, et pour inviter à l'audience tous
ceux qui, comme témoins ou comme conseillers, peuvent être néces-
saires au bon fonctionnement de la justice inquisitoriale.
Deuxième partie. — Série de cinquante-six formules, la plupart au
nom de Bernard Gui , ou de l'inquisiteur non désigné nominativement ,
quelques-unes aux noms.de cardinaux ou d'évêques agissant sur l'ordre
direct du pape. Ces actes embrassent les affaires les plus diverses au
sujet desquelles l'autorité ecclésiastique doit rendre des jugements
ou intervenir pour sauvegarder les intérêts de la foi : élargissement
'■' Practica Inqnisilionis heretice prnvitatis , connu à Delisle et à Douais, signalé en 1886
auctorc Bernnrdo Gnirfowii...., document publié par le P. Denifle (Arckiv fiir Litteratur- und
pour la première fois par le chanoine C. Douais, kirchengeschichle , 1886, t. II, p. 189).
Paris, 1886, in-4°- '*' Celte copie ne reproduit pas l'Appendice
'*' Ce manuscrit, acquis en 1860 par le de la Practica. qu'on trouve dans le» exem-
Musée britannique, porte des notes qui témoi- plaires du xiv' siècle,
gnent qu'il a séjourné longtemps en Espagne. ''' Le texte occupe 355 pages dans l'édition
''' Nianuscrit provenant de Narbonne, in- Douais.
SES ECRITS. 203
d'hérétiques emprisonnés, imposition, atténuation, commutation et
remise de pénitences, telles que port de croix ou pèlerinages; récon-
ciliation et absolution de Grecs schismatiques; concession de grâces
aux personnes qui dénoncent les hérétiques ou contribuent à leur
capture; destruction de maisons souillées par les pratiques héréti-
(jues; nomination de notaires et de geôliers de l'Inquisition; authen-
iication d'extraits des registres de l'Inquisition; attestation du style de
l'Inquisition en ce qui concerne les biens des hérétiques condamnés;
quittance des gages de l'inquisiteur; nomination de lieutenants <'l
d'inquisiteurs intérimaires; conliscation de livres trouvés entre les
mains des Jnils expulsés par ordre du roi; absolution des frères de
l'Ordre du Temple reconnus innocents, et assignation de revenus,
pour pourvoir à leur entretien, sur les biens attribués à l'Ordre de
Saint-Jean de Jérusalem.
Troisième partie. — Pres([ue aussi étendue que les deux premières
parties réunies, la troisième partie est spécialement consacrée aux
actes solennels, rédigés par les notaires de l'Inquisition. Ces actes for-
maient pour ainsi dire l'ordre du jour des sermons généraux ou actes
de foi célébrés périodiquement dans quelque notable édifice du culte,
le plus ordinairement dans l'église cathédrale de Saint-Etienne de
Toulouse : prestation de serment par les sénéchaux royaux et par les
consuls des communes; excommunication des personnes qui entra-
vaient l'exercice de l'Inquisition; exposé des fautes des accusés;
condamnation des coupables; absolutions, abjurations et réconci-
liations, etc. Mais ici nous n'avons pas seulement une série de formules :
un texte didactique, souvent très développé, les précède ou les suit,
de manière à constituer un commentaire perpétuel et à mettre en
lumière les différents aspects de la justice inquisitoriale. En tête,
l'auteur a placé une soi te de cérémonial des sermons généraux '"', et
il nous donne, chemin faisant, de minutieux détails sur la liturgie
catholique, notamment en ce qui concerne la dégradation des prê-
tres <^'. À propos des pèlerinages, qui jouent un grand rôle dans les
f)énitences imposées, Bernard Gui ne se contente pas d'énumérer
es églises vers lesquelles on acheminait ordinairement les coupables,
'■' Édit. Douais, p. 83-86. — ''' Ibid., p. 117-119,
206 BERNARD GlI, FRKRE PRECHEUR.
il les répartit en deux classes : percgrinationes majores, à l'étranger, et
pereqrinadones médiocres seu minores, dans le royaume de France
et sur les bords du Rhône '". U faut noter surtout deux exposés
faits incidemment, et comme pour donner au lecteur un avant-
goiît des matières qui seront traitées plus au long dans la cin-
quième partie : l'un sur la hiérarchie des ministres du culte chez
les Vaudois <^', l'autre sur les opinions des Pauvres du Christ
ou Béguins '^l
Quatrième partie, — La quatrième partie peut être considérée
comme un traité distinct, consacré à l'autorité et au pouvoir des inqui-
siteurs et de l'Inquisition, traité que Bernard Gui qualifie lui-même
(Vutilis et compcndiosa informatio inriuisitoram. Bien que l'institution
s'étende à l'ensemble des pays où règne la foi catholique, l'au-
tour vise plus particulièrement la France et l'Italie. L'office de l'Inqui-
sition a pour base essentielle les bulles et constitutions des papes, de
Grégoire IX à Clément V, les décisions des conciles, les lois promul-
guées par l'empereur Frédéric II, les privilèges accordés par les rois
de France. Des extraits textuels de ces documents constitutifs sont
reproduits et répartis entre les différentes divisions du traité, lequel
est construit à la manière scolastique. Un rapide coup d'oeil suffira
pour en faire saisir l'économie.
L'auteur indique ainsi, dès le début, sa manière dé procéder :
(jrca ojjicium liniuisitionis et inqnisitorum, tria principaliter in presenti
opusciilo siint nolanda : primo videndiim est de ipsius ojficii Tn(jaisitionis
commissione ; secundo de ejus potestate et jurisdictione; tercio de ejus
executione.
Trois courts paragraphes suffisent à traiter le premier point '*'.
Pour nous faire comprendre l'importance du second, l'auteur croit
devoir décompo.ser la « grandeur » de l'Inquisition en hauteur, en lon-
gueur, en profondeur ou solidité, et en largeur. La hauteur et la
longueur sont expédiées en quelques lignes '^'; la profondeur ou soli-
dité demande quelques pages '^'; la largeur donne lieu à un long déve-
loppement, divisé en deux sections, dont la première comprend vingt
'■' Édit. Douais, p. 94-97; cf. p. 166. ''• Édil. Douais, p. 174-175.
") Ibid.. p. 1 36-1 38. '" /W.,|i. .7().
"1 îhid.. p. i45-i5o. '" Ihid., p. 176-185.
SES ÉCRITS 207
articles et la seconde douze"'. Le troisième point comporte deux divi-
sions : Libertas expedita execfuendi officium, et Forma débita procedendi
ad actiim et exercitium ; la première comprend cinq articles, et la
seconde, trois '^'. Les deux derniers de ces articles sont courts, mais
offrent un intérêt particulier, parce qu'ils touchent à la personne
même de celui qui doit exercer le redoutable office d'inquisiteur.
L'auteur les a ainsi résumés : Secandus est modus ipsius ugentis, at
sit fonnatus et regulalus in bunuiii ; tertius est species seu forma ipsitis
judicantis et punientis , ut apparent ejus animas non solumjastas intenus
(juantum ad habitum, sed modestus et pius (juantum ad exlerioivm actum '^^.
Étant donné le but de l'Inquisition et les mœurs du temps, rien de
plus humain ne pouvait sortir de la plume de Bernard Gui.
Cinquième partie. — Elle est intitulée : De modo, arte et mgenio
incjuirendi et examinandi fiereticos, credentes et complices eorumdem. ^près
quelques considérations sur les hérétiques en général [Instructio seu
informalio generalis) , l'auteur traite successivement des Manichéens,
des Vaudois, des Pseudo-Apôtres, des Béguins, des Juifs convertis
qui reviennent au judaïsme, des sorciers**'. Pour les quatre premières
catégories, quahfiées de sectes, un historique très développé précède
le détail de l'interrogatoire qu'il convient de faire subir aux accusés.
En ce qui concerne les Juifs, l'auteur analyse quelques-uns de leurs
livres. Pour les sorciers, il se contente de tracer le cadre de l'interro-
gatoire. Viennent ensuite des formules applicables aux différentes
sectes d'hérétiques.
L'Appen(Hce, que l'édition Douais ne sépare pas de \aPractica pro-
prement dite, comprend: i° le texte intégral de quelques bulles et
constitutions relatives à l'Inquisition^*; 2" une formule d'abjuration '*';
3° un long mémoire sur la secte des Pseudo-Apôtres, au cours duquel
nous trouvons un certain nombre de bulles de papes, une correspon-
dance entre Bernard Gui et Rodrigue, archevêque de Saint-Jacques
de Compostelle (i3i6), des manuels d'interrogatoire et des formules
d'abjuration '^'.
'■' Édit. Douai», [j. iSS-îog. "' Édit. Douais, p. 3o4-3a5.
"' /61W., p. 209-333. '" /fciW.. p. 3a5-327.
1') /6i(/., p. 217. ''' /ftiii. p. 337-355.
(♦) Ibid.,p. a35-3o4.
208 BEHNAliD GUI, FRÈRE PRÈCHEl H.
Tel est, dans son ensemble, le volumineux recueil fie rofTice de
l'Inquisition auquel Bernard Gui a donné le nom de Practica. À quelle
date l'auteur en a-l-il eu la première idée ? Il est difficile de le dire.
Presque toute sa carrière inquisitoriale s'y trouve reflétée. Les actes
qui y sont reproduits, à titre de formules, sont pour la plupart des
actes réels, dont les dates précises ont quelquefois été conservées : ces
dates vont de 1809 à 1 821. La date de 182 5 y est énoncée comme
n'étant pas encore échue '*', ce qui prouve que l'auteur avait mis la
dernière main à son recueil avant (fclre relevé déiinilivement de
ses fonctions d'incjuisiteur (décembre i323). Delisle a justement
remarqué que le traité sur la secte des Pseudo-Apôtres, qui figure
dans fAppendice, date de l'année iSiG et a été inséré sous sa forme
primitive dans la Practica. La quatrième partie paraît aussi avoir
formé un traité distinct; la rédaction, postérieure à la mort de Clé-
ment V (i4 avril 1.8 1 4) , peut avoir précédé l'élection de Jean XXll
(7 août i3i6).
La Practica de Bernard Gui est une mine extrêmement riche où
l'historien curieux de connaître les manifestations de la vie religieuse
au xiii" siècle et au commencement du xiv* a beaucoup à prendre'-';
mais il ne faut pas lui demander les qualités d'ordre et de symétrie qui
donnent du prix à une œuvre d'art longuement méditée et parfaitement
élaborée. Débordé par une matière dont il était pour ainsi dire le
centre et qui s'amplifiait au jour le jour sous ses yeux par sa propre
contribution, au furet à mesure que se déroulait sa carrière inquisi-
toriale, l'auteur n'a pas réussi à établir un cadre rigoureux où chaque
chose se trouve à sa place naturelle. La quatrième partie, consacrée aux
sources mêmes de l'autorité de l'Inquisition, aurait dû, semble-t-il,
ouvrir le recueil. Les formules, qui forment le fond unique des deux
premières parties, débordent sur les autres et envahissent jusqu'à
l'Appendice ; il aurait fallu les reléguer tout à la fin et les classer d'après
un système méthodique. On saisit mal le principe même de la divi-
sion en cinq parties, dont la juxtaposition n'obéit à aucun enchaîne-
ment logique. Et dans chaque partie, considérée en elle-même, que
de disparates et de bigarrures ! Assurément, la Practica est mal com-
''' Édit. Douais, p. a^ô. Beniardus Guidonis Inquisilor and die Aposlel-
'*' Elle a été particulièrement utilisée pour brader, ein Beitrag zar EntstehvJigigeschichte der
l'histoire des Pseudo-Apôtres; cf. HugoSachsse, Practica, Rostock , 189a ,'^0-4*, 58 pages.
SES ÉCRITS. 209
posée. À ce point de vue, elle ne peut rivaliser avec le D'uectonnm
imjmsilomm rédigé, vers la fin du xiv* siècle, par un Dominicain
catalan, frère Nicolas Eynieric, et qui jouit d'un succès prolongé
jusqu'à la fin du xvi* siècle, tandis que le recueil de Bernard Gui fut
assez vite relégué dans l'oubli. Et pourtant notre auteur n'a pas
seulement le mérite d'avoir ouvert la voie à son émule. Malgré ses
défauts, la Practica conserve une supériorité historique et morale
;5ur le Dircctorium : la vie y circule sous le réseau enchevêtré d'un
organisme encore mal équilibré. L'érudit qui l'a étudiée avec le plus
de pénétration, et qu'on ne saurait accuser d'un parti pris de bien-
veillance, Charles Molinier, a conclu son étude par cette remarque,
où l'on ne peut voir qu'un éloge pour Bernard (iui : « Ce n'est plus
• seulement l'Inquisition qui se révèle à nous dans son exercice,
( c'est l'inquisiteur lui-même qui nous livre jusqu'à un certain point
" les secrets de sa pensée et de sa conscience'''. "
X. — Histoire locale.
L'origine limousine de Bernard Gui, son long séjour à Toulouse,
ses dernières années passées sur le siège épiscopal de Lodève nous
offrent naturellement les trois cadres dans lesquels nous allons
grouper, pour les passer en revue, ses opuscules relatifs à l'histoire
locale, selon les diocèses qu'ils concernent : Limoges, Toulouse,
Lodève.
A. — Limocfes.
24. Priores Ordinis Artigie'^'^K
Opuscule de peu d'étendue, sans préambule, qui commence par
ces mots : « Primas prior et fundator Ordinis Artigie. » L'auteur en a
donné deux éditions et un abrégé.
La première édition est datée de Toulouse, le 2 5 novembre i3ii,
par ces derniers mots du texte : « Tholose, in festo sancte Katherine
« virginis et martiris, anno Domini M° ccc" x° 11°. » Nous en possédons
f L'Inquisition dans te Midi de la Fiance. S il 5- 116. L'Artige est un hameau de la
p. a36. commune de Saint-Léonard, arrondissement
<'' Article XIII de Delisle, p. a65-266, de Limoges.
HisT. iiiTÉn. — XXXV. 37
■■rullBut
210 BERNARD GLI, FRERK PKECIltXU.
trois exemplaires originaux, où Ion a transcrit après coup les
additions qui caractérisent la seconde édition : Bibl. nat., nouv.
acq. lat, 1171; Toulouse 45o ; Rome, Vatic. Regin. lat. 70S'
(inconnu à Delisle).
La seconde édition contient deux indications complémentaires, la
mort du douzième prieur, Pierre de Pralis, (;n août i3i3, et l'élec-
tion de son successeur, frère Gui, de la paroisse de Cliamberet^''.
Elle se termine par ces mots : « Successif memorato Petro de Pratis
« anno Domini m" ccr," xiii". » Outre les trois manuscrits cités, elle
se trouve dans 131bl. nat., lat. ^977 et 5929, ainsi que dans le manu-
scrit de Trinity Collège, coté R. 4- 28 '.
L'abrégé ne comprend que la vie du vénitien Marc, fondateur de
la maison. Il se termine par cette mention complémentaire : « Fuerunt
«autem, usque adannum Domini m ccc xii, pri ores Ordinis Artigie
« numéro xiii. » On le trouve dans trois manuscrits : Bibl. nat.,
lat. 4988, ^1989 et 4990.
Lablie a publié (|U('l([ues extraits de notrr opuscule daprès un
manuscrit de Paul P^tau, qui n'est autre ([ue le manuscrit du Vatican
cité ci-dessus '^'.
Une traduction française en a été laite par frère Jean Golein,
en 1369; le seul manuscrit qui nous l'ait conservée (Vatic. Regin.
lat. 697) étant mutilé, nous ne savons quelle édition le traducteur
a eue sous les yeux ''*'.
Des copies modernes du texte latin des Pr tores Artigie ont été signa-
lées par G. de Senneville'^' darjs la collection Baluze (Bibliothèque
nationale), à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et dans les archives
du château de Nexon**''. Différents érudits ont utilisé la notice de
Bernard Gui, quand ils ont eu à parler du prieuré de L'Arlige;
toutefois aucun d'eux ne s'est soucié d'en donner une édition d'après
les manuscrits originaux. Le cartulaire de cette maison a été publié
"1 Gant, de Treiguac , air. de Tuile. j).(ii/i; reimpr. parFI.Cornelio, Venelœ ecclefia;
'"' M. R.James, Tke western iiiss. in the libr. illustratte (Venise, 1749), '■ II, P. 374-276.
of Trinity Collège, t. I[ (içjoi), p. i5a. Delisle '' Mélange:' publiés |)ar l'Ecole française de
a inenlioiiné ce manuscrit, mais sans pouNoii- Uonie, 1 881, t. 1, p. a68 et 371.
dii-e quelle édition il contenait. " liull. de la Soc. arch. et hisl. du Limousin
'' iVoDO bibl. mss. libr.. t. Il, p. -^78, et 1900, t. \LVIII, p. ài\. n. 2.
Abrégé royal de l'Alliance chronologique, t. I, '' Ait. de Saint-Vrieii.
SES ECRITS. 211
eu iQoo'''; la comparaison du texte de Bernard Gui avec les données
qu'il fournit montre que les informations de notre auteur ont été
j^énéralenient puisées à bonne source.
25. Priores Ordinis Grandimontis^^\
L'état le plus ancien de cet opuscule nous est conservé par un
manuscrit original ^Bibl. nal., lat. nouv. acq. 1171), où le texte s'ar-
rêtait primitivement 0 la mort du vingt-et-unième prieur, Guillaume
de Puimoreau (10 mars i3i3), avec ces mots : " Obiit vi ydus
« martii, anno Domini m° (.cc° x" m". »
Inc. : Prinius prior, institutor Pt lundîitor Ordinis tirandimontensis. . .
L'auteur a ajouté après coup la mention de l'élection du vingt-
deuxième prieur, Jourdain de Robastens, ce qui constitue une
deuxième édition, finissant par ces mots : " tertia vel quarta die maii,
u anno Domini m" ccc" xiii°». On la trouve, transcrite d'une seule
teneur, dans le ms. Vatic.Regin. lat. 7o5'; elle a été traduite en fran-
(;ais, en 1869, par frère Jean Golein, et cette traduction est conser-
vée dans le ms. Vatic. Regin. lat. Ogy''''.
La deuxième édition a servi de base à un abrégé, qui ne ren-
ferme que la vie du fondateur de l'Qj'dre, saint Etienne de Muret II
se termine par cette mention complémentaire: « Fuerunt autem
« usque ad annum Domini m ccc xiii, priores Ordinis Grandimontis
i< numéro xxii. » Gel abrégé se trouve dans trois manuscrits : Ribl.
nat., lat. 4y88, 4989 et 4990.
Une troisième et dernière édition a reçu un assez long supplément,
où sont racontés les troubles survenus dans l'Ordre de Grandmont,
l'intervention du pape Jean XXII pour les faire cesser, et l'érection
du prieuré en abbaye; le récit s'arrête avec ces mots, relatifs à la
bénédiction du premier abbé, Guillaume Pelicier, à Avignon : <i id-
« tima die aprilis, sub anno Domini m" ccc" x" vni° ». Nous en possé-
dons trois exemplaires originaux (Bibl. nat., lat. 5929 ; Toulouse 4 5o;
'"' Par G. de Senneville, Bulletin rite, vestre, canton d'Ambazac, arr. de Limoges,
t. XLVIII.p. 293 ft suiv. ''' Mélanges publiés par l'Ecole française de
''' Article XII de Delisle, p. 363-265, Rome, 1881, t. I, p. 368 el 271. Delisle a
$$ iia-i)/|. Grandmont est aujourd'liui un ignoré l'existence de ces deux manuscrits du
hameau de la commune de Saint -Svl- Vatican.
212 BERNARD GUI, FRÈRE PRECHEl R.
Vatic. Regin. lat. 7o5',tjui contenait d'abord la deuxième édition),
et deux exemplaires anciens (Bibl. nal., lat. 4977, et Cambridge,
Trinity (Collège, 11. /|. ^3), plus une co])ie de la main de Baluzc,
prise vraisemblablement sur le inanusciit de Toulouse (Bibl. nat.,
coll. Baluze 92).
Labbe a impriini'deux fois, identi(pieinent, lesPriores Grandimuntis,
en i65 i'''et en i()57'"', d'après le manuscrit 038 de Pelau,aujourd'bui
Vatic. Bcgin. lai. 705'; malb(.'ureusement, il a fait beaucoup de
couj)ures dans le texte de Bernard Gui que lui louruissait ce manu-
scrit. En 1 729, Mai Icuc cl Durand ont publié fidèlement, d'après le
manuscrit de Toulouse, le récit linal de la ({(M'uière édition'"*'. En 1 8r)5,
Natalis de Wailly a mis au jour, d'ajjrès les manuscrits 4977 et ^929
intégralement rejjioduits, les derniers articles, à partir de Foucber
Grinu)ard, dix-scplieuje prieur''*'. En somme, nous ne ])ossédons
pas une b(jnne édition de cet opuscule, lait d'autant plus regrettable
que rim])orlance de l'Ordre de Grandmont, au point de vue littéraire
aussi bien qu'au point de vue religieux'"'', mérite (pi'on étudie avec
soin les monuments anciens de son bistoire.
11 ne faut pas cependant surfaire le mérite des /Vfo/'<?5 Grandunontis
de Bernard Gui, ni s'attendre à y trouver plus que l'auteur n'a voulu
y mettre'*^', d'est un précis, non une bistoire, qu'il a entendu rédiger,
et il a rarement dépassé son iutention. H s'étend, il est vrai, avec
quelque complaisance sur la biograpbie du fondateur de l'Ordre,
saint Etienne de Muret, et sur les détails de la réforme accomplie
par Jean XXII, détails qui se retrouvent textuellement dans ses
Flores chronicoram. Mais, pour le reste, ce ne sont que de courtes
notes qu'il oifre au lecteur, sans lui en dissimuler l'état précaire:
'"' Abie(jé royal de t'AUuiiice chronolo(jique , l'abbaye de Grandmont (Paiis, 1877), p. 111,
j). 608-61 ■>,. noie ; Camille Couderc, Les manuscrits de iab-
'■' Nova bibl. mss. libr.. Il, 276-277. baye de Grandmont , dans Bibl. de l'Ecole des
''' A m plbis. coU., l.W, col i46-i48. chartes, 1901, t. LXIl, p. 363 373.
'*' Historiens de la France, t. XXI, p. 76 1- "' liappelons le jugement de Marlene et
762. Durand, qui anrait été sans doute plus équi-
'" Voir surtoul un article de D. Hauréau, tabli; envers Bernard Gui si les savants Béné-
qui constitue un supplément important à VFlis- dictins s'étaient rendu compte que le texte
loirc liltcraire, <lans Notices et extr., t. XXIV, publié par Labhe n'était qu'un texte tronqué:
2* partie (1876), p. 247-267 ; cet article tst «De prioribus Grandimontis scripsit Bernardus
intitulé: .Sur quelques écrivains de l'Ordre de «Guidonis..., sed leviora sunt, immo levis-
Grandmont, d'après le n" iliSl de la Bibl. nat. • sinia qu;e refert • ( Ampliss. coll., t. VI,
CI'. Louis Guiberl, Destruclii>n de l'Ordre et de col. i i,'<).
SES ECRITS.
213
ici il laisse une date en blanc'"; là, ajjres avoir affirmé un fait,
il remarque qu'il est contredit par un autre témoignage'^*; ailleurs il
se plaint de manquer d'informations '*'. 11 s'est pourtant donné de la
peine pour se documenter: il est allé à Graudmont-niême, car on
constate qu'il a fait des emprunts au iamoAW Spéculum constitué parle
septième prieur, (jérard Itier''''; il a mis aussi à profit, d'après un
manuscrit de Saint-Martial de Limoges, la chronique du prieur de
\igt'ois'''\ On ne peut sans injustice lui reprocher d'avoir ignoré les
curieuses notes du chroniqueur Bt'rnard Itler, bibliothécaire de Saint-
Martial un siècle au|)aravant, le([uel j)()itait «î Grandinont un intérêt
particulier"'': (Mifuui(!s dans quehpies-uns des manuscrits conliés à sa
garde et où il les avait jetées pêle-mêle, cc^ notes semblaient défier
toute recherche suivie. A ])lus forte laison n'a-t-il pu connaître ni
une verbeuse chronique rédigée à Grandmont même, ni l'abrégé qui
en a été fait peu après: ces deux documents, qui s'arrêtent, comme
l'opuscule de Bernard (îui, à la nomination du premier abbé, sont
certainement postéiieurs de (juelques années à fépoque où notre
auteur s'est mis à l'œuvie'^'. H est indispensable, toutefois, pour se
formtM- une opinion définitive sur la valeur piopre des l'nores Graïuh-
monlis, de comparer cet opuscule aux écrits similaires do'it nous ve-
nons de rappeler f existence et avec lesquels il offre d'assez nombreuses
divergences de détail. C'est une tâche qui incombe à la criticjue his-
torique et que nous ne pouvons aborder ici'"'. Nous nous contenterons
'■' Par excin|)le, au sujel de la inorl du i4*
prieur, et de la résignation des 19.', i3', i5'
el i6* (jrieurs.
'*' A proi)os du troisième prieur, il écril :
u In Grandiiuonte diem clausit extremum sujj
• anno Doiuini, ul eslimo, m° c° xl° i° ;
u alicubi vero scribitur quod ipse prioralui resi-
«gnavit» (Bibl. nat., lat. âgag, fol. y^)-
''' • De quo notatuni amplius non inveni <>
(8* et lo" prieurs); «de quo scriptum aliud
• non inveni» (9' prieur), etc.
'*' Voici une citation à joindre à celle qu'a
faite Delisle : iSicut habetur et scribitur, e\
« quodam miracuio tune patrato, in libro qui
• ibidem Spéculum nominatur» (Bibi. nat.,
lat 6929, loi. 7^').
''' • In quodam libro aniiquo Sancti Mar-
• cialis scribitur qnod iste Petrus Bernard! luit
« frater Bernard! Aymerici, militis de Ere ...»
[Ibid.). Il s'agit du 5* prieur; Bernard Gui a
conigé et modifié, d'après ce manuscrit (cf.
Labl)c, Aoi'n bibl., t. 11, p. 317), ce qu'il en
avait dit dans sa première édition.
'*' Voir l'édition de Duplès-Agier, Chroniques
de Saint-Mui liai de liiiiioges . p. 48, 49, 52 , 53,
54. 57, 94, 95, 98.
''' Ils ont étépiJjliés par Marteneet Durand,
sous les titres de : Hisloiia prolixior el Historia
brevis piiorum Grandimonleiisium , dans Am-
pliss. coll., t. \1, col. ii3-i46.
"' Quelques efforts ont été faits dans cette
direction, mais sans esprit de suite, par le
chanoine A. Lecler au couis de sa volumineuse
Histoire de l'abbaye de Grandnwnt, publiée,
de 1907 à 1910. par le Bail, de la Soc.
arch. et liist. du Limousin, t. LVll, p. 129-171,
413-478; LVllI, p. 44-94, 431-497; LIX,
p. i4-C6, etc.
2U BEH.WRD GLl. FRÈRE PRÊCHEUR.
(le remarquer que , dans le cadre étroit qu'il s'était assigné , Bernard Gui
a porté son attention sur quelques points dont ses prédécesseurs ou
ses émules ne paraissent point s'être souciés, et a seul transmis à la
postérité quelques faits qui ne manquent pas d'intérêt : presque
toujours, par exemple, il nous informe du lieu d'orif^nne de chaque
prieur ", et nous lui devons un curieux renseignement sur l'éducation
du futur pape Clément V dans la maison grandmonlaine de Defès'^'.
Dans les Prions Giundimontis, comme dans la plupart de ses œuvres,
l'histoire recueille les bénéllces de son inépuisable ruriosité.
26. NOMINA EPISCOPORUM LEMOVICEySlUM '^'.
Inc. : l^rimus omnium episcoporum sedis Ijemovicensis tuit bealissimns Mar-
lialis. . .
Comme l'a remarqué Delisle, nous ne possédons pas cet opuscule
sous sa première forme. La rédaction la plus ancienne (jui nous soit
parvenue est datée, dans le litre, de Toidouse i 3i6, et porte déjà la
trace de certains remaniements. Par un heureux hasard , la forme primi-
tive, dont le texte latin a disparu, est celle qu'avait sous les yeux frère
Jean (iolein, et qu'il a traduite en français en i36r); nous savons,
grâce au traducteur, que Bernard Gui en avait terminé la rédaction
le r' mai i 3 i 5 '*'.
L'édition, datée de i3i6, vingt-deuxième année de l'épiscopat de
iiainaud de La Porte, se termine par ces mots : « Lemovicenseni ec-
.. clesiam ornât et gubernat hodie quo hec scripsi. » Elle nous a été
conservée par le manuscrit Bibl. nat., nouv. acq. lat. 1171 et par le
'' 11 nous apprend notamment qae Bernard > postmodum papa Clemens» (Bibl. nat., lat.
de GaiididiiKir clail du diotésc de l'érigueux ; -^g^;). fol- 74). Le séjour de Clément \ entant
cela nous permet dalTiriner que son nom de à Defès n'a pas été mentionné dans la no-
l'amille. (lue i'WiVioriVi /ireri'i altère en firriHfiu/- tire que lui a consacrée Y Histoire littéraire,
niar et \ llistoria piolLxior en (iaudalinar, est t. XXVllI, p. a^a-il'i.
emprunté au village de Gnndiimnt , romm. de "' Article ix de Oolisle, p. iSç) tGo.SS i0.5-
I^nssac, cant. de Lanouaille, arr. de Nonlron. 107.
'*' Conim. de Ferrensac, cant. de Casfdlon- '' • Cestuy régnant gouvermiit l'église de
nés, arr. de Villeneuve-sur- l.ol. Delisle a « l.ymoges au temps que reste cronique fu or-
relevé le fait , mais en tronquant fâcheusement "denee.es kalendes de may l'an de Nostre
le début du texte de Bernard Gui, (|ue voici «Seigneur mil c.r.r. et xv, et l'an xxi* de son
aucomiilet : •> l'etnis de Causaco... Hic in domo «eveschié, vacant le saint siège de Rommei
• de I>lenso, OrdinisGrandimontis, ind\ocesi ( ms. Vatic. Regin. lat. 697, fol. iib , dans
. .\gennensi , aliquo tempore educavit dominum Mél/injef publiés par l'Ecole française de Borne,
■ Bertrandum de Gotlio in puericia, qui fuit 1881, t. I, p. ^71).
SES ECRITS. 2ir)
ms. Oltobon. lai. loaS du Vatican'". Elle se trouvait probableuienl
(à moins que ce fût la première) dans le ms. Vatic. Regin lat. 706',
qui est malheureusement incomplet, et où la lin de la dernière
édition a été transcrite par une main postérieure. On l'a reconnue
avec certitude dans le premier état du manuscrit 45o de Toulouse,
où elle a été de même allongée après coup.
La dernière édition est datée de Toulouse, i 3'io ; elle va jusqu'au
sacre de l'évèque (jéraud Roger (i3 février i3i7), et ses derniers
mots sont : «in vigilia sancii Valenlini». Nous en connaissons huit
manuscrits anciens : trois à la Bibliothèque nationale (lat. /4()77, 5o^3
et 5929), un à la Bibliothèque de Toulouse (n" 4>^H)], un à laBiblio-
thequedu Vatican (Regin. lat. 700'), un à la Bibliolhècjue \allicellano
de Rome (B 29, dont une copie moderne se trouve à Bruxelles sous
le n" 860 i), un à la Bibliothèque de l'Escorial (P. i. i5, décrit dans
Aiitolîn, Catàlofjo cité, t. lll, j). 2(37) et un à la Bibliothèque de I^is-
bonne (Alcobaça 295). Delisle a noté en outre l'existence d'une
copie dans le tome 92, p. 48-73, de la collection Baluze, à la Biblio-
thè([ue nationale. Cette copie est de la main même de Baluze; elle
doit provenir du ms. 45o de Toulouse, dont elle reproduit le litre.
Deux autres copies, non signalées par Delisle, se trouvent dans le
volume 44 de la même collection, toutes deux de la main d'André
Du (Ihesne, aux folios io5-i it et 1 i3-i20. L'une et l'autre oflrent,
dans le litre, la date de iSig, et non i320, comme les manuscrits
anciens que nous connaissons directement ''^'. Celle qui s'étend du folio
'' Ce nianuscril u'esl pas nienliuiiiie par réteà Eusiorgius, 44'évêque ; c'est l'u;uvre<J'un
Delisle. A la suite ciu texte de Bernard Gui , il érudit du xvii' siècle, qui critique Bernard Gui
contient une continuation , œuvre de différents et cite Surius. A la suite se trouve un catalogue
auteurs, dont la Un, rédigée en français, >a sommaire des évéques de Limoges, provenant
de Charles de \ illiers ( 1 52 1 ) n l'avènement de d'un manuscrit de l'ahbaye de (îrandmont.
Jean de L'Aubespine (i58a ). Une continuation qui se termine par la mention de l'évèque Rai-
analogue, mais différente sur cerlains points, mond de La Marthonie, nommé en 1618, iqui
a été publiée par M. Alfred Leroux, d'après « hodie vivit et diu vivat •. En revanche, on
une copie du xvii' siècle, dans le tome I, trouve dans un recueil de Gaignieres (IMbl.
p. ■i'jo-2-j'ô, des Archives hisl. de la Marche cl nat. , lat. 17118, p. ai^-ai'j) une copie
du Limousin (Limoges, 1887). L'éditeur dit à identique à celle qu'a publiée M. Alfred
tort qu'il en existe une seconde copie dans Leroux.
le tome 44 de la collection Baluze à la Biblio- ''' Notons pourtant que la leçon primitive
tlieque nationale. Le texte copié dans ce vo- du ms. de la Bibliothèque nationale, lat. ba'>,^
lume par André Du Chesne (fol. i3i-i35), parait avoir été «anno millesimo ccc'x'ix"»;
et que son fds François a intitulé : Gesia alia il y a des traces de grattage entre les
Lemovicensium episcoporuni , iiicerlo authore, s'ar- deu\ x.
1
21G BERNARD GUI, FRKRE PRÈCIIEl R.
1 13 au folio 1 2 G, prise sur un manuscrit perdu de Jean, abbéfle (oyen-
val'*', est sans intérêt particulier. L'autre, transcrite du folio io5 au
folio 112, d'après un manuscrit du Spéculum sanctorale qui se trouvait
à Limoges et qui a disparu, est un remaniement très libre du texte de
Bernard Gui : corrections de style, interpolations, suppressions et
transpositions arliitraires y foisonnent, mais rien ne permet de préciser
la date i laquelle vivait le remanieur. Le texte s'arrête après la notice
consacrée à l'évêque Aimeri de La Serre, mort en 1272.
Labbe a publié, en 1 6^7, l'opuscule de Bernard Gui surles évèques
de Limoges, d'ajirès une copie qu'il avait trouvée dans les papiers de
Besly et qui ])rovenait du même exemplaire du Spéculum sanctorale
ue la copie de Du Cliesne dont nous venons de parler'^'. La copie
e Besly est plus abrégée que celle de Du Chesne, de sorte que
l'édition de Labbe, où abondent d'ailleurs des fautes de tout genre,
n'a pour ainsi dire aucune valeur ''^ Il en va autrement de celle (pi'a
donnée Natalisde V\'ailly, en i855, dans les Historiens de la France^'^\
d'après deux bons manuscrits de la Bibliotbèque nationale (lat. 4977
et 5929); mais elle laisse intentionnellement de côté tout ce qui est
antérieur à l'avènement de l'évêque Gui de Glausel (1226).
La traduction française de frère Jean Golein, signalée plus baut'''*,
est inédite; on n'en connaît pas d'autre manuscrit que celui qui a
été indiqué.
Bernard Gui a été là, comme toujours, un compilateur diligent;
mais il ne faut pas exagérer la valeur bistorique de cet opuscule. Jus-
qu'au commencement du xiii" siècle, la suite des évêques de Limoges
est identique à celle de Bernard Itier. De beaucoup, parmi les plus
anciens, il ne connaît et ne donne que les noms; seuls, ceux qui sont
morts en odeur de sainteté, ou dont mention est faite dans quelque
vie de saint, sont l'objet de notices développées ou de remarques
détacbées. A partir du x^ siècle, il utilise ordinairement, sans le dire
''' Au diocèse de Chartres (Gnllia christ., texte ■ainpiius,muItisquepartibuslocnpleliusi.
t. VIII, col. i333). Plusieurs abbés ont porté ''' M*' Louis Ducbesne s'en est rapporte à
le nom il ^ Jean, et il n'est pas facile de découvrir celte édition pour parler de l'œuvre de Bernard
parmi eux le possesseur du manuscrit. Gui dans ses Fastes épiscopaux de la Gaule,
•'' Nova bibl. mss. libr., t. II, p. 265-271; a" éd., t. II (1910), p. igbo.
cf. le Syllabas scriptorum, sectio prima, VllI, '*' Tome XXI, p. 75/1-756.
en tète du volume, où l'éditeur déclare qu'il '' Page3i4;cf. Histoire littéraire, t. XXIX,
publiera plus tard (ce qu'il n'a pas fait) un p. 399.
SES ÉCRITS. :^I7
toujours, les chroniques d'Adémar de (ihabannes et du pruMir de
Vigeois, et celles qui ont été compilées, au xiii" siècle, à Saint-Martial
el à Saint-Martin de Limoges. H renvoie expressément aux «livres
..antiques» delà cathédrale Saint-Etienne; il résume des « mémo-
.(fiauxii rédigés dans l'abbaye de Saint-Augustin, dont il ne s'avisera
que plus tard de suspecter la véracité*". Sur le jour de la mort de
saint Xuréiicn, deuxième évêque, il fait appel au témoignage écrit
d'Étiemie de Salagnac, sans songer qu'il aurait dû en contrôler la
valeur'^^ de Dali\us, huitième évêque, il alTirrue avoir lu « in (|uodam
ilibro.. qu'il fui déposé, sans nous dire dans quel livre, ni si ce livre
mérite créance. Sur les derniers évèques, les renseignements qu'il
i'ournii sont de ])remière main et très précis, mais on regrette qu'ds
ne concernent que des faits externes. Ses notices sur les préiats dont
il a été lec ontemporain sont décharnées et incolores. En somme,
Bernard Gui tient plus de Bernard Itier que du prieur de Vigeois,
l't c'est dommage.
27. De FUI^DAIIOME ET PliOOIiESSU MONASTERII SaiSCTI AudUSTHSl
Lemovicensis^'^K
Inc.: Sicul poslerilati sue fideiis tradidil ciiai ratio. . .
Opuscule dont on connaît sept manuscrits, dont trois originaux et
un qui ne contient que le début :Bibl.nat.,lat./i97 7, 4988 (incomplet),
5o43, lat. nouv. acq. 1171 (original) ; Toulouse 45o (original)'"';
Cambridge, Trinity Collège R. 4- 2.V'); Rome, Vatic. Regin. tat. 705^
(original)'*'. Les manuscrits complets se terminent par cette phrase :
«Primus igitur abbas monasterii Sancti Augustini fuit dompnus Mar-
ie tinus superius memoratus. » On serait porté à voir là l'amorce d'un
'"' Voir plus loin , p. 21 9. d'Orléans (Acia Sanctomm . Mai , t. II , p. 386).
''' tCujus leslum in antiquis kalendariis et <'' Art.xi de Delisle, p.a6i-263, S 1 10 1 1 1 .
.missalibus olim nolatura inveniebatur, sicut '*' La copie faite par Baluze, et oui nous est
«ego scriptum reperi de manu religiosi et an- parvenue dan» le tome 93 de la rollection qui
.. tiqui viri fratris Stefani de Salanhaco, qui porte son nom , à la Bibliothèque nationale , doit
«viderati (Bibl. nat. , lat. nouv. acq. 1171, provenir de ce manuscrit,
toi, 2o4'). Les Bollandistes prouvent que la <" M. R. James, ouvr. cité, t. Il, p. i5a.
fête de saint Aurélien se célébrait à Limoges <*' Dom Joseph Afril a copié notre opuscule
le 8 mai, et non le 17 novembre, comme le dans ce manuscrit, à Rome, le 19 février 1736;
dit Bernard Gui, induit en erreur par un mar- il a exécuté deux exemplaires de sa copie , tous
tyrologe qui attribue à »aint Aurelianus une les deux conservés (Bibl. nat., lat. i3io8,
mention relative à saint Anianas. évêque fol. 3o4, et lat. 171 91, fol. 3).
HIST. LITTÉR.
38
21H BERNARD (ill, FRKKI. PRKCIIKl IV
cafalogue des abbés de Saint-Augustin projeté par l'auteur. Dans le
manuscrit du Vatican, que Delisle n'a pas connu, l'opuscule est suivi
(fol. 2 4'') d'une note contemporaine ainsi conçue : vacat in islo loco
(iiiia magis complète est saperins, note confirmée par la manchette sui-
vante : magis complète est supirias, in loco suo. Malheureusement, la
partie antérieure du manuscrit, où devait se trouver l'opuscule
mngis complète, a disparu. Dans un autre manuscrit, qui provient de
Gaignieres*'', nous est conservée la copie, due au chanoine Léonard
Bandel*-', d'un manuscrit perdu de Saint-Augustin de Limoges, où
le texte de Bernard Gui, tantôt abrégé, tantôt interpolé, était suivi
d'un catalogue d'abbés de Saint- Augustin s'arrèlant à Ameil de
Montcouyou [Amelius Montecuculi), vers la fin du xiii* siècle. Le pre-
mier article est ainsi conçu : « Primus igitur monasterii Sancti
«Augustini abbas fuit domnus Martinus in diebus Turpionis epi-
«scopi; requiescit vero Pictavis in ecclesia Sancti Cipriani. •> (.e cata-
logue, rédigé dans l'abbaye même, par additions successives, n'est
certainement pas l'œuvre de Bernard Gui. Le texte en a été imprimé,
en 1739, dans les Annales Ordinis S. Benedicti de Mabillon, t. VI,
p. 693-695, probablement d'après une copie de dom Estiennot^'',
plus complète que celle que possédait Gaignieres''''.
Le De fundatione a été mis au jour par Labbe en i65i, d'après le
ms. 638 de Petau, auquel l'éditeur a fait subir, sans le dire, des cou-
pures considérables''''.
Comme l'a ren)arqué Delisle, cet opuscule traite sutout de la fon-
dation ou restauration de l'abbaye de Saint-Augustin par l'évêque de
Limoges Turpion, mort en 944 *'''• Bernard Gui a tort de croire qu'il y
avait des chanoines réguliers au vi'' siècle, et les auteurs de la Galha
cliristiana le lui ont reproché sans ménagement*^'; reconnaissons-lui
' Bibl. liai. , lat. 171 lO,]). a/iy. |i. () 1 .!■(> i .> ; tuxle reproduit en i()57, dans sa
■'' Sur Léonard Bandel, mort vers 1695, Nova inhl. inss. lihr., II, 277-378. — Le ms.
voir Allrt'd Leronx, Ball.de la Sor. arch.ethisl. fi38 de Petau est le Vatic. Regin. lat. 706'.
,lu Limousin (1888), t. XXXVl. p. 279-.!8i. ' CI". Cailla r/iris/. . t. Il, col. 57') ,et Instr. ,
'■ (^opie conservée à la Bibl. nal., lat. i274'>. col. i()7. Mabillon, dans ses ,4nH. On/. ^S. Bene-
p. loi et suiv. dirti . lil). \LIII, cap. 67, renvoie à l'opuscule
''' (îaignieres s'était aussi procuré la copie de Bernard (iui, tel que Labbe l'a imprimé,
■ l'un manuscrit d'André DuChesne, qui n'olFre mais sans nommer l'auteur,
pas cette continuation postiche; voir Bibl. nat., ' • Canonicos regulares hac In ecclesia po-
lat. 171 16, p. 407/108, t-sitos soniniavit Bernardus Guidonis. . . • {loc.
'*' Abrégé royal de l'Alliance chronologique, laud. .
SES KCRITS. •2\^>
flu moins le mérite d'avoir fouillé les archives. Non seulement il
donne des extraits de la charte de fondation et du testament do
l'évêque Turpion, s'efforçant de préciser la date de ces documents
authentiques par rapport à la chronologie des rois de France, mais
il prend à partie un opuscule sorti de la plume d'un moine de l'abbaye,
qui prétendait que Turpion était allé en Italie et avait assisté à la
translation des reliques de saint Augustin à Pavie, faite par le roi des
Lombards Luitprand ; il montre facilement que deux siècles séparent
l'évêque de Limoges du roi des Lombards, et que l'afTirmation du
moine de Saint-Augustin est sans valeur.
Dans son opuscule sur les évèques de Limoges, notre auteur donne
créance à la légende même qu'il combat dans son opuscule sur Sainl-
Au"-ustin. C'est une raison sérieuse de croire que ce dernier est posté-
rieur à l'autre. Sa critique est en progrés, et il faut l'en féliciter,
en regrettant qu'il n'ait pas saisi cette occasion pour corriger ce
qu'il avait dit antérieurement.
28. N0.MI\A SANCTOHIM QVORIM COIll'OUA I.F.MO\l<:E\Sh:\f /)/O^^.S/^f
()HNA\'T
(1)
Dix manuscrits anciens nons sont parvenus, parmi lesquels (juatrc
ont été revus par l'auteur et surchargés de corrections et d'additions
diverses: BihI. nat., lat. 4977, -^o/iS, 5929 (original) et lat. nouv.
acq. 1171 (original) ; Toulouse, nV4 5o( original); Rome, Vatic. Regin.
lat. 7o5' (original, dont plusieurs feuillets ont été arrachés), Valic.
Ottobon. lat. iSqS (copie du xv' siècle, provenant de la cathédrale de
Limoges, avec des notes marginales intéressantes, et où la biographie
de Bernard Gui lui-même est transcrite à la fin, comme un hommage
à la sainteté de sa vie) et Vallicellane, B 29; Escorial P. 1. 1 5; Lis
bonne, Alcobaça 295'-). Nous possédons également une copie de la
main d'André Du Chesne ( Bibl. nat. , collect. Baluze 44)> deprovehance
inconnue'^', et une copie de la main de Baluze [ibid., collect. Baluze
93), vraisemblablement prise sur le ms. 45o de Toulouse. Le ms.
Vatic. Regin. lat. 697 nous a conservé une traduction française,
"> Artide x de Deiisle, p. a6o-a6i, S loH- ces manuscrits, Vatic. Regin. lat. 7o5', Valic.
,Q. Ottobon. lat. 1 3a 3, Escorial et Lisbonne.
"> Delisle a ignoré l'existence de quatre de "' Copie non signalée pw Delisle.
aS.
220 lîEHWRI) Cil, FRKUE PRÈCIIEIK.
fjiite en i 36(j par frère Jean Golein, traduction inédile et donJ la
publication ne semble pas désirable*''.
///(■. • Ainplectiinui ila(|iu' oiiino et preripuc . . .
Des. : . . ideo dixit : liciirvcnlnin , id rst liens i ven , appelli'tiir hic lociis.
Labbe a publié l'œuvre de Bernard Gui en i()57 ^'; nudlieii-
rcuscinent, il n'a eu à sa disposition que le manuscrit ()38 de
Paul Pelau (aujourd'bui \alic. Rej^in. lat. 706'), rpii olïre une lacune
considérable.
L'ouvrage propremeni dit , ([ui n'pond exactement au titre, est siii\i
de deuy ])arties accessoires ayant des titres jiarticuliers. lin tête de la
première, on lit : lier simt nomma saiiclorum (jni de Lcmoviccnsi dyoccsi
nali /iKinnt aut ma.rimc amvrrsali , (juoram vorpora extra vandein dyocestni
(imcsciint et vcncrantiir m loas sibi a Domino depiilalis; en tête d<' la se-
conde : I sli qui se<iiiuntar sancti vin jacenl m dyoccsi Lemovicensi in locts
SUIS, (jni , licet miraciilis et virtutibus daiaerunl. . ., lumen in locis suis
limniluer sanclam lesurrectionem expectant . . . Sous cette dernière ru-
briqne, Bernard (îiii a placé de courtes notices consacrées à quatre
religieux éminents, mais non canonisés ofliciellement : Etienne,
fondateur d'Obazine'*', mort en 1 169; .lofroi, fondatenr du Cbalard *',
mort en 1 \>.b\ Roger, fondateur de Dalon'''^ mort en 1 1^7; Aubert,
fondatenr de Bénévenf*', en io:?8. Sous la précédente, il traite
somipairement des saints suivants, dont quelques-uns sont très
célèbres : Eloi, Vast, Amand (honoré en Périgord), Basle, Goar,
Prosper, Odon (abbé de Cluni), Remacle, Sacerdos (patron de Sarlal)
et Alpinien '^'.
Laissons provisoiiement de côté ces deux parties accessoires pour
parler du corj)s même de l'œuvre, qui débute, sans préambule, par
une longue notice sur saint Martial. Plus d'un siècle avant Bernard
Gui, un chroniqueur bien connn, Jofroi, prieur de Vigeois, avait eu
"' (!o [iianusci'it, inconnu de Dolisie, a l'-lt- iiiie fautive, AiiLa/ines, c.iiil. de Beynat, aiT.
signalé dans tes MclaïKjes publias par I'FaoIo do Brive.
rriii)rai!.p (h- lîonie, 18H1, t. I, p. •>()•!. On *' Caiil. et arr. de Saint-Yrieix.
il('\in(» que Golein eslmpie la plupart des noms ^' Comni. de Sainte-Trie, caiil. d pAidenil,
rie lien, dont prestjue aiinin n'est ronnu de lui arr. de Noniron.
'' .\().(i hllil. nis.t. lihr. , t. I.rol. ()9,()-(),'ÎH. *' Bénévent-!' Vbhaye, arr. de Bourganeut.
Lalilie a considéré les trois pai ties de l'ouvrage ' Notons que c'est par erreur que Bernard
connue trois ouvrages difl'érents. (iui rattache nu diocèse de Limoges les saints
''' Ou, d'après l'orthographe usuelle, cpioi- Hasie, Goar, Odon et Prosper.
SES ECRITS. 221
l'idée de dénombrer rapidement les saints du diocèse de Limoges''*.
Notre auteur lui doit beaucoup, et l'on s'étonne qu'il ne se soit pas
cru obligé de le déclarer. Il en a reproduit littéralement bon nombre
de passages, même de ceux où son devancier parle à la première
personne. Tel est le cas, par exemple, pour saint Domnolet, où
Jofroi dit, et où Bernard Gui répète: «de quo nichil ajiud reperi,
« nisi quod fama testatur illum principeni fuisse Lemovicorum'^'».
Avec moins de sans gène encore, Bernard Gui s'ap])roprie, en l'allon-
geant un peu, une prière à saint Martial placée par le prieur de
Vigeois à la lin de son énumération : « Ilec de tuis sufîraganeis
M sanctis, magne Martialis, me scripsisse delector '•''. »
Cela dit, et nous étions tenus de le dire, il est juste de reconnaître
que notre auteur a fait d'importantes additions à l'œuvre de son pré-
décesseur, et qu'il a fourni à l'hagiograpliie du diocèse de Limoges
une base précieuse, telle qu'on souhaiterait d'en avoir pour tous les
diocèses de France. Les notices les plus longues, il est vrai, ne sont
pas les ])lus neuves, car l'auteur a su tirer, à l'occasion, plusieurs
moutures du même sac : une partie de ce qu'il dit de saint Martial se
retrouve dans ses Flores chronicomm , une autre partie dans ses Nomina
episcoponim Lemovicciisium; les notices sur les saints Marc et Sébastien
ne dillèrent pas de celles qu'on lit en tète de ses Priores Ordinis
Artigie. La valeur propre des Nomina sanctoram reste cependant consi-
dérable, parce que l'auteur y a inséré par-ci par-là des renseigne-
ments personnels qu'on chercherait en vain ailleurs. On peut citer
sa notice sur saint Just comme un bon spécimen de sa manière'*':
Sanctum Justum, magni Hylarii Pictavensis presntis discipulum, habere se gau-
dent monactii de Sancto M;irtino in subuibio castri Lemovicis, ul)i consnevit anti-
(|uitiis Ad lîasilicam ap[p]ellari, quamvis olim dicerent clerici sanctum Justum
ecdesio non déesse in qua primo rondilus fuit, longiusab urbe miliario .sexto, sicut
memiiiit jn k;iiendario Usuardus. Domini aulem caiionici Sancti Stephani ec( lesie
'■' Voir Labbe, Nova bibl. mss. libr., t. H, Vigeois (d'après Labbe, f. II, p. 286) pour
p. 284-287; le dénombrement occu|)e la fin du que le lecteur puisse juger de ce que Bernard
chap. i4 et tout le chap. i5 de la Chronique Gui a ajouté à l'œuvre de son devancier :
da prieur de Vigeois. iMonachi de S. Martino, quod monasterium
'*' Labbe, t. II, p. 28G ; cf. Bernard Gui «Ad Basilicam appellatur, habere se gaudent
dans le ms. Bibl. nat. , lat. 5(j2(j, fol 60''. «Justum illum discipulum magni Hiiarii Pic-
' ' Labbe, t. II, p. 287 ; cf. Bernard Gui « tavensis praesulis, quamvis ipsum dicant de-
dans le ms. Bibl. nat., lat. 5(p(), loi. 6d*. irici non déesse ecclesiae in qoa primum con-
'*' Nous plaçons ici le texte du prieur de idilusfuit. »
1 7
■222 HEMWUl) fUI, FHKl^K PUIX-IlKLlî.
cHthedralis ipsuin Jiistum habere se diciinl, et fuisse ab iHa eccle«ia ad suam cathc-
dralem ecclcsiam deportatiim. Vidi ej^oparitor et audivi capeilanum antiq[u]urn, qui
se asserebat audivisse seriose referri a fratre (i^raldo de Fracheto , Ordinis Predicato-
rum, viro religioso pariter et famoso, quod in processione, qua corpus sancti Justi
aliatum fuit et receptuni ad ecclesiam Sancti Ste|)hani cathedndem , ipse fraler
<kral<lus presens aiïuerat et, sicut juveiiis clcricus, ofTiciurn acoliti in processione
peregerat, sicut moris est, candelabrum deferfiido'". Hune heatum Justum, cuin
esset annoium circiter deoem, irigruente teiupestate niniia super arboien), angélus
Domini adbuc oathecuminuiTi custodivit. A beato Hyiario piomotus est in sacer-
dotem. Asinum, super (|uem Hylarius seder*^ consueverat, lupus, ipso obdormiente,
in silvaiii duxit, sed, Justo orante, ipsum inculumeni lupus ipse reduxit. Cecum
illuminavit. Dexteram manum cojusdam curavit. .Manus aruerunt illorum qui cap-
tives reincarceraro voluerunl. Hujus meminit l'suardus vi kalendas derembris'^.
l'ernard Gui ne nous a pas f'ail connaître expressément la date
à laquelle il a composé ses Nominn sanrloruni. Essayons de suppléer à
son silence. Il place Tulle dans le diocèse de Limoges*^', Sarlat dans
le diocèse de Périgueux'*', Castelsarrasin dans le diocèse de Tou-
louse'*' : donc il ignore la création des évôchés de Montauban ( 26 juin
1.317), de Tulle et de Sarlat (i3 août i3i7). Comme on sait qu'il
se mit en route pour l'Italie à la fin de mars de cette même année
i3i7, la première rédaction des Nomina sanctorum a dû être arrêtée
au plus tard à la fin de i3i6,ou tout au début de 1317. Nous
disons : la première rédaction, bien que Delisle n'ait pas signalé
expressément l'existence de rédactions successives. Il a noté du
moins que deux manuscrits, à sa connaissance (Ribl. nat., lat. ^77
et 5929), contenaient des détads complénentaires relatifs à saint
Prosper. 11 importe de préciser davantage. Dans la première rédac-
tion, représentée parle ms. Bibl. nat., lat. nouv. acq. 1171, fol. 216%
Bernard Gui dit siinplemenl :
Sanctus Prosper, doctor, cujus sentencieexlant, de Aquilania natus luit. Hic apud
hegiuui , civilatem Lombardie, ubi fuit episcopus , requiescit. Hic iuit notarius
sancti l^eonis pape.
'■' Cet inléres<iant tômoigaage biof);raphiqiie c(. ibid.. l. XXI, p. 7<j4), el Delisle l"a cru sur
sur la jeunesse de Géraud de Frachet a été si- parole ( Histoire littéraire, t. XXXII, p. 55i ).
gnalé pour la première lois par Nalalis de ''' Bibl. nat., ms. Int. 5()2i), fol. Si)"*.
Wai% (Hiitoriens de la France, t. XXI, p. a); " A propos de saint Odon, abbé de Cluni
■nais l'éminent auteur s'est trompé de dix ans Bibl nat. , lat. .'J92C), fol. 6^4*).
sur la date de la tr.inslatlon des reliques de "' À propos de saint Sacerdos(ifci(i.).
saint Just, qui est de I2i5 el non de 112b '*' À propos de saint Alpinien (iôiU, fol. 65*).
SES KCRIIS. 22:i
Dans le ins. Bihl. nat., lat. 4977, fol. 179''', la notice est beau-
coup plus ample:
Sanctus Prosper, doctor, cujus seulencie et libri muUi extant, de Aqiiitaiiia nalus
fuit. Hic apudRegium.civitatem Lomhardie, ubi i.t// afinii luit episcopus, requiescit.
Hic fuit iiotarius sancli Loonis pape pnmi. Sepaltus fuit in basilica non longe ah ipsa
ctvitale constracta, ubi nunc c[s]l uobilis abbacia, vu kalendas julii; cujus corpus post
mulla annuruni curricula levalumfnU, cam mira odoris frugmncia , et m eadeni busilicd
snb allari decenter locatnmper episcopuni Thoniam noniine, viriini sanctum, vin kalendas
decembris, sub anno Domini dcc'iii', tempare Johanms pape qainli. Postmodiun vero, snb
anno Domini M°c XL°viii°, sancte lelufuic corparis fueniiil ibidem iterum divinalile(iat'>^'
cuni niallis episcopis.
Dans le ms. Vatlc. Regin. lat. 706', fol. 9% Bernard Gui a inscrit
de sa main, en marge de la rédaction piimitive, la note complémen-
taire suivante, retouche manifeste de celle que l'on vient'de lire :
Anno vero Domini ccrc°LXxT, paulo plus minusve, sicut ostimo e\ liiis que rirca
hoc studui et collpgi, beatus Prosper, memoratus Régine uibis aniistes, féliciter
ibidem obdormivit in Christo, vu" kalendas niensis julii, in bonis et opliuiis con-
sumpiiialus. Anno vero Domini Dcc°in°, vm" kalendas decembris, fuit translaluni
corpus sancti Prosper! de primo tumulo ad secundum per veneraliilem viruni Tho-
mam, tune episcopum Regiensem, in Romana sede présidente Johanne papa
soxto, et Luprando christiaiiissiino genlis Longobardorum rege. Anno vero Domini
M°c°XL°nii°, luit revelatum et maiiilestatum pariter et ostensum verum corpus bcati
Prosperi esse in basilica et monasterio ipsius nomine nuncupato, contra ligmentum
cujusdam alterius corporis simulati in ecclesia de Castello^'.
Le lecteur estimera sans doute, comme nous, qu'on doit voir, dans
les additions faites, sous deux formes différentes, à la noiice de saint
Prosper par l'auteur des N omina mnctorum,\ èc\\o des renseignements
qu'il avait recueillis pcrsonnellemeni lors de son court passage dans
la ville épiscopale de Reggio, en juillet 1 3 1 7 '''. Après avoir rendu
hommage à sa diligence, il faut bien constater que sa critique n'a pas
grande portée. L'Aquitaine n'est pas le Limousin, et Prosper d'Aqui-
taine, théologien et chroniqueur du v' siècle, doit être soigneu-
srn
'"' Passage mani lestement altéré par le de la main île Bernard Gui, sauf peutèlre
ibe. trois mois ajoutés après Castello pour plus de
'■' Cl. Labbe, A'oua 6i7i/.m5j./i7ir. , 1. 1, p. 63y. précision lopographique : infia enndem urhen
Dans le ms. Bihl. nat , lat. 5()3g, fol. 64% il y Dans la première phrase, après niensis julii , on
a une addition identique, à quelques menus lit : eiiscopalas sni anno xx'ti'.
détails près, mais il n'est pas sûr qu'elle soit ''■' Cf. ci^les'us, p. i5r).
224 BERNARD GL7, FRÈRE PRÈCHEl R.
sèment distingué de son homonyme et contemporain, l'évêque de
Reggio ''*.
B. — Toulouse.
29. NoMiNA EPiscopoRUM Tholosane SEDIS^'^K
Cet opuscule, daté par l'auteur du i4 novembre i3i3, débute
par ces mots : «Primus omnium episcoporurn Tholose . . . » Il a été
transcrit en sa première forme dans le ms. Bibl. nat. , lat. nouv.
acq. iiyi, mais pour certains passages, qui ont été modifiés par
la suite, le texte original est difficile à retrouver sous les surcharges
et les grattages. Il a été continué à quatre reprises différentes : en
i3i5 (Bibl. nat., lat. 5o36a), en i3i6 (Bibl. nat., lat. nouv. acq.
1171, qui contenait d'abord le texte primitif), en i3i7 (Bibl. nat.,
lat. 4977 et 5929; Toulouse 4«'io; Vatic. Regin. lat. 706^, qui con-
tenait d'abord le texte d'une édition antérieure; Escorlal P. i. i5)
et en 1327 (Bibl. nat., lat. 4985; Toulouse 45o).
En i3i7, l'auteur ne se contenta pas d'enregistrer la canonisation
de l'évêque Louis d'Anjou (26 mars), il transcrivit l'office du nou-
veau saint.
I^e ms. Bibl. nat., lat. ^929 a reçu, à la fin du xv* siècle, une con-
tinuation qui va jusqu'à l'archevêque Bernard de Rosergue.
Frère Jean Colein, en i36g, mit en français notre opuscule
d'après le texte latin de 1 3 1 5 '^'.
En i855, Natalis de Wailly a publié la dernière partie du texte
arrêté en i3)7, d'après les mss. Bibl. nat., lat. 4977^ 5o36 a et
5929 '*', mais en laissant de côlé l'office de l'évêque saint Louis.
Bernard Gui a remarqué lui-même que son catalogue ne devenait
exact et complet qu'à partir de l'épiscopat de Fulcrand'*'. H ne semble
pas avoir trouvé pour Toulouse, comme il l'avait fait pour Limoges,
un catalogue antérieur qui lui ait servi de base ; sa compilation n'en
'■' Sur saint Prosper de Reggio, voir Acta *' Historiens de la France, t. XXI, p. 753-
Sancloram , Juin, t. V, p. 53 et suiv. Le témoi- 754. Le texte commence avec la notice de
gnage de Bernard Gui n'y est pas cité. Tévêquc Bertr.ind de L'Isle, élu en 1370.
''' Article XV de Delisle, p. 270-273, S 1 23- '*' tEstimo plures alios a predictis fuisse
lag; cf. Histoire lilléraiie, t. XXIX, p. 4o6. «Tliolose episcopos 0 protopresule Salumino
''* Mélanges publiés par l'Ecole française de «nsque ad Fulcrandum episcopum, qui imme-
Rome. 1881, t. I, p. a 68 et 271. adiale tequitur. quorum nomina minime potai
SES ECRITS. 225
est que plus précieuse, et il est à souliaiter qu'elle soit l'objet d'une
étude critique, étude que nous ne saurions entreprendre ici''\
30. Comités Tiiolosi.\i^'^\
Inc. : I^egilur in Gestis Franconim et in chronicis antiqnis. . .
Des. : . . .ad inannm illustris régis Francie davolutum.
Le résumé consacré à l'histoire des comtes de Toulouse a joui
d'une vogue considérable et a fait autorité jusqu'au wn" siècle, où
Catel a repris le sujet sur des fondements plus larges et plus solides.
Delisle en a cité vingt-quatie manuscrits*^', et il en a été fait, au
moyen âge, deux traductions françaises indépendantes l'une de l'autre.
Rien ne permet de préciser la date à laquelle Bernard Gui l'a
rédigé de premier jet. L'examen minutieux auquel Delisle a soumis
un grand nombre de manuscrits montre que le texte primitif a été
plus d'une fois complété ou modifié par l'auteur, sans qu'il soit
possible de distinguer rigoureusement des ('ditions dilférant les
unes des autres par des caractères fixes. Si peu importantes que
soient les variantes signalées par Delisle, elles mettent en lumière,
une fois de plus, la conscience avec laquelle Bernard Gui s'efforce de
rapprocher de la perfection tout écrit sorti de sa plume; on y remar-
quera particulièrement l'emploi qu'il fait de chartes trouvées par
«reperire; a Fulcrando vero deincrps omnes d'Espagne, 2 G 1 [Neiies Archiv , 1881, t. VI,
«quisuccessemnt episropiordinate et coiiiplele p. 34)-345),et Bil)liole'.a narional,] i ()3 ( Bibl.
« inferius descrihuntur» (Delisle, p. Q70). de f Ecole îles eluiilcs, i8c)G, f. LVll, p. 638).
''' Dans ses Fastes épiscopaii.v de lu Gaule, Une copie, ili; la main de Du Chcsne, est à la
M*' Louis Duchesne n'a pas fait allusion au ca- Bibliolhrquo nationale, coll. Balu^e , lih, fol.
talogue de Bernard Gui. loi-io'i ; elle est conforme aux manuscrits les
''' Article XIV de Delisle, p. 266-270, S 1 aS- plus complets. Mentionnons enfin r<>xemp!aire
129. de la Bil)liothè(|iii' de l'Université de Giesseii ,
''' Quatorze à la Bibliothèque nationale, n'-.iyo ( Valent. Aihian ,('a<a/. rorfi'r. BiW. Icat/.
dont trois originaux , un à Toulouse (original), Giessensis, i84o, p. 8()-87), sur lequel l'atlcn-
un à Montpellier, quatre à Rome, un à Milan, tion a été attirée par le chanoine U. Chevalier
un à Londres, un à Cambridge, un dans la [Le: Lettres chrétiennes , 1880, t. I, p. 161) et
collection de sir Thomas Phillipps (aujour- qui offre de l'intérêt pour l'histoire de l'art. Il a
d'hui Bibl. uat., lat. nouv. acq. 77(j). H laut été exilcuté à Toulouse, en 1625, et illustré
ajouter: Merville [Mém. de In Soc. archcol. da par la reproduction, due an célèbre peintie
Midi de la France, 1886- 1889, t. XIV, p. 443- municipal Jean Clialelle, d'une miniature du
445); Home, Vatic. Palat. lat. 965 ; Escorial, w* siècle, aujourd'hui disparue, qui contenait
P. I. i5 (Neiies Archiv, 1881, t. VI, p. 260-261 ; les portraits des anciens comtes ; sur cette an-
cf. Antolin, Catàlogo cité, t. III, p. 268, où cienne miniature, voir E. Roschach, Lei (/oHic
l'auteur a amalgamé les /{ejes /"V((«cor«m et les livres de l'Histoire de Toulouse (Toulouse,
Comités Tholosaiii) ; Madrid, bibl. privée du roi 1887), p. 273-375.
HIST. LITTER. XXXV.
'9
226 BERNARD (iUI, FRERF. PRECHEUR.
lui, après la mise au net de son opuscule, pour préciser la
clironologie des comtes de Toulouse des xi' et xii^ siècles. 11 va
d( soi que les résultats auxquels il est parvenu ne sont pas le
dernier mot de l'érudition, mais il a vu la bonne méthode, et on ne
saurait trojj l'en louer. La dernière partie, si dramatique par le sujet,
est un abrégé lionnéle, sans grand relief, de la chronique de Guil-
laume de Pnilaurens et des (icsla de Simon de Montfort dus à
Pierre des Vaux-de-Cernai.
Le texte des Comités Tliolosani a été publié intégralement, en 1620,
par Guillaume (^atel'*'. Depuis, il a ])ris place, par fragments, dans
les Historiens de la l'rance^'K Les deux traductions françaises qui en ont
été faites au moyen âge sont restées inédites. La plus ancienne,
œuvre de frère Jean Golein, remonte à i^ôg; elle nous a été con-
servée par le ms. Vatic. Regin. lat. 697'''. La plus récente, proba-
blement du début du xv^ siècle, est anonyme; elle se trouvait dans
le ms. L. IV. 27 de Turin, aujourd'hui détruit'*'.
C. _ Lodève^'>l
On savait depuis longtemps que Bernard Gui, pendant les der-
nières années de sa vie, qu'il passa sur le siège de Lodève, avait con-
sacré une partie de son activité à réunir et à élaborer un recueil
volumineux sur le diocèse confié à ses soins. Mais on ne possédait
sur cette œuvre que les données fournies par son successeur éloigné,
l'iantavit de La Pause, dont voici les propres termes :
Docuinenta oninia vêlera et nova, Ijiillas suinmoruin pontificum, privilégia et
diploniata regum, lioiuagia, recogniliones, cpiscoporuni Lodovensium nomen-
cialuram, corunicleiii acijuisitiones et gesta celehriora, et in universum instrumenta
omnia arl jura episcopi et erclesia^ I.odovensis speclantia in quinque magnae molis
volumina asserilius ligata per notarios piiblicos compilari jussit , quorum vix unum
iiitegrum et aiiorum epilonien nobis Calviniana rabies reliquit'"'.
Des cinq volumes qui contenaient l'œuvre de Bernard Gui, il n'en
subsistait donc qu'un au moment où écrivait Plantavil de La Pause
"' Hht. des comtes de Tolose, ap|i. , p. S-j- Home, i88i, t. I, p. 267, 270, arl. \, et
/|6. 281-282.
" T. XII, p. 372-373, et t. XIX, p. 22.^- O Ibid.. p. 281-282.
328. ''' Article XVI de Delislc, p. 273,$ i3o.
'■' Mélanges publiés par l'Elcolc française de '*' CItronologiaprœsiiliim Lodovensium, p.i6g.
SES ECRITS. 227
(i63/j). Aujourd'hui, nous ne possédons même plus celui qui avait
échappé à la fureur des Huguenots; en revanche, nous avons heu-
reusement conservé un inventaire très détaillé de ces cinq volumes,
rédigé en 1^98, sous l'éjjiscopat de Guillaume Briçonnet'''. Grâce à
cet inventaire, M"'' Louise Guiraud, dans un récent mémoire, a pu
reconstituer «sinon dans l'intégrité du texte, du moins dans l'inté-
« gralitéde sa portée documentaire, l'fcuvre entière de Bernard Gui'""' ».
Cette œuvre comprend quatre parties, cpie l'on peut considérer
comme quatre ouvrages dillerents : un (Jartulaire, un Catalogue des
évêques, un Synodal, un Etat des églises du diocèse'"''. A chacun de
ces ouvrages il convient de consacrer une notice distincte.
31. Cartulahium ecci.hsie Lodoi Ei\sis.
En tête, un court préamhule ainsi conçu :
Quoniam liUrre et instrumenta publica de faciii perduntur, ideo frafer Bernar-
dus, episcopus Lodovensis, jiissit scrit)i cartas, Incta diligent! collationc cuin origi-
nalibus et per manus notaiiormii. Nos enim ac predecossores nostri episcopi in tola
civitate et dyocesi Ijodovensi possunius faccre ol creare notarios publicos, ulpoto
(|ui plénum et menim imperium cum jure regaliuni in eadem dyocesi in solidiini
hatieinus.
Le Cartulaire comprenait cinq livres : les quatre premiers, consa-
crés aux Recognitiones , portaient simplement le litre de : Liher pnmus
recognitionum, Liber seciindus recogmtionum, etc. Le cinquième avait
un ohjet spécial, clairement défini dans le titre : Liber pnvilegioruin el
concessionam summorum pontificum el Francoriim regum atcjne alionim.
L'ensemble des documents reproduits, dont plusieurs étaient relatifs
à l'épiscopat même de Bernard Gui, et où l'on inséra par la suite
quelques pièces concernant son successeur immédiat, Bertrand
'■' Arch. dép. de l'Hérault, série G. L'in- fait un tirage à pari : Les ouvrages lodevois de
ventaire occupe les fol. 65 v°-i58 r° du vo- Bernard Gui reconstitués. Etude sur leurs sources
lume. Il en a été fait, au xvil' siècle , une copie el leur portée, par L. Guiraud (Paris, iç)oo).
textuelle, page pour page, qui est conservée ''* Notons que Bernard Gui avait pris la
dans le même dépôt, et dont le meilleur état peine de faire lui-même et de transcrire, soit
matériel permet de lire quelques passages de- au commencement, soit à la fin de ces cinq
venus illisibles dans l'inventaire original. volumes, des tables destinées h en facililer
''' Ce mémoire forme la note v de l'ouvrage l'usage : « Quos libres omncs ipse per se ipsurn
posthume d'Ernest Martin intitulé : //isioire (fe « cum diligentia labulavit» (l.i. Guiraud, p. S
la ville de Lodève, t. II, p. 398-435. II en a été du tirage à part).
228 BERNARD GUI, FRERE PRÊCHEUR.
Du Mas, et l'évêque Aimeri Hugon, qui siégea de i36i à iSyo,
atteignait presque le cliilïre énorme de 700.
L'analyse détaillée de ce recueil ne saurait trouver place ici. Remar-
(|uons seulement, instruits par M"' L. Guiraud, qu'il existait, avant
Bernard Gui, un carlulaire de l'église de Lodéve, aujourd'hui perdu.
Notre auteur a dû l'avoir sous les yeux et en tirer parti, mais il ne
la pas suivi aveuglément. Non seulement il a préféré, quand il le
pouvait, recourir aux actes originaux, mais il semble avoir écarté
de parti pris quelques documents suspects.
32. StATUTA, ORDINATIONES, CO\STITUTIONES SYNODI LoDOVENSlS.
Bernard Gui a tenu à conserver à la postérité les statuts pro-
mulgués dans ses synodes diocésains de la Saint-Luc (18 octobre)
en 1 325 et en i3i6. Pour loaÔ, Iç texte nous est parvenu au complet.
Pour iSaô, nous ne possédons que deux onUnaùones, l'une sur la
préparation du saint chrême, l'autre relative à la condamnation de
Jean de Pouilli, et dans laquelle est notifiée aux fidèles et reproduite
la célèbre bulle du pape Jean XXll, du 2/1 juillet i32 i <"; mais nous
savons, par une analyse rédigée à la fin du xv^ siècle, que, dans ce
dernier synode, fut promulguée une ordonnance sur l'organisation
intérieure du chapitre de la cathédrale. Nous possédons aussi une sorte
de constitution du synode lui-même, intitulée : Forma synodi, dont on
a proposé, avec quelque hésitation, de lui attribuer la paternité. Il est
très probable, comme M"^ L. Guiraud est portée à l'admettre'^', que
cette constitution remonte, en réalité, à f évêque Guillaume de Cazouls
(1240-1259); Bernard Gui a du moins le mérite, l'ayant rééditée, de
nous en avoir conservé le texte. Nous serions assez enclins à lui attri-
buer un mérite analogue vis-à-vis de statuts synodaux fragmentaires,
antérieurs à son épiscopat, et dont nous ne connaissons pas la date
exacte, statuts qui se trouvent, comme tout ce que nous venons d'énu-
mérer, dans le ms. 29 de la Bibhothèque de la ville de Montpellier.
Les Statata de i325, les Ordinationes de i326, et la Forma synodi
ont été publiés, en 1894, par le chanoine Douais, qui en a, le pre-
mier, fait connaître fexistence*^'.
'•' Voir histoire littéraire, t. XXXIV, p. a55.— '*> Ouvr. cité, p. 3i. — '*' Vu iiouitl écrit de
Bernard Gui (Paris, 1894).
SES ÉCRITS. 229
33. Catalogus episcoporvm Lodovenswm.
Ayant consacré des opuscules aux évêques de Limoges et de Tou-
louse, Bernard Gui ne pouvait faire moins pour les évêques de Lodève,
ses prédécesseurs. Nous serons brefs sur son Catalogus episcoporum
Lodovensium , yiarce que nous n'en possédons pas le texte dans son in-
tégrité, et qu'il est hasardeux de fonder un jugentent sur les fragments
qui en ont passé, plusou moins exactement transcrits, dans un inventaire
manuscrit fait sous l'épiscopat de Briçonnet et dans le livre imprimé
de Plantavil de La Pause. M"" L. Guiraud, grâce à une critique
très pénétrante, nous paraît avoir prouvé l'existence d'une nomen-
clature des évêques de Lodève antérieure à Bernard Gui; ce dernier
a dfi la j)ren(lre pour base de son Catalogus, mais en ayant soin de la
rectifier et de la compléter selon ses moyens d'information. 11 nous
])araît moins sûr, en revanche, que cette nomenclature puisse être
attribuée à l'évêque Guillaume de Cazouls. On notera en outre
que deux évêques de Lodève, saint Flour et saint Fulcrand, llgurent
à la fois dans le Catalogus et dans le Spéculum sanctorale. D'après
M"' L. Guiraud, il n'y a pas de diflerence essentielle entre les deux
ouvrages en ce qui concerne le premier; au contraire, en ce qui
concerne le second, le Spéculum sanctorale s'est affranchi de deux
erreurs qui se trouvent dans le Catalogus et dont il faut peut-être faire
remonter la responsabilité première à l'ancienne nomenclature utili-
sée par Bernard Gui.
34. Registrum ecclesiarum diocesis Lodovensis.
Le moyen âge nous a laissé un assez grand nombre de pouillés
diocésains. Il serait excessif de considérer la rédaction d'un document
administratif de ce genre comme une œuvre littéraire, et d'en faire
un titre pour le fonctionnaire qui l'a couché par écrit et pour l'évoque
qui en a ordonné l'exécution. Mais le Registrum de Lodève sort de
l'ordinaire; on y sent vraiment la griffe de Bernard Gui, non seule-
ment comme évêque, mais comme écrivain, historien et archéologue.
Qu'on en juge par les premières lignes, début d'une introduction de
large envergure, qui ne nous a malheureusement pas été conservée
en entier :
Lodova civitas, que anliquitus vocabatur Luteva, sita in convalle, a duobus
230 BKRNARD Gif, FRERE PRECHELIR.
latoribus suis cingitiir et claudiliir duobus (liiviis non inagnis : unus ortum habtt
in parochia Sancti Salvatoris de Rippa.in eadeni diocesi, et vocatur Lirga"*; secun-
diis, niinor alio, qui Solondrus''^'dicilur, cresrit et decrescit infra eandeni diocesiin.
Beaucoup d'articles sont remarquables, non seulement par l'exacte
description des lieux et l'indication des moyens propres à y réorga-
niser le service religieux, quand le besoin s'en fait sentir, mais par
les données liistoriques qui s'y rencontrent. Trois exemples suffiront
à édifier le lecteur :
Ecclesia Sancti Martini de Saivasargues'^'. — Facta est ruralis et sine cura. Epi-
scopus visitans non vadit ad locuni vetercni dicte ecclesie jam deserluni, sed venit
ad capeiiani de l^odio Augerii'"' ioeo ejus. Oiini Iratres de Nebiano'^' edilicaverunt
capeilani in bonore Sancli Martini in loco vocato de Po(Uo Aiigerii, in territoiio
ecclesie de Salvasargues, scd nuiic déserta est.
Ecclesia Sancti l^rivati de Fontccassio'^'. — Ibi olini fuit rapella Sancti Vin-
centii, cujus caput et parietes veteres adbuc sunt.
Ecclesia Béate Marie de Roviniaco '''. ^ — - Facta fuit ruralis et sine cura, \ide-
retur tamen bonum quod dicta ecclesia iterato (ieret parrocbialis et baberet curam
animarum ([uatuor aut quin(|ue niansorum exislentiuni in locis proximioribus.
Il serait utile que ce Rc(jislrum fût publié intégralement. La
pid)lication en serait sans doute à l'honneur de Bernard Gui, et ajou-
terait encore à la reconnaissance de la postérité pour l'infatigable ou-
vrier de plume qu'il fut. M"'' L. Guiraud, qui a lu d'un bout à l'autre
cette composition si originale, manifeste à son endroit une véritable
admiration.
XI. — Ecrits attribués par erreur à Bernard Gui.
I. Percin et Echard ont affirmé que des sermons de Bernard Gui
étaient conservés dans le couvenl des Dominicains de Toulouse. Il
existe eflectivement un recueil , copié au xiv^ siècle, dans le ms. 3 13 de
Toulouse, autrefois chez les Dominicains, en tête duquel une main
'*' La Lergue, affluent de l'Hérault. '''Nébian, cant. de Clermont-iHérault,
''' La Soalondre, affluent dç la Lergue. arr. de Lodève.
''' Lieu disparu, près du Pucch-Aiigë men- '*' Fouscaïs, coiniuune de Clcrmont-1'Hé-
tionné ri-après. raull.
'*' Le Paech-Augé,émincnce près deNébian <'' Rouvignac, commune d'Octon, cant. de
où il n'y a plus trace aujourd'hui de chapelle Lunas, arr. de Lodève.
ni d'habitation.
SES ECRITS. 231
plus moderne a écril : Sermoiies Bemardi Gaidunis, episcopi Lodovensis ,
de Ordine Predicaloram et diocesi Lemovicensi. Mais celle note est sans
valeur: les sermons sont ceux du célèbre prédicateur Gui d'Evreux'"',
comme Casimir Oudin en a depuis longtemps fait la remarque'^'.
2. En 1894, le chanoine Douais, sur la foi du R. P. Ligier, a cru
devoir signaler, aux Archives centrales de l'Ordre, dans le codex Ru-
thcnensis qui contient la compilation de notre auteur sur l'histoire de
son Ordre'^', «un nouvel écrit, jusqu'ici inconnu, du célèbre Domi-
« nicain », sans pouvoir préciser davantage''*'. Il s'agit incontestable-
ment de l'opuscule qui se trouve à la fin de ce manuscrit, p. 439-
45o, et dont voici, d'après le manuscrit lui-même, le titre, le début
et la fin :
Queslioncs circa slaluta Ordinis Prediculorain. Quesilum est primo utruiii profes-
sionc siiiuis obligati ad rcgulain et coiistitutiones soluni ad obedii'iitiam —
Illud tameri sciât vestra dilortio qiiod nos , cum vacat , iihcnlcr studcmus circa quedam
que ad nostram religionom pertinent, el jain circa regiilani et constitutiones nostras
quedam expedivimus, etc. {sic). Expliciunt Queslioncs circa statiila Ordinis Fratrnni
Predicaloram.
Nous ne savons quel en est l'auteiu'; mais l'altribulion à Bernard Gui
ne saurait être acceptée.
3. Le dernier cahier du manuscrit 191 de 'J'oulouse contient
une Somme de la foi chrétienne, qui a été attribuée formellement à
Bernard Gui par l'auteur du catalogue'^', bien qu'elle soit anonyme
dans le manuscrit. Cette erreur d'attribution a été corrigée, dès 1894,
par le chanoine Douais, comme nous favons déjà fait remarquer'''';
il peut être utile de le rappeler à cette place.
II. Casimir Oudin'* a supposé que Bernard Gui était l'auteur d'urt
ouvrage auquel il donne le litre de Compeiidinm fidei cathoUcœ et qu'il
signale dans le ms. 5687 de la Bibliothèque du roi, fol. 20 et suiv.
Ce manuscrit est celui qui porte actuellement le n" 2 338 du fonds
'"' Histoire littéraire , t. XXI, p. i-j^-iSo. ''' Ci-dessus, p. ig^, suite de la note 3 de
'"' Comm. de scriploribus Ecclesiœ antiquis , la page précédente.
I. III (1722), col. 800; cf. Delisle, p. 36C, '*' Acia capitaloram provincialiam, p. civ.
S a 16, et Auguste Molinier, Catalogue des mss. ''' Catalogue cité, t. VII, p. 120.
lies bibl. des départements , in 4°, t. Vil, i883, '*' Ci-dessus, p. 167, note 3.
p. 181-182. (') Ouvr. cité, t. III, col. 81!.
232 BERNARD GUI, FRERE PRECHEUR.
latin, à la Bibliothèque nationale. L'écriture est du xv° siècle, d'une
main italienne. L'ouvrage y est intitulé : Liher de cxcmplis natiiralibtis.
L'auteur, dont le nom nous est inconnu, est un religieux (jui parait
avoir écrit dans la seconde moitié du xiii* siècle, et dont la patrie doit
être cherchée en Italie: c'est ce que prouvent maintes allusions au Vo,
à l'Arno,à l'Adriatique, aux villes de Ferrare el de Morence,au tyran
Ezzelino (mort en isSq), etc., que nous avons remarquées sous sa
plume. Bernard Gui est hors de cause, et encore plus (est-il besoin
de le dire?) Julien de Tolède, mort en 690, sous le nom du(piel
l'ouvrage est mentionné dans le catalogue des manuscrits latins,
imprimé en 1744 (t. 111, p. 266).
\. T.
MAUCO POLO.
Voici im des plus grands noms de l'histoire littéraire du moyen
âge. — Un homme, né au temps de saint Louis, s'est rencontré en
(Jccident, intelligent, clairvoyant et aventureux, que les hasards de
la vie ont transplanté dès sa jeunesse dans les contrées, inconnues à
presque tous ses contemporains, de l'Extrême-Orient. H y a fait, au
service et par la protection particulière de l'Empereur de Chine, une
brillante carrière de courtisan, d'agent confidentiel et d'administra-
teur. Il a parcouru ainsi, pendant dix-sept ans, dans des conditions
éminemment favorables, les chemins de l'Asie mongole. De retour dans
sa patrie vers l'âge de (juarante ans, il vécut encore plus de jours
qu'il n'en avait passé à l'étranger. Occupé à réunir et à rédiger ses
souvenirs.^ L'ambition littéraire n'était pas commune, en ce tenqjs-là,
chez les honimes d'action, el notamment chez les explorateurs. C'est,
send)le-t-il , un autre hasard, presque aussi singulier que celui qui
leur avait fait courir le monde, qui décida à écrire, ou à dicter, les voya-
geurs de cet âge dont on a conservé des récits : Marco Polo comme
Odoric de Pordenone, Nicolô Conli et Ibn Batouta. Mais enfin l'ancien
favori du " grant Kaan » qui, comme nous le verrons, avait ia])porté
MARCO POLO. 233
(le ses voyages non seulement des souvenirs, mais des memoranda
par écrit, a laissé un livre, fait, à ce que l'on croit, pendant des loisirs
lorcés comme prisonnier de guerre. — Ce livre fut une révélation. Il
y avait des siècles que, dans nos pays, le public lisant était sevré de
renseignements sincères et directs sur les contrées lointaines; on vivait
sur d'antiques traditions, appauvries, « eni])ellies » et défigurées pour
avoir trop longtemps circulé de compilation en compilation. Le livre
de « Marc Pol », entièrement original, sincère, raisonnable et presque
sans fables (c'est à peine s'il y en est rapporté quelques-unes, par
oui-dire), a ouvert des horizons immenses. Il n'est analogue qu'à
celui d'Hérodote , puisque Christophe Colomb , à qui Marco fut comparé
dès le xvi" siècle, n'a pas écrit.
Une littérature énorme s'est développée, naturellement, depuis la
renaissance des éludes historiques, à proj)os du livre de « Marc Pol ».
Le dernier manuel qui la fait connaître et la résume, en y ajoutant
beaucoup, est de 1908 ( The liuok 0/ Scr Marco Polo. . ., par Sir Henry
Yule et Henri (^ordier. Londres, 1908, 2 vol. in-8") '''.
Il ne saurait èlre question de reprendre ici, une fois de i^lns, en
sous-œuvre, la biographie de l'auteur; il sulïira d'indiquer ce qui est
acquis maintenant à ce sujet, qui est, selon toute vraisemblance,
tout ce qu'il est possible d'en connaître. Il ne saurait être question non
plus de présenter une analyse étendue de l'œuvre, avec un nouveau
commentaire qui supposerait des découvertes complémentaires, dé-
sormais improbables, et en tout cas inespérables pour nous, dans
l'ancienne littérature chinoise. — L'intention de cet article est simple-
ment, en marquant la place du livre de « Marc Pol » dans l'histoire de la
littérature française du moyen âge, dont il est un des joyaux, d'exa
miner ce qui reste encore indistinct après tant d'études approfondies*^' :
comment ce livre, qui nous est parvenu sous des formes assez dillé-
rentes, a-l-il été composé.^ Comment faut-il déhnir, sinon résoudre,
les problèmes encore pendants de l'histoire de ce texte incomparable?
'"' Cf. un coranle rendu de E. II. Parker, qui col. SiyS. — Le dernier ouvrage paru sur ce
conlienl des additions : Some newfacls ahoiil sujet est une traduction du « Livre » en suédois,
Marco Volo's liook, dans The Impérial and Asia- avec introduction et notes, par B. Tliordeman :
tic quarterly Review, janvier 1904, p. 125. — Vcnetianarcn MarcoPolos resor. . . (Stockholm,
Pour la bibliographie de l'œuvre de Marco Polo ' 9 « 7)- H est s;ins valeur originale,
jusqu'à 1907, voir H. Cordier, Bibliotlteca si- ''' C'était le sentiment de G. Paris (La litté-
Hica, 1. 111(1906), coL i964-i997;t.IV(»907), ralure française au moyen âye.i 91).
HIST. I.ITTKR. XXXV. 3o
234 M\RC() POLO.
I. Sa vie. — Andréa Polo, de la paroisse de San Felice, à
Venise, eut trois fils : Marco, Nicolô et MalTco. L'aîné, Marco, établi
à Constantinople, avait un comptoir à Soldaia en Crimée; ses deux
frères étaient intéressés dans ses affaires. Vers 1 255, Nicolô et Maffeo
partirent de Soldaia dans la direction de la Volga et, après un long
séjour chez les Tatars du Kipkiiak, gagnèrent Boukhara; ils v ren-
contrèrent des gens du (Irand Khan Koublaï qui, retournant dans
leur pays, les engagèrent à les suivre. Ils restèrent assez longtemps à la
cour de koublaï pour être en état de parler la langue ou les langues
qui y étaient en usage et de s'entretenir avec ce prince, qui n'avait
jamais vu auparavant d'Occidentaux, des choses du pavs des Latins,
dont il était curieux. Le Khan les chargea llnalenient d'une ambassade
auprèsdu Saint-Siège (i 266]. A leur arrivée sur les bords de la Médi-
terranée, en avril 12G9 — car ils avaient été trois ans en route, —
le Saint-Siège étant vacant depuis la mort de Clément IV (t 29 novem-
bre 1268), ils allèrent attendre chez eux, à Venise, l'élection d'un
nouveau pape. Mais l'interrègne n'en finissait pas ; après deux années
écoulées, ils décidèrent de se procurer à Jérusalem de l'huile de la
lampe du Saint-Sépulcre, dont Koublaï avait marqué le désir d'avoir
un échantillon, et de lui rapporter cette preuve de l'accomplissement
de leur mission. Sur ces entrefaites, le légat pontifical en Terre Sainte,
Tedaldo, des Visconti de Plaisance, fut choisi par le Sacré Collège
(i'' septembre 1271) et prit le nom de Grégoire X. Mos Vénitiens en
furent informés à l'Aias, en Petite Arménie, où ils étaient déjà parve-
nus, première étape de leur seconde grande expédition vers l'Est. Us
revinrent aussitôt à Acre afin de présenter leurs lettres de créance au
pape élu et de recevoir ses réponses ' . Cela fait, ils s'enfoncèrent de
nouveau (novendjre 1271) dans les profondeurs de fAsie, pour re-
joindre Koublaï. Par Sivas, Mossoul, Bagdad'- (ou, peut-être, par
Tau ris , Sultanieh , Ye/.d*'' , Ormouz , le Kerman , le Khorassan et la vallée
<'' La chronologie de ces événeinenls, telle rédiges enjiaiiçah nu.r ai', mi' el mu' siècles,
qu'elle est dans le Li\re de Marco Polo et publ. par II. Michelantel G. l\aynaud (Genève,
qu'elle a été acceptée par tous les niotlcrnes, 188 a), p. xxix.
jusques et y compris \u\e el Cordier, ne va pas '*' Cet itinéraire est celui qu'indiquent Yule
sans difTicultés. Mais le dernier séjour des Polo et Cordier, op. cil., t. I , p. 19.
à Acre se place nécessairement avant le 18 no- '^' P. M. Svkes, .1 /ii.v'orj «/ Persia , t. II
vembrc 1271, date du départ de Grégoire X (London, 191.')), p. 181. (^f. II. Cordier, Ser
pour l'Occident. Voir, sur ce jioint, Iliiiriiiiies Marco Polo. \'ote$ and \ddeiida (London,
à Jérusalem et descriptions de In Terre Sainte 1930), p. 5.
SA VIE. 235
supérieure de l'Oxas, ils atteignirent lentement les hauts plateaux du
Pamir, qu'aucun Européen ne devait revoir après eux pendant des
siècles. Leur itinéraire fut ensuite par Kachgar, Yarkand et le Kho-
tan, à travers le grand désert de Gobi, jusqu'au Tangout (ou Chine
du Nord-Ouest), et, en dernier lieu, jusqu'à la résidence estivale du
grand Klian à Kaï-p'ing-fou, à cent milles au Nord de la Grande Mu-
raille.
Dans cet immense voyage, sans précédent connu, qui lut achevé
au milieu de l'été de l'i"]^^, Ser Nicole avaif emmené son fils Marco,
âgé de quinze ans environ en 1269, et, par conséquent, majeur à
l'arrivée.
Le jeune Marco s'appliqua, comme l'avaient lait auparavant son
père el son oncle, à l'acquisition des langues, des écritures et des
coutumes usitées à la cour et dans l'Empire du Grand Khan. Il fut
bientôt employé lui-même parKoublaï, à qui sa vivacité et sa curio-
sité avaient plu. La ])remière grande mission à laquelle on l'adjoignit
olTiciellement fut, <lil-il, «en une teri-e ou bien avoit six mois de
chemin ». M. Pauthier a cru jadis établir qu'il s'agit ici de l'Vnnam ou
duTonkin, où une ambassade impériale lut envoyée entre i'<77 et
iq8o; et il a signalé vers ce temps-là, dans les Annales chinoises de
la dynastie mongole, la nomination comme «commissaire ou envoyé
en second du Conseil privé» d'un certain Po-lo, cpn, à son avis,
n'est autre que notre homme. Cette dernière identification, si frap-
pante, est, malheureusement, illusoire: le nom de Po/i-lo ou Pouh-Jo
paraît avoir été assez commun à cette époque en Chine parmi les
indigènes, même dans la famille impériale ; et il est certain que le per-
sonnage de ce nom qui fut alors attaché comme « commissaire en se-
cond » à l'expédition dans les régions du Sud a reçu d'autres faveurs
de Koublaï avant l'arrivée des Vénitiens en 127. S et après leur départ
en 1292*''. — Cependant, le «livre» de Marco raconte que Koublaï
fut très satisfait du compte qui lui fut rendu de son voyage par le fils
de Ser Nicolô; car il s'intéressait aux «manières des diverses con-
trées»; il se délectait à «entendre estranges choses»; et ses ambassa-
"' K. H. Parker, oji. cit., p. 128. M. Parker iiiourlre du ministre Ahmed dans la troisième
estime encore, toutefois, que le Voh-lo qui, lune de iiH'!, peut «4re identifié avec Marco;
d'après les Annales chinoises , était avec Koublaï ce qui est contesté ( H. Cordicr, Ser Marco Polo,
à Chagan Nor quand on y apprit la nouvelle du p. 8). Cf. la note suivante.
3o.
230 M\RCO POLO.
deurs l'agaçaient d'habitude par leur sottise, qui ne savaient lui parler,
au retour, que « de ce pour quoy il estoient aie ».
Marco, le «joene bacheler», servit Koublaï pendant longtemps;
mais il s'est abstenu de faire connaître en détail son cursus hononun.
C'est incidemment qu'on apprend, en lisant son ouvrage, qu'il lut
employé trois ans au gouvernement de la grande ville de ^ ang-
tcheou *''; qu'il passa un an, avec son oncle Malîeo à Kan-lcheou,
dans le Tangout '-'; qu'il eut communication des archives de la dynas-
tie des Soung '^'; qu'il visita, en mission, peut-être la Birmanie ''*',
certainement le Yun-nan, la Cochinchine, l'Inde, etc.
Les trois Vénitiens, enrichis durant ce long séjour, auraient volon-
tiers repris la direction du pays natal. Mais il fallait attendre une
occasion. Elle se présenta lorsqu'Argoun, le souverain mongol de la
Perse, devenu veuf, lit demander au Grand khan une autre épouse
de son sang. Les ambassadeurs d'Argoun, sur le point d'emmener en
Perse la fiancée désignée, préférèrent la voie maritime à la route de
terre, si longue et si fatigante pour une princesse. Or on leur parla
de la grande expérience que Ser Nicole, Ser Malleo et Ser Marco, et
spécialement le derniei-, ([ui revenait à cette époque de finde '\
avaient des mers du Sud ; ils prièrent Koublaï de les leur accorder
comme guides et compagnons. C'est ainsi que les Polo s'embarquèrent,
avec (les lettres du Grand Khan pour les rois de la chrétienté occiden-
tale, sur la flotte destinée à la Perse, qui relâcha d'abord à Sumatra.
Mais Argoun était mort (lo mars 1291) lorsque les vaisseaux mon-
gols jjarvinrent à destination. Nos Latins ayant conduit heureusement,
jusqu'au bout, la princesse dont ils avaient été, pour ainsi dire, les
chaperons au cours d'un périple difllcile, continuèrent ensuite, j)ar
terre, leur voyage personnel, iwaTauris, Trébizonde, Constantinople
et Négrepont. C'est en i igô (s'il faut en croire Marco, dont toutes les
dates sont un peu sujettes à caution) qu'ils regagnèrent enfin, et défi-
nitivement, Venise. Le savant vénitien G. B. Ramusio (t lob-j) rap-
porte (jue, de son temps, le souvenir traditionnel persistait encore
''■ Yule et Corilier, t. H, p. iSy. — E. H. tondant des salines» à Vani;-tflieoii.
l'urker se demande s'il lut, à proprement parler, '' ^iilc et Cordier, t. I", p. aao.
<■ jjouverneur ", chose très peu vraisemblable; '• /6i(/., t. Il, p. i85.
cl il remanjue, sans conclure, (]u'un Vok-lo ''' En laSi. Ih'ul., t. II, p. i\\.
fut, peu après 1281, appointé comme «surin- '^' Ibid., I. I", p. ?>l.
SA VIE. 237
dans cette ville de leur aspect étrange lorsqu'ils rentrèrent dans leurs
foyers de la paroisse San Giovanni Grisostomo, qu'ils n'avaient pas
vus depuis vingt-six ans : ils ressemblaient à des Tatars par le costume,
la figure et même le langage, car ils ne parlaient plus leur dialecte
maternel qu'avec difficulté, un accent étranger, et en l'entremêlant
de mots bizarres : mongols, ouïgours, chinois ou persans.
On ne sait rien de Ser Marco depuis sa rentrée à la « Cà Polo "jusqu'à
la fin de l'année 1298. A cette date il est à Gênes, en prison. Pour-
quoi? Comme, le 7 septembre 1298, à la bataille navale de Curzola,
les Génois firent sept mille prisonniers aux Vénitiens, qu'ils transpor-
tèrent aussitôt à Gènes, il est sans doute légitime de conjecturer que
Ser Marco, encore d'âge militaire, avait été pris dans cette rafle. Il est
probable aussi, par suite, qu'il fut relâché peu de temps après la paix
conclue, le 18 juillet 1 299, entre Gênes et Venise.
Ser Marco vécut encore un quart de siècle après Curzola; mais les
érudits n'ont rien relevé d'important dans les archives de Venise qui
ait trait à cette période de sa carrière. Le 10 avril i3o5, « nobilis
Marchus Paulo Milioni » *'' est cité dans les registres du Grand Conseil
comme garant d'une amende infligée à un certain Bonocio de Mestre
pour contrebande de vin '"^'. En 1 3 1 1 , le même personnage gagne un
procès contre un commissionnaire en marchandises qui l'avait fraudé
dans une petite affaire de musc'"*'. En mai 1 32 3, il est partie dans une
contestation de mur mitoyen'*'. Le 9 janvier i324, il fait son testa-
ment, car, quoiqu'il soit sain d'esprit, sa santé baisse de jour en jour ;
il partage ses biens entre ses trois filles, fait divers legs à sa femme
Donata, à des corporations pieuses et à son domestique Pierre le Tatar,
qu'il affranchit '^'. On a la preuve qu'il était mort depuis quelque
temps en 1 326. Il fut enterré dans le cimetière de l'église San Lorenzo,
oiî il avait marqué sa sépulture; sa pierre tombale a disparu depuis
longtemps.
<"' Il semble que les Polo de San Giovanni ''' Ibid., t. I", p. 70; cf. t. H, p. 5i i.
Grisostomo aient été désignés depuis leur retour '*' Ibid.;c{.t II, p. 5 12.
par le sobriquet // Mitione, pour les distinguer '*' Ibid., t. I", p. 7i; cf.'t. II, p. 5i3. — Ce
(le leurs homonymes. testament n'accuse pas une fortune considé-
'*' YuleetCordier, t. l",p. 67;cf. t. II.p. 5ii. rable.
238 ^L\RCO POLO.
II. Le « LiVKE». — Le «Livre» de Marco Polo nous est parvenu
sous des formes diverses, qui seront définies plus loin. Mais
il faut en indiquer d'abord le plan , uniforme dans toutes les rédactions.
Il se compose de deux parties, dont le raccord est marqué en ces
termes dans les rédactions en français :
A. Or puis que je voz ai contez tôt le fat dou prolej^ue onsi ron voz avés oï,
adonc romecorau le Livre '".
l^. Or j)uis que je vous ai conté tout le fait du prolegue ainsi comme \ous avez
ouy, si commenceiay le I^ivir du dexisement des diversités que me-isiic Marc trova - .
Dans le Prologue l'auteur esquisse, trop brièvement à notre gré,
l'historique des aventures personnelles des Polo depuis le départ des
deux frères établis à Constantinople jusqu'au retonr délinitifdc Marco,
de son père et de son oncle à Venise, (l'est dans ce Prologue que l'on
a pufsé ])resque tout ce que l'on sait des trois vovagenrs et de leurs
randonnées.
Le «Livre" proprement dit est formé d'un nombre, variable
suivant les mannscrits, de chapitres dont la innnérolntion continue
d'ordinaire celle des paragraphes du Prologii(\ Il n'a été snlidivisc
en trois parties, pour plus de clarté, que dans une des anciennes
rédactions'' ; il l'a été en quatre, avec raison, par la pluj)art des
modernes (Pauthier, Yule, etc.).
La première jiartie (ch. \x-lxxv de l'édition de la Société de
Géographie; xix-lxxiv de Pauthier) est consacrée à la description des
régions visitées par l'auteur et les siens, ou dont ils ont entendu
])arler, depuis la Petite Arménie, point de départ de leur dernier
voyage d'aller, jusqn'à la résidence du Grand Khan. 11 n'est pasdontcux
que le narrateur s'est proposé de rapporter là ce qu'il avait appris an
cours de son voyage d'aller**', et c'est ce qu'il a fait le plus souvent;
''' Bibl. liai., nis. fr. 1116, fol. l) \° (Ekli- Or >'lio roiilatd il |ii-( lo;;n de! I.ibro di niC'-M-r
lion (le la Société dp Céogmphic, cil. XIX ). Marco Polo, clic roiiiinria qui a divisare délie pio-
'-' Édition (;. Pauthier, ch. xvin, p. 33. — ''"''<" '' I''«^' '"•' ''^''' f" (^''"'™ ''"'°' im,li«nr.
Le passajuc correspundanl est ainsi conçu dans '■•*• I^""''' "''"^^'- ""' • '9'^- '''• *■"• P- '•>;•
le texte latin et dans le texte italien : ''' ^ule et Cordier, 1. 1", p. 90; t. Il, p. 55t.
_,...,,, . ■ • •. T -1 1 • • »« '*' I^ans le chapitre du r.achemire, on lit :
hxplicil l'rolo"us cl incipit Lilior domiiii Marci ,, i- . . ■ 11
l>a,,li de descniitionc prorii.riarum el (crraru.n • Se nous allons avant, nous enlror.ons en Inde,
n.rmeni.', IVrsidis. Turrbi.' c) ulriusque Iiidic et ' «"* je ny vueil ps oie entrer, parce que, «
inMil,.niin que sunl 111 Yndia (Ivdilion delà Sociélc » noslre relnur. vous conterai d Inde tout par
de (iio^rapiiie, ch. \, p. 3ic)). «ordre» (Kd. Pauthier, p. 128)
SES ECRITS. 239
mais il ne s'en est pas tenu rigoureusement à cette résolution, car il
a certainement fondu les souvenirs de son premier voyage avec ceux
(le ses excursions ultérieures, soit comme chargé de missions par le
khan, soit, au retour, dans les contrées qu'il avait traversées d'abord:
c'est ainsi qu'il parle évidemment de Kan-tcheou moins d'après ses
impressions de voyageur nouveau venu que d'après le séjour d'un an
qu'il y fit plus tard, à une date incertaine, avec son oncle Mafi'eo '''.
11 y a, dans le Livre, d'autres épisodes, comme celui du danger
couru par l'auteur dans le Kerman, pays de métis indo-tatars, lors-
qu'il échappa à des tribus pillardes en se réfugiant dans un fortin '-',
et comme celui de sa conversation avec l'ingénieur turc Zulficar,
chargé de diriger l'exploitation des mines d'amiante pour le Grand
Khan '', dont on ne saurait dire davantage où ils doiventètre situésau
juste, chronologiquement, dans la carrière de l'auteur. La distinction
est, d'ailleurs, toujours assez aisée entre ce qu'il a vu et ce qu'il a
entendu dire, même lorsqu'il ne prend pas soin — comme, dans sa
préface, il avait promis de le faire'*' et comme il le fait souvent''' —
de spécifier qu'il parle de visu ou d'après autrui. On trouve, dans
cette première partie, mêlées à la description des lieux, d'assez longues
digressions d'un caractère historique, notamment sur la conquête de
Bagdad (ch. xxiv de Pauthier), sur le Vieux de la Montagne (ch. \l)
et sur Gengiskhan (ch. lxiv etsuiv.). Snr la dernière de ces digressions
s'en greffe une autre'''', fort étendue et du plus vif intérêt, touchant
les « faiz», c'est-à-dire les mœurs et les coutumes ties Tatars.
La seconde partie (ch. lxxvi-clviii; lxxv-clvi) traite d'abord
des «faiz et merveilles» du Grand Khan «qui ore règne», le patron
des trois Vénitiens, Koublaï. Son histoire, son portrait, ses habitudes,
son palais, ses chasses, sa cour, son gouvernement, sa monnaie, sa
capitale : Cambaluc (Pékin). — Le narrateur s'exprime ensuite
comme il suit : « Si nous partirons de la cité de Cambaluc et enterrons
" dedens le Cathai pour conter vous des. . . choses qui y sont. . . » 11
ajoute que « Marc Pol » fut chargé d'une mission dans la direction de
''■ Ed. Paulhier, p. 169. « nostie livre soit droit et \eiitable. •
(- IbiiL, ]). 83; cf. Yule et Cordier, t. I", '*' Éd. Paulhier, p. 65, 97.
\>. 100. <") 76., 1. 1", p. 188: «Or, puisque nous avons
''■ Ed. Pauthier, p. 161. « commencié des Tatars, si vous en dirai autre
''' «Nous nieltrons les choses venes pour «chose
(1 1 eues et les entendues pour entendues, afin que
240 MARCO POLO.
l'Ouest : • El vous conterai tout ce que il vit en ceste voie, n Cette sec-
tion de la seconde partie (ch. cix-cxxix de Pautliier) est donc, par
définition, le récit d'une exploration faite en service commandé dans
les provinces occidentales de la Chine; elle conduit le narrateur à
fournir des renseignements, historiques et géographiques, sur le
T'aï-youan, le Sse-tch'ouen, le Tibet, la Birmanie, le Bengale,
l'Annam et des pays si difficiles qu'ils n'ont été retraversés que de nos
jours par des Européens (Laos). Les meilleurs commentateurs
s'accordent, du reste, à croire que, comme d'habitude, Marc a con-
signé ici , sans toujours les distinguer expressément, des choses vues et
d'autres dont il n'avait qu'entendu parler'''. — Parti de Tcho-tcheou,
ville à 4o milles de Pékin, située à la bifurcation des routes de fOuest
et du Sud-Est (ch. cv), notre auteur'se retrouve au même endroit
(ch. cxxix), après avoir bouclé ce premier itinéraire. Mais il en
repart aussitôt par la route du Ho-nan pour une seconde tournée,
cette fois dans la région du Sud-Est, qu'il appelle «Mangy», par
opposition au « Cathay » : à savoir la Chine du Sud depuis le cours du
Houang-ho, fancien Empire des Soung, récemment conquis par les
Mongols (ch. cxxx-ci.vi). Cette dernière section de la seconde partie
est sensiblement plus sèche et plus monotone que tout ce qui précède.
Pourtant, c'est dans cette région qu'il avait été fonctionnaire pendant
trois ans, à \ang-tcheou. C'est dans cette section qu'il raconte
(ch. cxLv) comment la grande ville de Siang-Yang avait été prise
naguère pour le Grand Khan grâce à de fartillerie fabriquée à l'euro-
péenne par « un crestien nestorien et un alemant de Alemaigne » qui
étaient de la « maisnie » de Ser Nicole el de Ser Maffeo. C'est là qu'il
se sert (ch. cia), pour la description de «Quinsay» (Ilang-tcheou),
d'une pièce oflicielle des archives des Soung, qu'il avait vue. Il y
allègue aussi des (kinnées numériques qui lui avaient été commu-
niquées, (Ht-il, par le percepteur impérial des péages du Yang-tse
(ch. cxLVi), et d'autres qu'il devait, sans doute, au receveur des
douanes de Ts'iouen-tcheou, le grand port marchand de la Chine,
dans le Fou-kien (ch. clvi); on y apprend d'ailleurs qu'il fut, lui-
même, « envoie plusieurs fois par le grant Kaan pour veoir le compte
« de ce que montent les drois et les rentes » de " Quinsay », une des neuf
'■' Yule elCordier, t. H, j». i3i.
SES ÉCRITS. 241
circonscriptions du Mangy (cli. cui). C'est là, enfin, qu'il a si bien
caractérisé la Chine propre (ch. tl), immuable jusqu'à nos jours :
« Et se ceuk de la contrée de Mangy feussent gens d'armes, ilz con-
,. questeroientl'aultre monde; malsilx ne sont point hommes d'armes,
«ainssontmarchansetgensmonltsouhtilzdetousmestiers.Etsiamoult
Mie philosophes et moult de mires.. . » Mais il est clair que, arrivé
à ce point, le rédacteur, sinon Marco lui-même, a le sentiment que
l'attention du lecteur est mise à rude épreuve. Des neuf circonscrip-
tions, ou royaumes, du Mangy, il n'en décrit que; trois et ajoute bon-
nement : « Des autres six royauujes vous en sarions nous bien conter ,
« mais trop seroit longue la matière; si nous en tairons atant. » Rrel ,
il se hâte; on dirait (ju'il est fatigué.
Le sujet delà troisième partie est annoncé à la lin de la seconde,
en ces termes :
Vous avés bien tout entendu h- l'ail du Catai et du Mangy r[ ;,ntics contrées
maintes, et des manières de gens et de niarcliandises. . . Kt poiu- ce le livre n'est
pas encore acompli de ce que nous y voulons mettre, car il y fault tout le fait des
Yndiens, et des grans choses de l'Inde, qui. . . moult sont merveilleuses. Or nous
les meUrons en escript ainsi connue messire Pol le raconta, c[ui bien le sçot, car d
demeura tant en Ynde, et tant encercha et demanda de leur manières et de leur con-
dicions que je vous di que onccjues un homme seul ne sçot tant ne ne vit tant comme
il fist.
Un des manuscrits de la rédaction pid)liée par Pauthier donne un
titre spécial à cette troisième partie : (W commence le f.ivre d'Inde et
devisera de toutes les merveilles rjui y sont, et des çjens aussi ' .
La troisième partie (jusqu'au ch. c.xcii dans les deux rédactions)
est proprement la description des pays maritimes visités par les
jonques chinoises de haute mer : >< Sypangu » (le .lapon), ou « messire
.. Marc Pol. . . ne fu point «; la Cochinchine, qu'il visita; Java, Sumatra
(où « messire Marc Pol'demoura cinq mois « chez les anthropophages,
en attendant les vents favorables); les îles Nicobar et Andaman,
Ceylan, la côte du Coromanrlel, le royaume de Masulipatam, le
Malabar, et les autres «provinces et cités» do la Grande Inde qui
«sont sur la mer» (car «de celles qui sont en terre ferme ne vous
« avons riens dit, pour ce que ce seroit trop longue matière »)'-'. Suivent
(') Éd. Pauthier, p. 534- — '" Ch. (.lx\xii.
3i
lUST. I.ITTF.R. XXXV.
2'r2 MARCO POIX).
(les chapitres sur des îles du ponent qui, selon le narrateur, dépendent
de l'Inde : Socolora, Madagascar (où le Grand Khan envoya plusieurs
fois des émissaires), Zanzibar; il y a, dit-il , douze mille sept cents îles
reconnues dans la mer océane par les navigateurs de ces parages,
sans compter celles qui sont inhabitées et inaccessibles. Aussi n'a-t-il
indiqué que les principales : «,1e vous ai conté de toutes les jneil-
" leures choses et la flour » (ch. clxxxvi). — Ayant ainsi expédié
l'Inde «mineure» (Indo-Chine), la Grande Inde continentale et les
îles, il traite ensuite de l'Abyssinie, qu'il appelle «Inde moyenne";
d'Aden et d'autres Étals de l'AraJ^ie, à propos de <(uoi il recoupe, à
Ormouz, comme il ne manque pas de l'observer (ch. cxci-cxcii),
son itinéraire d'aller. Il ne resterait donc plus à parler, pour achever
l'esquisse des côtes d'Asie, que du Kerman et de l'embouchure d»;
l'Euphrate dans « la mer d'Inde », a Ois (près de Bassora) , mais
l'auteur du « Livre » l'a déjà fait, en racontant son premier voyage;
([u'il n'en soit donc plus question. — Cependant, le «Livre» n'est pas
Uni. 11 convient de «retourner a nostre matière" en traitant de la
« Grande Turquie », c'est-à-dire du Turkestan et des autres domaines
de la race turque ou tatare. La troisième partie tout entière est ainsi
présentée presque comme un hors d'œuvrc; dans un ouvrage princi-
palement consacré au monde latar.
La (piatrième partie (ch. cxciii et suiv.) dilfère très notablement
(les autres. Elle a désappointé les modernes, au point que MM. Yule
et Cordier, dans le monument qu'ils ont élevé à la gloire de
Marco Polo, où ils ont recueilli avec soin tout ce qui concerne leur
héros, se sont décidés, eux-mêmes, à l'« abréger », comme l'avaient
fait, du reste, et plus radicalement encore, dès le moyen âge, les
copistes de presque tous les manuscrits conservés*''. A lire, en eflet,
les premiers chapitres de la quatrième partie il semble qu'il s'agisse,
non plus des merveilles du monde inconnu, mais de récits histo-
riques, ou prétendus tels, sur le règne et les guerres de Kaïdou*"-',
khan du Turkestan et de Transoxiane, parent et rival de Koublaï.
Tous les manuscrits en français, saul un, s'arrêtent brusquement à
la troisième phrase du huitième chapitre de cet historique. Mais il y a
' Yule et Cordier, t. I", |). 81. — ''' Déjà nommé au ch. i.i. Cf. t. II, p. ''|56 : iThe merest
verbiage. »
SES KCRns.
243
encore vingt-huit chapitres dans le ms. fr. 1116; et on voit
très hien, dans cet exemplaire, senl complet, le plan de la quatrième
partie, lequel n'est point aussi différent de celui des autres qu'on l'a
dit*'). Ce ]>lan, dans la pensée du rédacteur, comportait : 1° un long
exposé sous la rubrique «Grande Turquie», où la géographie est
remplacée par de l'histoire (ch. rxcviiT-ccw de l'édition procurée
par la Société de Géographie de Paris), parce que Marco Polo n'avait
jamais été dans cette région; "i" des notices sur les autres Etats tatars,
nés du démembrement de l'Empire de Gengis Khan, et situés au
Nord ou au Nord-Ouest du Turkeslan : royaume de « Canci »
(Sibérie), Tatarie de la nuit ([uasi perpétuelle, Russie et Valachie
(ch. ccxviii)'", royaumes tatars d'Occident (ch. ccxx). \n sujet
de ces derniers, le rédacteur n'a à fournir, comme à propos de la
«Grande Turquie», que dos renseignements historiques, sur les
o-uerres récentes des hordes. N'ayant vu ni l'une ni les autres, Marco
dit simplement ce (pi'il en sait; et ce (pi'il en sait n'est que ce qu'il
avait ap])ris des querelles de leurs princes, soit par son père et son
oncle, (pii avaient eu personnellement à en souffrir au début de leur
première expédition, soit à la cour du Grand Khan, chef de la grande
famille tatare. — Le «Livre» finit, du reste, dans le ms. fr. 1 116,
d'une manière presque aussi abrupte que dans l'autre rédaction, au
treizième des chapitres sur les Tatars du ponent (ch. ccx\-C(.xxxii)''^>.
La rédaction en toscan offre seule une conclusion "', d'adleurs essouflée
et banale, en forme de résumé, et telle que, quoi(iue ancienne, elle
pourrait avoir été écrite à n'importe quelle époque, par n'importe
quel lecteur.
(') Ce que dit Pauthier à ce sujet (p. 71'')
est tout à fait inexact : « Marc Pol se rappelle
«que, s'il n'a j'his de pays nouveaux à J'uire
«connaître, il reste encore dans ses souvenirs
«beaucoup d'anecdotes qui pourraient inté-
« resser . . . •
') Dans le ch. ccwm, l'auteur annonce
que, après la Uussie, il parlera des pays de la
«Mer Gregnor» (Mer Noire), et preinièrciuent
de Constantinople. Il sait que bien des gens,
marchands et autres, connaissent ces contrées,
mais il y en a encore davantage qui ne les
connaissent pas; on peut donc en traiter tout
de même. Il intitule en conséquence son
th. (.cxix : «Ci devise de la boche do Mei
« Gregnor. » Mais il se ravise aussitôt : «Depuis
« qe nos avouâmes commenciés dou Mer Grei-
<■ gnor si nos en penlimes de mettre le en scril ,
« porce que maintes jens le seivent apertemenl.
« Et por ce en laron alant. «
■'' Pauthier a réimprimé, en appendice, le
texte des chapitres qui n)an(]uent dans la
famille de manuscrits qu'il a suivie, d'après
l'édition de la Société de Géographie, mais
sans commentaires.
Cl Yule et Cordier, I. Il, p. 5oo; // Milione
(éd. Dante Olivier!) , p. 170.
244 MARCO POLO.
III. HisToiiŒ DU TEXTE. — Le « Livie » de Marco Polo a existé dès
le premier quart du xw" siècle en français (c'est pourquoi il nous
appartient don parler dans cet ouvrage), en toscan et en latin. Mais,
de toutes ces formes, quelle est la plus ancienne.? Et, d'abord, dans
quelles conditions la plus ancienne a-t-elle été rédigée ? Questions
depuis longtemps débattues. Rappelons, maisen les disposant dans un
ordre nouveau, qui leur conférera peut-être plus de sens, les indices
jecueillis à ce sujet depuis le xyi*" siècle jusqu'à présent.
On lit au commencement du Prologue, dans les anciennes rédac-
tions en français :
A. Seiiignors enperaor, et rois, dux et marquois, ciiens, clievaliers et bargions,
et toutes gens qe volés savoir tes déverses jenerasioiis des Iiomes et les deversités
des déverses région dou monde, si prennes cestui livre et le faites lire; et ciii
troverés toutes les grandismes mervoilles et les grant diversités de la grande Har-
niinie el de Peisie et des Talars et Indie, et des maintes autres provinces, si con
noire livre voz contera par oi'dre aperlomant, si coinc messer Mardi Pol, sajes et
noble citaiens de Venece, raconte, por ce que a sez iaus meissme il le voit. . . Et
por ce dit il a soi meisme que trop seroit grant maus se il ne feist mètre en écri-
ture toutes les granz mervoilles qu'il vit et qu'il hoi. . . Et si voz di qu'il demora a
ce savoir en celles déverses parties. . . bien vint et sis anz. Lequel, puis, demou-
rant en le cliarthre de Jene, fist retraire toutes cestes chouses a messire Ruslacians
de Pise , que en celle meissme cluutre estout , au tens qu'il avoit MCCLXXXXV III anz
([ue Jezu eut ves(|ui.
B. Pour savoir la pure vérité des diverses régions du monde, si prenez ce livre
et le faites lire... Et si vous di que messires Marc I^ol demoura... en ces
diverses parties bien .xxvi. ans. Lequel livre, puis, demourant en la carsere de
Jenes, fist rctraire par ordre a messire Rusta'", pisan, qui en celle meisme prison
estoit, au temps qu'il couroit de Crist MCCLXXXXVIII ans de l'Incarnation.
Ce préambule ligure , sous la forme qu'il a dans la première rédac-
tion française (c'est-à-dire précédé de l'interpellation aux seigneurs,
princes et autres), dans une ancienne rédaction en latin : le com-
pagnon de «Marc Pol» qui, pendant leur séjour commun dans les
'"' Leçon adoptée par l'aulhier, éditeur de ont « Rusia • , sans abréviation ; preuve que le
la rédaction B, qui n'a pas relevé ici les va- rédacteur de B a en sous les yeux un mana-
riantcs des manuscrits. Mais elles avaient été scritde/loù, comme dans l'exemplaire aujour-
relevées dés 182^ dans l'édition de la première d'hui uni([ue de celte rédaction, le nom de
rédaction procurée par la Société de Géogra- Rusticien de Pise était écrit Rustacians et où
phie, p. 534; elles ne portent que sur la la fin de ce mot était abrégée ou peu lisible,
l'orme du mot > pisan»; tous les manuscrits
SES ÉCRITS. 2/j5
prisons de; Gênes, lui aurait servi de secrétaire, y est appelé « Ser
Ruslichehis, civis pisanus» *''. — Il figure aussi dans quelques rédac-
tions italiennes, dont les exemplaires désignent le prisonnier pisan
par des noms fort divers : Ristazo, Restazio, Slazio, Reustregielo'^',
Rustico'^'. — Il manque complètement dans la rédaction en latin de
fra Francesco Pipino et dans la plus célèbre des rédactions en toscan,
dite de la Crusca.
Ce n'est pas tout. Il est remplacé par un autre dans l'édition du
M Livre » d(; Marco Polo (jue G. B. Ramusio donna à Venise au milieu
du xvi" siècle. Ramusio qui, comme on le verra plus loin, a puisé,
au sujet du «Livre», des renseignements très précieux et très sûrs
à des sources qui ont disparu depuis son temps, déclare qu'il a eu
entre les mains deux rédactions latines : celle de fra Francesco
Pipino (dont il reproduit la préface, sans rapport avec le préambule
précité), et celle d'« un gentilhomme génois, grand ami de Ser Marco,
qui faida à écrire et à composer son ouvrage en latin pendant qu'il
était en prison»*'''. Celle-ci était, d'après Ramusio, précédée d'un
avant-propos dont il donne la traduction en ces termes :
Signori, principi, duchi, marchesi, coiiti, cavaHieri e geiitilhuomini, et ciascuna
persona che ha piacere et desidera di conoscer varie generalioni de luiomini et
diverse regioni et paesi del mondo, et saper li costumi et usanze di queUi, leggete
questo iibro perche in esso troverete tutte le grandi et maravigliose cose che si con-
tengono nelie Arménie maggiore et minore,. . . lequaH tuUe per ordine in questo
Iibro si narrano seconde quel nobii messer Marco Polo, gentilhuomo venetiano, le
ha dettate , havendole con occhi proprii vedute . . .
Jusque-là, cet avant-propos est identique à celui de la première
rédaction française; mais la suite est différente :
Et hora messer Marco, ritrovandosi prigione per causa délia guerra nella città
diGenova, non volendo star' otioso, gli è parso a consolation de' leUori di voler
melter' insieme le cose contenute in questo Iibro, lequali son poche rispelto aile
molle, et quasi infinité, ch' egli averia poluto scrivere, s'egli havesse- crednto di
poter ritornar' in queste nostre parti. Ma, pensando esser quasi impossibile di
partirsi mai dall' obedienza del gran Can , re de' ïartari , non scrisse sopra i suoi
'■' Bibl.nat.,ms.lat.3i95,fol.a7.Dansrédi- l'ont appelé cRnstigieiloi {Histoire liltéraiie,
lion de la Société de Géographie : «S. Rusli- t. XXV, p. 482).
• chelus». *'' Bibl. nat. , ins. italien 434-
''' Marco Polo, // Milione (éd. Danle OU- ''' Seconda Volume délie Navigationi et Viaggi
vieri. Bari, 191a), p. 2. — Nos prédécesseurs (InVenetia, i583). Préface datée de i553.
■l'\(î MARCO JH)LO.
inenioriali se non alciine poclic cose, lequali ancliora gli pareva grancio incon\i'-
nionte che andasseio in oMivione, essendo cosi niirabili, cl che mai da alcun' altru
crano state scritle, acciô che quelli, che mai le sono per \edere, al picstiitc
col mezo di qucsto libro le conoschino et inlendino; (jual fu fatlo l'anno
del MCCXCVlil.
Coni nient clioisir entre ces textes divergents? Tous les commen-
tateurs sans exception ont préféré le pisan, dont le nom est si diver-
seiuenl rapporté, au «gentilhomme génois» anonyme, parce que
■( Rusticien de Pise» est connu par ailleurs.
Mal connu, à la vérilé, quoique lameux. ''. Nos ])rédécesseurs,
fiui i ont lait vivre au xii'' siècle'"', n'ont rien dit d'exact sur son
compte. Au fond, tout ce que l'on sait de lui provient, en dernière
analyse, d'une préface placée en tête d'une compilation en prose
française de romans de la Table Ronde [Meliadiis, Tristan et Lancelol)^
dont il existe un assez grand nombre de manuscrits. Le plus ancien (>t
le ])his intéressant de ces manuscrits — mais non pas le plus beau, de
sorte que la valeur n'en a pas été généralement reconnue — est le
manuscrit français i463 (anc. 7.) 4 4) d<' la Bibliothèque nationale,
(jui a été certainement écrit et décoré en Italie à la lin du xiiT siècle.
On y lit (fol. 1) :
Seingneur onperaor cl rois, et j)iinci's cl dii\, et ([iienz et baronz, cevalierel va\-
vassor et Jjorgiois et tout le preudome de ce monde que avés talenz de deliticr voz
en roinainz, si prenés cesle et le feitcs lire de chief en chief; si i troverés toutes les
granz aventures qui avinrent entre li chevaliers heirant don tenz le roi Huter Pan-
dragon jusque au tens le roi Artur, son fils, et des compain de la Table Ronde. Et
sachiez lot voiremenl que cestui romanz lu treslailés dou livre monseingneur
Odoard, li roi d'Englelerre, a celui tenz qu'il passe outre la mer en service Nostre
Sire Daniedeu |>our conquester le Saint Sepoucrc. El maistre Rusticians de Pise,
li (juelz est imaginés desovre ■'', compile celle romainz, car il en Ireslaite toutes les
1res merveillieuse novelles qu'il trueve en celui livre. . . '*'.
''' L'article qui iiil est consacré par R. Rôh- à deux pointes, figure en cITel au haut de la
richt dans sa liibliollwdi ijcoijrnphira Palaestinae l'âge. — Dans dos exemplaires moins anciens,
(Berlin, 1890), p. 55, et donl les biblio- ce passage a été conservé, (juoiquc le portrait
graphes se transmettent depuis l'indication, manque.
n'est pas instructif. Il ne contient qo'une liste '' Passage cité dans Vllisloire Ullérnirc
de manuscrits des rédactions en français du (t. XV, p. '198, note), mais d'après un texte
Livre de Marc Pol. rajeuni, celui du ms. fr. 34o. (^f P. Paris, Lrs
■*' Histoire lilléraire. t. XV, p. /197. miinnscrils frnnçois de la Dihliolliètjiie du roi,
''' Le portrait de • Rusticians», en costume t. Il, p. 356; et H. L. D. VVard, Catalogue of
vert , avec un caraail rouge , coiffé d'un bonnet romances . . . in ihe Dritish I/hjc «m , t. I", p. .'^67.
SES ÉCRITS. 247
Ce n'est assurément pas par hasard que ce préambule ressemble,
jusqu'à l'identité partielle, cà celui du « Livre» de Marco dans la rédac-
lion française 1. On a donc admis sans difllculté que « Ruslicien de
Pise» est l'auteur des deux. — Celui-ci prétend, comme on voit,
que ce personnage, qui semble avoir été un littérateur de prolession,
à l'allût de travaux littéraires, eut communication d'un « livre » que le
prince Edouard d'Angleterre, le futur Edouard ^', avait apporté en
Italie lorsqu'il entreprit sa croisade en Terre Sainte (1270-1272).
Ce livre, il l'aurait « treslaité » en français, alors une des grandes
langues littéraires de son pays. Mais faul-il, sur ce point, l'en croire?
A-t-il, vraiment, «traduit», un texte latin? ou na-l-il fait qu'arranger
des textes préexistants en français, et déguisé ce travail par l'addition
d'un explicit postiche, analogue à celui de la Qiiestc du Saint Grnal, qui .
lui non plus, ne mérite certes pas une conliance aveugle ''? — - H est
à remarquer, en passant, que Rusticien, ici qualifié de «maistre»,
l'est de « messire » dans le texte de 1 298.
Tandis cpe cette circonstance vient, si formellement, à l'appui
de l'opinion qui voit en Rusticien de Pise le collaborateur de Marco
Polo dans la prison de Gênes, le récit de Ramusio, qui lui substitut-
un « gentdhomme génois », a soulfert de plusieurs constatations. —
D'abord, il est singulier qu'aucun manuscrit n'ait été découvert du
texte latin que le savant vénitien prétend avoir traduit. En second
lieu, il est suspect que le soi-disant préambule du Génois commence
exactement comme le préambule typique de Rusticien dans les deux
livres que celui-ci a, pour ainsi dire, signés : par cette apostrophe
au pubUc qui n'était, au moyen âge, dans les habitudes que des écri-
vains de métier. Enfin, et surtout, Ramusio fait écrire «en latin» le
gentilhomme génois, eton croit pouvoir démontrer que le «Livre» de
« Marc Pol 1) fut composé d'emblée en français; or, si Ramusio a su que
le « Livre » avait été écrit d'abord en français, il a pu vouloir le dissi-
muler, car il vivait en un temps où tous les Vénitiens ne se souciaient
pas d'associer les Français à leurs gloires nationales.
Ramusio a toute une histoire relativement à la collaboration de
''' A la fin de la Qaesle. il est aussi question Sommer, Tlic Viilgata version of the Arlhiiriaii
d'un «livre, de l'abbaye de Salisbury donl romancer, t. VI , Washington, igiS, p. 1,98);
(iantier Map aurait fait de» extraits «por l'amor cf. Romnnia, 1907, p. Sgi, et F. Lot, Etude
• del roi Henri, son signor, qui fist l'estoire sur le Lancelol en prose (Paris, 1918), p. 137.
«translater du latin en franchois» (H. Oslar
248 MARCO POLO.
Marco et du Génois. Lorsque Ser Marco, dit-il, se fut décidé à
écrire pour charmer ses loisirs de prisonnier, et sur les instances
de son entourage, il trouva moyen de faire prier son père, à
Venise, de lui envoyer ses «notes et memoranda», qu'il avait rap-
portés naguère d'Extrême-Orient et qui étaient dans leur maison
de San Giovanni Grisostomo. Nicolô les lui fit tenir. Marco, assisté
par cet ami génois qui s'intéressait si vivement à ses aventures
et qui venait passer chaque jour plusieurs heures avec hii dans
son cachot, composa alors son livre, «en latin». En latin phitot
([u'en génois, «parce que le patois de Gènes ne peut pas s'écrire »''l
Celte explication, apparemment dérisoire, a fait du tort au reste de
l'anecdote. On connaît d'ailleurs deux textes anciens du « Livre » en
latin; or l'un d'eux, que fra Erancesco Pipino, de Bologne, rédigea
du vivant même de Marco '^', se présente comme traduit c.v vulcjavi
idiomale, voire (dans un exemplaire digne de foi) c.v rnigari idinmate
Ivmhardico^^'. Quant à fautre (Bihl. nat. , ms. lat. 3190, publié |)ar la
Société de Géographie en 1 82/4, à la suite de la première rédaction
en français], il n'est pas non plus original : il a été traduit, lui aussi,
de l'italien, comme le prouvent certains non-sens et certaines parti-
cularités qu'il contient '''^ Bref, si la source commune de toutes les
rédactions était en latin, il n'y en a plus trace '^*.
il convient d'intercaler ici une hypothèse, évidemment sédui-
sante a prwri , et, de plus, suggérée [)ar la discussion qui précède
du récit de Ramusio : le « Livre» n'aurait-il pas été rédigé d'abord en
un dialecte italien, vénitien ou toscan ? L'ancienneté d'un texte de ce
genre est attestée, non seulement par celle des traductions latines
qui en dérivent, mais directement, puisqu'un célèbre exemplaire de
''' Au lomc II de ses Aidiiyd/io/ii et 1 w'I^i , boror, dans une certaine mesure, l'aiïlrni.ilion
|). "i : 'iSi rome accosluniano li Genovpsi in de Uaiiitisio. I, "inventaire des olijels trouvés,
» mair^'ior parle fino hoggi di srrivere le loro en i.'^f)!, dans le palais du dnge Marino Fa-
II fazende, non ])ossendocon la penna esprlmere licro indi(|Uo (|ue les Falieri possédaient plu-
" la loro pronuncia naturale. » sieurs son\enlrs personnels de Marco Polo,
'' Kn \?)'\o, d'après Hamusio. Peut-être entre autres un anneau donné par Koublaï
dès i3i.'j, comme les érudils modernes l'ont Khan, un collier tatar, une épee à trois lames ,
montré. une tenture de l'Inde, et un livre auloj,'riphe
*'' Yulc et Cordier, t. I, p. 8i. («sciipluni manu predicli Marci»), intitulé :
"' Noir les relevés de ^'nlo el Cordicr, I. 1", /)c loch mirnhililiiK inrtarortim. — l'uMlé dans
p. 9i. le Biilleliiw di nrli, iiidiistiie e cminsilà vciwzinne,
''• Voici, cependant, un texte qui n'a jamais I. III (1880-81), p. 101. Reproduit par Yule
été, mais (|ui pourrait être allégué pour corro- et Cordier, I. I", p. 19.
SES ECRITS. 249
la Biblioteca nazionale de Florence, qui est en pur toscan, et dont
l'écriture est des premières années du xiv* siècle, est muni d'une
sorte de certificat, du xv% qui le date de iSog. — Mais le comte
G. B. Baldelli, en préparant pour l'Académie de la Crusca l'édition
princeps de ce texte, a établi, dès 1827, par des constatations irréfu-
tables'', largement confirmées depuis'^*, qu'il est, lui-même, traduit
du français. Il foisonne en effet d'absurdités qui s'expliquent toutes,
sans difficulté, et ne peuvent s'expliquer, que par des erreurs qu'un
Toscan, qui savait mal la langue d'oïl, a commises en décbiffrant
péniblement, pour la transposer dans la sienne, une rédaction en
cette langue.
Ainsi le «Livre» existait, en français, avant 1809, el c'est de ce
texte français que dérivent directement le texte toscan de la Crusca,
indirectement les textes lalins de fra Pipino et du manuscrit
latin 3195. 11 existait même avant 1807, puisque la seconde ré-
daction française, faite sur la première, est, comme cela sera
indiqué bientôt, de cette année. On est amené de la sorte à la con-
jecture qu'il a existé dès 1298, c'est-à-dire que Rusticien a rédigé
immédiatement en français ce qu'il avait recueilli dans ses entrevues,
pour ne pas dire dans ses interviews, avec Marco. — Marco qui,
outre son vénitien natal, savait tant de langues d'Asie, ne savait sans
doute pas le français : où et quand l'eût-il appris ? Mais cela ne tire
pas à conséquence. Il aura parlé, avec ou sans notes. Rusticien, à
qui son toscan permettait assurément d'enlendre le vénitien, aura
cueilli ses paroles au vol. Il se sera livré ensuite à un travail ana-
logue à celui des journalistes de nos jours qui rédigent pour le
public les « Mémoires » des personnes mêlées à des événements inté-
ressants, mais qui sont incapables de les raconter en style suffisam-
ment littéraire'^'. De son cru, il n'y a, dans le « Livre » — avec le com-
'■' Il Milione di Marco Polo,... publicalo ed ainsi que le fond, de l'ouvrage. C'est lui qui
illustrato dal conte G. B. Baldelli Boni (Fi- a, non seulement raoonté, maii tretruit par
renze, 1837, a vol.). «ordre». Le pauvre Rusticien n'était pas en
''' Ed. G. Pauthier, p. lkxxiii. — Sur le cas état de coordonner, lui qui, dans sa compila-
analogue d'un texte en dialecte vénitien, ré- lion de la Table Ronde, avait raconté l'histoire
cemment découvert, voir R/nuania. t. XLIll, de Tristan avant celle de Meliadus son père,
iqi/i, p. 6i3. et qui s'en est excusé piteusement comme il
''> Comme Marco était beaucoup plut intel- suit : < Car je ne puu ps sçavoir tout ne
ligent que son collaborateur, il est certain tou- • mettre toutes mes parolez par ordre. Et ains
tefois que c'est à lui qu'appartient le plan, « fme mon conte. • (Bibl. nat., ms. fr. 3Ô5,
HIST. LITTER. XXXV.
il
250 MARCO P<)I,().
mencement du « prologue », les formules de transition (si monotones)
et les descriptions de combats, qui ne sont que trop conformes, dans
leur banalité, à l'idéal d'un airanj^enr de romans de la Table Ronde ''
— il n'y a rien que la langue ''^'.
Il faut considérer maintenant que, du livre de Marco Polo, il n'y a
pas qu'un seul texte français ancien; il y a, en français, deux états de
rédaction diilerents, dont la langue n'est pas pareille, ce qui pose
de nouveaux problèmes.
Le premier état (1) n'est représenté ([ue par un manuscrit (liii)l.
nat., ms. fr. 1116), qui provient de la librairie royale de Blois et pri-
mitivement d'Italie. C'est un manuscrit sur vélin, simple, mais 1res
soigné, écrit d'une belle main italienne, par un copiste de métier.
Il a été publié par Roux et Méon pour la Société de Géographie de
Paris au lome 1"" (1824) de son Ixccueil de Voya(jes cl de Méinoires'^'^K --
Le texte toscan de la Crusca, le texte du manuscrit latin 3 196 de
la Bibliothèque nationale (publié aussi par la Société de Géographie
en i8'i4) et le texte italien de fra Pipino dérivent, indépendamment
les uns des autres, de cette première rédaction, qu'ils abrègent ou
modifient légèrement de diverses manières'' . — Nous avons déjà eu
l'occasion d'indiquer qu'elle est la seule complète (dans la quatrième
partie). C'est aussi la plus abondante à tous égards : le style en est très
diflus; on a l'impression d'un premier jet et de la parole parlée. Les
noms mongols s'y présentent souvent sous plusieurs formes, alors
fui. 4i3 \"; d'. P. Palis, op. cil., l. III. Celle tentative assez, gauche de remarque
p. 5q.] lacétieuse est développée avec plus d'aisance
'' Voir uotaniinenl les ch. Lxxviil (p. 244) dans la rédaction /{ .
fl f.xxi (p. /lO") de l'édition Pauthier; et, en Bieu y de\rolent aler [au Tibetj les jeuni-s l)a-
général , la quatriènic partie. clielers poor avoir de ces puceles a leur vouloir tant
- Très rares sont les passages dont on peut comme il (leman<I.Toienl, et seroient priei sans nul
se demander s'ils sont des réllexions du voya- '^<'"='' (Pauthier, |>. .Î75).
geur lui-même ou de celui (|ui tient la plume Elle a été supprimée tout à fait dans les ré-
à sa place. Le principal est au chapitre du daction» en latin et en italien.
Tibet. Le Livie raconte là que les filles du ' Il existe de ce nianustrit une reproduction
Tibet ne trouxent d'épouseur qu'après avoir en phototypie : /-c dirisimcnl don monde de
connu plusieurs hommes. Suit celte remarque, messer March Pol de Vcnece (p. p. A. Steiner.
qui tranche sur le ton d'un ouvrage dont l'au- Karlsruhe, Hof- Buchdruckerei Fr. Gutsch,
leur ne sourit jamais : ' 9" ' )■
En celé contrée auront bien aler les jeune de '* Voir l'édition citée de Dante Olivieri sur
sei^e ani en vingt quatre (Édition de la Société de les manuscrits du texte italien, p. 276.
Géographie, p. >ï7).
SES ÉCRITS. 251
que, ailleurs (notai)) ment dans l'étal de rédaction C) , une seule de Ces
formes a été adoptée : c'est ainsi que la princesse Koukatchin, fiancée
d'Ar«-oun Khan, y est appelée tantôt Cocacin (forme correcte), tantôt
(jtgalra, tandis (ju'elle est toujours appelée Gxjatra dans la rédac-
tion fi. — Enfin une particularité très remarquable du manuscrit
français 1116 est qu'il est rédigé, non pas en français de France,
mais en une sorte de jargon, aussi inconect en son genre que ce
qu'on appelait au moyen âge, en Angleterre, «le français de Strat-
ford-atte-Bow», et chargé non seulement d'ilahanisnies'" , mais de
mots vénitiens'"-' et orient*iu\ '^', à peine francisés.
Un autreétat (/î) du texte français est représenté parles manuscrits
dont Cl. Pauthier s'est servi pour son édition de iHGf), et par
quelques autres. Deux exemplaires de cette rédaction qui, elle, est en
français de France très pur, en français de la cour, sont précédés
d'une sorte de préface, qui a été souvent imprimée, mais (ju'il con-
vient, pourtant, de leproduire ici in rxtcnso^''^ :
Veés cy le livif (jne monseigneur Ttiiebault, dievalier, seigneur de. Cepoy, que
Dieu al)soille, requist que en eust la roppie a sire Marc 1\)1. bourgeois et habi-
lans en la cité de Venise. Et ledit sire Marc Pol, comme très honnourable et bien
accoustumé en plusieurs régions et bien morigéné, et lui desirans que ce qu'il avoit
veu fust sceu par l'univers monde, et pour l'onneur et révérence de très excellent et
puissant prince monseigneur Charles, filz du roy de PVance et conte de Valois, bailla
et donna au dessus dit seigneur de Cepoy la première coppie de son dist li\ re puis qu'il
l'eut fait; et moult lui estoit agréables quant par si preudomme estoit aimnciez et
portez es nobles parties de France. De laquelle coppie que messire 'l'biebauit, sire de
Cepoy, ci-dessus nommé, apporta en Fiance, messire Jehan , qui fust son ainsnez lilz,
et qui est sires de Cepoy après son décès, bailla la première coppie de ce livre, qui
oncques fut faite puis que il fut apporté ou loyaume de France , a son très chier et
très redoublé seigneur. Monseigneur de Valois. Et depuis en a il donné coppie a ses
amys qui l'en ont requis.
Et lu celle coppie baillée dudit sire Marc Pol audit seigneur de Cepoy quanl
il ala a Venise pour Monseigneur de Valois et pour Madame l'Empereris, sa
famé, vicaire gênerai pour euk deux en toutes les parties de l'Empire de Cons-
tantinople.
Cl Voir les exemples relevés par Yule et Cor- second de ces manuscrits nVst qu'une copie du
dier, t. I", p. 83 : • El ont del olio de la lanpe premier; mais la préface placée au commen-
dou sepolchro de Crisl»; etc. ccmenl du manuscrit de Paris l'est à la fin
'*' Yule et Cordier, ibid. (d'après Bianconi). dans celui de Berne. Ed. Pauthier, p. i, avec
'*' Ihid., p. 8i, note. «ne très mauvaise ponctuation.
Bibl. nat., fr. 5649; Berne, laS. Le
S-?.
252 MARCO POLO.
Ce fil fait l'an de l'incarnacion Nostre Seigneur Jhesu Crist mil trois cent et sept ,
ou mois d'aoust.
Thibaut de Chepoix, nommé dans cette préface, est un personnage
dont la biographie est bien étabhe dans ses grandes lignes'*'. Ce petit
seigneur de Picardie'"^*, en relations avec la maison d'Artois et les rois
angevins de Naples, fut un des principaux capitaines du temps de
Philippe le Bel. Passé au service de (iharles de Valois et de sa femme
(Catherine de Courtenai, l'u Impératrice » de Constantinople , il quitta
Paris le 9 septembre 1 3o6 pour négocier en Italie avec Venise et la
Compagnie catalane dans l'intérêt de ses maîtres, prétendants à
l'Empire d'Orient. Il traversa Venise (où il vit sans doute Marco Polo),
lirindisi et Négrepont, en négociant ou en combattant. Il était de
retour en avril 1 3 i o, pour rendre compte de sa mission en « Romanie »,
qui s'était terminée, en somme, par un échec. Il est mort entre mai
1 3 1 1 et mars 1 3 1 2 '^'. Son lils Jean l'avait rejoint à Brindisi en 1 3o7 ;
on sait que, sous Philippe VI, en 1 334, il devait recommencer l'aven-
ture paternelle dans les mêmes conditions'*'.
H résulte de la préface précitée, assez confuse, que Thibaut de
(ihepoix, ayant entendu parler, à Venise, du livre de Marco Polo
— rédigé, nous le savons, depuis 1 298 — en fit demander une copie
pour ses princes à l'auteur qui habitait alors, de nouveau, dans sa
maison patrimoniale des lagunes. S'il faut en croire la |)réface (mais
on n'est pas forcé de l'en croire) , la copie que Marco remit, avec plaisir,
à Thibaut aurait été « la première de son livre puis que il l'eut fait ».
Il la lui aurait remise, en août i3o7, pour monseigneur de Valois et
l'Impératrice. Mais Thibaut l'aurait, semble-t-il, gardée par devers
lui, et c'est son fils Jean qui l'aurait fait reproduire à plusieurs exem-
plaires. Le premier de ces exemplaires, Jean de Chepoix l'offrit,
au nom de son père vivant ou après le décès de celui-ci, à Charles
de Valois; il en distribua d'autres à ses amis. — Les noms de
quelques-uns de ces « amis » peuvent être, soit dit en passant, désignés
avec certitude, car les scribes et les enlumineurs d'Ilesdin et d'Arras
s'employaient déjà, en i3i2 et en i3i5, à multiplier ou à orner,
' Jose{)h Petit, Tlnbaut de f Vie/joy, dans Le [Regestum démentis papœ V", n" 71 15 et s.).
Moyen dje. 1897, p. 3u4. ■' Cli. de La Roncière et L. Dorez, Lettres
'*' Chepoix, canton de Breleuil (Oise). inédites et Mémoires de Marino Sanudo l'ancien,
''' J. Petit n'a pas connu plusieurs bulles de dans In Bibliothèque de l'Ecole des ihartes, iSyJ,
(^léu)ent \ qui le concernent, du 9 avril i3i i p. aS.
SES ÉCRITS. 253
pour Mahaut d'Artois et son favori Thierri dHirson, le « Romant du
grant Kan » ^''.
C'est de l'exemplaire rapporté par Thibaut de Chepoixque dérivent
évidemment tous les manuscrits connus du texte français (à l'excep-
tion du ms. fr. i n6). G. Raynaud les a répartis, du reste, en deux
familles <^', dont chacune est subdivisée en deux branches '^* :
I. 1. Bibl. nat., fr. bdh^ (xv's.);
Berne, i 25 (copie du précédent).
2. Brit. Mus., Regius 19 D 1 (xiv' s.);
Oxford, Bodl. 264 (xiv' s.).
[Bibl. nat., nouv. acq. lat. 1629, pièce ti (xiv' s.). — Fragment de
quatre pages (ch. lxv-lxx).]
!I. I. Bibl. nat., fr. 563 1 (xiv's.).
— fr. a8io(xv's.)(»'.
a. Stockholm, fr. Sy (xiv's.)"».
Bibl. nat., nouv. acq. fr. 1880 (copie du pi-écédent).
[Fragment de Vevey, xiv" s. {Romania, t. XXX, 1901 , p. 4 l 'i)-]
3. Bruxelles, 9309 (siv* s.); combinaison des deux branches de la seconde famille.
Le manuscrit de Stockholm a fait partie de la librairie de Charles V,
qui possédait, en outre, quatre autres exemplaires de «Marc Paul»;
et le manuscrit français 28 10, de la librairie du duc de Berry, qui en
renfermait trois en tout'"'.
La question se pose maintenant des rapports que les rédac-
tions en franco-italien [A) et en français de France [B) soutiennent
'"' J.-M. Richard, Mahaut, comtesse d'Artois la première famille de celle des Chepoix est
et de Bourgogne (Paris, 1887), o. 101 (d'après moins abrégée que la seconde,
les comptes d'Artois). — Dans l'inventaire des ''' G. Raynaud n'a pas eu, dans son édition
biens meubles do la comtesse Mahaut, pillés très partielle, à considérer les fragments indi-
par les partisans de son neveu en i3i3, figure quésici entre crochets.
a un rommant du grant Kan » ( Bihlinlhèqae de ''' Les miniatures de ce magnifique manu-
l'École des ekartes, ?>' série, t. III, p. 63). sent ont été reproduites en phototypie : fasci-
<*> Romania A. \l, i88a, p. 't3o. Cf. Yule et cule XII (1907) des « Reproductions de manu-
Cordier, t. I", p. 9i. — Pauthiir s'est complè- .scrits et miniatures de la Bibliothèque natio-
tement fourvoyé en préférant, pour établir le <<nale>.
texte de son édition , les manuscrits de la '*' Ce manuscrit a été reproduit en photo-
seconde famille à ceux de la première. typie par les soins de A. E. Nordenskiôld , Le
Les manuscrits de la première famille con- Livre de Marco Polo (Stockholm, 1882).
tiennent plus de trente passages qui manquent Cf. Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 1881,
dans ceux de la seconde , mais dont l'équivalent p. 226.
ûgure dans la rédaction franco-italienne (A). ''' L. Delisle, Recherches sur la librairie de
C'est-à-dire que, par rapport à cette rédaction, Charles V, t. I , p. '1^1 et p. *'j54-
1 9
254 MARCO POLO.
entre elles el avec l'archétype écrit dans la prison de Gênes. À c<i
pro])Os des hypothèses se sont présentées à l'esprit de quelques érudils
qui ne résistent pas à l'examen.
Le jargon du manuscrit français 1 1 16 est si bizarre et, en mêm(î
temps, la rédaction qu'il représente est si verbeuse, si encombrée de
(■édites, que l'on a cru voir dans ce manuscrit une sorte de repro-
duction phonographique des jwroles prononcées à Gênes par Marco,
vénitien orientalisé, et notées, soussa dictée, par le toscan Ruslicien'''.
— D'autre part, on a soupçonné que le manuscrit français 1116,
dont le texte est antérieur à celui de tous les exemplaires dérivés du
volume remis par Marco à Thibaut de Che|)oix , pouvait être ce volume
même : les copistes au service des Chepoix en auraient remanié le
texte en le transposant, pour ainsi dire, en français de France, et en
l'abrégeant; telles seraient l'origine et toute l'explication des différences
entre les deux rédactions. — Mais comment Marco aurait-il «dicté»
en français, même de la ])lus basse qualité, si, comme il y a lieu de le
croire, il ne savait pas le français du tout? Aussi bien le manuscrit
français 1116 n'est pas une minute; c'est une copie, qui contient des
fautes de transcription manifestes et (pii suppose un prototy])e. —
L'identification de ce manuscrit avec celui des Chepoix est d'ailleurs
insoutenable, puisque celui des Chepoix, tel que l'on peut le restituer
d'après tous .ses dérivés, contenait un assez grand nombre de ])assages
d'authenticité non douteuse c'est-à-dire dont la substance n(> peut
avoir été fournie que par Marco hii-inême), (jni font absolumenl défaut
dans la première rédaction, c'est-à-dire dans le ms. fr. 1116. H y a ainsi
preuve certaine qu'une revision , une au moins, fut opérée, ])ar Marco
en personne, de 1298 à iSoy'^*. Le manuscrit perdu de Jean de
Chepoix, source de la rédaction Vi, était un manuscrit abrégé sur
certains points, augmenté sur d'autres, probaldement mutilé à la fin,
avec quelques fautes nouvelles, bref revu, mais sans soin , par rapport
à la première rédaction (i4), celle du manuscrit français 1116.
Est-ce donc avec raison que (î. Pauthier a attribué une suprême
importance à la rédaction revisée de 1807? — G. Pauthier ne s'est
])as contenté de dire, comme il est vrai, qu'il y avait eu revision; il a
pris au pied de la lettre le certificat des Chepoix, d'après lequel leur
•'' Yiile et Cordier, t. l", p. 85. — "' G. Pauthier, op. cit.. p. lxxxix et ».; cf. Vule et Cordier,
t. I-, p. 93.
SES ÉCRITS. 255
manuscrit aurait été le «premier» que Ser Marco eût communiqué.
Mais, avant 1807, Ser Marco avait dû faire à bien des gens seni-
l)lable politesse, peut-être avec des protestations analogues qu'il la
taisait pour la première fois, puisque sa rédaction primitive, dont les
exemplaires en diverses langues sont aujourd'hui plus nombreux que
ceux de la rédaction révisée'^ avait dès lors, selon toute apparence,
|)ris son vol.
Ce qui a conduit Pauthier, sur les traces de Paulin Paris, à préférer
si hautement l'état de rédaction D à l'état de rédaction A, c'est, eu
réalité, la langue barbare du manuscrit français 1 1 16 et le fait que
tous les manuscrits de la rédaction B ollrent au contraire « le mérite
« d'une forme élégante » '^'. Il reste à rendre compte ici, dans la mesure
''' La rédaction re\iiée[B) n'est pas, tout mis d'aulres, dans la fameuse édition de G. B. l\a-
(11 balance, supérieure à la rédaction primi- musio, préparée en i553. — Il est établi depuis
tlve; mais le lait d'une revision intervenue do longtemps (pie Hamnsio a connu, outre des
I !()8 à i3o7 est, par lui-niême, très intéres- exemplaires semblables au nis.Cicogna, d'autres
saut. Ajoutons (pi'il n'est pas isolé. En effet un manuscrits, en latin ou en italien, maintenant
manuscrit du «Livren en latin (Venise, Musco disparus, (\u'\ contenaient aussi des additions
civico. Coll. (^icogna), exécuté en i4oi, ijui, attribuables à Marco, et à Marco seul'". —
comme les autres tratluctious en latin connues. Tout se présente donc comme si Marco, depuis
remonte à un prototype perdu, contient un sa prison de Gènes jusqu'.i la fin de sa vie,
certain nombre de détails qui ne sont dans avait relu à plusieurs reprises ses souvenirs
aucune des rédactions antérieures (en quelque rédigés par Ruslicien, en les annotant cliaque
langue que ce soit) et qui ont, comme celles l'ois de détails {|ui lui revenaient à l'esprit,
du manuscrit remis à Cliepoix, le caractère qu'il retrouvait dans ses menwrandu ou qu'il
iWidilenda dont Marc seul a pu, en relisant son avait d'abord omis h dessein, et qu'on faisait
livre, rc'connaitie l'utilité, désirer l'inserlioii entrer au fur et à mesure dans les copies nou-
et formuler l'énoncé'". De plus, ces addenda velles de l'œuvre '''.
du ms. Cicogna se retrouvent, avec beaucoup <^' C'est aussi une considération de cet ordre
'' Relevé de ces nddciuht dans Yule et Cordiir, I. 1", p. i02.
'' Rplevé (les principales additions qui ne se lisent que dans ledilion de Ramusin, par Yule el Gordien,
I. I", p. 98-99. On y remarque notamment un long paragraphe sur la salubrité des hauts plateau» de
Badakchan, où se riHablit la sanlé de Ser Marco |)endant le voyage d'aller (t. 1", p. i58), et l'histoire
de la grandeur et de la chute du ministre mahomélan de Koublai, Ahmed, tué par les gens du Cathai
à l'époque où Ser Marco était dans le pays (t. I", p. 4i5), récit confirmé de tous points par des Annales
chinoises qui n'ont été connues en Occident que de nos jours; cf. plus haut, p. 235, note i.
L& forme des additions du Icjte de Ramusio est littérairement développée el rajeunie, mais, au senti-
ment des meilleurs juges, l'authenticité de la provenance du /onii ne saurait (''Ire, dans la phqiart des cas,
raisonnablement contestée, encore qu'elle l'ait été (Yule et Cordier, t. 1", p. 97).
('' Le célèbre médecin padouan Pierre d'Ahano (t i3i6) a rapporté une conversation qu'il eut à Venise
avec Ser Marco au sujet de l'aspect des constellations dans les régions lointaines. Sei Marco Ct mention
oralement, ce jour-là, de certaines particularités des îles indonésiques qui ne sont dans aucune des «édi-
tions • successives de son Livre (Yule et Cordier, t. 1", p. 120). Voir, sur les rapports personnels de Pierre
d'Abano avec Marco Polo, Santé Ferrari. Per la h'ioçjiajin e per gli scritli di P. d'Ahano, dans Mem. d. Accad.
(Ici Lincei, Se. moi:, stnr. efilolcn/.. série 5', t. XV (igi8), p. 653, 679.
Il est clair que Marco Polo en savait beaucoup plus qu'il n'en avait dit à Rusticien et qu'il devait être
tenté, chaque fois qu'il relisait ou qu'on lui relisait la rédaction de celui-ci, d'y intercaler des additions.
256 MARCO POLO.
où c'est possible, de celte différence de style, si marquée, entre les
deux rédactions françaises.
De la première, il n'y a qu'un exemplaire en jargon. Il est naturel
de voir, par hypothèse, dans ce jargon, la manière qu'avait lo pisan
Rusticien de s'exprimer en français. Mais l'autre ouvrage de Rusticien ,
sur les romans de la Table Ronde, est-il écrit de la sorte? Il ne l'est
pas dans les nombreuses éditions qui en ont été données en France
au XV* et au xvi' siècle. Cependant, d'après G. Pauthier, «les éditions
Il imprimées (de Giron le Courtois et de Meliadas) ne sont pas conformes
« aux copies manuscrites que l'on en possède : dans celles-ci le style
« est beaucoup plus barbare et d'un français inculte, comme celui du
« Livre de Marc Pol publié par la Société de Géographie »*''. MM. Yule
etCordieront déclaré, de leur côté, que cette allirmation de Pauthier
était gratuite'-'. Or MM. Yule et Cordier ont raison s'ils veulent dire
seulement que la plupart des manuscrits de la compilation sur les
romans arturiens qui porte le nom de Rusticien sont en français
ordinaire, comme le manuscrit français 34o, par exemple; mrîis le
manuscrit français i463, exécuté en Italie, dont quelques lignes ont
été reproduites plus haut, ne laisse pas d'autoriser, jusqu'à un certain
point, le sentiment de Pauthier. Il paraît difficile, du reste, de dis-
cerner, eu pareil cas, l'auteur des copistes: il est possible que les
copistes aient aggravé, ou atténué, suivant la connaissance qu'ils
avaient eux-mêmes du français, le langage de leur auteur, déjà mala-
droit et incertain comme celui de quiconque s'exprime en une langue
après tout étrangère'^'. — Quant à la rédaction B, dont la grammaire
elle vocabulaire sont tout à fait normaux, elle a été pour ainsi dire
traduite de la rédaction en jargon. Il est bien certain que l'exem-
plaire donné par Marco à Thibaut de Chepoix n'était pas en ce fran-
çais-là. Thibaut l'aura fait «adapter» par quelqu'un à lui, soit à
Venise même, soit, plus probablement, en P'rance, après son retour.
C'est même, sans doute, à cause de cette nécessité d'une adaptation,
(|ui l'a persuadé de préférer, pour l'établisse- ''' Comparer au manuscrit de Ruslicien en
ment de son édition de la rédaction li, les ma- franco-italien les manuscrits des romans ori-
nuscrits de la seconde famille à ceux de la ginaux de la Table Ronde exécutés en Italie
première (p. xciii), malgré leur inférioiité ( Bibl. nat., inss. fr. 343, 767, 771, 773,
manifeste. '6998; Bibl. de Ravenne, 454). La langue
'■' Op. cil., p. Lxxxvi, note. en est aussi, généralement, très incorrecte, et
''' Yule et Cordier, t. I", p. 6i. de la même manière.
SES ECRITS. 257
qui demandait du temps, que Thibaut n'a pas remis immédiatement
à Charles de Valois le manuscrit qu'il avait rapporté pour lui; ce
manuscrit il l'a même, finalement, gardé : son lils Jean n'en a fait
délivrer au maître et aux patrons des (^hepoix en cour de France que
des copies rhabillées à la française, en un langage plus plaisant et
plus intelligible pour eux.
Ce qui reste à dire, très brièvement, de l'histoire, en quelque
sorte moderne, du texte français de Marco l'olo ne laisse pas d'être
encore instructif.
Ce livre, écrit presque immédiatement, sinon tout de suite, en
français; que Ser Marco avait eu pour si «agréable», dès iSoy, de
voir « annunciez et portez es nobles parties de France»''*; sans con-
tredit un des plus intéressants de la littérature médiévale, et qui fut
dévoré chez nous en sa nouveauté; — ce livre n'a été imprimé en
France qu'assez tard, dans des conditions déplorables, et il n'en existe
pas encore aujourd'hui d'édition satisfaisante''^'. C'est en aUemand que
le livre de Marco Polo a été imprimé pour la première fois (1477); il
l'a été ensuite en latin (vers 1^90), en vénitien ( 1496), en portugais
(i5oq), en espagnol (i5o3); il ne fa été en français qu'en i556.
Et comment? non pas d'après un manuscrit de la rédaction française
originale, mais en une traduction hâtive faite d'après le texte latin de
l'édition du Noviis Orbis de Grynaeus (Bâie, i532), lequel est, croit-
on, traduit du texte portugais de i5o2, dont la source était certai-
nement le latin de ce fra Pipino qui, nous l'avons vu, avait travaillé
lui-même sur un texte italien'^*. C'est en 1824 seulement que la
première rédaction française a vu le jour par les soins de la Société
de Géographie; mais sans confrontation avec les manuscrits de la
seconde rédaction et sans notes. En i865, G. Pauthier publia sa
grande édition de la rédaction rapportée en France par Thibaut de
Chepoix; mais cette édition, magnifique au point de vue typogra-
phique et savamment annotée par un sinologue fort versé dans les
choses de fAsie, est malheureusement fondée sur trois manuscrits
*'' Certificat précité de Jean de Chepoix. '^' Il existe d'autres traductions françaises ,
''• Voir l'excellente bibliographie des antérieures et inédites, d'après la version
éditions dans toutes les langues, Appen- latine de fra Pipino (Br. Muséum, Egerton
dice H du manuel do Yule et Cordier, t. II, 2176, etc.), qui n'ont pas encore été, semble-
p. 553. t-il , étudiées.
HIST. LIITBR. WXV. 33
'2:)8 VI\RC() POLO.
seulemeni, dont l'édileur n'a pas su apprécier la \aleur relative;
Pauthier n'avait d ailleurs qu'une connaissance tout à fait insuffisante
de l'ancien français: de là des erreurs énormes '. Il n'existe encore
d édition vraiment critique du texte français de Marco Polo que pour
les fragments (douze chapitres) publiés en 1882 par G. Haynaud
dans un recueil (Y Itinéraires à Jérusalem aux \i', xiT et Mil' siècles,
paru sous les auspices de la Société de l'Orient latin'-.
C'est à un autre point de vue que l'œuvre du Vénitien a été, de nos
jours, excellemment restaurée et mise en valeur. — Il est bizarre,
mais certain, que la relation de Marco Polo, pourtant si sensée et qui
semble devoir inspirer confiance à première vue, a trouvé, jadis,
beaucoup d'incrédules. Bien des contemporains ont hoché la tête en
la lisant, et soupçonné que l'auteur avait voulu abuser de leur naï-
veté; qu'il avait inventé ces noms barbares, soi-disant mongols; et
qu'il se pouvait fort bien qu'il ne fût jamais allé si loin. Fra Francesco
Pipino, dans la préface de son édition latine (de i3i5 à i32o), se
sent obligé d'attester l'honorabilité du narrateur et le fait que son
père et son oncle, Nicolô et MalTeo Polo, hommes sages et pieux,
avaient coutume de raconter oralement leurs aventures de la même
façon que lui; Ser Malïeo avait, en outre, à son lil de mort, affirmé
à son confesseur que «tout était vrai". Un autre contemj)orain, fra
Jacopo d'Acqui, dans son Imaçjo mundi, rapporte que Marco lui-même
fut conjuré, à l'instant suprême, de déclarer s'il avait mystifié le
public; à quoi il aurait répondu: « Je n'ai pas dit la moitié de la
Il vérité. )i Or ces méfiances d'autrefois, que la malveillance naturelle
de l'homme ignorant explique assez, sont maintenant dissipées à fond.
Si Ramusio pou\ail déjà proclamer, au wT siècle, que les voyageurs
de cet âge avaient confirmé le «Livre" de son compatriote, Abel
Rémusat écrivait en 1818: «Loin que la réputation de Marco Polo
Il diminue par les progrès de la géographie positive, on trouve de
I nouvelles raisons d'admirer son exactitude et d'être persuadé de sa
«sincérité à mesure qu'on ap])rend à mieux connaître les pays ([u'il
« a décrits'''. » Le colonel Yule, de la première ( 1 870) à la seconde
'1 Par exemple, au cli. cxxv, où il esl qitos- (p. 4a2), «dans le .-cns de l'anglais scliotnrs»
lion des «escoilliez. dont le Benfçale iburnil (p 83a).
les harems des grands seigneurs de l'Inde. '' ". aoi-aao.
(i. Paulhier croit qu'il s agit là d'« écoliers • ''' Cité par G. Pauthier, p. 1.
SES KCRITS. 2r)<»
édition (1874) de son grand ouvrage : The Book ofSer Marco Polo, fut
obligé par les découvertes accomplies pendant cette période dans le
Pamir, le Tangout et le Yun-nan, de remanier profondément le com-
mentaire qu'il avait donné des chapitres du » Livn- » sur ces régions;
car c'était comme si les originaux de très vieilles photographies avaient
été tout à coup retrouvées: à la réalité présente se superposait parfai-
tement la description ancienne de choses qui n'avaient point changé.
Mais c'est de nos jours seulement que les confirmations les plus écla-
tantes de la clairvovance et d(^ la véracité de l'illustre voyageur ont été
acquises. Il a été démontré que (iharles de Valois avait été informé,
dès iSoy, de faits dont nos contemporains n'ont entendu parler de
nouveau que par les ouvrages de l'explorateur Aurel Stein et de ses
émules à partir de 1912 '*. E.Huntington et Sir Aurel ont voyagé, au
commencement du xx" siècle, dans les districts les plus inaccessibles
de l'Asie centrale, avec deux guides dans leurs bagages: le livre du
pèlerin chinois lliourn Tsang (vii^ siècle) et celui de Marco Polo; ils
en ont constaté la minutieuse précision dans l'indication des étapes'- ,
des paysages'^', des circonstances locales'*'.
JNos prédécesseurs ont eu roccasi(m dès 1 869 de signaler des traces
de l'influence exercée par l'état de rédaction H du « f Jvre » de Marc
Pol en français sur des écrits contemporains des derniers (lapétiens
directs : le Flos Instorianim terrae Orientis d'Haylon , prince d'Arménie '''*,
et le roman anonyme de Baudouin de Sel)oar(j^''\ Nous parlerons plus
tard de Jean Le Long, moine de Saint-Bertin à Saint-Omer, qui
possédait les œuvres de « Marc Pol » et qui s'en est servi ''\
C. L.
''' Voir aussi les ouvrages du voyageur sué- « Pein » (Lllsworth Huntington, The puise o/
dois Sven Hedin, souvent rapprochés du texte Asia. London, 1907, p. 387); etc.
de Marco Polo dans la traduction précitée de '*' Histoire littéraire, t. X.\V, p. 48 1 .
B. Thordeman. '*' Ibid. , p. 56(5. CI. ^ ule et Cordier, 1. 1' ,
''' M. Aurel Stein, Raiim of désert Cathay p. i2/ et suiv.
(London, 1912), t. 1", p. 337 '"' •'"J- ''* ^^ ''^'' sli-cio, on s'est amusé, en Italii-,
''' Les champs de rhubarbe sauvage du à composer, sous le nom de « Marc Paul », une
Nan-chan (t. II, p. 3o5). petite géographie de la péninsule, en français,
'*' I-es falaises des Mille Bouddhas au Tan- (jue le sage Vénitien aurait laite après son rc-
gout (t. Il, p. 37); les plantes, enivrantes pour tour d'Orient (Bibl. nat. , nouv. acq. fr. 5oonj ;
les bétes de somme, des pâturages du «Suk- mais celte énorme supercherie n'a Jamais dû
• chur» (t. Il, p. 3o3); les mœurs du pays de tromper personne.
33.
260 JORDAN C\TALA, MISSIONNAIRE.
JORDAA CATALA, MISSIONNAIRE.
Le livre de Marco Polo n'est que l'anneau le plus brillant dans une
chaîne d'écrits sur les choses de l'Orient et de l'Extrême-Orient qui
commence au milieu du xiii' siècle avec les relations de Jean du
Plan de Carpin et de Guillaume de Rubrouck. Au xiv* siècle, l'éveil
étant donné dans cette direction, le Saint-Siège encourage en Asie
les sondages et les établissements des missionnaires ]K)ur la conquête
des mondes nouveaux dont l'existence a été révélée. El, de ces mis-
sionnaires, quelques-uns, comme ceux du temps d'Innocent IV, écri-
vent au refour la description des merveilles qu'ils ont vues, avec le
récit de leurs aventures personnelles. Tel le franciscain Odoric de
Pordenone qui, à partir de i3i8, parcourut l'Asie jusqu'à la Chine,
et dont le livre, dans la littérature des voyages, se classe, à tous les
points de vue, immédiatement après celui de Ser Marco'"'. Ainsi la
chai-nc s'allonge, jusqu'à ce qu'elle aboutisse, plus tard, aux compi-
lations du prétendu Mandeville, dont nous aurons à parler, et d'autres
géographes en chambre.
Ces évangélisateurs en Extrême-Orient ont été, dès l'origine, des
Dominicains (surtout en Perse) et des Franciscains (surtout en
Chine), pour la plupart Italiens ou Français. Tous ceux qui ont écrit
ou dicté l'ont fait, naturellement, en latin. Mais, dans ces conditions,
les originaires de France sont seuls à considérer ici, vu le plan du
présent ouvrage.
La France a toujours été un pays de pionniers et, en particulier,
de missionnaires. Au xiii* siècle, Simon de Saint-Quentin, André de
Longjumeau,lant d'autres. Lorsque, le i" mai i3i8,.Iean XXII orga-
nisa l'Eglise de Perse, avec Sultanieh pour métropole, trois au moins
des suilragants du nouveau siège métropolitain, et sans doute tous
les quatre, étaient des Dominicains français : Gérard Calvet de Mont-
•'' H. Cordier, Les Vovayes en Asie du bien- hio-bibliogiajica delta Terra Santa e dell Oriente
heureux frère Odoric Je Pordenone (Paris, /rance.<rano, t. III (Quaracchi, i9i{)).
1891). Cf. Girolatno (iolubovich, BibUoteca
SA VIE. 261
pellier, Bernard Moret, Guillaume Adam, dont la nolice suit celle-ci,
et Barthélemi de Podio (du Puy) '''. — Or, c'est à cette mission de
Perse qu'appartint d'abord un autre Français du Midi, ce frère Jordan
Catala, de l'Ordre de saint Dominique, qui fut le premier évêque
catholique de l'Inde majeure, et dont on a quelques reliques litté-
raires.
SA VIE.
Il était de Sévérac en Rouergue*"^) (le titre de son livre porte : oriun-
dus de Severaco). Il dit que le grand chef des Tatars est suzerain de
quatre royaumes dont chacun est grand comme le royaume de France,
et que ce prince a dans ses domaines deux cents villes « plus grandes
M que Toulouse» '^'. A la fin de ses MirabiUa descripta, il déclare brus-
quement, après le rappel des souffrances qu'il a endurées, en guise
de conclusion : «Credo insuper quod rex Francie posset totum
« mundum sibi subjicere et fidei christiane, sine aliquo alio eum
«juvante'*^ » Assurément il n'était pas Portugais, ni d'Evora, comme
le bruit en a couru, sans l'ombre d'un motif, parmi les érudits, avant
que son principal ouvrage eût été mis au jour'^'.
Le premier renseignement certain que l'on ait sur sa carrière,
c'est que, en iSao, il faisait partie de l'Ordre de saint Dominique
et de la mission de Perse, et qu'il était là depuis assez longtemps pour
avoir appris à parler couramment la langue persane. A quelle époque
y était-il venu? On l'ignore et il est inutile de conjecturer, pour
combler cette lacune, qu'il avait quitté son pays soit «en i3j2,
« lorsque le maître des Dominicains, Bérenger de Landore, promulgua
« ses magnifiques règlements pour la Congrégation des Frères péré-
« grinants» '*', soit dès i3o2, quand Thomas de Tolentino « emmena
''' Voir la balle dn i" mai i3i8 dans la '*' Quétif et E^hard, Scriptores Ordinis
Revae de f Orient /afin, t. X, p. ao. Cf. Histoire Prœdicatoruin, t. I", p. 55o. — H y a encore
Kttéraire. t. XXXIV, p. 5 1 a. dans la Bio- Bibliographie de M. Ulysse Chevalier
'*' Sévérac-le-Châleau, arr. de Millau, Avey- un article Jordan d'Evora et un article Jordan
ron. ((^ATALANi) DE SÉVBRAC, distincts, et sans
<*' Mirahilia descripta (éd. Coquebert de renvoi de l'un à l'autre.
Montbret), p. 69. ''' A. Brou, L'Eoangélisation de l'Inde aa
'*' Ibid., p. 63. Cf. J. Gay, Le pape Clé- moyen âge, dans let Éludes pahliées par les
ment VI et les affaires ^Orient (Paris, 1904), Pères de la Compagnie de Jésus, t. LXXXVll
p. 61. (1901), p. 590.
262 lOHDW (;\T\L\. VIISSIONWIUE.
«eu Asie douze Krères, dont il est rapporté incidemment qu'ils
«passèrent, dans leur voyage d'allei", par Négrepont et par Thèbes,
«en Grèce, ce qui, d'après les Mirahiha, lut aussi l'itinéraire de
<< Jordan » '''.
Krère Jordan partit donc, à une date indéterminée, de la b'rance
pour la Perse. Il passa, suivant l'usage, par le détroit de Messine et
Xégrepont, fit une pointe en Béotie, traversa la Grande Arménie, ou
plutôt la parcourut prestpie tout entière'^', attentif aux traces des
saijits martyrisés jadis d;ins ces contrées. Il arriva à Tauris, «qui esl
« une très grande ville avec deux cent mille maisons». ■! Nous avons là
« tine église assez helle el un millier de catéchumènes, schismaliques
« convertis ; il y en a autant à Ur et cinq ou six cents à Sultanieh, où
(I l'église est fort belle. » Sidtanieh, de fondation récente, était alors la
résidence d'été de l'Empereur tatar; près de là, «la charmante
«Maroga, qui devait sa renommée à des institutions scientifiques,
«observatoires et autres» '"*', et, entre Tauris et Maroga, ce lieu de
« Diagorgana » (Dihkargan) dont le montpelliérain Gérard Calvet fut fait
évéqne en 1.3 18. ('/est dans ces chrétientés relativement florissantes
<jue frère Jordan travailla fl'ahord. Mais le séjour qu'il y fit ne lui
laissa pas une haute idée des habitants : « Le pays, dit-il, est peuplé
«de Sarrasins, de Tatars qui sont de la religion des Sarrasins, et de
« chrétiens scbismaticpies : Nestoriens, Jacobites, Grecs, Géorgiens,
« Arméniens, avec quelques Juifs. » Au reste, tous ces gens ne savent
pas se servir des ressources naturelles du pays, qui sont la soie,
l'or et le lapis-lazuli, et ils ntangent salement. Ce qui l'a le plus
frappé, d'ailleurs, ce sont ces petits ânes rapides qu'on appelle
M onagres » et les sources naturelles de poix : de la poix dont on se sert
pour enduire les outres à conserver le vin.
A l'automne de iSqo, des Franciscains envoyés par le Saint-Siège,
sous la direction de ce vétéran des missions lointaines, frère Thomas
de Tolentino, passèrent par Tauris, en route pour la Chine. Frère
Jordan, qui ne se plaisait guère en Perse, obtint, malgré sa robt;,
d'être adjoint à cette mission, laquelle, après avoir gagné à pied
Ormouz, le grand port de la mer d'Arabie, s'embarqua de là, en mars
''' Sir Henry Vulo, Calhny and ihc way ihi- '*' A. Brou, loc. cil. Cl'. P. M. Sykcs, I
/Aec (éd.Cordier), l. m (Londoti, 191 4) ,p. îi(). hi$lnry nf Peina, t. Il (London, igif)*,
"' Mirabitia , p. .'ig. p. ii-j.
SA \IE. 263
<le l'année suivante, pour les échelles de l'Inde'". Contrarié par les
vents, le navire qui la portait aborda d'abord à Tana, dans l'ile de
Salsette, près du site actuel de Bombay.
11 y a, dans les Annales Minonim de V\ adding, une relation étendue
de ce qui se passa presque aussitôt après l'arrivée de la mission à
Tana'^'. L'historien des Mineurs a composé, dit-il, ce récit célèbre
eii coordonnant les renseignements contenus dans un assez grand
nombre de lettres, émanées de nioines dominicains et Iranciscains des
missions d'Orient, dont il nomme les auteurs, mais sans citer les textes
originaux et sans indiquer l'endroit où il les a puisés '*). Cependant
ces sources ont été déterminées de nos jours, et il est loisible désor-
mais de les consulter directement. La principale est la Cluonica
.XXIV. (jeneralium Orduns Minoium, que le franciscain IVère Arnaud de
Scrano, provincial d'Aquitaine, a composée dans le troisième quart du
W siècle'''; et il yen a encore d'antres que Wadding n'a pas connues''!
H ressort de l'ensemble que plusieurs chroni([ueurs Iranciscains du
xiV siècle ont eu connaissance de lettres et d»; rapports, conservés
alors dans les archives de l'Ordre, sur les événements de Tana. Infor-
mées de ces événements par frère Jordan lui-même, par ses messagers
et par d'autres témoins'*"', les Missions de Perse s'étaient empressées
d'en transmettre la nouvelle à leurs correspondants d'Occident'^',
''' Les balcaux qui font \v trajet d'Ormoui « mullis moicatoiihus latinis qui fuciunt pre-
cn Chine sont décrits d'après nature dans les a sentes nrgocio. > (G. Golubovich, t. Il, p. 69 ;
Mirabilia (p. 6a). cf. ibid. , p. i 10, 1. letsuiv.). Voir aussi un frag-
=1 Annales Minoriim , 2' éd. , t. \ I , p. 353 ; ment de lettre du gardien des Mineurs de Tau-
ci'. Acia Sanctoriim ^ Avril, t. 1", p. 5o. ris, inséré dans la Chrimica .XXIV. (jericialiuin ,
<^' t E\ omnium narrationihus plenam nos p. 607 : ■ Reluiit nolùs quidam juvenis Ja-
.. roncinnamus loliu!. marl)rii historiam.» «nuensi.s, qui vocatur LaCranchinus, qui fuit
*' Chronicn .XXIV. geneialium Onlinis Mi- . sorius fratris Jordani, quod . . . • ; et p. 61 a :
iiDiiim. au t. 111 (Ad Claras Aquas. 1897) «IWlulit nobis quidam juvenis Januensi» de
des Analecla framiscana , p. ^']!^ et suiv., 5((7 «parente Ciatucci, qui vocatur Lalranchinus,
,.| suiv. «qui, credo, fuit socius fratris .lordani pre-
'' G. Golubovich, Biblioleca bio-biblioyra- c, dicti. ..« Pierre Je T'iirri, vicaire des Mineurs
jua délia Terra Santa c dell' Oriente fran- en Orient, invoque aussi le témoignage de
rpcano, t. Il ( QuaiaCL-hi , 1913); cf. t. III, .. quidam chrislianus lalinus Januensis, nomine
p. a 1 1 . .1 Jacobinus , mercalor, ([ui cutn sanctis fratribu»
'' Lettre d'un dominicain de Tauris au lec- «simul in Indiam proiéctus est, et ab eis rece-
leur du couvent de Bologne : • Vobis illa bre- «dens, dum illi Tanam iverunt , in quadam in-
« viler significare curavi prout ccrtissime sunt « sula morabatur. . . » (/iirf. , p. 609).
« visa, scripta, narrata et divulgata a fratre Jor- ''' Même lettre du dominicain anonyme de
" dano nostri Ordinis, et a quodam vlro dcvoto Tauris , ibidem : • I\ogo ergo vos amore Christi,
• et fide digno qui in civitale Tana diligentis- «in quo omnes fratres suinus Ordinis cujus-
«sime verilalem de prediclis inquisivil, et a «cumque, ut hec publicare velitis el publicari
264 JORDAN CATALA, MlSSIONNAmE.
jusqu'à la cour pontificale'''. On est donc très bien informé des
faits, dont voici la substance.
Les missionnaires ayant débarqué par iiasard à Tana, qui n'était
pas dans leur itinéraire, y furent hospitalisés chez des Nestoriens,
dont il y avait quinze familles dans la ville. Huit jours après le débar-
quement, ses hôtes persuadèrent frère Jordan de se séparer pour un
temps de ses compagnons afin d'aller visiter la communauté de
« Parocco » (aujourd'hui Broach, dans le Guzerate) , où il y avait aussi
des chrétiens, mais des chrétiens de n(Mii plutôt que de lait, et fort
ignorants. Frère Jordan fut choisi, entre tous ses confrères, pour
cette petite expédition latérale à cause de la connaissance qu'il avait
du persan. H s'embarqua donc pour « Supera » (ville aujourd'hui
détruite, aux environs de Surate), où, en quinze jours, il baplisa et
confessa vingt personnes. C'est là, et à la veille de gagner « Parocco »,
que la nouvelle lui parvint de l'arrestation des quatre Franciscains,
Thomas de Tolentino et ses acolytes, qu'il avait laissés à Tana. On le
faisait supplier de les rejoindre, pour les assister en qualité d'inter-
prète. Mais, quand il arriva, tout était fini : leur martyre avait été
consommé dans la première quinzaine d'avril. Il ne put qu'ensevelir
les corps, avec l'aide d'un jeune Génois qui était là, et plus tard, en
déposer honorablement les restes dans TégUse de « Supera », celle (jui
passait pour avoir été rebâtie sur l'emplacement de la basilique fon-
dée jadis par saint Thomas, apôtre des Indes.
Le plus ancien document de la main de frère Jordan, dont on
ait intégralement conservé le texte, est du i j octobn; i3'-«),
six mois après la catastrophe. Il manda ce jour-là, de Gogha '^', «à ses
«frères, Dominicains et Franciscains, de Tauris, de Diagorgana et
M de Maroga», l'expression de ses regrets d'avoir survécu aux martyrs
de Tana, l'exposé de sa conduite après leur mort et ses intentions pour
l'avenir : «Je suis seul, pauvre pèlerin dans l'Inde. . . Depuis ce qui
«s'est passé à lana, j'ai baptisé à Parocco, qui est à dix journées
«de là, quatre-vingt-dix personnes, et j'en baptiserai encore, avec là
«permission de Dieu, vingt autres, sans compter trente-cinq que j'ai
« faceie in populo et in clero, sirut vobis ad «nostros, atquc Iranscripta priori Venetiaruin
« edilicationein eorum videhilur cxpedire. Que • et aliis. . . •
«scribo vohis jain pulilicata siint in populo et ''' VA', plus loin, p. -',67, note \.
• in terris pluribus , ubi noslri fralres siint. ''' District d'Ahmedabail, sur le golfe de
« tam per ipsos l'ratres Minores <|uam per Cambayc.
SA VIE. 265
«baptisées aussi entre Tana et Supera. Si j'avais un compagnon, je
« resterais encore quelque temps. Mais maintenant je vais préparer
«une église pour les frères qui viendront; je leur laisserai mes
« affaires, celles des martyrs, et tous nos livres. » Lui-même désirait
évidemment s'en aller (en Occident.?) pour procurer, dit-il, la cano-
nisation de ses compagnons, et aussi pour d'autres raisons dont il
parle à mots couverts [propter fidei negotia et alia satis ardua et dijfi-
cilia) '''.11 affirmait d'ailleurs que la côte de l'Inde promettait d'être un
terrain assez fertile pour la prédication. « Il y a place pour deux frères
« à Supera, pour deux ou trois à Parocco<^>, et je sais en outre un bon
«endroit qui s'appelle Columbus'^. » Et, au delà de l'Inde, il y a
encore fEthiopie, dont «nos marchands latins affirment que la voie
» est ouverte -, Dieu veuille que je vive assez longtemps pour y porter
« sa parole, sur les traces de saint Mathieu. . . » '*'.
Les vœux du bon missionnaire ne furent pas entièrement exaucés.
11 est liors de doute que ses premières lettres, dont la forme originale
est perdue, avaient provoqué le départ pour l'Inde, à sa rescousse et
pour enquête, d'au moins un moine de Tauris : le gardien des
Mineurs de cette ville fait savoir, en effet, le lendemain de l'Ascension
(29 mai iSsi), au vicaire général de son Ordre, que frère Nicolas
de Rome, vicaire des Frères Prêcheurs, vient de partir pour l'Inde,
au reçu des nouvelles expédiées par frère Jordan'^'. H y a trace, en
outre, d'une enquête conduite à Tana par un homme « pieux et digne
« de foi », connu des missions de Tauris, pour vérifier les faits notifiés
par frère Jordan'*^'. Odoric de Pordenone déclare, d'autre part, dans
ses Mémoires, qu'il passa, quelques années après l'événement, dans
J'' • Veniam tum propter sanclorum supra- dire : la mission do Qnilon existait depuis la fin
• dictoium Fratrum canonizationem , tumprop- du xm' siècle; cf. |)lus loin, p. 2()8, note 8.
• ter Gdei negotia et alia sali» ardua et diflicHia. ''' Voir plus loin (p. 271) l'indication des
«Lator poterit oinnia,que scribere nequeo pre éditions de cette lettre. — «Ubi quondam
• temporis brentate, exponere.» Il y a quelques sanctus Matheus predicavit» ne se trouve que
variantes , suivant les manuscrits :. propter alia dans le ms. lat. 5oo6 de la Bibliothèque
«fidei négocia satis ardua et utilia • (Ed. Golu- nationale.
bovich.p. 69, ii3). (') «Vicarius vero Fralrum Predicalomm,
''' «In contrada de Parocco.t .frater Nicolaus Romanus, videns litteram sui
•'' Sir Henry Yule (Cathay and the way thi- « fratris testimonium perhibentis, iter arripuit
ther. éd. Cordier, p. ag) s'est appuyé sur ce «et versus Yndiam properavit. » (Lettre insérée
passage pour conjecturer que, en i3ai, frère dans les Chroniques de frère Jean Elemosyna;
Jordan était déjà allé à Quilon( Co/um6uî). Mais éd. G. Golubovich, op. cit., p. 113).
il est clair que le missionnaire parie ici par ouï- '•> Plus haut, p. a63, note 6.
HIST. LITTÉR. XXXV. 34
266 JORDAN CATALA, MISSIONNAIRE.
le pays où ses quatre confrères avaient été martyrisés, et qu'il emporta
de leurs ossements au couvent franciscain de Tsiouen-tcheou en
Chine '"'. H ne semble donc pas que Jordan soit resté continuellement
dans la solitude. Mais il ne lui fut pas donné de quitter l'Inde aussitôt
qu'il en avait exprimé le désir; le voyage d'Ethiopie resta pour lui à
l'état de rêve; et si des compagnons lui arrivèrent, ils ne firent que
])asser ''^*. On a de lui une seconde lettre , plus éplorée que la première,
en date de Tana, le 20 janvier i3i4- H est toujours seul. Ses occu-
i «lions n'ont pas varié; ses sentiments sont toujours les mêmes; mais
a situation s'est aggravée : ' Je suis resté à Tana et dans le pays avoi-
« sinant pendant plus de deux ans et demi, circulant çà et là. Hélas!
« mes Pères, je n'ai pas été jugé digne de partager la couronne des
« martyrs. Mais je suis toujours orphelin et vagabond dans ces terri-
« blés déserls, poui- mon malheur. Que la terre ne m'a-t-elle englouti.^
« Comment dire tout ce que j'ai enduré.^ Pris par les pirates, mis en
«prison par les Sarrasins, accusé, maudit, bafoué, réduit à circuler
« en chemise, sans le saint habit de mon Ordre '^'. La soif, la faim, le
« climat, les maladies, les calomnies des faux chrétiens. . . H y a des
« schismes affreux à mon sujet : un jour les gens sont bien disposés
«pour moi; un autre jour, c'est l'inverse, à cause de ceux qui les
«trompent. J'ai été assez heureux, cependant, pour baptiser cent
" trente personnes des deux sexes, et il y a ici en perspective une
«moisson glorieuse pour les frères qui viendraient, pourvu qu'ils
«fussent prêts à tout souffrir. Mais qu'ils viennent ! Chers frères, je
« vous implore avec des larmes d'octroyer cette consolation à un
« malheureux pèlerin privé de ses saints compagnons. Et puis, il v
«a encore le voyage d'Ethiopie. Quelque frère devrait l'entreprendre.
« De l'endroit où je suis, il ne serait pas bien coûteux et, d'après ce
«que j'ai oui dire, ce serait une entreprise glorieuse pour la propa-
«gation de la foi'*'. » Quoicpie personnellement dégoûté du poste où
'"' M. Cordier, p. 82. une lettre de i3a6, le massacre, dans le Sud
''' On lit dans les Mirabilia (p. 63) : de l'Inde, de plusieurs évanpelistes ( Wadding,
• 'JuiiHpu' Predicatores el quatuor Minores fue- Annales Minoruni , t. VII, p. 53; cf. G. Golubo-
• lunl illuc, meo tempore, pro (ide catholica vich, t. Il, p. 137).
■ crudeliter trucidati. • Les quatre Mineurs sont ''' CI. Mirabilia, p. 63.
les martyrs de Tana; mais il n'est question '*' Cf. le chapitre (ie £(/u'o/)ia dans les il/ira-
nulle part, ailleurs que dans ce texte, des cinq bilia , p. 67 : «Multos vidi et hahui notes de
Prêcheurs. Toutefois, le frère André de Pé- • |>arlibus illis. . . Non fui ihi. •
muse, missionnaire en Chine, signale, dans
SA VIE. 267
il est, comme son cri de détresse l'indique assez, frère Jordan n'en
est pas moins confiant dans l'avenir des missions de l'Inde, surtout,
peut-être, si elles étaient politiquement appuyées par la force : « Les
« peuples de l'Inde, dit-il, ont une plus haute idée des Latins que les
«Latins eux-mêmes. Ils sont dans l'attente de leur venue, qu'ils pré-
« tendent annoncée dans leurs livres, et qu'ils désirent'". Si notre
«seigneur le pape voulait entretenir une couple de galères sur cette
.1 mer, quel profit pour lui, quel dommage pour le soudan d'Alexan-
«drie ! Ah! qui fera savoir cela au Saint Père.'» Ce n'est pas affaire à
« moi, pauvre voyageur. Je vous en remets le soin, mes Pères. . .'^'. »
Mais un jour vint où l'activité épistolairo de frère Jordan porta
coup et fut récompensée. Les Ordres de saint Dominique et de saint
François, en puhliant partout des récils du massacre deTana, avaient
fait connaître son nom; le pape lui-même, de qui Ton avait tout de
suite — mais sans succès, à cause de la concurrence et de la jalousie
des autres Ordres — sollicité la canonisation des martyrs, en avait
été personnellement informé '^'. Il fut cnhn autorisé à quitter l'Inde
et appelé en Occident. Une tradition veut que, après plusieurs années
d'apostolat dans la contrée, le seul survivant du massacre de Tana ail
déposé dans le trésor de l'église des Dominicains, à Sultanieh, une
partie de la mâchoire de f un des quatre martyrs Iranciscains '*'. Cela
semble indiquer qu'il reparut d'abord en Perse ; c'était d'ailleurs son
chemin'^*. Quoi qu'il en soit, l'itinéraire ultérieur du retour en France
l'i (>r. Mirabilia, |>. i"] : « l'agani Minoiis « malurius delibeianduin » (Chrouiqut; allii-
«Indie habrnt prophetias suas quod nos Latini buée à frère Jean Elemosyna. dans G. Golubo-
« debemus subjugare tolum mundum. • vich, t. II, p. ii3, i3fa). — L'auteur de la
'■' • O quis hoc pape sanclissimo nunciabit ? Satyrica yestarum rerum dit positivement que
«Peregrinus ego penitus nequeo, sed vobis Jean XXII lut en coasisloire, en i3ai, des
• Patribus sanctis totum commilto. » — Pour lettres relatives aux événements de Tana (/6iW,
les éditions de cette lettre, voir plus loin, f. 81 ; ci Recueil de Voyages el de Mémoires [>u
p. 271. blié par la Société de Géographie, f.IV [iSSg],
''> « Et cum fama bec devota sanctornin fra- p. 66).
«trum martiruni ab Oriente in Occidentem '*' Quétil et Ecbard, 1. 1", p. 55i a.
• transmissa resonaret, ubique corda fratrum '*' 11 est à remarquer que Guillaume
« ad lervorem S. Spirilus renovavil ; et , in Ro- Adam, l'un des évéques dominicains de Perse
• mana Ecclesia nuntiata, Summus Pontilcx dès i3l8, fut nommé archevêque de Sulta-
«lacrimas devotionis effudit. Et cum ro^aretur nieh en i332. C'est peut-être grâce à ce
«dominus papa ut istos martyres canonizaret, personnage, de retour en Avignon, qui con-
• preventus a fratribus aliorum Ordinum qui naissait assurément frère Jordan de longue
«fralr^s etiam offerebanl suos ad canoni- date, que celui-ci se vit faciliter le voyage en
« zandum , supersedit papa in negocio super his cour de Rome.
3.4.
208 JORDAN CATALA, iMISSlONNAIRE.
est assez clairement jalonné dans le livre qu'on a de lui : par l'Arabie '"'
et la Chaldée '^', il gagna l'Asie -Mineu re <^' et l'Archipel. En Arabie,
pays de l'encens et de la myrrhe, les hommes sont noirs, troglo-
dytes et parlent avec des voix d'enfant. La Chaldée est le pays des
animaux monstrueux et des démons; on y est troublé par des cla-
meurs nocturnes : c'est l'enfer; frère Jordan y vit une tortue qui
])ortait cinq hommes sur son dos. Sur la côte de la Turquie d'Asie,
il visita avec intérêt l'exploitation d'un noble Génois, Andreolo Catani,
défendue par quatre cents soldats à pied et cinquante-deux cavaliers;
ou y préparait en grand l'alun pour la teinture'*'. A Chio, l'île du
mastic, il entendit parler d'un autre Génois de marque, «Martin
« Zacharie » , un vaillant amiral, qui passait pour avoir pris ou tué
dix mille Turcs; malheureusement, l'empereur grec [Andronic]
venait de lui enlever l'ile par traîtrise et de le faire emprisonner'-''.
En août iS'jg, frère Jordan était déjà depuis quelque temps en
Avignon, auprès du pape '^\ puisque c'est le 9 de ce mois queJean XXII,
évidemment d'après ses avis, érigea en évêché, suffragant de Sulla-
nieh, cette localité de Columbiis, en Travancore, dont il est question
dans la lettre précitée de notre missionnaire, datée de Gogha
(12 octobre 1821), comme d'un endroit qui promet'^'. Columbiis est
(}uilon, ou Coulam, sur la côte de Malabar, une des échelles tradition-
nelles de l'Inde pour les vaisseaux qui circulaient entre l'Arabie et la
Clhlne'"'. Le 2 1 août, le pape recommanda frère Jordan Catala, titulaire
du nouvel évêché, en même temps que Guillaume Zigio, évêque de
Tauris, aux chrétientés de la Perse et des Indes '^*. Frère Jordan n'en
''' «De Majoi'i Arabia, ubi lui. . . » ( /V/i'ra- ''' Le franciscain Jean de Montecorviiio avait
4i7io , p. 57). fondé une égiiie en cet endroit dés laga.
''' tDe Caldpa...lbi cum esseni (Ibid., '"' La confusion avec Colombo (Cejlan) a
(). 60). été depuis longtemps dénoncée. Cependant
''' • In Turquia etiam fui ...» ( Ihid. , p. 63 ) . C. Eubel ( Ilierarchia cathotica medii mvi. Monas-
'*' Ibidem. lerii, igiS) la commet encore (p. i(j8).
''' Martin était encore captif de l'empereur '*' Tous les documents des registres de
grec en 1.338 (Yule, op. cit., t. III, p. 43). Jean XXII pour le» années iSag et i33(), qui
'*' On a émis l'Iiypothèse, gratuite, qu'il y concernent frère Jordan ont été cités ou publiés
était déjà en i3a8et qu il fut pour quelque d'alwrd par Le Quien [Orirns ihii^liiinns,
chose dans l'extraordinaire levée de mission- t. III, 1740, p. i373), ensuite par C. Kultcl
naires que fit Jean XXII cette année-là, lors- (/oc. c<<., et au t. V du Hullnriuinfrancisinnum),
(ju'il imposa au chapitre général de l'Ordre de analysés et réunis enfm en iQnj au I. III de la
saint Dominique, tenu à Toulouse, d'envoyer Biblioteca bio-bibliograficn délia Terra Santa
en Orient cinquante frères bien instruits (p, 356).
(A. Brou, op. ci7.,p. 598).
SA VIE. 269
resta pas moins à la Curie pendant quelques mois encore. On y
constate, en effet, sa présence le i3 mars i33o''\ et 11 est certain
qu'il attendit, pour la quitter, que la chancellerie pontificale eût
expédié, selon ses indications, toutes les lettres qui devaient faciliter
son voyage de retour et ultérieurement sa tâche auprès des princes et
des communautés nestoriennes des pays de sa mission ; or, les lettres
de Jean XXII aux princes de Quilon et de Delhi sont du 1 1 sep-
tembre 1329*^', celles aux princes de f Inde Mineure et à « fEmpereur
« d'Ethiopie » du 1" décembre suivant, celles aux chrétiens de « Mole-
(I phatam » du 3i mars i33o'^', et enfin celles aux communautés
nestoriennes de Quilon du 8 avril suivant. C'est donc seulement après
le 8 avril i33o que févêque a pu prendre congé. Ajoutons qu'il ne
(juitta pas Avignon ce jour-là même, car Jean XXII lui accorda,
le 9, cent florins en aumône, et lui-même y concéda, le lo, des
indulgences.
H partit, non pas seul, mais en compagnie de confrères destinés
au Kiplchak, à la Perse et au delà. Parmi les lettres de recomman-
dation qu'il emportait, il en est une qui montre qu'il devait passer
parles montagnes «d'Albors» (Elbrouz); une autre le charge con-
jointement avec son compagnon de route, frère Thomas Mançasole,
évêquede Samarkande, de remettre, en passant, le palliam au nouvel
archevêque de Sultanieh, leur commun métropolitain.
On perd ensuite les traces du premier évêque de Quilon, qui
paraît, du reste, n'avoir pas eu de successeur. Jean de Réchac dit
qu'il mourut martyr à Tana en i336'*'; et ce millésime a figuré
depuis dans la plupart des répertoires bio-bibliographiques*^'. La
source de cette affirmation ne nous est pas connue.
''' JVfathaei, Sardinia sacra, p. 297. de saint Dominique , t. III (i65o), p. 327. Cité
''' Il s'agit ici du prince de Delhi en iVIala- ici de seconde main, car nous n'avons pu nous
bar, dont d"épendait Tana. procurer, à Paris , aucun exemplaire de cet
''' a Molephatam n est Malifatan, sur la côte ouvrage,
du Malabar. Cette l'orme ne se trouve que dans ''' En dernier lieu, dans la Bibliographie du
la bulle de Jean XXll et dans les Mirabilia de Rouergue, par C. Couderc, en cours de publi-
Irère Jordan, preuve certaine, s'il en était be- cation (1918), p. 167. — Le Répertoire de
soin, que l'rère Jordan lui-même a fourni le M. Ulysse Chevalier porte : i333 ; l'article du
canevas de la bulle aux employés de lachancel- P. Balme dans l'Année dominicaine : i366. Ce
lerie pontificale. sont des fautes d'impression.
'*' Jean de Réchac, Vie des sainis de F Ordre
iîTO JORDAN CATALA, MISSIONNAIRE.
SES ECRITS.
Aucun problème diflicile ne se pose au sujet des écrits de frère
Jordan. On n'a de lui que des lettres missives et un opuscule, les
Mirabiha descripta, qui est aussi une sorte de rapport '''.
On a vu plus haut que, dès le lendemain des événements de Tana,
c'est-à-dire en avril 1 3 2 i , frère Jordan écrivit à ses confrères de Perse
des lettres sur la catastrophe. Ces lettres sont maintenant perdues,
en leur forme primitive. Cependant le compilateur de la Chroniai
.XXIV. generahum, d'après des compilations antérieures où elles
avaient été utilisées, en a inséré de longs extraits textuels '*'. Ainsi
Jordan n'est pas l'auteur de la lettre-circulaire la plus connue sur la
Passion de Thomas de Tolentino et de ses compagnons; l'auteur de
cette Passion est un certain François de Pise, des Dominicains
fie Sultanieh, qui l'adressa au vicaire des Frères Mineurs en Orieiil ,
en résidence à Constantinople '''\ Il n'est pas non plus l'auteur du
morceau du même genre qui nous est parvenu sous le nom d'un
autre «vicaire» des Mineurs, frère Pierre de Turn^'^\ Mais la substance
de ces deux récits est, en grande partie, de lui.
''' Coquebert de Moiitbiel s l'ht demandé l.c IVère Ugolino de Siiltaiiicli cite ailleiiis
[liecueil de Voyages et de Mémoires, I. IV, des passages de lettres de l'réie Jordan que
p. 65 fis ) si IVère Jurdaii n'est pas en outre François de Pise n'avait pas utilisés pour sa
l'auteur de la Chronique franciscaine : Sa(j/ica composition : «In quihusdam litteris l'ralris
(jcslmum reniin. Mais son argumentation ne « Joidani cnntinebantur aliqua aiia de sanriis
mérite même pas d'èlre réi'ulée (cl'. G. Golu- n marlMisatis in Tana l'ratribus, que non
bovich , t. Il, p. 81, note 3). « suni scripta in litlera [ fralris Francisci Pisani ]
''' Analecla franc'iscana , t. III, p. 5r)8 et suiv. « incpia eoruin martyrium continelur. . . •(CAco-
''' On lit dans la r'/i;onira ..\.¥/K.jenera/ium nicn .XXIV. rirneialiuin , p. 606I.
(p. 611): < Littera explicans passionem illorum Le récit de François de Pise a été souvent
« qui fuerunt martiriuati in India, quam nobis leproduit, traduit, abrégé ou analysé. Voir
•1 iniserunt fratres de Taurisio, non fuit scripta (i. (iolubovich, t. Il, p. 70. — Il a été
« manu Iratris Jordanis, Ordinis Predicaloriim. tiaduit en fiançais par le P. Balme, Le lé-
« sed, ut scripsit frater Hugolinus de Soldania iiérable frère Jourdain Cathala, de Sévérac
Il fralribus existentibus Taurisii , fuit scripta et (Lyon, 1886; extr. de V.inne'e dominicaine),
<i rerollecta per mnnus fratris Francisci Pisani, p. i8-i().
•I Ordinis Prediratoruni , existcntis Soldanie, '' On a conjecturé que ce Pierre de Turri
« ex niullis litteris ipias habuit a fratre Jordano était français parce qu'il dit qu'un des marl\rs
«ejusdem Ordinis, qui fuit socius sanctorum fut supplicié « eo modo quo suspenduntur ma-
«inartyi'um predirloium » (cf. G. GoIuIkh « lefaclores in Francia • ((J. Gi>lul)ovicli, I. III ,
« vich, o/). cit., t. Il, p. 65). p. a i4)- Mais ce passage est sans doute de ceux
SES ÉCRITS. 271
I.a première lettre de Jordan dont le texte original ait été conservé
h'I quel, celle du 12 octobre 182 1, existe encore sous cette forme
i)arcc qu'elle fut transcrite ainsi dans des Chroniques franciscaines du
\iv' siècle dont les exemplaires manuscrits ont été récemment étu-
diés par le P. Girolamo Golubovich. Échard l'a publiée pour la pre-
mière fois au tome l" des Scriptores Ordinis Prœdicatoram (p. 55o)'"
d'après l'exemplaire de la Chronique du frère Jean Eleinosyna, qui se
trouve dans le ms. lat. 5oo6 (anc. Colbert S/igô) de la Bibliothèque
nationale. Le P. Golubovich l'a réimprimée récemment, par deux
fois, d'après un ms. du Musée britannique et d'après le ms. 'Mil
d'Assise'^'.
La seconde lettre, celle du 20 janvier i32/i, a paru pour la pre-
mière fois dans les Annales Minomm de Wadding (lequel, chose
curieuse, n'a pas cité la précédente). Wadding, comme d'habitude,
ne donne à ce propos aucune référence. Mais il est certain qu'il a
puisé dans la Chronica .XXIV. (jeneraliuni Ordinis Minorum de frère
Arnaud ou dans un recueil analogue'^'.
Quant au principal ouvrage de Jordan Catala, il est intitulé, dans
le manuscrit unique, Mirabilia descripta. Ce manuscrit sur parchemin
à deux colonnes, exécuté au xiv" siècle par une main italienne, pro-
bablement à Avignon, a appartenu au baron Walckenaer'"'. Coquebert
de Montbret s'en est servi en iSSg pour préparer la seule édition
,.,.1 axaient été textuellement empruntés par la seconde dans les Annales Minorant — Mais-
Pierre aux lettres de Jordan. cela tient certainement à ce que U adding s est
'1 Traduction en anglais, d'après cette édi- servi de la Chronica .XXIV. (icneraham, ou
lion, dans Sir Henr) Yule,C«//ifl/ ai»/ //iPionv d'une compilation analogue à celle-là, dont
thither t. 111, p. 75. l'auteur a transcrit (p. 609) une lettre de Pierre
'•' G. Golubovich, t. II, p. 69 et 1 1 3. de Turri. le vicaire des Mineurs en Orient, où
'' Wadding, Annales Minorum. 1. c. Cf. ledit vicaire, cherchant à convaincre ses cor-
Analcctafrancùcana.i. III, p. 609. — Traduc- respondanls de la vérité des événements de
tion en anglais, d'après l'édition de Wadding, Tana, cite : 1" le préambule de la première
par Sir Henry Yule, op. cit.. p. 78. leUre de Jordan; et a" quelques lignes plu»
Sir Henry n'a pas manqué de remarquer bas, le texte de la seconde, sans préambule.
(p. 75, note 4) cette circonstance singulière Wadding, par inadvertance, a rajusté le corps
et suspecte que le préambule de la lettre du de celle-ci à la tête de celle-là. Le P. lihrle
12 octobre iSai est reproduit textuellement [Archiv fàr Literatur- and Kirchengeschtchte des
dans celle du 20 janvier iSa^, telle que Wad- Mittelalters . t. I", i885, p. 5oi, note 1) ne
tling l'a publiée, à laquelle il ne convient pas. s'en est ps rendu compte.
Kt il a pensé que c'est par suite de quelque ''' Le baron Walckenaer l'avait acquis en
erreur que ce préambule, qui appartient certai- i8o5 de son ami M. Roullet, comme l'atteste
iieuient à la première lettre, a été aflixe aussi à une lettre reliée au commencement du volume.
272 JORDAN CATALA, MISSIONNAIRE.
qu'on ait de ce petit livre, au tome IV du Recueil de Voyages et de Mémoires
publié par la Société de Géographie'"'. Il porte aujourd'hui, et
depuis i853, le n° 1961 3 dans le fonds additionnel au Musée Bri-
tannique*^'.
Les Mirabiha commencent, d'une manière abrupte, par les mots :
« Inter Giciliam autem et Calabriam ... », si bien que l'on a pu croire
qu'il y manque un préambule et que le texte du manuscrit unique
est abrégé, au moins de ce chef.
L'auteur, après avoir couché par écrit quelques remarques qu'il
avait faites, avant 1820, au cours de son voyage d'aller, et pendant
son séjour en Perse, parle d'abord du pays de la manne, qui s'étend
entre la Perse et l'Inde Mineure, et de l'Inde Mineure. Jusque-là, les
régions qu'il avait traversées l'avaient à peine dépaysé : «Ce sont,
dit-il, des terres comme les nôtres, encore que moins peuplées'^'.»
Mais aux frontières de l'Inde s'ouvre, en vérité, un monde nouveau :
In hac prima India incipit (juasi aller miindiis ^''' . Des hommes noirs,
presque nus. Du riz et du millet au heu de pain. Pour les transports,
des bœufs au lieu de chevaux. Des arbres et des fruits qu'on ne voit
pas ailleurs, comme le cocotier, le banian et la mangue, que l'auteur
décrit avec exactitude en les désignant par leurs noms persans. Ceux
de nos régions, comme le grenadier et la vigne, et à l'exception des
limons, y sont plutôt misérables. Mais il faut renoncer à donner
l'idée d'une flore si différente : De arhorihns aliis scribere nimis esset
longnm aKjiie m excessu tediosum, cum siiit multe et diverse, nec homo
posset inteUigere '^'. Quant aux animaux : lynx, rhinocéros, crocodiles,
etc. Parmi les oiseaux, il n'y a que les corbeaux et les moineaux qui
'"Le colonel (depois Sir Henry) Yule a igSiS. les folio» 3-i2. Cf. H. L. D. Wnrd,
publié pour «Tlie Ilakluyt Society •, à Lon- Catalogue of romancet. .. in the British Maseam .
dres, en i86.'i, d'après lédilion Coquebert de t. I", p. b'jH.
Montbret, une traduction en angli.is des Af ira- ''' • He terre «npradicte, ftciiicct Persida,
bilia descripla, sou» ce titre : The Wonders of • Armenia major, Chaldeia et etiam Cappa-
the East, bjfriar Jordanas, accompagnée d'un idocia, atque Asia Minor et Grecia, in bonis
commentab-e. Il a inséré des additions audit «abundant, fmctibus, ctrnibus et aliis, sicut
commentaire au tome HI (p. 39-/i4)de son • nostre(A'(ii<ion . nostra).Verumlamen non sunt
ouvrage ultérieur: Cathay and tlie way thither «terre ita habitate, etiam in decuplo, Grecia
(éd. Cordier, 1914) ; mais il n'a jamais colla- t exceptai (Mirabilia, p. Ai).
tionné le manuscrit, dont il ne s'est même pas '*' Ibid.; cf. p. 53 : «In isU India est vere
préoccupé de connaître le soii depuis la disper- • unus aller mundu». •
sion de la collection Walckenner. '») Cf. p. 44 : ■ Non potest bene hoc vel
''' Les Mirabilia occupent, dans le ms. add. • lingua exprimi quod vidi ocuiis meis.»
SES ECRITS. 273
soient semblables à ceux que nous connaissons'''; mais quantité de
perroquets ; et il y a d'énormes cbauves-souris qui volent au cou-
cher du soleil, \bondance de pierres précieuses, diamants et autres,
dont la récolte est libre. Frère Jordan n'a pas une haute idée de la
valeur militaire des hommes du pays : Rectc videlur bellum eoriim
paerorani liidiis. Les femmes se font brûler vives aux funérailles de
leurs maris. H y a une espèce de païens qui adorent le feu, affrontent
les deux principes du Bien et du Mal et exposent leurs morts sur des
tours'-'. — Suivent, dans le plus grand désordre, des notules rela-
tives aux productions naturelles (gingembre, canne à sucre, etc.),
aux tnœurs du pays (les gens sont probes, justes et véridiques, scru-
puleux observateurs des ^ libertés " traditionnelles, chacun selon son
état), au climat [calores horrihilissimi) , à ce qui manque (pas de mé-
taux, sauf l'or, le fer et l'électrum ; point de poivre). Les peuples sont
idolâtres, mais les musulmans ont fait récemment, parmi eux, de
grands progrès; çà et là, des individus qui se disent chrétiens, mais
qui ne savent rien de la foi, au point qu'ils croient que saint Thomas
est un plus grand personnage que le Christ. L'auteur n'a pas baptisé
dans ce pays moins de trois cents âmes, tant idolâtres que Sarrasins;
la propagande est libre. Croyances et coutumes religieuses des ido-
lâtres; leur vénération pour les vaches.
L'Inde Mineure ainsi expédiée, il est question de l'Inde Majeure.
IVlalgré sa totale inexpérience littéraire, frère Jordan sent vaguement
que son plan, pour autant qu'il en a un, va l'obliger à des redites. Il
annonce donc, d'abord, que les deux Indes se ressemblent sur bien
des points. Mais la principale particularité de la Majeure, c'est l'abon-
dance des éléphants, qui manquent dans la Mineure; aspect et ca-
ractère de ces animaux. H y a aussi du poivre et d'autres épices dans
la Majeure tandis qu'il n'y en a pas dans la Mineure. On dit qu'il y a
dix mille îles dans cette partie des Indes, dont l'une, Ceylan, abonde
en pierres précieuses, et le détroit qui la sépare de la terre ferme en
pêcheries de perles. Puis, les notes recommencent, chacune de quel-
ques lignes, sur les sujets les plus divers : magnificence des oiseaux,
''' L'auteur cite pourtant, plus loin, les « çuoatZprwe/is, disputare minime volo» (p. 46).
paons et les poules d'Inde ( jnWine indiane). 11 n'y a aucun indice que Jordan ait donné
''' « llli ponunt duo principia , scilicel Boni suite à celte promesse tacite.
• et Mali, tenebranim et lucis ; de quibus.
HIST. LITTER.
35
274 JORDAN CATALA, MISSIONNAIRE.
qui, dans ce pays, blancs de neige ou verts comme l'herbe, sont de
vraies créatures du paradis; vampires; feuilles du talipot, si grandes
que cinq ou six hommes peuvent s'abriter à leur ombre ;les rubis du
roi de Ceylan ; les pygniées velus de Java ; îles aux épices et des an-
thropophages ; costumes des princes; suicides religieux; égalité des
jours et des nuits; aspect des constellations et clarté extraordinaire
des nuits, ita ijiiod de iiocle resj)icere est gaudiosum; dans les deux
Indes, les hommes qui vivent, non sur la côte, mais à l'intérieur et
dans les bois, sont de véritables dénions ; serpents sans nombre, de
toutes les couleurs, mais qui n'attaquent jamais si l'on les laisse tian-
quilles ; guêpes qui font des provisions d'araignées dans leuis trous;
fourmis blanches qui, dans l'obscurité, dévorent tout. Et puis, quoi ?
Les nuits sont pleines de cris; cris d'oiseaux (on dirait des plaintes
humaines), cris du diable [Quid dicuin ? Diabolus ibi etiain locjuilw,
sepe et sepius, liomiiiibus, nocliirnis temporibus, siciil ego audivi^'^]. —
Pour finir, retour sur les éléphants, à propos du pays de Chamba
(Cambodge), et notions sur la géographie pohtique ; les rois de
Quilon et de « Molephalam >■ sont mentionnés parmi les plus puis-
sants.
11 est traité enlin de l'Inde troisième (c'est-à-dire de l'Afrique
orientale, avec Madagascar), mais seulement par ouï-dire, car
l'auteur n'v fut pas. Ce chapitre, assez court, est plein de fables
absurdes.
Il est suivi de paragraphes, tiès brefs, sur l'Arabie Majeure, que
frère Jordan connaissait de visu (voir plus haut, p. 268) et sur
ri^thiopie, où il aurait si vivement souhaité de .s'établir; mais il n'en
savait rien d'exact, pourtant, par les gens, soi-disant bien informés,
qui lui en avaient parlé''^, si ce n'est que les peuples y étaient chré-
tiens, cpioiqn'" hérétitjues ». Le pays lui apparaissait d'ailleurs comme
fourmillant de griHons, de serpents, de pierres et de métaux précieux:
(I Sunt duo montes ignci, et, in medio, nions aureus unus, , . '^*. »
'■' P. 53. Chriitianitaf nostra, c'est la Clirélienté occideii-
''' . Multos vidi et habui notos de partibus laie, l'Europe. — I.e P. Gcilul)0¥ich( o/(. cil.,
iilis.(p. 58). t. II, p. 554; cf. t. III, i). a. m) croit que
'' P. 57 ; cf. p. 61 : • Ethiopie vero domi- VEthiopla de frère Jordan doit être identifiée,
« niuni in excessu est magnum ; et credo sine non pas avec l'Abyssinie, comme il semble évi-
• mendacio qiiod durai populus in liiplo plus dent, mais a>ec les régions centrales de l'Ilin-
. quam tota Christianilas nostra, ad minus. • doustan, du Gange au Goda>cri.
SES ECRITS. 275
Le livre s'achève par une série de petits chapitres complémentaires
sur l'Enipire du Grand Tatar'"', dont il est fait le plus vif éloge, sur
la Chaldée, sur les plaines au pied du Caucase le long de la Caspienne
(d'où vinrent jadis les trois rois mages et où se trouvent, en un lieu
appelé .( Racu »,des puits de naphte)'"^', sur la (Géorgie (qui ressemble
à nos pays à tous les points de vue), sur les dislances cl les dimen-
sions des Etals d'Asie (^Terranun spatiay^K
La conclusion est intercalée entre ces chapitres ol deu\ autres, qui
sont comme des pnst-scriptfim ou des addenda, sur l'île de Chio et
l'Asie Mineure turque, laquelle n'a pas beaucoii]) changé depuis le
\iv' siècle: «Terra hec fertilis est valde, sed iiiculfa, quia Turci non
« mnltum curant. »
F^a conclusion elle-même a trait aux missions de flnde, aux aven-
tures personnelles de l'auteur, et n'est pas sans analogie avec ses
lettres d'octobre i3.m et de janvier i3-<3. I']|le mérite, semble-t-il,
d'êtn> citée tout entière :
Lnum per oninia coiicludo : (|U0(1 non est nielior teiia, pulchrior populus nec
hic prohus, \\w res coniestibilfs ila bone nec ita sapide, habitus ita pulcher nec
mores ita nobiles sirut hic , in nostra Christianilate. Est super oinnia, ({uod plus est ,
bona fuies, licet ita niale servata quod, sicut testis Deiis est, nieliores in decuplo
sunt illi qui convertunlur per fratres Predicatores et Minores ad fidem nostrani
(|uam sint isti qui hic sunt, sicut expérimente didici, et magis caritativi.
De conversione vero illaruui geiitium Indie, dico quod si essent .ce. vel .ccc.
boni fraties qui lideliter et lerventer velienl lidem catholicani predicare, non esset
;innus quin ultra quam .x. niillia personarum convei terent ad veram fidem nostram.
Nam, postquam ultra inter illos scisinaticos et infidèles fui, credo quod''' .x.
millia , vel circa , fuerunt ad fidem nostram conversi ; et quia non poteramus , pauci ,
multas regiones teiiere nec etiani visitare, milite anime, proh dolor, perierunt et in
excessu multe pereunt propter delecturn predicantium verbum Domini. Sed et
dolorosum est et penosum audire quod per Sarracenoium perlidissimorum atque
maledicorum predicatores pervertunlur tota die secte infidelium ille, qui discurrunt
sicut nos bine inde, et plus, per totum Orientem, ut possint oumes reducere ad
perfidiam suain. Plii sunt qui nos accusant, nos percutiuiit , nos in carcerem poni
''' P. 58 : « Quod audivi afidedignis narro. » ''* CI'. M. P. Svkes, op. cit., p. 182.
Ce que frère Jordan avait entendu dire de ''' 0 Et sciatis quod de loco isto usque Cous-
l'Empire tatar (organisation de l'assistance « lantinopolini sunt l'eie tria niiUia miliaria, vel
publique, monnaie de papier, splendeur des «plus» (p. 61). Ce lociis isle, d'où les Mirabilia
cérémonies religieuses, céramique, etc.) est sont ainsi datés , est-ce la côte du Malabar, ou
évidemment le résumé des conversations qu'il Avignon ? C'est certainement Avignon; et. la
avait pu avoir avec ses confrères lianciscains, conclusion de lopuscule, reproduite au texte,
les missionnaires en Chine. '*' Ed. : qaam.
35.
276 JORDAN CATALA, MISSIONNAIRE.
faciunt et lapidant, .sicut de facto probavi , et quater per eos, scilicet Sarracenos,
inCarcenilus fui. Quoticns autem depilatus, verberalus et iapidatus Deus ipse novit,
et ego qui sustinui, ])C(catis meis exigentibus, eo quod nonduni potui vitam pro
lide, sustinendo marlyrium, finira, sicut fecerunt quatuor socii mei. De cetero de
me fiat voluntas Dei . . .
Le traité Mirahilia descnpta, où frère Jordan a inséré non seule-
ment son itinéraire d'aller (d'Europe en Asie), mais son itinéraire de
retour (d'Asie en Europe) ,a été écrit certainement pendant le séjour
(le l'auteur à Avignon, c'est-à-dire en 1829 ou i33o. Très probable-
ment avant le mois d'août iSag, puisque la conduite peu charitable
des gens lui fit parfois regretter, dit-il, ici, c'est-à-dire en cour de
Rome, la simplicité et la droiture de ses lointains catéchumènes; or
tous ses déplaisirs durent s'évanouir ou s'atténuer beaucoup lorsque
ses vœux se trouvèrent comblés, le 9 août, par l'érection de Quilon
en un évèché qui lui était destiné. — L'assertion que les Mirahilia
auraient été composés dans l'Inde, plusieurs années auparavant, a été
émise; mais elle ne se fonde que sur un passage (p. 61-62) relatif
aux royaumes tatars : « Alia duo imperia Tartarorum, ut audivi ,
« scilicet . . inqierium de Dua et de Caydo, quondam de Capac, et
" modo de Elchigaday L'« Elchigaday » de frère Jordan est, dit-on,
Iltchigataï, successeur de Dua, de Kaïdou et de Kapak comme
khan du Turkestan, mort à une date indéterminée, mais vers 1822;
en 1 829, le khan, successeur d'Iltchigataï, aurait porté un tout autre
nom'"'. Nous n'avons guère le moyen, quant à nous, de résoudre
cette difficulté; mais nous ne la croyons pas sérieuse; car, le 2 no-
vembre 1829, Jean XXII recommanda frère Thomas Mancasole,
évêque de Samarkande, « magnifico viro Elchigadan, imperatori
«Tartarorum '''' : en 1329, Iltchigataï était donc, en Avignon,
considéré comme vivant.
Jordan Catala, qui paraît avoir été d'un caractère un peu chagrin
(car il s'est plaint, plus ou moins, partout où il a passé), n'avait ni
le très agréable talent naturel, pour conter, de frère Guillaume de
Rubrouck, ni l'ampleur et la précision de Marco Polo; et l'art lui
'■' Sir Henry Yule, op. cit., t. III, p. 3o ; n° 818. — Sur Elchigaday, khan de la Grande
cl. p. 43. Boukarie, voir la Bibliolheca bio-b'MKxjrajHn
'*' BuUariam Jranciscanum , t. V, p. 4o6, rfe//a Tenn San/a..., t. III, p. 199, et à la table.
SES ÉCRITS. 277
manquait absolument. Il aurait été dommage, pourtant, que son
petit livre — le premier livre d'un Français sur l'Inde et les tro-
piques — fût perdu. Quand il parle de ce qu'il a vu, on a le plaisir
d'observer par ses yeux l'Inde du xiV siècle, telle que l'a pu connaître
un pauvre missionnaire de la côte, qui n'avait affaire qu'aux petites
gens, en proie à la concurrence des propagandistes musulmans, à
l'intolérance des princes leurs protecteurs, et à la méfiance des vieux
cbrétiens (nestoriens) du pays; on lui sait gré, surtout, de ses émer-
veillements, naïfs et sincères, en présence des phénomènes naturels.
Quand il j)arle d'après autrui, il contribue à faire connaître le fonds
de légendes populaires dont se nourrissait l'imagination des voya-
geurs européens, clercs et marchands, qui fréquentaient alors les
ports d'Asie.
II faut constater, pour finir, que son ouvrage — rédigé, sans
doute, plutôt comme un Mémoire à consulter, pour le pape et les
cardinaux, que pour le public proprement dit''' — n'a pas eu, en
son temps, de succès. Un seul manuscrit. Il n'a jamais été aussi lu
que de nos jours; ce qui n'est pas, du reste, beaucoup dire.
CL.
GUILLAUME ADAM, MISSIONNAIRE.
Dominicain comme Jordan Catala, sans doute aussi originaire
du Languedoc, Guillaume Adam a été comme lui un des premiers
f)ionniers de la mission de Perse dès l'établissement de celle-ci par
e pape Jean XXII, au début du xiv* siècle'^'.
La plupart des biographes de son Ordre s'accordent à le dire
''' Il semble que la rédaction en ait été neraient à penser qu'il avait l'intention de
hâtive ; l'auteur se plaint d'être contraint d'aller reprendre, plu» tard, ce travail à loisir: « Hec
vite : ■ Mira valde possum dicere de ista India, «ce Tertia India suCBciant et de insulis, quoad
« sed describere minime valeo propter temporis .presens» (p. 67) ; cf. ci-dessus, p. 373, n. a.
«brevitatemi (p. 46). Quelques passages don- '*' Voir plus haut, p. 260-261.
278 (UII.LAIMK VIUM, \llSSION\ \IUK.
français"', sans appuyer, du reste, leur assertion d'aucune preuve
précise; quelques-uns hésitent même sur son prénom, qu'ils ont
lu Gérard, Georges et Gaspard'"^', aussi bien que Guillaunie. Ils ne
donnent, et l'on n'a d'ailleurs, aucun renseignement sur le lieu de
sa naissance. Quant à la flate de celle-ci, elle semble pouvoir être
fixée, par conjecture, aux environs de i îyS. Si on le trouve étudiani
en théologie à Condom en i.Hoa''*^ aucun document, cependant, ne
permet de fixer l'époque de son entrée dans l'Ordre de saint Domi-
ni(|ue, ni celle de son premier départ pour les missions d'Orient,
qui eut lieu sans doute vers i3o5''".
Nous savons, par l'œuvre qui lui mérite une place ici, que Guil-
laume Adam, après un séjour à Constantinople, parcourut en mission-
naire 1' \sie Mineure, la Svrie. la Palestine;en i 3 i 3-i 3 i 'j , au temps
où s'organisait le " passage général », il était en Perse, et, après avoir
parcouru l'empire des Mongols et prêché l'Kvangile en diverses ré-
gions de l'Inde, il traversait le golfe Persique, et pénétrait par Aden
jusqu'en Ethiopie ■"*'.
De retour en France, vers i3i6-i3i7, il ne devait y séjourner
que peu de temps. Le i" avril i3i8, en ell'et, le pape Jean WII,
pour assurer l'organisation de la mission de Perse, avait décidé
l'érection en archevêché de la ville de Sulfanieh et désigné comme
premier titulaire du nouveau siège le dominicain Franco de Pérouse,
alors missionnaire dans la même région". A quelques jours de là,
une bulle, datée du i" mai, instituait auprès de Franco de Pérouse,
comme sullragants, six autres dominicains, revêtus en même temps
" FernanJez.tlans sa roHfer/aJio pi WiVa/oiirt ' On voit par diflerents passages du De
(Salanianque, 1678 , regarde Gaill.iume Adam* modo Snrracenos e.rlirpandi (dans le Rec. des
comme français, vivant en laSo ; p. 363 », puis histor. des Crohades. Doiuments nrméniem, I. Il ,
ailleurs fait de lui un italien et reporte sa dal<> p. J2 i 553 que (iuillaume Adam avait par-
à i38o(p. 45i); de même Quélif et Éch.ird, couru l'Orient grec et asiatique des les pre-
après l'«\oir cité en i3i8 et i323 (t. I", mi.res années du xiv' siècle,
p. 337), le considèrent plus loin comme riv.int '' Voir p. r,\ci-c\ciii de l'introduction citée
en 137001 1379 [ibid., p. --ii). de Ch. Robler.
''' VoirQuétifet Échard, t. 1", p. 73^, et ' La bulle déreclion, qui est en nième
le Recued des hisloiienf des Croifodes. Docn- temps la bulle déleclion de Franco de Perouv,
menis arméniens (19^6). t. Il, introduction, a été publiée, dapres le registre lwii , fol.
f. CLXXXI. Celte longue inlrodaclion est 3i8 3i9, des Archives du Vatican , par le P.
œuvre du regretté Charles Kohier. Conrad Eubel, dans la Festschift ziini eljhnn-
"' G. Douais, icin cnpitaloram prorin- deriji'ihriijen Jubilâum des dentsclien Cnmpo sanio
cinlinmOrdinis fratriim Prœdicatoi nmÇToiûoase, in Ront . publié par le IV Stephan Ehses (Frci
iSgS), p. i7i. burg i. B., 1897, in-iM, p. iÇi-igS.
SA VIE. 27»
(le la dignité cpiscopale'". (iuillaume Adam était l'un d'eux, et c'est
le premier document où l'on trouve mention de son nom. Le nouvel
élu ne tardait pas à recevoir la consécration des mains de l'évêque
d'Albano, le cardinal Arnaud d'Aux'^', et par deux autres bulles, des
8 août et 1" septembre i3i8'^, il était cbar-é, avec un de ses con-
frères, Jean de Florence, de porter le pallium, en même temps que
ses bulles de nomination, à l'archevêque de Sultanieh.
Guillaume Adam se mit en route avec son compagnon, proba-
blement dans les derniers mois de 1.H18; son séjour en Perse paraît
avoir été cette fois de courte durée. En 1822, il était de retour
en France, à la cour d'Avignon, et, le 6 octobre, le pape, qui lui
avait précédemment conféré l'évèché de Smyrne, le transférait sur
le siège métropolitain de Sultanieh, vacant ])ar la résignation de
Franco de Pérouse, son premier titulaire'*', et lui faisait remettre
en même temps le palliam par trois cardinaux'*'. Quelques nmis plus
tard, Guillaume \dam recevait une nouvelle marque de la faveur de
Jean XXll, (|ui lui conliait la mission de porter à son tour ]e palhnm
a Raimond Etienne, archevêque élu d'Kphèse (6 janvier i3'j3)''", et
l'envoyait auprès du roi d'Arménie, Léon IV (3 1 mai i323)'\ pour
ramener à la foi catholique les Arméniens dissidents. On ne possède
aucun détail sur cette dernière mission, si toutefois Guillaume Adam
se rendit en Arménie; on peut en douter, car il était sans doute à
Avignon lorsque, le 26 octobre i324, il fut transféré de l'archevêché
de Sultanieh à celui d'AntivariC*', et encore le i8 janvier i325,
quand le pape lui conférait à nouveau le pallium'^^^ à l'occasion de sa
nomination à ce dernier siège.
S'il avait rejoint, après sa nomination, son nouvel archevêché, il
ne tarda pas, semble-t-il, à s'en éloigner; dès avant iSag, en effet,
et pendant les années suivantes, après avoir quitté Antivari, il séjour-
(" Publiée par Charles Kohlei dans la fie- siasiique (Avignon, 4 juin et 6 août i3i8),
vue de [Orient latin, t. X (igoS-igod ), p. 17- publiées .■6i(/., p. ai-a3. Cf. la note relative a
•j 1 . — Les bulles de Guillaume Adam et de ses retle double date,
compagnons ne désignent les sièges d'aucun ' Publiées ibià. . p. 26-29.»
des sulTragants du nouvel archevêque, à qui, '*' Ibid., p. 29-32.
senible-t-il , il était réservé de les déter- '*' Ibid. , p. 3o.
miner. '* ''*«'•■ P- 32-33.
' BuUesdeJeanXXll.mandantàGuillaume '" Ibid., p. 35-36; cf. p. 38-4o.
Adum et à Barthélémy du Puy , suffragants de '* Ibid. . p. 42-44.
Sultanieh, de rejoindre leur province ecdt- ''' Ihid. , p. 46-47-
280 GUILLAUME ADAM. MISSIONNAIRE.
nait à Avignon, puis à Narbonne, où vint le trouver, le 2 5 janvier
1337, un ordre du nouveau pape, lui rappelant l'obligation de la
résidence. Benoît XII lui enjoignait de regagner sans délai son dio-
cèse, qu'il avait, suivant les termes de la lettre pontificale, aban-
donné huit ans auparavant, après avoir emporté les privilèges de
son église, sous le prétexte de les faire confirmer par le souverain
pontife'".
Guillaume Adam déféra à celte invitation impérative et revint
occuper le siège d'Antivari juscju'à sa mort, survenue sans doute en
i34i. Cette même année, en elfet, les chanoines de sa cathédrale
lui avaient donné un successeur en élisant Jean Zaulini, dont
Benoît Xll confirmait f élection le 17 décembre i34i'^'. C'était ce
même chanoine sur les réclamations duquel, quatre ans auparavant,
le pape avait rappelé Guillaume Adam à Antivari.
SES ECRITS.
Les anciens bibliographes de l'Ordre des Frères Prêcheurs ont été
aussi imparfaitement renseignés sur les écrits de Guillaume Adam
que sur les événements de sa vie. Vucun d'eux n'a mentionné son
traité Dr modo Sarracenos extirpandi, assurément la plus importante
de ses œuvres, sinon son œuvre unique.
Le traité De modo Sarracenos extirpandi ne paraît pas avoir joui de
la célébrité qu'ont eue d'autres compositions du même genre.
On n'en connaît en elfet jusqu'ici que trois exemplaires, tous
copiés au temps du concile de Bàle et postérieurs ainsi d'un siècle
à Guillaume Adam : deux sont aujourd'hui conservés dans la bibho-
thèque de fUniversité de Bàle, sous les cotes A. L 28 et A. I. 32, et
le troisième au Vatican, ms. Palat. lat. 6o3'^'. Le comte Paul Riant
signala le premier les manuscrits de Bàle à J. Delaville Le Roulx ,
qui, en i885, dans la France en Orient au xi\' siècle, en donna une
analyse'*'; mais c'est seulement en 1906 que l'œuvre de Guillaume
l'' Publiées ibid. , p. 5o-5i. rxvii et ci.xvii-clxviii. — Une copie faite pour
'*' /iiW., p. 5i-5i le comte Riant du ms. A. I. a8 de Bàle est con-
''' Voir la description de ces manuscrits servée à la Bibliothèque nationale (n. a. lat.
dans le ftecneil des historiens des Croisades. Do ^'J•Jb).
ctiincnli armcniens , t. Il, p. r,r.\iv-ci.xv, cci\- ''' Pages 6t-G'i, 70-77 et 91-97.
SES ECRITS. 281
Adam, dont le texte avait été imprimé, dans l'intervalle, d'après
les deux premiers manuscrits, |jar le comte Louis de Mas-Latrie,
mais non publié, vit enfin le jour, précédée d'une longue et savante
notice de Charles Kohler, dans le Recueil des liistoneus des Croisades,
au tome H des Documents arniéniens^^-.
Le traité débute par une dédicace à Raimond de Farges, créé en
i3io par Clément V^ cardinal-diacre du titre de Sainte-Marie-Nou-
velle, après avoir été trésorier de l'église d'Âgen, puis archidiacre
de l'église d'Angers el chanoine de Saint-Seurin de Bordeaux '""l La
date de sa composition est certainement postérieure à la mort de
Clément V (20 avril i3i4)'^*; diverses allusions à la mort de l'em
pereur Andronic H et à son ])etit-fds Andronic semblent, d'autre part,
antérieures à l'époque où ce dernier s'empara du pouvoir (mal 1 328)''"'.
Mais il est possible de la préciser encore plus. Guillaume Adam, en
se nommant au début de la dédicace, ne lait suivre son nom d'aucun
titre*'*', d'où l'on est amené à conclure (pi'il a écrit son traité avant
son élévation à l'éplscopat (1" n)ai i3i(Sj; d'un autre côté, s'il men-
tionne la vacance du Saint-Siège après la mort de Clément V, il senfble
bien que l'élection de .lean XXII avait eu lieu lorsqu'il écrivait'''.
La composition du traité De modo Sarracenos extirpandi se placerait ainsi
entre le 7 août i3i6 et le i"mai i3i8, vraisemblablement en 1317.
Quelques qualités de style qu'il y ail lieu de reconnaître au Dr
modo Sarracenos extirpandi, il est dilficile de le considérer comme
une œuvre littéraire ; c'est un mémoire politique où l'on trouve
développées et groupées les raisons qui justiliaient la lutte de la chré-
tienté occidentale contre l'Islam. Presque tous les projets de croi-
sade, au début du xiv* siècle, supposaient une entente préalable des
princes chrétiens; Guillaume Adam, dès les ])remiers mots de son
traité, reconnaît les empêchements que les intérêts particuliers appor-
taient déjà à la constitution d'une pareille société des nations, tout
en attendant du secours divin la réalisation de cette entente préalable.
Après ce préambule, quatre conditions lui paraissent nécessaires
<■' Docaments arméniens, t. II, p. 52 1-555. ''' «Venerabili in Christo patri... R. di'
'^' Sur ce cardinal, voir l'introduction de Fargis, tituli Sancte Marie Nove diacono cardi-
Ch. Kohler, p. cl\xvii. nali, frater G. Ade, Ordinis fralrum Predi-
'*' « Tempore felicis recordacionis Clemen- catorum , ejus servus huiiiiiis. . . > ( p. 52 1).
tis pape quinti • (p. 533). '"' Docaments arméniens, t. 11, p. 52a el
^ ' Documents arméniens , t. Il, p. 545 et 547. 536.
HlSr. LITTÉR. XXXV. 36
'2H2 (JUILLALMh ADAM, MISSIONN yUK.
pour assurer la victoire contre les Sarrasins'') :iépriiner les agisse-
ments (les Jiiauvais chrétiens d'Orient, qui se font les pourvoyeurs du
Sultan; — s'(!in parer avant tout de Clonslantinople et \ substituer la
domination des Latins à celle des Grecs, dont l'empereui' est en rela-
tions étroites avec le sultan d'Egypte; — empêcher le khan des Tar-
tares du Nord de porter secours au même sultan, avec lequel il a
conclu alliance par crainte du khan des Mongols de Perse; — enlin,
tandis (lu'une Hotte chrétienne aurait à assurer le blocus des posses-
sions musuhnanes dans la Méditerranée, envoyer une autre flotte,
construite dans la mer des Indes, croiser à l'entrée du golfe d'Aden
et du golfe Persique pour empêcher le ravitaillement de l'Egypte par
des convois venant des Indes. A toutes ces mesures il était encore
nécessaire d'ajouter l'interdiclion absolue des pèlerinages aux Lieux
Saints, le trésor du sultan se trouvant alimenté par la ledevance de
trente gros tournois imposée à chaque pèlerin. Quant aux frais
de l'entreprise, il était réservé au pape d'y pourvoii- en puisant dans
le trésor des indulgences.
A chaque page de ce mémoire se manifestent le hens pratique de
Guillaume Adam, sa connaissance et son expérience des hommes et
des choses de l'Orient; partout y éclate aussi son zèle ardent de
missionnaire. Mais on chercherait vainement dans le De modo Saria-
cenos exlirpandi ces observations personnelles, ces descriptions des
contrées et des choses mei'veilleuses de l'Orient qui ont assuré à
d'autres relations de missionnaires ou projets de croisade contem-
porains un intérêt et un succès plus durables.
Parmi ces projets il en est un, le Directorium ad passagiun Jacien-
diim, qu'aucun des bibliographes de l'Ordre des Frères Prêcheurs n'a
mis sous le nom de fiuillaume Adam, mais que son dernier éditeur
a cru pouvoir lui attribuer'"-'.
Composé une quinzaine d'années plus tard, et aux mêmes lins
que le De modo Sarraceiios exlirpandi, avec lequel on le trouve
copié dans les manuscrits, le Directorium ad passa(jium faciendam a été
redressé, en li^iSa, au roi de France Philippe VI, par un religieux
dominicain, qui, comme Guillaume Adam, séjournait à Avignon
f Page 533. — '' Introduction, p. cliv-clxiii ; d. Histoire lilléraiie, t. XXX1\ , p. Jog.
SKS KCUITS. 2H3
et avait été précédemment missionn;nre dans l'Empire Grec et en
Orient"', \ucun des huit manuscrits aiijourd'Jiui connus du texte
original de ce projet de croisade ne porte un nom d'auteur"'.
Dès i333, il en était fait une traduction française, par un religieux
de Saint-Jacques du Haut-Pas, Jean du Vignai'^. Un siècle plus tard,
en i4-^^>^i un chanoine de Lille, Jean Miélot, en donnait une nou-
velle traduction, qji'il présentait l'année suivante, au milieu d'un re-
cueil de traités analogues, au duc de Boui"gogne Pliili])])e le Bon'',
après l'avoir mis, sans preuve aucune, sous le nom d'un dominicain
de la lin du xiii' siècle, frère Brocard ou Burchard du Monl-Sion,
dont nos prédécesseurs ont ])arlé'' .
Si cette attribution à frère lirocard du Direcloriuin ad passagiiun
Jacicndnm est tout à fait invraisemblable, il paraît également dillicile
d'admettre que Guillaume \dam en soit l'auteur. Certes les analogies
sont nombreuses, comme l'a remarqué Charles Kohler, entre le
De modo et le Directonam^''^ \ l'auteur du Direcloriuin est assurément
contemporain de Guillaume Adam, comme lui il appailient à l'Ordre
de saint Dominicpieet, en même temps que lui sans doute, il a été mis-
sionnaire en Orient; il a pu aussi, à A\ignon, s'inspirer du projet de
croisade dont le^ détails sont exposés par Guillaume Adam avec tant
de netteté et de précision. Mais de la comparaison niinutieuse faite
par Charles Kohler entre la composition et le style des deux traités,
et de la concordance de certaines dos données chronologiques qu'on y
relève, il ne ressort, à notre avis, aucune preuve évidente qui per-
mette de conclure à l'identité certaine de l'auteur de l'un et de l'autre
opuscule'^'. Jusqu'à plus ample informé, il faut se résoudre à ignorer
le nom du rédacteur du Directorium ad passafjium facienduni.
Les anciens historiens de l'Ordre de saint Dominique ne men-
tionnent sous le nom de Guillaume Adam que quatre opuscules litur-
'■' Ibid., p. CLXiin.i, XVIII; le texle de l'édi- ''' Introduction, p. CLXViii-f.i.xix.
tion a été établi à l'aide de trois seulement de» '*' Ibid. . a. ci.xix-ci.xxvi.
huit manuscrits signalés depuis et décrits par '*' Histoire littéraire , t. XXI, p. i8o-ai5. —
Charles Kohler. L'opuscule a été atlribuc aussi à ftaimond
'*' Voir Quélif et Echard, t. I, p. 573-57'i, Etienne, évèque de Smyrne, puis archevêque
et Lequien, Oriens chrislianus ,1. III, p. i363- d'Ephèsc.
i364; cl. Ch. Kohler, Introduction, p. clv, et ''• Introduction, p. ci.iv et suiv.
fî. Golubovich, au t. lit de son ouvrage pré- '' Telles sont aussi tes conclusions du
• ité, p. io.'J. P. Girolamo Golubovich , /or. cif.
.36.
284 PIERRE GENCIEN.
giqiies, dont Quélif et Ecliard, sur le témoignage de leurs prédé-
cesseurs et sans en avoir reconnu le texte dans aucun manuscrit,
énumèrent ainsi les titres"' :
OJficium profeslo S. Thomœ de Aqiiiuu.
Aliud profcslo Sunclifitalionis li. Viifjiins.
iliud piv Jesto S. Gcnrqii niarlyris.
\liud dcniqne pro festo S. Ursulœ et XI milliam virginnm.
Quétii et Ecliard, qui estimaient f[ue (luillaunie Adam avait vécu
dans la seconde moitié du xm* siècle, n'ont pas hésité à déclarer
f|ue les dates mêmes auxquelles la célébration de ces fêtes avait
commencé dans l'Ordre de saint Dominique ne pouvaient per-
mettre de lui attribuer la composition d'aucun de ces ofTices^^'.
Ilien ne s'oppose cependant, à ce que Guillaume Adam ail
composé les olfices propres des lêtes de saint Thomas et de sainte
Ursule, célébrées dans l'Ordre des Dominicains dès i>vi8 et
i33o. S'il en est réellement l'auteur, à défaut de preuv(; écrite,
la tradition a pu conserver son nom, et nous savons par ailleurs
(jue notre prélat était à Avignon lors d(> la canonisation de saint
rhomas ])ar Jean XXII, le 18 juillet iSaS'^'. Quant aux fêtes
de saint Georges et de la Sanctilication de la Vierge, l'une n'eut
jamais, disent Quétif et Ecliard, qu'un ollice simple de trois leçons,
et l'autre ne fut admise dans les bréviaires dominicains qu'en i388'''-,
longtemps après la mort de (iuillaume Adam.
H. O.
PIEIUIK GENCIEN.
AUTEUR D'UN i»OÈME EN FRANÇAIS.
I. Le manuscrit Regin. i5'2:i de la Bibliothèque du Vatican,
que M. Ernest Langlois attribue au commencement du xw'' siècle''*',
<■' Quélif el Échard, t. 1", p. ■]i\. partein,p.68o;cf. QuélilctÉchard, Il , p. 637.
(') Ibid. '*' Quélif et Écharil. t. 1. p. 7-!/!.
'' Wnc.M.Fonlana, Sacrnmtheatnim Doiiii- ''' Notices et extraits rfc* nmniisiritf ,
niVnfiHHi (I\ome, 1G66, info!.), Ap|X!n(lii adi'" t. XXXIII, a* p., 1889, p. 186.
SON POEME. 285
contient, entre autres choses, un poème intitulé Le Tornoiement
as (lames de Paris, d'environ 1800 vers (iNC. : «Qui veult oïr ne
escouter»), dont on ne connaît pas d'autre exemplaire el dont
l'auteur se nomme lui-même dans les derniers vers : «Pierres
Gencien ".
Ce manuscrit a appartenu, au xvi" siècle, à Claude Fauchet, qui,
dans le dernier chapitre de son liecueil de l'origine delà langue el poésie
française, a consacré une notice .> l'auteur du Tornoiement.
Pierre Gencien, dit-il, amoureux d'une dame de Paris, a composé
ce poème où il est (juestion de quarante ou cinquante dames de cette
ville en son temps. Comme il a pris « occasion sus un tournoy, qu'il
feint avoir esté entrepris par ces dames pour esprouver comme elles
se porteroient au voyage d'outre mer, où elles deliberoient aller»,
l'auchet pense qu'il y a grande apparence que le rimeur a vécu à une
époque où le voyage d'outre-mer était à l'ordre du jour : « du temps
de Philippe le Bel et au plus tard sous Philippe de Valois ». Il risque
en outre l'hypothèse que Pierre Gencien « peut bien estre venu » de
l'iin des deux frères qui furent tués en i3o^ à la bataille de Mons-
en-Puelle, en défendant le roi de France. Il a observé, à ce propos,
que l'auteur du Tornoiement « blason ne les armes de la maison des
Gentiens, très ancienne à Paris, telles que ceux de ceste famille
portoyent « au xiv* siècle*''.
Depuis Fauchet, tous les bibliographes ont plus ou moins fidèle-
ment reproduit ces données, sans y rien ajouter.
Adelbert Keller a transcrit, et publié dans son Romvart, en i844,
deux cent cinquante vers environ du Tornoiement ^'^\ les premiers et
les derniers, sans commentaires.
En 1895, M. Borrelli de Serres, dans une dissertation étendue sur
« Les Gentien tués à Mons-en-Puelle »'^', fut conduit à s'occuper inci-
demment du poème; mais, chose étrange, sans connaître l'édition
lîartielle de Keller ni la description du manuscrit par E. Langlois.
Ce manuscrit qu'il croyait perdu, il n'en a eu vent que par ce que
Ci. Fauchet en avait dit; encore a-t-il reproché, bien à tort, à cet
érudit l'opinion que l'œuvre « pourrait être attribuée à i'un des Gen-
''' Cl. Fauchet, flecueiV cité (i58i), p. aoy. ''' Borrelli de Serres, Recherches sur divers
'•' A. Relier, Romvart, Mannheim- Paris, services publics du xiii' nu xyii' siècle (Pans,
i844, p- 390-398. «895), p. 575-607.
286 PIKRRK CKNTJKN.
tien tués à Mous» : Fauchet n'a rien écrit de pareil ' . — Si, d'ail-
leurs, M. Borrelli de Serres a • cherclié ». mais « en vain », le poème
de Pierre Gencien, c'est qu'il pensait, non sans apparence, que «des
•> détails sur les belles héroïnes qui en sont le sujet permettraient d'en
"fixer la date». Il s'est posé en ellel les mêmes (piestions que Kau-
chet : «Qui?)' et «Quand?" — Quel est le personnaore qui a écrit
•
J'ai a non Pikrkes (Iemien, [EU'' a If pooir l'Apostoili'.
Qui sui loii'z d'un ttl loitii Par un m iil ris, plus duuz qu^ poin .
Dont nulz iif me puet di'sloirr M'a navre pnz du cm r sans plaie.
Fors la bele que je vi yi r. . Die\ ! n ■ truis qui le {'fv uj'en traie.
( .e n'est |)as, dit M. Borrelli, Pierre Gencien, le fondateur de l;i
■ maison» des Gencien, mort en i»53; ni son second fds, Pierre
le Vieil, mort en 1298, ni son pelif-fds Pierre le Grand, (pii périt a
VIons-en-Puelle. D'après un ancien g-néalogiste'- , c'est un fds de ce
lacques Gencien, cousin de Pierre le (irand, qui partagea son sort .1
Mons. M. Borrelli le croit plutôt, mais par hypothèse et sans fournir
de preuves, petit- fils d'un frère cadet de Pierre le Grand, nomme
.lean^*.
Mais si le Tornoiernenl est l'œuvre d'un [)etit-lils de Jean, frère
cadet de Pierre It^ Grand t 1 3o4 , ce poème a etf ctmiposé sans
doute «assez tard dans le xiv*" siècle". \ï. Borrelli s'est dit confirnu-
dans cette pensée par le fait que le rimeur, décrivant les armoiries
des Gencien '', v signale une bande d'azur fleurdelisée d'or sur le
tout :
l ne bende V i)t ouvrée
l)e tin azur, d'or fleureléi
Or, M. Borrelli n'a rencontré ce détail — constant, jusqu'au
xvii" siècle, dans les armes des Gencien — que « assez a\ant dans le
xiv* siècle». «La bande de France, dit-il, était une distinction dont
'■ M. Borrelli a pris aussi ( p. 60/i) une cita- lamille par M. Borrelli, loc. cit., p. 608.
li(»n des Grandes rhroniques , laite par Fauchet, '' Celles d'un Gencien, son homonyme et
pour un extrait du poème. son parent, dont il n indique pas le prénom,
Bibl. nat. , l'r. agSa.ï 'Dossiers bleus, et non pas, expressément, « ses propres armoi-
«Gentient, i. riesi, comme le dit M. Borrelli 'p. 6o5 .
Voir le tableau généalogique de la d'après Fauchet.
SON K)tMK.
28:
ont joui plusieurs des lamilles qui ont fourni a Paris ses prévôts
(les marchands: les Arrode, les Petit-Celier ' . C'est Jean [frère de
Pierre le (îrand], (pii doit l'avoir obtenue après avoir plusieurs fois
rempli cette charge (i3'ji, i3i4, i3i8); en loii, il ne la portait
pas encore, (fapres l'Àrniorial des Pré\ôts. . . » Même elle n'a peut-
être été accordée au\ Ciencien, selon l'auteur, (ju'en i368 '.
Ces conclusions ont ete ignorées de Gaston Paris, ou rejetées par
lui, puisqu'il est question, dans son livre La. Lillcraiuvc française au
moyen à(jc (S 109;, d"<' un bourgeois de l'aris, Pierre (jenfien, celui-là
même peut-être qui périt hèroïquemenl à Mons-en-Puelle, qui, sous
Philip])e le Bel, mit en scène, dans un tournoi imaginaiie, lesiemmes
de ses amis et parents »,
H a été annoncé dans la /}o//iu/iJa ^t. \X\lll, 1899, p. 'j3 >, noie 3)
<(ue M. Longnon se proposait de donner prochainement « une nou-
velle édition du poème publié en j)artie par Keller ». Mais celle inten-
tion n'a pas ele réalisée'"'.
Eidin, en 1917, M. Mario Pelae/. a fait paraître une édition com-
plète du Tornoi émeut dans les Studj roman:i'''*'. Celle édition est précé-
dée d'une introduction où il n'y a de nouveau que des détails sur les
loliotations successives du manuscrit unique (p. 8). De l'auteur,
M. Pelaez ])arle d'après Fauchet, sans rien savoir des travaux de Bor-
relli de Serres ni des intentions de l.ongnon ". L'édition nième est
' N'ayant pas lu le Tornoiemeiil , M. Boi -
itlli n'a pu remarquer que le blason iie> Geii-
e.ien n'est pas le seul que le rimeur y représente
comme charpé «les armes de France. Mais les
filles de Haoul de Hilli montent des chevaux
ilont fes couv Ttures sont blasonnées «des
■ armes le roi toutes pures» [lioiiwart, p. 09 j);
les bannières de la dame Big'ue sont ainsi
dirrites :
Li chaniji fii blan'^ o (leur de Ivs
Kl (l'ars;cnl menu diispré.
Lin l\t>n \ernied painluré
D'or el inileu estoit assis,
(^ui rcssemliloil a esire vis.
Au liellonr ol ud basloncel
Des armes le roi roinle rt bel.
La lemme de Tiiomas Brichart le jeune
Armes ni il'eslranpe manière.
Dont li champs fu barrés tlarpenf
Au cliief d'a7ur florelez d or.
(iillc de .li'han Arrode avait de même, dans
ses armes. • un baston des armes de
« France ». Elc.
'' r>orrelli de -Serres , op. cil. , p. 606 , note 2 .
Li bande de Fiance n'aurait ele accoiilée auv
(iencien ipi'en \?tf>9) parce qu'elle ne se voit
• pas encore», parait-il, sur un sceau de i,'î67.
l'oulelois, une i opie du pm'mc lut exé-
culée pour M. I.onpnoii , qui a été impiiméi',
|>ar les soins de la Société de l'histoire de Paris
et <le l'Ile de France, en al tendant que cet érii-
dil rédigeât un conunenlaire. Il ne subsiste
plus, <lans les archives de la Société, qu'un
exeni|>lairf de ces placanls, dalés de septem-
bre iX()Ç). Après quelques aiuiées d'attente,
les lonnes ont été décomposées.
*' Lf Tornoiement as damcf de Paris, di
Pierre Gencien, dans tes Sliidj romanzi, t. XIV
,«917), p. 5-67.
' ■ 11 s'étonne (p. 10, note 2) qu'il n'ait pas
288 PIERRE GEiNClEN.
très médiocre'''; mais les miniatures qui ornent le manuscrit y sont
reproduites avec soin'"^'.
II. Voici l'analyse de l'opuscule'^', que très peu de personnes ont
lu d'un bout à l'autre depuis Fauchet.
SoDge, pour «esjoïr» la compagnie. — L'auteur rêve qu'il che-
vauche du coté de Lagni. Il aperçoit une bannière (|ue tient la lille
d'Huistace la Ragise, toute armée sur un destrier. Il s'informe. Elle
lui dit qu'un tournoi va avoir lieu entre sa dame, dont il a reconnu
sans doute les armoiries sur la bannière, et une « dame de joment »,
qui s'appelle Geneviève d'Asnières, chacune avec son « pooir ». Où donc
ces dames s'arment-elles .^A l'abbaye de Chelles. Cependant, venant de
(^belles, s'avance une «route desmesurée », précédée de trompettes,
de ménestrels et de tambours. En tète Peronnele des Champs, lèmme
de Gervaise des (Miamps, orfèvre, sur un cheval blanc à ses armes;
c'est l'adversaire annoncée de Geneviève d'Asnières et « des dames de
Gournai». A sa suite, toute la fleur du Pont [des Orfèvres] : les filles
de Raoul de Bilh; l'ancienne femme d'Aliaunie le Oistalier, remariée
a Jacques de Lagni, aux œillades redoutables; la femme de Pierre de
Vaires; les femmes des deux frères, Jehan et Mathieu d'Amiens; la
femme de Loys Chauçon'*', « conduiseresse des dames de la Praerie »;
la Giflarde; la femme de Pierre de Cormeilles, et sa sœur, femme de
Nicolas d'Eaubon ne; la femme d'Estienne Morise (dont il est fait uu
encore été ijuestion du poème dans l'/Zis/oire rhascun ist un arbre dierrei; lisez «d'ierre-;
littéraire, nolainnienl au t. \XIII, consacré an le mot «dierre» est relevé au levique, avec la
xiii' siècle, parce qu'il ignore que les auteurs conjecture : •derierePi. — L'éditeur imprime
sont traités, l'ii principe, dans cet ouvrage au (v. 353-354) •'
rang que leur assigne la date de leur mort. Il est
vrai que , d'après cette règle . nos prédécesseurs [;.? "'^'' '" *" ' P" '"'"'^ '"»;"'' '
■ . i- . ^1 n- /^ • Fillastre a Harchier Maraude,
auraient au s occuper de Pierre Gencien
(t i3o4) dans un des premiers volumes du Lisez tsoint Mandé» et «Marandéi. —
XIV' siècle. S'ils ne l'ont pas lait, c'est que l'on V. 924 • Issi dame a Guez, demoroiti; lisez
a hésité longtemps sur l'identilication de l'au- idame Agnes Demoroit > ou • de Moroit». —
leur et, par conséquent , sur la date de sa mort. Ktc.
La (Commission a cru devoir réparer ici cet <*' L'autevir est figuré deux foi» dans ces
"ubii. miniatures (n"' 1 etxiiij.
'"' Dan» l'introduction, la bataille de Mons- <'' D'après la photogiaphie du manuscrit
en-Puelle est constamment applée, d'après unique qui est maintenant à la Bil)liolhè(]ue
une faute d'impression dans le texte de Fauchet , des Archives nationale» sous la cote Mm 11 o.
. la battagliadi Mont Pirenes..Llily 0, dansie '''Ce prsonnage a droit à la cédille.
texte même de 1 édition, trop de choses à l'ave- Il n'y en a |>as, naturellement, dans le nianu-
nant. — I^e v. 43a est ainsi imprimé : «De scrit.
SON POEME. 289
grand éloge); la Chaslelaiiie et sa sœur la Paelée; la femme de Gau-
cher de Verneuil; celle de « dant » Jacques Boucel. Une seconde « route »,
composée de dames « riches d'argent et de grans rentes », est con-
duite par la femme de Jehan Bigue, à laquelle servent d'écuyers
porte-bannière Marote, lafdle à la Couverte, et la helle-iille d'Harchier
Maraudé. On y voit la femme de Pierre Bricliart (incidemment cité
plus haut, lui-même, pour son adresse à cheval), montée sur un des-
trier si fougueux que l'auteur ne voudrait jias s'en servir « por quan-
« que le Roi a vaillant »; celle de Jehan Boucel; la Porrinf*, surnom-
mée la Potine'*'; la femme de sire Jehan d'ierre, d'une magnificence
telle ([u'elle est comj)arée à la dame de Blois et à la reine d'Angleterre,
accompagnée de sa maisiiie (la femme de Jehan de Cihàteaufort, la
Couverte et ses fdles). Puis deux demoiselles'"' : la hlle à la Flamenge
et Maheut du Plessié, dont les armoiries sont pareilles. Et il y en a
encore d'autres : la femme «au Quoquillier », «grosse dame a des-
mesure", dont le cheval ploie sous le poids; la Coqnillière, qui n'est
pas à confondre avec la précédente; la femme d'Estienne Morian et
celle de Jehan Marcel; la fille de Philippe Boucel; la femme de Jehan
Bourdon, très occupée p;ir les incartades de son cheval,.à (|ui l'auteur
lance un trait en passant :
Et faisoit si diverse cliiero Niilz qui la vausisi saliKM-,
Et si orgueiHcuse et si fiere Et pour ce vous di ge sans faille
Qu'elle ne deignoit esgarder'-^' Qu'il ne me chaut quel part elle aille.
C'est ensuite le défdé des dames et demoiselles de la Courroierie,
conduites par «la Mestresse des .viii. vins», excellente écuyère. L'au-
teur reconnaît au passage, entre beaucoup d'autres dont il ne sait les
noms, la femme de Bertaut Bourgoignon , celle de Jehan Begon,
celles des Anquetins, celle de Pierre Veel, la hlle d'Herbert de
Lyons. ■_ — Il y a, ici, une allusion à «celé que je [l'auteur] n'ose
nommer», qui, comme les dames de Gournai, éprouvera tout à
f heure la vaillance du contingent de la Courroierie.
'"' Car son mari « tome l'uséi' » et on l'appelle, '*' C'est de ces demoiselles qu'il est dit
pour cette raison, «Potin», «en reprouvier». incidemment, comme Faucliet l'a remarqué.
Le Dictionnaire de Godefroy, au mot Potin, qu'elles étaient venues au tournoi pour se pré-
n'a pas d'exemple aussi ancien, et le rapport de parer au voyage d'outremer (v. 454 et suiv. ).
re sobriquet avec l'action de « torner fusée » '^' Ms. et éd. : « Qu'el ne deignoit nous
nous échappe. esgarder. »
HIST. LITTER. XXXV.
37
290 PIEURE GENCIEN.
L'auteur se réveille, se rendort et rêve de nouveau. Cette fois, il
est ^ur le pont de (it)urnai. U voit sortir de cette ville madame Gene-
viève d'Asnières, «née et norrie de Paris» (dont elle ne vaut que
mieux), escortée par les femmes d'Oudart Le Keu, de Jehan Phelippe
(qui rit toujours), de Symon Barbelé, de Jehan des Nés (celle-ci,
dont l'auteur fait, par exception, une description physique presque
indiscrète, est chaussée si juste que « tous les dois perent parmi »); la
cinquième de ses suivanles est « la reine , la duchesse » des bourgeoises
delà paroisse, madameGile, femme d'Adam de Vleulant. Chacune de
ces cinq a autour d'elle quatre autres dames, «pour garder el dcf-
fendre leur cors». Madame Gile, «la famé Oudart», a sa sœur, lu
Crespine, la femme d'Adam d'Arenci et celle d'Eslieniie de Grève,
« dame Basile», ses voisines. L'entourage de la femme de Jehan Phe-
lippe est tout entier de son lignage, composé qu'il est des femmes de
ses quatre oncles : Eudes, Maci, Thomas el Guillaume Pidoc. Au-
tour de la Barbete : la fdle de Thomas Thibot; la femme de maître
Robert Le Keu; et les deux lllles de Jehan Augier. Le lecteur s'attend
ici à l'énumération de l'escouade commandée par la femme de Jehan
des Nés; mais c'est la femme d'Aubert des Guez qu'il voit paraître,
entourée des femmes de Philippe Poon, de Jehan de Buci, et des
(illes d'Andrieu de Pastis. Dame Gile de Mculaut s'avance ensuite,
à la tête du cinquième peloton; il se compose de Jehanne, femme
de Jehan des Nés (l'auleur a perdu de vue le rang qu'il lui avait
assigné à la page précédente), de sa sœur « (pii tant par est fresche et
nouvele », de dame Agnès «Demoroil''' »,eld"Eudeline la Sommeliere,
bru de Gui le Sommelier. — Telles sont les forces assemblées «es
prez par de dessus Gornai». Après viennent celles de Grève. Au pre-
mier rang de cette nouvelle troupe, une dame dont les armes sont de
gueules et d'argent , a\ec une bande d'azur fleurdelisée d'or :
tUt'uques oy ji- nlrairc Joncs tiom, non pas ancien,
Que uns homs dt .s plus preus du Quo on aptle Gcncien ,
[monde t*ortoit tiex armes. . . Ce disoieni
Tant conmie il <luie a la reonde, Ceuz qui la dame regardoient . . .
''' Ce nom se lit dans le Livre de la taille Gàtinais, habitait l'Encloistrc Saint-Germain.
de Paris en 1292 (éd. Gcraud), p. i J : Cf. Arch. nal., KK a83, fol. Sa: «Eslienne
«Dame Anes, de Mouret». Celle personne, Denioui'et. •
qui tirait sans doute son surnuni de Moret en
SON POÈME. 291
Elle est suivie des fiHes de «dant» Jehan Sarrasin, dont voici les
armes (connues d'ailleurs, et qui sont ici décrites exactement) :
Li champs fu d'argent diaspré Ot testes de laides figures
Et des armes le roi Ireté, De Sarrasins plus noirs que meures.
Et par dedeiis les freteûres
La femme d'Adam Le Panetier, les deux lilles de Jehan Le Rede
les accompagnent. Les atours de ces dernières étaient «des armes a
l'empereour » :
Donés leur furent par amours.
Défllent encore les femmes de Thoiiias Bricliart «le joenes», de
Pierre de Ruci, de Nicolas Le Keu, de Colart de Paci (fille de Nicolas
Le Flament), de Jehan Aronde, de Marques de P'errières, de Jehan Le
Petit, de Philipjie Forré, «la flour des Rordonois». Et aussi «la roine
du Perche», avec la fdle de son beau-fds, la femme d'Heusselin, la
femme de Robert Lescuier, les filles d'Hugues Quillier, la femme de
(lielTroi Chainiau (ou Chauviau). Toutes ces personnes étaient aux
(ordres de la Gencienne :
Ce fu la famé Gencien
Qui conduisoit celés de Grève.
Mais les troupes adverses sont, maintenant, en présence. Geneviève
d'Asnières et Peronnele des Champs haranguent les leurs respective-
ment. Le combat s'engage enfin, et si roidement que, tout de suite,
ces dames
. . . en un mont,
Jambes levées contremont,
Se jetèrent enmi la prée. •
La femme de Pierre « Cormaillas » empoigne la femme d'Adam Le
Keu'*'. La Cristaliere, qui ne pense plus «a hobeler n'a gaaignier»,
tombe par terre, et son adversaire s'écrie : « Saint Germain et Saint
Gervais » ! La Crespine reçoit sur la tête un « plançon de chesne », lancé
de loin par « Noblete », qui paraît être une des filles de Loys Chauçon.
''' «Cormaillas (plus haut : de Cormeilles)» haut de la femme d'Adam Le Keu. «Adam»
eit à la rime. — H n'a pas été question plus pour • Oudart • ?
37.
292 PIERRE GENCIEN.
La femme de Jehan Phelippe, courant an secours de sa compagnie,
frappe la Cliastelaine , qui riposte , sur la boucle de son écu , puis Jeanne
d'Eaubonne sur son heaume. Les dames de Saint-Gervais souffrent
beaucoup; celles de Saint-Merri l'emportent. Peronnele des Champs en
personne aurait été prise et honnie si la seconde « route » de son parti,
celle de « la Bigeuse », n'était survenue. La Barbete mord alors la
i)0ussière. Mais la « route » de la femme de « dant » Gencien, celle de
Grève, s'ébranle à son tour. Combats singuliers entre dame Marie (ce
])rénom est celui de la Gencienne), et Eudeline la Sommeliere
qu'elle renverse et apostrophe homériquemenl; entre Ysabiau, la
femme de Colarl de Paci, et la « Mestresse des .viii, vins», qui com-
mande la Courroierie; entre l'ainée des fdles de Jehan Sarrasin et la
femme de Bertaut Bourgoignon; etc. Belle défense de «la roine du
Perche», désarçonnée, qui réussit à se remettre en selle et que la
femme de Jacques Boucel abat enfin. Les dames « devers le Moncel »'"'
se désolent tandis que la Boucele, victorieuse, s'écrie : «Montjoie,
sire Saint Merri » ! Alors Peronnele des Champs, la femme de Loys
Chauçon, « la Biguesse » et da Mestresse» rentrent vivement dans la
mêlée. Et les choses en étaient là
Quant d'aventure aval les prez Coti; a armer, escu et lance
Vint une dame esperonnant. A la dame d'or reluisant.
Je me trais un petit avant Que vous iroie je contant!' ''
Pour esgarder qui elle estoit; Haubert et chauces ot saffrées
Mes nus ne nulle ne savoit. Et bracieres d'argent dorées.
Un destrier ot d'fîspaignc sor En son cliief ot hiaume doré
Coiiveit de couvertures d'or D'un cercle d'or avironé :
Sans nisune autre connoissance. Dessus estoit li Diex d'Arqours . • .
La survenante désarçonne la Chauviele'^', dont elle offre le cheval
à l'auteur, pour qu'il voie mieux. Elle fait d'abord merveilles. Mais
enfin une dame du parti adverse la provoque en combat singulier, et
remporte. Le nom de celle-ci? Comme chacun l'ignorait :
En ses armes mis mon avis, De sinoples toutes brodées,
Qui estoient d'or fm luisant Et d'argent menu rosetées;
Au lyon de seble rampant, A ces armes fu conneûe . . .'".
'' Le Moncel Sainl-Gervais. Voir un exemple ''' Feinnje de G. Chauviau ?
cite dans le Dictionnaire de Godefroy, au mot ''' Mais nous ne la reconnaissons pas.
« Moncel •. '
SON POÈME. 293
Ce fut là un grand malheur pour le parti de Saint-Merri. A cette
vue, « quand elle vit a terre la dame qui maintenoit toute la guerre »,
la femme de Jacques Ferri*'' s'élance et abat la Marqueté. La femme
de Colart de Paci accourt aussi, à la tête de vingt dames. Celle d'Adam
de Meulant s'empare de la Mestresse. Exploits de celle de Jehan
Begon. Mais, finalement, si la nuit n'était venue, Saint-Merri aurait
été vaincu bel et bien; car il avait eu le dessous depuis le moment où
son mystérieux chanq)ion, la dame à la targe dorée, avait été ren-
versée. Il n'y eut, néanmoins, déshonneur pour personne.
III. Ce poème qui, comme Fauchet fa très bien dit, «peut
« estre ieu pour la mémoire d'aucunes familles de Paris plus que pour
« excellence du slil », — car il est d'une incroyable pauvreté d'inven-
tion, tristement monotone et sans fantaisie'-' — appartient à la famille
bien connue des poésies énumératives dont la description d'un com-
bat, où les champions sont des dames, fournit le cadre'^'. Il est fort
inférieur aux bluettes du même genre, plus anciennes, de Huon
d'Oisi et de Richart de Semilli; mais il offre cette particularité unique
que les dames mises en scène n'appartiennent pas à la noblesse : ce
sont des bourgeoises, de ces bourgeoises de Paris dont le luxe, au
commencement du xiv" siècle, étonnait les étrangers.
Le thème d'un tournoi fictif entre bourgeoises, armées et armoriées
de pied en cap, paraît, au premier abord, bizarre. Il ne l'est pourtant
pas beaucoup plus que celui d'un tournoi du même genre entre dames
de haut parage; car il est assuré qu'en fait, au xiv* siècle, les bour-
geois des grandes villes, et notamment de Paris, pratiquaient entre
eux les sports des gentilshommes, à l'imitation de ceux-ci. Sur ce
point, la Chronique parisienne anonyme, publiée par A. Hellot, au t. XI
(i884) des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile de
France , est très instructive. On y lit que, en mai i3o5 , eurent lieu à
Paris, en place de Grève, par les soins de Renier Le Flamenc, bour-
geois de Paris et maître de la Monnoie du roi, et de Pierre Le Flamenc,
son frère, les joutes d'un certain Gencien Crestien, bourgeois de
'"' Personnage cilé ici pour la première analogues [Romania, t. XLIV, igiS, p. 5ii-
foi». . 554).
'*' G^mparer, à cet égard, le Tournoiement ''* Voir A. Jeanroy, Noies lar le Tournoie-
rf'enyèr. d'un anonyme à peu près contemporain, ment des dames, dans ItRomania, t. XXVIil,
dont le plan et le mouvement sont tout à fait >S99, p. 23a-a4d.
29 'i PIERRE GENCIEN.
Paris, '< attendant de la feste ", c'est-à-dire champion de la ville contre
Ions venants, notamment contre des bourgeois de Rouen et d'autres
villes du royaume'"'. Gefroi de Paris dit, dans sa Chronique, que,
lors des fêtes populaires de i 3 i 3, il y eut nn tournoi de petits enfants :
La fu le tornoi des enlants
Dont chascun n'ot plus de .\. ans'^l
Le chroniqueur anonyme dit encore que, le 24 jnillet i320, les
bourgeois de Paris, en l'amour et obédience du roi, de Louis de
Clermont, de Robert d'Artois et d'autres barons présents, joutèrent
"joyeusement et iionorablement » en, l'ile des Juifs, à la pointe de la
Cité*''. Mais c'est sous l'année i33o que cet auteur lournit à ce sujet
les détails les plus abondants, qu'il est, semble-t-il, seul à fournir :
Après ce que aucunes des viilez de France, par plusieurs foiz, eurent nppelez
ceux de Paris pour jouster a eux ... et . . . disoient que ceux de Paris feste publique
n'osoient faire, les gouverneurs et les menistres et ceux de Paris, qui mont desiroient
a la ville de Paris faire honneur. . . et a qui les parolles des gens dVstranges
nacions estoient souvent rapportées, Jehan Gencien, Jehan Barbeite, fdz jadis
Estienne Barbete, Adam Loncel, prevost des marchans, Jehan Billouart et Martin
des Essars, maisires des comptes, a eux aliés tous les bourgeoiz de Paris, suppliè-
rent au roy que, de sa grâce, il voulsist donner congié aux bourgeoiz de Paris de
faire jouste contre les bourgeoiz du royaulme.
Adonc le roy de France Philippe de Valoiz, considérant la noblesse et la valeur
de Paris, comment les bourgeoiz et tout le peuple de Paris de leur auctorité le
rechurent a seigneur, par la proiere de son frère le comte d'Alenchon, Louys de
Clermont, duc de Bourbon, et l\obert d'Artois, comte de Beaumont, leur octroya
leur feste a faire sans esmouvoir le peuple.
Lors lesdiz bourgeoiz, a l'exemple jadiz du roy Priam, soubz qui jadis Troye la
grant fut destruite, et de ses .xxw. filz, ordenerent que ung des bourgeoiz de
Paris, appelle Renier Le Flamenc, seroit le roy Priam, et .xxxv. des jeunes gens,
enlTans de bourgeoiz de Paris, dont l'en appelloit l'un, qui estoit en lieu de Hector
(le fdz au roy Priam), Jacques des Essars, l'autre Jehan Bourdon, [. . .] de Nelle,
Jehan Pazdoë, Symon Pasdoë, llue de Dampmarlin, Denis Sebillebauch"", Pierres
le Flamenc, Guillaume Gencien, Pierres de Paci, Robert Miete, Jehan de la Fon-
taine, Robert la Pye, Jehan Maupas et plusieurs aultrez. . .
'' Loi: cit., p. 17, $ xvi. '*' Nom altéré. H y a un Guillaume tde Bi-
'*' Historiens delà France, t. XXII, p. 187, «quebault dans le Litre de la taille de Paris
V. 4979. en t29'2 (éd. Géraud), p. ii().
l'i Ibid.. p. 49, S 50.
SON POEME. 295
La fête fut annoncée par « le roi Piiam » , « pour l'honneur et amour
« des dames de Paris »; il fit savoir qu'ils se tiendraient, lui et ses fils,
yjrêts à rompre trois lances contre tous venants, le io et le 2 i août,
en un champ situé entre Saint-Martin-des-Champs et le Temple. Au
jour fixé, des échafauds avaient été dressés, où prirent ])lace "les
(I nohles dames et bourgeoises de Paris mont très noblement et riche-
(I ment appareliées, et la greneur partie de elles couronnées ». « Priam »
el ses fils joutèrent contre des bourgeois d'yVnjiens, de Saint-Quentin ,
de Reims, de Gompiègne, de Vézelai en Berri, de Meaux, de
Mantes, de Corbeil, de Pontoise, de Uouen, de Saint-Pourçain , de
Valenciennes, d'Ypres. Un des champions de Gompiègne, nommé
PouUet, vêtu en cordelier, se moquait de ceux de Paris, qu'il appe-
lait « pastez " el qu'il menaçait d'une verge, dont il frappait plaisam-
ment ses voisins pendant le défilé préliminaire; il n'en fut pas moins
jeté à terre par un des Parisiens les plus chélils. Paris resta victo-
rieux. Le 22, grand dîner au manoir des Tenqiliers, sous des pavil-
lons dressés exprès, «a trompes, tindjres, tabours et nacaires», en
présence de Robert d'Artois, de monseigneur Gui Ghevrier et des
"Seigneurs et maistres de la courte, sans parler du prévôt de Paris,
du chevalier du guet, el de la majeure partie des sergents de Paris
à jiied et à cheval, «tous veslus d'un drap». On donna le prix des
étrangers à Simon de Saint-Omer, champion de Gompiègne, qui
avait eu une jambe brisée pendant les joutes, et celui de Paris à
Jac(jues des Essars. Ges prix furent remis aux deux élus par la fille
d'un drapier, Jehan de Ghevreuse : c'étaient un cheval blanc, une
ceinture, une aumôuière et un émerillon'''.
En i33i, nouvelles joutes, entre l'hôtel du comte de Flandre et
celui des Aveugles de Paris. Gette fois les trois champions de Paris
furent Enguerran du Petit-Gclier, Guillot Rat et Asselin de Mont-
martre; ils s'étaient décorés du titre de «Desconfortés d'amours». Ils
joutèrent contre des bourgeois de Gompiègne, Etampes, Rouen et
Senlis. «Et a ceste feste ledit Enguerran chevauchant. . ., a granl
«compagnie des bourgeoiz de Paris et de ses .11. seurs, l'une
«d'une part et l'autre d'autre, couronnées richement, audit champ
entra. . . '^'w.
c Ibid.. p. i35.i4i. — <'' Ibid.. p. i46, S 233.
296
PIERRE GENCIEN.
Le poème de Pierre Gencien a été évidemment composé pour
l'amusement du riche milieu bourgeois ({ui se divertissait à ces
joutes, où les femmes, comme on voit, assistaient en grand équi-
])age.
Mais à quelle époque ?
Il s'agit, dans le Tornoiement , d'un assaut imaginaire, que le rimeur
situe dans la région de Chelles, de Lagni et de Gournai, entre les
dames de la paroisse de Sainl-Merri et de la Courroierie, d'une part,
celles de la paroisse Sainl-Gervais et de la Grève, d'autre part'''.
Or, il existe des comptes célèbres de tailles levées à Paris, qui com-
portent l'énumération des contribuables de ces paroisses et des autres
quartiers de Paris au temps de Philippe le Bel, à partir de 1-292'-';
et on a en outre un Censier très défaille de Saint-Merri, ([ui est
de i3()8>''. 11 suiïil de lire ces documents pour constater que la plu-
])art des noms ])ropres qui ligurent dans le Tornoiement s'y n;lrou-
vent'*'. Sans doute certaines lamilles, comme les Pizdoë, les Bigue,
les Boucel, les Bourdon, etc., ont prospéré à Paris pendant plus
d'un siècle; et comme les membres de ces familles portaient souvent
les mêmes prénoms de génération en génération ■'', le fait de la pré-
'' Remarquons à ce propos : i° ([ue les
hiitels des Gencien étaient situés en bordure
de part et d'autre de la rue de la Verrerie,
entre Saint-Merii et Saint-Gervais, non loin
de l'holel île l'ahljesse de Chelles; ■!" (pi'il est
question, dans le poème, du pont de Gournai,
que l'abbé Lelieut' ilil n'avoir vu signalé qu'à
la fin du xv' siècle ( llistnire df la ville et de tout
le diocèse de l'aris, l. l\,\). 6ao),mais sans
allusion malicieuse à la fâcheuse réputation,
proverbiale au \v' siècle, dudit pont : « Le pro-
verbe cduiail à Paris parmi la populace, en
parlant d'une femme de mauvaise vie : Elle a
pas^r le poril de Gournai. M. de Valois ne craint
point d'assurer pour certain (jue ce proverbe
"venoil de ce (]u'autrefois, lorsque la clôture
«(■tait moins observée dans les couvens de
«lilles, les religieuses de Chelles, dont la
«maison est de l'autre côté de la Marne,
«presque \is-à-vis le prieuré de (iournai, pas-
1. soient le pont et rendoient visite aux reli-
» j;ieu\ de ce lieu».
'*' II. Géraud, Paria sous l'Iiilippc le Bel,.. .
contenant le rôle de la taille imposée sur les habi-
tants de Paris en 1291 (Paris, 18:57); Tailles
de 1296-1300 (Arch. nal., KK a83) ;' Taille
de i3i3 (Hibl. nal., fr. 6736).
'' C. (Jouderc, Cartalaire et censier de Sainl-
l/cr/y de /'km'.ï , dans les Me'mnires de la Société
de riiistoire de Paris et de l'Ile de /''r«nce, t.XVlII
(1891), p. 101-271.
'"' Ils s'y retrouvent, mais non pas exclusi-
vement dans les ipiartiers de Saint-Merri, de
Saint-(iervais et de SaintJean-en (irève. II faut
parcourir aussi, pour les recueillir, la liste des
contribuables imposés dans les paroisses voi-
sines et notamment dans celle de Saint-(ier-
inain-l'Auxerrois. Quoique le rimeur ne le
dise point expressément, il a, en dépit des
voisinages, fait combattre les dames de la pa-
roisse de Saint-(iermain avec celles de Saint-
Gervais et de Saint-Jean-en-Grève contre celle»
de Saint-Merri; cf. le cri de guerre précité
( p. •.'.() I ) : « Saint Germain et Saint Gervais ! a
'' D'autre part, dans la même génération,
certains prénoms étaient portés simultané-
ment par divers pei'sonnages du même nom:
c'est ainsi «pie dans les rôles du temps de Phi-
lippe le Bel, il y a au moins trois Jelian Bour-
ilon : l'un, gendre d'Adam de MeuLint (KK
SON POEME. 297
sence simultanée dans les rôles du temps de Philippe le Bel et dans
le Tornoiement de quelques personna^'es nommés et prénommés de
même ne signifierait pas grand'chose. Mais il est difficile qu'un très
grand nombre de pareilles coïncidences soient fortuites. Or, conime
dans le Tornoiement, il y a, dans les rôles de la taille de Paris
depuis 1292, une Peronnele des Chans, appartenant à une famille
d'orfèvres'"', un Jelian des Nés et une Jehanne des Nés, un Simon
Barbete, un Adam de Meulan, un Jehan Augier, un Pierre Brichart,
la femme d'un Philippe Poon, un Jehan Begon, un Pierre de Vaires,
un Jehan Aroude (Arrode), un Jehan Begon, un Jehan Phelippe,
un Pierre Veel, un Jehan de Chateaufort, un Jacques Ferri, un
Jehan Sarrasin, un Jehan et un Jacques Boucel, un Jelian d'Ierre, un
Jehan d'Amiens, une Jehanne d'Eaiibonne, un Jehan Marcel, ctc.'^'.
11 est question dans le Tornoiement d'un Thomas Brichart « le jeune » ,
et les rôles de 1292 et de 1 296 distinguent un Sire Thomas Brichart
et un Thomas Brichart le jeune, son fils''''. Dans le Tornoiement , la
femme de Jehan Phelippe a quatre oncles : Eudes, Thomas, Maci et
Guillaume Pidoë; cet Eudes, ce Maci et ce Guillaume sont dans les
rôles de 1292 et de 1296. 11 est possible, grâce au rôle de 1292,
d'affirmer que le « maistre Robert Le Keu " du Tornoiement avait un
fils nommé Robin''*'; que «la Ghauviele » qui, dans le poème, est
désarçonnée par la jouteuse anonyme aux armes dorées, s'apj)elait
Mabile'*' ou Jehanne'*'; et que la femme de l'un des «Anquetins»,
respectivement nomjués Thibaut et Lambert, s'appelait « dame Jaque-
line»'^'. Presque tous les autres noms cités par Pierre Gencien se
trouvent aussi, sans prénoms ou avec d'autres prénoms, dans les
rôles : d'Asnières, de Cormeilles, de Lyons, de Ferrières, de Buci,
a83, fol. i4); l'autre, gendre de Jehan Arrode ■■' Ibid.. y. -ji.
(ihid.); un troisième, gendre de Jacques Gen- '*' Ibid., p. 4l•
Gien (i6i<i. , fol. 377 V*). ''* KK a83, fol. a66 : «Dame Jaqueliiie,
'•' K.K a83, fol. a34, a4o (i3oo). «famé Thybaul Anquelin..
'*' Il y a aussi un Jacques de Laingni La « roine du Perche ■ du Tornoiement est
(Lagni), déguisé dans l'édition Géraud en peut-être la «Jaqueline dm Perche» qui figure
• Jaques de Lavigny » ( p. ia5). au rôle de lagG (KK a83, fol. 16 v°; cf.
Sur le» Marcel de ce temps, voir H. Fre- fr. 6736, fol. a4). «La iCoquitlièrci s'ajn
raaux, La famille d'Etienne Marcel, dans les pelait sans doute Geneviève (KK 383, foi.
Mémoiret de k Société de t histoire de Paris et de 373 v'). Les filles de Jehan Augier, mort
rik de France, l.W\,f. 186. dès 1397, s'appelaient Agnès et Jehanne
<'' KK a83,fol. 3a. (KK a83, fol. 4o), et »a femme Peronnele
c Éd. Géraud, p. 18. (ifciW.. fol. 339).
HIST. LITTÉB. XXXV. 38
21)8 PIKKKK (JKNCIKN.
du Guet ou des Guez, de Paci, (.liauçon, Morise, Ragis (!a Ragise),
Le Rode, Maraudé, Morian, Hesselin, etc. Bref, il est clair que tous
ces textes, le poèiDe et les rôles, sont à peu près conteoiporains. C'est
le même milieu des deux parts. Loin detre démentie, cette conclusion
est condrmée d'ailleurs par l'aspect du manuscrit unique du Tor-
iioiement, dont l'écriture tl les miniatures sont du plus pur style
Philippe le Bel.
On peut même dire que le personnel mis en scène par le rimeiir
paraît être plutôt des premières années que de la seconde partie d«i
règne de Philippe le Bel. Car c'est le rôle de 1292 qui fournit It;
plus grand nonihre de noms communs au poème et aux document^
liscaux; on en trouve de moins en moins dans les rôles postérieurs;
et la preuve directe existe, du reste, que plusieurs personnages,
représentés comme vivants lors du « tournoi », n'existaient plus, depuis
longtemps, sous Louis X ' .
Un fait décisif vient enfin à l'appui de ces considérations : dans le
Tornuiement, Thomas Pidoë, oncle par alliance de Jehan Phelippe,
est >i\ant; or il est déjà indiqué comme défunt dans le rôle
de 1292'-'.
L'ohjeclion tirée de la remarque faite par .NL Borrelli de Serres
au sujet de la présence de la bande de France dans les armoiries des
dencien, signalée par le poète et dont on n'aurait d'autre preuve
que dans le li-oisième tiers du \iv' siècle, n'a, d'autre part, aucune
importance. Car : 1° les sceaux des Gencien, du temps de Philippe le
Bel et même de la première moitié du xiv'^ siècle, lont absolument
défaut; 2" il est établi que, dès la fin du xiiT siècle, certains bour-
'' Ln actedf 1016 ( Ai'ch. liai., L 596, n* 12 j la date de leur moit. Si ces personnes ne ligu-
ai leste, à lui seul, qu'a celte date étaient dé- rcDt pas dans le Tornoiement, elles ont éle
cédés quatre des personnages nommés au Toi- du moins liomonjmes, contem[X)raines et pa-
noienicnt . Lstienne Morise (■ Jarquelot, dite la renies de celles qui y figurent : .Vlis Barliette,
Morise, fille de feu tslienne Morise ■), Jacques femme de Jean Sarrasin (t lagS); Agnès
Boucel («Jehanne, dite la Moutonne, seur de ' de Ferriéres, femme de Baudouin Boucel
iéu Jacques Boucel i), Estiennc Moriau ( • la (t i3o3); Jclianne Brichart, maîtresse du
maison qui fu Rstienne Moriam), Jehan de béguinage de Paris [les t.\iii. >ins«'?,
(ihàtcaulort. ( t i3 1 a ), etc. Voir H. Bouchot , //iiifnfoi;r </e>
Il existe dans la Collection Gaignièies, à la destins exéculcs pour Roger de Gaiynieres , t. I"
IWbliotheque nationale, des croquis de pierres (Paris, 1891), ii°' 167, aia, SigG, 3a49,
tombales, jadis conservées à Paris et ailleurs, 3396.
qui portent le nom de bourgeois et île l)our- '' ¥À. Géraud, p. 17 : «La famé l'eu "Hk»-
i,eoises de Paris de la fin du xiil' siècle, a\ec mas Pii d"oc. »
S()\ POEME. 2<t9
«fpois de Paris, de bonne maison comme les Gencien, ornaient leurs
sceaux de cette bande ''\
Il ne reste plus dès lors qu'à déterminer la place de Pierre Gen-
cien, notre auteur, dans la généalogie de sa famille.
11 ne s'agit évidemment ni du fondateur de la maison, Pierr.<
(lencien, mort en i 2 53, ni de son fds Pierre le Vieil, mort en 129^
dans un âge avancé. Mais Pierre le Vieil eut deux fds, qui sont ainsi
désignés, à coté de lui, dans le rôle de la taille de 1292 : «Pierre,
«le grant; et Pierre »'''. Cette duplication de nom serait, a priori,
assez suspecte (quoique, chose bizarre, il y ait, en ce temps-là, des
exemples d'enfants de la même famille qui portent le même prénom
usueP; mais il est certain que c'est unf erreur de scribe puisque,
non seulement on lit dans le rôle de 1 296 : " Sire P. Gencien; Pierre,
«son fuiz, le grant; et son autre fuiz » , mais surtout, dans le rôle
de 1297 : "Pierre Gencien; Pierre son fuiz, le grant; Guenart,
.son autre fuiz » '^ . Ce 1 Guenart " est d'ailleurs appelé «Jehan"
dans les rôles de 1299 ^^ ^^ i3oo; mais peu importe ici'*'. On
ne saurait douter, d'après ce ([ui précède, que Pierre le Vieil et
sa femme Marguerite n'eurent qu'un fils nommé Pierre, lequel fut
surnommé d'abord «le grant»; plus tard, pour le distinguer de
feu son père, on l'appela «le jeune». C'est ce Pierre «le grant»
ou «le jeune», qui était déjà quatrième écuyer du roi alors que
son père en était le premier, en 1290'*', et qui, en cette qua-
lité, fut honorablement tué près de son maître à la bataille fie Mons
'i3o4).
C'est aussi, sans doute, ce Pierre, écuyer du roi, qui a écrit le
Tornoiement. Car lui-même n'a eu qu'un (ils, « Genciennet », mort
en i3i3'*; et il n'y pas d'autres Pierre dans la généalogie des
" Voir le sceau de Jehan Arrode en 1299 peut-^lre pour ■ Jehan • dans le rôle de H97,
(Doaèt d'\Tca,Colleclinn de sceaax des Archives où l'errcar s'expliquerait paléographique-
nationales . a' 4097), enlièrement conlorme à ment.
ce qui est dit, dans le Tornoiement, des armoi- '*' Documents cités par Borrelli de .Serres ,
ries de sa femme. Et cf. plus haut, p. aS'i. p. 600, note 4.
•*' Ed. Géraud, p. 119; cl. Borrelli de "' Fr. 6736, fol. 49, col. 1. Dans la liste
Serres, op. cit. , p. 89.^. des contribuables décédés depuis I.1 fête de la
''• KK 383,* fol. 58, col. 1 (renvoi inexact chev.ilerie du fils aîné du roi : «Genciennet.
dans l'ouvraf^e de Borrelli de Serres). • fdz feu Pierre Gencien •. H y a au Trésor des
'*> Borrelli de .Serres, p. .Sg'». «Guenarti est chartes (Arch. nat. , JJ 48, n* i3i)des lettre*
.38.
,^00 PIERRE GENCIEN.
diverses branches des Gencien à l'époque où tout indic[ue que notre
auteur doit être cherché.
H est d'ailleurs très naturel qu'un écuyer du roi se soit intéressé
particulièrement, comme l'auleur du Tornoiemenl, aux chevaux'",
aux sports chevaleresques, et, à l'égal d'un héraut, aux armoiries et
aux devises des champions. La porte-hannière de Geneviève d'Asuières
lui dit très pertinemment, au début du Tornoiement , en l'invitant à
reconnaître les armes de son chef de « route » :
Tant ave/, d'amies veù l'eslre
Que bien les deùssiez connestre . . .
Et l'auteur du poème insiste à plusieurs reprises sur les devoirs
des écuyers, dont le rôle est de défendre leur maître au tournoi
comme à la guerre'"'. Détail qui prend une valeur particulière quand
on sait qu'il est mort lui-même en agissant ainsi.
Une dernière observation s'impose. Lorsque Pierre Gencien le jeune
a écrit le Tornoiement, Gencien était-il marié.-* La «Gencienne» du
poème, qui conduit le contingent de la paroisse de Sainl-Jean-en-
Grève, était-elle sa femme? 11 l'appelle Marie et parle d'elle avec res-
pect; on peut donc croire qu'il s'agit de dame « Marie la Gencienne » ,
sa tante, femme de son oncle Sire Gilles, mère de son cousin Jacques
(lequel devait périr aussi à la bataille de Mons), et qui, devenue veuve
entre iQ()3et 1296, parait encore, en i3oo, comme chef de lamille,
sur les rôles de contribution'^'. D'autre part, Pierre le jeune, notre
auteur, s'est marié à une époque indéterminée avec une femme dont
le prénom n'est pas connu'*' et dont il a laissé un fds, Genciennet, qui
de Pliilippe le Bel, datées d'octobre i3i3, '"' Pierre Gencien avait une écurie à Paris.
comme quoi Genciennet de Paris, «fils et hé- comme' il est attesté par le livre de la (aille
rilier de feu Gencien le jeune , notre écuyer n , de 1 3oo ( KK 283 , fol. 3o4 v°) : « Robert , qui
a cédé au roi une rente de 8 1. p. sur la maison • garde les chevax Pierre Gencien ».
de Neslc. La rubrique de celle pièce dans le '*' Tornoiement, par exemple au v. 34? :
registre du Trésor : Recompensario cl assiiinacio . . ■ , ■ .
° ... ,. ,. A ■ . ■ -i Aussi comme escuier doil cslrc
iiilo Ithr. terre acte l'ctto trcnciaiio i union , scii- i.. . . • „• ,■ .. ,„
■' . •' Au tornoi por anlier îon iiir>tre.
lifeio, est tout à fait mexacte, et propre à
Iromper. M.Borrellines'estpointaperçu (p. 6o3, ''' Borrelii deSerres, p. 696, 6o8. l.a femme
note 4) que le « Hegistre de la Chambre des du cousin Jacques s'appelait Alix.
comptes 48», d'après lequel d'Hozier a cilé. '*' Dans un fragment d'obilu^Nre parisien du
en restro|>iant, celle rubrique fautive, n'est mV siècle, qui se lit à la fin du ins. ■yc|3 de la
autre que JJ 48. Bibliothèque de la Sorbonne, on lit: «xiikl.
SON POEME. 301
céda au roi une rente en 1 3 1 2 , fut inscrit en 1 3 1 3 parmi les contri-
buables de son quartier, et mourut cette année-là même. Il est pos-
sible, bien que cela soit peu probable, que, la «Gencienne» du
Tornoiement étant sa tante, la dame qu'il «n'ose nommer» soit sa
lemme. Mais peut-être aussi est-ce sa fiancée, ou une amie d'avant ou
d'après noces. Remarquons d'ailleurs, à ce propos, que fauteur ne
se piquait pas d'une fidélité rigoureuse : il se dit, en passant, et,
sans doute, en souriant, féru d'amour à la fois pour la Barbelé
(v. 745] et pour dame Gile de Meulant (v. 909], encore que ces
deux daines fussent en pouvoir de mari :
C'est la faille Symon Barbelé. . . Et me fera mes hoiis avoir
Amours, qui tes amans mestrie, Par si que je faciî savoir, . .
M'a retenu de sa mesnie ,
C. L.
THOMAS DE BAILLI, CHANCELIER DE PARIS.
En i3o3, maître Thomas de Bailli''' était chanoine de Paris
et de liouen et professeur de théologie à fUniversité de Paris. Le
4 novembre de cette année, le pape lui accorda la permission de se
laire remplacer par un vicaire dans sa prébende canoniale de Paris '^'.
Mais, le 5 mars i3o/i, il fallut, à Rome, réparer une omission : lors-
qu'il avait reçu sa prébende, Thomas avait juré de n'en jamais trafi-
quer, et Benoît XI, ne le sachant pas, avait omis, par sa première
«sept. Fit inissa de Spiritu sancto pro Marga- cliionoloyicus chartariim . . . Uiiirersitat's Pari-
té reta, uxore Pétri Genlien, pro qua habemus xiensis, n° 427) donni-- à penser qu'il était de
«(|uinque s. censuales supra doniuni que fuit BaiUy, c"" de Rihéeourt (Oise), au diocèse
» Odonis de Sancto Mederico. . . ». Mais il s'agit de Noyon.
sans doute de Marguerite, femme de Sire Pierre '*' 0 Quia Parisius doces in tlieologica Facul-
Ic Vieil. « tate et predicalionibus et disputationibus Ka-
'■' B. Hauréau le croyait originaire de Bail- «cultatis ipsius sepius occuparis » (Chartulnrinm
ly, c°° de Marly-le-Roi (Seine-et-Oise), mais Unhersitatis Parisiensis, t. Il, n° 637). Cf.
une charte publiée par Ch. Jourdain (Index JoHn\al des Savants , 188/1, p. ifiq.
" 2
302 THOVI\S DE BAILIJ, CHANCELIER DE PARIS.
huile, de le relever de ce serment'*'. Quelques mois plus tard (16 juin
i3o4),le Saint-Siège lui donna un témoignage très considérable de
confiance : il s'agissait de pourvoir à l'administration de l'évêché
de Paris, qui périclitait à cause du grand âge de l'évêque Simon
Matifas de Buci, tombé en enfance; Thomas fut désigné comme
administrateur de l'église de Paiis au spirituel avec Etienne de Suisi,
le célèbre archidiacre de Bruges, vice-chancelier du roi, comme
collègue au temporel'-'. Mais la mort de Simon Matifas survint
(22 juin) avant farrivée des bulles à destination.
Une lettre des maîtres de la Faculté de théologie de Paris au roi de
France — sans date, mais que Denifle et Châtelain placent entre
les années i3()4 et i3o6 — recommande maître Raoul de Vémars,
savant médecin, étudiant en théologie pendant quatorze ans, prédica-
teur à Paris et ailleurs, pour un bénéfice meilleur que celui donl il
était pourvu à Saint-Leu-Taverny '^'. Thomas de Bailli y est nommé
au premier rang des maîtres.
En juin \^ià, Thomas de Bailli s'intitule chanoine et pénitencier
de Paris, maître et proviseur du Collège des Bons-Enfants près de la
porte de Saint-Victor'"'; il fêlait aussi de la maison contiguë de Car-
dineto, achetée ])ar le cardinal Le Moine pour y fonder son Collège '''^
Il paraît comme chancelier de l'Université dès le 27 septembre
1 3 1 6 **"' et il est resté dans cette charge jusqu'à sa mort. — Le (>arfu-
laire de fUniversité de Paris ofire, entre iSiy et iSsy, plusieurs
lettres de recommandation de Thomas de liailh à divers personnages
(le pape, le roi, l'évêque de Clermont) en faveur de maître Alain
Gontier, maître es arts et en médecine, docteur en théologie, de
maître Jean de Blangi, etc. '''; et des lettres de Jean XXll pour le prier
de conférer la licence ou la maîtrise en théologie à une foule de can-
didats, parmi lesquels il en est de bien connus : Pierre Auriol, Pierre
de Mornai, Hugues de Vaussemain, Pierre Roger, François de Mey-
ronnes,etc.'^'. — Le 19 mai i348, un certain Baudouin de Bailli prend
''' Ch. Graiidjean, Reijistrei de Denoil XI, '* ('Ai.ioun\ain,lndex chronologicus. , p. qi.
c. 297. '"' Ibid., n° 427.
"' Journal des Savants, 1887, p; 307. Cf. ''' Charlalariuin , t. M, n"' 742 (cf. p. 718),
Charlalarium , 1. Il, p. 10."), où Etienne (ie 7/16, 747.
Suisi n'est pas identifié. '*' ('hnrliilarium.l. Il, n°' 7.52 (cf. n*797),
('' Chailulariam.l. Il, p. 121. 772, 801, 807, 808, 819, 822, 823,829.
'*' Cartulaire de Notre- Dame de Paris, t. III, — Histoire littéraire, I. XXXIII, p. 46o (Jac-
p. 219. ques de Lausanne).
SA VIE. 303
la liberté de rappeler, dans une supplique à Clément VI (Pierre Roger),
que Thomas, son parent, eut jadis l'honneur de conlérer la licence
au pontife : " se esse de génère magislriThome de Balliaco, cancel-
« larii Parisiensis, qui vestris solemnibus meritis exigentibus in theo-
« logia vos licenciavit » '''.
Le plus ancien registre capitidaire de Notre-Dame de Paris contient
plusieurs mentions relatives à la succession du chancelier Thomas,
mort le 9 juin i328''^': dès le 16 juin, sa prébende fut attribuée à
maître Guillaume de Narbonne'^'; Jean Courtois, prêtre, et Pierre
de Bailli, exécuteurs testamentaires du défunt, promirent, le 17,
de retenir sur ses biens cent 1. p. « pro complendo ordinacioneni
«super discordia quam habuit cum domino Michaele, etc., si
« ordinacio faciat contra eos »*'''; le 22, maître Pierre Barrière requit
((ue la maison du feu chancelier fût vendue, après estimation : cette
maison, estimée à 180 livres, qui fut disputée par G. Cocatrix et le
cardinal d'Arrablay, resta finalement à ce dernier pour i3o 1. p. '^'.
SES ÉCRITS.
Les anciens bibliographes, depuis Hémeré, attribuent à Thomas
de Bailli des quolibets et des sermons « conservés, disent-ils, dans la
« Bibliothèque de Saint-Victor ».
A notre connaissance, aucun sermon n'est conservé aujourd'hui
sous son nom.
L'exemplaire de son recueil de Quolibets qui était à Saint-Victor, et
(pie Claude de Grandrue a décrit sous la cote M 7 '^\ est considéré
comme perdu. Mais les Quolibets de Thomas de Bailli sont fréquem-
ment cités dans une Lectnra sur le premier livre des Sentences, com-
pilée en i3i6 par un anonyme et conservée dans un manuscrit qui
''' Chartularium , t. 11, p. 718. 0 Mimatensis episcopus ibi presens contulit
■' C'est donc d'un homonyme qu'il s'agit «eidem...» — La présence de Guillaume
dans le fragment d'obituaire de l'Elglise d'Arras Durant à Paris à cette date n'a pas été signa-
<|ui sert de feuille de garde au uis. 9^5 de la lée dans sa notice, au commencement du pré
nibliolhèijue d'Arras : • v kl. januarii. Obitus sent volume.
«l'home de Balli, fratriadomini Johannis, mi- '*' Ibidem. Cf. p. 69.
lilis, pro quo danlur xu s.» ''' Ibid., p. 86, 88, 98.
''' Arch. nat., I.L io5, p. 54. « Et dominus '') Bibl. nal., lat. 14767, fol. 3l.
304 THOMAS DE BAILLI, CHANCELIER DE PARIS.
provient de Saint-Victor. A la fin de cette compilation, dont l'incipit
est Quia magister in prima disdnctionefacit nientionem . . . , on lit :
ExpHcit lectura supra primum Sententiarum roinpilata ex diversis doctoribus tt
l'X diversis lecluris, scilicct fratris Thome, Egidii, Iltrvci, Durandi(saltem in fine),
et t'x quibusdam aliis bonis k'Cturis, scilicet ex Qiiestionibus de Quolibet quorum-
dam, specialiter magistri Tbome de Balliaco, et (|uorumdam aliorum, sicut patet
in lectura, f'acta anno Domini CCC XVI'".
Le compilateur, dont les tendances sont thomistes et hervéistes,
indique assez souvent en marge que telle opinion énoncée dans son
texte est de Thomas de Bailli, et il prend soin ordinairement de dis-
tinguer ce maitre de « frère Thomas d'Aquin » en mentionnant son
surnom'^'. 11 renvoie couramment au premier, au troisième et au qua-
trième Quolibet du chancelier, dont il a])paraît que, suivant l'usage,
les « questions » étaient numérotées. Les autres autorités qu'il nomme
de même sont, non seulement Gilles de Rome et Hervé Nédélec, comme
l'explicit en avertit, mais « maître Gautier »'^', maitre Henri Amand^*',
et un maître qu'il désigne par l'initiale de son nom, W., auteur
d'une Lectura. Des opinions de Simon de Tournai et de Guillaume
d'Auxerre sont aussi rapportées*^'.
D'autres conclusions de Thomas de Bailli, touchant l'antériorité de
la production du Verbe à la conception des créatures, qui, comme
celles que la compilation de i 3 1 6 rapporte, n'ont rien de très original
— ainsi qu'on peut s'y attendre, s'agissant d'un personnage officiel et
si bien en cour — ont été mentionnées et combattues par Jean de
Pouilli; on l'a déjà remarqué ici ''"'.
Les choses en étaient là et l'on n'en savait pas davantage sur le magnum
opus du chancelier Thomas, lorsque, en dépouillant le Catalogue
des manuscrits de la bibliothèque du chapitre de Worcester''^ nous
''' Bibl. nal., lai. 14570, fol. 74. '*' Fol. 8 v°, 59. Ce personnage figure dans
*'' Fol. 4 v° («De prima qucstioni' utrum le Charliilarium , t. II, p. 107, sous l'année
« relalio comparata ad ess(?nliain différât ab i3o4-
«essentia et quoniodo relalio est in divinis, '*' Fol. fjo v°.
« require in prima questione tercii Quolibet '*' Histoire littéraire, t. XXXIV, p. 272 et
«magislii Th. de Balliaco»), 3o, 3o v°, 3i v°, 273. CI. ci-dessous, p. 3o8, ligne a.
44 v°, 47, 48, 5-i \°, 56, 66. Il y a quelques ''' .1. K. Floyer et S. G. Hamilton, Catalogue
renvois à «Thomas» tout couil. of nutnuscriijls preserved in the Chapler LiLrary
''' Fol. 7 v". of Worccsler cathcdral (O\(ord, 1906), p. tj
sivs Kci\n\s. 3or)
avons constaté que cet ouvrage est conservé là dans un manuscrit du
w" siècle (1' 56, fol. Q^îg-'iyo) : « fncipiiint nuujistn Thome de Baliaco
«Quodlibeta. Circa Deiiin nicliil fuit quesitum, sed se\decim quesita
.. l'uerunt circa crealurani. » Il n'est pas douleux ([uc ce recueil soit
celui-là même dont il y avait un e\enq)laire à Saint-Victor, car Claude
de Grandrue décrit ainsi le rns. M 7 : ■' Se\ Ouodlil)ela magistri
.( Tliomae de Balliaco, (jiwnun primiim contincns iO articulas, secunduni
.. continens i8,tertiuni i 9, ([uarliiin ( lijus suni articuli [sic], quin-
- lum 1 5, sextuin 17... "''^
En possession de rel incipit , il ne nous a pas élé nécessaire, pour
prendre connaissance des Quolibets du clianceli(;r, d'aller d'abord à
VVorcester, car nous avons aisément constaté (pic le même recueil
se trouve, anonyme, en un exemplaire du mv*" siècle", sous le n" 1071
des manuscrits de la lîib!i()lliè({ue d'Avignon. — I/e\emj)laire d'Avi-
<Mion, dont la provenance n'est pas connue'^', a été exécuté par plu-
sieurs mains, mais toujours avec soin, et {)res(pir avec luxe*'.
Voici, d'après ce manuscrit, l'énoncé des ipiestions du premier
Quolibet :
i. 1 . Utniin oninc f'uliiruin sit ali(|iiando pn-scus.
2. Utruin noliilius sit tiatuic primipium et non limni (|iiani ceontia.
3. Ulruin iclalio crialurc ad heuin sit idoni nalitci- cnm cssciicia rr.-aturc.
4. Utruni rclatio n-alis in cicilinis possit l'undari ininudiatr super siit)stantia.
5. Utruin niati'iia prima possit ronservari in cssr sini' onini forma.
6. Utrum intt'llortus a<^ens inicllifjat.
7. Utmm aprilicnsio in ol)ji(lo \olunlatis sil lalio Iminalis pi-r <|uam movpt
voluntatem.
8. Ulmm actus morales lial)eaul l)onitateni moratem a votuiitatc \*;l ab olyocto.
9. Utrum prosurutio et f'ujja in votuntate sit unus actus.
'" Il est à iioliT que le n)|iisto du manuMiil — Du loi. 70 au loi. 107, (lurstions (livcrscs
de VVorcester a (TU que l'ouvrage ilo Tliomasde donl rien irinili(|ue les auteurs. — Du loi. 107
Bailli s'arcélait après le second Quolibet, de au loi. i3i, oaliicis ixéculés pr le imnie
sorte qu'il a intitulé les Quolibets il! à \'I : m iil>e (jue qu.l(|n(s uns de ceux des Quod
«Quodlibeta altcrius aucloiis. » Celte erreur a lihcta de Thomas de Bailli. Ces cahiers coiilieu
été reproduite dans le Catalo-iue de Ployer et n.'iit des questions de Deo dont les auteurs
HamiUon. """>' nommés: «Consalvus, Minor. Kquardus,
"' Calnlnfjue ijcnérnl des iiiiiiiiisnils des hi- « Prediralor. Krnaldus, Vugiislinensis. J. Sa-
Miolhèques publiques de hunce . I. \XV1I, . piens. » — Du loi. i3i au fol. ir)6, questions
p 4q2. anonymes (Inc. : «Utrum soll Deo ronvenial
''• Comme beaucoup de manuscrits scolas- « possocreare »),dont ily a un autre exemplane,
tiques, le ms. 1071 <r\vif,'n()n se comiioso de pareillement anonyini-, dans le ms. lôa delà
divers opuscules, distincts et reliés ensemble. Ribliothècpie de 'I royes.
HIST. I.ITTKR. W\\.
2 2 *
39
;i06 TIIOMVS l)K BAILM, CHWGELIKK DE PARIS.
10. Utniin (liUrtid .t deltctatio in \oluiilatc sint omnino idem Hctus.
1 1 . Utrum in nol)i> -inl jxinendi' aliqui' virtutcs morales infuse.
12. Utnim in vnlinilatc sini ponende ali(|ue \eritates morales.
13. Utrum justiria |)ailicularis sit eirra passiones.
14. Ltium MKinarlius \(1 clericus (jui non liai)et redditus nisi eeclesiasticos possit
(lai't' miinria ikim indigentil)Us.
15. Utrum r<ligi()>us liahens cuiam animarum magis Icneatui- ohedire cpiscopo
dyoersis \el al)i)ati suo.
16. Utrun» senlentia exrommunicatittnis pronuiigata generaliter ah aliquo prelato
lif^cl sul)dituni existentem in scolis extra suam dyocesim.
Ce premier Quolibet commence, comme on voit, par des questions
de haute métaphysique et s'achève par l'examen de cas de conscience
disciplinaires. Il en est de même des suivants; cette disposition était
alors conforme aux usages.
Voici le.s questions du second Quolibet (fol. i4) :
II. 1. Utrum \erita> sit in Deo absolute, prêter liabitudiuem ad intellectum.
2. Utrum Christus meruerit sibi premiiun essentiale.
3. Utrum rreatid et ronservatio créature sint idem.
4. Utrum mundus potuerit iieri antequam sit factus.
5. Utrum in reiatioiii' reali unum extremum possit stare, altero non existeiite, re
\el ratione.
0. Utrum aliquid agin> agat pereamdem formam et recipiat eundem motuin.
7. Utnun, sup|)()sito(piod inhomine «uni anima inteliectiva sit tantumuna forma
alia, utrum illa forma sit anima.
8. Utrum idem re et ratione sit ohjectum inteilectus et Noiuntatis.
9. Cujus potencie eogilare sit actus.
lu. Ulrum lionu) magis halxat dominium super actum cogitationis quam super
artum deieclationis.
1 1 . Ulrum poni tiles intellectum esse causam ellicieiitem sui actus habeant poiiere
(|U(>d actus inteilectus distinguantur per objecta.
12. Litium prudencia sit una.
13. Utrum idem homo sit simul vitiosus et virtuosus.
14. Ulrum iiomo in statu imiocencie j)Ossit per actum dilectionis sic lerri in Deum
quod sit comj)rehensor.
15. Utrum cdiilitens, nisi contritus sit, postea teneatur confiteri eadem peccata.
16. Utrum uxor,scieiis maiitum suum essefornicarium,pcccetmortaliterrcddendo
ei debitum, si>c fuerit (>xacta [sic] sive non.
17. Utrum liceat religioso sine licencia sui superioris impelrare litteras confes-
sion is.
18. Utnnn confessus viilute talis littere teneatur superiori suo precipienti eadem
confiteri.
SKS KCRITS. 307
Le troisième Oiiolibet (fol. 27] est celui qui a été le plus souvent
cité par le compilateur de i3i6 :
III. I. Utruni rtlatio in diviiiis compiirafa sil ad suiit)» Icntiimmi sicut paternitas
ad liliatiomrn'".
2. Utium putcncia Doi productixa neaturc n-feraturad n-.'alinain nova iflatioin'
secundum rationcni.
3. Utrum Dciis possit farcrp rontiniuim romposittim i'\ iiidl\isihilil)u.s.
4. Utrum possihilc sit ([uod duo a<j<'nria, distinota spccic ronnuiaiit ad pundeiu
eltectuni et tamcn uiuim iioi» agat in alteruiu.
5. Utruni iiuda tsht'ncia créature, sul) piopriaratioiu' ism ncii., >ii perse ol)iectuni
alicujus jjotenrie cognitiNe.
6. Utruni possil)ile sit per ([uaincinupie p(jtenciani realia aeeiih nlia pluia numéro
ejusdeni speciei esse in codem sul)jecto numéro simili.
7. Utioim in angelo sit ali(|ua potencia ab intellertu et volimtate.
8. UtiTim alirui homini deheat imputari idem (|uod non potest vitare.
9. Utrum, suppositae(|ualitatep(jtenciarum anime, objecta déterminent actussul)
ratitjiie (pia sunt inclioati\a actumn, m'1 suI) latioiie (|ua sunt terminativa
actuum.
10. Utrum \oluntas, alitpiid volendo, possit nolle se velli' illud.
11. Utrum alicpiis appetitus setpiens cof^nitionem possil l'erri in objeclum suh
ratione qua non est actualiter apprehensum.
12. Utrum peccatum originale sit in anima vel in carne sicut in subjecto.
13. Utrum circumstantia peccati det ei s])eciem aut \ariet ipsum traiislerendo in
aliud genus peccati.
14. Utrum perjurium sit majus peccatum quam bomicidium.
15. .Su|)pf)sito quod in caritate sint gradus, utiuni, eurn caiilas inlenditur.
gradus unus intensus essencialiter corrumpatur.
16. Utrum latitude hujusmodi graduum accipiatur secvnidum modum ((uantitatis
continue et discrète, id est ulnim sint equalis perlectionis \cl inequalis"' .
17. Utrum si persona ecclesiastica ([ue ex debito tenetur ad boras canonicas, si
in dicendo boras convertat scienter attentioiiem snam ad alia, peccel
m(jrtaiiter.
18. Utrum doctores juris canonici et divini, babentes pinns prebendas vel béné-
ficia in casu non licito, debeant gravius puniri tpiam simplices clerici.
19. Utrum persona ecclesiastica, de eo ipiod remanet ultra necessarium victum el
vestitum (aciens elemosynas, possil consetpii vel mereri graliam.
Le quatrième Quolibet (fol. 5o) commence ainsi :
Sexdecim querebantiu-. Tria circa Deum, duo quidem circa ejus cognitionem.
Primum de ratione cogiioscendi ejus, utrum %c. essencia diiina ex se ipsa précise sit
*'' Cf. ci-dessus, p. 3o/| , noie i. — ■'' Question citée par le compilateur de iliiti (/oc. cit.,
toi. 3o, col. 3).
39.
308 THOMAS 1)K BAir.LI, CHWCKMKK DK PARIS.
Deo ratio dislincta nxjnoscendi uJiijmi. Sccuiulum est de ordinc cujiisdani actus esscii-
tialis inteHertus ;ul aclnm (]Uom(lam rationaltm, utnini se. in divinis cognitio creatu-
rarum prcintcllitiutiti jinulttctioni Verhi. Tcrliviin i-ral pcrliucns ad potenriani D<'i
racione cuiiis<lam actus voliuitatis cicate utiiiin sr. Drus pnssit facere volitionem sine
(juacumque «/»/»/ «TicfUJoHc.
Après ces trois (jucslions au sujet de IVieu, il \ en a treize au sujet
(les créatures, savoir :
IV. 4. Utrum ])()ssiiit csm' duo spocics suh oodcin f^cncrc
5. Utrum ali(|uid irralioiialr liabcat aliquaiii cogiiitiomm cxcedentem fantasticaiii
vel ecstaticaiii ac uiiiversaliler omneiii virtutein scnsitivam.
6. Ctruni in inttUcctu cl voluutatc rcquiratur habitas adeliciendunisubstantiaiii
alicujus actus <|U('in iioii ])osscnt eliccrc siiic illo babitu.
7. Utrun» (bvcrsc scicntic babcaiit idem objccluiii snb cadem ratione formalitcr.
8. Utrum in voJunlatc prêter actum dcsidcrii et ])reter artum cnmplacencic rpiem
liabent in patria sit [alius actus circa divinam essentiam pertinens ad con-
(cmplalionein.
9. Su|)p(>sil(> (piod in actu ^uluntatis consistât essenlialitcr l)eatitudo, cpieritiir
uirnni ali(piis possil esse beatus in via.
10. Utrum caiitas, e\ eo cpiod est perfedior et pofioi' in ratione meriti, dclxal
concedi (piod sit peiTi cfior simpbciler onmi ali(pio bal)itu"'.
1 I. Utrum caritas possil augeii et minui.
12. Utnmi (piantitas in sacramento altaris sit sine .sul))ecto.
13. Utrum predicans teneatur lacère omnia que prédicat.
14. Utrum expédiât ulilitati Ecclesie (pu)d sulxUti ita eximantur a suis parro-
cliialibus ciu'atis quod non teneantui' eis confiteri illa peccata (pie sunt
coidessi Iratribus privilej^iatis'^'.
15. Utrum expédiât utilitati Ecclesie cpiod concubina curati confiteatur eidem.
16. Utrum profilens in religione, oxistens in caritatc, sit ex hoc immunis a cuipa
cl pena, ita quod cvol.it si statim decedal.
L'ouvrage de Thomas de Bailli s'arrête, dans l'exemplaire d'Avignon ,
au fol. 72, apiès la quatrième question du cinquième Quolibet:
V. I. Utiiim relalio in divinis sit formalitcr infinita.
2. Queritur, cum f^eneratio in divinis recjuirat essoncie unitalem vl gigncntis et
geniti distinctionem, (pie ratio sit formalioi in generatione divina per
(|uud distinguitur abaliisgcncrationibus.
3. Utrum rationiî demonstrativa possit cognosci (juod Deus sit causa efllciens
angelorum, vel hoc sola fide teneatur.
''' Cf. le coin{ii!ateiii' di' i3iG (/or. cil., loi. 3o, col. 3). — '*' Longue dissertation.
SES ÉCUITS. 309
4. Supposito quod esse et esstncia rreatuie siiil idem realiter, et supposilo quod
esscnria crcitture sit al) elcnio, ulmm iinplicel rontradictionem dicere
quod creatura non potest esse al) etcrno.
A partir d'ici, nous avons dû avoir recours au manuscrit de Wor-
cester. M. le chanoine Wilson, bibliothécaire de la cathédrale de celle
ville, ayant bien voulu communiquer l'exemplaire qu'il conserve à
la Bibliothèque Bodléienne d'Oxford, les fol. 3 1 6-3 3 9 en ont été pho-
tographiés jjour nous. Nous sommes ainsi en mesure de faire connaître
la suite'"' :
5. Ltruni humanilas assuinj)ta a diviiio supposito in (îhristo liaheat aliquani
unitatem icalem cuni humanitate heati l'etri.
6. Utruni sentire in Clirislo liominc et in hnito sit unius nature.
7. Utruni intellectus heati videntis divinain essenriam possit lormare de quo-
lil)et appropriato tjus conceptum distinctuni.
8. Utrun» heati videnttîs divinain esseneiani videanl oinnia cciam que fueiint '-'.
9. Utrum raritas infundatur aiicui sive capaeitas universaliuin conatuum.
10. Queiilur qiiis maf,MS percel, vcl traiisf,Mcdiens prerepta negativa vel oinittens
adirmativa.
11. Utruni vendere beneficium erclesiasiicum sit syinoniarum ex natura ipsius
contractus vel tantummodo tpiia proliihilum.
12. Utruni residens in ioco exeinpto j)ossit recipere sarranientum a quocunque
sacerdotc, si placet.
13. Utrum confessio oris sit de necessitate salutis, habita oportunitate sacerdotis.
14. Utrum partes hostie fracte différant realiter a se ipsis prout sunt in hoslia
continua.
1 5. Utrum canonirus qui vadit ad eccicsiam propter distributiones, alias non
iturus, peccet.
L'exemplaire de Worcester n'est pas complet, lui non plus : du
sixième et dernier Quolibet huit questions seulement, sur dix-sept,
s'y trouvent, savoir :
VI. I. Utrum dicere, specialiter in divinis, sit idem quod intelligere.
2. Utrum Deus possit convertere universi^m vel totum mundum in granum milii,
manentibus divisionibus grani milii.
3. Utrum Deus sit primuma nobis cognitum in racione objecti.
C La photographie des fol. 316-339 du ma- <'' Fol. 3i8 v° : «Hic nota opioionem H. de
nuscrit de Worcesler a été déposée à la Biblio- Gandavu et ejus rcprobacionem ; cf. eciain opi-
thëque des Archives nationales , où elle figure iiionem G. de Fonlibus que non sulTicit , nt
sous la cote M m 1 16. videtur. •
310 JEAN P1T\HT.
4. Utruin actusiiitelligeiuli prêter n-spi-rtuni (jikhI importât iiil inti-lligihilc iliral
aliquid absolutum.
5. l truni iiiti'Uertusper eundi'm artiini intcllioendi maneiitcin pnssit intflligiMV
aliquid ([uod prius non intt'lli<ic'tiiit.
t). Utrnin ununi et idem suh eadem Inrrnali racione pussit tsse objectuni Intel
lertu.s et volmitatis.
7. Utruin aliquid possit esse intelleelum ipiod nullo modo sil Nolitum.
8. Ctrum appelitus natuialis p()>sit esse respertn impossiliililatis.
Des cent questions du chancelier Thomas, qui turent classiques,
et que l'on considérait comme perdues depuis la dilapidation de la
bihliolhèque de Saint-\ ictor, il n'en manque donc plus maintenant,
en somme, que nenf.
C. L.
JEAN PITART
CHIRIJRGIE> I:T poète.
Jean Pitart est le premier chirurgien français qui ait jeté de leclat
sur sa profession , encore décriée en notre pays à une époque où elle
avait déjà pris en Italie un rang honorable à côté de la médecine'".
L'établissement en France, d'abord à Lyon, puis à Paris, du célèbre
chirurgien italien, Lanfranc de Milan*-', élève de l'école de Bologne,
qui termina à Paris, en i 396, la rédaction de sa Chirnrcjia macjna, dut
contribuer à relever le prestige de la chirurgie et exciter l'émulation
de nos compatriotes. On a dit qu'en arrivant à Paris, Lantranc y
"' Lo plus ancien traité do chiriirpie rédigé toiiv liltéraire. I. \XI, |'. hi3 et suiv.); noii>
en Italie qui nous soit parvenu est celui de possédons aussi plusieurs versions en ancien
Roger de Salerne. Composé en 1180, il pé- irançais voir flomaHia . 190^, t. WXIl, p. 78,
nétra dans le Midi de la France dès les pre- art. 3, et p. 91, art. 10;.
iniéres années du xni' siècle et y lut traduit ' Voir sur lui l'article de I.itlré, Histoire
itarliellement, d'abord en vers provençaux, litlfraire. t. XX\ , p. 384 et suiv., et surtout
is en prose (voir flomania, 1881, l. X, p. 6a Puccinotti, Storia delta medirina Livoume,
et suiv., où l'on trouvera des re< tificalions à 18.S9), t. 11, i' partie, 1. VI, chap. i3 et li,
l'article publié par Félix Lajard dans ['His- p. 'iii-4'i7-
SA VIE. 3JI
avait trouvé un Collège de chirurgie fondé par Jean Pitart, en 1271,
et qu'il avait été immédiatement admis dans ce collège, en l'igô '"' :
cette double affirmation ne repose sur aucun document authentique.
Lanfranc parle de l'accueil flatteur que lui firent, à Paris, certains
maîtres en médecine, nommément le doyen, Jean de Passavant''^'; il
ne parle ni de Jean Pitart, ni du Collège de chirurgie. La biographie
de Jean Pitart a été faussée par des préoccupations de boutique qui
échaufl'aient déjà, au wi"^ siècle, la bile d'Etienne Pasquier'^'. Nous
nous efforcerons de dégager l'Iiistoire de la légende.
S\ ME.
On ne possède pas de document catégorique sur la patrie de Jean
Pitart C*. Jean de Vaux le dit Parisien "*); d'autres le tiennent pour
Normand, et cette hypothèse est plus que vraisemblable. Il est même
permis de supposer qu'il était originaire des environs de Carentan,
car le roi Philippe V lui fit don de biens confisqués, sis à Picau-
ville*''. Ainsi s'expliquent à merveille les relations de maître à élève
qui s'établirent entre Jean Pitart et Henri de Mondeville, fils avéré
de la Normandie''. En revanche, rien n'autorise Domfront ^', ni
Bayeux'^', ni Aunai-sur-Odon''"' à réclamer Jean Pitart comme un
de leurs enfants. D'autre part, des différentes familles françaises qui
Puccinotti , p. 4 1 7 ; cf. Histoire litléraire , auv preu> es lingiiisliques qu'a réunies le D' Bos
t. XVI , p. 96. dans La Chirur<jie de Henri de Moiidnille, Paris,
"^ Histoire littéraire, t. XXV, p. a84-386. 1897, t. I, p.' m. Mais il semble que le lieu
' .Les Chirurgiens, par une vieille cabale. d'où le c-élèbre chirurgien tire son nom soit
. attribuent la première institution de leur Col- plutôt E mondeville (Manche), que MondeiUle
«lege à sainct Louys, qui est un abus...» (Calvados).
{liecherches de la France, liv. IX, chap. \xx^ . ' Courtebolte, Essai sur thisloire et les an-
L'idée d'en laire un Italien, parce que tiqailés de Domfront (s* éfl., Caen, 1816),
sou nom est énoncé en latin sous la forme p. io3. Il est certain qu'il a existé à Domfront
.lohannes Pilardi.na nu venir qu'a un historien une famille Pitart, qui a donné son nom à une
Ignorant des usages du moyen âge (H. Haeser, des tours de la ville, mais le plus ancien
Lchrbuch der Gescliichte der Medizin, 3* éd. , membre connu de cette famille n'est men-
léna, 1875, t. I, p. 764). tionné qu'en i366.
'' Index fuiiereus chiriirgicnrum Parisien- ' Pluquet, Essai historique sur la ville de
.Miim, Trévoux, 1711, p. 1. Hayeua: (Caen, 1839), p. 423.
'' Voir ci^essous, p.3i4. *• D' Chéreau, Henri de Mondeville (Paris.
Les doutes émis par Littre sur l'origine iStia; tirage à part des Mémoires de la Société
iiormande de Henri de Mondeville [Histoire ,Us antiquaires de Normandie), p. 10-11.
litléraire. t. XXVIII, p. 3a6) ne résistent pas
312
.iK\N piTAirr.
ont porté ou qui portent le nom de Pitart ou Pitard, aucune ne
peut fournir la preuve qu'elle remonte réellement au célèbre chi-
rur{j[ien '''.
La plupart des biographes de Jean Pitart le font naître en 1228,
date trop reculée, assuréiiieni, mais (|ui ne le serait pas assez s'il
fallait croire qu'il fût dt'^à chirurgien du roi Louis IX à l'époque où
ce prince fit sa première croisade et qu'il l'eut accompagné, en cette
qualité, dans son expédition d'outre-mer'-'. Ln réalité, comme Mal-
gaigne et Chéreau l'ont depuis longtemps proclamé''', cette hypothèse
est sans fondement : Pitart devait être au berceau quand liouis IX
s'embar(pia à Aigues-Mortes (1 2/(8). Nous ne possédons pas de témoi-
gnage authentique sur son conq)te avant l'année 1 292, date où nous
I»', trouvons inscrit sur le rôle de la taille de Paris parmi les contri-
btiablesdela rueneuveNotre-L^ame : » Mcstre Jehan Pitart, 20 sous'''. "
Dès I 2()8, au plus tard, il avait [)ris rang ])armi les chirurgiens de la
cour, car il ligure, à la date du 23 mars, dans le Journal du Trésor
de Philippe le Bel'"'. Les tablettes de cire de Jean de Saint-Just le
mentionnent à plusieurs leprises, <'n fan iSoo. Nous y voyons qu'il
touche des gages pour ses services, ianlot " en cour», tantôt « hors de
la cour»"''. A la lin de i.'Io.), il accompagna Philij)pe IV en Lan-
guedoc: un compte arrêté à l'oulouse, le 26 décend)re, lui attribue,
pour quarante jours de service, 7 livres, i3 sous, /j deniers, plus
trois robes '^'. Son titre de chirurgien royal lui donnait naturellement
du crédit auprès des grands seigneurs du ro\aume. Le 7 juin i3o8.
'' l.f |)liis ancien documciil (|ui rij^iirc dans
les recueils généalogiques manuscrits des
D'Ho/.ier (Bihl. nat., i'r. 28776, ,'50071 cl
.'^072 7) ne remonte (jn'à 1 49-^ : il émane d'un
certain Jehan Imitait, écuyer, capitaine de
liuzet (Haute-Garonne); voir Bii)l. tial., I'r.
■.!8776, dossier 5 1802.
"' J. de Vaux ne lui donne (jui- 77 ans au
moment de sa mort, qu'il place en i.'ii5;
François Quesnay, en réimprimant l'Inde.r
fuiierrus dans s<^s Recherihes criliqucs cl histo-
riques sur l'oriqine de la cliirurtiie en France
(Paris, 17/14), p- 534, a changé arbitrairement
l<! chiffre 7 7 en 81.
"' Malgaigne, Œuvres complètes d'Anihroisc
/'nre (Paris, iS/io), t. 1, p. xi.iv-i.; (ihéreau,
p. 10. ("f. II. Fîerthaud, dans le Ihillrliii île In
Soriétc française d'Idstoire de la médecine, Paiis,
11)07, t. VI, p. 78.
'' II. (îéraud, l'aris sons Philippe le liel
(Paris, 1807: t^oll. de doc. inédits sui- l'his-
toire de France), p. i^g. ('f- Arch. nat., KK
283, loi. 271, où figure comme exempt de
taille à litre de clerc » meslre .lelian Pilarl,
mire ».
■-' \\\h\. nat., lat. 5)783 . fol. 6a v",
I " col.
"' Historiens de la France , t. XXII, |). r)if)(:.
La lecture : Picard doit élre fautive; Antonio
(locchi, qui a \i: premier publié ces tablettes,
en 17 '16, a lu : Pitard.
'■'' [li'itoricns delà France, t. \XII, p. 542 v,
d'après les tablettes de heims, où les i-tlileiHH
lisent aussi : l'icardi , au lieu de : Pitnrdi.
SA VIE.
313
on le trouve à Conflans, près de Paris, à la table du jeune Robert
d'Artois; en i3 12, il fut appelé en Artois pour soigner la comtesse
Mahaut, qui récompensa largement les soins dont il l'entoura : elle
lui fit délivrer 100 livres, sans compter ses frais de route, des hanaps
et des r<)i)ps ])our lui et pour sa femme''. En janvier i3i6, assisté
de son compagnon (soc/as), maître Henri de Mondeville, il donna ses
soins à l'évêque d'Amiens, qui traversait Paris pour aller remplir
une mission administrative en Quercieten Périgord'^'.
La confiance qu'il inspirait à Cliarles, comte de Valois, frère de
Philippe 1\' et père de Philippe VI, est attestée par Henri de Mon-
deville dans un passage souvent cité de sa Chirunjia '^'. Le prince lui-
même a tenu à témoigner sa reconnaissance à Pitart en inscrivant le
nom du chirurgien royal dans son testament, fait le 1 7 septembre i3'i5,
pour un legs de 5o livres tournois'''*.
Les registres pontificaux nous apprennent que notre personnage
avait un fils prénommé .lean comme lui, qui embrassa de bonne
heure la vie religieuse. Le 3o mai i3i3. Clément \, à la prière de
Gui de Chatillon, comte de Saint-Pol, autorisa ce fils à passer
de rOrdre de saint François dans celui de saint 13enoit'''.
içois
'"' J.-M. Richard, Une petite-nièce de saint
Louis. Mahaat, comtesse d'Artois et de Bour-
gogne (Paris, 1887), p. i54; cf. Inventaire
sommaire des Archives du département dn Pas-
de-Calais (\S-]6), l. I,p. 369, reg. colé A 398.
Bien que les coiiiples utilisés par l'auteur estro-
pient le nom du praticien et . rap[)ellent
« maislre Jehan Pierarl • ou • Precarl • , comme
ils le qualilicnt « sirur^ien le roy •, il s'agit cer-
tainement de notre personnage. Il ne iaut pas
le confondre a»ec un autre chirurgien royal
« Jehan Le Mire , surourgien nostre songneur
• le roy de France et cjiastelain du chasteau
• d'Ayre», mentionné en i.'^o3,dansl7/iiientaire
cité, p. i5î. Alfred Franklin a été bien in-
spiré en attribuant à Pitart ce que Richard
dit de Preearl ou Pierart ; cette attribution,
qu'il donne seulement comme très probable,
nous parait tout à lait certaine (La Vie privée
d'autrefois. Les chirargieiu , Paris, 1893, p. it,
note 1).
'*' Cf. le compte des dépenses de i'éyéque
d'Arras, publié par Ph. de Bosrcdon dans le
Bull, de la Soc. hist. et arck. da Pèrigord , 1 893 ,
p. a 16: • nec computat salarium magistri Jo-
HIST. LITTÉR. XXXV.
• bannis Pitart et magistri Henrici, cjus socii,
• qui eum curaverunt Parisius ab infirmitate
" pedis ».
•'' Littré a cHé [Histoire littéraire, t. XXVIII,
p. 338) une ancienne traduction française de ce
passage; le texte latin original a été publié de-
puis parle D'Pagcl (Die Chirurgie des Heinrich
vun Mondeville, Beilin, 1892, p. ia5).
'*' Cf. Joseph Petit, Charles de Ka/ois ( Paris,
1900), p. 337, note 6. L'auteur a lu à tort :
Picard: le texte original du testament (Arch.
nat., J iGi", n° 5/4) porte exactement :
«A mestre Jehan Pilari, cinquante livres tour-
« nois. » C'est aussi à tort que J. Petit déclare
que Charles de Valois lit en même temps un
legs de 4o livres à Henri de Mondeville , col-
lègue de Pitart ; ce legs est fait' h un certain
« Guillaume de Mondeville •, qui n'est pas qua-
lifié « mestre » , et que rien n'autorise à regarder
comme un parent du célèbre chirurgien ; cl.
Histoire littéraire, t. XXVIH, p. 335.
C Regeslam démentit papa qainti, n' gSSo ;
Eubel, iiai/ariumyi-anciic. , t.V(Rome, 1898),
n* 21 3. Plus tard, nous trouvons Pitart fds au
couvent bénédictin de L« Giarité : par buUe
4o
314 JEAN PITART.
Chirurgien en titre de la cour de France sous Philippe IV ''\ Pitart
réussit à se maintenir dans la faveur royale après la mort de ce roi.
Nous ne savons rien de particulier sur ses rapports avec Louis X, qui
ne fit que passer sur le trône, mais un document authentique établit
que Philippe V,à une date indéterminée, lui témoigna sa reconnais
sance en lui faisant don, à titre viager, de difiTérents biens-fonds sis à
Picauville '^' et dans le voisinage, au bailliage de Cotentin, biens qui
avaient été confisqués sur un certain Roger de Paris '^'. En février 1 3 2 7,
Charles IV t|ualifie encore Jean Pitart de « dilectus cirurgicus noster»
dans un acte qui a pour but d'assurer la transmission de ces biens-
fonds, après la mort du possesseur viager, et moyennant un cens
annuel de 2 5 livres tournois, à Robert du Sartrin, garde du sceau
loyal à Carentan'''*. Il est donc bien établi que notre chirurgien n'est
pas mort en i3i5, comme on l'a alhrmé gratuitement, mais au plus
tôt en 1827, probablement même après septembre i328, car Robert
du Sartrin fit confirmer, à cette date, par Philippe VI, la donation de
Charles IV '^', et il semble que, si Pitart fût mort dans l'intervalle,
son successeur désigné à Picauville aurait notifié le fait à la chancel-
lerie royale.
Entre ces deux dates, 1^92 et i328, se placent deux monuments,
de nature très dissemblable, où figure le nom de Jean Pitart, et dont
il nous faut parler avec quelques détails.
En i3io, notie chirurgien lit creuser un puits dans la cour d'une
maison de la Cilé, sise dans la rue qui prit plus tard le nom de
rue de la Licorne. Ce puits existait encore en 1 6 1 1 , date à laquelle
«In 28 avril i3;i3, Jean XXIf lui donna une u apud Villani Looys», aujourd'hui Villuis,
dispense pour qu'il put prétendre aux dignités canton de Braysur-Seine, arrondissement de
de l'Ordre. Lus étlitions, fidèles aux manu- Provins; il concède en même temps à Robert
scrils (lu Vatican, porli'ut : Pirardi, pour: Pi- du Sartrin, moyennant un cens de 6 livres
tardi, sans fairu de remaripic (Eubel, ouvr. tournois, les marais de Gorges (canton de Ré-
cité, n° 494). riers, arrondissement de Goulances).
''' Il figure, en tète d'un groupe de six chi- ■' Arch. nat., JJG,^", n° a84. L'acte est
rurgiens, dans un élat royal de i3i3 (Lude- daté du can)p près d'Ypres; il reproduit, non
«ig, lïeliquiœ iitaituscriptorum, 1740, t. XII, pas l'acte de Charles IV visé plus haut, mais
|). 43). deux actes distincts, datés également de Vil-
"' Canton de Sainte-Mère- Eglise , arrondis- luis, février i3a7, l'un relatif au viager de
sèment de Valognes. Pitart à Picauville, l'autre relatif aux marais
'^' L'acte de donation ne nous est jws par- de Gorges. Cf. H. Berlhaut, ouvr. cité, p. 78-
venu , mais nous le coimaissons par des lettres 79, où sont publiés, peu correctement, quel-
de Charles IV dont il va être question. ques extraits des lettres de Philippe VI.
'•' Arch. nat., JJ 64, n* 36 1. L'acte est daté
SA VIE. 315
la maison fut rebâtie. Il portait l'inscription suivante, aujourd'hui
disparue :
Jeliau Pitard en ce repaire. Ce puits eu [l'an] mil trois cens dix,
Cliirurgien lo roy, fit faire Dont Dieu lui doint son paradis'".
On considère généralement cette construction de Pitart comme
une œuvre de philanthropie, destinée à combattre le danger que pré-
sentait dès lors l'usage de l'eau de Seine pour l'alimentation pu-
blique, et l'on voit dans l'inscription nïême un témoignage de la
reconnaissance de ses contemporains. L'inscription a dû être gravée
sur la margelle du puits dès l'achèvement des travaux, en 1 3 lo. Nous
sommes persuadés que Pitart l'a rédigée lui-même, ayant pleine
conscience qu'il avait fait œuvre méritoire en construisant ce modeste
édifice. Rien n'empêche de croire, mais rien ne prouve, que ses con-
temporains aient partagé ce sentiment.
Au mois de novembre i3i i, le roi Philippe IV promulgua solen-
nellement un édit qui réglementait l'exercice de la chirurgie dans
l'étendue de la ville et de la vicomte de Paris '^'. L'idée n'était pas nou-
velle, et le terrain était déjà préparé. Dès le règne de saint Louis, le
prévôt de Paris, Etienne Boileau, avait institué une commission de
six « cyrurgicns jurez examineeur[s] », chargée de dresser la liste des
chirurgiens dignes d'exercer le métier'^'. Le lundi ■>. \ août i3oi,
vingt-neuf barbiers parisiens, qui exerçaient la chirurgie, furent
convoqués personnellement, et il leur fut interdit « sus peine de corps
«et d'avoir» de continuer leur exercice avant d'avoir été examinés
par les maîtres'*'. La seule nouveauté de ledit de i3i i consiste en ce
que le chirurgien royal, maître Jean Pitart, est chargé spécialement
de présider et de convoquer, quand il y aura lieu, la commission
d'examen. Le nombre des membres de cette commission n'est pas
fixé. Le rôle de président attribué à Jean Pitart doit passer après lui
à son successeur dans ses fonctions de chirurgien royal, mesure
''' Quesnay, liecherches, p. 87, note 6. sieurs fois publié, notamment par Quesnay,
L'auteur dit que «M. delà Noue vit celle Recherches , y). ^3-]- Ho.
• inscription auprès du puits en la cour«. ''• IJvre des Métiers, titre XCVI,éd. R. de
n indique comme source le registre E, feuil- l.espinasse et Fr. Uonnardol (Paris, 1879),
letQi^ v°, des archives de l'Académie de chi- p. 208.
rurgie. f'i Quesnay, flecAccc/ieç, p. 435; R. de Les-
'*' Arch. nat. , JJ 46, n° a6, fol. ao; Y a, pinasse, Mcliers et corporations de la ville de
fol. 36; Y 13, fol. 167. Cet édit a été plu- Paris (Paris, 1897), t. III, p. 6a8.
10.
316 JEAN PITAHT.
destinée à assurer à l'avenir l'observation de ledit de 1 3 1 1 . 11 est
permis de supposer, non seulement que l'influence prise à la cour
par Pitart a provoqué la publication de cet édit solennel, mais que
sa plume n'est pas étrangère à la rédaction du préambule, où les abus
aux([ue!s donnait lieu l'exercice de la cbirurgie sont vigoureusement
stigmatisés, et où la dignité scientifique de la ville de Paris est
i^xaltée en termes magnifiques qui méritent d'être cités'*'.
Tel nous apparaît, d'après les documents authentiques, le rôle de
Jean Pitart comme chirurgien et comme gardien du bon renom des
études chirurgicales dans la capitale de la France. Si la postérité l'a
exagéré en voyant dans Pitart le « fondateur du Collège de chirurgie »,
si (les apologistes sans critique, pour rehausser l'éclat de sa biogra-
phie, en ont faussé les limites chronologiques, on ne saurait nier que
sa renommée repose sur de solides fondements. L'Kcole de chi-
rurgie de Paris, devenue Académie au xviii'' siècle, ffarda le culte de
sa mémoire et fit exécuter son portrait Cette toile nous est parvenue
et a été plusieurs fois reproduite par la gravure'^'. Il e.st difficile de
lui assigner une date précise, mais il sulfit de la considérer pour
afiirmer qu'elle ne remonte pas au delà d<>s premières années du
wii" siècle'^'. Sur le mur du péristyle de la nouvelle Ecole de chi-
rurgie'*', construction qui consacra la réputation de l'architecte Gon-
doin et qui fut inaugurée solennellement en lyyS, on avait fait
sculpter cinq médaillons en bas-relief, hommage aux plus célèbres
chirurgiens français : Jean Pitart y voisine avec Ambroise Paré,
Georges Mareschal, François de La Peyronie et Jean-Louis Petit.
Des poètes de circonstance firent entendre leur voix à cette occasion,
notamment le chirurgien Périlhe, à qui nous empruntons ces quatre
vers, où le « génie » de Pitart est révélé à la postérité :
l^aro, Pitart, La Peyronie, Des bienfaits de votre génie
Et vous, Mareschal et Petit, Vous allez recueillir le fruit '•^'.
'' 0 Ne in villa Parisiens!, quae proprie iocus •'' Description et reproduclion dans Noé
aost lluentissimi l'ontis scienliae, quse etiani hegnnd. Les collections artistiques de la Faculté
« sripiitcs parit et, in utero recipiens igno- de médecine de Paris (Varh , i()i i, in-4°) , p- 47
«ranles, tandem sua^ l'ontis sapientiiE germi- et pi. 8. La notice biographique est sans valeur.
« nosis ligalos rivulis divcrsarum facultatum **' Aujourd'hui occupt-e par la Faculté de
« rcddit scienliis insignitos, talia de cetero per- médecine,
«pelrenturn (Quesnay, Recherches . p. i^8.) '^' fiabtiol Mareschal de Bicvre, (ieorges
'• Tout d'abord, et lort librement, dans Mareschal, seigneur de liiérre (Paris, igoG),
i'ou\rage de Quesnay. p. 5i5.
SES ECRITS. 317
SES ECRITS.
Pendant longtemps Jean Pitart a passé pour n'avoir rien écrit, ou
du moins on croyait que rien de ce qu'il avait pu écrire ne nous était
parvenu: c'est ce dont nos prédécesseurs se sont naguère portés
garants'"'. Malgaigne avait cependant remarqué dans un recueil
manuscrit deux recettes médicales en français auxquelles le nom de
Pitart se trouve attaché'^'. En 1907, le D' Karl Siidhoff a découvert,
dans un manuscrit de la Bibliotiièque communale de Lunebourg, une
compilation latine intitulée : Expérimenta mac/istri Jo. Pickaert, qu'il
a publiée sous le nom de notre chirurgien '^^ Nous allons d'abord
discuter le bien fondé de cette attribution; nous parlerons ensuite
d'une poésie française intitulée : Le Dit de biijamie, où le nom de
l'auteur, donné en acrostiche, se lit : Jehan Pitart.
I. — Recueil de recettes médicales.
Le D'SudhofT considère le texte latin du manuscrit de Lunebourg,
sinon comme le texte original, du moins comme celui qui s'en rap-
proche le plus. Il suppose qu'il en a été fait anciennement une tra-
duction française, aujourd'hui perdue, mais dont deux manuscrits
nous ont transmis des rédactions plus ou moins développées, à savoir
le ms. franc. i^SaS de la Bibliothèque nationale et le ms. 1 de l'Ecole
supérieure de pharmacie de Paris, et dont quelques autres nous
offrent des extraits fragmentaires, notamment les mss. franc. 2001 et
2o46 de la Bibliothèque nationale et le ms. 1087 de la Bibliothèque
Sainte-Geneviève'*'. Nous ne saurions partager cette manière de voir.
'"' Histoire littéraire , l. XVI, p. 96; t. XXIV, ihèqtie de Turin et qu'un autre manuscrit de
p. 471 ; t. XXVIIl, p. 3'j6. celte même bibliotlii'que, coté M. IV. i 1 , con-
'*' Œuvres d'Anibroise Pare', t. I, p. L, tenait un abrégé de celte rédaction. Ces deux
d'après le ms. Bibl. iiat., fr. 2001 (alors coté manuscrits ont péri dans l'incendie du a5-
7917)- ' a6 janvier 1904. Le professeur Jules Camus en
*'' Ein chiriirgisches Manunl des Jean Pilard, avait pris copie et, dès iSgS, il promettait de
Leipzig, [1908], tirage à part de VArchiv fur donner, avec le concours d'Amédée Salmon ,
Geschichte der Medizin. une édition du Recueil en question , qui n'a
'*' II ignore que la rédaction française se malheureusement pas paru ; voir Revue des
trouvait aussi dans le ms. L. V. 17 de la Biblio- /niijaesromnnes, Montpellier, iSgS.t.XXXVItl,
318 JEAN PITART.
La comparaison du texte latin avec le texte français prouve clairement
que le premier a été fait sur le second. Le traducteur n'a pas toujours
pris la peine de mettre en latin le texte français qu'il avait sous les
yeux; il l'a parfois reproduit tel quel, avec plus ou moins d'exacti-
tude. Tel est le cas qui se présente dès la première recette, où on lit:
(I mittatis supra unam tabulam quœ sit uncta ex olio olivœ, et soit la
« toille hene forte de iina parte'-^'», ce qui correspond au texte français :
« puis la mettes sur une table qui soit ointe d'uile d'olive et soit bien
<( frotee d'une part » *^'.
Cetle première recette est ainsi enregistrée dans la table des cha-
pitres qui ouvre le recueil de Lunebourg : » Utilinm magistri Johannis
« Piccardi contra omnes plagas tybiarum et aliorum membrorum '^'. »
Que signifie le premier mot du texte latin ? Les textes français flottent
entre : (Yest /Vs^of r<? <''' , C'est la taille^^\ C'est la tahle^^^ et C'est la toile
maislre Jehan Pitart contre toutes hleceures de jambes et d'autres lieus^^K
La bonne leçon est toile, terme de l'art conservé presque jusqu'à nos
jours comme synonyme de « sparadrap " '^' : le traducteur n'a pas bien
lu ou n'a pas bien compris ce terme, qu'il aurait dû rendre simple-
ment par tela, et il a forgé, au petit bonheur, le pseudo-latin utilium,
auquel il semble attribuer le sens de « recette utile ».
Plus loin, il est question d'un « unguentum quod vocaturin lingua
« gallica rtuter/»'^'. L'énigmatique auccct cache l'ancien mot français
antrect, pour entrait, nom générique signifiant «emplâtre», que le
traducteur a pris pour le nom d'un « unguentum » spécial. Il commet
des erreurs autrement graves. On lit la phrase suivante dans le texte
français : «Se il y avoit boue, vous le savriés au flairier au nés : sy
p. 4i- Il faudra aussi Icnir compte d'nn ma- ''' Bibl. de l'Ecole do pharmacie, ms. n° i,
nuscrit du Musée britannique, Sloane 3 126, ihid. , p. 211.
dont des extraits se trouvent dans les papiers de ''' Bihl. nal., fr. laSaS, ihid., p. a03 et
Paul Meyer. Notons enfin qu'une recette latine 211.
contre la goutte lex parle magistri J. Pitart ■ ''' La loile Jehan Pitml n'a pas eu, il faut
a été transcrite deux fois sur les derniers l'avouer, le même succès que la toile Gnutiei;
feuillets de garde du ms. 120 d'Avranches, piobahlement ainsi nommée on souvenir ilu
qui a appartenu à un médecin des derniers Ca- médecin auquel ÏHistoire littéraire a consacré
pétiens directs, Jean llellequin. un article, t. \X1 , p. 4i i4i5. et menticonée
''' Sudhofi", p. 211. par la plupart des pharmac()j)ées; voir notam-
(') Ibid. , p. li:t. ment Charas, PAarmncopee royn/e ( Paris, 1 67(1),
''' Ihid., p. io5-iqo. p. 569, et Littré et Robin, Dicl. de Médecine,
''' Bibl. nat.,rr. 2001, dansSudhoff, p. 191 au mot toile.
<'' Bibl. nat., fr. 2o46, ihid., p. 196. '"' Sudhoff, p. 222.
SES ECRITS. 319
« puoit, il y averoit boue^^\ » C'est clair. Pourtant, voyez le galimatias
qu'il en a tiré : « Si scire volueris si sit boniim vel ne , quia si bonum sit,
«vos senti[reti]s fetorem ad nasum'^'. » Evidemment, le traducteur, ne
comprenant pas le substantif français boue, employé au sens de « pus »,
l'a pris pour l'adjectif féminin bone, « bonne ».
Il serait fastidieux de poursuivre la comparaison des deux textes'^\
Mais si le traducteur sait très mal le français, il est assez familier
avec l'italien et l'espagnol. Il écrit 5cor/,'a pour « écor ce «^'*\fortcze Ha
pour « estomac »'^', et il appelle le son nmula, ce qui ne se comprend
que de la part d'un Italien du Nord'*''. Des termes comme campaiulla
pour la luette'"'', durasne ipouv le pécher'^', barrus pour la berle'^', gar-
baiizos pour les pois chiches''"', viennent certainement de l'Espagne;
d'ailleurs, l'auteur nous dit formellement qu'en espagnol les dartres
s'appellent empendes^^^' et les rousses ou gardons vermeroeles'^-'': On
peut donc hardiment affirmer que le texte latin de Lunebourg n'émane
directement ni de Jean Pitart ni même de l'école niédicale ou chirur-
gicale de Paris.
En fin décompte, il faut s'appuyer uniquement sur le texte des
manuscrits français, lesquels ne connaissent pas ces interpolations exo-
tiques, pour déterminer l'origine du Fiecueil. Malgré leurs divergences
de détail, ces textes s'accordent entre eux et avec le texte latin pour
attribuer à Charles, comte de Valois, père du roi de France Phi-
lippe VI, l'initiative de la rédaction. Voici ce qu'on Ht dans le ma-
nuscrit de l'Ecole de pharmacie""'':
Monseigneur Charles, conte de Valois, d'Alençon""* et de Chartres et d'Anjou,
list l'aire ce livre, qui est bon et profitable pour garir touttes manier[e]s de plaies
'"' SudliolT, p. aia, imprime ainsi le texte ''' Ibid.,p. aoi.
français : «Et sce il y avoit voe vous le sarieres '*' Ibid., p. 25i; cf. l'espagnol duraznn.
«.lUX (lairier aux nés sy puoit il y averoit '' Ihid., p, 355 ; cf. l'espgnol herro.
voe.» ''" Vfcif/., p. 269. Le manuscrit porte, parail-
'*' Sudhoff, p. 3 13. \\, aorbanzos.
''' Notons cependant que le traducteur a • ' Ibid. , \i. 346. Au lieu de /injua co»e/i(;i(/,
confondu le nom de la plante dite aiirone avec il faut lire lingaa castetana; l'espagnol moderne
le mot coaronne et l'a rendu par corona dit empeine.
(Sudhoff, p. 226) ; qu'il a pris on petit chien '"' Ibid., p. 248. H faut lire vermejoeles ;
(anc. franc, chael) pour un pourceau [ibid., l'espagnol moderne dit 6ermcyoe/a.
p. a48K etc. '"' Je suis le manuscrit et non le texte du
''' Sudhoff, p. 339 et 253. D'Sudhoff(p. 306-207), qui a commis quel-
'*' Ibid., p. 257; cf. l'anc. franc, yôurce/c ques menues faute» de lecture.
'°' Ibid., p. 337; cf. l'ilal. dialectal remola. . ''*' Ms. : dekncon. . .
320 JEAN PITART.
vieles et novelles et pour aucune[s] aultre[s] malaidies aussi. Et saichent certaine-
ment tous ceulx qui le verront que, se le oignement [sic) et \os chosses qui sont ou
dit livre sont'" bien fait [sic) a leur droit, et l'on en use si comme l'on doit, que
les trouvères merveilleu[se]ment profitables, car elle[s] sont bien esprovee[s] par
ledit conte de Valois et par maistre[s] de cyrologie [sic] des meilleurs en leur temps
qui en ont ouvrés {sic) en moût de grant [sic) maladies, et par especial ung moût
bon maistre que l'on nonmoit maistre Jehan Le Picart {sic), en ce temps le meilleur
qui fut (51c), et estoit cirugien du roy de France.
Le manuscrit de la Bibliothèque Sainte-Geneviève associe le nom
de Mondeville à celui de Pitart :
Ensievent les reclieites de cirurgio que Mons' Charles de Valois fist faire et
acomplir. . . par maistre Jehan Picart {sic) et maistre Jehan (51c) de Mondeville,
cirurgien[s] du roy pour le camp [corricicr : temps] de Phelipe le Bel, lors roy de
France, et qui furent le[s] plus soulTisans en l'art de cyrurgie qui aient demouré
en France, en l'estude de Paris, dont il soit mémoire '2'.
Dans le corps même du Recueil, le ms. 1281 3 de la Bibliothèque
nationale attribue nominativement à notre auteur les recettes u" 1 [la
toile maistre Jehan Pitart) et n» 6 [l'emplastre maistre Jehan Pilart).
Nous conclurons sans hésiter que le Recueil n'est pas l'œuvre de Jean
Pitart, mais celle d'un compilateur postérieur. Ce compilateur savait,
soit pour l'avoir lu dans les écrits de Mondeville, soit par des rensei-
gnements personnels, que le comte de Valois avait été le protecteur de
Pitart : peut-être ne s'est-il servi de ces deux noms que pour donner
du crédit à son Recueil. Tant que nous ne posséderons pas d'édition
critique, il sera prudent de réserver la réponse qu'il convient de faire
à ces deux questions : à quelle époque vivait l'auteur du « Livre mon-
" seigneur Charles de Valois » .^ Quelle confiance mérite la tradition
d'après laquelle le père de Philippe VI en aurait provoqué la
rédaction .3 En tous cas, il paraît certain que ce «livre» émane de
l'école de Paris; le téuioignage de celui qui l'a compilé est à retenir,
et il constitue une nouvelle preuve de l'autorité que maître Jean
Pilart s'était acquise dans cette école, sinon comme auteur, du moins
comme praticien. On sait que sa méthode pour le traitement des
plaies, méthode expliquée et suivie par Mondeville, souleva une vive
''' Ms. : lim-e el sont, — ''' Sudhoff, [). 197.
SES ÉCRITS. 321
opposition parmi les chirurgiens et les médecins français de son
temps'''. De bons juges l'estiment préférable à celle de ses concur-
rents 1^'. Nous nous en rapportons à eux, et il faut croire que le senti-
ment public se montra favorable à cette méthode, puisque notre com-
pilateur anonyme a placé son Recueil sous le patronage de Pitart et
de son prolecteur, le comte de Valois.
II. — Le Dit de bigamie.
Le manuscrit CXXX. e. 5 de la Bibliothèque de l'Université de
Pavie nous a conservé un « dit » français de i58 vers octosyllabiques,
à rimes plates, intitulé : Le Dit de bigamie. On n'en connaît pas
d'autre copie, et personne ne l'avait signalé avant 1870, date de l'édi-
tion qu'en a donnée le professeur Adolf Mussafia'^'. L'auteur, plaidant
sa propre cause, prend la défense du clerc « bigame % c'est-à-dire de
celui qui, devenu veuf, a contracté un second mariage. 11 proteste
contre l'opinion courante, (|ui tient le « bigame » non seulement pour
malheureux, mais pour coupable.
Car il en pert qui passe avoir,
C'est priviliege de comonne (v. 10-11).
' Le mariage, dit-il, a été institué par Dieu lui-même et c'est une
manière de couronne qui vaut bien la couronne cléricale :
EtDiex, qui toute rienz nature, Nature, par quoi les coupla,
Adan à Eve maria. Et dit, en faisant dVuls couple, a
Et aussi tost que mari a Qu'il pensent de niouteploier.
A li doujié, ceste parole Obéir doit moult et ploier
Leur dist, si com la loy parole Chascun à si noble commant (v. 20-29).
L'auteur insiste sur la légitimité du mariage, dont il oppose la sage
pratique aux austérités des différents Ordres religieux fondéspar des
'') Voir Histoire littéraire, t. XXVlII.p. 336, tle Mondeville (Paris, 189.S), p. xvi-xix.
337, 338. '' 5irzan7sfcerieAfe de l'Académie de Vienne,
<'' Voir notamment ce que dit sur ce sujet se. hist. et philol. , janv. mars 1870, t. LXI\',
le D' E. Nicaise, CAiVurji'e de maître Henri p. 585 et suiv.
HIST. LlilEH. — \xxv.
4i
322 JEAN PITAUT.
saints qui oui voulu aller au delà des obligations de la loi naturelle et
de la loi divine :
Et miex me vaut l>l<iamus e.stre Mais s[ains] Bernait et s[ains] François
Qu'antrer en reiegiens estre E[t] s[ains] Dominiques, françois,
Et puis m'en repante demain, Les ont, qui selonc leur voloir.
Conques Jésus (Irist le demain Por la \olanté Dieu vouloir.
Des moinnes m- leur cstablie Eslunnt l'ordre que maintiennent
N'establi par loi establie (\ . •yi-yô). .. (iil qu'orendroit en leur main tiennent
Car Jacobins n'autre[s] couvens l^el monde la greigneur partie (v. 89-97).
Ne Hst Diex , je \ ous ai couvens ;
Pour lui, il a pris sou parti depuis longtemps : il estime que if
mariage est l'état dans lequel il peut le mieux faire son salut. Pour-
quoi vilipender celui qui convole de nouveau en justes noces, puisque
« le droit escript « et « les lois Dieu » l'autorisent à agir ainsi ?
S'aucuns prenoit famés ja dis,
Si com aucun firent jadis
Deux ou trois, de rien ne mesfait (v. 83-85).
11 s'est marié une seconde fois; il le proclame, et il estime qu'il a
agi sagement :
Si di, qui cpie m'en blasme ou prise, Le nieillieur, je vous asseûr,
Qu'an moi mariant n'ai niespris Des estaz, pour vivre asseûr
A la seconde fois, mes pris Senz faire pechié et folie (v. 108-1 i3)J
Les vers i'i/i-i',^-i contiennent la déclaration suivante :
Tant di je bien , et mon non dure Puet trouver tout apertement
Dusques ici , qui fis ce conte — Ou escripture aperte ment '*' —
Qui de bigamie vous conte. En onze verz desus escriz.
Et mon seurnom tout h délivre*'). Dont 1 est li premierz escriz.
Gii qui counnoist leistre de livre
Guidé par le poète lui-même, le professeur Mussafia est remonté
au vers 1 1 4, qui commence effectivement par la lettre 1 (ou J) , et il a
''' MosMÛa ne met aucune ponctuation après les vers 1 ag-iSo sans aucun signe de ponctua-
ce vers. lion. Sa leçon prouve qu'il n'a pas compris le
W Mussafia marque le mot on d'un accent texte qu'il éditait, ce qui n'est pas surprenant,
grave , le prenant pour l'adverbe , et il imprime étant donné le style pénible de l'auteur.
SES ÉCRITS. 32.H
lu en acrostiche le nom et le surnom annoncés, à savoir: jehan pitart.
Mais il s'en est tenu là, ce qui prouve que la notoriété de notre chirur-
gien n'étail pas parvenue juscju'à lui'''.
Le lecteur a pu se convaincre, par les extraits que nous avons
cités, que l'auteur du Dit de bigamie n'a rien d'un vrai poète. Comme
il a été dit plus haut, le chirurgien Pitart peut être soupçonné d'avoir
rimé les quatre vers inscrits sur la margelle du puits qu'il avait fait
creuser dans la cour de sa maison de la Cité, et où son nom est soi-
gneusement mis en évidence. Le même souci d'attirer l'attention sur
la personne de l'auteur se foit jour, plus naivemenf encore, dans le
Dit (le higamie. Celui qui l'a composé, hien qu'il se soit astreint au
rude exercice delà rime équivoquée, n'arrive pas à prendre le Ion
d'un poète d'inspiration ou de profession. C'est un homme de sens
pratique, qui cultive son « moi ••, que rien ne décidera à sacrifier les
droits de la nature aux exigences d'un ascétisme imprudent. Nous
sommes portés à admettre que l'auteur du Dit de bigamie ne fait qu'un
avec le chirurgien des derniers Capétiens directs, mais ce n'est là,
bien entendu, qu'une hypothèse^'.
Nous ne croyons pas que les bibliothèques recèlent d'autre œuvn'
qui se réclame du nom de notre personnage, soit dans le domaine de
la médecine ou de la chirurgie, soit dans celui de la poésie. 11 n'y a
qu'à louer maître Jean Pitart de la discrétion avec laquelle il a cultivé
la muse française. Mais quand on songe à la haute situation qu'il a
occupée de son vivant comme chirurgien et aux hommages qui lui
ont été rendus après sa mort, on lui en veut un peu de n'avoir pas
trouvé le temps de rédiger un traité de chirurgie, ainsi que l'a
lait son élève Henri de Mondeville, «ad utilitatem communem,
« quae praeponenda est utilitati singulari ..(^'. Disons plus. On comprend
et on n'est pas loin d'approuver la boutade échappée sur son compte
à un des grands chirurgiens du xi\' siècle : « Pitard est une de ces
'■' Paul Meyer a, le premier, supposé i|.ie I auleur de notre Dit. Un valet de chambre d.'
le poète pouvaii être notre personnaf,'e (fto- Philippe le Bel portait le n.ême nom : Johmnef
'"""'"• '872 , t. I, p. 347). Pitardi. valletus ,e<jU (Compte de la Toussaint
Un t Jehan Pitart, drapier» figure, en i ').()9, Bibl. nat , rran( . io365, p. i).
i3oo, dans les livres de la taille de Paris ') Pagel, Die Chirur,,ie des Heinrich von
(Arch. nat., KK a83, loi. a^o v°); mais on Mondeville, p. lo.
ne peut songer sérieusement à voir on lui
324 GEFROI DES NES, OU DE PARIS.
« renommées fantastiques qui, comme ces héros de la cour de Char-
«lemagne, tiennent bien plus de place dans la fable que dans
« l'histoire'''. »
A. T.
GEFROI DES NES, OL DE PARIS,
TRADUCTEUR ET PUBLICISTE.
I
Un certain Gefroi des Nés a traduit en vers français (556o vers)
une longue Vie de saint Magloire, avec ses Miracles. Il était, comme il
le déclare lui-même à la fin de cet ouvrage , « nez de Paris » ; et il écri-
vait «a la requeste et l'instance de l'abbé de Saint-Magloire » , qui
venait de faire exécuter une chasse nouvelle et magnifique, en argent
doré, pour les reliques du saint, sous Philippe le Long, en iSiq;
il ajoute qu'il « livra » son ouvrage (car c'était une commande) « droit
« le premier jour de novembre », cette année-là<^'.
Il existe une autre traduction , en prose, de la Vie de saint Magloire,
qui fut achevée le 28 novembre i3i5 '^K Elle a été faite aussi d'après
le manuscrit de la légende laline du saint qui était alors à l'abbaye
de Saint-Magloire de Paris. H y a beaucoup d'apparence que cette
première traduction , en prose, est du même auteur que la traduction ,
postérieure de quatre ans, en vers; car elle est soigneusement datée,
''' Malgaigne. Œuvres complètes d'Ambioise l'histoire de Paris, t. XIX). — Voir aussi A. de
Pare (Paris, i84o), t. I", p. xi.ix. La Borderie, Miracles de saint Magloire
''' Historiens de la France, t. XXII, p. 170, (Rennes, 1891 ), p. a47, 2.57; douw cents vers
col. a (d'après le manuscrit n° 5i3a de l'Ar- environ de l'ouvrage de Gefroi, sur les 5f>6o
senal). CC. P. Meyor, dans les Notices et qu'il comporte, ont été imprimés dans cet
extraits des manuscrits , t. XXXVF , a* p. (1 90 1 ) , opuscule.
]>. 445; el L. Auvrav, Documents parisiens tirés ''* Bibl. nat., lat i3o58, fol. ag-SS (cf. A.
lie la Bibliothèque du Vatican (Paris, 189a), de La Borderie, 0. c, p. 121).
p. 2 5 (Extrait des Mémoires de la Société de
SES ECRITS. 325
comme tous les travaux hagiographiques de Gefroi des Nés ''^, et
Gefroi, à la fin de sa traduction en vers, qualifie cette seconde mou-
ture de M livre neuf».
D'autre part, un légendier a conservé la traduction en prose
française d'une Vie de saint Teliau (appelé «Telian»), évêque de
Llandaif au pays de Galles, h'exphcit déclare que la vie de ce saint
exotique fut « translatée de latin en français », par « mestre Guillaume
« des Nés, l'an mil CGC et XXV, le jour de saint Michel archange ». —
Il est très vraisemblable que, dans ce texte, Guillaume est pour Gefroi.
Le manuscrit unique dérive sans doute d'un autre où le nom de
l'auteur était indiqué par l'initiale G.; le développement de l'abré-
viation en « Guillaume » doit être le fait d'un copiste qui ne connaissait
pas Gefroi, l'amateur de Vies de saints*^'.
Cela est d'autant plus probable que Gefroi des Nés, cette fois correc-
tement dénommé ainsi, a signé de la même manière une autre Vie
en prose, celle de saint Guillaume d'Aquitaine, « translatée de latin en
« françois par maistre Gefifroi des Nés, en l'an de grâce uni CGC
et XXVI, le VII" jour de janvier »'^'.
De ces quatre opuscules, le premier est sans contredit le plus inté-
ressant, parce qu'il contient le récit original, en quatre cents vers
environ, de la translation des reliques de saint Magloire, qui eut lieu
en cérémonie, à Paris, le 7 juillet i3i8. C'est avec raison que l'on a
fait figurer ce morceau au tome XXII du Recueil des historiens de la
France, car il a tous les caractères d'une chronique locale. Ayant tra-
vaillé pour le compte ou tout au moins à la demanda des dignitaires
qui « seignorioient » alors à l'abbaye de Saint-Magloire, l'auteur prend
soin de les énumérer, par leur nom, depuis l'abbé Gobert de l'rail-
licourt et le prieur Baudouin des Chans jusqu'aux prieurs ruraux de
Sainte-Croix, de Versailles, de Chalifert, de Chaumont, de Saint-
Mandé et de Montfort. — Le récit prend fin (comme tous les autres
'"' Voici ïexplicit de la Vie en prose, dans mots «de Paris • à la fin de la troisième de ces
le manuscrit unique : • Ci fine la Vie saint lignes.
Magloire translatée du latin en françois et ''' P. Meyer, /. c, p. 446. — L'abbaye de
escrite en cest livre ... et fine i'an de grâce Saint-Magioire se faisait honneur de conserver
M CGC XV, le vendredi devant la Saint André. • les reliques d'un grand nombre de saints
Les points remplacent ici trois lignes qui ont bretons.
été grattées et poncées avec tant de soin que ''' Bibl. nat. , fr. aio3; Arsenal, n" 5a a5;
nous n'en avons pu presque rien faire revivre. Tours, n° io3i. Le ms. de Tours, du xvi" siè
Peut-être cependant est-il possible de lire les cle, porte CCCXVl au lieu de CCCXXVI.
.'^26 (ÎKFROl DKS NKS, OU DE PXRIS.
chapitres de la Vie) par un morceau de vingt-huit vers à rimes
équivoques :
Inc. : Gloire nous Joint qui tout forma.
C'i'stDipx, (jui d'onic u cid fornu' a.. .
où Gefroi a cru devoir déployer, suivant la mode du temps, une vir-
tuosité déplorable.
La famille des Nés [de Navibus) était hien connue à Paris dès le
milieu fin xiii' siècle''*. Par le « Livre de la taille de Paris en 1292 ",
on voit qu'habitaient alors, rue des Poulies, 0 Ysabiau des Nés et ses
«enfanz»*^'; dans la rue Tybaut aus dez, «Henri des Nés et Jehan,
«son frère »''^'; enfin, dans une ruelle qui donnait en la rue Berlin
Poirée, «Adam, le clerc Henri des Nés»''*'. — Les rôles des années
suivantes font voir, à la même place, les susdits Henri et Jehan*''*.
Mais Ysabiau a disparu, et «dame Jehanne des Nés et sa fdlen sont
inscrites, en revanche, parmi les contribuables qui habitent entre la
maison de Jehan de Ferrières «devant Saint Jehan en Grève jusques
a Saint Gervès»*^'. Cette Jehanne des Nés, qui, comme nous l'avons
fait voir, joue un rôle dans le Tornoiement as dames de Pans de
Pierre Genclen'^', était encore là en 1 Son'**'. — Nul doule que Gefroi
n'appartînt à cette famille considérable, toujours lourdement im-
posée. S'il n'est pas indiqué lui-même dans les livres de la taille de
1292 à i3i3'^', c'est, sans doute, qu'il était alors clerc sans pro-
fession, c'est-à-dire non marchand, ou qu'il n'était pas chef de
ménage.
'' (Ihaiie du 27 juillet laSi, où paraissent dans les Mémoires de la Société de titisloire île
Roger et Peronnole des Nés, dans les Mémoires Paris, t. XVIII, p. t3/»), n'existnit plus en
de la Société de l'histoire de Paris, t. XVIII i3o8 [ibid., p. a 18). — Jehan est encoif
(1891), p. i5<j. Cf. le Censier du Temple en inscrit en i3i3 (J.-A. Buchon, Chronique mé-
1253 (Arrh. nat., MM 128), où sont nommés trique de Godefroy de Paris. Livre de la taille
« Rogier des Nés» (fol. 8a), tles anfans feu de Paris en 1313. Paris. 1827, p. ii5).
. (iui des Nés . ( fol. 85 V* ). ''I Ibid. .fol. 21 v*.
'*' Le Livre de la taille de Paris en 1292 '* Plus haut, p. 390.
(éd. Geraud), p. i3«. *'' KK 283, foi. 37^.
t'* Ibid., p. tj b. ''• Un .Giefroi aus Nés» habitait en 1293
'*' Ibid , p. 6a a. dans la paroisse de Saint-Nicolas-des-Chanips
'' Arrh. nat., KK a83, fol. •.', y" (1296), hors les murs {Le Livre de la taille.. ., éd. dé-
38 v" (1297). — Henri, qui possédait à Belle- raud, p. 6a n); mai» il n'est pas certain qu'il
ville un clos de vignes dit «le clous Henri fût de la grande famille de» .Né», établie dans
«des Nés» [Censier de Saint-Meiry de Paris, un autre quartier.
SES ECRITS. 327
L'abbaye de Saint-Magloire était en ce temps-là un centre litté-
raire. La Clironique en vers octosyllabiques, dite de Saint-Magloire,
tire son nom de ce que l'un des deux exemplaires connus de ce texte
se trouve encarté dans le Petit* Cartulaire de l'abbaye (Arcb. nat. ,
LL 39). Cette Chronique va jusqu'en 1296, et il en existe une conti-
nuation jusqu'en i3o4'' • Mais personne n'a jamais proposé de recon-
naître dans cet ouvrage la main de ce Gefroi des Nés qui, environ
vingt ans plus tard, rima sur le même rythme en l'honneur de saint
Magloire, à la requête de l'abbé Gobert.
La question s'est élevée, en revanche, de savoir s'il faut identifier
Gefroi des Nés, le traducteur de Vies des saints, avec «Gefroi de
« Paris » , auteur de la même époque, dont certains écrits sont, depuis
longtemps, bien connus, quoique sa personnalité soit restée énigma-
tique'"^^ — Comme ce « Gefroi de Paris » n'a pas encore eu dans
ÏHistuire Uuéraire la notice à laquelle il a droit'"*', c'est ici le lieu d'exa-
miner les problèmes qui se posent en ce qui le concerne, et son
œuvre.
II
Le célèbre manuscrit français 1^6 de la Bibliothèque nationale'*'
contient six pièces en vers français et deux en vers latins que l'an-
cienne table des matières, placée au commencement du volume,
attribue à « Mestre Geffroi de Paris ». La première de ces huit compo-
sitions est, d'ailleurs, signée à la fin, en ces termes :
Roys, mon dite ci te defin. Se riens y,a outre mesure
Cil qui le fist si est ton homme; Ou pou sal[é], a cui la cure
Geffroy pf, Paris l'en le nomme. De mesurer c'ert '*' et saler P
Pour ce le fist , car il voudroil Je n'en quier a nul autre aler
Ton honneur garder et ton droit. Mes qu'a toy. . .
"' Histoire litléraire, t. XXV, p. ai4-3-i4. Noticei et extraits des manascrils, t. XXXIX,
Cl. Historiens de la France, t. XXII, p. 81-87. '" P- ('909)' P- ^^7-
'"' Historiens de la France, ibid. , p. 87. *'• Ce manuscrit, dont il a déjà été question
^' Un autre Gefroi ou Geufroi de Paris, qui dans l'Histoire littéraire (t. XXXII, p. i48 et
vivait pendant la première moitié du règne de suiv. ) , a été depuis reproduit photographique-
Louis IX, et dont il existe une «Bible» rimée ment en partie (P. Aubry, Le Roman de Faavel.
«des Sept Etats du mondei, n'a pas obtenu Paris, 1907); cf. A. Lângfors, Le Roman de
non plus de notice dans l'//is<oire/i<(erai/e; mais Faavel , par Gervais da Rus (Paris, 1914-1919],
son tour est passé et, du reste, l'omission a p. i35.
été très bien réparée par P. Meyer dans les ''' Ms. : sert. Cf. ci-dessous, p. ^ii, note 6.
328 GEFROI DES NËS, OU DE PARIS.
La quatrième l'est au début :
Natus ego G. DE Parisio, Gui filius est unigenitus,
Régis hujus cum adjutorio Qtiid de papa Johanne sentio. . .
Et la cinquième dans le texte :
Il n'a mie .v. moys entiers
Que je, (i., tel songe songoie.. . .
Voici le détail de ces huit pièces, dans l'ordre où le manuscrit les
présente.
l. Fol. /i6. Avisemens pour le roy Loys. — Inc. : « Mau vit, ce
dit on, qui n'amende. ' — Des dits ont été composés récemment
pour aviser le roi de «bien paier», de « regnier sans escorchement »
et de «largement vivre». Fort bien; mais il aurait fallu parler aussi
de « gouverner sagement ». L'auteur ou les auteurs de ces dits (que
nous regrettons aujourd'iuii de n'avoir plus), quémandeurs des
princes, ont, en outre, traité de «Sainte Eglise» on mauvais termes.
Gefroi s'élève et polémique très longuement contre ceux qui ont
désenflé leur cœur du venin qu'ils avaient contre les clercs, diffamant
ainsi leur propre état (et plus loin : conchiant, pour ainsi dire, leur
nid). L'Eglise est invincible, et qui la veut «deshériter» sera puni.
O roi, c'est l'exemple de tes prédécesseurs, protecteurs de l'Eglise,
qu'il faut suivre : Constantin , Dagobert, Charlemagne, saint Louis. . .
L'éloge de ces bons princes s'achève par un jugement sévère sur le
compte de Philippe le Bel :
.Se l'Eglise eust empès tenu, Par Sainte Eglise cela vint
Tant de maus ne fussent venu Qui pour lui de cuer ne prioit . . .
En son temps, com il [en] avint.
Roi, ne crois pas ceux qui disent que, si ton royaume est « essillié »,
c'est M par conseil de clergie». Il est vrai qu'il y a de mauvais clercs,
placés à la cour par leurs * amis charneus », qui sont « de leur lignage ».
Mais choisis, comme conseillers, de sages clercs, comme Turpin et
Gui d'Auxerre; et tout ira bien. Les meilleurs chevaliers, du reste,
sont ceux qui ont, » en soi », quelque clergie, comme le duc Naimes.
Que la chevalerie divorce d'avec la clergie, et la chevalerie clle-mênie
SES ECRITS. 329
n(; tardera pas à disparaître de France à son tour, comme il arriva,
jadis, à Athènes. Fie-toi aux gens expérimentés, et non aux «jeunes
jolis cointes»; garde-toi des flatteurs et des hommes avides ou inté-
ressés; sache mettre les gens à leur plact;; reprends ce qui t'a été
volé. Pour finir, vive apologie de la «Science», vraie racine de la
noblesse, et du Juste Milieu, que les clercs sont qualifiés pour observei-
mieux que personne.
Louis le Hutin n'était pas encore couronné lorsque cette pièce fut
écrite; elle l'a donc été à la lin de i3i4 ou au commencemenl
de i3i 5.
II. Fol. 5o. Du roy Plielipe qui ores recjne. — Inc. : « Li temps est
couru et passez. » — Conseils à Philippe le Long, de novembre i3i6.
Divagations, absurdes et banales, au sujet de fétymologie du nom
de ce prince [os lampadis)'^^K Cette pièce, beaucoup moins longue que
la précédente, est de la même inspiration.
m. Fol. 5o v°. De Alliatis. — Strophes en latin, de huit vers déca-
syllabes sur deux rimes. Inc.: Hora, rex, est de sumpno surgere. —
L'auteur exhorte le roi à combattre les ligues provinciales, formées
à la fin du règne de Philippe le Bel, et qui subsistent encore :
Licitum l'st vi vim repellere;
Igilur, l'cx , pugna pro patria.
IV. Vol. 5i. De la création du pape Jehan. — Strophes, en latin,
de douze vers décasyllabes sur deux rimes. L'incipit a été cité plus
haut. — Chant de joyeux avènement, avec des considérations sur
fétymologie du nom de Jean, contemporain du fait dont il s'agit
(août-septembre i3i6)'^'.
V. Fol. Sa. Un songe. — Inc. : «e Amis, .ses tu nules nouveles. » —
Tout va sens dessus dessous; les sujets font des conspirations pour
être maîtres :
Chascun weut estrc le greigneur
Et contrester a son soigneur.
''' Voir, à ce sujet, Romania. l. I" ( 1872), scrits français île la Dibliotlièque nationale (t. I",
p. 36o et suiv. P- ' ' ) déclare que cette pièce , signalée dans 1 an-
''' C'est par erreui- que le Catalogue des monu- ciennc table du manuscrit , n'y est pas en réalité.
HIST. LITTÉR. — XXXV. ^3
330 GEFKOI DES NÉS, OU DE PARIS.
L'auteur a eu un songe; il hésite à le raconter, car il n'est pas de
nature à plaire à tous, et peut-être la prudence lui commanderaif-elle
de se taire. Il se décide pourtant. Il a vu en songe quatre rois : un
roi d'échecs, un roi de la paume, un roi de la lève et un roi des
coqs. C'étaient les quatre derniers rois : Philippe le Bel, Louis X,
Jean I", Phihppe le Long. Critique très rude du premier. Éloge du
dernier, le roi régnant, dont l'attachement conjugal est particuliè-
rement vanté, non sans quelque ironie; allusion à la politique si
nouvelle de ce prince en matière de récupérations domaniales''' :
Trop du règne en a l'en desjoint Ri«ns n'a, sus sa gent se recouvre.
Que l'en a a gens autres joint . . . Quant puis que li faillent ses rentes ,
Le roy plus povre de l.i vient. Sus sa genl prent et los et ventes.
Taillier le royaume convient. Pour ce, Plielippe, si te moines
De la viennent toustes et tailles Qu'aies tes fiez et tes demoines;
Quand le roy chevaurhe en batailles; Et de ton meuble soies larges.
Et quant au Temple ne au Louvre S'aras esciis, lances et targes. . .
VI. Fol. 53. Des AUirs. — Inc. : " Tout auxi com par la lumée. "
— Invectives contre les « Alliés», c'est-à-dire contre les ligues provin-
ciales (cf. n" III), qui se sont rebellées contre la «couronne sacrée»
de France. Exhortations au roi (Philippe le Long), sur la conduite à
tenir à leur égard. Cette pièce, publiée en partie par P. Paris, dans
ï Annuaire Instoriijiie de la Société de l'histoire de France pour iSSy, plus
vivement et plus agréablement écrite que les autres, parait être,
jusqu'ici, le chef-d'œuvre de l'auteur.
VIL Fol. 54. De la comète et de l'eclipse, et de la lune et du soulail. —
Inc. : » Chascun me demande nouvelles. » — Il s'agit de la comète et
des éclipses qui turent observées lors de la mort de Philippe le Bel
et de Louis le Hutin, et du tremblement de terre de septembre 1 3 16.
Pièce écrite après la naissance de Jean, fds de Louis le Hutin (16 no-
vembre i3i6) et avant que la nouvelle de sa mort, trois jours après,
fiit parvenue à l'auteur.
VIII. Fol. 55. La despuloison de ilùjlise de Homme et de l'Eglise de
France pour le siège du Pape. — Vingt-cinq huitains de décasyllabes
<■' Cf. Sottces et extraits des inanusciits, I. M. (1917 i, |>. 7a et *"»>
SES ECRITS. 3:^1
sur deux rimes. Inc. : « A droit me plaings qui suis Rome nommée. »
— Dialogue entre Rome et la France au sujet de la résidence du
pape en deçà ou au delà des monts. Les interlocuteurs échangent des
propos tels que ceux-ci :
France. Ne l'as-tu pas assez delà tenu?
Lesse le nous par devers nous remaindre
Pour conforter nostre peuple menu.
Rome. . . . Mes i'ai servi et amé d'amour monde.
France. Celle amour monde dont tu aimes le pape
Est tout pour ce que la pecune en aies.
En grant pêne es, et doutes que t'eschape;
La pecune aimes, et pour celle t'esmaies. ..
RoMK. Qui reprens tu d'usure et d'avarice?
Regarde toy; sus toy trop a a dire. . .
Mais ils se réconcilient à la fin :
Or faisons pais; chascun cloe sa bouche. Et nostre pore, c'est Dex, a oui il touche;
Nous sommes seurs, soions en amité. Ce en face ou plus ara d'utililé.
P. Paris, qui a le premier décrit le manuscrit français i46
(alors 6812), en i836, s'est cru en mesure d'identifier « Geffroy de
«Paris», auteur de ces huit pièces de circonstance, certainement
composées de i3i/i à i3i8, avec un certain «Godefroi, mesureur
«« de sel » , dont il avait trouvé le nom dans le Livre de la taille de Paris
en i3i3"'. M. Natalis de Wailly a montré que ce rapprochement,
fondé sur une interprétation erronée des vers i356 et suivants,
précités, de la pièce numéro I, ne saurait être retenu''^*. Godefroi, le
saunier de la rue de la Verrerie, était un pauvre diable d'artisan (sa
cote d'imposition est très peu élevée); « maître Gelfroi de Paris», qui
écrivait en français et en latin avec une assez grande facihté, était
évidemment un lettré.
Le Livre de la taille de Paris en i3i3 contient, d'ailleurs, les
cotes de vingt-sept contribuables nommés Gefroi (et non Godefroi),
''> p. Paris, Les manuscrits français de la t. XVIII, a* p., p. 498 et suiv. Ces vei-s,
Bibliothèque du roi, t l", p. ^1-^. obscurs au premier abord, sont très clairs
''' Mémoires de F Académie des Inscriptions. quand on a lu ceux qui les précàdent.
4a.
332 GEFUOl DES NKS, OU DE l>\RIS.
sans surnom. De ces vingt-sept, un seul est qualifié de «maître»
(i( mestre GefTroi, le mire »)etun seul était riche (•< GelTroi, le cirier »).
Mais, dans son œuvre principale, dont il nous reste à parler, Gefroi
de Paris, l'écrivain, a raillé les médecins; et quoiqu'il ait vanté
avec insistance le luminaire de cire qui embellit les fêtes de Paris
en i3i3, on ne saurait tirer de là une conclusion en faveur de
.< Geffroi le cirier ». M. de Wailly s'en est très bien gardé'".
«Mestre GefTroi de Paris», qui écrivit des pièces de circonstance
de i3i4 à i3i8, était en vérité un lettré, sans doute un clerc (voir
les Avisemeits). Voilà tout. De lui, on ne connaît, en outre, que ses
opinions politiques, qui étaient nettement royalistes, cléricales, con-
servatrices; son caractère, qui était très indépendant, car il exprime
ses opinions avec une extrême liberté, sans ignorer — il en Fait la
remarque à plusieurs reprises — que cela pourrait lui nuire ''; et son
style, qui est assez particulier : dillus, négligé, mais vif, avec abon-
dance de proverbes, des locutions favorites qui reparaissent souvent,
et, de temps en temps, à la rencontre, des formules bien frappées.
Le manuscrit français i/»6 contient encore, entre autres choses,
une Chronique anonyme qui paraît inachevée, en près de huit mille
vers. Elle a été attribuée à « Gefroy de Paris » , l'auteur des pièces de
circonstance, depuis le xviii* siècle, et publiée deux fois sous son
nom (par M. Buchon en 1827 et dans le Recueil des historiens de la
France'^^).
C'est à partir de l'an i3oo que le chroniqueur anonyme, comme
il le déclare d'emblée, a « ordené sa pensée » de rimer « les faiz avenuz
« en cest monde » qu'il avait retenus. H a poussé son entreprise jus-
qu'à l'année i3i6.
Est-il possible de se rendre compte de la manière dont il a pro-
cédé .^ — Au premier abord, on a l'impression que sa Chronique
est un journal, composé, sinon au jour le jour, ou d'année en
l'i Mémoires de l'Académie des Inscriptions, parisien» de naissance. Beaucoup étaient sans
l. XVIII, 1' p., p. 533. — Remarquons, d'ail- doute bretons ou des province» de l'Ouest,
leurs, qu'il ne suffisait pas de s'appeler Gefroi voisines de ta Bretagne.
et d'habiter Paris pour être appelé Gefroi de ''' «Aussi coni trop grater peut cuiie —
Paris. Il fallait être natif de cette ville. Or il Aussi le trop parler peut nuire» (^ri>T-
cst très probable que tous le» Gefroi portés mens).
sur les rôles de tailles à Paris n'élaient pas '^' T. XXII, p. 87-1 6G.
SES ÉCRITS. 333
année, du moins, pour la plupart des épisodes, au lendemain et
sous l'impression directe des événements. Le dernier éditeur a relevé
avec soin les principaux passages sur quoi cette impression se fonde :
ceux, notamment, où, racontant certains faits des premières années
du XIV'' siècle, le chroniqueur semble ignorer ce qu'il en advint
(pielque leinps après'". Mais M. de Wailly estimait qu'il ne faut pas
se laisser tromper par ces apparences. «On a d'ailleurs la preuve,
"dit-il, que Geffroi de Paris se transportait en esprit dans le passé,
«afin que, mêlé, en apparence, à des événements accomplis
(( depuis longtemps, et faisant revivre des personnages qui n'existaient
«plus, il pût donner à ses récits un tour plus vif et soutenir,
«par cet artifice littéraire, l'attention de ses lecteurs; mais... il
«s'est trahi dans plus d'une circonstance'-'.» Il s'est trahi, par
exemple, lorsque, « dès l'an 1 3 oo, c'est-à-dire au début même de sa
" (ihroniqii»', il fait allusion à la bataille de Courtrai qui est de i3o2 ,
« ù la mort de Boniface VIII et à celle de Catherine de Courtenai, qui
" arrivèrent Tune en i3o3, l'autre en i3o7; enfin aux mesures
'< que Phili[)pe le Bel ])rit contre les Lombards dans le cours de
«l'année iSii'^'». Plusieurs indices donnent même à penser que
c'est sous Philippe le Long qu'il a rédigé, presque d'un bout à
l'autre, ses souvenirs sur toute la période antérieure. Il écrit en effet,
à propos du mariage d'Isabelle, fdle de Pliilipj)e le Bel, sœur du
futur Philippe le Long, avec Edouard II d'Angleterre, qui eut lieu
en i3o8 :
;> -2 5 I . En ci'l iiii , du roy des François Donc Odoart prist rigolage
Et du roy aussi des Anglois A la seur nostrcy roy de France.
Fu fet acort par mariage. Phetippe . . .
C'est d'ailleurs sous fannée i3o6 (au lieu de i3o8) que le chro-
niqueur a mentionné cet événement. De pareilles erreurs chronolo-
giques, qui s'expliquent très bien de la part d'un écrivain consignant
de mémoire, et d'un seul jet, l'histoire de seize années, abondent
dans son œuvre. M. de Wailly, dans les notes de son édition, en
a signalé beaucoup, dont plusieurs sont énormes'*'. iVIais il est remar-
''- Mémoires de l'Académie des Inscripliont, ''' Ibid.. p. 5 2 4.
loc. cit., p. ,^)3i el suiv. '*' Historiens de la Fiance, t. XXII, p. 98,
'* Ihid., p. fja/i. col. I.
334 GEFROI DES NES, OU DE PARIS.
quable, et toujours fort naturel, que ces erreurs soient très sensi-
blement plus nombreuses au début de la Cbronique que par la suite :
il n'y en a presque plus à partir de 1 3 1 2 ; encore un indice que
l'époque do toute la rédaction doit être placée à peu de distance des
derniers événements racontés, c'est-à-dire sous le règne de Philippe
le Long. Ce qui achève, semble-t-ii, de le prouver, c'est qu'on ne voit
nulle part, dans cet ouvrage où les allusions chevauchent si libre-
ment à travers la chronologie, rien qui suppose la moindre connais-
sance de ce qui s'est passé sous Charles IV.
Ces conclusions ont été judicieusement revisées en 1898 par
M. Fr. Funck-Breiitano'''. L'm artifice littéraire » dont M. de Wailly a
fait honneur au chroniqueur est, a priori, peu vraisemblable, étant
assez compliqué. En iait, il n'est pas douteux que certains passages
ont été réellement écrits sous Louis X, d'autres sous iMiilippe le Bel
(notamment en i3i3). 11 semble, en somme, que fauteur, ayant
conçu, puisqu'il falfirme, le projet de sa narration dès i3oo, n'a
commencé à l'écrire que vers i3i2-i3 i3, el fa, depuis, continuée au
furet à mesure des événements, sans s'interdire naturellement de
pratiquer des retouches d'année en année, et surtout sous Philippe V,
dans ce qu'il avait écrit d'abord.
11 est très remarquable, d'ailleurs, que le chroniqueur du ms.
français 1 46 ne s'est pas servi de sources écrites. Témoin oculaire (par
exemple, comme il le déclare, du supplice de Jacques de Molai '"^' et
des fêtes de la chevalerie des fds de Philippe le Bel'"''), ce qu'il n'a
pas vu, il en parle par ouï-dire, en agrémentant ce qui lui en est
revenu «le réflexions personnelles; il ne copie personne. Cela lui
donne une physionomie à part dans f historiographie de son temps.
— Il y a, à la vérité, des ressemblances certaines entre quelques-uns
de ses récils et ceux qui se lisent dans le Memoriale hisloriarum^''^ de
Jean de Saint-Victor; mais il est démontrable que c'est Jean de
Saint-Victor qui, sans le dire, s'est servi de lui. C'est à tort que
la proposition inverse a été conjecturée et soutenue.
Notons enfin que la Chronique s'achève par des vers dont plusieurs
'"' Dans les Mémoires présentés par divers '*' G. MoUal, Étude critiqae sar les tVitte
savants à l'Académie des Inscriptions, i" série, paparam Avenionensianf d'Etienne Balaze [Ph-
I. X, p. 281. ris, 1917), p. 91. Cf. Journal des Savants,
<"-l V. 5711. i()i8, p. 233.
•'> \. 4703-5098.
SES ÉCRITS. 335
rédactions sont juxtaposées, comme si le copiste cJii manuscrit unique
avait transcrit un brouillon, brusquement interrompu sans que
Fauteur eût fait son cboix parmi les variantes préparatoires. — Si
l'auteur avait mis la dernière main à son œuvre, peut-être aurait-il
énoncé son nom à la fin. On l'a supposé. Mais M. de Wailly pensait
que non, parce qu'il estimait que «ses héritiers, tout en livrant son
« œuvre posthume à la postérité, durent, par crainte ou par conve-
«nance, taire le nom d'un écrivain qui s'était exprimé avec liberté,
«notamment sur le compte de Philippe le Bel»; ils auraient craint
de «braver ainsi le ressentiment du roi régnant». Considération
évidemment sans valeur, si, comme tous les érudits, à l'exception
d'un seul, l'ont cru, le chroniqueur n'est autre que le Gefroi de Paris
des pièces de circonstance. Car la virulence de ces pièces n'est pas
moindre que celle de la Chronique, et néanmoins elles sont rubri-
quées au nom de Cefroi, ou même intérieurement signées de ce nom,
dans le manuscrit même où se trouve le texte de la Chronique.
L'identilé de Gefroi de Paris, l'auteur des pièces de circonstance,
et de fauteur anonyme de la Chronique n'a été contestée que par un
seul érudit : P. Paris. Mais elle est certaine depuis que M. de Wailly
a pris la peine, en 1 84 9, de fétablir par une confrontation métho-
dique des deux œuvres*'**
Le chroniqueur a les mêmes idées politiques et la même ardeur
imprudente à les exprimer (|ue le rimeur des huit pièces; c'est le
même homme. Seulement, on apprend à le connaître encore mieux
dans la Chronique, qui est plus longue. C'est, en principe, un ami
décidé de l'autorité (au point de marquer, en matière de discipline
ecclésiastique'^', malgré des sentiments très français'^', des sympathies
bonifaciennes) : autorité du pape, du roi, des « gens d'estat », chacun
dans son domaine. Mais si indépendant, avec cela, qu'il blâme, en
fait, tout le monde individuellement : papes, rois et gens en place.
Les nouveautés contemporaines, avocasserie et fiscalité, lui font
horreur; il est pourtant trop légitimiste pour approuver les rébel-
'"' Mémoires de l'Académie des liisciiplioiis, '' Ilistoneiis delà i'ranr.e , I. XXII, |). lo(),
vol. cité, p. .^) 10-517. — G. Paris disait eiicoii- col. i.
en 1898 (//i.'i/oire /i«erai;e, t.XXXlI , p. i53) : ''' Vers a3o et suiv., 2179 et suiv.
«la chroiiii(.ii(' attribuée à (îeolTroi de Paris».
336 GEFROI DES NÉS, OU DE PARIS.
lions. Bref, un homme selon la tradition de la France de Louis IX'",
et, par son attitude criticante, irrespectueuse et dégagée, essentielle-
ment Français de tous les temps. — On voit aussi qu'il avait beau-
coup de curiosité et de sincérité, une information étendue, qu'il por-
tait un vif intérêt aux questions commerciales et financières, qu'il
avait un dédain tout bourgeois pour les récréations ordinaires des rois
et de la noblesse, notamment pour la chasse, et qu'il devait être
d'âge plutôt mûr quand il écrivait, car il insiste (dans la Chronique
comme dans les Avisemcns) sur les inconvénients qu'entraîne, pour les
princes, le fait d'avoir trop de jeunes gens dans leur entourage. Au
reste, puisque ses souvenirs personnels remontaient à 1 3oo, il devait
avoir au moins quarante ans sous Philippe V.
Le style du chroniqueur présente d'ailleurs tous les caractères
distinctifs qui s'observent dans les huit pièces'^'. Toujours négligé,
souvent plat et embarrassé, mais pourtant avec de la véhémence et de
la vie; farci de proverbes; parfois comme haletant en raison de l'usage,
voire de l'abus, des rejets'^'. Çà et là, des images et des tours de phrases
originaux qui, quoi qu'on en ait dit'*', élèvent certainement l'écri-
vain au-dessus de la médiocrité. Enfin, de part et d'autre, mêmes
expressions habituelles, dont quelques-unes ne sont pas communes;
sans compter qu'un certain nombre de vers de la Chronique se
retrouvent, textuellement, dans les pièces.
Mais ce n'est pas tout. G. Paris a paru attribuer à « Geffroi de
«Paris», l'auteur des huit pièces et de la (^hrowique, un opuscule
de plus, le Martyre de saint Baccus, « spirituelle parodie des légendes
«des saints», où l'on raconte tous les tourments que subissent la
vigne à faire le vin et son fruit. Cette identification incidente, peut-
être non délibérée'^', mérite d'être prise en considération et conduit
à constater d'autres faits intéressants.
''' Parmi les conseillers de Philippe le Bel, '*' G. Paris, en iSgt), «persistait à penser
il n'excepte de ses condamnations que Hugues que GfolTroi de Paris a un très mauvais style »
deBouvilleet PierredeChanibli.les principaui {Romania, t. XXV, p. 608). Nous aimons a
représentants de cette tradition (v. iSg/t). constater que, par contre, Ernest Uenan recon-
'"> Les vers i4j8 et suivants de la Chro- naissait à Gel'roi de Paris, chroniqueur, «beau-
nique ont, en particulier, l'allure et le ton des coup de finesse el d'esprit • {Histoire littéraire,
meilleures pièces de circonstance. t. XXVII, p. 343).
''' Voir notamment l'édition de VVailly, '*' G. Paris, Im littiratare française au moyen
p. io/|, col. 1; p. 1 18, col. a. âge, S loy (avec renvoi an S 97, où il est traité
SES ECRITS.
33:
Le dit du Martyre de saint Baccus est connu par un seul manuscrit
(Bibl. nat., fr. 2/4 432, autrefois 198 de Notre-Dame), où il est daté,
à la fin, de i3i3'''. Mais le même manuscrit, un des plus précieux
recueils de dits, de fabliaux et de pièces diverses, de la première
partie du xiv* siècle, qui soit parvenu jusqu'à nous, ne contient pas
moins de trois pièces dont l'auteur se désigne, formellement, par le
prénom « Gieffroy »;et ces trois pièces sont, de la même façon, datées,
à la fin, de l'année où elles ont été composées : le Martyre, de i3i3;
le dit Des Patenostrcs, de 1 3 20'^'; le dit Des Mais, de i324'^^. Ces trois
pièces ont été publiées avec ou sans les dates, mais toujours sans
observations, par A. Jubinal, dès 1839''''. En voici l'analyse.
I. Le Martyre de saint Baccus''^K — « GiEi frov, qui voit que la
Il matire — De cestui monde mal satire, — Feindre veult matire
«novele. . . » C'est de saint Baccus, un grand saint qui a beaucoup
souflért et qui fait beaucoup de miracles :
Les miiez fait jangoiliier
Et les non veans rooillier.
Les courrouciez fait esjoïr
Et les contrais corre et foïr.
Les desconfortez il conforte.
A cens que comme mort l'en porte
Fait il l'esperit revenir . . .
Et a ceulz qui li font outrage
Le sens oste
; puis les bat
Si qu'a terre jus les abat.
Martyre de la vigne, enterrée, fouie, taillée brutalement a la
serpe :
Et ces tyrans vous nommerons
Que l'en apele vignerons,
Qui vont et viennent nuit et jor
Sans trieve faire ne sejor
Chiez la douce mère Bacus,
Ses cors courbés jusques as eus,
Recourciez devant et derrière
En faisant rechignie chiere . . .
du chroniquenr). Cf. le même, dans l'Histoire
littéraire, t. XXIX, p. xvii : "GelTroi, l'auteur
du Martyre, qu'il n'aurait peut-être pas fallu
distinguer de GeCfroi de Paris . . . i. — G. Paris
hésitait. Hanté par le souvenir du «Godefroi,
le mesureur de sel » , tiré de l'obscurité par
P. Paris, il appelle ailleurs « Godefroi » l'an-
teur du Martyre et du dit Des Patenostres [La
littérature française. ... p. 381). — P. Meyer
HIST. I.ITTÉn. XXXV.
[Notices et extraits de$ manuscrits, L XXXIX,
1" p., Kjog, p. a 57) ne s'est pas prononcé.
<'' Fol. i4a v°.
<') Fol. 148 v°.
') Fol. i38 v°.
'*' A. Jubinal , Nouveau recueil de contes , dits .
etc., t. I", p. r!5o-365, -iSS-a/lç), 181-194.
'''' Cf. Histoire littéraire, t. XXIII, p. 496,
cit. XXVII, p. 187-195.
43
338 GEPKOI DES NES, OL DE PARIS.
Puis on la dépouille au printemps de sa jeune verdure pour eu
faire ce verjus que les vieilles femmes broient et crient dans les rues.
Quantité d'autres ennemis: le gel, le vent, la grêle, les chardons, les
mauvaises herbes.
O martyre martyrisée ! V ftescoiivcrt rie toutes pais;
De sarpes trenchans decopéi' De veiis torinenlée et d'orages
Par ces mauvais gloutons lechierres , Qui te l'ont souvent griez domages . . .
Acraventée entre les pierres. . . Treslous ceulz qui por Dieu morurent
Batue de foudre et d'espars, TanI de martires ne reçurent.
Enlin, supplices de la vendange, des tonneaux et de la cave.
Priez la vingne qu'elle entende Et , pai la seue granl mérite,
A nous, si que son filz nous rende : Nous otlroil tous jors vin d'esliti-.
Saint Baccus, donné sans vendu. De quelque pais qu'il li plaise.
Dont nous buvons, col estendu Car de rydre ne de rervaise
Comme grue, son dous buvrage, Gieffhoy, qui ce dit list , n'a cure ,
Qui mainte grant soif assouage; Tant conune vin de vingne dure.
II. Le dit des Patenostres. — Trente-sept sixains de vers alexan-
drins, dont chacun se termine |)ar le même vers:
Dites vos patenostres, que Diex merci (on pardon) leur [ou lui) face'".
L'auteur exhorte à prier pour l'Église, persécutée et dépouillée
de ses biens, réduite à la besace; pour le pape Jean, qui multiplie
les évêchés; pour le"s cardinaux, les prélats, le clergé ordinaire,
les clercs étudiants et ceux des parlements, la chancellerie, les
médecins, les religieux des anciens Ordres, les Ordres mendiants,
les Hospitaliers, les grands seigneurs, les barons, la simple che-
valerie. L'auteur n'est pas partisan de la croisade dont on parle :
Dites vos patenostres, et aval r[ amont ,
Vov la chevalerie qu'oreridroit l'en semont
Por aler oultre mer en nef et en dromonl.
Aveques m'en irai quant l'yaue contremoni
Corra, ou quant sera toute noire la glace.
Dites vos patenostres, que Diex pardon leur face
'■> (;t. la Clironiquc de (iefroi, v. •iaiti.
SES ÉCRITS. 339
La verve brutale du rimeur n'épargne pas les grandes dames, m
les autres. Mais il est indulgent aux amoureuses :
Dites vos patenostres por ceulz qui vraiement
SVntresont entramé et aimnicnt fermement
En foy et en fiance et sans decevement.
Car aussi bien se Ireuve et si entièrement
Amours sous camelins comme sous paonnace.
Dites vos patenostres, que Die\ merci leur face.
Dites vos patenostres pour les jones filletes
D'entre .xv. et .xiiu. , a poignans mameletes,
Qu'au Dieu d'amors puissent rendre et paier leurs debtes
Sans ce que vilonnies d'eulz en soient retraites
Ni' d'omme niesdisant ne de vielle riace.
Dites vos patenostns, (|ue Diex merci leur face.
Pour ces cortoises dames (pii tant ont de franchise
Que des corps et des biens font partie et divise
A ceus qui de cuer aimment, de si parfaite guise
Que surcot et puis cote , pelicon et chemise
Chascune a son ami, quant il li plait, rebrace.
Dites vos patenostres, que Diex pardon lor face.
il y a ensuite des couplets sur les Flamands, qui viennent de faire
leur paix avec le roi, sur la monnaie, sur les marchands (dont il est
fait l'éloge), sur les gens de métier :
Dites vos patenostres pour chascun boulengier
Por ce qu'il nous ont fait pain de bren a mengier'";
Encor de pain loial fair.' nous font dangier.
Diex doinst au prevost (pie il nous en puist vengier.
Encroés jadis furent es halles Saint Eustace !
Dites vos patenostres , que Diex pardon leur face.
11 y en a sur toutes les conditions. Sur la santé et la maladie,
physique et morale : pour ceux qui ont mal à la tête, le matin, à
force d'avoir bu la veille; pour les constipés; pour « ceus qui trop se
..desconfortent..; etc. Sur les débiteurs, les domestiques, les pèle-
f Cr. la Chronique de Gefroi, v.; 761").
43.
340 GEFROI DES NÉS, OU DE PARIS.
rins, les missionnaires, etc. Sur les médisants; sur les lâches et les
ineptes :
Pour cculz qui sont coart , qu'il aient hardiece ,
Et poui" les desvoiez, que bien Diex les adrece;
Por la gent qui s'estent du lonc, quel se redrece.
A tous ceulz qui foloient, que Diex lor doinst sagece
Tele cum Virgile ot, Aristote et Orace.
Dites vos patenosties, que Diex paidon lor face.
Prions aussi pour qu'on puisse boire; c'est un point que l'auteur ne
perd pas de vue :
Dites vos patenosties por le fruit de la terre.
Que Diex nous doinst bon vin sans loing aler le querre.
\près ces patenostres buvons a lie cliiere
Si (|ue (le Dieu ainns pardon et grâce entière.
Por (IncFFnoY, qui ce list, qu'il ne soil en espace,
Dites vos patenostres, que Diex pardon li face.
m. Le dit (les Mais. — Soixante-dix-neuf quatrains d'alexan-
drins monoriines, dont la plupart contiennent le mot «Mais», sans
que ce mot revienne à intervalles réguliers.
Critique des divers « étals du monde» : le pape, les cardinaux, les
])rélats, les chanoines, les curés, les étudiants, les moines mendiants
et autres, les religieuses de toute espèce (« rendues, nonnains, filles
« Dieu et béguines » ); les rois, les princes, les étrilleurs de « Fauvain »
(piiles entourent, les reines, les noliles, les Hospitaliers, les gens « de la
court du Parlenienl''' », le personnel des justices laïques et ecclésiasti-
ques, les médecins et les apothicaires, les marchands, les ménestrels,
les courtiers, les taverniers et leurs valets, les laboureurs. . .
Ainsi, en tous estas, il a ou pou ou mais.
Car se l'en dit du bien, l'autre dit : « ("tist voir, mais. . . »
Ostons donc d'entour nous lex mes et entremais
Se deser>ir volons le ciel a tous jor mais.
'' Manière de |iariei- reinai-(|(iablc, qui nelles de ce grand corps (Exlition, p. 189).
inonlre que «le Parleniciil » était déjà, sous les Cl. le dit Des Alliés (Bibl. nal., tr. i46,
derniers Capétiens diictls, (|Uoi qu'on en ait fol. 53) :
dit, conçu comme une cnlité (cf. Bihliothèqae
de l'Ecole des rhatlf^. ii)iS, ]>■ 'i.'i). — l.e roi \"„iii i| la \cniic cl l'aléi-
est blâmé de i- drllal.c « les décisions solen- Kl au Roy cl an ParJeroenl?
SES ÉCRITS. 341
L auteur se nomme au 76^ quatrain :
Et puis qu'en tous estas treuve l'en a redire,
Que fera dont Giefkroy , qui des mauvez est pire ?
Tels sont les trois dits, signés Gieflroy, du manuscrit français
24 432. Ils sont évidemment du même auteur. Et il n'est pas moins
clair que cet auteur est le Gelroi de Paris des pièces du manuscrit
français i46 et de la Chronique anonyme. En effet, c'est toujours le
même fonds d'idées'"', avec les mêmes expressions caractéristiques'",
les mêmes rejets hardis*''. Ce sont toujours, çà et là, les mêmes
lueurs parmi le verbiage; le dit des Mais, le plus faible des trois,
n'en contient pas moins des vers comme ceux-ci, à propos des reli-
gieux :
En leurs maisons les voi des mains signifians
El dedans leur moustiers leurs chiez humelians.
Mais, hors, ypocrisie ont, et envie, eus;
Dont mains grourciit <le cuers qui des dens sont rians.
Et ce quatrième des quatrains sur les reines du temps, pleins d'al-
lusions voilées:
Elles vont cliascun jor au moustier oïr messe;
Mais c'est près de midi , por re qu'il n'aient presse,
(ïar ei se couchent tart ; pour ce faiilt qu'en les lesse
Dormir grans matinées por norrir en leurs gresses.
Toutefois, comme il est naturel à mesure (pie l'on lit un j)lus
grand nombre de pages écrites par notre Gefroi, des traits nouveaux
se révèlent qui complètent sa physionomie. A parcourir les pièces
de circonstance el la Chronique seulement, on n'aurait pas cru ce
moraliste toujours mécontjent, sinon anier, aussi jovial qu'on l'entre-
voit dans ses trois dits, c'est-à-dire buveur, bon vivant et indulgent
'' G. Grôber (Grundriss der romanisclien t/n joniye, v. 9, et (llironiquc, v. 1 r>oi , .)y3(),
l'Iiiloloyie.L H. 1, Strasbourg, i()Oi, n. 83i) 72-^>>i) : « de testée » (Vais, p. 187; cf. ^i'is<>-
|>arie d'une différence de pointsde vue politiqaes mens, v. 1110; Des Alliés, iir. 7; (.lironiquc,
entre le Gefroi de Paris, chroniqueur, du ma v. 1/119; etc.); «en espace» (Chronique, v.
nuscrit françaii i/|(j et le Gefroi parisien du '976. '^y'J : Avisemens. v. 5a ; 7>u loy Pheti[)e
manuscrit français 'f'i/iSa. Mais il n'en donne qui ores reijne , v. 39; Patenostres, à la fin); etc.
iuicune preuve; et il n'y en a pas. Allusions au duc Naimes dans les Avisemens
'*' Quelques-unes sont si habituelles a ( v. io3a) et dans le dit LV< M«is (p. 187 ).
(iefroi dan» tous ses écrits que leur présence '' « Qui batus est l'amende, c'est le droit de
équivaut preMjuc à sa signature. Par exemple : «lu Porte — Baudoier. . . • {Mais, p. 187).
«ce devant derrière • {Pateiioslres . p. ■j4<); cf.
342 GEFIIOI DES NÉS, OU DE PARIS.
aux fredaines. Ni si jovial, ni si fort en gueule : il y a, dans les trois
dits, des crudités d'expression qui dépassent tout ce que l'on peul
noter, en ce genre, dans le reste de son œuvre.
Le manuscrit français ilx [\?>i contient plusieurs pièces, du mênie
genre que les trois dits de Gefroi, qui sont anonymes. Quelques-unes
ne doivent-elles pas lui être attribuées.^ H ne se nommait pas tou-
jours, quoiqu'il le fit souvent. — La question se pose surtout,
comme on l'a bien vu'", pour la pièce intitulée La Requeste des Frères
Meneurs sus le Septième Clinient le Quint'-\ qui, dans le manuscrit, se
trouve intercalée entre le Martyre de saint Daccus et le dit Des Pate-
nostres. Elle se pose aussi pour le dit J)e la rébellion d'Engleterre et de
Flandre qui, dans le même manuscrit, précède le dit Des Mais^^\ et
pour le dit Du Roj^'^l Elle se pose enlin, si l'on veut, pour les deux
morceaux intitulés La despuloison du Vin et de l'Iauc et Des planètes.
I. La question doit être résolue alTirmativement en ce qui con-
cerne la Re<]ueste. En effet, cette pièce est datée à la fin (d'un jour et
d'un quantième de l'année i3i8)'^', de la même façon que les trois
autres dits du manuscrit français 24 43j, qui sont certainement de
(iefroi; de plus, les expressions d'habitude qui sont comme le signet
de cet auteur, sont là. Pour qui l'a beaucoup lu, Gefroi seul a pu
écrire :
110. Hé, pape Jehan, en cest an,
Desaieuvre le grain de la paille;
Les mauvaises herbes retaille. . .'*'
C'est, d'ailleurs, son style en tous points, avec ses défauts et ses
qualités :
62. Et pain sec lor convendra moldre,
Sans plus, au molin de leurs dens. . .
f G. Grôber, /oc. ci7., p. 83o. le dit fut fait «a .i. vendredi, tiers jors en
'' Fol. j46 v°, publiée par A. Jubinal, •l'aing, si coin moi semble, mcccxvui ...». I.e
Œuvres de RaubeuJ'.i. II (Paris, 1875), p. i55. 3 janvier n'est pas tombé un vendredi en i3u)
— La dénomination de tSeptième» pour dé- (n. st.), et il s'en est fallu de ving^-qualre heures
signer les Clémentines, par analogie avec le que le 3 «juingi i3i8 tombât ce jour-là.
Sextede Boniface VUI, n'a pas duré. '*' Cf. les Avisement , v. 610, et la Ghroni-
''' A. Jubinal, op. ti(., t. I", p. 73. que, v. 84o, i3ia, 1679, 3i i3 . 3449, ."iSoî.
'*' IbiiL, p. 34a. — Voir aussi des expressions familières a
"' Il est spécifié , dans les derniers vers , que Gefroi aux vers 1 9 , 1 .19 et suiv. de la Reqnrfte.
SKS KCHITS. :Vi3
Ajoutons donc celle pièce à un bagage avec lequel elle est, du
reste, quant au fond, eu parfaite harmonie.
La Requeste des Frcres Meneurs ... — Pourquoi les clercs de
toutes robes ont à se plaindre des statuts récents du pape Clément.
L'Eglise est ruinée. Misère du clergé séculier et des Ordres, qui,
aussi bien, sont trop nondireux. Les Ordres ont fait porter récemment
leurs doléances en Cour de Rome:
Mettez y bon conseil, Saint Pero... An besoin pas ne li l'ailliez;
Metez y aucune atemprance. Ne la tranchiez ne retailliez,
(lardez vos clerjons de tieû. Car elle est si l'oible et si tendre
Mal brouet nous est esmeù Qu'au jour d'ui ne se puet deiï'endre
Se vosire nom ne nos visite . . . Des grans 1(jus qui entor li courent . . .
()uc Sainte Eglise en pais repose !
II. Quant aux dits De la rehrUion et Du Roy, s'ils étaient de Gefroi,
ce seraient les dernières en date des productions connues de sa muse
politique, puisque le roi auquel l'auteur s'adresse dans ces deux
pièces est Philippe VI :
Gcntilz roys et de Valois conte.
Ne croi pas tout ce qu'on le die. . .
L'auteur du dit Du /îojdéveloppe les conseils d'Aristote à Alexandre
dont Gefroi avait déjà fait état dans ses Aviscmens (v. yÔoetsuiv.),
en un style analogue. Cependant il est certain que ce dit, anonyme
dans le manuscrit de NotrivDame, est du ménestrel Watriquel
de Couvin, dont l'o'uvre est Inventoriée plus loin (p. 4 ' 2 , n" XIX).
L'auteur du dit De la rébellion est un patriote ardent *'', qui croit
qu'« Englois onc François n'ama » '"^' et que la mer doit être la fron-
tière entre la France (la Flandre y com])rise) et l'Angleterre. Rien ne
s'oppose absolument à ce que cette pièce soit de Gefroi. Et c'est
même, semble-t-il, le son de sa voix, çà et là :
Li Anglois portent sinjple face iNe por biau parlier ne t'encline
Et prometent, mais quier qui face ! A gent qui de cuer est doubliere !
Tiens toy dont, Roy, en la saisine, Pense des fais ça en arrière. . .
'' Comme Gefroi, qui, dons sa Chronique, '*' Gefroi, dans sa Chronique, dit a |)eii
a, le premier, poussé, pour ainsi dire, le cri près ia même chose des Flamands (v. i(i43).
de u l.a France au\ Français » (v. 1768).
344 GEFROI DES NES, OU DE PARIS.
Mais ce n'est là qu'un indice, et qui, comme le montre assez le cas
du dit précédent, peut être trompeur.
III. La desputoison du Vin et de l'Iaue^^\ dont l'auteur était de l'Ile-
de-France, est une agréable bluelte qui ferait très bien pendant au
Martyre de saint Baccus. Nous n'en dirons pas davantage.
La probabilité est du même ordre, c'est-à-dire très faible, ou nulle,
pour le dit Des planetes'^-^ sur les sept « états du monde », comparés aux
sept planètes et aux sept jours de la semaine, qui date d'un temps où les
Sarrasins avaient récemment occis, à Grenade, beaucoup de «nos
gens » *"^'.
Est-ce tout, maintenant? Pas encore. Dans le manuscrit fran-
çais 2 5 545, autre recueil lameux de contes et de dits du xiv" siècle,
on lit, au folio 1 5o (le feuillet immédiatement précédent manque), la
lin d'un dit qui était intitulé Des .IIII. rois '*':
Ci faut li dis Des .1111. rois Et Phelippe, qui en cest an
Que je vos ai dit demanois, Recul la coronne de France;
Phelippe, Looys et Jouhan, Dont mont de gent orent pesance.
Ce dit, comme plusieurs de ceux de Gefroi, était daté; il l'était
d'après le couronnement de Philippe le Long'"*',
En l'an mil seze et trois cens
Entre Noël et Saint Vincent.
Le fragment conservé (45 vers) contient la fin d'une conversation
entre un roi et un fou. Le fou parle d'un coq qui se perdit pour avoir
trop écouté ses poules:
« Sire rois, or ne vous anoie ! Et ne créez si ces'**' poulletes,
Pour vous le di. En bone voie Qui si sont coiiites et nobletes.
Entrez, et tost vous y metés, Que n'empiriez voslre pais;
Que no soiez desbaretés; Car clamez seriez fous nais. »
'■' A. Jubinai, o. c. , p. sgS. fors dans la ilomania, f. XLIV (i(ji5), p. ()<i
'' Ihid., p. 372. (avec quelques Fautes de ponctuation).
''' Kn août I 327 , le pape concéda des indul- '' Philippe le Long fut couronné à Reims
gences aiîx gens de la suite de Philippe de le y janvier i3i7, n. st. — M. Lângfors at-
Valois « ad parles Granale contra Sarracenos se liibue cet explicit , sauf le premier vers, au
lr»ns(vren\\buii>[G.MoUai, LetIresileJeanXXll. copiste du manuscrit.
n° 29408). Cf. Chronique de Jean le Bel (éd. *' Ms. : ses. Substitution de lel Ire assez fré-
\ iard et Déprez) , t. I", p. 86. quente, peut-être par hasard, dans tons le»
' Ce fraf^mi'iil a été publié par A. Lâng- manuscrit» dos œuvres de Gefroi.
SES ÉCRITS. 3/1 5
Le roi répond :
« J'ai bien entendu ta parole : Or est diois que je te porvoic.
Tu as esté a bonne escole. Tu ne m'as pas servi de lobes;
Ta parole point ne m'anoie. Je te doing mon pain et mes robes. »
Ce dit est, sans doute, de Gefroi. Comparer, en effet, sa pièce inti-
tulée Un songe, 011 Philippe V est appelé « le roi des coqs «, en raison
de .son attachement à sa «poule» :
Ce coc est de Poitiers le conte, Coc le di, par comparaison ;
Qui de garde en reauté monte. Coc aime sa propre geline . . . O
Et a bonne cause el raison
Enfin, on peut se demander s'il n'y a rien de Gefroi dans l'extra-
ordinaire /à/ra(/f) de pièces en latin et en français dont l'énigmatique
«Chaillou de Pesstain ..'^' s'était plu à gloser en marge le Roman de
FanvelÔQ Gervais du Bus. On sait que la copie unique du manuscrit
glosé de Chaillou est précisément le ms. fr. 1 46, auquel on doit par
ailleurs la conservation de huit dits et de la Chronique de Gefroi. Or,
les pièces en question n'ont pas encore été l'objet d'une étude appro-
fondie'^). 11 est certain cependant que, si beaucoup d'entre elles sont
fort antérieures au temps de Chaillou et de Gefroi, et si beaucoup
d'autres sont si vagues qu'elles ne sont, en vérité, d'aucun temps,
plusieurs ont été composées à l'époque des derniers Capétiens directs.
G. Paris a signalé, ou même imprimé, quatre de celles-ci: une com-
plainte en latin sur la mort de l'empereur Henri Vil (24 août i3i3),
un dizain en vers latins rythmiques, adressé à Louis X lors de son
avènement (i3i4-i3i5), des pièces adressées à Pliilippe le Long en
II' Bibl. nal., fr. i4G, fol. 52 v°. pièces où des aUusions sont faites aux luimines
"Sur ce personnage, cl. Ch.-V. Langlois, et aux choses de Picardie (fr. i46 fol 3/i v" ■
7 Z .T't"". ""'■''^" ^3' ' *''"■''' ' 9°^ ) • " •« K""'^*'^ Rumegni . , . le fours de Gaigni . ,
p. 289. M. {.11. Barbarin, de la Bibliothèque le vidame de Picquigni [cl. plus loin p 3/,6
î^ainte-derieviève , veut bien nous informer quil note 2 ] ) , il ne nous paraît pas maintenant trop
possède des documents qui prouvent que le hasardé de croire que . Chaillou de Pesstain .
Kaoul (.haillou, avec qui nous avons proposé était de Peitain (c"" de Nesie, Somme) • ic
nagiière d'.dent.f.er le ., Chaillou . du ms. fr. changcn.ent d'. en v, en ce cas, quoique rare,
1 4<) , elart seigneur du Creuset et de Bord , sur n'est pas sans exemple. Mais alors le . Chaillou .
les confins du Berrv et du Bourbonnais. Or, du ms. fr. ,46 redevient plus énigmalique que
SI 1 on considère que « (Jiaillou de Pesstain . a jamais. 011
glosé son exemplaire de Fauvel de plusieurs O Illslmrc littéraire . l. WXU p i46-i53
IlIST. I.ITTÉR. XXXV.
44
3/l6 GEFROI DES NÉS, OU DE PARIS.
pareille circonstance ( i3 i6-i3 17) '', des couplets satiriques conti'e
un certain « rousseau " [russns], renarfl cpii abuse de la confiance du
Lion pour opprimer ses sujets (allusion à Enguerran de Marigni?).
Il V en a d'autres'^'. Il est donc fort possible que quelques-uns de ces
morceaux soient de Gefroi. Mais ils sont trop courts pour qu'on soit
en mesure de constater entre eux et les écrits certains de cet auteur,
des similitudes décisives de vocabulaire et de style. Il est clair qu'il ne
sullil pas que l'expression «ce devant derrière», très familière à
Gefroi'^', se retrouve ici dans un motel pourque ce motet soit de Gefroi:
l'^auvel nous a fait présent Aler ce devant derrière.
Du mestier de la civière, Fauvel nous a fait présent
N'est pas lions qui ce ne senl. Du mestier de la civière ''.
Je voi tout quant a présent
III
Reste à savoir maintenant si Gefroi des Nés, ou de Paris, le pieux
hagiographe de saint Magloire, est le même personnage que Gefroi
de Paris, le chroniqueur et le moraliste, auteur certain de vers de
circonstance sur la politique et d'une joyeuse parodie bachique de la
Vie des Saints, qui représente, dans le premier quart (ht xiv'" siècle,
ia lignée (\e Rutebeuf.
A cette dernière question qu'il a posée inciden)ment, et comme
par acquit de conscience, M. de Wailly (qui d'ailleurs n'attribuait
à Gefroi que la Chronique et huit pièces au lieu des treize ou qua-
torze dont nous avons parlé plus haut), a répondu par la négative.
«Nous n'admettons pas qu'on puisse identifier cet auteur (l'auteur de
« la Chroni(jue) avec maître Gefroi des Nés ... ». « Outre que les com-
''' Les pièces à Piiilippe le Long soiil pré- est neqniisimn vtilpes {to\. /i);ol Picquigniestdc
cédées de la mention suivante, qui dale le nouveau nommé dans un(M|ps« sottes clinnsons»
recueil : «Pour Phelippes qui règne ores — (]i du aChalivali» (loi. 34 v"). — Sur le vidame
metrei/. ce motet onquores». Inc. : SeiTiint Henautde Picquigni, cf. A. Arlonne, Ae moui'e-
regeiii mi.^fr/fon/m et O Philippe, preln.itrii ment de 131 i [Paiis, içjia), p. T).'!.
Francnrum... (loi. lo >"). •'' C,(. plus haut. p. 3/(1 , note a.
'*' \oir la pièce dont l'incipit al : Desolntn '*' Au sujet de cette locution proverbiale,
mater Ecctesiu (allusion au procès des Tem- cf. A. Làngfors, Le H nw an de Fniirel, j). la^,
pliers), fol. 8 v". Il est question du vidame de et Mélnmjes offerts à U. /•'. Puni, t. I" (Paris,
Picquigni, personnage bien connu au commcn- U)i3), p. i6o.
cément du xiv' siècle, dans la pièce JDe'inc/or
SES KCRIÏS. 3'i7
«positions de l'un et de l'autre appartiennent à un genre tout difle-
« rent, et qu'on n'y voit percer mille part l'esprit indépendant et railleur
« qui éclate souvent dans les vers de Geffroi de Paris, on ne s'explique
« pas pourquoi, dans les œuvres où il lui a plu de se faire connaître.
Il il ne se serait pas toujours caractérisé par ce nom des ISés, qui était
Il bien plus propre que le lieu de sa naissance à le distinguer de ses
« nombreux homonymes. »
M. de Wailly pensait (ju'i) sufTisaif au lecteur de confronter le
fragment de la Vie de saint Magloire qui a été imprimé au tome XXII
des Historiens de la France, immédiatement après la Chronique,
Il pour se convaincre que Gefroi des Nés et Geffroi de Paris ne peu-
« vent guère être comparés que pour la médiocrité de leurs vers ».
Or, nous avons lu, synoptiquemenl avec la Chronique, non seu-
lement ce fragment, mais la Vie tout entière de saint Magloire, en
majeure partie manuscrite. Et nous ne saurions dire que la conclu-
sion no M. de Wailly s'impose à nous comme à lui. Sans doute la Vie
est loin d'avoii' l'allure de la Chronique; mais c'est (sauf le fragment
])ublié dans les Historiens, sur les fêtes de la translation de la chasse)
une traduction. Quant à ce fragment original, soudé à la traduction,
il a le caractère d'une chroniqu(^ — on dirait presque d'un « article «
de journal; — et cette addition assez bizarre s'explique mieux si elle
est le fait d'un écrivain habitué dès longtemps à chroniquer par
ailleurs. Ajoutons que si le corps du récit placé en appendice à la Vie
se trouvait dans la Chronique, on n'aurait aucune impression de
disparate. Même langue, mômes chevilles, mêmes rejets :
233. Puis, quant passée fu la presse. Tint cuer; avec ii. main a main,
L'evesque de Laon la messe L'abbes de Sainte Geneviève . . .
Chanta; l'abbes de Saint Germain
Gomme le sujet du fragment (cérémonie d'une translation de
reliques) ne comportait pas l'emploi des proverbes savoureux, chers à
l'auteur de la Chronique — Mal secuevrc oui le cul pert^^\ etc., — et les
violencesde langage, la couiparaison, au point de vue du style, entre
le fragment et la Chronique ne saurait être aussi probante que celle
entre la Chronique, les pièces de circonstance et les dits. Il semble
''' Avisemens, v. 1 1 1 ; Chronique, v. 438.
ii.
348 JESSEL.IN DE CASSACJNES, CANOMSTE.
pourtant que, dans les deux cas, c'est à la même conclusion qu'on
aboutit.
Notons encore, à l'appui, que l'habitude, assez rare, de dater ce
qu'ils écrivent du jour, du mois et de l'année, est commune à Gefroi
des Nés et à Gefroi de Paris (dans les Dits).
Quant à la différence des surnoms, que M. de Wailly considérait
comme une pierre d'achoppement décisive à Tidentification, il est
assez simple, semble-t-il, d'en rendre compte. — Gefroi des Nés,
«né de Paris», n'avait aucime raison de taire son patronymicnie
dans les ouvrages de piété qu'il a rédigés, au moins en ])artie
sur commande, nous l'avons vu, à partir de i3i5 au plus tard jus-
qu'en 1827. Mais les écrits de Gefroi, pareillement «ne de Paris»''',
qui lurent composés de i3i3 à 1828 au plus tôt, et dont un (la
Chronique) a été brusquement interrompu, pour une cause in-
connue, en i3i6, n'étaient pas aussi inoflénsifs; il est au moins
concevable, nous le disons sans insister, que l'auteur, tout en ne
consentant pas à se dissimuler tout à fait, n'ait pas tenu là, dans des
(euvres certainement destinées à une large publicité'^', à se distinguer
individuellement des nombreux Parisiens dont le prénom était
Gefroi .
C. L.
JESSELIN DE CASSAGNES, CANONISTK.
Il est difficile de déterminer avec précision l'origine de Jesselin de
Cassagnes '^'. Nous ne savons rien de sa fainille; d'autre part, parmi
'' Il est écrit, à la fin de sa Vie de saint facile sur son nom pationymicjiic ((/<>.« iVc«,»n(u.s).
Magloire [Historiens de la France, l. XXII, '*' Historiens de la France, t. XXII, p. 88
p. 170, V. 33i) : (relevé des passages qui prouvent que la Chro-
Je, qui Gefroi <les Nés me nomme, ^'"l"^ était destinée à être récitée ix liaute voix ,
Nez «le Paris. . . encore plus qu'à être lue).
„ , 1 1 -, . i,r ''' Son nom se trouve, dans les doruinenls
Lompare/. I mcipit précité de la nièce n IV , 1 r 11
,„,'., n ■ ' ' contemporains, sous les loiiues les plus \a-
de delioi de l'ans: ., f i- r- ii- r' r i«
nées : Jocelinus, uecellinus, (jesselinus, Jes-
Nat.is ei;o G. <le Parislo. sellinus, Je.isclinus, Zenzellinus. Gieczelinus,
Il est probable que notre auteur n'était pas Zessclin. Le /îe/ierfoircde M. le rlianoinc Uljsse
au-dessus de la Iciitation de l'aire un calembour Chevalier l'enre-iislre sous Gait.ei.in.
SA VIE. 349
les lieux dits Cassagnes que l'on rencoutre dans le Sud-Ouest de la
France, il serait téméraire de désigner celui dont il a pris le nom.
Toutefois une conjecture est permise : Jesselin fut un client fidèle
du cardinal Arnaud de Via, l'un des neveux de Jean XXll; peut-être
faut-il en conclure que lui aussi était originaire do cette région du
Quercy, dont tant d'enfants durent leur carrière à la protection
du pape cahorsin ou de ses neveux. Les lieux dits (lassagnes ou les
Cassagnes ne manquent pas dans la région que baignent le Lot et
l'Aveyron ''*.
La mention la plus ancienne que nous possédions de Jesselin de
Cassagnes est fournie par les registres du pape Clément V'-'; dès une
époque antérieure à i3i i, Jesselin est membre du clergé. En effet,
le ^ août de cette année, le pape l'autorise à se démettre de l'église de
Saint-Martin deTibero, aujourd'bui dans la commune de Caux, au
diocèse de Béziers'^', bénéfice qui lui avait été conféré à une date incon
nue. Bientôt nous retrouvons Jesselin, docteur en l'un et l'autre droits,
enseignant le droit canonique à fUniversité de MontpeUier. Ses
leçons y furent appréciées des étudiants, dont nous savons qu'en 1 3 1 7
il avait une magna et hoiwrabilis comiliva^''l Peut-être Jesselin eût-il
fourni une longue carrière de professeur à Montpellier, sans un inci-
dent, survenu en 1817, qui contribua sans doute à le jeter dans une
autre voie.
Par ses qualités de jurisconsulte, Jesselin avait gagné l'estime de
ceux au milieu desquels il vivait. Il était le conseiller et le familier du
prélat qui occupait alors le siège épiscopal de Maguelone. En outre,
suivant l'usage des consuls de Montpellier, il fut désigné pour
remplir auprès d'eux, pendant l'année i3i7, les fonctions d'asses-
seur, c'est-à-dire de conseil juiidique**'. Or, à celte époque, l'évêque
''' Une lettre de Jean XXII mentionne un rano) dans le Compte des ilécimes perçues sar le
Cassanhesdans lediqcèsedeCahors: G. Mollal, clerçjé da diocèse de lïéziers en 1322 et 1323,
Jean XXll. Lettres communes, n'ib&i?.. publié par E. Carson dans le Bulletin delà
''' Regestam Clementis papœ F", n° 'j-'.o'd. Société archéologique de liéziers, a' série, 1867,
<'' La bulle de Clémenl V donne : Saint- t. IV, p. i3i.
Martin de Tivirano. Nous devons cette identilî- ''' Mots extraits de l'arrêt du Parlement cité
cation, qui parait incontestable, à l'obligeante ci-dessous.
érudition de M. Berthelé, archiviste de l'Hé- ''' • En l'an de Mcccxvn Ion assessors mes-
rault. Sur Caux, cf. E. Thomas, Dict. topogr. sier Genselin de Cassanhes, doctor en dos dreys
de l'Hérault , p. 189 — La bulle de Clément V canonic e civil • ( A. Germain , Histoire de la com-
précitéc se rapporte évidemment à la paroisse mune de Montpellier, Mont|ieilier, i85i, t. 1",
mentionnée sous le nom de Tinerano (lire Tive- p. 4o2 ).
350 JESSELIN DE CASSACNES, CWONfSTE.
aussi bien que les consuls se trouvait fréquemment en conflit avec
les gens du roi do l'Vaiice, c'est-à-dire avec le sénéchal de Beaiuaire
et ses subordonnés. Entre l'évêque et le roi, les conflits ne naissaient
])as seulement des rapports, si controversés en ce temps, de la juri-
diction spirituelle avec la cour temporelle ; ils étaient en (jutre mul-
tipliés par les actes de l'administration royale, iucompatibles avec
l'autonomie que l'évêque revendiquait pour son comté de Melgueil ''.
D'autre part, les prétentions de la cité à une large iiidépendanci",
([ue les papes appuyaient de leur autorité, et sa situation incertaine
entre les ambitions rivales du roi de Majorque et du monarque cape-
tien sulFisaieut à «expliquer les désaccords qui surgissaient fréquem-
ment entre elle et les agents du roi de France. Les qualités que
cumulait en iSiy .lesselin de Cassagnes étaient donc bien faites pour
lui doniu^r l'occasion d'encourir l'animosité de> représentants Ar
Philippe le Long.
Il ne paraît pas que cette occasion se soit fait attendre longtemps.
Sans que nous en connaissions le motif, nous savons qu'un jour le
lieutenant du sénéchal de Beaucaire (il était chevalier et s'appelait
.lean de Sancerre), acconqiagné de quelques-uns de ses subordonnes,
pénétra dans l'auditoire de l'évêque, et par violence y enleva Jesselin
ain->i que le scelleur et le procureur de la cour épiscopale. Traînés
ignominieustmenl dans les rues de la cité, Jesselin et ses compagnons
d'infortune furent chargés de chaînes et jetés dans un cachot dont
ils ne sortirent qn'après plusieurs jours.
C'était un clerc qui, dans la personne de Jesselin, avait été traité
de la manière la phis injurieuse, au mépris des privilèges que les
deux pouvoirs s'accordaient à reconnaître au clergé. Les victimes
des agents royaux s'adressèrent au Parlement : le 9 juin i.'^i8,
elles obtinrent un arrêt qui leur assurait une éclatante réparation.
Les coupables, à commencer par Jean de Sancerre, furent déclarés
déchus du droit d'occuper désormais un poste dans l'administration
royale ; ils furent condamnés à reconnaître publiquement leurs torts,
à en faire amende honorable, un cierge à la main, dans l'église des
Frères Prêcheurs, à subir un emprisonnement d'une durée égale à
la durée de celui qu'ils avaient infligé à Jesselin et à ses compagnons,
' Cr. V. Germain, l.e temporel de' erêqaes de \î(iijaetoiie Montpellier, i8-j()), p. i8.
S\ \IK. 351
et a leur paver une indemiiité de cinq cents livres '. Si, comme il est
probable, cet arrêt fut exécute, on peut estimer que la cour avait
donné au\ oITensés une réparation proportionnée à Toulra^e.
Cependant il semble certain que cet incident détermina un
ciiangemenl dans la vie de Jesselin de Cassagnes. A partir de l'année
iSi-, nous n'avons plus aucune trace de sa présence à Montpellier.
En revanche, il apparaît dès les premiers mois de i3i8 avec les fonc-
tions de chapelain du cardinal Arnaud de Via, neveu de Jean XXII;
sans doute grâce à la protection du cardinal, il obtient du pape
la collation d'une prébende de chanoine au chapitre de Saint-Paul
de l'euouillèdes, qui avait été récemment fondé au diocèse d'Alet ''.
H n'est pas téméraire d'en conclure que Jesselin, dégoiité par son
aventure des fonctions qu'il remplissait à Montpellier, avait cher-
ché ailleurs l'emploi de sa vie. Peut-être enseigna-t-il le droit
canonique à l'Université d'Avignon ; ainsi s'expliquerait la composi-
tion de ses commentaires sur les Clémentines et les décrétales de
Jean XXll, œuvres en tout cas postérieures à i3i8, que nous signa-
lerons ci-dessous.
Quoi qu'il faille penser de cette hypothèse, Jesselin ne paraît pas
avoir eu à se repentir d'avoir quitté Montpellier ; il fut largement
indemnisé par les bénéfices et les fonctions ecclésiastiques qui lui
furenl conférés. Quelques années plus tard, en iSaS, il reçoit la
collation de l'archiprètré de Saint-Martin de Roquefort'' , au diocèse
de Narbonne; en l'année iStÔ, Jean XXIl lui confère, grâce à l'in-
lervention du cardinal Arnaud, une prébende de chanoine à la
cathédrale de Béziers *'. Le 3 février iSjy, Jesselin obtenait de
joindre aux bénéfices qu'il possédait déjà une prébende au chapitre
métropolitain de Dourges-'^'; il était alors chapelain non plus du
cardinal neveu, mais du Pontife suprême'"' et devait, un peu
plus tard, recevoir le titre et les fonctions d'auditeur des causes
' Lr> 0/i»i. I. III, n° i'J73; Marcel Four- du cardiual Aiiiaud , .lesselm avait été témoin
nier, Sinliiif cl pririléifes dcf Universités fraii- d"un accord passé entre l'abbé de Saint-Victor
f(u'.te.< . t. Il, 1). 367, n* Qi.S fci.t. de Marseille, Guillaume de Cardaillac, et
' Mollal , n ()5o4 (8 mars [."iiS). laiclievéque d Ai\ , Jacques de (^oncots (Cha-
' Cet arcliipiètré lui avait été conféré le noine Albe. Aiitonr de Jean Wll . t. I",
.Si mai i3a3; Molial, n° 17501. p. to6).
' 10 janvier iSaâ ; Mollat, n" aiS.SS. ''' Mollat , n° ■17772.
1.1' 1" loiil 13)3, à Avignon , dans la maison ' Cf. n"" 26358 et 39964.
352 JESSELIN DE CASSAGNES, CANONISTE.
du Palais apostolique'^'. Aussi était-il étroitement mêlé à l'adminis-
tration de la justice du Saint-Siège; en même temps, la chancellerie
pontificale lui donnait fréquemment la mission d'assurer fexécution
de rescrits concernant les matières bénéficiales''^'. Pour ces divers
motifs, il tenait à Avignon une place importante; il semblait n'avoir
plus à attendre que fépiscopat, auquel le conduisaient assez naturel-
lement les charges qui lui avaient été confiées. Telle avait été la
destinée de plusieurs de ses contemporains qui avaient rempli des
fonctions analogues aux siennes, par exemple de Guillaume du Gun,
son collègue d&ns le collège des auditeurs'^', ou d'Armand de Narcès,
qui partagea avec lui plus d'une mission '*'.
Si tel fut f espoir des amis de Jesselin, cet espoir fut trompé. Nous
serions tentés d'en chercher la cause dans un incident que révèle une
lettre de .lean XXll, du 19 mars iSay'^'. Peut-être sous finduence
d'un zèle intempestif, Jesselin s'expliqua en termes fort peu mesurés
sur le pouvoir du Pape, qu'il semblait alfranchir des limites posées
par la tradition. Le passage de son commentaire des Extravagantes où
il consigna son enseignement sur cette question fit scandale, à tel
point que Jesselin dut le modifier gravement ; encore lui fallut-il
implorer l'indulgence de Jean XXll pour échapper aux censures que
lui faisait encourii- son opinion jugée hérétique. H est possible que,
])our ce motif, la nomination de Jesselin à un siège épiscopal ait paru
dilficile.
Quelle qu'ait été la portée de cet incident, il n'entra^ia point pour
Jesselin une véritable disgrâce; au cours des années qui siîivirenl, non
seulement il fut encore chargé de fexécution de rescrits de la chan-
cellerie'''', mais encore il lui lut donné de joindre deux nouvelles pré-
'' Il fil portail If lilif fil i333 lors delà '' On en trouvera un exemple sous le
liiiulation <lf la rollff,Miilf de Villfneuve-lès- n° •-!99G/i dfs Lettres communes de Jean XXI].
Ay\j^mm{COud'm,Cominentarins descriptoribus Armand de Narcès était alors chapelain du
ecclesiasticis, [. 111, «ol. 880). pape, doyen du chapitre du Tescou à Mon-
'-' Moliat, 11°' ai 6(il), 'J 1 9/43,223.33, 239G5, laubaii, chanoine de Chartres; il devint plu^
•>4952, jboSH, 3522(j, 2.^498, 257/41, 25791, tard archevêque d'Aix (ci'. E. Albe, Prélats
26009, •!6358, 26529, 26561, 26603, 26621, ori(/iH(iir« du Quercy, dans les Annales de
26691,26703,26715,26781,26919,27089, Saint-Louis-des-Français, l. IX, igo4-i9o5,
27/4'i3, 27691, 2822'!, igi/ii, 29169, 29196, p. 99).
29198, 29889, 2996'!, 3o/n6. l/ouvrage de '' Mollat, u° 28199.
M. Mollai est encore dépourvu de tables. ''' Voir, par exemple, Mollat, n^iogiS
'' Voir la notice df (luillauiue du Cun, qui et 4i334. Ces deux actes sont de i328-
suit.
SES ECRITS. 353
bendes à celles qu'il possédait déjà'''. Le voilà donc cinq fois chanoine,
à Saint-Paul, à Béziers, à Bourges, à Lodève et à Narbonne, sans
compter l'archiprêtré de Roquefort; il conserva ces bénéfices jusqu'à
son dernier jour. C'est à Avignon que la mort le frappa, au cours de
l'année i334, probablement un peu avant Jean XXII. Nous le savons
à n'en pouvoir douter, puisqu'un des premiers actes de Benoît XII fut
de pourvoir au remplacement de Jesselin dans les bénéfices qu'il avait
laissés vacants '^^.
En somme, le développement de la carrière de Jesselin de Cas-
sagnes semble avoir été entravé par deuv incidents: un conflit avec
les ofllciers du roi de France à Montpellier, et fiinpression fâcheuse
produite sur certains esprits, à Avignon, par l'exagération de quel-
ques-unes de ses doctrines. Ce jurisconsulte fut traité comme un
voleur, et ce canoniste, fervent défenseur du Saint-Siège, put passer
pour un hérétique. Peut-être eût-il évité ses mésaventures s'il s'était
conformé à la maxime des gens avisés qui redoutent les excès de zèle.
SES ECRITS.
A l'exception d'un seul ouvrage, dont nous ne connaissons que le
titre'^'et qui était, semble-t-il, une Concordance descitations bibliques
contenues dans le Décret de Gratien, les écrits de Jesselin de Cassa-
gnes sont des commentaires, ou, selon l'expression reçue, des Appa-
ratus sur les plus récents recueils de Décrétales. Ces commentaires
sont dédiés au protecteur de Jesselin, le cardinal Arnaud de Via.
Vipparatas ou Leclura sur le Sexte'*' paraît être le plus ancien
en date; cependant, du moins dans sa forme définitive, il ne sau-
rait être antérieur à iSiy, année où Arnaud fut créé cardinal. Il est
vraisemblable que cet ouvrage représente l'enseignement que l'au-
'"' Cela résulte des lettres de Benoit XII ad Bibliam domiiii Jesselini, in modico volii-
conférant en i335 les prébendes vacantes par mine» (Ehrle, //liioria ii6/iot/ictœ Romunorum
la mort de Jesselin: voir les lettres citées à la pontificuni, t. 1", p. 543, n° 1370).
note suivante. '*' Inc. : «Humana natura». — Bibl. nat.,
''' ig janvier i335. Abbé Vidal, Lettres lat. 4o86 et 4087 ; Berlin, f. 16G; Halle, Ye,
communes de Benoît XII, n" Sg a 64. loi. 37. Ces deux derniers manuscrits ont été
''' La mention suivante se lit dans un signalés par Schultc, Cicschichte dev Quelten
ancien catalogue de la librairie du Saint-Siège : iind Literatur des laiiniiischen Rechts, t. II,
« Concordancie seu auctoritates Decretonim p. 1 i|t).
iiisr. i.iTrÉii. — wxv. 45
;i54
JESSELIN DE CASSAGNES , CANONISTE.
Jeur eiil roccusion de donner à Montpellier sur le recueil proniulgu»"
nar Bonilace \ III.
Peu de temps après la publication de cet écrit, .lesselin fil
paraître son commentaire sur les Clémentines'' . Il l'avail composé à
Avignon; d'une mention insérée à la fin de plusieurs des manuscrits
de Paris et reproduite sur un manuscrit qui a appartenu à rabl)a>e
de Marnioutier, il résulte que cet ouvrage lui terminé le 7 sep-
tembre I 3i3 '"^'. L'auteur se donne dans cette mention le double titre
de professeur de l'un et l'autre droits et de chapelain du [*ape. Le
commentaire de Jesselin sur les Clémentines est postérieur cà c<'lui de
Guillaunu- de Montlauzun, et antérieur de trois ans à celui de Jean
\ndré.
Moins de deux ans plus tard, Jesselin lit paraître un commentaire
sur un groupe de vingt décrétales de Jean Wll, dont la drrnière en
date était du 1 v» novembre iS'JîS''^'; nous savons qu'un manuscrit de
'' Inc. ■■ liii|iciT(('liim in luiinaiia ...»
Makdsc.rits. Bil)l. nat. , lai. ^loô, 'iio(),
i/l33i, ibiios; Allas, 457; Laoïi, 38C ;
Reims, 7''i3 <'l y'i'i; .Sainl-Oiiit-r, l/io ci
'iTiS: Touis. 5(jT : Oxford , New Collej;e, 180 :
Oxlciiil, Corpus Christi (Collège, 70: Oxford,
Kvelei- Ci)lle','e, 17; Berlin, f. 16I) , (<• der-
nier niannscril est indi(|ué par Srfiiille, op. rit..
t. Il, [). !()().
' I5il)l. nat., lalin '1108, a la lin de
VAppnrdIas sur les (Clémentines. Voir aussi
lalin /jii6 el i'i33i. D'après la iiole d'un
religieuv ili' Marnioutier, reproduite par L.
Delisle {Notice sur les innnuscrits (lispnrus de lu
liihliotlièqiie de 7our<. dans Notices et extraits
des mtiiMscrits, I. XXXI, 1" jiartie, p. 3/i3),
et euiprunir-e au iiianuserit Oo de Marniou-
tier. aujour<riiui perdu, l'ouvrajjte de Jes-
selin aurait été achevé le 7 septemlire l3i8,
la liuitiènie année du pontificat de Jean XXII.
Mais le 7 septembre de la huitième année du
pontificat est le 7 septembre i323: le religieux
l)éiiédictin a certainement commis une erreur
facile à expliquer el conlbiidu Mcccxxiii avec
MC.cc.xviil. La véritable lecture est : 7 sep-
tembre i3:(3. Il X avait accord entre les ma-
nuscrits de Paris et le manuscrit de Tours.
''* l\r,. : » lleverenlissimo in Christo patri
<lumino suo Ariialdo. . . Deus ab eleiiio fulura
previdens . . . »
Il !•
MaM'SCFits. Rilil. nat, lai. 'iiiti
i/|33i, l'itiiG; .Amiens, 37(1; Arra> , /|.)7
(Ibàlons, t)5 ; (lliarties, -i-jh et 3o3 ; Douai,
(i3(i; Kpliial, 1/1 ; .Metz, 3i ; Saint Oincr, \M ■
Tours, ,')()•! ; Perugia, n"3o6; Berne, ''|()n; Kœ-
nigsberg, 1 r<3 et inS (ces derniers d'après
Scliulte, op. cit.. t. II, p. :!oa, note \). A. la
page I ■>. de l'ouvrage cité ci-dessou-> , J. W. Bi<-
kell dit que, de son temps, il y nvait un ma-
niiM rit de cet ouvrage à Slnlt{fail . ifms la
bibliothèque privée du Roi.
Editions. Incunable, sans lieu ni dale (im-
primé a Lyon), Main, [\cperto\iuin, n" '\llb\;
M. PcUediel, Ciilidoiiiie ijriienil des inciinn-
bles des Bihlintlièqucs paldiques de /''raiice .
n" ■!7'',7. J. \\ . Bickell, a la p. 3 'i t\i- son ou-
vrage, IJeber die Entsichuii'i und dcit liiiilifjcn
(iehraiicli der beideii Extravaipiiiteiisnmmhwifei)
des Corpus juris caiioniri (Maii)ourg, 182.')),
signale cette édition, contenant le texte et le
conmientaire di's Kxiravagantes, avec une pré-
face de François de Pavinis, canoniste italien
du XV' siècle, l ne édition donnée à Paris en
1 5 I 0 a été mentionnée dan-- le (atdloijiir des
maniiscrils (r.\rras (t. I\' du ('atalo(fiic ijéni'ral
des iimiiuscrits des Bibliothèques de Erunce. Dépar-
leinents, in-/j", p. 180). Sur l'insertion du com-
mentaire de Jesselin dans les éditions glosées
du dorpus jiiris cimoiiici , ^oir ci-dessous,
p. 3()0.
SES ECRITS.
355
cot ouvrage, conservé à Chartres, fut achevé le 'i4 avril 1325''.
Il faut remarquer que ce groupement de décrétales, que manifeste
pour la première fois IVcuvre de Jesselin, devait subsister dans
l'avenir ; c'est ce recueil ((ui a pris le nom d'Extravagantes de
Jean XXII'".
Ainsi les écrits de Jesselin de Cassagnes qui nous sont parvenus ont
été composés de iSiy à iSaô, pendant le séjour de l'auteur à Avi-
gnon. Ils sont l'œuvre d'un jurisconsulte familier de la cour ponti-
ficale, qui avait toute facilité pour connaître les idées qui dominaient
dans l'entourage de Jean XXII.
Dans ces divers écrits, l'auteur se conforme au plan traditionnel.
11 étudie successivement chaque décrétale. Il suit pour cette étude
l'ordre du Sexte et des Clémentines; en ce qui concerne les Extrava-
gantes de Jean \XI1 , il les commente d'après l'ordre chronologique,
qui n'est pas celui des éditions et que nous croyons devoir indiquer
de nouveau'"*' :
1. Extrav.
, Titre t, Ad onus.
1 2.
— XII, Dit'iuni cres-
2. —
— IX, Quia in ftUuro-
centt".
rum.
i3.
— IV, 2, Ad apostolaUi^.
3. —
— XIII, Cum ad sacro-
sanctae.
l'i.
— XIV, î , Quia non
nunquani.
4. —
— VIII, Copiosus.
.5.
— X. Prodii'ns (jnasi.
5. —
— V, Si rratrurn.
i6.
— XI, \<l MDsli'i apo-
6. —
— XIV, 1 , Quormndam
stolaliis.
.•xigit.
'7-
— VI, Anliqiiii' ••"ncii
7- —
— H, Siisct'pti.
tationis.
8. —
— IV, 1, Sedcs \p()-
stolira.
.8.
— XIV, ?>, \(l condi
toron\.
9- —
— III, Exsecrabilis.
'0-
— XIV, /i, Cum int.i
10. —
— VU, Sancta Romana.
nonnulli».
11. —
— II, Ecclesiie Ro-
mana;.
2().
— XIV, 5, Quia quu
l'umdam.
'"' Noie insérée à la fin (li> l'ouvrage , clans
le maiiuscril de Chartres, n" !io3 : cf. Schulte,
lier yalliciim, dans les Sit:un(jshc'i iclite de
l'Académie impériale de Vienne, classe de
phil. et d'hist., t. LIX, i868, p. i-jA.
'' Ce f^roupement est-il l'œuvre de Jesselin,
on ces décrétales ont-elles été réunies sous l'in-
llnence de Jean XXII? La question demeure
indécisi'; cependant, en faveur de la seconde
opinion, on peut invoquer un passage de la dé-
dicace adressée jjar Jesselin au cardinal Arnaud :
«Cum igitur dominus Joannes. . . noniaillas
constituliones per se novller éditas promul-
gaverit, inundo prospicere cupiens univcrso... »
Cf. J. W. Bickell, op. rit., p. .), <t Kistolic
littéraire, t. XXXIV, p. 5 19.
C Cf Histoire lillérnirc. t. X\XI\ , p. .")i.S,
note 6.
45.
356 .IKSSEMN l)K CASSAGNES, CANONISTE.
Jesselin indique d'abord le plan de chaque décrétale. Ensuite il en
commente le texte, en présentant ses explications sur chacun des mots
importants. Ses commentaires sont entremêlés de renvois nombreux
aux textes de droit canonique et de droit romain. Il cite assez
fréquemment les ])rinci])aux auteurs qui ont écrit sur l'un et
l'autre droits : iiiusi, parmi les canonistes, hinocent IV et le cardinal
d'Ostie, qui semljlent ses maîtres préférés, Alanus, Bernard de
Gompostelle , Geollroi de Trani , Pierre de Sampson , et aussi Guillaume
de Montlauzun , dont |ieut-ètre il s'est inspiré parfois dans son
commentaire sur les Glémentines, mais qu'il ne copie pas^''; parmi
les civilistes, il invo(|ue volontiers l'autorité d'Accurse; il connail
aussi les lois lombardes. En général, son commentaire se réduit à
des observations brèves et sèches, parfois à des explications purement
littérales. H connaît fort bien les textes et sait s'en servir; il est familier
avec les catégories juridiques et avec les méthodes du droit, mais il est
rare qu'il se livre à des développements amples et qu'il se hausse <à
des aperçus élevés.
Gcpendant il lui arrive de déroger à ses habitudes. Jesselin pro-
fesse une grande estime pour les hommes cultivés dont la science est,
à son avis, indispensable à ceux qui sont chargés du gouvernement
des âmes, et très utile à ceux auxquels est confiée une administration
temporelle'''; rangés autour de l'Église, ces hommes constituent pour
elle un rempart (ju'il tient pour inexpugnable. Aussi pense-t-il qu'on
ne saurait trop encourager et récompenser, par la collation de béné-
fices, les clercs qui se sont voués à de laborieuses et pénibles études
pour être en mesure de remplir ces fonctions. Quand, dans son
commentafre sur les Clémentines, il en vient au titre de Maçfistris
(V, i), il énumère par le menu les conditions et les prérogatives du
doctorat, donnant ainsi une preuve de la haute considération oîi il
lient ce grade '^. On trouve dans le texte de Jesselin d'autres passages
où le commentaire purement exégétique, qui suit pas à pas le texte,
tend à se transformer en une dissertation magistrale. Ces passages sont
''' Il cite GiiiHanme de Montlauzun au cours taire donné par l'nn et l'antre de froi» Eitra-
<le son commentaire des Extravagantes Exse- vagantes de Jean XXII pour constater que
crnhilis et Sedes Apostolira. Zabarella dit de chacun a son originalité.
Jesselin qu'il a imili' Montlauzun in mu/hi (tec- ''' Voir le a)minentaire de la hnlU' Exfe-
titra saper Clementinif , Proemiam, éd. de Lyon, crabiHs, t. III, c. unie, v° litterntù viris.
i5>!, loi. t). Il siidil (le rom|iarer le coinmen- '" Bibl. nat. , l«l. 16903, M. 106 y".
SES KCRITS. 357
peut-être plus uonibreiix dans son dernier ouvrage, consacré aux
Extravagantes. H ne faut ])as s'en étonner : l'auteur y rencontre, avec les
plus récentes décisions pontificales, les controverses qui passionnent
ses contemporains. En le lisant, on ne saurait oublier qu'il écrit dans
le milieu d'\vignon, pour la défense de la politique ecclésiastique qui
V est suivie. 11 ne se contente pas de magniiier la puissance du Pape,
le.r ammala in terris, ayant en mains les deux glaives et possédant la
juridiction non seulement sur les chrétiens, mais sur les infidèles, ni
de rappeler que les rois sont en conscience tenus de défendre l'Kglise
contre les périls intérieurs et extérieurs, ni de développer largement
la théorie du pouvoir indirect ratwne peivati'^^K II s'attache aux ques-
tions concrètes dans la discussion desquelles les ennemis du Siège
apostolique pourraient trouver des arguments. Aussi ne se borne-
t-il pas à faire connaître par le menu les privilèges des cardinaux, ce
qui ne doit pas étonner de la part d'un protégé du cardinal Arnaud;
mais encore pressent-il les objections qui pourraient être soulevées
contre les membres du Sacré (ioHège, à raison du fait que, résidant
à Avignon, ils sont pour toujours éloignés de leur titre et ne devraient
pas être considérés comme les chefs du clergé romain. C'est pour-
quoi, développant une idée déjà indiquée par Guillaume de Mont-
lauzun'^', il pose en principe que ubi est Papa, ibi est Romana ciiria, et
en déduit que les cardinaux créés par le pape d'Avignon sont bien
les cardinaux de l'Eglise romaine'^*.
Sur d'autres points nous retrouvons des préoccupations analogues.
On sait l'usage que Jean XXII a fait du droit de réserve. Tout en indi-
(juant qu'il ne conviendrait pas d'étendre les réserves outre mesure,
au risque de supprimer absolument les droits des chapitres et des ordi-
naires, .Ies.selin fait l'apologie de la réserve des bénéfices et indique
les raisons graves qui ont amené le Pontife romain à s'en servir;
nous sommes loin de l'observation quelque peu frondeuse que Mont-
lauzun se permet à propos de l'extension du droit de réserve '**. —
Sous la pression de l'aristocratie laïque, dont les membres veulent
•'' Voir le conimenloire (1^ la bulle (Jiiia loi 94 v° de l'édition de Toulouse, i534).
iiifaturorum, I. IX , c. unie. O Sur ia buHe Exterrabih.i , y' Romama Ec-
'*' «Ubi originarius gerit se ut ciirialem clnia, t. III, c. unie,
rensetor rurialis, non originarius» (Guil- >*> Ibiâ., y° renerramm.
launie <le Monllauuin , Leclara smper Sexto .
358 JESSEr.IN DR C\SS\GNES, CANONISTK.
suivre les modes du siècle, ni Ireijuentev ncridit m vins nnlnhliiis'^\
Jean XXll a été obligé de mitiger les graves censures infligées par-
(ilénient V à ceux qui prennent part aux tournois. Jessolin, en lion mo-
raliste et en canoniste expert, est très hostile au duel et à tout ( e
qui ressemble au duel, par conséqueni aux tournois; évidemment
la décrétale nouvelle n'est pas pour \n\ plain». Toutefois, il s'attache
à mettre en Ivimière un inolilqui justifie la conduite de Jean XXll.
H paraît dur, dit-il, d'interdire à des hommes libres, sous peine d'en-
courir les plus graves censures, le droit de di.sposer de leuiis corps
et de faire l'e.ssai de leurs forces. A rap])ui de cette idée, il invoque un
texte du jurisconsulte romain Gains, contenqiorain des Antonins,
qu'on ne s'attendait guère à trouver mêlé à une alïaire de tournois.
C'est d'ailleurs un texte (jui concerne la libre disposition pour la per-
sonne humaine, non pas de son corps, mais des biens qui composent
son patrimoine : mKinnm est infjcnms hominibns non esse liheram
saarnm rernm aliénât ioneni'^-K — Le Pape a été amené à promulguer des
sanctions rigoureuses contre les chrétiens qni lavilaillent, en armes
ou en vivres, les Sarrasins du royaume de Grenade. Toutefois, il a
limité à trois ans la durée de ces sanctions. Faut-il donc en conclure
que, passé ce délai, à l'encontre de nombreuses déclarations do ses
prédécesseurs, il tient cette contrebande de guerre pour aflranchie
de peines? Jesselin expose longuement les motifs pour lesquels cette
conclusion doit être écartée.
Ce sont surtout les décisions rendues par Jean XXll à l'occasion
des phases diverses de la brûlante controverse sur la pauvreté du
Christ que notre auteur s'acharne à défendre. En aucun endroit de
son œuvre il n'est plus abondant'-^'; il écrit sous l'impression toute
fraîche de la lutte, puisqu'elle se continue autour de lui et que la
dernière en date des Extravagantes qu'il commente, rendue le i J no-
vembre 13-23, n'est autre que la fameuse bulle Ciim inter nnnnidlos qui
compléta les condamnations portées contre la thèse des Spirituels.
''' (ilose siii- le mol eriihescunl de l'Kxtrava- qiias per te ipsum tu studios»' adiiiveniiccnrabis •
tçante Cjopiosus. - — Voir le commentaire de la decrctalc Qaia in
C 2, Diyeste, XXXVII , l a. Hemarquez que futurorum , lit. IX , c. unie, v" rationabilibus nliis.
Jesselin applique au\ chevaliers l'expiessioii '' On pourra s'en rendre compte en par-
ingenui homines. Il ne se fait pas illusion .sur courant le commentaire du dernier litre des
la \aleur de son argumentation, et ajoute: j'Alravaf^anles de Jean XXll . /.>t'rer6o/um si^ni-
t Alie rationes forsan super hoc reddi possent, fir.alione.
si:s l'.ciurs.
359
On sait que, par- cette bulle, le l'ape, tranchant de lonj^s débats, dé-
clara hérétique la croyance de ceux qui s'obstinaient à enseigner que
le Christ et les Apôtres n'avaient eu rien (pii leur appartînt, en propic
ou en commun. On pouvait être tenté de trou\er que cette définition
.^'accordait mal avec les décisions antérieures de Nicolas 111 et de (ilé-
ment V; nos prédécesseurs ont signale cette dilTiculté et indiqué les
arguments par lesc[uels Jean XXI 1 la résolut '". Jesselin entre-
prit, à cette occasion, de déterminer la liberté que conservait le Pape
vis-à-vis des décisions de ses prédécesseurs. C'était là une (|uestion
lamilière aux canonistes cont<Mnporains, par exemple à Cuillaume de
Monllauzun, qui l'avait traitée amplenu-nl. Comment Jesselin la ré-
solut, c'est ce que nous apprend la bulle lendue par Jean XXII le
iq mars i3j7''^'. Visiblement la solution (ju'il avait donnée excita la
susceptibilité d(!s théologiens de la Cour romaine, parce (ju elle sem-
blait reconnaître au Pontife suprènu! la laculté de créer à son gré des
dogmes nouveaux, et heurtait ainsi l'enseignenunl traditionnel qui
concilie l'immutabilité du dogme avec le déveloj)})('meut de la
croyance. Nous |)ensc)ns devoir donner ici le texte réprouvé, et placer
en regard le texte qu(; Jesselin acce})ta de lui substituer dans son com-
mentaire sur les Extravagantes. Le lecteur ne manquera pas de remar-
(juer la dernière phrase du texte nouveau et les renvois significatifs
(|ui y sont laits à divers fragments insérés dans le Décret de Gratien.
Texte A^clEN.
Colligo liic principeni erricsiîr Cliiis
tique vicarium posse etiam super tide
catliolica dtciarationem faccre, ut tlixi
supra iu {^lossa taiiiiuain, cuui ctiain no
vuni arliculuni l"idt.'i lacère possit , >(•( un
(juin (|ii()(t fidei articulus sumatur pro lali
(|U(id credi oporteal, cum prius neres-
sario non oporteret, E.rba, de hcretirix,
cum Clnistns^^'. ul)i statuit Papa firmiter
tore credeiuluin Cliristum esse veiuni
Deuni et verum hominein, cujus cou-
traiium ante dicere forle licebat , cuiu
Texte iNOUVeau.
(lollif»e flic principeni (îcclesiie (Ihris-
ficpie vicarium posse etiaui super tide
cattioiica declarationeni faccic, ul dixi
supra in glossa tainiuuin. Putesl etiam
articidum fidei faccre, si suinalur ar-
liculus noir j)i'iiprie sed lar^e, pro illo
quod credere oporlcat, cum prius ex
preceptis ecclesie credere non oportcat;
patet exemplum in liac decretati et de
siininia Tiinilnte, capitulo Fidei, pani-
graplio /^o;7(» Clem<ntisV, et per aliquos
ducitur in exemplum, ticet non videatur
' Histoire litlcraire, t. XX\I\ , p. 'i r)8 et siiivanles.-
le Grégoire IX , v, 7 ( Aiexandie lll).
''• MoIIhI, 11° -iSigy. — 7, Dccréfaies
360 JESSELLN DE CASSAGNES, CANONISTE.
Texte ancien. [Suite.) Texte noitveaii. [Suite.]
non esset prohibitum secundum Alanuni michi proprium, Extra, de hcereticis, ca-
ibi nolanteni, et récitât Guido xv* dis- pitulo Cu/n Chrisiu.i , iibi Papa interdiri
tinctiont', capilulo primo, <t colligitur f/c mandat ne quis de caîtero aiideal dicere
suinmn Trinitate, capitule Fidei, para Christum non esse aliqiiod secun<lnrn
graplio /*o/T0 Clementis W et liie'". (juod homo, cujuseonlrariumante dicere.
lirehat , cum non esset proiiibitiim si-
cundum aliquorum opinionem, que per dictum capilullim conlunditur. Sic Alaniun
ibidem notasse récitât Guido iti xv' distinctionc, capitulo primo. Perjani dicta vem
non credas Papam posse facere novum artiruluni , per quem nova fides inducalni ,
aut veritati fidei detrabatur aliquid vel accreseat (|uoad substanliam, xxv* (juestione,
primo capitulo'^', Siint (^liddin , et capitulo sequenti, et capitulo .SV ea destruerem ■*'
et capitule Que ad pcrpclnam.
L'œuvre juridique de Jesselin se réduit aux coniinentaires dont on
vient de parler; après son ouvraji^e sur les Extravagantes, il paraît avoir
cessé d'écrire. La fortune de ses œuvres fut d'ailleurs bien dill'érente. Le
commentaire sur le Sexte, d'allures un peu mesquines et venu trop
tard , ne semble pas avoir eu grand succès; nous en connaissons peu de
manuscrits et n'en avons aucune édition. \ous possédonsdes manuscrits
plus nombreux du commentaire sur lesClémenti nés ; il fut fréquemment
cité par les canonistes ; mais il fut loin d'être aussi répandu que le cé-
lèbre commentaire de .lean \ndré sur ce recueil, et il n'eut pas les
honneurs de l'impression. Le commentaire de Jesselin sur les Extra-
vagantes a eu plus de succès; outre des manuscrits en nombre au moins
égal au nombre des manuscrits de YApparatus sur les Clémentints
(auquel il était souvent joint], on en connaît plusieurs éditions'*';
mais, ce qui lui assura un succès définitif, c'est que, en i5oo, Jean
Chappuis le lit entrer, à côté du texte des Extravagantes, dans l'édition
du Corpus jiiris canonici donnée à Paris par Ulrich Gering. Dès lors, cet
écrit de Jesselin de Cassagnes trouva place dans les éditions glosées du
Corpus et le nom de son auteur demeura pour toujours lié au nom
du Pape dont il avait commenté les œuvres législatives.
''* Clémentines, t. I", c. i. ''' C. xxv, q' 2, c. 4.
'*' C xxv, (|° I, c. 6 et 7. "' A'oir ci-dessu», j>. 3.'>4.
SES ECRITS. 3G1
Ouvrages apocryphes ou douteux.
I. Baluze et Oudiii'" après lui ont attribué à Jesselin un Apparatus
in Decrctales, qui serait contenu dans le manuscrit de (^olbert 27/47.
C'est là une erreur .Ce manuscrit, qui porte actuellement le n° ^087 du
fonds latin de la Bibliothèque nationale, contient ï Apparatus de Jes-
selin sur le Sexle.
II. On trouve, au rapport de Schulte'^', dans un manuscrit de
Prague (chap. i, 27), une leuille contenant : Distinctiones, duinini
Greczehm, doctons decretum Avemonis, in lit. de elect. Si corani si
quaeras. . . [sic]. C'est probablement un extrait d'un des Apparatus
de Jesselin.
P. F.
(iUILLAllME DU ClIN, LÉGISTE.
Les renseignements que nous donnent sur la vie de Guillaume
du (^un les historiens du droit romain, Savigny et Adolphe Tardif,
tiennent eu quelques lignes '^'. Toutefois, grâce à des travaux
récents *"', il est désormais possible de déterminer l'origine de ce
personnage et de reconstituer sa carrière depuis l'année i3i 4 jus-
qu'à sa mort, survenue en i335.
•'* Baluze, Vitœ ... I. I", col. 809; Oiidiii, '*' Edmond Cabié, Guillaume de Cuii de
Commentarius de scripinribds cvclesiaslicis, t.U] , Rahaslens , professeur à Toulouse, t3li-13i6,
col. 880. dans la Revue historique du Tarn, 1876-
''' Geschichte der Qaellen umi Liteialur des '877, t. 1", p. 227 et suiv ; Brando Brandi,
canonischen Rechts, I. II, p. 200. \otize inlorno a Guillelmus de Canio, le sue
'^' Savigny, Geschichte des rômischen Rechts opeie e il suo insegnamento a Tolosa, Rome,
iin Mittelalter, t. VI (a* éd.), p. 34-36; Ad. 189a ; L. de Santi , Gaillanme deCunh, Tou-
Tardif, Histoire des sources du dt oit français , loiise, 1918, extrait des Mémoires de la Société
Origines romaines , p. 433-4^4. anhéologiqnc du Midi de la France.
IIIST. LITTÉK. \XXV. /xCt
362 r.lIFJALME DL CUN, LEGISTE.
Des témoignages irrécusables déiDontrent qu'à Rabaslens du I arii.
au début du xiv*^ siècle, existait une fuimille portant le nom de del
Cuiih^^\ que l'on traduisait en latin par de Cunho ou de Cucjnu, et que
nous traduisons en français par du Cun. Un membre de cette famille,
Pierre, damoiseau en i32 2'"-\ plus tard chevalier, paraît avoir été,
dans cette ])artie de la vallée du Tarn, le principal agent d'un puis-
sant personnage, Bernard Jourdain, seigneur de l'isle, qui joignait
à ses domaines héréditaires la seigneurie de Saint-Sulpice, petite
ville sise non loin de Rabaslens. près du confluent du Tarn
et de l'Agout ' . Une lettre du pape Jean XXII, écrite le l\ lé
vrier i3?3, fait mention d'une mission que Pierre du U,un venait
de remplir auprès de lui pour le compte de Bernard Jourdain '*'. En
outre, un acte du > octobre 1026, passé au château deSaint-Sulpice,
constate l'aveu, par Pierre du Cun, qualifié de chevalier, de nom-
breuses lenures qui lui appartenaient à Saint-Sulpice et dans le voi-
sinage immédiat de cette ville comme vassal lige de Bernard Jourdain,
et l'hommage que Pierre en fait à son seigneur; dp son côté Bernard,
en considération des très grands services que lui a rendus Pierre du
Cun, chargé de l'administration de ses biens, l'exempte du paiement
des droits féoflaux dus à l'occasion de l'hommage ^'. C'est évidemment
ce même Pierre du Cun, chevalier, qui mourut le 5 sep-
tembre i332, dont la pierre tombale était encore conservée en
1866 dans une église de Rabastens.
Or la lettre précitée de Jean XXIl suffirait à prouver que Pierre
avait un frère, engagé dans la carrière ecclésiastique. On ne saurait
douter (les faits qui sont relatés plus bas le démontrent surabondara-
u)ent) que ce frèrs fût le jurisconsulte Guillaume du Cun, auquel
est consacrée la présente notice. Ainsi Guillaume Benedicli, érudit
toulousain qui vivait à la fin du xvi^ siècle, était bien informé quand
''' Voir l'acle cité ci-dessous, note 5. '*' A. Coulon, op. cit., n° i 5(|6.
'*' Cite a\oc ce titre dans un acte mentionné '■'' Nous connaissons cet acte par une conlir-
parEdni. Cabié, op. cil. , p. 3^9- mation royale de juin i33o Arcli. nat. . J.l 66 ,
''' I,es Jourdain de risle avaient acquis la sei- n° l44!- — Le P. Anselme \ fait une allusion
gneurie de Saint-Sulpice et de domaines voisins vague au t. Il de son Histoire gènéalogiqae de
en I 38 1 et i a85. Cf. E. Rossignol, La commune la Maison de France et des grands ojjiciers de In
de Sainl-Salpice la Pointe, dans la Bevae hislo- Couronne p. 707 ) et traduit à tort le nom du
ri'^ue rfu Tiini ,1875-1876, t. I", p. 168 et 180. vassal de BemanI Jourdain par: Piene de
Saint-Sulpice est une commune du canton et (^ugnac.
de l'arrondissement de l.avaur (Tarn).
SA VIE.
303
il écrivait que ce jurisconsulte était originaire de Rabastens"'. C'est
d'ailleurs à Guillaume du Cun que fut confiée, en 182 4, l'exécution
des dernières volontés du cardinal Pelfort de Rabastens*-'; ce choix
s'explique fort bien quand on sait qu'il était compatriote du
défunt t^'.
Nous i^norous tout de la jeunesse de (luillaume du Cun. Il ne nous
est pas interdit de supposer qu il fit à Bologne, du moins en partie,
ses études juridiques; on peut l'induire d'un passage de sa Leclura
sur le Digeste, où il raconte un trait d'un maître du nom d'Albert,
qui paraît être Albert de Gandino, docteur bolonais de la fin du
xiii*" siècle'*'; joignez-v deux ou trois allusions à des usages suivis en
Italie. 11 faut toutefois reconnaître que ces indices sont faibles.
Les anciens auteurs ont répété que Guillaume du Cun avait en-
seigné dans deux Universités, à Orléans et à Toulouse. Pour
Toulouse, c'est incontestable; c'est là, comme nous le verrons, qu'il
acheva sa carrière d'enseignement. Était-il auj)aravant tnonté dans
une; chaire d'Orléans.^ Ce n'est pas impossible; mais nous ne pouvons
(''layer cette hypothèse sur aucun argument solide'^'. Ce qui est cer-
tain, c'est qu'en i3i4 Guillaume du(^un enseignait à Toulouse. I>e
'j3 juillet de celte année, avec plusieurs de ses collègues, il apposait
son sceau sur les nouveaux statuts de la Faculté de droit ". lin
' llepethiii ht cap. fiaynatius , Extra, de l'e.s-
lam. (I^yon, iGii ), fol. io5.
''' Voir ci-<lessoiis, p. 36<). Pelfort est mort a
SaintGéry, village voisin de Rabastens.
>' On avait proposé jadis, comme lieu de
naissance de (iuiliaume, divers villages de la
Haute-Garonne ( \d. Tardif, op. cit., p. 4a3)
et même le Nivernais [Histoire du payt de
Xiternais , dans les Œavres de maistre Gay
Coquille, Bordeaux, 1703, t. II, p. i'i']; et
Savignv, op. cit., t. V'I, p. 35). Il n'est pas
inutile de laire remarquer qu'on trouve dans
le département du Tarn douze localités appelées
Le Cun ; cette remarque nous est suggérée par
M. Portai, archiviste du Tarn (A. Tranier,
Dictionwiire historique et géographique du dépar-
lement da Tarn, Albi, i86a).
**' Brando Brandi, op. cit., p. la. Cf. Lec-
tura super Codice (édition citée ci-deisous,
p. 373), fol. 4a v°.
'■■' Diplovataccio l'aHirme (leile du manu-
.stril (!»■ Pesaro, rapporte por Biando Braiuli,
op. cit. , p. 9) , et aussi Trilheini , De fcriptnrihuf
ecclesiasticis , Paris, i5ia, fol. 117 v° ;
Forster, De hiitoria juris civilis lioinaiti
Ubri très (Bâle, i565), p. y'! 7; Philippe
de Bergame , Supplementam chronicorum , f Paris ,
i535j, ad ann. i3i3; Choppin, De domanio.
livre III , c. 37 , n" 1 3 ; et d'autres après eux ; cf.
Taisand, Les vies des plus célèbres jurisconsultes
(éd. de 17.^7), p. I. 52. On ne peut rien conrluro
de quelques citationstelles que celle qui se ren-
contre au folio 38 do la Leclura tuper Cmlice ,
concernant une coutume suivie a Orléans quand
un écolier mourait intestat. Il n'est pas question
du professorat de Guillaume du (]un à Orléans,
non plus d'ailleurs qu'à Toulouse, dans la
courte notice que lai a consacrée Conra(i
Ganer [Bibliotheca unirersalis, Zurich, iî)'i5,
p. aSg, et 1674, p. a 54).
'*' Marcel Fournier, Stnlutt et privilèges
des Unirersitéi françaises , t. I", p. 'iqj.
1<i.
364 C.[]ILI.AIVIE Dl! CUN, LEGISTK.
i 3 16-1 317, époque à laquelle il professa les levons sur le Code qui
nous ont été conservées'", il était à ra])ogée de sa réputation. Le
comte d'Armagnac lui soumettait un cas difficile, débattu devant sa
haute justice, et déférait à son avis'-'; le juge des appels de Toulouse
sollicitait de lui une consultation en matière pénale; il avait reçu
la mission de trancher un conflit né entre le baile et les consuls
d'une ville de la région '. l'ividemment il était le jiirisconsidte
en renom''*' que les Toulousains avaient eu le temps d'apprécier;
aussi est-il fort probable qu'il était arrivé à Toulouse bien avant
i3i4- L'année scolaire 1 3 1 6-1 3 1 7''' fut d'ailleurs la dernière
([u'il passa dans celte ville. A l'issue de cette année, comme ou le
verra, il quitta l'enseignement pour suivre la carrière des hautes
dignités ecclésiastiques. Jean XXII venait de monter sur le trône
pontifical, et on sait qu'il prisait fort les bons jurisconsultes.
C'est à ce séjour de Toulouse que se rapportent les leçons de Guil-
laume du Cun sur le Digeste et le Code, dont il sera question
])lus loin. Aussi s'explique-t on les nombreuses mentions qui y sont
faites de Toulouse et de la région dont celte ville est le centre. Il y
est question des consuls de Toulouse et de l'étendue de leurs pou-
voirs, de legs qui leur sont adressés''"', de l'Université de Toulouse
et de ses privilèges'' , des bâtiments où se fout les cours, trop étroits,
en i.')i6, pour l;i foule d(;s étudiants'^', du trésorier de Toulouse'"',
de l'évêché dont cette ville est le chef-lieu''"', des chanoines de la
cathédrale et du singidier privilège qu'ils ont d'acquérir la volaille
à un prix de faveur'"', des reliques conservées à Saint-Sernin, dont
l'ostension n'eût pas dû être faite sans l'autorisation du Souverain
l'ontiff''-', des démêlés du chapelain de Saint-Sernin avec l'abbé et
le prieur''^', de la coutume de Toulouse'"''. L'auteur a connu les
'' Voir ci-dessous, n. ^f]b. on encore : « Dicunt advocali quotidie... i
''• Lectttia saper Codice , fol. ii v'. Guil- (lot. 49v°).
laume du Cun se vante d'avoir sauvé la vie *'' Brando Brandi, op. cit., p. i 7 et 20.
d'un coupable (cl. L. de Sanli, p. 1 1-1 1). ''' Lectara saper Codice, foi. 17.
(^ Ibid., foi. 89. "' Ibid.. fol. i5.
" Ibid., fol. .-^i V". Cl Ibid.. fol. 58 v°.
'" Kn celte année i3i6-i3i7,il est ohlifjé ''° Ibid. ,{ol. 78.
de s'aiiscnter proplcr ardna neijotia [Ibid., '"' /fcirf. . même folio,
loi. .^7 v°). — Il lui arrive à plus d'une reprise '"' Ibid., fol. i5 v°.
d'invoquer son expérience praticpie : ■ Vidi '"^ Ibid., fol. 36.
"de fiirlo sepis'itne el allegjivi isia « (fol. 88), " Ibid., fol. 76.
SA VIE. 365
conflits (lu comte de Foix avec le sénéchal de Toulouse, à la juridic-
tion duquel le comte iinit par échapper pour être placé sous celle du
sénéchal de Garcassonne'"; les noms de Cahors, de Carcassonne,
d'Albi, d'autres villes de la région, reviennent plus d'une fois sous sa
pUime; il donne d'intéressants détails concernant le droit sur leurs
charges qui appartenait aux tabiilarii de Narbonne'-'. Il va de soi que
nous ne rapportons ici que des exemples : ils snihsent à j)rouver
fine les historiens du Languedoc consulteront avec fruit les leçons
(le (îuillaume du Cuii.
Les historiens du haut enseignement devront moins encore négli-
ger ces le(^ons. Outre l'intérêt qu'elles leur présentent en leur olfrant
un excellent type de ce qu'était un cours de droit à celte époque, ils
y rencontreront des indications précieuses sur le personnel que put
IréquenterGuillaumeduGun''' à Toulouse quandily initiait les jeunes
gens à la connaissance du droit civil. On y lit quelques noms de
maîtres, peut-être incorrectement transcrits, qui ne sont pas connus
])ar d'autres témoignages: ainsi Jean Laurent'*', Pierre Nadal'*' et
i'énigmalique G. llonati^^'\ H en est d'autres dont les noms nous
sont parvenus par d'autres voies : ainsi Gaillard de Durfort, écri-
vain juridique dont un opuscule est conservé dans le manuscrit
738 de Reims, qui fut, sous le pontilicat de Glément V, chanoine
d'Agen et chantre de Gahors, et qui, plus tard, vers i3/i5, aban-
donna la carrière ecclésiasti([ue*^'; (ît Armand de Narcès, d'abord
professeur à Toulouse, puis doyen du chapitre du Tescou à Mont-
auban, constamment mêlé à l'exercice de la juridiction pontificale
et enfin promu à l'archevêché d'Aix, où, en i3^8, il succomba à la
[)este noire'-'. Un troisième jurisconsulte, quercinois comme les
'"' Levtiira mper Codke, foi. 3o v°. Au '*' Leclura super Codue, fol. S."?,
folio 37 v°, il est encore question du sénéchal '* Ibid., fol. S-j v°.
de Carcassonne. ''' Chanoine Albe, Les pirlais originaires du
'" /61W. . fol. 43 v". Qiiercy, dans les Annales de Saint-Louis-des-
''' Devic et Vaissete, Histoire générale de Français, igoô-ujoG, t. X, p. i65. Il ne
Languedoc, éà. Privai, t Vil, notes, col. 5 1 !i ; faut pas confondre avec ce personnage Guil-
Marcel Founiier, Statuts et privilèges des Univer- launie de Durfort, qui fut aussi professeur de
sitoyi-anfoise.?, t. I", p. 49.^. Notre jurisconsulte droit civil, archidiacie de Saint-Anlonin au
est cité dans ces textes sous le nom de Guillet- diocèse de Rodez, chanoine de Narboiine, au-
mas de Cumbo, ou, d'après une autre copie, diteur des causes du palais apostolique. Cf.
(/e Cuiipno, lectures erronées des formes rfe CunAo Albe, op. cit., p. 168, et G. Mollat, Jean
ou de Cugno. XXII. Lettres communes, n" ai 16a et aSoga.
'* Bruiulo Brandi, op. cit., p. 5i. '*' Cf. Chanoine Albe, dans les Annales de
2 6
366 GUILLAUME DU CUN, LEGISTE.
précédents, fut à Toulouse, non seulement le collègue, mais le rival
de Guillaume du Cun : Bertrand de Moiitfavet, élevé au cardinalat
le 16 novembre i3i6. Sur diverses questions de droit, les deux
collègues s'étaient trouA^és en opposition; le conflit, devenu public,
s'était accusé par des manifestations violentes, par une allercatio
magna, par un tnmnltus scolannm. Là-dessas Guillaume du Cnn
avertit qu'il aime mieux garder un silence respectueux, à cause de
la dignité éminente de son ancien adversaire'"'.
Si Jean XXII, par un acte des premières semaines de son pontificat,
appela au Sacré Collège son compatriote, l'émule et l'adversaire de
Guillaume du Cun, celui-ci reçut du Saint-Siège, à la même époque,
une grâce qui fut pour lui une manière de dédommagement en
même temps que le présage de plus hautes faveurs. Le 16 novembre
i3 16, il fut pouivu d'une stalle de chanoine au chapitre d'Evora, en
Portugal'-', avec expectative d'une prébende ou d'une dignité. Il \a
sans dire qu'il n'occupa jamais la stalle, et que tout au moins, pour
l'année scolaire 1 3 i 6-1 3 i 7, il continua son enseignement à Toulouse.
Quant à la dignité, il ne l'attendit pas longtemps, puisque, peu de
mois plus tard, il revendiquait en justice celle de chantre à Evora ,
qu'il finit par obtenir'^*. Cependant, encore qu'il eût reçu tout au
plus les ordres mineurs, et peut être tout simplement la tonsure, et
qu'ainsi il fût hors d'état de remplir les fonctions inhérentes à la cura
animarnm, il était devenu, vers i3i7, archiprètre de Lacroisille, au
diocèse de Lavaur''*', qu'il desservait par le moyen d'un vicaire. Le
4 mars i3i8, sur la recommandation de Bérenger Frédol, deuxième
cardinal de ce nom, qui occupait alors le siège suburbicaire de Porto,
il reçut une prébende à la collégiale nouvellement fondée à Castel-
naudary'^l Le 8 août de la même année, il est chapelain du pape et
auditeur des causes du palais apostolique. Evidemment il a dû quitter
Toulouse au plus tard à la fin de l'année i3i7'*''; il habite mainte-
nant Avignon, et, comme ses fonctions paraissent devoir l'y retenir,
Sainl-Loais-des-Fiançais , l. IV, I9o4-i()o5, Bertrand de Montfavel comme le conrurreiil
p QQ. de Guillaume du Cun.
'■' Voir le lexte de la Lerfura sur le Digeste '*' MoUat, n" 1947.
(1, Digeste, I, aa), cité par Brando Brandi, <'• Ibid., n" ôdîg, 8897, gSSS.
op. cit., p. 54- Cf. Lecttira saper Codire, '*' Conlon de Cuq-Toulia, Tarn,
fol. 32. Bartole (/n Diyestum novam, L. 1, ' Moliat, n° 6ii3g.
5 19, de extraord. cognit. , !.. i3, n° la) cite '' Ibid., n" ()9'!4.
SA VIE. 367
il est autorisé à toucher les revenus de ses divers bénéfices sans être
astreint à la résidence.
Là ne devait pas s'arrêter la brillante carrière de Guillaume du
Cun. Depuis que les papes réservaient à leur collation un grand
nombre de sièges épiscopaux, la mitre et la crosse étaient la récom-
i)ense ordinaire des services des auditeurs. Notre jurisconsulte n'eut
j)as longtemps à l'attendre '"'.
Sa promotion à l'épiscopat fut grandement hâtée par une puissante
influence. Arnaud Duèse, neveu de Jean X\I1, le même qui, armé
chevalier par le roi de France Philippe V, devait porter après son père
le titre de vicomte de Caraman'^', avait épousé .Marguerite de l'Isle,
s(X3ur de Bernard Jourdain, au service duquel nous avons vu que le
frère de Guillaume, Pierre du Cun, s'employait fort utilement. Les
deux époux étaient établis à Avignon; à côté d'eux vivait la mère de
Bernard Jourdain, veuve depuis nombre d'années. Entre JeanWll et
les Jourdain, les relations étaient fréquentes; de très nombreuses
lettres du Pontife prouvent le vif intérêt porté par lui aux membres
de cette maison, ses familiares , comme il disait, auxquels il accordait
volontiers ses laveurs sans leur ménager, à l'occasion, réprimandes et
rebuflades'^'. Nous n'aurions pas besoin de témoignages formels pour
être convaincus que le crédit de Bernard Jourdain ne fut pas étranger
à l'élévation du frère de son vassal et homme lige; mais ces témoi-
gnages ne nous manquent pas. Le 29 avril iSig, le Pape, par une
lettre adressée à Bernard, accuse réception de recommandations
faites par lui au profit de divers protégés, et, en particulier, de Guil-
laume du (lun ; il marque son souci d'y avoir égard en temps oppor-
tun, (juanliim decenter poterimas^'^K II est vraisemblable que Bernard
renouvela ses instances; une seconde lettre du Pape, datée du
■26 août de la même année, tout en opposant un refus, formulé en
termes très vifs , de tenir compte de certaines demandes de son corres-
pondant, atteste de nouveau des intentions bienveillantes pour Guil-
"' Mollat, 11° iooo3. ''' Cf. A. Coulon, ii" 3o6, 58o, 594,625,
''' Chanoine Albe, .liitoiir f/e 7eun A//, ilans 700, 735, 737, 857, 858, 860, qaa, 1037^
les Annales de Sainl-l,oui<i-des-Frnnçais , t. \l\, io38, iaa/i, i5o4, i588, i5q6, i6a6,
190a, p. i.o5. — Le aa avril iSao, le Pape i64i, 1642. i656, 1668. Ces lettres concer-
accorde à Arnaud et à sa lenime Marguerite le nent les aflaires de Bernard Jourdain ou de
privilège de l'autel portatif (Mollat, n°' 1 1287 son frère Jourdain de l'Isle.
et 11390). '*' A. Coulon, n° 860.
368 GUILLAUiME DU CLN, LEGISTE.
laume'*'. Sans aucun doute le Pontife, qui n'acceptait pas les yeux
fermés l'appréciation d'autrui, avait conçu de Guillaume une opinion
favorable, car, quinze jours plus tard, le lo septembre 1 3 19, le pro-
tégé de Bernard Jourdain était pourvu de l'évêché de Bazas'^'.
Comme Guillaume n'était pas enga;:;é dans les ordres majeurs,
celte nomination eût été irrégulière si le Pape n'en avait purgé le
vice par la dispense qu'il accorda en même temps au nouvel élu''*'.
Celui-ci dut alors se mettre en mesure de recevoir successivement
le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise, pour pouvoir ensuite
obtenir la consécration épiscopale. Tout cela prit quelque temps;
car, dans les premiers mois de l'année 1820, la chancellerie ponti-
ficale, quand elle s'adresse à lui, ne lui donne que le titre d'évêque
élu'*'. Il n'en est plus de même pendant la dernière partie de celle
année; alors le nouveau pasteur de l'église de Bazas a été sacré et a
pris possession de son siège. Toutefois il n'était pas devenu du même
coup un évêque résidant. 11 prévoyait à coup sûr de longues absences,
car il se fit délivrer parla chancellerie pontificale une lettre lui con-
cédant, pour quatre ans, la faculté de faire réconcilier par autrui les
églises et les cimetières qui seraient profanés dans son diocèse'^*.
En réalité, en dépit de sa nomination à l'évêché de Bazas, Guil-
laume du Cun continue d'être un agent actif de l'administration
spirituelle de l'Eglise romaine, qui n'avait pas voulu renoncer aux
services de cet utile collaborateur. Aussi le trouve-t-on plus Iréquem-
ment à Avignon qu'à Bazas. Nous n'en voulons d'autre preuve que les
très nombreuses missions à lui confiées par la chancellerie pontificale
pendant les années qui suivirent sa nomination; sans cesse il est
désigné pour être l'exécuteur des rescrits qui partent en si grand
nombre d'Avignon pour régler l'attribution des bénéfices dans les
''' Jbid.. n' gaa. çais , igoS-igoG, t. X, p. i44)- M. te chanoine
''' Mollat, n° io3o.S. Albe ne connaissait pas le nom de famille du
''' Une dispense était nécessaire toutes les Guillaume promu par la bulle de Jean XXII à
fois que l'élu n'était pas au moins sous-diacre, l'évêché de Bazas; mais , à cause des relations de
9, Decretales, 1, i4. (lulllaume avec les Maibosc, il conjecturait que
'*' Mollat, n°' iO()70, 10986. Cf. A. Cou- ce prclal était originaire du Quercy ; il ne se
Ion, n° laa/i. — Le 10 juin i3ao, par Tinter- trompait guère.
médiaire de son écuyer Raymond de Maibosc, D'après une lettre ponlilicale de lit-j (Mol-
Guillaume paye à la Chambre apostolique le lat, op. cit., n" 80734) , l'olTice de la sacristie
commune servitium (|u il doit à l'occasion de ses de l'église de Comminges est, à celte époque,
provisions (Chanoine .\Jbe, Prélats originaires du occupe par Pierre de Maibosc.
QuercY,i\nas\eh .innalesde .Saint-Loiii.^des-f'tan- '* Mollat , n" ioqjo.
SA VIE. 369
diverses églises de France on même d'autres pays d'Occident''^. On
jugera de l'activité de Guillaume si l'on veut bien remarquer que,
de 1 3 1 8 à 1 829, les registres de Jean XXII attestent qu'il reçut envi-
ron cent cinquante missions de ce genre. Remarquez que, parmi ces
missions, il en est qui ne furent pas sans importance. Ainsi, en i3'j 1,
en compagnie de deux m endures du clergé, dont Armand de Nnrcès,
il est chargé d'apaiser les esj)rits des Toulousains, clercs et laïques,
c|ui ont fait un très mauvais accueil au cardinal Pierre Teissier, vice-
chancelier de l'Eglise romaine, gratifié par Jean XXII d'une pension
à prendre sur les revenus de l'église Saint-Sernin, dont Teissier avait
été jadis abbé *^'. Le 10 août i3'j2, Guillaume est l'un des trois
évêques auxquels le pape confie le soin d'assister les exécuteurs testa-
mentaires de la vicomtesse de Béarn, inquiétés par les prétentions de
la comtesse de Foix''. En juillet 1 3^4, c'est lui-même qui, à Avignon,
doit procédera l'exéculion du testament de son conH)atriote le cardi-
nal Pelfort deRabasIens''. (hielques mois plus tard, c'est à ses soins
qu'est remise l'affaire d'un frère mineur du diocèse de Toulouse, Jor-
dan d'Alfari, jadis frappé d'excommunication pour apostasie, et main-
tenant absous et autorisé à entrer dans une maison de Bénédictins '*.
Vers cette époque, un conflit d'un grave intérêt politique s'éleva
dans la région pyrénéenne '"\ Le roi de Majorque, don Sancbe,
était mort le 4 septembre i3j4, ne laissant pour héritier qu'un neveu
âgé de flouze ans, celui-là même qui devait porter la couronne sous
le nom de Jayme II. Son proche parent, qui régnait alors en Aragon
(il .s'appelait aussi Jayme II), fut d'abord tenté d»; s'adjuger cette riche
succession et de refaire ainsi, aux dépens de l'orphelin, l'unité des
domaines qui avaient appartenu à ses ancêtres. Mais, sans hésiter,
Jean XXII avait pris le parti de l'enfant, légitime héritier; aussi
usa-t-il de son influence pour amener les sujets de la couronne
' Sur la i'oiiclion des exécuteurs, ti'llc que ''' [bid., n° ■!007i. L'analyse est moins
la comprenaient les canonistesde cette époque, conq)iètedans Eubel, BuUariamfranciscanum,
cf. Guillaume de Montlau/.un, Apparatitt coii- .Jean XXII, n° 5-47.
stitalionum démentis pape qiiinti (juedam parti- :'' Voir, sur ce conilit, G. Vloliat, Jean XXll
cale ( Rouen , 1 5 1 a ) , fol. i i 7 et suiv. et la succession de Sanche, roi de Mitjorqne, dans
'" i"maii3ai. Mollat, tt" r .3?()8. la Rexme d'histoire et d'nrchcoloyie du Roussillon,
'" [bid.,n' i5i)68. ' i(^o5, p. (55-83 et 97-108; et abbé Vidal,
'" Ibid. . n° 19927. Eubel IHieranhia. t. 1", Un ascète de sang royal, dans la Revue des Ques-
p. 16) n'a pu déterminer la date de la mort lions historiques, t. LXXXVIIf, 1910, p. 38i
de Pelfort. et suiv.
HIST. LITTER.
'n
370 GLILIACME DL CUN, LÉGISTE.
de Majorfjuo à reconnaître le régeni Pliilij^pp, oncle du jeune i-oi,
personnage de liante vertu qui, entré dans les ordres, était devenu
abbé (le Saint-Paul de Narbonne et trésorier de l'église cathédrale de
Tours. Philippe avait fait le sacrifice (fabandonner sa vie calme et
recu(Mllie pour prendre en main la direction des affaires de son neveu
et sauvegarder son héiitage. La tache n'était pas aisée; cor, si de
bonne heure le roi d'\ragon comprit qu'il devait renoncer à ses
prétentions, on comptait parmi les membres du haut clergé, de la
noblesse et de la bourgeoisie des régions pyrénéennes nombi'e de
persoiniages désireux d'écarter le régent, qui représentait l'influence
française, tui (ont au moins de le donnner. A la tète des adversaires
de Philippe se plaçaient, outre le comte Gaston de Foi\, ([ui était
i'àme de la résistance, l'abbé de Cuxa et l'archidiacre de (ierdagne;
les villes de Perpignan et de GoUioure étaient en pleine révolte; le
comte de Gomminges attisait le feu. Pour déjouer leurs mana-uvres,
Jean XXII envoya dans ce pays, dès le début de l'année i325, une
mission composée de deux évêques qui avaient sa coidiance : l'un
d'eux était l'évêcjue de Bazas, Guillaume du Gun, et l'autre, l'évêque
d'Agde, Raymond du Puy. Se conformant aux conseils de leur
maître, ils se montrèrent énergiques, et par les excommunications et
les interdits qu'ils prononcèrent, tant contre les ecclésiastiques que
contre les laupies, ils contribuèrent à réaliser les intentions dn Pape,
à désarmer les adversaires du régent et à pacifier la contrée'". Aussi,
en février i326, Jean XXll put-il songer à lever les censures qui
avaient été portées par ses représentants'"^'.
Entre temps un changement s'était produit dans la situation de
(ïnillaume du Gun. Depuis plusieurs années, ses amis sollicitaient
pour lui une promotion nouvelle. Son frère Pierre s'y était employé
au début de l'année i3'i3, lorsqu'il avait été envoyé en Avignon par
Bernard Jourdain. Le bruit courut alors qu'il avait négligé sa mission
pour ne songer qu'aux intérêts de Guillaume. Jean \XII prit soin de
rassurer sui- ce point Bernard Jourdain en justifiant Pierre du Gun'''.
Quoi qu'il en fût, Guillaume attendit encore son transfert pendant
deux ans. \ ers la fin du ])rinlemps de l'année i325, révè([ue de
''' Voir, siii- l'aclion di's nonces, la lettre ' Mollul , n° 's4/i()5.
de Jean XXll, du i ■! mai i H u 5, publiée dans ''' liCtlredu'i ievriei- i iiî.'l, i iléo jilus haut,
l'article cite de M. l'abl»'' Mollal , p. loi et .suiv. |i. 3(i!, note t^.
SA VIE. 371
Comminges vint à mourir. Le 6 juin, on ignorait encore sa mort à
\vignon"'; par une bulle flu 19 juin, Jean XXII s'empressait de
pourvoir à son remplacement'^', et par qui ? Précisément par l'évèque
de Bazas, Guillaume, qui sans aucun doute s'était acquitté, à l'entière
satisfaction du Pontife, de sa mission dans la région pyrénéenne, si
bien (ju'il semblait expédient de l'y établir à poste fixe. Au surplus,
il s'en fallait de beaucoup que cette mesure pût passer pour une
disgrâce, l'évêché de Saint-Bertrand de (Comminges étant sensible-
ment plus important et plus opulent que l'évêché de Bazas. Le trans-
fert de Guillaume du Gun à Gomminges a échappé aux meilleurs
érudits du Midi'-"; ils n'ont pas identifié le Guillaume qui, pendant
dix ans, occupa le siège qu'avait naguère illustré Ip futur Clément V.
Vraisemblablement la vie du nouvel évêque de Comminges fut
partagée entre son diocèse et les grandes alfiiires de politique reli-
gieuse. Il dut poui'suivre l'œuvre entreprise par Clémenl V, c'est-
à-dire la reconstruction de sa cathédrale, qui ne fut achevée (ru'.iu
milieu du mv*" siècle; mais, autant que nous pouvons en juger par
la partie publiée des registres de Jean XXII, il continua de recevoir et
d'accomplir des missions pour la cour- d'Avignon. En outre, nous
avons la preuve qu'il fit de longs séjours à Paris et joua un i-ertain
rôle dans les réunions d'évêques franc'ais. En i^j.H, il assistait à la
célèbre assemblée où fuient exposées devant Philippe de \ alois les
j)rélentions réciproques de la juridiction ecclésiastique et des juges
séculiers. En 1.^29 et i33o il est l'un des conseils juridiques aux-
quels lîobert d'Artois soumet ses prétentions, et les documents, plus
tard reconnus apocryphes'*', sur lesquels il les appuvait. Le 10 fé-
vrier i33o, il est au nombre des évêques qui assistent avec le roi à
la dédicace de l'église Saint-Louis de Poissy '^'. C'est par son officiai
qu'il se fait représenter au concile de la province d'AucJi tenu à
Marciac au cours de cette année''''. Enfin, le 19 décembie i333,
nous retrouvons l'évèque de Comminges au Bois de Vincennes; il
''' Mollal, n" -iîSiS et 225i4- sur lui el le iioinnii- n loit Gulllaiiiin' de Caivo.
•'' /feirf., n° 2 2 533. '*' H. Moranvillé, Guillanme du Hreiiil et
''' Abbé Leslrade, Un carieax ijroupe d'éiê- Robert d'Artois , dans la Bibliothèi^ne de l'Emle
ques comminqeois, notices et documents, dans la des chartes, 1887, t. XLVIII, p. 6/17 et <)^|8
Revue de Comminges . 1907, t. XXII, p. 36 et ''*' Gallia rkristiann , t. I", col. i 101.
suiv. L'auteur, qui donne une notice sur le '*' "'"'• L"" >" mars i33i , Giiillaunic,
successeur de Guillaume, n'en a point donné j"n*" «lélé^iié dans un procès inleressant le
372 CUn.LAHME DU CUN, LEGISTE.
y prend part à la solcnneHe assemblée (pi y lient le roi, entouré des
iirinces, de nombreux prélats et d'une foule de seip^neurs, pour rece-
voir la déclaration des théologiens les plus célèbres sur la question,
alors vivement agitée, de la Vision béatifique; on sait que cette décla-
ration fut contraire aux opinions que professait Jean XXII en tant
(pie docteur privé '"'.
(]e fut là, d'après l'état actuel de nos connaissances, la dernière
manifestation de l'activité de Guillaume du Cun. I.e siège épiscopal de
Comminges, vacant par le décès du titulaire, fut rempli le 8 novem-
bre i335 par la nomination de Hugues de (ibâtillon, auparavant
chanoine de la cathédrale'-. Nous sommes en droit d'en conclure
(tue c'est au cours de l'année i335 que la mort frappa Guillaume
du (iUn; nous ne savons d'ailleurs rien du lieu ni des circonstances
de cette mort.
SES ÉCRITS.
Nous devons à (luillaume du Cun deux ouvrages importants inti-
tidés, l'un, Leclura super Duiestani velus, l'autre, Lectura super Codice.
En outre, on peut citer :
un court Tractatus de munenbtts^^\ qui n'est qu'un chapitre détaché
de sa Lectura sur le Code;
un traité non moins bref De seciintatc (sur les asseurements) '''' et
un opuscule De diversis ojjiciis Digesli ie/c/75'''', qui pourrait bien avoir
fait partie d'une forme de la Lectura sur le Digeste, plus complète
(jue celle qui est parvenue jusqu'à nous.
Toutefois, pour apprécier la valeur de Guillaume du Cun comme
jurisconsulte, c'est surtout aux deux Lecture sur le Digeste vieui et
le Code qu'il faut s'adresser.
La Lectura sur le Digeste vieux n'a pas été imprimée, sauf le prohe-
inium^^K Elle a été conservée dans deux manuscrits du xiV siècle. L'un
iiiieuré de la Dauiade, à Toulouse, subdélègue '*' Ihid. , i. XII, p. a42.
(les juges. '*' Conservé dans le manuscrit 335, fol. ia8-
•'' Histoire littéraire, I. XXXIV, j). 6io; cf. i3o, de la Bibliothèque nationale de Turin;
Deniflc et Châtelain, Charlatarium Oniversitatis publié pai' M. Brando Brandi, op. cit., p. ia4-
J'arisicn.ù.^, t. 1", p. dîQ- i3o.
'" Abi)é Lestrade , /oc. ri(. '*' Le proliemium a été publié d'après le
''' Traclatu.': universi jitris, l. XII, p. 17 manuscrit de Forli par M. Brando Brandi,
et suiv. op. cil. .p. io'i-ii3.
SES ÉCRITS. 373
appartient à la Bibliothèque communale de Forli; l'autre à la Hihlio-
thèque jadis impériale de Vienne, où il porte le n° 2257. Nous n'avons
vu ni l'un ni l'autre de ces manuscrits. Ce que nous disons de la
Lectiira qui y est contenue vient principalement de l'ouvrage déjà
cité de M. Hrando Brandi", qui a étudié minutieusement le manu-
scrit de Forli, sans se préoccu])er du manuscrit de Vienne. Quant
à la Lectiiia sur le Code, il n'en existe, à notre connaissance, qu'un
seul manuscrit, appartenant à la Bibliothèque de Bàle (C. 1, 6); il a
été signalé par Ilaenel ''^' et par Savigny'^'. Fort heureusement cet
oiivrage a été imprimé à Lyon, en 1 5 1 3 ''*'. On ne connaît qu'un
nombre très restreint d'exemjîlaires de cette édition, dont It; texte est
défectueux; il n'en existe pas dans les bibliothèques publiques de
Paris'*'. Nous devons la coimaissance de la Leclura sur le Code à l'ex-
trême obligeance de M. Meynial, professeur à la Faculté de droit de
l'Université de Paris, qui a bien voulu mettre son exemplaire à notre
disposition.
Ces deux ouvrages présentent un trait conimun; ils ne sont pas
l'œuvre personnelle de Guillaume du Cun, mais pourtant ils repro-
duisent son enseignement. On sait que le Digeste vieux et les
livres I-IX du Code de Justinien étaient chaque année expliqués à
Toulouse par un docteur ordiiianc leijcns. Guillaume fut chargé à son
tour d'en faire l'explication. Un de ses auditeurs recueillit ses leçons, et
c'est ainsi qu'elles nous ont été transmises. Nos deux Lecture ne sont
autre chose que des reportationes , c'est-à-dire des leçons rédigées par
un étudiant'^'.
(^et étudiant était scrupuleux : quand il lui était arrivé de ne point
prendre de notes ou d'en prendre qui lui semblaient insuffisantes,
il en faisait modestement la remarque : « Istud non benc rcportavi;
hic non bene reportavi '''; istam questionem ego non reportavi, (piia
''' Voir snrioul Ifs pages 61-68 de l'ouvrage de Cungno, alias de Cuiieo, Lecliini super
déjà cité. Codice • , avec les additions de Renier de FoAi ,
''' Catalogi libronim manuscriptoram , col. et tes apostilles des docteurs modernes réiwiies
455. par Celse Hugues Descousu, de Chalon. Inipri-
'^' En i4i9 il en existait un manuscrit en nif' « Lyon , par Jacques Myl, en i5i3,in-fol.
deu\ volumes à la librairie de l'Université d'Or- '■" La Catanatense, à Home, et la Bibliothèque
léaiis. Cf. Marcel Fournier, Statuts et pririlèijef , de Munich en possèdent un exemplaire,
t. 1", p. 199. '*' Sur les reportationes , cf. Histnire lit-
'*' 0 Clarissinii juris utriusque monarche et <eraiVe , t. XXIV, p. 36g.
interpretis proi'undissiini domiiii Guilhclmi ''' Brando Brandi, op. cit., p. .S9.
374 GUIF.I-AUME 01 CUN, I.KGISTE.
cartifex nondum (letnlei-al luihi liljruin '"'. » 11 n'a pu roj)rocliiire
comme il le désirait la (in d'une leçon sur une loi du Digeste,
« propter tuinultum scholarium '^' ». Quand il avait manc|ué d'assister
au cours, ce qui était rare, il reproduisait sur son cahier les notes d'un
condisciple; c'est ce qui lui arriva le jour où il fut fait bachelier, et
où il dut renoncer à entendre Guillaume du Cun pour assister à la
leçon inaugur.de [prinrlpiani] d'un nouveau docteur, Jean Laurent,
qui était probablement de ses amis'"; ou quand, le 3 lévrier i3i(), il
se rendit à Gastelnau-de-Montratiei\ où il avait été invité au mariage
d'une cousine; il n'oublie pas de faire remarquer que la mariée était
très belle, pnlclierrima donne eUa^'*\ Il avertit d'ailleurs ^im lecteur (pie
la rédaction rie ces leçons n'est pas son œuvre, et qu'il n'en répond
pas : '< nescio si est hene reportatum '■" ".
r,e n'est pas seulement l'élève qui s'absente quelquefois, c'est au?si
le maître; en ce cas, Guillaume est remplacé par un confrère. 1, in-
cident est noté avec soin par le reportator. Ainsi, quand il en vient à
la loi 7 du Code, IIl, i [de jiidiciis) , il marque qu'elle fut répétée par
\rman(l de Narcès'"'. La loi i , Code, 111, i3, fut répétée par un per-
sonnage dont le nom est mal orthographié, mais qui ne peut guère
être que le jurisconsulte Gaillard de Durforl ' '. Enfin, à propos du
commentaire de la loi i,Code, 111, i 4, le rr'^or/a^or écrit :« Istam legem
« legit dominus G. Ilonuti, legum doctor, pro venerabili doctore et
" egregio domino nostro domino de Cunio, qui fuit absens illa die
«propter quedam ardua negotia ''*'. » On voit que nous avons affaire à
un étudiant laborieux, assidu aux cours et se tenant au courant de
ce qui s'y passe, quand lui-même ne peut y assister'"'.
Les commentaires de Guillaume du Cun sur le Digeste et le Code
datent <à peu près de la même époque. Nous pouvons déterminer
sans hésitation la date de la Lcctura sur le (!ode; elle représente l'en-
''' Leciura super Codice, fol. 48. '" LVdilion donne : « (ira de Duro fra « ' loi.
''' Brando Brandi, op. cil., p. 49. 37 v°). Voir ci-dessus, p. 365.
''' Lectara saper Codice, loi. 33. '*' Leclura super Codice, loi. 37 v°.
'*' Brando Branili, op. cil., p. li. Celte '*' ("est ainsi qu'il noie l'arrêt des (ours
mention se rencontre dans le commentaire sur aux vacances de Pâques : « Hic fecit pausani in
le Digeste vieux. festo Pasce» (Brando Brandi, op. cit., p. ."io).
''' Lcctura super Codice, fol. 33 et 48. De même dan» le commentaire sur le Code,
'" L'édition donne la lecture erronée : Ar- il note l'arrêt des leçons aux vacances de
mandd('Fnr(wîio (Fol. a;), que M. Brando Brandi Noël [Leclurn super Codice, loi. Sa).
n'a pas su identifier. Voir ci-dessus, p. 365.
SES KCRI'I'S. 375
selguement de l'annéf i^iG-iSi;, c'est-à-dire la dernière année
d'i'nseignenienl de Guillaume à Toulouse. La preuve en est fournie
par ce double fait qu'on \ trouve une leçon postérieure au 18 dé-
cembre 1 3 1 f) , jour où Bertrand de Montfavet fut appelé à faire partie
du Sacré (iollège '"', et qu'nne autre leçon est antérieure à l'érec-
tion du siège épiscopal de Toulouse en métropole, c'est-à-dire au
•iS juin 1 3 1 7 '-^ Quant à la Leclura sur le Digeste, c'est là que se
rencontre la mention de l'absence du rejwrtator appelé pour un ma-
riage à Castelnai!-de--\Iontratier; or, les noces furent célébrées,
dit-il, le 3 févriei- 1 3 1 6 '^'. Encore que cette date soit antérieure au
■>.:) mars, il est est impossible de supposer qu'il puisse s'agir de 1817,
car, en ce cas, il faudrait admettre (pie Guillaume du Cun, en i3iG-
i3i7, professait à la fois les deux cours ordinaires sur le Digeste
vieux et le Gode, ce qui est contraire aux règlements et aux usages.
Il faut donc l'entendre de i3 16'*', et en conclure que Guillaume du
(aiw termina son enseignement à Toulouse en lisant le Digeste vieux
en i3 1 5-1 3 16, et le Code en 1 3 i()-i3 1 7.
11 est un autre caractère qui est commun aux deux Lecture : l'un et
l'autre ouvrage sont incomplets. On sait que le Digeste vieux comprend
les livres 1 à \XIV-3 de la compilation de Justinien. Dans la Lectura,
on retrouve, commentées, les portions suivantes'*':
Prohemium; Livre V, titres 1 et 2 ;
l>ivre I, titres 1 , 3- 19, ai et aa ; Livres XII, Xllt et XIV;
Livre II, litres i, a , '1 . 5, 8-1 5 ; Livre XV, titres 1 à 3.
Livres il! et IV ;
il est à remarquer que le commentaire des livres 1, II, III et V
constitue, d'après l'index, la première partie de l'ouvrage. Après la
mention relative au livre XV, l'index se termine ainsi : « Explicit
« lectura domini Guilhelmi super Digestum'"' vêtus. »
''1 Lecliirn super Codice, fol. ?ti\ comnicii" (aiil (lu LangiicdiK- suive le slyle d'apiès lequel
laire de la loi unique. Code. III, 4- le inillésiine change à Noël.
I" Ibid.. loi. 78. Cl. A. Coulon, l.etlii< " Cf. Brando Brandi, op. ci<., p. 101- io3,
secrètes et ruriales du pape Jeun XXII relatives où est donnée la table des titres du Digeste
à la France, p. tèt. commentés par Guillaume.
''' Voir ci-<lessus, p. i-]i. '"' Angelo de Ubaldis, dans sa Leclura sur
'' Il n'y a rien d'anormal à ce qu'un liabi- la loi .'i, S lodu Dùjestuni norum . lUve Deopcris
376 GUILLAUME DU CUN, f.KGISTE.
H eu va de même pour le Code. Afin d'accomplir complètement
sa tâche, le maître eût dû présenter l'explication des textes contenus
dans les livres I à IX de ce recueil. En réalité, Guillaume du Cun ne
s'est attaqué qu'aux titres suivants ('':
Livre I, titres i à 4 ; Li\re VI, titres 2/1-26, t8, 3n, ."^i,
liivre II, titre 1 ; S^-Sy, 60-62;
Ijivre III, titres i-û, 6-i5, ly 20, Livre VII, titres 26, 27, 29-/16, 'mj-
22-26, 28-37; ^'' 53-56, 58, 60-66, 69-72;
Livre IV, titres 2 1, 25-27, ^9 ' I^ivres VIII et IX omis.
[>ivrc V omis ;
Ainsi, les deux Lecture ne comprennent pas la moitié des textes
réunis dans les recueils au commentaire descpiels elles sont con-
sacrées.
Il n'est pas impossible de deviner la cause de ces omissions. Nous
savons, en effet, par des témoij^nages contemporains, (|ue, à Tou-
louse comme à Montpellier, il était d'usage de répartir les textes du
droit romain, en particulier ceux du Digeste vieux, et des livres I-IX
du (iode, en diverses séries, dénommées panda, dont chacune devait
être expliquée dans une période fixée. Cette obligation était imposée
aux professeui's par les statuts de i 3 i ^ '■^' ; il est certain que Guillaume
du Cun ne put se dispenser d'en tenir compte'^*. Mais, à cette époque,
le pi-ogramme laissait aux professeurs une certaine liberté, qui paraît
avoir été restreinte plus tard''', (iuillaume, tout en observant, dans
une certaines mesure, le règlement relatif aux panda, paraît avoir
usé largement de cette liberté. Il est facile de constater (fue la liste
iiofi nuntintione (XVIII, 2), cite l'upinioii Fouinier, Stalnts et privilèijef , t. 1", p. '194 ,
d'un Ciiili (luilleliiujs) qui a commenté cette n° 545.
loi. On serait tenté d'en conclure que la Ler- '' On lit au lolio Sa de la Leclura super
tara sur le Digeste vieux, qui, dans le manu- Codice, à la fin du commentaire du titre à du
MTÏt di' Forli, s'achève au livre XV, litre 3 , livre III: « Hic fuit punctus quem l'ecit reveien-
a evislé dans une forme plus complète. Peut- " dus doctor Guillermus de Cunio in fesloNati-
êfre lex-inien du manuscrit de Vienne jetterait- ■■ vllalis Doiniiii. • La lête de Noël raarqunll le
il (|uelque lumière sur la question. Nous ne terme d'une période de l'enseignement.
|)ou>ons, en ce moment, tirer aucune conclu- ■*' Cf. Marcel Fournier, Histoire de iensei-
sion ; d'ailleurs, il n'est pas certain qu'il s'agisse giiemenl du droit en France, p. tSS et 284-
dans ce texte de (îuillaume du Cun. Les statuts de i3i4 yS Sa) avaient laissé
''' Cf Bran'lo Brandi, op. cit., p. 116-117, supposer qu'on pourrait en venir à une déter-
ipii a |pul)lié la table des titres du Code, coni- iiiinalion précise, d'ailleurs gênante pour les
mentes par Guillaume. maîtres. Cf MaiccI Fournier, op. cit., p. ïS3,
'' Statuts de i3i4, S 32. Cf Marcel note?,.
SES I':(:hits. 377
(les titres cominentés par lui dans ses Lecture non seulement ne
répond nullement au règlement ultérieur des puncta, mais ne con-
stitue pas une portion d'un ensemble systématiquement construit.
Il n'y a non ])lus rien de régulier dans le développement donné à
chaque niatière. Il en résulte qu'entre les diverses parties l'inégalité
est choquante. Par exemple, dans la Lectura sur le Code, le maître
traite longuenient de la possession '*' et s'étend à perte de vue sur les
substitutions '^\ tandis qu'il ne fait qu'effleurer la revendication et les
servitudes'^*. Or, lui-même nous dit que les questions de possession
intéressent la pratique quotidienne ; dans la seconde moitié du
xiv* siècle, Balde lit fortune à donner des consultations sur les substi-
tutions, matière valde utdis ad Lnrsam, comme l'écrivait à la même
époque le jurisconsulte Albéric de Rosciate'*'. Faut-il croire que ces
motifs expliquent la large part laite à la possession et aux substitu-
tions dans l'œuvre de Guillaume du Cun.^
La même inégalité se retrouve dans les développements donnés à
l'explication, non plus des titres, mais des divers fragments ([ui les
composent. Le maître part du texte et en prolonge ou abrège l'expli-
cation selon son goût ou son caprice, ou suivant les désirs de ses
élèves. Au surplus, à côté de la reproduction de nombreuses leçons,
on trouve, tout au moins dans la Lectura sur le Code, celle de quelques
repetilwnes. Or, les repetitioncs , dont étaient de temps en temps entre-
coupées les leçons, avaient surtout pour objet les lois difficiles, dont
l'interprétation comportait une étude plus minutieuse ; il n'y a donc
pas lieu de s'étonn(>r de ce que la longueur de la rcpetitio dépasse
celle de la leçon.
Quoi qu'il en soif , c'est une bonne fortune pour l'historien du droit
d'être mis en possession des leçons d'un maître justement réputé,
alors que ces leçons ont été recueillies par un élève studieux; nous
pouvons ainsi nous rendre compte de ce qu'était l'enseignement du
droit civil à Toulouse, vers la fin du règne de Philippe le Bel. L'im-
pression d'ensend^le (pii se dégage de ces leçons est analogue à celle
que produit la lecture des œuvres d'autres maîtres de la même
époque. L'enseignement qu'ils donnent, essentiellement analytique,
''' Fol. 80 et suiv. ''' Voir les textes cités par Brondo Brandi,
■'' Fol. 63 et suiv. [ila e doltrine di Raniero ia Forli (Turin,
"' Fol. 48, f)©, 5-3. i885), p. ag.
IlISr. LITTÉR. — x\\\. 48
378 GUILLAUME DU CUX, LÉGISTE.
procède de l'explication des textes. Les élèves n'étaient pas initiés
par un enseignement doctrinal aux principes non plus qu'aux
méthodes juridiques ; ils se les assimilaient petit à petit, parce qu'ils
vivaient dans une atmosphère intellectuelle qui en était imprégnée.
La syntlièse ne leur était pas présentée dans son ensemble ; elle
ne pouvait être que le résultat de leurs efforts personnels et persis-
tants.
Les deux Lecture de Guillaume du Gun, sur le Digeste vieux et le
Gode, ont été de très bonne heure connues d'un célèbre jurisconsulte
italien, contemporain de l'auteur. Renier de Forli, et utilisées par lui.
Le manuscrit de Forli, qui a conservé la Lectura sur le Digeste, con-
tient des annotations, œuvre de Renier, peut-être écrites de sa main'^^.
Il en était de même du manuscrit, inconnu de nous, de la Lectura
sur le Gode, d'après lequel a été fiiite l'édition de Lyon. Que ce
fût le manuscrit d'abord conservé à Forli et perdu depuis lors,
ou un autre manuscrit, on y rencontrait de nombreuses additions
dues à Renier. En général, ces additions sont indiquées par un titre
et par un sigle. Toutefois, quelques-unes sont, dans l'édition,
dépourvues de ces indications; aussi faut-il n'user du texte qu'avec
circonspection, si l'on veut éviter d'imputer au maître de Toulouse
ce qui appartient à son annotateur italien'^'.
Il serait intéressant de déterminer exactement le lien qui rattache
Renier de FoHi à Guillaume du Gun. Gertes, la réponse à la ques-
tion posée serait facile, si l'on pouvait admettre, avec Pancirole et
Mantua''\ que Renier, vers iSiy ou i3i8, a résidé à la cour d'Avi-
gnon en qualité d'auditeur des causes. G'est précisément l'époque où
du Gun y remplissait la même fonction : rien de plus simple que de
supposer des relations étroites entre les deux collègues, à l'occasion
desquelles Renier se serait procuré les cahiers où étaient consignées
les leçons de Guillaume. Mais il est difficile de penser que Renier
de Forli ait pu être appelé aux fonctions d'auditeur à une époque où
'"' Brando Brandi, op. cit., p. 6.'i. conclusion déinenlie par le contexte. Le pas-
'*' Au folio 3 de la Lectura sur le Code , on sage doit être attribué à un annotateur
lit : «Nos habemus consuetudinem initalia... > italien, vraisemblablement à Renier.
Comme ces mots ne sont précédés d'aucun '" Pancirole, De claris leiiuminterpretatoribus,
signe, le lecteur est tenté de les attribuer à p. i83; Mantua, Epitome illustnum jaris-
Ciuillaunie du Cun et d'en concluœ que consultomm, dans le Tractatas aniversi juri^,
Guillaume est d'origine italienne. C'est une I. 1", p. i64-
SES ECRITS. 379
il n'était guère âgé de plus de vingt ans*'*. Nous sommes donc hors
d'état de donner une explication certaine des relations d'ordre intel-
lectuel qui sont incontestables entre Guillaume du Cun et Renier de
Forii.
Dans ses deux ouvrages, Guillaume du Cun cite avec grande abon-
dance les textes du Corpus juris civilis, et parfois invoque l'autorité des
Libri feudorum. En revanche, le plus souvent, il semble ignorer les
textes du Corpus juris canonici ; il les mentionne très rarement, même
quand il traite des matières ecclésiastiques, par exemple, en commen-
tant les premiers titres du Code de Justinien. Il paraît bien qu'il agit
ainsi en vertu d'un parti pris; ce futur évêque, qui est surtout un
légiste, ne veut pas entremêler dans son enseignement les prescrip-
tions des deux droits. Guillaume cite très souvent la glose, vis-à-vis
de laquelle il n'abdique rien de son indépendance ; il invoque
assez fréquemment l'autorité des jurisconsultes, ses prédécesseurs
ou ses contemporains. Toutefois, comme on devait s'y attendre, les
citations sont moins nombreuses dans un ouvrage qui est une
rédaction de leçons qu'elles ne le seraient dans une œuvre composée
à loisir; au cours de la leçon orale, le maître ne peut se permettre
les longues énumérations qui trouvent place dans les œuvres écrites
et qui, si souvent, y alourdissent l'ex])Osé. Quoi qu'il en soit, Guil-
laume mentionne les anciens auteurs de Bologne, Irnerius, Marti-
nus, Jacobus et Bulgarus, puis Placentin, Albéric (qu'il appelle
souvent Aldéric), Jean Bassien, Odefroi, François Accurse, Azon,
Gui de Susaria. On rencontre aussi dans ses leçons les noms de
jurisconsultes, ses compatriotes, Pierre de Belleperche, le maître
célèbre qui fut l'un des fondateurs de l'école française, et Pierre
de Ferrières, qui, après avoir enseigné à Aix et à Toulouse dans
les dernières années du xiii^ siècle, devint chancelier du roi de
Sicile, Charles II, et archevêque d'Aix'^'. Notre auteur est plus
sobre de citations empruntées aux canonistes; cependant il men-
'"> Savigny, Geschickte des rômiscken Rechts t. II, p. 123 et suiv. ; Albanès-Chevalier, Gallia
im Mitlelalter, t. VI, 2* éd. , p. 186; Brando christiana novissima, Arles, n°' iSSg-i/l.'îo ;
hranài, Vita e doltrine di Ranerioda Forli, p. 6. chanoine Albe, Aatour de Jean XXII, dans
''' Sur ce personnage, voir Histoire litlé- les Annales de Saint -Louis -des -Français,
raire, t. XXV, p. 468 et suiv. ; cf. Ant. Tho- 1901-1902 , t. VI, p. 358 et suiv., et Prélats
mas. Extraits des Archives du Vatican, dans originaires du Qaercy , igo^-iOoS, I. IX,
les Mélanges de l'Ecole française de Rome, p. aa.
380 GUILLAUME DU CUN, LKGISTK.
lionne quelques-uns d'entre eux, par exemple, le décrétaliste connu
sous le nom d'Alanus, qui enseignait à Bologne vers i 220, Henri de
Suse, cardinal d'Ostie, Guillaume Durant, auteur du Spéculum jiiris,
et enfin le cardinal Le Moine'"'.
Les ouvrages de (niillaiinie du Cun portent la marque de son
époque. H étudie très minutieusement les textes de droit romain et
aime à en tirer des solutions accommodées aux besoins du mili(!u où
il vil. Pour y arriver, il sait mettre en œuvre les ressources de l'inter-
prétation juridique. A l'exemple de Jacques de Révigny et de Pierre
de Belleperche, il y joint j^nrfois les catégories et les procédés do
la dialectique; si l'on en ^ent des exemples, on pourra les trou-
ver, soit dans tel passage où il examine la valeur de l'argument
a contrario suivant les diverses formes sous lesquelles cet argument
est présenté'"'', soit surtout dans son commentaire du prologue du
Digesle^^', où il s'attache à montrer les différentes causes de la science
du droit, à savoir, la cause efficiente, la cause matérielle, la cause
formelle et la cause finale. A la dialectique, il emprunte volontiers les
divisions, (ju'il s'atlaclie autant qu'il le peut à ramener à deux mem-
bres, car rien ne vaut pour lui la divisio l>imembris^'^\ où il trouve sou-
vent le fondement d'un dilemme, argument pour lequel il marque
une particulière prédilection. Toutefois, il n'use qu'avec réserve des
armes (pie lui fournit l'arsenal des dialecticiens : il dit à plusieurs
reprises, et c'est la pure vérité, qu'il est plus soucieux des choses que
des mots'^'. Pour résoudre une controverse sur l'interprétation d'une
loi, son esprit vigoureux s'attache moins à des subtilités d'argumen-
tation qu'à la ratio leijis; il triomphe quand il peut appliquer l'adage:
Ubi est cadeni ratio, idem jus. 11 n'en use qu'à bon escient'*'', mais il en
use largement, car il n'est nullement emprisonné dans la forme ni
dans la lettre. On en trouverait la preuve en maintes pages de ses
écrits, notamment dans le traité que, au cours de sa Lectura sur le
Code, il a consacré à l'examen des nombreuses et délicates questions
''' (]'cst le cardinal I.e Muiiic qui est cité par '*' l.ectuia super t'odkc, fol. 63.
son litre de vice-chancelier (Lectura super '*' /W</. , fol. 3/4 et 68.
Codire, fol. i8 v°). ''' Voyez, par exemple, un passage de la
''' Lectura saper i'odicc , toi. i3 v*; Braiido Lectura super Codice , fol. 85, où il se refuse
Brandi, Ao/ùiV intorno a Guillelmns de (uiiio, à admettre l'analogie, parce qu'il n'y a pas
p. -70. eadem ratio.
''' Brando Brandi, np. cit., p. lO" et suiv.
SES ECRITS. 381
dont est hérissée la matière des substitutions'''. On sait que cette
matière était particulièrement dilTicile; les jurisconsultes la tenaient
pour une mer sen)ée d'écueils; Albéric de Rosciate ajoutait, à bon
droit : « Ista materia est subtilis et in ea sunt subtilitates sine nu-
méro'"'. » Guillaume du Cun ne se laissa point elïrayer par ces
difTicullés et n'eut pas à s'en repentir.
Sursa route, notre jurisconsulte nepouvait manquer de rencontrer
maintes questions d'un intérêt actuel, à propos desquelles se parta-
/.^eaient les juristes de son temps; il n'hésite pas à les résoudre. Ses
contemporains se demandent dans quelle catégorie de biens, meubles
ou immeubles, ils doivent classer les créances et les actions, aclionea et
nomma; Guillaume s'inspire, pour trancher la controverse, d'une idée
économique. Le droit dont il s'agit procure-t-il au titulaire des pres-
tations successives, c'est-à-dire des revenus, il faudra l'assimiler aux
immeubles'^'; dans le cas contraire, on le traitera comme les meubles''*'.
En elîet, l'un peut être classé parmi les biens qui constituent le fond
(les fortunes, mais non pas l'autre. De mèm(!, il a remarqué que, déjà
de son temps, il y a dans les familles des charges publiques [mililiœ^,
qui, si elles ne sont pas héréditaires, peuvent du moins être trans-
mises entre vils par vente ou autrement; tel est, dit-il, le cas des
labularii de Narbonne'"'. Lorsqu'un père aura acheté pour son fils une
charge de ce genre, la valeur de cette charge doit être imj)utée sur la
légitime du lils; comment on en devra faire l'estimation, c'est une
question que Guillaume s'applique à résoudre. Quand il a l'occasion,
à propos de la prescription acquisitive, de loucher cà la matière de
la possession, dont il sait tout l'intérêt pratique''"', il ne se borne
pas à critiquer Azon, auquel il reproche de voir surtout dans la pos-
session un fait, l'appréhension de la chose, tandis que lui-même y
aperçoit un droit résultant de l'appréhension; en dépit de l'unité
prétendue de la possession, il la décompose en possessio naluralis,
''' Fol. 63 >° et suiv. elles-mêmes, les créances et les actions, étant
''' lîrando Brandi, Vila e dotirine di Ranerio des droits incorporels, ne peuvent être clas-
ilii Forli, p. 29. sées dans la catégorie des meubles non plus
''' La même idée est indiquée par Beauma- que dans celle des immeubles. Pierre Jacobi
noir; il classe jtarmi les héritages les «choses discute longuement cette question et donne
qui valent par année» (CoHfunifs (ie 7ieaui'«ijis, une solution dilTérente (Praclicu. p. iti et
éd. Salmon, n° 670). suiv.).
' Lccluia super Cndice, fol. 8 v°. L'auteur '*' Leclara saper Codice, loi. 43 v°.
lait iiniai(|uer avec raison que, considérées en '*' Ibid., fol. 80 et suiv.
382 GUILLAUME DU CUN, LÉGISTE.
possessio civilis, quasi possessio naturaUs, quasi posscssio civilis, et, à
l'aide de ces distinctions, il assure la protection, au possessoire, de
toutes les situations qui méritent d'être protégées, notamment des
propriétaires qui n'ont que le domaine utile, tels le vassal ou l'em-
phytéote.
L'énumération serait longue des questions sur lesquelles il y aurait
lieu de recueillir l'avis de Guillaume du Cun. Il faudrait le suivre
dans sa première leçon sur le Code, où, à propos de la célèbre consti-
tution de Justinien Cunctos populos, il étudie la force obligatoire de la
loi et de la coutume, tentant de résoudre, comme l'avait fait son
contemporain Pierre Jacobi, un certain nombre de controverses,
relatives au conflit des lois, qui touchent au fondement du droit in-
ternational privé"*; il se range ainsi parmi les jurisconsultes de la
première partie du xiv* siècle qui ont laborieusement préparé et sin-
gulièrement facilité l'œuvre classique de Bartole. Il faudrait aussi
montrer Guillaume, à propos du privilège du for, s'efForçant d'en
démêler l'origine au milieu de l'enchevêtrement des constitutions
du Bas-Empire, et maintenant résolument, pour son temps, le
principe du for spirituel réservé aux clercs défendeurs, si bien
qu'il leur refuse le droit d'y renoncer en contractant'-'. Cepen-
dant, avec Jean Faure et plusieurs de ses contemporains, légistes
ou canonistes, il n'admet pas la compétence du tribunal ecclésias-
tique quand il y a lieu de connaître d'une action immobilière; il est
vrai que, s'il s'agit d'une action hypothécaire, le clerc défendeur est,
à son avis, fondé à réclamer la juridiction de la cour d'Eglise, parce
que l'hypothèque, même immobilière, est l'accessoire d'un droit prin-
cipal qui est généralement mobilier, le droit de créance*^'. Toutefois
notre auteur n'entend point, en défendant les privilèges de l'Eglise,
favoriser les abus dont ils peuvent être l'occasion. Après discussion,
il conclut que le juge séculier peut, de sa propre autorité et sans le
consentement du juge spirituel, se saisir du laïque qui, après avoir
commis un crime, s'est réfugié dans l'église '*'.
Il conviendrait aussi de ne pas négliger les opinions émises par
<'> Lectura super Codice, fol. ^ieliuiv. plus haut (p. 9.3 ) que Guillaume Durant,
'*' Ibid., fol. 18 v". quoique ai-dent défenseur des immunités de
''* Ibid. .fol. 16 v°. l'Eglise, était peu favorable au droit d'asile.
''' Ibid., fol. ao. Nous avons fait remarquer
SES ECRITS. 383
Guillaume du Cun sur des questions relevant du droit public. Sans
doute il fait à ce droit une pari restreinte, mais il en dit assez pour
indiquer quelques idées maîtresses. Il est de ceux qui reconnaissent
au peuple la puissance législative. En ce qui concerne les lois écrites,
le peuple a renoncé à se servir de ce pouvoir en le remettant par une
délégation aux mains de l'Empereur, la seule autorité temporelle dont
émanent des lois universelles; mais il l'a conservé et en use chaque
jour par la formation de la coutume, expression de la volonté popu-
laire dont elle tire sa force obligatoire '*'. Guillaume estime d'ailleurs
que le peuple est en droit de révoquer la délégatioh qu'il a laite du
pouvoir législatif, el même de déposer, ou, comme il le dit, de dé-
grader l'Empereur. Tant qu'il règne, l'Empereur possède des pouvoirs
très étendus; Guillaume du Cun, à la dilférence de plusieurs de ses
contemporains, enseigne que Constantin n'en a pas abusé lorsqu'il a
consenti sa légendaire donation, et que par conséquent cette dona-
tion est valable. Nous devons ajouter que, pour notre auteur, dans les
royaumes qui ne reconnaissent point de supérieur au temporel, c'est
le Roi qui tient la place de l'Empereur'"'; il assimile aux sénateurs les
membres du conseil étroit qui assistent le monarque. Nous imagi-
nons qu'il devait admettre, le cas échéant, la déposition du Roi comme
celle de l'Empereur, mais il ne parait pas s'être prononcé sur ce
point.
L'étude des constitutions impériales qui délèguent aux évoques
une certaine surveillance sur les marchands, ne modum mercandi
videantw c.vcedere'^'^K amène Guillaume à se demander dans quelle
mesure le pouvoir public peut limiter la liberté des commerçants.
Il conclut qu'en ce qui concerne les denrées indispensables à la vie,
il est légitime de réprimer les coalitions des vendeurs et de fixer un
prix qu'ils ne pourront dépasser; il admet même le droit de réquisi-
tion des marchandises, au cas où les commerçants s'efforceraient de
les soustraire à la vente pour les réserver à des spéculations ulté-
rieures. Mais il a bien soin de faire remarquer que cette restriction
de la liberté ne saurait s'appliquer en dehors du cas d'extrême né-
''' Leclara super Codice, loi. 2. à la donation de Constantin est citée dans une
'*' Cf. Gecil N. Sidney Woolf, Bartolus of note de Renier de Forli, publiée par Biaudo
Sassqferrato (Cambridge, 191 3), p. 38, 39, Brandi, /Votiîie, p. Ii4-ii3.
378. L'opinion de Guillaume du Cun relative ''' 1 , Cotle, 1,4-
38/1 GULLLAL'ME DU GUN, LÉGISTE.
cessité, ni quand il ne s'agit pas du commerce des aliments : (une in
talibus non compelhtur qnis vendcre^^\ Evidemment pour lui la liberté
est le principe, tandis que la contrainte est l'exception.
On a dit plus haut que Renier de Forli avait de très bonne heure,
peut-être même dn vivant de Guillaume du Cun, annoté les deux
recueils de Reportàtwnes sur le Digeste vieux et sur le Code, qu'il avait
la bonne fortune de posséder. Il fit plus; il s'en servit largement pour
la composition de ses ouvrages, et notamment de ses Repetitiones sur
les substitutions '-* où, tout en gardant son indépendance vis-à-vis des
solutions proposées par (luillaume, il le suit de très près et invoque
souvent sou autorité. Or Renier de Forli fut le maître de Bartole;
aussi ne faut-il pas s'étonner que Bartole, rians divers écrits, cite
fréquemment Guillaume du Cun. Remarquez qu'au xiv* siècle,
étant donné le très petit nombre de manuscrits qui contenaient ses
œuvres principales, Guillaume devait être un inconnu pour l'im-
mense majorité des juristes. C'est Renier de Forli et surtout Bartole, et
après lui, Balde, (jui firent sa réputation; après eux, en Italie et aussi
en France, son nom figure à côté de ceux des jurisconsultes dont les
avis fout autorité. Touti^fois, nous pensons ([ue le nom de Guillaunu!
devaitêlre plus connu que ses œuvres, dont les manuscritsne s'étaient
pas multipliés; évidemment ceux qui invoquent son opinion le citent
souvent de seconde ou de troisième main. On eût pu croire qu'il en
serait autrement après l'invention de l'imprimerie. Mais, comme on
l'a vu, seule la Lcctnrn sur le Code eut les honneurs de l'impression :
encore n'en parut-il qu'une édition fort médiocre, tirée à un petit
nombre d'exemplaires. Les gens avisés n'avaient pu manquer de
s'apercevoir que les Lecture de Guillaume présentaient trop de lacunes
et d'inégalités, et d'ailleurs avaient été conservées en un texte trop
défectueux pour rendre aux juristes les services qu'ils eussent été en
droit d'en attendre. wSi les hommes de la Renaissance continuèrent
pendant quelque temps de les citer'^', les imprimeurs ne se hasar-
dèrent pas à les éditer, et, par la force des choses, le public les
oublia. Même sur la personne de Guillaume du Cun s'étendit un
''' Leclwra super Codice, fol. 19 v°. Tractatas de jure legaliœ (éd. de Paris, i664),
'*' Voir à ce sujet Brando Brandi, Vilaedot- p. 34; par Choppin, De Doinanio, livre III,
liine di Rancrio da Forli, siirtoul p. acj et suiv. c. 27, n° \?) \ par Tiraquenu, Le mort saisit le
'^' Ainsi il est cité par ("luillaume Rusé, vif, V, 1 ; etc.
SES ÉCRITS. 385
voile épais, que les recherches de l'érudition contemporaine ont
seules permis de soulever.
Œuvres apocryphes ou douteuses.
Forster, dans son Historia jnris^^\ attribue à Guillaume du Cun,
d'après les anciens bibliographes, un opuscule De e.remptionibiis. Nous
n'avons aucun motif d'admettre cette attribution; nous ne connaissons
pas l'œuvre à laquelle l'orster fait allusion.
P. F.
ANONYME DE BAYEIJX,
\UTEUR DE QUATRE POÈMES EN FRANÇAIS.
Le manuscrit Irançais n" 8 de la bibliothècpie d'Evreux, provenant
de l'abbaye de Lyre'^*, et qui fut souvent, au xv' siècle, entre les
mains du «bon moine» Guillaume Alexis'"*', contient plusieurs
poèmes qui sont du même auteur.
Dialogue de saint Gregore.
Traduction en vers octosvHabiques du Dialogue de saint Grégoire.
A. Lângfors'*' n'indique qu'un manuscrit de cet ouvrage; il omet
celui d'Evreux et ne mentionne pas les extraits qui ont été publiés,
d'après ce manuscrit, par A. de Montaiglon dans la Romania (t. VIII,
p. 5 12).
L'auteur anonyme déclare qu'il a « pris et puisié son franchois au
"' De Hisloria jui-is civilis Boinani libri très t/e GuiV/aume ^/exi'i (Paris, 1896-1908), 3 vol.
(Bàle, i565), p. 227. in-8° (LSociété des anciens textes français], In-
''' Ch. Guéryj Histoire de tabbaye de Ljre troduction.
(Evreux, 1917), p. 377. '*' Les Incipit des poèmes français antérieurs
■'' A. Piagel et E. Picot, (JEavres poétiques au \vi' v/ec/e ( Paris , 1917), p. 79.
HIST. LITTKR. \XXV. 49
386 ANONYME DE BAVEUX.
«latin», de son mieux. Il prévoit des critiques, mais peu lui en
chaut :
. . . plusors gens les livres voient, « Cest livre n'est pas bien rimé »,
Et les escoutent et les oient . Ou : • La translation est fausse . ,
Et non pas a la fin d'aprendre, Et vont devisant de la sausse
Mes pour moquier et pour repiendrc;. Qu'elz ne sauroienl dcstrempcr ;. . .
Et dient li envenimé : Poy me chaut de lelz ennemis'".
Il a travaillé pour s'acquitter d'une promesse envers saint Grégoire,
son « ami »; non pour gagner « meuble ne rente ». Mais il veut «par-
« fournir» son livre, en écrivant aussi la Vie du saint. Pour le bien
de sa santé, mieux vaudrait, pourtant, qu'il posât la plume :
. . . Moût volontiers, si j'osasse, Quer je scey bien que tel estrerc
Quant a présent me n'posasse, Est a ma santé trop contrere. . .
Toutefois il a promis, et il lient à s'exécuter : voici donc la \ ie, qu'il
abrégera du reste. Le second poème se préseiile ainsi comme un post
scriplum du premier'"-'.
Vie saint Grkgore.
Traduction de la Vie latine de (irégoire le (îrand par Jean le Diacre
(cf. Histoire littéraire, t. XXXlll, p. 35'j).
Ce poème, écrit, comme le précédent, en rimes léonines, permet
pareillement des observations phonétiques précises. .1. Voung, qui
l'a étudié à ce point de vue dans une dissertation académie] ue en
suédois, conclut (|ue la langue de l'auteur qui, ainsi que le copiste,
était normand, n'a subi que peu l'influence du français central; et
cette conclusion a été acceptée par de bons juges'^'.
Il est daté :
En l'an rail .CGC. vint et sis, Tout soûl a i'oure de complie,
U vendredi saint, que je sis Fust ceste euvre loute acomplie*'"'.
'' Romania. t. \ III (1879), p. 519. Dianuscrit b^à de la Bibliothèque de (Cambrai.
• Il ne faut pas confondre cet ouvrage avec '' Roniaiiia , t. XVIII (1889), p. soi.
la Iraductlon en prose du Dialogue, dont il y '*' Ver, 30/47 ^^ l'édition A. de Montaiglon
a un bel exeniplaiie, du xiv' siècle, dans le { Romnnia , t. VIII, p. 5'|3).
SES ÉCRITS. 387
L'aulevir demande, en terminant, à ses lecteurs de prier pour lui
Notre-Dame et saint Grégoire. H ne dit pas son nom; le copiste, seul,
a dit le sien: maître » .lehan le Confez».
L'Advocacie Nostre Dame.
Le troisième poème, écrit tout à fait dans la même langue et dans
la même forme que les précédents, n'est aussi qu'une traduction.
L'original latin est intitulé : Processus Satanae contra B. Vinjinem coram
jiidice Jesn dans le Processus juris joco-seriiis (Hanau, 1611), et : Trac-
tatiis (juaestwms ventilatae coram D. Jesu Christo Inler Virglnem Mariam,
ex una parle, et duiholum, ex alia parte, au tome X de l'édition complète
des Œuvres de Bariole (Venise, iSgo)''. L'attribution de cet opus-
cule à Bartole, né en i3i3, est d'ailleurs insoutenable, puisque
l'Advocacie est certainement antérieure au (juatrième poème du
manuscrit d'Evreux, dont il sera question tout à l'heure, lequel est
précisément daté d'entre novembre i.'^2 i et juin i324*^'-
Il s'agit d'un procès où le diable réclame, par devant Jésus-Christ,
ses droits sur l'x humain lignage», et où la V'ierge plaide contre
le demandeur. «Ce cadre, dit G. Raynaud, a. été choisi pour faire
«connaître, non sans les ridiculiser un peu, les formes judiciaires
«du temps.» Mais non; si le procès a lieu «a l'umaine manière»
(v. 253), c'est-à-dire suivant les formes ordinaires de la procédure,
Si est ta chose plus legierc
Et plus aesie a enteiulre ...
Voilà tout. L'intention de tourner qui ou quoi que ce soit en
ridicule n'est perceptible nulle part; pas plus la procédure que
la Vierge, qui est représentée pourtant comme une frêle et ner-
veuse créature, dont les emportements contrastent avec l'argumen-
tation serrée, assez raisonnable et fondée en droit, de sa redoutable
partie.
''' Vo\. 127". Deutschland. Leiprig, 1867, p. a6a) esliine
(') Stintzing (Geschichte der popiilâren avei- raison que Bariole a remanié une œiivre
Literaluv des rômisch-kanonischen Rechts in antérieure.
388 ANONYME DE BAYEUX.
L'auteur ne date ni ne signe; mais il a imposé lui-même un litre
à sa traduction :
■ihgh- Doit l'en le livret apelci- De tuyt cil qui la veut amer
L'Advocacie Nnstrc Dame, Et a son besoing reclamer.
Quer el deirent le rors et lame
La reine Clémence de Hongrie, veuve de Louis le Hutin, morte le
i3 octobre 1828, avait parmi ses livres un exemplaire de l'Advocacie^^^;
Charles V en avait deux. <-'. On en connaît aujourd'hui quatre et
la lin d'un cinquième''; mais le manuscrit d'Evreux est le seul
où cet ouvrage soit suivi de l'espèce d'appendice dont il nous reste
à parler.
La CllAPELElUE NOSTRE DaME DE BaIEX.
On a dit : «Dans le manuscrit de la bibliothèque d'Evreux. . .
(( l'Advocacic N. D. est accompagnée du petit poème de la Chapclerie
« iY. D. de Baicx, qui en forme la suite immédiate et inséparable »**'.
Inséparable à ce point que les premiers mots de la Chapelerie :
lA'ii luy apele encor poui- el
n'ont pas été reconnus pour un incipit et ne figurent pas dans le
Répertoire publié par \. Langfors, quoiqu'ils y eussent leur place
inarquée.
Le fait est ([ue, dans le manuscrit d'Evreux, de même que la Vie
'" IJibl. nat. , Claiiainhault , ii" /171, loi. 32 lions, à part (Paris, iS.Sf)); r(. les papiers de
v°. «Vendu a Jehan Billouart». cet érudit : Bibl. nat., nouv. acq. Ir. ai 588,
(') L. Dclisle, Herlienhes sur lu librairie de loi. 1-1 ly (Notes pour une édition de l'Advo-
Charles V, t. Il, p. 6r),n ' 368 309- carie). A. de Montaiglon en lit imprimer en
<'' A. Langfors, o/j. cit., p. 38() («Se tous '869 une édition nouvelle (d'après le seul
iiceulz qui onques nez furent»). De plus, un manuscrit d"Kvreux) pour l'Académie des
fr.ipment, qui contient la fin du poème, se Bibliophiles. Mais cette édition n'a été publiée,
trouve dans le ms. -'.oooi des nouv. acq. fr. de par les soins de (i. Raynaud, qui l'augmenta
la Bibliothèque nationale, fol. 5; cf. flo/iian/a, d'une préface, qu'en 1896, après le décès
t.XXXIV, p. 3()7 cl .i()9-37i. — L'.4(/rocncie a d'A. de Monlaiglon et la disparition de l'Aca-
élé publiée, en longs extraits, par A. Chassant, demie des Bibliophiles.
d'abord dans le Recueil de la Société libre. . . '*' L Advocacie . . . , édition de l'Académie
de tEiirc ( i8''i(')-i8'i7), puis, avec des nddi- des Biblio|)liiles . p. iv.
SES ECRITS. ' 389
saint Gregorc est comme un posl scriplum , relié par une transition,
au Dialogue, la CItapelerie apparaît comme un appendice à FAclvocacie.
On a d'ailleurs vu plus haut qu'elle manque dans tous les autres
manuscrits de l'Adrocacie; et on ne l'a jamais rencontrée à part.
L'auteur de la Chapelcrie rattache son opuscule à l'Advocacie en
posant, dès le début, que Notre-Dame ne défend pas seulement le
corps et l'àme'", mais qu'on |)eut encore l'invoquer dans d'autres
nécessités. Elle sait aussi « défimdrc sou héritage», comme le prou-
vent l'allaire ou plutôt les deux aiïaires de la chapelle du château
royal de Maveux, dont celui qui parle a eu directement connais-
sance'^'.
Première a faire. — Pierre, évéque de Bayeux, eut jadis à soutenir
un procès contre le roi, qui voulait «tourner a luy les biens» de
ladite chapelle (200 livres de rente par an)'*', c'est-à-dire qui pré-
tendait en conférer le bénéfice, sous prétexte qu'elle était située «en
« son fieu et en sa franchise»; il invoquait à ce sujet la coutume de
Normandie. L'Eglise de Bayeux, de son côté, prétendait qu'elle avait
joui du droit de collation pendant deux cents ans, en vertu d'une
charte de (luillaume le Conquérant, lequel avait donné ladite chapelle
à son frère, évoque de Bayeux, avec l'appiobation de Rome. L'allaire
alla en appel de l'assise locale à l'Echiquier. L'évéque Pierre s'y
rendit pour plaider lui-même sa cause; le procureur du roi était un
certain Laurent Hérout, celui-là même qui avait lancé l'affaire en
première instance. Il parait que l'évéque, fort irrité, émit le vœu,
en pleine cour, que Notre-Dame punît de mort celui qui voulait la
dépouiller : « C'est ton droit, ma Dame; or le garde! » Or, en rentrant
chez lui, Laurent tira la langue et niourut. Ainsi périt jadis Ananias,
parce qu'il avait voulu frauder l'Église. Le sort de Laurent Héroul
excita quelque pitié, mais surtout de la crainte; les maîtres de l'Échi-
quier jugèrent prudent de donner satisfaction à un prélat dont la
''' Advocacie, y. tic)6. la ville de Bayeux (Caen, 1773), p. ii-i.
''' Hennant, dans son excellente W/s/oi/T (/« '^' Un nrrêt avait été prononcé, au par-
diocèse de Bayeii.r (Caen, 1705), n'a pas le:iient de la Pentecôte n79, pour déter-
eu connaissance de la première de ces aflaires, miner les droits du tliapelain du château de
et il n'a connu la seconde que par le Livre Bayeux dans la forêt de Bur (¥.. Boutaric,
liotttje de l'évéché; voir, plus loin, j). ln)'6, Acles du Varlemenl de Paris, t. I, p. 356,
note 1. — Cl. Béziers, Histoire sommaire de n° 350).
390 ANONYME DE BAVEUX.
malédiction avait été si eiïlcace. L'évêque Pierre remporta donc dans
ses foyers une sentence conforme à ses vœux :
De sa sentence enporta letre;
Je l'ey par piusors foiz veùe
Et entre mes .11. mains tenue.
Deuxième affaire. — Celle-là eut lieu au temps du rimeur (« a mon
«tens»). La contestation, apaisée par la mort de Laurent Hérout,
fut remise sur le tapis par Adam d'Orléans, vicomte royal de Cou-
tances, (jui haïssait l'Eglise. Cet Adam persuada au roi et aux royauv
qu'ils ne devaient pas laisser échapper, pour leurs créatures, cette
belle rente de la chapelle du château royal de Bayeux. Il fut mandé
en conséquence aux «sages» de Normandie d'e>amiuer le point de
.savoir si le droit du roi était certain. L'auteur tient de plusieurs de
ces « sages » qu'ils cherchèrent en vain de bonnes raisons ''. Cependant,
« sans garder ordre de droit, mes de fait, sans justice », le roi conféra
brusquement le bénéfice à un nommé Pierre Larchier'-'; et Adam
d'Orléans s'empressa de lui en délivrer la possession eu lui baillant
«calice, livre et vestemens», et en lui faisant prêter serment. La
femme de ce vilain bigame (le vicomte), qui osait ainsi « mettre la
" main aux saintes choses», n'assistait pas à la cérémonie; elle ne
valait pas, du reste, mieux que lui. Là-dessus, ce fut dans la ville de
Bayeux une indignation générale, et l'auteur vivrait mille ans qu'il
n'oublierait pas ce que dirent alors clercs et laïques. Mais l'évêque
était, en ce temps-là, un gentilhomme de la plus haute noblesse,
Guillaume de Trie (et «qui de bons est souëf flere »], modèle des
défenseurs de l'Eglise et de ses droits. 11 n'hésita pas à aller • au roy,
'' Le roi avait fnit nroréiler, en |3)6, n |)ellerie du château. Voir aussi le ms. 19'» de la
un vaste inventaire, très détaillé, de ses rentes Bililiolliéqiie du Chapitre de Bayeux: tTabula
et de ses droits en Normandie, sinon dans « boneficiorurn civit.ilis et dyocesis Baiocensis •
toutes les provinces du royayme (cf. Notices el (fol. 3 v° : • Apud Baioras, benelicia in ci\i-
exlraila des mamtscrits , t. XL, 1917, p. 311 «tate. . . »).
et 5., où celle grande opéralion a été signalée ' Ce Pierre Larchier est connu d'ailleurs,
pour la première fois). Or le «Livre Pelu • de En janvier iSay, il est )|ualifié de mailre,
Bayeux, conservée la Bibliothèque de Bayeux écoiâtre il' Aire et remplaçant de l'évêque di-
(ms. 11° 3), contient «Les partiez des terres et .Senli» comme conservateur des privilèges de
■ des rentes des fermes nostre sire le Boy et l'Université de Paria (Denifle et Châtelain,
• des autres choses que il a en la vicomte de Charlalariam Universitatis Parisiensis , t. Il,
«Bayeux, cnquises l'an cccxvi»; il faudrait p. i^"])-
vérifier s'il y est question du bénéfice de la clia-
SES RCRITS. 391
a Paris», en bon mari, qui va défendre l'hérita<je de son épouse
(l'Eglise de Bayeux). H fut accompagné par les vœux et les encou-
ragements de tous, qui disaient : « Ha! gentil Guillaume de Tiie. . . ,
« n'esperne chasse, ne calice, dras d'or. . . pour metrc en gage a cest
« besoing; met le plun dessus l'église en vente ! » Le chapitre lui
((lirait des subsides; il refusa, toutefois, car ce saint homme
. . . vouloit deffeiidre de sey. Dont il me fist les yex lermer,
A ses cous et sa propre mise, Que ja pour roy ne pour rayne. . .
L'eritage de Sainte Eglise. Ne leroit son droit a i equerre . . .
Encor li uy jeu plus dire. . . Fust devant Roy ou devant Pape.
Et niout hautement affermer,
L'évêque s'écriait encore que, s'il convenait à son état, il combat-
trait volontiers pour son droit en cette affaire, les armes à la main.
L'auteur l'a entendu déclarer enfin aux gens du roi, à Saint-Victor
de Paris (car j'étais là, dit-il, assis près d'un maître des comptes) :
« Moi vivant. Notre Dame ne sera pas dépouillée; mais je raurai ma
«saisine; je sais, du reste, qu'en cour de France on fait justice à la
«fin.» Guillaume de Trie plaida donc en personne et montra son
droit «devant les presidens». Mais ses adversaires ne chômaient pas
non plus, et la cour était pleine, comme s'ils y avaient été convoqués,
de baillis, de vicomtes, de clercs du roi et de maîtres des comptes :
c'est que Pierre Larchier, l'intrus, était neveu d'un maître des comptes
très bien en cour, maître Pierre de Condé, clerc du roi, qui menait
toute la bande. Adam d'Orléans fut cité devant le Parlement, puisque
c'était à son intimation que la question avait été soulevée'"'. Cepen-
dant, l'évêque, «entre ses dents», s'étonnait, comme autrefois son
prédécesseur en présence de Laurent Hérout, que la Vierge laissât
vivre un tel homme.
Le jour où l'affaire fut appelée, l'évêque produisit la charte de
Guillaume le Conquérant et l'arrêt précité de l'Échiquier, qui l'avait
'"' Arch. nat. , X', 8844 , fol. 90 v°. CI. E. «cipeliano capelle casiri nosiri Bnjocensis, et
Boutaric, Actes du Parlement de Paris, t. Il, ■Adam de Aurelianis, vicecomitém Constan-
n°65o3 (Vacations de iSai): «Bailiivo Codo- •ciensem, ad defendendam requestam quam
« meiisi . . . Mandainus vobis . . . quod adjor- « ralione dicte capelle diiectns et fidejis ncsler
• netis coram nobis seu gentibus nosiris par- lepiscopus Bajocensis. . . contra ipsos faceie
• lamentum noslrum teDcntibus, ubicumquc • iotendit et quam sub contragillo nostro vobi^
« parlamentum nostruni leneri contigerit,. . . « iniltimus inclasam. . . >
« itiagislrum Pelrum Archerii , gerentem se pro
392 ANONYME DE BAVEUX.
confirmée. Pierre Larchier était représenté par « nn bacheler qui
«estoitvenu de Roen » et qui ne plaida pas mal, mais très longue-
ment, pour son client et pour le roi. Puis « la cause fut mise en arrest ».
Adam d'Orléans avait été obligé, ce jour-là, de quitter f audience,
indisposé. Il fut malade six jours. Dans son délire, il continuait à
menacer « Noslre Dame et son héritage » et à jurer qu'elle perdrait le
« benelice de la chapelle». Mais, avant de mourir, il eut le crève-
cœur d'apprendre que l'arrêt avait été « contre Larchier pour Nostre
« Dame ». Puis il rendit son àme au diable, dans les tourments. 11 est
fâcheux, observe l'auteur, ([u'on l'ait enterré «en lieu saint», car il
doit soullrir davantage, d'après les bons clercs véridiques.
Ce fut un samedi matin, avant la Sainte-Catheiùne, en novembre,
que sa saisine fut restituée à l'évêque, franche et quitte, en plein
parlement. Mais il avait des dommages et intérêts à recouvrer contre
Adam d'Orléans, coupable d'avoir < mesusé follement de sa procura-
«tion». Cependant, lorsque les maîtres lui apprirent la triste fin de
son adversaire, il y renonça bonnement :
Il Seignors, dist il en sourriaiil , f>a Mère Dieu a pris l'amende ! . . ,
Ne cnide nul qu'a deniers tende. il me souffît pour sen Eglise ».
Laurent Hérout et Adam d'Orléans, Ananias et Saphira! Quelle
analogie, quelle leçon! Le poème s'achève par des invectives, assez
déplaisantes, contre ces grands coupables châtiés :
"Ha, mescheanl Adam d'Orlienx, Ou es tu or? En quel pais?
Com je croy que tu es or lienx Tu es en Enfer,
De celle que tu tant haïs ! Ou tu te rostiz et te testes ...»
L'analyse qui précède fait voir qu'il est très facile de dater la Chn-
pelerie. — La première affaire relative au bénéfice de la chapelle avait
été débattue entre l'évêque Pierre de Benais (i 376-1306) et ce Lau-
rent llérout que l'on trouve, dès 1292, chargé, avec le bailli Nicolas
de Villers, de lever les finances pour les nouveaux acquêts des églises,
maisons Dieu, universités et personnes non nobles en Cotentin'"'.
'' Historiens de la France , {.. XXIV , p. ' 1 5-!. on sait, romproniis jadis (sous Philippe III)
— Pierre dr Benais, créature cl parent «lu ilans le pnKès de ce |)ersonnage qui finit si
favori Pierre di- La Brocc, avait été, comme mal.
SKS i:CRITS. 393
Le second procès prit fin par i'arrèt rendu le 2 1 novembre 182 1 *''.
Ajoutons que, au moment où le poème a été composé, l'évêque
Guillaume de Trie «régnait» encore à Bayeux (v. 33oi); or ce per-
sonnage a été transféré du siège épiscopal de Bayeux sur le siège
archiépiscopal de Reims en juin i32 4- — L'opuscule a donc été
composé entre novembre i3ai et juin i324; il l'a été probable-
ment très peu de temps après le prononcé de l'arrêt, avant que
l'émotion causée par les événements fût amortie.
Composé par qui ? Par un clerc do l'évêque de Bayeux, qui résidait
d'ordinaire dans cette ville et qui accompagna Guillaume de Trie
lors de son expédition défensive à Paris en 1 32 1 .
Le premier érudit qui ait (en i85i) attiré l'attention sur le manu-
scrit d'Evreux, M. Pezet,a tenu à désigner nominativement quoiqu'un
comme l'auteur de la Chapelenc (et, par conséquent, de l'Advocaciey
Il a raisonné ainsi : il y avait à Paris, sous les derniers Capétiens
directs, un dignitaire du chapitre de Bayeux, qui était en même
temps «conseiller au Parlement de i^aris » , Jean Justice, fondateur
du « Collège de Justice » en l'Université de Paris. Chantre de Bayeux,
juriste (puisqu'il était «conseiller au Parlement s), «ami des arts»
(puisqu'il a Ibndé un collège), Jean Justice est l'homme que tout
indique comme ayant agréablement rimé des poèmes sur des matières
de procédure. Cette argumentation a paru d'une haute vraisemblance
à M. A. Chassant'^'; et (î. Baynaud la déclare encore «possi])le,
« vraisemblable même »'''. Elle n'est ni l'un ni l'autre, puisque l'auteur
était un clerc en résidence à Bayeux. Jean Justice n'a jamais été, du
reste, « conseiller au Parlement de Paris ». 11 a été clerc du roi depuis
1817 au plus tard'*' et souvent employé en cette qualité, non pas aux
parlements, mais à la Chambre des comptes, pendant les années sui-
vantes; il fut nommé maître clerc en cette Chambre le 5 mars i325'^l
Il est assez probable, à la vérité, qu'il fut mêlé au procès du béné-
fice de la chapelle du chàleau royal de Bayeux (car il s'intéressait
'"' Hermant (o/). ci(. , p. a 60) en mentionne le ''' L'Advocacie (éd. de l'Académie des Bi-
dernier épilogue comme il suit : «Diinsles as- bliophiles), p. vi.
sises que le baillif de Caen tint à Bayeux en [dé- *'' L. Perrichel, La Grande Chancellerie de
cembre] i3ai, notre évêque obtint main-levée France, des origines à i328 (Paris, 1913),
des biens qu'un particulier avoit saisis en vertu p. 543.
d'un mandement du vicomte de Coutance. . . » ''> J. Viard , Les Journaux du Trésor de
•'' A. Chassant, L'Advocacie Notre-Dame Charles IV le Bel, col. i5o, note i.
(Paris, i855), p. x.
HIST. LITTÉB. — XXXV. 5o
394 WATRIQL'ET, MÉNESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
fort aux hommes et aux choses du Bessin, comme on le voit par son
testament); mais, si l'on veut absolument risquer une hypothèse, il
est vraisemblable que son influence s'exerça plutôt au détriment de
l'évêque et en faveur du neveu et protégé de maître Pierre de Gondé,
son collègue, qu'il connaissait certainement dès i 32 i'''.
En résumé, les quatre poèmes du manuscrit d'Evreux sont l'œuvre
d'un clerc anonyme de Bayeux, dont l'activité littéraire est attestée
depuis la fin de i3a i, au plus tôt, jusqu'au vendredi saint de l'année
i32 7 (n. st.). On ne peut rien dire de plus.
Cj. Lj.
WATRIQUET,
MÉNESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
Charles V avait, au Louvre, quatre volumes que l'auteur du cata-
logue de sa librairie désigne ainsi : Watriquet, dont deux étaient
«historiés», et trois «de lettre de forme» ou «de vieille lettre de
forme ». Il y avait en outre « Le Miroir aus princes, par Watriquet » et
«Le Miroir aus dames, de Watriquet, un ménestrel, et y a fatras»'^'.
D'autre part il existe maintenant quatre manuscrits de « Watri-
quet», tous écrits vers le milieu du xiv'' siècle, et pour la plupart
ornés de miniatures; un cinquième n'est plus connu que par un
fragment :
A. Bibi. nat., fr. 1/1968. — Ce, manuscrit, de petit format, qui est romplet .
contient 33 pièces. Sous la miniature qui précède ta première, on lit : " V'eschi
'"' Pierre de Condé (+ 3 3 septembre 1 3 ■'.9) une de ses nièces fut nommée abbesso de
était normand comme Justice; voir, sur son Sainl-Antoiiie-des-dliamps prés Paris (cf. plus
compte, L. Delisle, Le Cabinet des mnnn- loin, p. /ii3, note f) ).
scrits. ... L II, p. 330, et Borrelli de Serres, ■'' L. Delisle, Le Cnbinet des manuscrits de In
Recherches sur quelques services publics, t. Il, Bibliothèque nationale, l.lll, pui6g, n" I3i5-
p. 377. Il avait accumulé sur sa propre tête un 1310. Cf. le même. Recherches sur In librairie
grand nombre de bénéfices {Regestam Cle- de Charles l (Paris, 11(07), ''■' V- > V- * "M ■
mentis papnc V' . n" 73oo); et, après sa mort.
SA VIE. 395
•omment Watriqués, sires de Verjoli, baille et présente touz ses meilleurs diz en
escrit a monseigneur de Blois, son maistre, premièrement le Mireor aus dames. »
B. Bibl. nat. , fr. 21 83. — Manuscrit de petit format; complet. Vingt pièces.
Lettres ornées; pas de miniatures ni de dédicace.
C. Bibl. de l'Arsenal, n° 352 5. — Vingt-six pièces, mais le manuscrit est in-
complet : deux feuillets (entre le fol. 87 et le fol. 88 .ictuels, et le dernier feuillet)
en ont été arrachés. La miniature initiale fait voir l'auteur à genoux, offrant son
livre à un seigneur et à une dame, qui caresse un petit chien. Le seigneur et la dame,
assis sur un banc, portent l'un et l'autre la couronne royale.
D. Bibl. royale de Bruxelles, n° 1 i 22 5. — Onze pièces seulement. « La miniature
de la première page représente un jeune homme agenouillé devant un homme assis
et lui présentant un livre. Derrière lui, trois figures de femmes, dont l'une assise et
tenant un chien sur ses genoux » (A. Scheler, Dits de fVatri<juel de Couvin, Bruxelles,
1868, p. xx).
E. Bibl. nat., Coll. Moreau, 1719 (cf. P. Meyer, dans les Notices et extraits des
manuscrits, t. XXXIU, 1" p., p. 87). Ce fragment d'un manuscrit perdu, du milieu
du xiv' siècle, qui devait avoir beaucoup d'analogie avec les précédents, ne renferme
([ue quatre pièces, dont une qui n'est pas ailleurs.
Le manuscrit A, qui commence par Li Mircoirs as dames, et le seul
qui contienne un «fatras», ressemble fort, à première vue, au
n° 1220 de la Librairie du Louvre qui présentait les mêmes particu-
larités. On ne saurait, cependant, l'identifier avec lui.
Par contre le manuscrit de l'Arsenal (C) est certainement le
n° 1 2 1 6 du Catalogue de la bibliothèque de (Iharles V, et l'exemplaire
qui était jadis, au Louvre, «couvert de drap d'or a .11. fermoirs de
laton». L. Delisle, qui recherchait et qui a reconnu tant de manu-
scrits de cette illustre provenance, ne s'en est pas aperçu*''.
En somme, dans ces cinq recueils, 33 pièces seulement. Quatre de
ces pièces se trouvent encore, isolées, dans un recueil général d'an-
ciennes poésies françaises, le ms. fr. 2 4432 de la Bibliothèque natio-
nale (anc. 198 du fonds Notre-Dame) que nous appelons ici F.
Il est à remarquer que, dans les manuscrits A et C, un grand
nombre de miniatures représentent l'auteur. Watriquet y est figuré
en différentes attitudes, mais toujours comme un jeune homme aux
'"' h'inctpitda fol. a, dans le manuscrit de dernier de ce mnnuscrit s'arrête au vers qui
l'Arsenal, est celui qu'indique le rédacteur du précède immédiatenient celui que le rédacteur
catalogue de la librairie de Charles V pour le indique corame Vincipit de l'avanl-dernièro
n* 11 \C). Le feuillet qui est actuellement le page dans le n° iai6.
5o.
396 watkiqdf<:t, mknestkei. et poète fr\nçais.
cheveux bouclés, vêtu uniformément d'une robe à capuchon, mi-
partie, à dexlre, vert olive, et, à scneslre, rayée de brun sur fond
chamois'"'. H y a là, indubitablement, tentative de portrait. Le ms. A,
qui est l'exemplaire du comte de Blois, et le ms. C, exemplaire pré-
senté au roi, ont été exécutés dans le même atelier, par le même
copiste et le même miniaturiste, probablement sous la surveillance
directe de VVatriquet '^'. Il semble que Watriquet en ait, lui-même,
rédigé les rubriques, différentes d'exemplaire à exemplaire, et qui con-
tiennent parfois la date de la composition, le nom du seigneur par qui
la ])ièce fut commandée'^'. Plus tard Christine de Pisan surveillera
tout de même l'exécution matérielle de ses livres.
Notre confrère M. P. Durrieu, à qui nous avons soumis l'œuvre du
miniaturiste qui a décoré A et C, la juge d'un goût un peu provincial
et probablement d'une école du Nord-Est : l'artiste, d'un talent ordi-
naire, ne travaillait certainement pas à la mode de Paris.
S\ VIE.
Watriquet ''', ménestrel de « monseigneur de Blois » , dont les œuvres
furent ainsi rassemblées par lui-même en bouquets plus ou moins
fournis à l'intention de bibliothèques princières, n'est connu que
par ce qu'il a dit sur son propre compte. Mais il aimait à se mettre
en scène et à dater ses ouvrages.
Voici ce qu'il nous apprend.
Dans le dit De l'escharbole, à quelqu'un qui l'interroge sur son
identité, il répond qu'il est ménestrel et qu'il se nomme « Watriquet
Brasseniex, de Couving » '^'. Et dans Li Tournois des dames :
D'autre meslier ne sai user WATRiQi'Er m'apelent aucun ,
Que de conter biaus dis et faire; De Couving. . . '^'.
Je ne nie mesle d'autre aiTaire.
•'' Un second personnage, placé derrière pièces qui ne se trouvent que dans le ms. fr.
Watriquet, porte le même costume dans la mi- 3 183.
niature initiale du manuscrit A. '^' Kd. Scheler, p. 3()9. — «Rrassenel»,
''' Cf. cependant, ci-dessous, le n° XXIX. dans A. Je Montaiglon et G. Uaynaud, Recueil
''' A, fol. 2; C, fol. laa. ijénéral et complet des fabliaux, t. III (1878),
'*' • Watrequins», dans le dit «Des .vin. p. 1.17. (!. Grôher {Grundriss der romanischen
couleurs» (éd. Scheler, p. ."ii/i) et dans «l'Es- Philoloijie , t. Il, p. 85o) érrit 1 Brasseniel > .
cote d'amours » (p. 3.)8) , c'esf-à dire dans deux "' llnd..^. 'l'iJ.
SA VIE.
397
Ailleurs [Des .///. clianoinesses de Couloicjne), il raconte qu'un jour,
veille de l'Ascension, il fit connaissance, au sortir de l'église, de plu-
sieurs dames fort ao^réables :
Je, qui pas n'estoie aviiiez
Au malin, ne beii n'avoie. . .
Balades et rondiaus menuz
I^eur dis et autres dis d'amours. . .
Que moult très volontiers oïrent;
Et en l'oiant me corijoirent
Et dirent iere bons compains.
Elles lui demandent son nom :
«... Or nous di ton nom . . .
T'avons nous autre foiz veû?
Seroies tu nient Rnni(iiiès? »
— « Non voir, dame , mais fi atriqués
Sui nomme/ jus([u'en Areblois,
Ménestrel au eomie de Blois
Et si a monseigneur Cauchier
Ue Chastillon '".
Couvin est un village du Hainaut^'', qui dépendait des seigneurs
(le Chimay. Or les seigneurs de Chiinay, au commencement du
xiV siècle, étaient alliés aux Gliàtillon, aux comtes de Blois-Avesnes
et, par eux, à la famille royale des Valois. 11 est donc naturel que Wa-
Iriquet Brasseniex, de Couvin, né dans les domaines de Jean de
Hainaut, seigneur de Beaumont et de Chimay, ait été attaché à ces
grandes maisons. — Le comte de Blois dont il parle, c'est Gui de
(Jhàtillon, comte de Blois, qui succéda vers i3o7 à son père Hugues
(le Chàtillon dans le comté de Blois et la seigneurie d'Avesnes; qui,
le 18 juillet i3ii, épousa Marguerite, fille de Charles de Valois; et
qui mourut en 1 3/^2 '^'. Le Gaucher dont il parle esl Gaucher, seigneur
(le Chàtillon-sur-Marne, connétable de France depuis i3o2, qui
mourut en luai iSaQ à l'âge de quatre-vingts ans, grand-oncle du
comte Gui.
Quant au « Verjoli » dont Watriquet se (lit seigneur'"', on l'a cherché
aux environs de Couvin; mais il est reconnu depuis longtemps que
Cl Éd. Scl.eler, p. 3-]5. Cf. A. de Montai-
glon et G. Raynaud, fiecueil ijénéral des fa-
bliaux, t. in, p. iSg.
'"' Province de Nainur, arrondissement de
Philippeville.
''' Sur Hugues de Chàtilion , qui « aiïectionna
ies lettres jusqucs à faire écrire les avantures
f,'uerrières el amoureuses de divers princes , qui
est ce que nous appelons romans», el sur ses
fils Gui et Jean ( le second fut doyen de Saint-
Martin de Tours; cf. Denifle et Châtelain, C/iar-
tularium Universilatis l'arisiensis , t. Il, n° 883),
voir J. Dernier, Histoire de Blois (Blois , 1683),
p. 3 16.
'*' oEt sui sires de \ erjoli » (cd. Sclieler,
p. 245). Dans le ms. E, on lit : «sires de Ver-
joli et d'Aise».
2 8
398 WATRIQUET, MÉNESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
c'est la seigneurie imaginaire d'un ménestrel qui se piquait de faire
joliment les vers.
Les plus anciennes pièces datées qu'on ait de lui , le dit « De Loyauté »
et le dit «Des quatre sièges», le sont de i3i9; la plus récente, de
juin 1329. Avant et après ces dates, la carrière de Watriquet se perd
dans la nuit.
Durant cette décade il vécut chez ses «maitres», dans leur suite;
suivant l'usage du temps :
En l'an de la grâce greigneyr Em Blezois ierc avec le conte ,
Mil et .CGC. Nostre Seigneur Devant cui je contai maint conle ,
XX et \'U, ou milieu d'octembre, Mains hiaus exemples et mains dis,
A Montferaut, si qu'il me membre, Fais de nouvel et de jadis'".
Le château de Monfraut, résidence de chasse fortifiée des comtes
de Blois-Avesnes, était situé parmi les prairies elles vignobles, à deux
lieues de la Loire , entre Sologne et Beauce , au centre d'une clairière de
la forêt de Boulogne, qui l'entourait de toutes parts '^', dans !a paroisse
de Thoury, non loin de l'endroit où s'élèvent maintenant les grandes
constructions de Chambord '^'. C'est là que Watriquet rima en 1 837 le
.( Tournois des dames» au mois d'octobre, et le 12 novembre son dit
(1 De la cygoigne » :
Ci fautli diz L'an XXVII, a .1. n)alin.
Que Watbiquès de la Cygoigne L'endemain de la Saint Martin
Fisl droit a la cave a Bouloigne, C'on dit a l'entrée d'y ver '^'.
'■' Éd. Scheler, p. 23 1 ( Li Tournois des dames). sa renommée s'étend «jusqu'en Areblois » , doit
L'éditeur a préfère à tort la leçon .Monlfer- s'entendre non de l'Arabie, comme le suppose
rant « du manuscrit A à celle des manuscrits C Scheler, mais d'Arrabloy (c°° de Gien , Loiret) ,
et D : « Montferaut ». — Il est singulier que le qu'on peut considérer, de Blois, comme à l'ex-
seul manuscrit où le nom du cluileau soit altéré trémité du val de Loire.
se trouve être précisément l'exemplaire du ''' Sur le château des comtes de Blois à
comte de Blois. Cf. plus bas, p. Sgg, note i. Montfraut, voir J. de Croy, Nouveaux docu-
''' Li tournois des dames. \. i a et s. Cf. v. 90 ments pour l'histoire des résidences royales des
et s. (description de la «sale» de Monfraut, bords de la Loire (Paris-Blois, 1894), p. i58;
dont le dais est peint de vermillon à besant» cl. Catalo<fue des actes de François l", t. VIII,
d'argent); et v. io5 et s. (vie qu'on y mène p. 335 et 558.
l'hiver au coin du feu, en buvant du bon vin ''' Ed. .Scheler, p. 390 et 5a 1. Var. du
et en mangeant du gibier) : m». B:
Je n'osasse en nule manière • • ■ • • . " , '«" ■
Souhaidier a esire plus aise. Et la r.rae de 1. Cygoigne,
Si con, li ors en la fournaise ^""i™" ' '" T*/ ^"'"'S"*
Com plu> y est et plus s'afine. . . P"": Watriquet d,t de Couvm,
' - ii; • J- Q"' poin' ne boit d laue con vin.
Le vers précité (p. 097), ou Watriquet dit que
SA VIE. 399
Le dit Li Mireoirs ans princes a été écrit, aussi en 1 3 27 , « ou recept »,
c'est-à-dire au manoir ou pavillon fortifié «de Marchenoir», dans le
petit oratoire près de la tour<".
En juin 1829, Watriquel composa son dit « De firaigne et du cra-
pot» à Becoiseau, château royal, sis dans la forêt de Créci-en-Brie''^',
Ou Charles et maint damoisel
lert alez pour esbanoier'^',
C'est-à-dire où il avait accompagné en villégiature « Charles », très
probablement le second fds du comte Gui, ie futur Charles de Blois,
duc de Bretagne, alors âgé de dix ans.
On le trouve encore, et surtout, à Paris, où le roi tenait ordinaire-
ment sa cour, dès lors assidûment fréquentée par la plus haute no-
blesse. Il assista sans doute, dans la capitale, le 22 juillet 1.V20, aux
fêtes du mariage de Marguerite, fdle du roi de France, avec Louis de
Créci, héritier présomptif de Flandre '*\ et à celles de l'avènement
de Charles le Bel en 1822 '^', de Philippe de Valois en 1 3a 8'^', qu'il a
chantées. La pièce n° XXXII de son œuvre n'a pu être écrite que par
quelqu'un qui, à force de séjourner dans la ville de la cour, était
devenu, pour ainsi dire, parisien d'adoption.
A. Scheler, l'éditeur des Dits de fVatriqiiet de Coavin , écrivait en
1868 (p. viii) : «Celui qui, plus heureux que nous, pourra un jour
feuilleter les comptes de la maison princière qu'il a servie, n'y ren-
contrera guère autre chose que son nom accolé à quelque chiffre
annonçant une largesse ou un salaire. » Ce sont, en effet, des rensei-
gnements de ce genre que l'on a tirés depuis des comptes d'Artois, si
bien conservés, au sujet des ménestrels de la comtesse Mahaut et sur-
tout de ceux des princes en rapports avec elle de i3o2 à 1329''':
Touset et Mahiet, ménestrels de Louis X; Pariset, ménestrel de
Philippe le Long; Guillemin, ménestrel d'Hugues de Bourgogne;
■'1 Li Mireoirs ans princei: , v. 19 el s. (éd. '' Li dis de la fcsle du comte de Flandre . i-d.
Scheler, p. 200). — Scheter a adopté la leçon Sclieler, p. ^tij.
de A: « Marchenvoie • ; la bonne leçon est dans C, '' L'arbre royal, ibid. , p. 83.
fol.35. Marchenoir, arr.de Blois (Loir-et-Cher). '' Dis da Roi. ibid., n. 373.
<■' Résidence favorite et construction nou- '' .1. M. Richard, Mahaat, comtesse d'Artois
vellc de Charles IV. Voir les Journaux du Tré- et de Bourijoijue (Paris, 1887), p. 107 et s. Cf.
sor de Charles IV le Bel (éd. J. Viard), au mol de Loisnc, L'hôtel de Boberl II d' Artois . à^m
oBecosolio (domus de, opéra de) b. le Bulletin du Comité des travaux historiques.
'"' Éd. Scheler, p. 66. (Histoire et philolo^e), 1918, p. 8/1.
400 WAÏRIQIIET, MENESTREL ET POETE FRANÇAIS.
Philippot, ménostrel de l'évêque de Thérouanne; etc. Or les comptes
domestiques de la maison de Blois-Avesnes étaient jadis conservés au
complet dans les archives de la Chambre des comptes de Blois. Lors-
que ce dépôt fut dilapidé ''^ des pièces et des rouleaux du temps du
comte Gui s'envolèrent dans plusieurs directions : les uns ont abouti
de bonne heure *^' ou récemment'^' au Cabinet des manuscrits de la
Bibliothèque nationale; la collection du baron de Joursanvault, dis-
persée en i838, en contenait beaucoup**', dont plusieurs sont au-
jourd'hui au Musée britannique, d'autres à la Bibliothèque muni-
cipale de Blois''"'. Mais nous avons examiné ou lait examiner ces
épaves sans y rencontrer le nom de Watriquet. 11 ne ligure pas, no-
tamment, dans un état intitulé : «Gaiges des gens de l'ostel mon-
seigneur de l'an mil CCCXIX», qui contient les noms de tous les
domestiques du comte Gui, depuis « mestre Gille», ailleurs qualilié
de «fjsicien», jusqu'au dernier valet de cuisine '*"'; et pas davantage
dans les comptes d'un voyage de la maison du comte à Reims,
pour le sacre, ou dans ceux des préparatifs d'une réception du roi et
de la reine à Blois*''. Comme les com|)tes d'Artois, ces comptes de
Blois, très détaillés, permettraient du leste de faire connaître avec
précision le train d'une cour princière, jusques et y compris «lestât
des enfans naturels de monseigneur'**' » et les achats de livres pour le
maître et pour ses ])arents ''■''; les noms des gens que Watriquet a dû
fréquenter et les objets qu'il a dû voir, même les denrées qu'il a dû
consommer, sont indiqués là jour par jour, au fur et à mesure des
'' À l'époque de la Révolulion française. le comte fîui en r.ivciir de ses clercs <lo-
Voir J. Viard, Les opévutuitis du lUireaii du inestiques {Jean XXII. Lcllrcs communes .
Triage; extr. de la Uibliolluquc de l'Ecole des analysées par G. MoHat , n°' i3i i, i3i6,36r!
chartes, ihWl (189G], p.4 ('1. L.de Laborde, et s., etc.).
Les ducs de liourqnrine , t. III (Paris, iSSa), ''' Nouv. acq. fr. ■îoortb, fol. 45 et s.
preuves, p. xvii et s. '*' Ihid. , fol. t)4 : « L'eslat des enffens na-
'■' II y en a au(jabiiiet des titres, fr. 271^4, turelz de Monseigneur, c'est assavoir Jehan et
dossier i633o. Guy, que il entent a envoyer a l'eslude d'Or-
''• Nouv. acq. fr. 20.TO() ((Collection Aubron) leans», sous la direction de « niaistre Jehan de
et 3O025, n"' 2()-45, 64, 85 et s. Saint (îoubain ».
''' Cataloifue analytique des archives de M. le ''' C'est ainsi que furent achetés en l3i()
fcaroH (/e yourMnrdii/; ( Paris, i838) , 1. 1, p. 73; {ibidem) pour «Jehan de Blois», frère du
t. 11, p. 16a. comte, «unes decretalles, un décret, un ordi
''' Bibl. de Blois, n*" 66, 79, 80. naire, le cas Bernart (Ce dernier nis.
''' Fr. 27194, fol. 10 v"; cf. L. de Laborde, était sûrement un exemplaire des Casus Bei-
l. c, p. 4, n° 53o8. — Le personnel de la iiardi [de Compostclla] comme il en existe en-
maison de Blois est connu d'autre part par de core beaucoup, de nos jours, dans les biblio-
noinbreusss lettres de Jean XXII, obtenues par thèques de manuscrits.)
SA VIE. /lOl
dépenses; mais les ménestrels dont il y est fait ordinairement mention
ne sont pas ceux qui étaient attachés à la maison du maître : ce sont,
comme ce Copin, «ménestrel le roy d'Angleterre et le comte de
Flandre», à qui «Monseigneur» fit donner 3o s. en 1819 *'', des
artistes du dehors, récompensés pour une représentation ou une mis-
sion exceptionnelles. C'est dans les comptes similaires de la cour de
Valois et de la cour de France, où Watriquet parut sûrement dans les
mêmes conditions que « Copin » à la cour de Blois, que l'on aurait eu
peut-être le plus de chances de trouver, s'ils avaient été conservés, la
trace de libéralités à son profit.
Watriquet fait connaître, par ses écrits, son éducation, sa condi-
tion et son caractère '^'. Il savait assez de latin pour prier en cette
langue'^' et pour citer des chansons en vers latins rythmiques'*'.
Ménestrel par excellence, il vivait au jour le jour comme les pauvres
diables, ses collègues, et ne fit pas fortune :
l\ n'a que fortune et eùr Ne pris .1. seul jour de repos
En ce mont, ce vous asseûr; De servir au mieux que je pos;
Ce nous tesmoignent clerc et iai. Mais adès sui tout en .1. point :
Des que de servir me meslai Je n'enrichis n'apouris point'*'. . .
On verra plus loin (p. 4i5i n" XXV] qu'il a revendiqué avec une
singulière énergie le droit des ménestrels aux « robes » et à la défroque
usagée des seigneurs dont ils étaient les domestiques'^'.
Il eut du moins le plaisir, qu'il appréciait fort, de vivre toujours
«en haute cour», c'est-à-dire dans le monde le plus élégant de son
temps, et parmi les jolies femmes :
De maintes biautez me souvint. De gens cors, de douces veûes.
De dames et de damoiseles. Et des biens que j'en ai eus'"'.
Gracieuses, plaisans et bêles,
''' Ibidem. Cf.nouv.acq.fr. aooaS ,fol. 43 : seculi — Sunt hodie dolus et rapina»]. —
« Pour courtoisie au Bege le ménestrel •; fol. 44: Ed. Scheler, p. 307.
« Pour courtoisie faite a .1. ménestrel par Mon- ''' Li Mireoirs as dames , y. i4i (éd. Scheler,
seigneur». p. ()).
''' Bien que sa Confession proprement dite ''• Cf. Li Mireoirs as dames, v. SaS; et la
n'offre, malheureusement, rien d'intéressant; miniature au fol. 78 du manuscrit A (Watri-
c'est une de ses pièces les plus faibles. cpet sert à lablej.
•'' L'arbre royal, v. 8 (éd. Scheler, p. 83). ''' Ihid. (éd. Scheler), p. 2.
'*' Fatrasie, v. 337 («Présidentes in thronis
nisT. i.rfTÉR. — XXXV. 5i
2 C * •-""'■' -".<>."..
402 WAÏRIQUEÏ, MI:NESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
H avait d'ailleurs l'idée la plus relevée de sa profession. Non seu-
lement il ne voulait pas qu'on confondît les » trouvères», « ceuls qui
font le biau mestier »''', comme lui, avec les amuseurs vulgaires,
qui « chantent de geste » sur les places et enseignent la voltige aux
cochons; mais il a esquissé le portrait du «bon » ménestrel, en con-
traste avec le «mauvais» qui parle à tort et à travers, et d'ordinaire
pour nuire à autrui, notamment à ses confrères :
!\Ienestriex se doit maintenir C'uns iiicnestriex soit avocas
Plus simpicmcnl c'une pucele. Et qu'il se meslo de touz cas
Est ce cliose honorable et bêle Qui apailiiMinent au si ignor'^'i*
Pour sa part il se croyait le droit d'exhorter à la vertu et le devoir
de prêcher d'exemple :
Comment puet menestricx conter Et puis si lait tout a travers
Les examples et les biaux vers, De ce (ju'il disi '•" ;'. . .
Il est incontestable qu'il avait des apj)étits pédagogiques et de pré-
dication morale, avec le goût de dire leur fait, non seulement aux
«hérauts», ennemis naturels des ménestrels''', et aux ménestrels
« j;iiigleurs )i, mais aux conseillers des princes (qu'il appelle leurs
« niahommés ») , et enfin aux princes eux-mêmes; poète de cour, il
s'est permis a plusieurs reprises des invectives contre les «tyrans»,
non sans prudence toutefois'^'. 11 souffrait, visiblement, que ses
« contes de bien et donneur » n'eussent point de succès durable :
Maintes gens se sont esbaudiz En tel gent a poi de bontr
D'escouler biaus mos et biaus diz; (}ui point ne meteni d'estudie
El moull en ont grant joie en l'eure; A retenir bien c'on leur die,
Mais, quant en leur cuers n'en demeure Example ne bonne parole.
^e sens ne matière no glose, D'un fastras ou d'ime frivole
Il n'i profilent nulle chose, .C. mille tans lent plus grant leste
Ne n'i font qu'oublier le tans; Et plus tost leur entre en la lesté
Dont vergoigneus sui et doutans G'uns contes de bien et d'onneur^'i',
Ou'encor ne leur tourt a domage . . .
'' Du fol mcncsirel (éd. Scheler, p. SGy). — '*' Ibid.. v. 112. — <^l IMd., v. a6. .-r '" Li.
tournois des daines, v. 33o et s. Cf. Des Irois vertus. — '1 Voir jiliis loin, n" X-l , XIU. — '*' De la
(■y(joi'iiie [i'd. Sc\\Aer, p. aS/i).
SES ECRITS. 40.-^
Cependant il se résignait, parfois, à rire et à faire rire, tout comme
un autre :
Il n'a homme desi a Sens, Ou parlé n'ait de duel ne d'ire,
S'adès vouloit parler de sens, Puisque de mesdit ni a point,
C'on ne prisast mains son savoir Maintes foiz vient aussi a point
Qu'on fait sotie et sens savoir. A l'oïr que fait uns sarmons").
Qui set aucunes trufï'es dire
Il a même condescendu au moins une fois à collaborer, avec un de
ses confrères, nommé Raimondin (dont on ne sait rien)'^', à un
exercice fort bas : une de ces « fatrasies » dont il a médit dans son
conte De la cyifo'ujne. D'après la rubrique du manuscrit unique'^' où
elle se trouve, cette pièce fut récitée un jour de Pâques devant le roi
Philippe VI. On en conçoit la plus singulière idée de ce qu'étaient
les récréations des «hauts hommes» au temps <le favènement des
Valois; car jamais, nulle part, la scatologie la plus répugnante x\v.
s'est étalée davantage.
En résumé, un moraliste, tant soit peu avili par les obligations de
sa profession dépendante.
SES ÉCRITS.
Nous énumérons ses écrits comme il suit : d'abord les pièces de la
collection offerte au comte de Blois (ms. A), dans l'ordre où Wa-
triqûet les y rangea lui-même; ensuite les autres pièces, dans l'ordre
où les recueils B,C,D,E les présentent. Pour chaque pièce, on a
indiqué, après le litre, tous les manuscrits où elle se trouve.
''' Des .III. (lianoine.':ses de Cnnlonjne (éd. semble avoir des prétentions au portrait pour
Scheler, p. 373). tous les deut ; cl. un des personnages de la
'" A peine nous iiasardons-nous à suf^gérer miniature qui figure au folio 4 1 »'" du ms. C.
qu'il s'ag^it peut-être ici de Raimon Vidal, ee '^' Il ne parait pas, à première vue,impos-
ménestrelau service de la haute nolilosse dn sible qu'elle ait figuré à la fin de G, comme à
Toulousain qui a écrit, en langue d'ôil et en la fin de A ; car un des possesseurs de C était
bon slyle, .unç poésie allégorique, lii^s una- de mœurs si austères qu il a cru devoir-y mu-
logue à celles die Watriquet ; il avait sûre- liler les passages un peu libres d'un labliau,
ment appris son métier dans la France du et on jiourrait croire que c'est lui aussi qui en
Nord. Voir plus loin la «Notice surcinctc» s arraché le dernier cahier, et qu'il l'a arraché
qui lui est consacrée. La miniature qui repré- précisément parce que la Fatrasie s'y trouvait.
sente Raimondin et Watriquet devant le roi Mais il a été établi plus haut (p. 3().'), eu note)
Philippe dans le manuscrit A (fol. iGi v") qu'il ne manque à la lin de C qu'un seul feuillet.
404 WATKIQDE'l', MI<:NESTREL ET POETE FRANÇAIS.
I. Li Mireoirs as dames (AC). — Récit d'une aventure qui a appris
à l'auteur l'art de reconnaître
Oues (lame est moins bêle et qui plus.
Le premier jour de l'été, s'étant levé au point du jour, il fut trans-
porté en pensée dans une grande forêt , bruissante du chant des oiseaux.
Il aperçut un être féminin, étrange, mi-partie blanc et noir, charmante
et hideuse, somptueusement et misérablement vêtue, qui lui promit
de lui enseigner à juger de la beauté des femmes. Elle s'appelait
Aventure. Elle le mène au château fort de Beauté, toujours assiégé
par les vices. Il y rencontre, à l'entrée. Nature, Sapience, Manière,
Raison, Mesure, Pourveance, Charité, Humihté, Pitié, Débonnaireté,
Courtoisie, l^argesse, Soufiisance. La portière , Bonté , et Simplesse,
la chambrière, l'introduisirent auprès de Beauté, qu'elles ne laissent
d'ordinaire approcher que par des gens sûrs, tels que le chevalier
Entendement et la voisine Leesce. Description de Beauté, la bien
gardée; son costume. Elle porte couronne; elle a vingt-cinq ou vingt-
six ans; elle rit très doucement. Mais un sergent, nommé Cremeur,
avertit le poète qu'Aventure le réclame. On le prie de rimer ce qu'il a
vu; il s'exécute. Mais tandis qu'il s'y applique :
1 172. V'i venir une compagnie
Qui toute iert de dames royaus . . .
Il y avait trois reines, une duchesse, une « dauphine»'", des com-
tesses . , .
Deci a .XXIII. de nombre
S'icrent assemblées en l'ombre
D'un très bel vert fleuri pommier. . .
Une de ces dames allait toujours la première; c'était « la çreignour »,
la plus belle, la plus honorée. Elle avait un costume royal, à ses ar-
mes : fleurs de lys sur azur, barre d'argent componée de gueule. . .
''' L'entrée de iMillet ou divertissement des Fauvel [Histoire littéraire, t. XXXII, p. i^"]),
Hellequines, certainement écrit pour la cour met aussi une •dauphine» en scène (Bibl. nat.,
de France.queChaillou de Peslain a fait trans- fr. i46, fol. .^6). Cf. ci-dessou», n* XXII de
crirp dans son exemplaire plosé du Roman de l'œuvre de Watriquet.
SES ECRITS. 405
Ces armes sont celles de la maison d'Evreux, il s'agit donc de
Jeanne d'Evreux, femme de Charles IV le Bel. Les deux autres reines
sont sans doute Clémence, veuve de Louis X et Jeanne de Bour-
gogne, veuve de Philippe V. La «dauphine» est Isabelle, fdle de
Philippe le Long et femme de Guigne VIII, dauphin de Viennois.
D'après la légende de la miniature placée en tête de la pièce dans
le manuscrit A, Watriquet l'a commencée le premier jour de l'été 1 3 2 4-
Mais Jeanne d'Evreux n'a épousé Charles IV^ qu'en i335. Il paraît
probable, en conséquence, que la procession des princesses, à partir
du V. 1171, est une sorte de post-scriptum au poème principal.
II. Du connestable de France (A). — Eloge de Gaucher de Chàlillon ,
qui venait de mourir (Ascension 1329); il avait été en son temps
« pres([ue parfais d'armes et d'amours » , un véritable « portejoie », et,
suivant une expression familière à Watriquet, «la topaze des haus
«homes». La miniature qui précède cette pièce dans le seu exem-
plaire connu a pour légende : « Comment li dus de Bourbon com-
« [manda] a faire le dit du Connestable». Elle fut donc commandée
à Watriquet par Louis I" de Bourbon, comte deClermont.
m. La mis (ABCDEF). — Simibtudes. Pour confire la noix,
il faut la cueillir jeune et tendre; si on la cueille après la Pentecôte,
c'est trop tai-d; de même, c'est de bonne heure que l'enfant doit être
confit en bonnes mœurs. La noix mûre se dépouille d'elle-même de
sonécorce; l'homme fait doit ainsi se dégager des vices et des péchés.
La noix est protégée par des écales solides; c'est ainsi que son corps
doit être une protection pour l'âme du damoiseau. U ya, dans la
noix, de la douceur et de l'amertume; de même l'honnête homme
doit être courtois aux bons, amer aux médisants. Etc.
IV. De l'imigne et du crapot (ABC F). — Un mardi de juin 1329,
l'auteur rêva qu'il était à Becoiseau. Il voit, sous un noyer près de
la porte, dame Raison, fort malheureuse pour avoir été expulsée de la
Cour romaine. Elle s'assoit sur l'herbe auprès du poète, sous une
ente chargée de fruits. Mais une araignée descendait, au-dessus d'eux,
au bout de son fil; Watriquet la montre du doigt. Ils observent son
manège. Elle descend sur un crapaud qui était couché à la rosée.
'!()« W ATRIQLET, Mr.NESTREL ET POETE FRANÇAIS.
la panse en l'air, « pour avoir la douceur du vent »; elle le pique. Le
crapaurl se hâte vers une toulTe de plantain, contre-poison du venin
<le 1 araif^née, et s'en frotte. Mais l'araignée envelo])pc le plantain l«i-
m^ine de sa toile'" et tue le crapaurl, désormais sans ressource. —
Haison explique l'apologue.
Ainsi va le monde. L'araignée, ce sont les traîtres qui entravent les
grands seigneurs. Lé crapaud, c'est le menu peuple, qui se fie à ses
seigneurs (le plantain) pour le garantir et guérir ses maux. Mais
les traîtres « qui, par les grans, boivent le sanc et la sueur des petis »,
enveniinciit les seigneurs eux-mêmes :
Les >('if;iicurs qui veulent de>fendre Or les truevent toiiz entechiez
La •;<iit basse et de mort g.irder, De venin . . .
S'a (Il oil vouioient regarder,
Quel avertissement! Seigneurs, prenez-y garde.
V. De Fortune (ABC). — (]inq douzains sur l'instabilité des choses
humaines, en rimes équivoques.
VI. Des mahommès (ABC). — Les «mahommès», ou idoles, des
princes, ce sont les favoris de cour. Watriquet les a en horreur. Il n'y
a pas de bons serviteurs à la cour des princes à qui ces « mahommès »
ne nuisent par leurs calommies. Allusions à un de ces personnages,
qui avait entouré le roi de ses fds, aujourd'hui détordus, et qui a mal
fini.
VII. De l'arbre royal (ABC). — Cette pièce a été écrite après favè-
nement de Charles le Bel, à propos du singulier hasard qui fit suc-
céder coup sur coup, sur le trône de France, trois fds à leur père.
L'auteur est transporté, en rêve, clans un verger clos de hauts murs.
Il y a un très bel arbre, à quatre « getons», couverts de fleurs de lys.
Cet arbre, qui est couronné, Nature, Jeunesse, Beauté, Force et Har-
demens montent la garde autour de lui. Mais, brusquement, un coup
de vent le renverse. Le premier jeton (Louis X) est bientôt couché
à ses côtés par un accident pareil, puis le second (Philippe V). C'est
'■' l/éditeur n lu • tonnelle •.
SES ECRITS. 407
le troisième (Charles IV) qui, maintenant, porte couronne. Le qua-
trième a, au coté droit, les armes d'Angleterre (Isabelle, fdle de
Philippe le Bel, reine d'Kdouard II). Hardemens explique au poète
ce (|u'il faut entendre par là. Aujourd'hui :
C'est Charles li arbres roiaus,
Uois seul" toutes les royautez
De
ce monde.
VIII. La fontaine d'amour (ABC). — LJn verger, au mois de niai.
Il y avait une lonlaine. Vénus, " déesse et dame d'amours », maîtresse
de ces lieux, en faisait garder l'eau pure par ses sergents Celer,
Loiauté et Sens. Il y avait aussi trois bassins, toujours pleins (Jeu-
nesse, Prouesse et Largesse), enchaînés à la fontaine par des chaînes
qui s'appelaient Courtoisie, Cuidier et Vaillance. Bonne Volonté/.,
Avis et Plenté gardaient ces bassins. Le poète boit, s'enivre et s'en-
dort. Il est transporté dans une cour princière où festoient des
couples. Le menu du festin est d'oeillades, de soupirs, de gâteaux
« fourrés de douz ris» (desquels il n'y avait guère); et puis tartes en
farine de jalousie, pièces montées de mélancolie, etc. Finalement un
mets très doux, qui fut départi à tous, et dont celui qui en eut le moins
se déclara, pourtant, satisfait.
IX. La confession ff'atriijaet (ABC). — Watriquet pense à sa vie
mal employée « en fais, en dis et en pensée ». II exprime son repentir
d'une manière banale, en pénibles jeux de rimes.
X. De haute honneur ( ABD). A\ec le sous-titre : « Comment li pères
« enseigne au fdz ». Celle pièce est fort au-dessus du niveau de la plu-
pari des autres. Elle a de la simplicité et de la force. Sujet : un comte
conseille à son llls, qui «aime mieux honneur qu'avoir», de se con-
duire en chevalier et de s'employer outre-mer à <i confondre mahom-
« merie ».
On n'a pas honneur pour rouver; Pour lui estuver et baignier
Autrement s'en couvient prouver; Et pOiir gésir nus en blâos lis. . .
Ainz est a avoir chose amere. Tiex porte les frasiaus dore/.
Tiex ne l'a pas qui lo coniperc. Qui assez poi est honnorez
Honneurs no vient pas pour seignier, Et les boutonciaus esmailliez. . .
408 WATRIQUET, MÉNESTREL ET POETE FRANÇAIS.
Car haute honneurs pas ne s'^dresce En bon piz, en bonne poitrine.
En grant boban ne en richesce; En bon dos H en bonne eschine
Ainz gist en bras, ainz gist en mains Et en marteleïs d'espées. . .
Du bon qui n'est faintis ne vains,
Le ms. 1 79 bis de la Bibliothèque de Genève, du xv" siècle, con-
tient un long fragment acéphale d'une pièce à rimes plates, qui parait
être une imitation ou plutôt un plagiat de celle-ci; un grand nombre
de vers de cette pièce se retrouvent textuellement dans le dit de
Watriquet'*'.
XL Li enseicfnemens du jone fd de prince (ABD). — Conseils du
])oète à un jeune prince, en alexandrins. Le point de cette homélie
est qu'il faut préférer les pauvres « bacheliers », vaillants, que tant de
gens «• de petit pris» supplantent dans les cours des grands. Mais, de
nos jours, ce sont les «jangleurs médisant», les étrilleurs de Fauvain
et les amasseurs d'argent qui l'emportent, aussi bien en France que
dans l'Empire. L'auteur, toutefois, est prudent :
D'eulz me deûsse taire; assez en ai parlé.
Ne veul que pour voir dire me sache nul maugré.
XIL De Loiaaté (ABC). — Cette série d'apostrophes à la Loyauté,
pour la définir et la glorifier, en douzains de vers octosyllabiques
(strophe dite d'Fïélinand), est d'une aisance charmante. C'est vraiment
une pièce d'anthologie. Elle se termine ainsi :
O dame puissante, esmerée. Vous estes céans mariée;
Comblée de sens et d'avis. Pour ce est li liex si jolis.
Seur toutes vertus renommée ,
On a cru voir là une dédicace à quelque princes.çe, mais évidemment
par erreur: la dame puissante est la Loyauté.
La rubrique indique dans C — dans C seulement — que cette
pièce fut composée en iSig. Un des premiers dits connus de Wa-
triquet est donc aussi un de ses meilleurs ouvrages.
'■' Bulletin de la Sociélé des aiiriens tc.rles français, l. III (1877), p. gS.
SKS KCHI'I'S. 'lO'.l
XIII. De i or lie ou Des princes (ABCD). — Préceptes moraux, en
(juarante douzains; l'idée du titre le plus fréquemment donné est
empruntée au sixième douzain :
\insi i'om voit iiaistro l'ortie
El) mai
Watriquet développe ici des lieux communs : "Bonne oevre loe
"l'ouvrier»; «Ailains est qui fait vilanie s avantages de la naissance
et de l'éducation; quelle tristesse de voir déchoir des gentilshommes;
devoirs des grands; ^illusions au châtiment récent d'orgueilleux,
tomhés de très haut; etc.
On croit plus tost .1. inesdisaiil (l'un }<fnlillioniini' \oir disant,
(hii d«'souz l'eille va ploiant Si s'en tait \\ aïhiquet atant.
De son seigneur, et qui l'acoie,
\1V. Li (U'spis du monde (A (M)]. — Dix-huit douzaius sur la
lausscté, la vanité et les dangers du monde. Banalités et jeux de
XV. Des .1111. sièges (Ali(i). — Le poète était couché avec une
amie, le jour de l'Ascension i3i9, lorsqu'un ange l'emporta sur ses
ailes au plus haut du paradis, oîi il vit quatre sièges vides, éblouis-
sants. Il apprend qu'ils sont destinés à Artur de Bretagne, à Alex-
andre, roi des (Irecs, au duc Naime, à Girard de Fraite. Mais ces
personnages sont morts.'* Oui; seulement ils ont été remplacés respec-
tivement ])ar Charles de Valois, par le comte de llainaut, par Gaucher
de Châtillon, connétable de France, et par le comte d(! Flandre.
Eloge de ces quatre comtes.
XVI. Dm pieu chevalier (A (JE 1*']. — Définition de la prouesse, dont
la vigueur est le point de départ; mais la vigueur qui doit s'embellii-
de Courtoisie, Largesse, Valeur, Hardement,etc.
WIl. Li Mireoirs as princes (AC). — Watriquet se pro|X)se de
rimer une matière " c'uns princes li conta jadis » (Dieu ait son âme!).
Il le fait dans le ])etit oratoire de Marchenoir, lieu plaisant, gracieux
et secret, en iSay. C'est l'histoire d'un roi très sage et très pieux qui
IIIST. I.ITTÉR. \\\\. \n
410 WATRIQLKT, MKNESTKKL KT l'OÉTK FRANÇAIS.
avait un frère adonné auv plaisirs du siècle. Ce roi, blâmé par sou
frère parce qu'il s'occupe trop des allaires du peuple et pas assez de
tournois et de fêtes, (lonne une leçon a son censeur en le faisant
trembler quelques heures devant la mort, pour lui représenter ensuite
que, si les hommes ordinaires craignent la mort, les rois, chargés de
responsabilités devant Dieu, doivent redoutei- bien davantage le châ-
timent éternel. Cette pièce, agréablement écrite, se termine (v. 806-
i02'i) par des invectives contre les rois et les princes du temps, qui
ne laissent pas d'étonner de la part d'un trouvère domestique. Car ces
lieux communs ne sont pas, ici, sans accent :
\ nul bien faire ne procurent Les pelis; a el ne labeurent ;
845. Li pluseur; poi en sai , nés un, Kt adès vont en empirant.
Qui face le profit commun ... Ne sont pas prince, mais tirant.
Li grant estranglent et deveurent
L'auteur a vu, en son temps, bien des méchants punis de leur
mauvais gouvernement. Et il va jusqu'à menacer :
q.">î. S'eschiver voulez ce martire l\endre le chatel el le inueble
Entie vous, princes qui ore estes. Qu'a force leur avez toin.
Retourner vous convient les testes \insi porrez estre absolu.
Par devers \ostre menu pueple,
11 est clair, du reste, qu'il parle moins au nom du « menu peuple »
proprement dit qu'au nom de la petite noblesse, opprimée par les
bailiis, les prévôts, les avocats, les sergents, les bedeaux, tous les
agents du pouvoir :
Ijns l)ediaus cuide estre doiens Soseroil il bien envabir
.Si tost qu'il a aucun service. . . .1. cbevalier. On doit liaïr
(iculs ret que il n'ose escorcbiei-. Pi ince qui tel tel gent régner.
S'il estoit lilz a un porchier
Wlli. Li tournois des dames (ACDE). — Un jour, après dîner,
vers la mi-octobre iSîy, Watriquet était dans la petite tourelle du
pavillon de Montfraut el contemplait la verrière d'une fenêtre où se
déroulait la représentation d'un tournoi de « dames contre chevaliers » :
Guerre mortelle, où les hommes étaient vaincus; ils ne se défendaient
même pas. Il s'endormit, la tète sur son bras replié, et vit en songe
SES ECRITS. 4M
une belle dame, un peu triste : la \érilé. «Comment se fait-il, lui
(lit-il, que ces dames, « sans gardecors et sans armures», l'emportent
sur des chevaliers?» La Vérité, qui reconnaît en lui un ami (et elle
n'en a guère), explique que le tournoi de la verrière symbolise le
combat de l'âme et du corps :
3/17. . . . Li rlievalii r que tant blasmes, Des detiz et des vanitez
Certes, frères, ce sont les anies Dont nuit et jour sont eiicitez,
Des chaitis qui vaincre se laissent Temptés du monde et enlieudi/..
A leur' (baroignes et se paissent
Watriquet et la Vérité se promènent dans la forêt voisine et elle
lui "glose M encore divers phénomènes qu'ils observent.
a. «Le pont perilleus. » — Un très beau pont, magnifiquement
bâti de lours et de maisons, sur une rivière rapide et «hideuse»;
mais les pilotis en sont pourris. Cependant, la circulation y est in-
tense, et la foule semble indilléiente au danger. Quelle folie! C'est
l'image de la vie.
h. « Les .11. niortoiresdebestes. » — Deux vastes [)ourrissoirs d'ani-
maux : l'un, énorme, de chevaux et de vaches; l'autre, de moutons
et de porcelets maigres.
(k)6« Touz en estoil li ctiamps couvers Corbiauset cliien d'aval les cha(n|)s.
Des besles qui mortes gisoient. Rrent si maigre et si meschans . . .
Et li oisel qui les mangeoient.
Ceux qui se repaissaient du tas des gros animaux étaient maigres;
au contraire ceux (jui étaient installés sur le tas de misérables car-
casses semblaient florissants. Image des gens qui, avides des biens
delà terre, «amaigrissent» sur ces biens dérisoires; et de ceux qui
méprisent les choses d'ici-bas : ils en sont récompensés ])ar le vrai
bonheur.
c. « Du lion et de l'aignel. » — Bataille d'un agneau contre un lion ,
qui a le dessous. Dieu protège l'humilité.
d. « La rivière qui est hors de son chanel. » — Inondation désas-
treuse. Tels sont les débordements des «tyrans», dont le monde
« empire de jour en joiir ».
Mais l'heure de midi approche; il est temps d'aller dîner.
5a.
'\l-2 WATRrOUET. MKNESTHEL KT l'OETK KKWÇAIS.
XIX. Du Roy (ADF)''\ — Exhortation à Philippe de Valois, au
lendemain fie son avènement (iS^S). Le nouveau roi a été appelé
'< de loin », le jour du Vendredi saint, au gouvernement du plus beau
royaume de la terre. Qu'il mérite, par quatre vertus, celui du paradis :
Prudence, liistice, Raison et Force.
■1 fi. Aleniprance est la Heur df lis
Et rose seur toutes \(Mius.
• (îniilils rois, soie/, t'iil vestu-- . . .
XX. De la cycjoignc i A CD). — (Test la coutume chez les cigoi^ne s
(Mie si une cigogne a trompé son mâle, el si celui-ci s'en aperçoit
avant qu'elle ait fait trois plongeons rituels dans l'eau, la coupable
esl mise à mort. La cigogne adultère, c'est le pécheur; l'eau, c'est
la confession; les trois plongeons, c'est le repentir, l'aveu el la péni-
tence.
XXI. \ve Maria ^/e Sostrc Dame (AC). — • Quarante vers, (pii se
lerminent tous par un mot dérivf' de Marif ou des mots ([ui ressem-
bleiil à celui-là (mari, marri, etc. .
XXII. /''a.s/r«5jV'- . " ( j commencenf li lastras de (pioi Kaimondiu
cl \Vatri([uct despulerent le joui- de Pasques devant le roy Plielipj)e
(!♦• France •■ ( \). — Vingt-neuf couph-ts de onze \ers sur deux rimes,
chacun sur le ihème d(^ deux vers qui semblent être les premiers
d'une chanson connue ', arrangés de telle sorte que le couplet
'' (]etle pièce a été publiée, d après F, par
A. Jubinal, Nouiiau Recueil de contes, dits,
f„l,li„ii.r . . . . I. I ' ii8;i<);i,p.3'i'..KIlese trome
aussi clans le ms. l'r. ia/|83 (Notices et extraits
des manuscrits , t. XXXIX, p. 553).
■' Cf. Histoire littéiairc, f. X\lll, p. .')0.>.
Voir aussi le uC.halivalii qui lij(ure dans 1 exem-
plaire du Honiaii de Fauvel enririii d'ailditions
pai- ou pour C.haillou de Peslain (Bibl. nal..
Ir. i'|6, fol. ,V,).
Il est reuiarquable qu'une seide de ces
rliansous i l'iiisqii'iî m'cslnrt de ma dame partir i
se trouxe dans la Bihlioqraphie des chansonniers
français des \iti' et xiv' siècles de G. Raynaud :
(1. IXnmania . t. XLIW p. 5t>0. YX nous ne
eonnaissons par ailleurs iju'nue seule des au
Ires pièces utilisées par Watriquel : le motel
Présidentes in llironis secnli , transcrit el noté
dans le ins. Ir. i '|(i de la Bibliotliè(pie natio-
nale, fol. 1 v'. On peut conclure de là, une fois
de plus, que ce ([ue nous connaissons de celle
ancienne littérature lyricpie est peu de chose
comparaison de ce ipii eu a
peri.
plup.i
— M. A.
.leaiuov estime du reste cpie la plu|iarl des vers
cités ici par Watriquel » ne sont pas des in-
cipit ou des fragments de chansons >. (",e sont,
croit il, des «refrains). Mais il s'est formé de-
puis lonfjtemps une assez riche collection de
refrains français du moyen âge; cl il »eut bien
nous informer- qu'elle ni' contient non plus
aucune des enigmaliques citations de Walri-
ipiet.
SES ECRITS. /il 3
commence par If premier vers de la chanson et s'achève par le
second^''.
Ces couplets soni prestjue tous d'une inqualifiable grossièreté. Mais
il V a, dans quelques-uns, des allusions, que, pour la plupart, l'on
ne saurait éclaircir maintenant, à des intrigues et à des incidents
contemporains. Sont nommés; le comte de Kouci (v. i i5)''^'; Pierre
Rémi, le favori de Charles IV, qui périt aussitôt après la disparition
de son maître (v. 19/1, 198); le comte de Savoie (v. •i28)'''';le bois de
Mormai (v. -î/iy)*''*; la nouvelle abbesse de Saint- Vntoine à Paris, qui
est qualifiée de " singesse cornue» (v. afiy)''; le seigneur de SuUi
(v. 333), favori de Pliilippe \, à demi disgracié sous (Iharles IV,
gouverneur de Mavari'^ en 1 329. I^e (li\-septième couplet est tel :
Ma dame, (jiic jdiiii lioimiiir fini' , \ lairc p;ipe du (lautliii.
(iar me ro(janle: de r»er fin. Mais, se iii taie d'un auiîin
« Madame, que j aiui d'ainoui liiic ", l*our luon cscot ne paie cl (iiie,
Dist uns sin}<»'s a la daupliini', .fe li dirai, se j'ai pris lin :
" J'ai une ti'sle d'csclt'fm " Orde vielle, puans ruiine,
Oui m'a dit quo paradis line n Car me regardez de ciier lin"'. «
Va (|ue ii firmamens s'acline
Ici finit le recueil tonné par Watriquet poui' le comte (mi de
Blois (A). Nous suivons désormais l'ordre de B.
XXIII. Ihs M IL couleurs (13). « Ci commence li diz des .vtii. cou-
leurs qui fu commenciez a faire a la Chandeleur l'an M CCC XXII." —
Huit nobles ])acheliers courtois s'ébattent dans un verger, au commen-
cement de lé\rier, 1 ([ui est la saison où le printemps devient joli".
Proct'di' rifqiicniiiicul cm|iloyé dans hi nus seukMnent l'abbayo de Saiiil-Antoine. Voir
poésielyriquelalioedu luovpn àfje. VoirDaniel, H. Bonnardol, f/nhlxiye royale île Notre-nninr-
Tlicsanriis hymiinloijuiis, 1. 1", p. a8i ; cf. Mono , iL'sCImmps ( Paris, i 8)St ), p. !().
Lnteinische îlymneti dp<: Millelnlters ,{.]",[>. i-j-j. '*' La n daiiphine ». c'est Isabelle de France ,
' Jean -V (i.So4-i3''i6) : « Je Irai an comlf mariée au dauphin de Viennois le fj mai i3a.').
de Houchi — Chanter ou cul d'une seraine. » Il est clair que cette strophe l'ait allusion au\
Aimé de Savoie, adversaire du dauphin mouvements qui avaient abouti, des mai i3i'S,
(iuigue. au couronnement d'une antipape sons les aus-
'*' C'est lii forêt de .Vlormal, prcs de Lan- pices de l'empereui- Louis de Bavière (le I)au-
drecies (Nord). phiné dépendait del'lMnpire). La «dauphiuc'i,
''' Celle » singesse cornue » s'a j)pe!ait Peron- au commencement du règne de Philippe de
nele et elle était la steur consanguine de Pierre Valois, était en diUicultés avec sa sieur Jeanne,
de Condé, archidiacre de Soissoiis, un des duchesse de Bourgogne, au sujet de la succès-
principaux agents administratifs de la cour du sion de leur mère. \'oir P. Fouriiier, Lemyaiimc
roi. Y,\\c fut élne en lo.'lii et tjouverna deux d' \ilff cl de Vieillir, p. 4''<>-
2 9
414 WATRIQLET, MKNESÏRFX ET POETE FRANÇAIS.
Ils s'émerveillent devant un paon qui fait la roue. La queue du paon
étalée est colorée de huit couleurs. Chacun des hacheliers en adopte
une; Vénus préside à la distribution. De ces seigneurs, quatre sont
rois et quatre princes. Vénus pense .1 leur faire tenir compagnie par
« huit filles de noble atour », dont quatre sont reines et couronnées,
et les autres princesses. Elle a donné à chacun la lettre initiale du
nom de celle quelle lui destine, pour qu'il la porte sur sa poitrine,
près (\u cœur, au prochain tournoi. Au roi blanc, la lettre «qui est
la porte» des autres, c'est-à-dire sans doute la lettre A;au roi vert, la
lettre M . . .
Cette pièce est inachevée dans le manuscrit unique; elle devait être
assez longue.
XXIV. La J'este du cuintc de Flandre (B(>D). — Epithalame pour le
mariage de Marguerile, Mlle (hi roi de f'rance, accordée à « Loys
feniant », comte de Flandre et de Nevers, à Paris, le jour de la Vlade-
leine i320, en forme d'éloge de la beauté des princesses qui paru-
rent, ce jour-lcà, au bancjuel nuptial. D'abord , la reine, au magnifique
costume, lorl à son ais(^ sous les regards de la foule; la comtesse de
Valois (Mahaut, fille de Cui de Chàtillon); la duchesse de Bourgogne
(.leanne, sœur de la mariée); la comtesse de lieaumont, lille fie
Charles de Valois, femme de Robert d'Artois, comte de Beaumont-
le-Roger, âgée de quinze ans, et charmante vv\ sa fleur; une princesse
de quatorze ans, qu'on appelle la Dauphine, et qui promet beaucoup
(Isabelle, autre sonii- de la mariée, ainsi nommée sans doute parce
qu'elle était déjà promise au dauphiti' de Viennois, qu'elle épousa
trois ans plus tard); la lille du comte d'Evreux, âgée de quinz»' ans
i. leanne, lille de Louis d'Evreux, qui dovait épouser plus tard
Charles I\ ), si gracieuse que les gens hésitaient entre elle et la com-
tesse de Beaumont, pour le prix de beauté; la comtesse d'Aumale,
sœur de Robert d'Artois, à la prestance d'impératrice; M"* de Beau-
lort, fort bien « estofée de cors» :
Q5(i. Dicx, selle eûst a sou per paire.
Coin la chose fust avenanz"!
''' Scheler a, dit-il, longtemps cherché, sans le compagnon de Louis IX, et son huitième
Y réussir, à identilier celte dame de Beaulort. entant. Klle avait épousé en premières noces
— 11 s'agit d'Alice, lille de Jean de Joinville, Jean d'Arcis et de Chacenai ( i3oo), et en
SKS fXRlTS.
'l\.
Puis, une fillette entre douze et treize ans, fleur d'aubépine, rose
de niai, la comtesse de Daminartin (Hippolyte de Poitiers, mariée
dès i3i9). Enfin une dame cpii ■< n'ert pas pucelle, mais je cuit pelit
s'en falloit », fori bien babillée et coiflée à la française :
■i8'>.. Si comiiif (jrenHroil l'tilivcioisc
Sa testfi (îhascune d'orfrois.
Avoit celle, en plus de .xx. crois.
Chapiaus a perles , a rubi/, . . .
C'était la fille du seigneur de Sulli, mariée à Jolroi d'Aspremonl
(en iSig). Elle aussi elle méritait le prix, au sentiment de plusieurs.
Mais, pourtanl, la rose fut enfin décernée, à l'uuanimiié, à la comtesse
de Beaumonl.
XXV. Des trois vertus (BCD). — VVatriquet rêve qu'il est trans-
porté en cour de Rome pour les noces de Loyauté; le pape vient dt;
la marier « aus prelazde Sainte Église ... Les grands seigneurs terriens,
de leur côté, ont épousé Cbarité. Le peuple moyen et nienu s'est
mis en ménage avec Vérité. C'était un beau spectacle : on remar-
quait surtout que les seigneuis ne distribuaient plus leur garde-robe
usagée qu'aux ménestrels : ménestrels i trouveour de nouviaux dis
et d'estanq)ies » , ménestrels de vielle et de corde, et "laboureurs»;
les gens d'oflice, ouvriers, barbiers, tailleurs, chand^ellans, huissiers et
secondes noces, sept ans plus fard, .Iran de
Lancasire, baron de Beaiil'orl, tVère utérin
<lf Jeanne ili' Navarre, femme de Philippe
le Bel. Klle était donc, très aiitlienliquemenl ,
lante de Philippe V (voir H.-Fr. DelahoKlc .
Jean de Joinville et les sriyneun de Joinv'dlc ,
p. 177). Celte dame obllnl. pourelle et pour son
damoiseau Guillaume de Pierrelite, en juillet
i3a5, des lettres de rémission (Arch. nat.,
.IJ 6a, n° 386). L'ime et l'autre avaient éti'
conjointement accusés d'homicide au Parti--
ment dés |h temps de Philippe V :
Ciiiii dilecla el fi<leli> iiinita noslra Aelipdis,
cliiinina île Belloforti , ut ('•uill(?linu> de Pciralicla,
ipsius domine domicellir-;, In ruria carissimi do-
inini germani nostri Ph . . . pro su«picione inorlis
Ucnrionis de .Sanrto Aiidocno dudiim, et de no\(i
dicta domina roram ilili-cli'. il lidplilius ;;iiilil>ii-
mxlris prn iiolii^ liiiic Parisins presiileiilihus pro
suspicione niorlis Colini de Uamhlain, burijciisis,
ex olTicio fiierinl ad judiriinii evocati.. . Nos, consi-
deracione amite nostre predicte, qaam be4;ni\o-
lencia pror-equiinur ^peciali. . .
.Alice de Beauforl avait eu, des i.li,'),
d'autres désagréments judiciaires dont la trace
subsiste dans les registres du Parlement de
Paris (E. Boutaric, Actes du l'arlnucnl ilr
l'arU , n" 7243, 7276, 73i''.).
En iS/d le château de Beaui'ort (aujour-
d'hui Montmorency, c " de Cha\ anges. Aube)
était encore « tenu en la main dou m\, pour
certaine cause» (A. Longnon, UocumeiUs rela-
///,( au comte de L'Iiampaqnc et de Brie, t. III,
1914. p. 358).
L'allusion de Watriquel est obscure, el nous
ne l'eiilendons nas bien.
/jlO WATRIQLET, MÉNESTREL ET POETE KIU.\(;AIS.
iiutres de cette sorte n'étaienl plus pavés f|ireii argent'*'. Eloge des
ménestrels :
1 43 Riches lioiii toit a Des «^eiililz liomcs soulacier.
Oui tost aus monestriex le don Pour les vices d'entr eus chaciei'
Des dras viex qu'il doivent avoir, El pour les bons noucier leur fais,
(lar Diex sens leur donne itsaAoir Poin' ce sont 11 ménestrel lais. . .
Tout le monde se croisait d'ailleurs jjoiii- allei oulre-mer, et le
Pajje le ])remier. — Mallieureiisenient, c'était nn rêve.
X.XVI. L'cscole d'Amours (B). — L'auteur ( lainl d'avoir adressé
ses hommages à une personne de condition Irop relevc'e. Cependanl
il espère encore.
Ici commencent les pièces qui ne se Irouvcnl tpie dans C.
XXVII. De Raison el de Mesure (G). — Versification, exécutée en
1^24, d'une matière fournie, le jour de la Saint-Laurent, par un
«prince plein de charité», il s'agit de l'art de recevoir les gens,
principalement à table. H importe d'éviter les dépenses excessives,
le gaspillage, en mangeailles el huveries, comme on en voit de nos
jotirs.
XXVIII. Du Jol ménestrel (G). — Devoirs du i)on nïénestrel qui lail
M le biau mestier » (v. io3). 11 ne doit médire de personne. Que son
maintien soit simple. Qu'il ne se mêlepasdes atlairesdeson seigneur,
ni d'intrigues. «Douces paroles et blaus dis», voilà tout. «Parler du
«Lien, le mal laisser.» Gette ])ièce, quoique courle, offre beaucoup
de redites.
XXIX. De/ans et faucille (G). — Pièces en \ers équivoques sur la
fausseté du monde, qui «fauche» en «faus.sanl». Les vers 102 i 4 ''i
SI' présentent comme une addition d'un disciple de Watriquet :
Ainsi que Walriquès l'a dit
Dont escolez sui et apris.
' l.c lexlf lie le passjif,'»', (orrecl dans les inilcr les lu-iuulb, U's cliaiubeiians, ntc, aiu
manuscrits Ho l'ArNenal et de Bi-uxelles, a été inénestrois pour la dislribution des nippes,
gauchement ((inipé dftns B de manière à assi-
SKS KCRITS. A 17
XAX. De Tcscharhoi'e (C). — Songe. Sous la conduite {l'Eiiis,
sergent de dame Fortune, Watriquet visite une cité où Fortune est
maîtresse. Les liabitanis la poursuivent sans cesse et trébuchent
dans des précipices, comme l'escarbot, qui vole dans les vergers,
j)armi les fleurs et les fruits, et qui s'abat enfin sur la crotte. Eûrs
enseigne au rimeur comment il faut se conduire }X)ur éviter un sort
pareil.
XXXI. Des .111 . chanoincsses de Couloigne [C). — On ne peut pas
toujours «parler de sens»; ce serait à faire préférer le contraire. Il
est des cas où une « truffe » vient aussi à point qu'un sermon. — Des
chanoinesses, il y en a à Mons, à Mnutier-sur-Sambre, à Nivelle et à
Andaine. Mais il y en avait trois à Cologne, forf expertes aux choses
d'amour, et forJ jolies, « compagnes quarrées », et qui avaient un peu
u.sé et abusé. Le poète les rencontre. Elles l'invitent à dîner avec elles
tandis qu'elles sont au bain. Il leur récite son d'il De l'escale (l'Amours^^\
Elles en demandent un autre «qui parlast plus parfondenienl de
paroles crasses et doilles » :
I /|2 . " Ne \oulons pas choses de pris.
Mais ce qui miex rire nous face. »
Il s'exécute, en leur disant Des .Jlf. [dames ef] des [-IIÏ-] mosS'-l
On s'amuse ensuite à faire des souhaits plaisants. La première cha-
noinesse souhaite que certain acte, dont un lecteur pudibond a effacé
l'énoncé dans le manuscrit unique de l'Arsenal, fût considéré comme
méritoire et que Dieu ne s'en courrouçât pas. Le même lecteur, in-
digné, a enlevé ensuite tout un feuillet (56 vers). — «Quel est le
meilleur des trois souhaits.^», demandent-elles à la fin. Watriquet
s'excuse en disant qu'il en remettra la décision à autrui, et termine
par des excuses pour un conte aussi leste; mais, dit-il.
Ce sont risées ponr esliatre
l^es l'oys, les princes et les contes. . .
'" Scheler n'a pas s;iisi l'allusion, pourtant '*' Trois mots effacés dans le ins. unique. —
lormelle, à ce dit (v. ii.3); MM. A. de Mon- MM. de Montaiglon et Kaynaudaflirmenl, dans
laiî^lon et G. Raynaud , non plus. Cf. plus haut, leur Recueil génei ailles fabliaux (t.IH, p. .itiy),
n" XXVl. que ce fablian ne nous est pas parvenu.
iifsr. I niÉR. — \\\\. 5,",
418 WATRIOllKT. MKXESTKEL KT l>()KTK KliWÇVlS.
XXXll. Des trois daines de Paris ((1 . — "Colins, Haiivis, Jeti(ts.
Hersens''' » contaient jadis des merveilles aux fêtes el aux xeillées. Rn
voici une qui, récemment, a couru les rues de Paris. Le jour des rois
de iSiO (janvier i3'2i), un matin, avant la grand'messe, Margue.
femnied'\dam deGonesse,el sa nièce, Maroie, dirent qu'elles iraient
«a la trippe», en acheter pour deux deniers. Mais elles allaient à la
taverne d'un nouveau lavernier, nommé Perron du Terne, quand
elles rencontrèrent «dame Tifaigne la coifiere'^'» qui leur dit : .le
i< sais un endroit où l'on a du très bon vin de rivière; personne ne nous
«v saura; et l'hote nous fera crédit jusqu'à dix sous à chacune.»
« Allons-y », dit Margue. C'était la taverne desMaiUe/''\ Le fils de Drouin
Baillez y fut avec elles; c'est par lui que Watriquet a été informé.
Il leur servil toutes sortes de bonnes choses; et quinze sous furent
dépensés en un clin d'oeil. Mais Margue ' demande encore une oie
giasse et une pleine écuelle d'aulx. Drouin y joint, pour chacune, des
!i:âteaux chauds :
Lors coinmt'iiça :Maigu(' a slici-
Et boire a grandes heiiapées.
Eii poi d'eurc eiciil eschapées
.111. chopincs parmi sa goifçi-.
« Dame, foi que jiMloi saint Jorgi' »,
Dist Maroclippe , sa rommere,
« Cis vins me lait la hoKiche amero
« Je xeiil avoii- de la garnache.
« 8e vendre dévoie ma vaclie
« S'eti aurai ja au mains piain pol.
Dniin huelia quanqu'elle pot
Va ii dis! : • Va nous aporter
11 l*oui' nos lesles reeonfortei'
■1 De la gai iiarlie .ni. chopiin'S ,
11 Kt de lest revenir ne fines.
11 S'aporle gaufres et ouhlées.
11 Fromage et amandes pelé<'.s ,
11 Poires, espices et des nois .
11 Tant, pour florins et gros tonioi^
" Que nous en aions a plenté. «
iAh i court, et elle a chanté
Par mignotise .i. chant nouvel ;
11 C^omnierc, menons bon revo} ;
Tiens vilains l'escol paiera
Qui j(i (In vin n'ensniera. «
La scène continue. Drouin verse
1 oo. i( (îoinmerr , or en bevons assez. »,
l)i>t Maroie a darne Fresens,
''' .. (Ifs noms ilo liouvires, (lisent MM. tl<-
« Monlaigloii et Havnaud (t. III, |). .^68 ) .nenous
Il .<ont pas autromcnt connus.» Ce no sont pas
des noms de trouvères.
''' Appelée plus loin » daine Fresens ».
'■'■' Il \ a\ait on iSoo, à Paris, dnas la rue
1. (larcestv lus, pour garderie .sens,
1 Mieudif's assez, que Ii francois... »
des Noiors, une taverne «des Maillei». Voir le
Livre de la taillo pour cette année (.\rcli. iiat. ,
KK -iSS, fol. 397) : .Ernoul des Maille/, t,.-
• vernier. «
''■ «Margue Clouve», en rime avec «oue» ,
dite aussi plus loin (\. li»6| n Mar-jui' dlippo».
SES ECRITS.
419
— ^ .. Cis poclionne:« est li op petis. . .
« Je lie l'ai fait el qu'essaier.
« Tant f'st bon que j'en veul encore.
« Or \.'i donc, se Dieus te secore.
u Druins, raportes en .m. quartes,
« Car avant que de ci départes
" Seront butes. » — Et cis i court...
« Puis dona son pot a chascune.
— « Conipains bienveignant »,distliune,
« Menjue .i. morsel, puis si bois;
" Cilz vous est mieiidres que d'Ervois''
« Ne c|U(; vins de saint Melion ^'. «
— ' Vtiire assez », ce dist Marioii.
« Je le boit trop plus voientiers.
« Se mes pos iert plain/. touz entiers
" N'en y ara assez tost goûte. »
— '■ Hé, que lu as la gorge gloute ",
Dist Margue'^' Clippe, " bêle nièce;
" Je n'aurai encor en grant pièce
" But tout le mien , mais tout a trait
« Le buverai a petit trait,
'< Pour plus sus la langue cioupii'.
< Entre .11. boires 1. soupir
>' 1 doit on faire seulement;
( Si en dure plus longuement
'■ liH douceur en bouche et lu fo*ve. »
A niiiiuit, elles étaient encore là, dev;iril des liaiiaps pleins. Margue
proposH d'aller dan.ser dehors :
" Chascune aura nue la teste
" Et siruns empurés les cois. "
— " Dont lairés ci vos vardecors
Dis! Druins, i< de gage a l'escot.
■1 S'averez, en guise d'Escot'"',
« Escourchie pelice et cote... >>
Atant chascune a terre rue
.Son corset et son chaperon.
Escourchie furent li geron
Des cotes desus la pelice ;
Et Druins hors de l'uis les glice,
Chantant chascune a haute vois
Amours, au vircU m'en vois.
Moût parloient de leur amis.
Les voilà dehors, à la bise et au vent, qui trébuchent et qui
tombent. Drouin les suit et les dépouille de tout ce qui leur reste :
cotes, pliçons et chemises, chaussures, bourses et courroies.
1 - /( Fe qu'en diroif !'
\inssi les laissa toutes nues,
(jisanz au luer des bestes mues
Vilment et en divers couvine,
I. une adenz et l'autre souvine,
Tresbuchies en .11. monciaus.
Plus emboées que pourciaus. .
La jurent a mouf grant vilté
L'une sus l'autre comme mortes .
Cependant le jour se lève; les portes s'ouvrent; on les trouve toutes
sanglantes, et on juge qu'elles sont mortes, assassinées. Leurs maris,
qui les croyaient « en pèlerinage » , sont informés par un voisin , lequel
'* D'Arbois.
'' Saint-Emilion.
'' Vis. el édition: \[aro(Hppe. (!Vst Maroie
(|ui est la nièce de Margue.
*' (,es Kci lisais étaient déjà célèbres, en
France, pour leurs jujjon.-.. « Scotia curta togas »,
(lit Jean de Gailanilc (Johannis de Garlandia
De tiiumphis Erclesie, éd. Tb. Wright. London ,
18.^6, p. 61).
/l20 ^^ ATRIQUET, MÉNESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
les avait reconnues « au cors que chascune ot tout nut ». Us accourent
et se désolent. Elles ne remuaient toujours pas, comme «merdes
en mi la voie >> ; on les enterre :
2 2 3. Si furent au moustior portées Hors leur sailloit par les gencives
Des Innocens, cl enterrées Li vins, et par tou/ les conduis.
L'une sus l'autre, toutes vives.
Elles se réveillent à minuit, en plein charnier, el ce n'est pas sans
])eine qu'elles se dégagent de la terre et franchissent les portes des
Innocents.
2 0Ô . Mout crent ordes et puaiis ,
Si cou gens povies ou truaiis
Qui se couchent par ces ruelles . . .
Elles trébiicliaieiil encore.
•i43. Souvent les oissiez lîuctiier : « l'it .i. pol tieviii, du plus fort,
» Druin, Druin, où es alez.3 «' Pour faire a nos testes confort . . .
« Aporte .111. harens salez « lît si clorras la grant feneslre. »
Le froid les fait enfin pâmer sur plac<'. Dans quel état!
N'orent bouche, oil, ne nés ne lace
Qui ne fust de boe couvers,
F.t tinites chargïes de vers. . .
On les retrouve au soleil levanl, comme la veille, à la stupéfaction
de l'homme qui les avail enterrées :
■>-jli. « Oies, seigneur, pour Dieu merci , ,. Elles onl les deabics es cors. . .
" Comment sont eles revenues? « Comme elles sont de vers chargies,
« En terre les mis toutes nues , « Enterrées el demengies,
« L'une seur l'autre, en une fosse. « liCs cors noirs et delapidés! . . .
a Foi que je doi au cors s.iint Jossc , " Toiiz li cuers du venirc m'en tremble. »
Les gens parlaient encore entre eu\ quand dame Tifaigne revint
à elle : « Druin , raportez-nous a boire ! » , s'écrie-t-elle.
« Et moi aussi », dist Margue Clippe, S'en va chascune a son reluit ;
« Je veut de la nouvelc tripe. » ^ El chascuns de pauur s'enfuit
— Ainsi sont jelevées toutes , Qui cuident ce soient MaufFcz
Dessivres , felcs et estoutes.
SES ÉCUnS. 421
XXXIII. Des sepi vertus (E). — Les sept vertus sont Charité,
Loyauté, Patience, Humilité, Miséricorde, Vérité, Abstinence. Cette
pièce est la seule qui ne soit pas dans l'édition Scheler. Ci. n" XXV.
\^ atriquct a la leputatioii d'un rinieur médiocre '■. Il a été, du
reste, très peu lu depuis les premiers Valois, même par les érudils.
Or il a sans doute, pour la postérité, le défaut de s'être trop fidèle-
ment conformé à la inanie allégorique et au goût déplorable de son
temps pour les jeux de rimes équivoques. Les ])iéces de lui qui onl
eu le plus de succès, comme La nois (la seule (pii ligure dans tous les
recueils manuscrits de ses œuvres), et auxquelles il tenail sans doute
le plus, n'ont de valeur que parce qu'elles sont maintenant excel-
lemment typiques d(> ces anciennes modes, aujourd'hui ridicules. De
plus, il était inégal. Mais il avait de la facilité el , scmble-t-il, ce don
indéfinissable, et si rare, qu'est un fempéramcnl d'artiste. Des trente-
trois ])iéces dont se com])0se son œuvre connue (dont deux mutilées,
n'" X\ni et XXXI), plusieurs sont encore très agréables : dans le
genre grave, les n°' X, XII, XVIII; dans le genre gai (mais avec
(pielque chose de vif, de fort et de lugubre à la Villon, à la vérité
sans l'accent profond de cet incomparable génie), le n" XXXII.
Les Trois dames de Paris [n° \XXII) sont peut-être la ])erle du Recueil
(jénéral el complet des fabliaux de MM. A. de Monlaiglon elG. Haynaud.
— Tout mis en balance, on ne voit personne, sauf son compatriote
Jean deCondé. à lui comparer pendant le second quart du MX" siècle.
CL.
JEAN DE CONDE,
Mlh'KSTRKL ET POÈTE FKANCVIS.
Jean de Condé ressemble à Watriquet comme un frère. Du même
pays et de la même confrérie, contemporains, disciples el représen-
''' Noiitcs et ealroiis des iiuiniiscrils, t. XXXIII, i" |>. , |). 8c(.
422 JEAN DE COiNDK, MÉNESTREL ET POÈTE KHANÇAIS.
tants (Je la même tradition, la majeure partie du bagage littéraire de
ces deux hommes est presque interchangeable. C'est encore un trait
commun que la postérité ne les connaît guère l'un et l'autre que par
leurs propres œuvres, dont quelques recueils ont été conservés
par hasard.
On connaît quatre recueils d'écrits de Jean de (Jonde'*' :
A. Bihl. liât., Ir. i lilx6. Les Dits df Baudouin de Condé sont suivis danj> Cf
n)anuscrit, qui contient encore d'autres œuvres, de Sg dits expressément attribués
pour la plupart h Jean de Coudé. Mutilé en divers endroits. T.ettres historiées.
xiv° siècle.
B. Arsenal, n" 3.Sj/j. \prt's les Dits de Baudouin de Oondé (fol. i-.")o) : «Ci
" commencent aucun des dis Jelian de Condeit qui sont bon et profitable a oïr, car
« moult y a de bons exemples pour le gouvernement de touz ceulz qui a bien voul-
» droient venir. » Uni' miniature initiale (loi. .)i). Ce manuscrit du xiv" siècle contient
les mêmes pièces que le précédent et onze de plus.
t\. Home, Biblioteca Casanatense, B ill 18. A la suite du liomaii de la Rost;,
S"] dit», dont ai formellement attribués à Jean de Condé et 1 à Jean de Bateri.
Hecueil qui semble inachevé el cpii ii'ollre avec les précédents «pie i 1 pièces com-
munes (7 qui sont dans A et B, et 4 dans B seul). Ce manuscrit a été e.vécuté
après juin i33-, puisqu'il contient la pièce n° XXXII de firuvre de Jean de Condé
(voir plus loin).
T. r>ibliolhèque de l'llni\(Tsilé de Turin. L. I. i.S. Manuscrit <lu xiv' siècle,
1res giaveinent endommagé dans l'incendie de 190/1.
Eu 1867, A. Scheler a publié à Bruxelles, en trois volumes, les Dits
et contes de Baudoinv de Condé et de son fils Jean de Condé (les tomes 11
ef III n'intéressent que .leaii de Condé). Dans la préface de <"ette édi-
tion, qui est satislaisanle*"', il a éniiniéré avec soin les travaux dont
des fragments de l'œuvre de Jean avaient été antérieurenient Tobjel' ''.
'' (Iharli's V, qui avait dans sa bibliothè<]UL' «occupe dans le toine XXIII de ['Histoire litlé-
jjlusiturs eiemplaires lie Watriijuel et un de «ruire de lu France, qui parut en iS.'iô, si ce
Baudouin de (londé (le nis. fr. it>.'}4 de la ■' n'est, paiiui le? auteurs de lalili.tux du \ni' siè-
Bibl. nat.) , n'en avait pas de Jean. «de, une simple mention de trois morcenux
''' Cf. les observations de Liltré dans trois "de .lean » . alors cjue «le m^me manuscrit
articles du Journal des Savants de 1868. «de Paris (Ai, cité à propos de Baudouin de
^' Il n'a omis d'indiquer (jue la notiee iné- «Condé, qui fait l'objet d'une ample notice
dite sur Jean de Condé, pai E. de Barbazan, «dans la partie du même volurne consacrée
qai est dans le ms. 7079 de l'Arsenal (p. i 1). «aux Dits, renferme 39 pièces de son filsi.Nos
A. S<heler s'est dit surpris (t. II, p. vni; de prrdéresseurs , <|ui ont traité du p-re au tome
«ne rien trouver sur le personnage qui nous XXIII, se reservaient évidemment de parler
s\ VIE. kr.i
Notons seulement ici que les érudits français et belges, jusqu'au
milieu du xix*" siècle, n'ont connu que les manuscrits A et B. C'est
Ad. Tobler qui utilisa le premiei', en 1869, le recueil conserv*' à
Rome. La découverte du recueil de Turin est due à \. Scheler lui-
même (1866). Ce savant fut ainsi en mesure de grouper l'œuvre
entière de Jean, d'après toutes les sources accessibles; à son comptt;,
elle ne comprend pas moins de soixaiite-cjuinze pièces, (.omme ces
pièces ont été citées partout, depuis, sous les miméros qu'il leur a
rlonnés, nous avons cru devoir, ici, suivre l'ordre qu'il a adoj^té,
(juoique cet ordre ne soil pas, peut-être, le meilleur possible'"'.
Deux remarques sont d'ailleurs à faire au sujet du corpus foimc par
A. Scheler à l'aide des quatre recueils manuscrits, partiels.
1° On peut se demander, avec Scheler (|). xv), si l'attribution à
.lean de Condé est absolument certaine pour les soixante-quinze pièces
.que l'éditeur a rassemblées. En eflét , de ces soixante-quinze, «il n'y
" en a que trente-neuf dans lesquelles le nom de l'auteur soit explici-
< tement énoncé ». 1 Ce (pii nous a fait accueillir les trente-six autres »,
dit Scheler, « c'est tout sinq)lement la circonstance qu'elles se trouvent
" mêlées à d'autres pièces cpii portent le nom de Jean (comme dans R)
M)u renfermées dans un recueil exclusivement consacré, d'après un
« intitulé contemporain du manuscrit (B), aux poésies du père d'abord
" et du fds ensuite. Cette circonstance, combinée avec le fait (ni'aucun
" motif intrinsèque ne s'y opposait et que toutes les pièces ont une
" physionomie générale commune, nous a sendilé suffisante ])our jns-
'< tifier notre procédé. »
Jean de Condé avait l'habitude de mentionner son nom dans ses
écrits (au commencement ou à la lin), puisqu'il en a ainsi signé jus-
qu'à trente-neuf. D'autre part, on peut tenir pour assuré qu'il ne signait
pas toujours, liuisqu'il n'a ])as signé les pièces anonymes du manu-
scrit B, recueil qui parait avoir été formé dans les mêmes conditions
que ceux de Watriquet , c'est-à-dire sous la surveillance de l'auteur en
personne. Un doute ne saurait subsister, par conséquent , que pour
du fils à M place dans l'ordre chronologique, complet des fabliaux de MM. A. de Montaigton
sans prévoir, sans doute, que son four n'arrive et G. Raynaud (Paris, i883), t. III et IV. Et
rait qu'au tome WXV, soixante ans plus tard. il a paru une dissertation de J. Wiegand (Jean
'"' Depuis l'édition de Scheler, les pièces de de Condé. Liternrhistorische Stadie. Borna -
Jean de Condé qui ont le caractère de fabliaux Leipzig, 191 'il qui n'ajoute rien h ce fpie Ion
ont été réimprimées dan* le Brcnril iicnéial ri savail.
'i24 Jî'AN UE CONDK, MÉNESTREL ET TOÈTE l'UANÇAIS.
les pièces non signées de A , do R ou de T qui ne sont pas dans B
(il n'y en a que dix, toutes dans R). Mais ce doute est très léger, car
la langue et le style des pièces subjudice et des pièces signées ne dii-
fèrent nullement. Les conclusions de Scheler sont donc légitimes'".
Toutefois, avec les dits qui ont été — tous, sauf celui-là — attri-
bués d'office à Jean de Coudé, il eu est un, dans le ms. R, le Dis des
.VIII. blasons , doni l'auteur certain, Jean de lialeri, écrivait après la
bataille de Créci en i346; il y a là une invitation à la prudencr.
Nous avons donc marqué plus loin d'un astérisque les œuvres signées,
pour les distinguer de celles qui ne le sont pas.
2" Il est certain (jue nous ne possédons pas tous les ('crits de Jean
de Condé, car dans Li dis d'Entendemenl^-\ l'auteur s'adressant à « Mii-
« tendement » personnifié, lui dit :
3^. C'est vous, sire, pins n'en convient Et au besoing nieslier m'cûstes
Parler, carniout bien m'en souvient, La ou iere si entrepris
Des fors assaus et des claniors Que Désirs mot lacic et pris ;
Que fistes au Chastel d'amors Mais de. ses mains me delivrastes.
Ou en ma compagnie fustes.
Or, .lean de Condé ne s'est représenté, dans aucune des pièces de
lui qui sont connues, comme secouru j)ar Entendement contre Désir
au n Cbastel d'amors » '^'. Cette allusion vient à l'appui de la conjecture,
très probable a priori, qu'il a existé jadis d'autres recueils des écrits
de Jean de Condé, plus ou moins différents de ceux (pie nous con-
naissons, comme ceux rpie nous connaissons diffèrent entre eux.
Que Jean de Condé ait été le fils de ce Baudouin de Condé, (jui
s'est si joliment décrit bii-mème, au physique et au ujoral, dans sou
'' Scheler a remar([ué qu'.'iucuiie (les pièces P. Mcyer dans la Roninitid , I. Xill (i88/i),
• légères», dont le ton contraste nvec celui des p. bn\, ni avec le Cluislel d'amors en provençal,
autres (n°' XIV, XV, XXX, LVIl, LXXIl) |)ublié par Vnl. ïlioni.is dans les /tniiu/»' ilii
n'est sipnée. Mais, il no s'est pas arrêté à cette Midi, t. I" ( 1 889 ) , p. 1 go. Cette allégorie était
circonstance. \\cc raison, car LVII et LXXII alors un lieu commun de la littérature ; dans un
sont dans B, et XIV, XV et XXX sont é\i- compte de • draps français historiée » achetés à
drinmcnt dn même auteur que ces dcDX-là. Perpignan.cn io56, on lit : « Pannum Parisii
'" Exlition Scheler, III, p. 5o. « delana, istoriatumcuni istoriaCastri Ampris»
' La pièce de Jean sur le 1 (]hnstcl ( V. Riibio \ Llucli, Document per l'hislorin de
d'amors», qui parait perdue, n'avait aucun la Ciiltma cntalana mirj-cvtd, l. l". Barnloiiii ,
rapport a\er le (liaslel d'amour public par it)o8,p. 171).
S\ \IK. 425
«lil Des liliaas, cl dont nos piédécesseurs ont analysé les ouvrafj^es
au tome \X11I de YHisloirc Utléraire (p. 267-'.<82), c'est ce (|ue Jean
déclare expressément dans son dit J)oii lévrier''^'' :
;^8. Fius fui Baidcin de Condk. Aucune teche de mon père
S'est hien raisons k'en moi apeic Et .1. petitet de son sens. . .
Baudouin était de Condé-sur-l'Escaut, près de Valenciennes. Rap-
pelons (pi'il était ménestrel; (pi'il j^agna sa vie dans les cours sei-
gneuriales du Nord, notamment à celle de Flandre, au temps de
la comtesse Marguerite, la «Noire Dame» (t i<8o), et qu'il mourut
certainement après la seconde croisade de Louis IX '^^
Son lils Jean naquit sans doute dans le dernier quart du xiii" siècle.
La ]iremière pièce datée (pi'on ait de lui (n° LV) a été écrite peu
d(> temps après la mort subite d<! l'empereur Henri Vil (i3i3). La
seconde (n" LXVIII) est de i3i5, peu de temps après l'exécution
d'Lnguerran de Marigni (3o avril). Il écrivait encore vingt-deux ans
plus tard, ])uisqu'il a lait r»''log(> funèbre du comte Guillaume de llai-
naut, mort le 7 juin 1 3^7 in" XXXII). (le comte Guillaume a\ail dé
son l)on maître : ■
I 62. l'artuiit ierl de lui rainenibranre De son maisnagf, et qui vii'Stoif
Ou cils dis mis ierl en iccoii. t)es robes de ses escuyers.
Si a au faire mis accort l^i gentieus quens des Hainnuiers
.[kih\s ok CoNnir , qui esloil l^ui a dou sien donné maint don'^'.
Il ne laissa pas d'ailleurs de travailler de son métier, comme son
père et Watriquet, dans d'autres cours princières :
. . .Biausmos tinieve et les raconte, Kn mesons, en sales, en cours
Dis et contes , et Ions et cours. Des grans seigneurs, vers oui ge vois...'"'.
Voilà tout ce (pie l'on sait de sa carrière'^*. Son caractère, en re-
vanche, est assez accusé. Mais puisqu'il ressort de son œuvre, faisons
d'abord, en peu de mots, l'inventaire de celle-ci.
" Éd. Scheler, I. II, p. .^o4. "' Ibid. , v. a48 cl suiv. CI. n° L\XV, v. i5:
'"' Voir le tome 1" de» Dits et contes. ... de « Dirai exemples, dis <'t contes — Par devant
A. Scheler, consacré à Kaudouia de Condé, qui a «princes, dus et contes. »
para dix ans après l'article de 17/ i<(oiVe /iV/ecni'rc. <"' Dans les comptes de rhôtel des cofutc!.
'^' Cr. n° LXVI, V. ;!47 : «'Si siii do mo- de liainaiit et de Hollande, cons<'rvés à Lille,
« nostrcx el conte. » .lean de Condé est cité plusieurs fois pour avoir
lusr. i.iTTF.n. — xxxv. 5'i
'42(5 JEAN DE GOM)É, MENESTUEI- El' POETE KK \NÇ \IS.
*1. Li lays dou blanc chevalier (T). — Entre Lorraine et Bom--
gogne, il y avait une fois un riche chevalier banneret, nommé Ferri
de Launoi. H ne s'était point soucié de se marier en sa jeunesse, (lors-
qu'il fut âgé et n'alla plus que peu aux armes, voisins et parents le
blâmaient plus que jamais de n'avoir pas d'héritiers de son corps. Il
épousa enfin la fille, courtoise et sage, d'un écuyer des environs qui
était bon gentilhomme; elle s'appelait Elissens. C'était un mariage
disproportionné : «Plus prisa bonté que riquechc " (v. 87). Elissens,
qu'on appelait «la bielle dame», eut d'abord, après son mariage,
comme demoiselle de compagnie, une personne de bon conseil; mais
la mort l'en piiva et celle qui fut appelée à la place de la défunte ne
la valait pas, tant s'en faut. Elle dit un jour, en considérant sa maî-
tresse :
206. . . . « Se ja [)iex bien me taclu' Car messircs est mais vielz hom.
Et sekeure lame de mi , Po ara on lui de solas ;
A tel daine afftrroit ami Tos sera recreans et las
.1. preu et vaillant bacheler De jone dame a donoyer. . »
K.i seùsl son iestre celer — " Taisiés, dist elle, bielle suer ;
Et fust biaus et nés et sachans Se je metoie ailleurs mon cuer
Et deduisans et solachans . . . Trop seroic el fausse et mau-
Neja n'en fériés a blasmer. . . [vaise. . . »
La corruptrice réussit pourtant à « mettre la puce à l'oreille » de la
dame, à la « mettre en convoitise de faire ami » [v. '.i8'.>.).
La saison des tournois revint. Des chevaliers qui se rendaient à
une fête de ce genre, annoncée aux marches de Lorraine et de Bour-
gogne, et qui connaissaient Ferri de Launoi , furent hébergés chez lui
en passant. L'un d'eux était un bachelier de très bonne mine, jeune,
hardi, vigoureux, « cantans et de vie envoisie •• (v. SsS). « Eùreuse qui
l'amera», risqua le soir la chambrière. Mais la dame déclare qu'elle
est décidée à ne s'abandonner cpiau vainqueur du prochain tournoi.
reçu di'3 gratilications «au rommandement « l'an XXXI jusques an diemence après le jour
• Medame » : lo i. le 17 juin iSaG (Arch. du • des Roys l'an \\\I» (B 3376, fol. ao v*) :
Nord, B.'')!7.'i, foi. 35 v°); 24 s. le i5 avril « Le jour dou Nopi, donné as .11. ménestrels
i3'27 [Ibidem, H 3j7i, fol. a8 v°l : «le mei- > par Jehan le Ménestrel, ix ». ixd... Le jour
" quedy après Pasqnes a Jehan de Condel, «des Innocens, a Jehan le Ménestrel piur
" donné par Medame, a Middelhour. . . ». Voir « aller à Nideke, i.w s. ». — .\. Scheler n'a pas
aussi les « Comptes Goberl le Clerc des forain- connu ces te.xtes, qui nous ont été signalé»
» nés parties délivrées au commandement par M. l'archiviste Bruchet.
" Medame, dou diemence après les .III. liov»
SES ÉCRITS. 427
Celte conlldencc est aussitôt rapportée au beau bachelier par celle
(jui l'a reçue et que l'auteur n'hésite point à nommer, précisément,
.(la niaqueiielle » (v. 38 1). Il en est, naturellement, lort ému :
406. Dont amours a ce cop h- prcnl Que rose en may la matinée;
Si qu'il lui samblo que tout aide ; Ne puet de 11 ses yelz tourner. . .
Et la dame a ce cop regarde Con oistoirs ki par tain oisielle.
Qui plus estoit enluminée
Il annonce qu'il saura mériter une si belle récompense et qu'il
portera au tournoi des armes parlantes, d'arfjjent.
Cependant, le bon Ferri de Launoi avait surpris cette conversation
dans l'embrasure d'une fenêtre et en prévit les conséquences; mais il
dissimida, car il était fort saye. Même, il < hucha » un ménestrel qu'il
avait, pour jouer un air de danse, et mena lui-même la tresque afin
([u'on ne se doutât de rien. Epices et vins sont apportés, et on prend
congé, car les chevaliers de passage devaient, le lendemain matin,
continuer leur chemin.
Le bon Ferri a résolu d'aller au tournoi lui-même. Il donne à sa
femme un prétexte pour justifier son absence, que la chambrière
attribue charitablement au désir de ne pas renouveler à d'autres pas-
sants l'hospitalité qu'il a accordée la veille :
■)\^. " Dame , il s'en va par avarisse ... Li hons quant a vielleche vient.
Cli'est de vie! homme la coustume. Il est ja d'avarisse peins.
Rihoteus et plains d'amertume Faites ami, bien en est poins,
Et avarissieiis devient Ki lestes en vostre jouvent. . . »
H arrive, le .soir, à Verdun, et se procure chez son hôte un cheval
blanc, tout harnaché de blanc; deux de ses cousins, qu'il a mandés,
l'accompagneront au combat, qui doit avoir lieu hors de la cité de
Toul, en présence des ducs de Bourgogne et de Lorraine, entre les
Français, les Normands, les Angevins, les Anglais, les Bretons, ceux
du Poitou, du Pontieu et de Vermandois, de Champagne et d'Artois,
d'une part, contre les Lorrains, les Allemands, les Alsaciens, les Fla-
mands, les. Hennuyers, les Brabançons elles «HuyersM [Ripaarii)
d'autre part. Douze cents chevaliers de part et d'autre.
Le «blanc chevalier» entre en lice, avec ses deux cousins qui
avaient mis chacun «un fol visage» (un masque) pour n'être pas
'1^8 M:\\ de CONDÉ, MENESTHKL Kl' l'OETE KR ANC VIS.
reconnus. H s'aflresse d'abord à son rival, (jui, comme celui-ci l'avait
dit à la chambrière, avait adopté pour la circonstance des armes nou-
velles : d'azur, à rossignols d'argent, avec un chef de femme du
même. Les dames et les demoiselles, assises «en un tertre» j)our
regarder la bataille, approuvent ceux (|ui font bien et, de ceux qui
font mal, " rigolent» (v. ^()^)■ On remarque beaucoup le blanc che-
valier. Mais nul ne sait qui c'est. Les hérauts encouragent son adver-
saire, qu'ils connaissent. L'amoureux aux arniesde circonstance n'en
faiblit pas moins, et ses écuyers remmènent ])Our lui ôter son heaume,
le rafraîchir et le reposer. Gela fait, le blanc chevalier rentre dans la
mêlée, abat le duc de Bourgogne, et, comme l'amoureux, remis de
la première passe, s'attaque de nouveau aux Hennuyers, il le fait
flancher une seconde fois, ainsi que plus de vingt autres che\ali('rs
et deux comtes. Après être venu une troisième lois à bout de son rival
obstiné, il est proclamé vainqueur du tournoi.
La chambrière s'était rendue secrètement àToul; s'étant fait ensei-
gner l'hôtel du vainqueur au blanc harnois, elle y va avec les présents
symboliques du don d'elle-même naguère promis par sa maîtresse.
Son maître, qui l'a vue venir, et qui s'attend à cette visite, la reçoit
dans son lit, le visage couvert et la voix déguisée. t
!iiyi."Sirc, lait «Ile. Cl' jjnst iit (llicst la pluj-biillc ctla piusnobic
De par iiia dame vous piTsrnt ; ki soit jusqu iii (ionstantiiioblc
Capicl. cliainturc et auinosiiii i' Et t-n rui a plus d'esbanoi.
Vous tnvoie par tel manière I^a biidle dame de 1' \unoi
C'o les joyalz sanioui' vous donne Est nommée, et li siens maris
Et cuer et eors \ous abandonne. Est nonmics iiiesires l'"erris. . . n
Le sage l'erri remercie, fait donner dix livres à la messagère ravie,
et la renvoie sans avoir dit son nom et sans avoir été reconnu. Après
avoir fait cadeau à ses cousins des chevaux et des harnais gagnés au
tournoi (ils refusent d'abord, car ils ne l'ont ])as " servi pour avoir "
et après avoir fait distribuer, pour boire, vingt livres aux ménestrels,
et autant aux hérauts, par son hôte de Verdun, il retoui-ne enfin chez
lui, dans le très petit appareil qu'il avait adopté au dé])art.
i'.s66. A la porte s'en vient li sire. [lent. Si con il iert acoustumés. [clii,
Son portier huche et chieus l'on- — " Sire, fait il, pour Dieu mier-
La porte of'vre , plus n'i atent , Comment revenés ensi clii .' ..
Puis crie : n Muirés, alumés! «
SB:S KCRIIS. 429
Pour expliquer à sa femme ses blessures, il dit que son roncin l'a
désarçonné au passage du ponceau : t'était un très mauvais cheval.
1 290. La darat" disl : « (l'isl a bdii droit ; V si riche homnie coni vous iestos
Comment poés ensi alcri' Est tels maintiens moult dostiou-
On n'en doit en nul bien parler. [ncstes. »
Le mari accepte patiemment la réprimande. H se repose, se baigne,
se ventouse; après quoi, il convoque tous ses amis, les siens et ceux
de sa femme.
Grande fête au château, comme si c'était une noce. Le «chevalier
« de Launoi » sert lui-même aux tables, le visage épanoui, en arborant
ostensiblement les jovaux. la ceinture, l'aumonière et le chapeau
qu'il a reçus après le tournoi. Rt il chante, «au premier mes», 1res
haut, d'un air de défi :
I 3(i8. « Puis(iue mu dame a fait ami
Il afierl liien (f m' fâche amie. »
La dame et la chambrière, (pii ont compris, se regardent, conlon-
dues. Le lendemain, n ayant retenu chez lui que les amis et les pa-
rents de sa femme, le bon mari leur dit tout, et conclut :
1 'iSg. « Je doi bien avoir, par droiliuv, l'tun moi, dont blasme et honte
S amour; je l'ai bien acatée [eusse. . .
Et par mes armes conquestée. Se je ne seïisse tour querre
Mariages poi i valoit , l^)ur l'amour de li reconquerre. -
Caria besongne mal aloil
La dame implore sou pardon, à genoux, et l'obtient aisément.
Reste à régler la chambrière. Elle a déjà reçu dix livres : « Donnez-
ului, dit ie bon seigneur, votre meilleure robe; et qu'on ne la voie
« plus! ». Ainsi fut fait.
1 '^-]h. En son ostel a \ilain oste li se Irahisl et deshonucure;
Qui mauvais conseillicr retient S'en puet honiz estre a une eure.
Et par son conseil se maintient.
Cette aventure est arrivée il y a fort longtemps; depuis, bien
des noms de lieu ont changé, des seigneuries ont été «remuées»,
de beaux lieux ont été abîmés dans les guerres : où est le manoir de
3 3
UO JEAN DE CONDÉ, MKNESTREL ET POÈTE FRANÇAIS.
Launoi? elle bon seigneur a-t-il laissé des descendants? L'auteur
l'ignore. Mais il a cru devoir rimer, pour l'exemple, celte histoire
véritable, qui n'avait jamais été mise en vers.
II. Des trois estas dou monde ou Du koc (H)"'. — H y a en ce bas
monde, trois «ordres». L'ordre de chevalerie doit prendre exemple
au coq, chaussé d'éperons et cresté comme d'un heaume pour tenir
en paix ses géhnes, qu'il conduit bannière (sa queue) levée, et tête
haute, etc. L'ordre de prêtrise doit en faire autant, car le prêtre,
comme le coq d'église, doit montrer, • par compas », le droit chemin
à cei X qu'il a à gouverner. L'ordre de mariage, de même, car le coq
« gouverne son poulage » comme seigneur incontesté, et c'est ce qu'un
mari doit taire L'auteur s'occupe surtout du premier de ces trois
<i ordres ».
Vr. Novati a donné de cette pièce une édition critique en 190;)''',
et l'a rapprochée de la célèbre pièce Comparatio yalli ciim preshylew,
en vers latins rythmiques, qui commence par : « Multi sunt presby-
teri qui ignorant quare — Super domum Domini gallus solet stare. »
'111. Doa lyon (ABR). — Magnanimité du lion, exemple pour les
puissants (dont ils ne profitent guère).
*1V. Doa roi et des hicrmitlcs (R). — Leçons données par un bon roi
que son entourage avait accusé d'un excès d'humilité pour s'être age-
nouillé devant de saints ermites : il terrorise son fière en lui faisant
croire qu'il l'a condamné à mort (que ce personnage juge par la ter-
reur c|u'il a éprouvée de celle qu'on doit ressentir, quand on a la res-
ponsabilité du pouvoir, des châtiments dont Dieu dispose); il donne
aux courtisans à choisir entre des coffres dorés (lemplis de pourri-
ture) et des coffres d'aspect modeste (qui regorgent de bonnes
choses), pour leur montrer qu'il ne faut point se fier aux apparences.
Toutes ces historiettes sont, comme on sait, dans Barlaam et Josaphat
et dans les Gesta Romanorum^^\ Cf. le n" XVll de fteuvre de Watriquet.
Cl Scheler (t. Il, |). 393) propose avec raison Condé , dans le;, Sliuli medievali , t. 1" (190'!-
d'inliluler cette pièce Du co(/. Le dernier vers 190^), p. 484-'i88.
est en effet : . Ichi li Dis du koc deffine. . " ''' Voir Th. F. Crâne, TItc Exempla nj
■') Fr. Novati, «Li Dis du Koc « di Jean de Jncqua de Vilry (\oui\on, 1890), p. 1 53.
SES ÉCRITS. i'il
*V. Des Ail. mestiers d'armes (R). — il y a trois « mestiers
« d'armes » : joutes, tournois et bataille; les deux premiers, prépara-
tcnres au troisième.
*Vi. De boiiie cliiere (BR). — Paraphrase de Proverbes, XV, 17 :
« Melius est vocari ad olera cum cantate. . . » La façon de donner
vaut mieux que ce qu'on donne.
*V1I. D'onneur (fuemjie en honte (R). — Eloge du bon vieux temps;
invectives contre la ploutocratie, qui caractérise le présent :
Pour bonté ne pour gentillece Sierf vilain nu bastart puant,
N'est nulsbonneuiéssansriqnece; Cui avoirs ne faice ensaucier
Si n'i a nul si orl trnan» , Et If s caperons descaurier. . .
'Vlll. Don fi(]hi('r (R). — Sur la parabole du figuier stérile.
*1X. Don miroir (BR). — L'homme d'honneur peut et doit pro-
fiter de l'endroit et de l'envers du miroir : l'endroit (les exemples des
bons), l'envers (le sort des méchants).
*X. Li ucors'^^^ d'armes et d'amours (R). — Armes et amour sont
deux «mestiers» qui vont ensemble. Pourquoi et depuis quand.* En
vertu d'une convention conclue dans l'ancienne Grèce, longtemps
avant la guerre de Troie, entre Mars et Vénus.
XL De l'aiyle (ABR). — Le «haut home» doit planer sur les
sommets, comme l'aigle; mais il en est trop qui « volent bas » !
XII. Don sengler (ABR). — Faire tête comme le sanglier, sans
espérance, jusqu'à la mort, voilà la vraie hardiesse.
XIII. Des . Ifl . safjes (A B R). — Trois espèces de sagesse : on est
sage pour soi, ou pour autrui sans penser à soi, ou pour soi et pour
autrui à la fois. L'auteur blâme nettement « ki ses besoignes met ar-
« riere pour les autrui», car «sens doit profiter a l'orne premiers
«qui l'a ».
'' Ms. et éd. : reçois.
'j;i2 JEAN DE COiNOK, MENESTREL ET K)ÈTE l-HANÇAIS.
XIV. Des braies le piiestic (R). — Une bouchère couchait un jour
à la fois avec un prêtre et son mari, à l'insu de celui-ci; en s'en allant,
le prêtre se trompa de culottes et le boucher, fouillant plus tard dans
ses poches au marché, n'y trouva, au lieu d'argent, que le « saiel au
" prestre ». C'est à la suite de cette aventure que l'évêque du lieu dé-
fendit aux prêtres de pendre, désormais, des sceaux à leurs braies.
XV. Dou pliroii (R). — Autre historiette en façon de fabliau. Une
femme surprise avec son an)anl par son mari fait évader le premier;
le second n'y voit que du feu.
XVI. Des niieces c'on ne puel acoir (BR). — Parajîhrase de Pro-
rerbes, XXIIl, r> : « Ne erigasoculos tuos ad oj)es . . . "
*XV11. Dou sens emprunté (R). — Se lier plutôt à son « sens » qu'aux
conseils d'autrui.
"XVIIl. Dou jruin (R). — La laison est le Irein de l'homme.
XIX. Pour (jneh .11. co:es on vit an monde (ABR). — L'honneur
ici-bas, le salut dans l'autre.
*XX. Don chien (R). — «On se poet enseignier par exemples de
" créatures", en observant leurs manières d'être, ^insi, le chien a du
llair; il aboie aux voleurs; il assainit les plaies en les léchant; c'est
un ami pour son maître. « Segnefiance » de tout cela pour le sage.
'XXI. De Seiirlé cl de (Confort (R). — « Confors vient de Seûrté»,
(•'e';t-à-dire de la fermeté d'àme dans les tribulations. C'est Seûrté qui
dit à riiomme le précepte qui doit être sa devise : « Ne t'esmaies pas •>.
*XXIL De l'oJiette (R). — « Propriétés» moralisées de la graine de
pavot.
*X.\III. Dou chevalier a le munce (RT). — Conte pour démontrer
(pi'il faut mesurer ses paroles et s'abstenir de celles qui pourraient
nuire ou engager trop avant.
En Thiérache, sur l'Oise, vivait un cadet de Champagne, riche,
beau et parlant bien, mais(pii, pourtant, ne valait pas grand' chose.
SKs i<:cRri's. tnv.^
et détesl»' dp toiil ie inoiulr; il ovait <lû quitter son pays (lOrigine à
cause (le son caractère. H n'aimait que le repos et la chasse aux perdrix
et aux faisans. On l'avait surnonuné « li (ianipegnois sauvaiges ». Or il
y avait dans le pavs une dame mariée à un chevalier généreux et es-
timé. Le Champenois s'éprit de la dame. — Il fait sa déclaration et la
dame, assez fâchée, répond iioni(|uemenl qu'elle sera son amie quand
il passera tous ses voisins « en hardement et en prouaice ». Elle croyait
ne s'engagei- guère. Mais l'amoureux, qui savait hien parler, se dé-
clare aussitôt content; il ne demande qu'un gage de la pron)esse dont
il prend acte :
I 33. » Mnis amours m'apreiil il ciiscnjiiie li guimpic u niancc, pour porter
Oui' (le vous aie aururie e:isenj;ue, Kn armes et moi conforter. . . «
La dame se croit ohligée, par ce qu'elle a dit, de lui donner la
manche de toile blanche et froncée d'un sien "caince»; mais elle est
toujours convaincue (ju'un tel don, fait sous une telîe condition à un
« failli » comme « le sauvage " , ne tire pas à consécpience.
Le jour vint, à la mi-mai, d'une grande fête arrangée dans une
lande des bois de Fagne (au nord-est de (^himay) : dix chevaliers de
divers pays avaient lait annoncer qu'ils jouteraient contre tous ve-
nants; et on avait répondu à leur appel des diverses marches d'alen-
tour. Il y avait des tentes, des feuillées, des échafauds pour les spec-
tatrices, etc. Le prix de la joute était un épervier blanc, "Coroiie,
« aumousnière et çainlure ». 11 avait été convenu
il) II. ... (Kie .V. lances ne pouroit
(iourre cevaliers deforains
Sans le congiet dos souverains'".
Les dix tenants étaient respectivement de Vermandois, de Flandre,
d'Artois, de Cambrésis, du Hainaut, de Brabant, du pays des < Ruiers » ,
de la Hesbaye, des Ardennes, de Champagne. L'un d'eux avait été fait
'< roi » de la fête, et son amie « reine ». Car
289. .. . si ot a celle aramie U fust u iontainne u voisinne,
Cascuus des baccters s'amic, U sa serour u sa cousine.
''' Le u roi-) et la «reine» de la joule.
insT. niTKn. — \xxv. 55
434 JEAN DE CONDÉ, MÉNESTREl. ET POÈTE FRANÇAIS.
Le chevalier à la manche y panil, avec ladite manche sur son
heaume, toutes ses armes et jusqu'aux draperies de son clu'val char-
gées « de gueules, a manches d'argent ». — Nui ne sait son nom; mais
la dame le devine, étonnée déjà qu'il soit là, car il n'avait pas eu,
jusqu'à ce jour, l'hahitude de se rendre aux réunions de ce genre. —
Combats sur combats. Le chevalier à la manche s'y distingue extra-
ordinairement :
■706. Il fist .1111. cours de .\\. tances.
À lui seul, il abattit six des tenants, dont le « roi » (par deux fois).
11 est vainqueur. Le soir, dans sa tente, pansé et lavé, il reçoit, vêtu
d'«escarlate vermeille ", les hérauts et les autres gens qui sont venus
s'informer de son identité :
■yyo. « Signeur, sur ta rivière d'Oise, Mais on ne .set quels les gens sont,
Fait il, est mes povres inanages; Ne quels cueurs en leur ventre ont
Nommés sui « Campegnois san- Devant eau liesoing sont venu :
Par parère et par nicelé, [vages ». Ensi est de moi avenu.
M'a on de maiivai^té relé;
La nuit suivante, on festoya aux Irais des vaincus, qui, faisant
contre fortune bon cceiir, tinrent coin- ouverte et bien servie. Le
comte Baudouin de Hainaut, le comte de Soissons et les dames féli-
citèrent le chevalier à la manche. Puis on dansa. Enfin, distribution
des prix, remis par la « reine n cl sa conijiagnie, en chantant, ])armi
la criée des hérauts.
Le chevalier à la manche, qui avait irtiouvé là ses frères aînés, leur
fait part de sou désir de tenir cour ouverte le lendemain, à son tour,
et ils l'approuvent, s'il en a le moyen. Cette cour fut très magnifique.
Le chevalier fit cadeau de son éjiervier blanc au comte de Hainaut,
qui, en revanche, le retint sur-le-champ à son service en lui octroyant
M deux cents livrées de terres. Libéralités aux hérauts (qui vont in-
continent les boire au cabaret) et aux ménestrels. Tout le monde est
satisfait.
ioo5. Cascuns qui einhatrc si vol
Et nioul bien saouler se pol.
La dame setde était embarrassée, entre la foi conjugale à garder et
la ])rornesse imprudente qu'elle a\ail laite.
SES ECRITS.
435
Cependant le chevalier avait pris goût aux aventures. Tant que
dura la saison des tournois, il n'y manqua plus : d'abord entre Sois-
sons et Montaigu, puis ailleurs, si bien que sa réputation s'étendit
dans la France entière. — Il revint eniln chez lui, et alla, chez sa voi-
sine, réclamer son dû :
1 097. " Dame, se y.ù si bien siervi
Que j'aie tel non desiervi ,
Faites moi riertain paiement. »
Ne suffit-il ])oint, dit la dame, que j'aie fait de vous le meilleur des
chevaliers? Nous sommes quittes. — 11 est bien vrai, répond le che-
valier, que je vous dois tout ce que je vaux; et c'est encore trop peu,
je l'avoue; mais j'ai conhance que, quand j'aurai mieux fait, vous
tiendrez ce qui lut promis. — De si courtoises paroles, et si bien
dites, ne laissent pas d'émouvoir l'héroïne, plus embarrassée que
jamais.
Ici, un épisode très agréablement conté, qui est ce que Jean de
Coudé a sans doute écrit de plus aisé. — La dame reçoit, dans son
château, la visite d'un vieux chevalier à cheveux blancs, qui vient
voir le niaitre de la maison. Mais celui-ci est absent, par hasard; la
dame informe courtoisement l'étranger qu'elle ignore oîi il est :
" Se je te savoic, par m'anie,
Biaus sire, je le vous diroie. . .
De ci se parti hier matin
Sans dire ronmianl ne latin;
Ne sai u il tourna sa voie. . . »
— « Dame . fait il , d'aucune affaire
A vo signeur parler voloie;
Car on dist (pie pas ne foloie
Qui a preudhomme se conseille . . .
Si m'en y rai. Vostre mierci.
Dame, de vostre boimie ciere. »
Elle l'invite à diner.
I 266. « Dame, bien iestes ensengnie
Et moût d'onnerance savés.
Puisque conjure m'en avés
Je demouriai moiil volentiers.
Mes euers encoi'e est tout entiers
A dames et a damoisielles;
Encor vni volentiers les bielles,
.le leur otroi cuer et regart ;
Car dou surplus, se Dicus me gart.
Oi déport assés désormais.
Qui a tant fait qu'il ne poet mais.
On le doit bien eni pais laissier.
Mais viellece fait abaissier
Maint desroi, et si amenrist
Maint orgoel. » La dame s'en rist
El le preudbomme moidt con-
[joie. . .
La dame et li cevalier lèvent
55.
436 JE\N DV. CONDK, MÉNESTREL El POETE ERANÇAIS.
Et une dainoisieUe gente, [ente,
Qui plus blance icrl cou flour sour
Qui esloit liiie d'un sien frcrc.
La dame , qui moult courtoise ère
Assist le ce\alier in mi
D'eles deus. — « Par l'ame de my,
Fait li preudons, tout asseùr
Sui encor d avoir grant cùr
En n)es viex jours ; niiex ne porroie
lestre assis, ne mais re voroii'
Nul autre parradis asoir. . .
Ne dites pas je soie sots. »
!^a dame rist de ses biaus mots.
... Et il , qui moult savoit
I )i' bien , tant de boins gas avoit
En iui, que ne les oïst nuls
Oui se Inst de rire tenus.
Le vietix geiililliomme passe ensuilt! sur les lenes du chevalier à la
inanche, qui j)()ur tromper ses ennuis, élall aile guellei-, dans l'espoir
de les arrêter, les braconniers qui déva.staient ses viviers. Saints réci-
proques.
1 335. Chius a le manci , qui désire
Corapaingnie. li disl : « Biaus sire,
Dites moi de quel part venés. »
— « D'avoec .11. angeles empehés
M'en vieng, tait il, de parradis.
Bien y voroie iestre tondis,
Sibiel y fait, liien dire l'os,
()ui regarde tés angelos
Jamais partir ne se \orroit.
Uns lions mors rtvivre en poroil;
Car sanq)lus par le souvenir
Devroit a santé revenir
lions qui a le mort transiroit. '
Et ils les nomme. Le chevalier à
partager avec lui, dans aa « salle », I
parler encore « <lon grant ange et d*
1 370. Cbius a le niance, qui tant ère
Destrois, rentra en sa matere
Et dist que eil angele plaisant
Poroient iestre mal taisant
A .1. liomme aussitosf com bien,
[rien
— -i Ains ne j)oevent grever de
Fait li vieilars, cCst mes avis.
Car tant sont jilaisant a devis
la manche, Iransjiorlé, le prie de
e vin atix épices, afin d'entendre
' l'angelot ».
Que venir n'em poet nuls dehais...
Encor ne sui pas lepentans
D'amer, (|ui ai priés de cent ans. . .
Si n'iert mais unie jouvincielle,
li soit dame u soit dnmoisielie.
Qui riens doie compter a mi
Ne (pii me ticngne pour ami ;
Mais en pensée et en regart
Prendrai soûlas , se Diex me gart. »
On soupe, on boit, on cause encore, et, le lendemain matin, le
bon vieillard, dont les paroles ont rendu courage à l'amonreu.v,
disparaît du récit.
Le héros, pour s'apaiser, décide d'aller en Terre Sainte, par
Marseille. De Marseille à Tvr, neid semaines, à cause du vent
SES KG KITS. tiM
coiilraire. Combats contre les Sarrasins et les Turcs. Visite à Jérusalem
(c'était avant que Saladin eût pris la ville, au temps du roi Baudouin,
neveu de Baudouin le Lépreux].
Il n'avait pas pris congé de sa dame, au départ, par discrétion.
Mais elle était dès lors profondément toucliée, et par ce procédé
même. Or il arriva qu'au bout d'un an, son mari se laissa mourir. —
Elle confie aussitôt à son frère l'administration de sa terre, et, avec
une escorte de deux écuyers et de quatre garçons seulement, annonce
qu'elle entreprend le pèlerinage de Saint-Gilles en Provence, par
Vézelai. Mais c'est à Marseille qu'elle va, elle aussi. Pour le voyage
d'outre-mer, elle se déguise en bachelier. — Un mois après, elle était
i'.n Palestine, (l'est à Tyr qu'elle rencontra enfin son amant, fatigué
d'exploits au ])oint qu'il était couché et en danger de mort. Elle le
réconforte d'un mot :
■2069. « Biaus sire, fait file, par m'anic, Qui ol veù deus angelos . . .
Par moi vous salue une dauic Et dist, s'uns tiens traioit a lin,
A rui vous rouvastes la mance; Va l'en souvenisl de cuer lin.
Et vous a\nnine. . . » K'pn sanlé devrait revenir.
[conihrancc, Donné m'avés ce souvenir. . .
— «Sire, Diex vous gart d'en Car pleuïst ore au roi celieslre
Fait il, car j'ai ci rauiembrance Que ce peuïst li angles iestre
D'un mot c'uns cevaliers me dist Que li boins vietlars me prisa ... «
Qui souvent grant confort me fist,
La dame se fit bientôt connaître. Le mariage eut lieu, et les deux
nouveaux époux vécurent encore vingt ans en Terre Sainte, sans
retourner en Thiérache. Devenu veuf, le chevalier «se rendit» à
l'Hôpital de Saint-Jean. — Conclusion :
•î'Slli. Prions pour ces .11. vrais amans
Qui d'Amours tinrent les commans.
XXIV. Don varlet ki ama le femme au bounjois (R). — < Ki pourcace
a autrui grevance, il s'empire.» Conte à l'appui de cette maxime,
bref et sans intérêt.
XXV. De le Paske (R). — Sur la fête de la Résurrection.
*XXVI. Li castois dou joiiene (jentilliomme (ABR). — Banalités
pédagogiques sur le sujet indiqué par le titre.
438 JEAN DE COiNDE, MENESTREL ET POETE FRANÇAIS.
*XXVII. De boin non (R). — Bonne renommée vaut mieux que
ceinture dorée.
XXVIII. De le pelote ( A B R). — « Pluiseurs guises sont d'amours »:
on aime pour le plaisir, pour le profit (invectives contre les coureurs
de dot), «par droite honnesté». Les deux premières manières ne
méritent pas le nom d'amour véritable; elles sont pourtant fort
répandues, et « la tierce », qui est la vraie, « va en decours ». Tableau
de l'amour véritable , où la réciprocité des cœurs qui s'aiment rappelle
le jeu de la pelote, c'est-à-dire de la balle au mur.
XXIX. De le mortel vie (R). — Sermon sur la vanité des choses
d'ici-bas.
XXX. De le nonnete (R). — (ionte grivois où il est encore ques-
tion (cf. n° XIV) des braies d'un clerc surpris en bonne fortune, (lette
fois c'est son amie, fabbesse (fun couvent de nonnes fort légères,
qui emploie ce vêtement pour un usage incongru : elle s'en coiffe
par mégarde et, elle qui fait la sévère, révèle ainsi sa propre faiblesse
à ses nonnes qu'elle prétendait morigéner. Moralité:
On se doit moult bien aviser
S'il ;i sour lui que deviser
Ains que sour autrui on mesdie.
Cette histoire a été résumée par l'auteur de Renard le Contrefait,
contemporain de Jean de Condé, d'après une source qui se rappro-
( hait, davantage (lue le présent fabliau, du texte utilisé par Boccace,
et, à travers Boccace, dans le Psautier de La Fontaine ''^
*XXX1. Don mariage de Hardement et de Lartjece (ABR). — Seùrté
et Avis marient à Largece leur fils Hardement; Prouesce naquit de
cette union.
'XXXII. Don boin conte fVillanme [R). — Eloge funèbre de Guil-
laume I" le Bon, comte de Hainaut et de Hollande (t 7 juin iSSy),
« li pères des ménestrels » (v. 54) et patron de fauteur (v. i65)'^'.
'' \oh (>. ï{aynaud, Une nouvelle venioii rtu '' Compan-r ie mort <la coule île Henau
fabliau de «Lu Nonnellet, dans \lèlanijes de (BihI. nal., fr. i •ir)76, fol. 361 v°), en l'honneur
plnloloqie romane 'Pans, igi.^), |>- '68. (le Guillaume II (t i34."))-
SES ÉCRITS. 439
'XXXIII. De l'amant hardi et de l'amant cremetens (R). — « Pensant a
.1. nouviel kant faire», Jean de Condé rencontre par un beau temps,
dans un verger, deux dames «de grant afaire». Elles le prenneni
comme arbitre d'un débat qu'elles ont eu, car elles le tiennent pour
« fondé en amoureus entendement», sur la question de savoir lequel
vaut mieux : l'amoureux qui se déclare hardiment et vite ou celui qui
est timide et hésitant dans l'expression de ses aveux.
loli- « Jehan, a cou que vous oés D'amourssavésmoult des usages...
Le droit bien monstrer nous poés : Et nous en faites andeiis sages. »
L'arbitre se prononce, naturellement, pour l'amant «au cuer
acouardi n.
*XXX1V . Dou lévrier (Pi). — Certain chevalier de la Woëvre eut
un IHs unique accompli (car il savait le latin, « quinler, doubler et
descanter », et il avait appris des lais, des contes, « les fais et les com-
« mans d'amours », etc.). Ce fils hérita de ses parents, dès sa vingtième
année, une belle terre et assez d'avoir. Pendant deux ans il ne distingua
aucune des pucelles et des dames qui cherchaient à lui plaire. Enfin
l'Amour le perça d'un trait, et il se déclara ingénument. Mais il avait
affaire à une coquette qui lui tint la dragée haute :
Sî 6. » Sire escuyers, de haut Hn'airi' , MouUbien siermonner seuïssiés.. .
Courlois iestes et biaus paHiers. Ensement que cil questeur font
Vous serés moût boins amparhers Qui font les simples gens plourer,
Pour parolie monstrer en court. Et em plourant lor sains orer,
Vô mot sont ataignant et court, Tant qu'il ont l'argent fors atrait... «
Et se vous .1. fieltre euïssiés,
Elle lui impose de courir pendant sept ans guerres et tournois à
l'étranger, pour la mériter.
L'écuyer accomplit consciencieusement l'épreuve imposée et se
ruina à fond en l'accomplissant. — Il réclame enfin sa récompense.
Elle l'envoie promener. Il est réduit à la misère.
ySo. (irant damaigc est du cuer Bien est par femme decheiis.
[honneste [vendre. . .
Qui est em povrelé cheiis. Tout son harnas li couvient
ViO .11: W l)K CONDi;, MKNKSTRKI. ET l'OÈTK FMWÇAIS.
H vend tout, à l'exception d'un jeune lévrier; et, au comble de la
douleur, il perd la tèle et \a mener dans les bois, avec son chien nui
le nourrit de sa chasse, la vie des bêtes sauvages.
(iependant la cruelle s'éprit à son tour d'un valet au-dessous de sa
condition : joueur, ivrogne et grossier, (|ui la battit et «lissipa sa For-
tune. Entretenue alors j)ar un « ])rêtre riche s elle lui bientôt forcée
de s'en aller du |)ays.
D'autre part, guéri de sa fureur niélaiicolic|ue par une fée, récuser
lidèle et contrit se rend chez une cousine qui le rééquipe et l'adoj^te;
et il trouve à épouser une héritière. Il reçoit la chevalerie et reprend
le cours de ses exploits. Sa reconnaissance pour son chien.
*X\\V . Don Ma(jinji(al [W). — Histoire du roi si orgueilleux qu'il
lit supprimer du Maijiufi'al le verset : « Deposuit potentes de sede >' et
qui, niiraculeusement transformé en mendiant, apprend combien la
vie est dure. Les gens lui conseillent de (ravailler, quand il demande
l'aumône.
1 6 1 . Ijauinosneeiipluistuirstiusrouva; (Kii grant iert et gros, lionnis-
Oncques en .111. jours ne h'ouva [soient;
()ui li vousist donner du sien. Que riens ii donront, ce disoient.
Puisqu'il ne voloit faire bien, S'alast gaaignier et ouvrer!
Il est j)ardonné après une pénitence de sept ans, on considération
des mérites qu'il avait eus jadis, orgueil à part.
XWVl. Des estas du monde (R). — Admonestation aux clercs, aux
chevaliers, aux princes, aux juges, aux écuyers et aux sergents, aux
riches bourgeois, aux ouvriers; aux hommes mariés, aux dames et
aux pucelles, aux ménestrels.
I M 1 . Meneslrés, qui de lioinnes gens .\ mesdire, car mal avient.
Vis par les dons rices et gens De ciaus de cui li biens te vient. ..
Que on par franicise le donne, Soies de cuer nés et polis,
Droisestquetescuerss'abandonne Courtois, envoisiés et jolis,
\ biel siervir de ton niestier . . . t^our les boinnes gens solacier;
Soies conteres u jougleres , Et ne te laisses pas iacier
L mene.str^s d'autre manière D'ordure ne de ribaudio. . .
N'aies pas la langlie manière
SKS KCHI'IS.
'l'il
*\\XVII. La messe (les otsnnis et h plais des chaïKnirsses cl des (irises
iniiiatns (A B). — L'auteur esi liaiisporté on songe dans une forêt loule
bruissante d'oiseaux. Un papegai, messager de la déesse d'Amour,
annonce aux atitres la venue de sa maîtresse. Vénus tient, en eflét,
sa coui;. Elle ordonne au rossignol de « chanter messe » avec les
meilleurs vocalistes de l'assistance; mais il est interdit au coucou,
oiseau « de put aire », « ki a maint home a dit grant lait» (v. i45), de
s'en mêler. Après l'offrande, le sermon; c'est le papegai qui en esl
chargé; il ])rêche sur les quatre vertus des amants : obéissance,
patience, loyauté, espérance. Toutes les ])arties de la messe sont
scrupuleusement célébrées dans l'ordre ordinaire, jusqu'à Vite missa
est. — Suit un festin, où il esl fait une grande consommation de
« regars » , » dons ris » , etc'"'.
Vénus entend ensuite ceux (pii ont allaire devant elle. — D'abord
une chaiioinesse à surplis blanc, en son nom et au nom de ses com-
pagnes, se |)lainf des «grises nonains» qui ont «entrepris» sur elles,
en leni' eidevant leurs amis :
682. «Ont nos amis a eles Irais,
(Ihiaus (|iii nous soloient sc-rvii
Pour joie d'amours desservir
S'en faisoirtit j^rans esbanois,
Tables roondes et tournois.
Or onl fait lusage cangier,
Ken fies trouvent ])0u dangier
[reni
Piuisoin (|ui d'auiuur les requie-
k'a poil de paine les conquièrent. ..
L'-oratrice des Bernardines replicpie :
726. " Nous traions a garant Nature
k'aussi bien poons amer d'oies.
D'aussi Jones et d'aussi bêles
Avons, et d'aussi saverouses.
Et do ( uer aussi amcrouses,
Come des ont, n'endouteis j)i)inl..
F.lcs dient ke nous lor tolons
Lor amis
S'il les laissent , a nous qu'en monte
(jrans frais a en elles poursi\re ;
Et voit on souvent en apert
Ke ki plus V met, plus y pcrt. >.
Les chanoinesses sont indignées
79/1. < Comment sont eles si hardies
K'eles connoissent k'eles aiment
[meni
Kl qu'autcil droit en amours rlai-
De nous, (|ui avons soustenu
'rousjours l'usage et maintenu!'...
Dames nonnains des grises cotes,
De cuer outrageuses et soles,
Cl', le n° VIII de l'œuvre de Walriquet.
IIIST. l.riTKII. XXXV.
5(i
442 JEAN DE CON'DÉ, MÉNESTREL ET POETE FKWCMS.
Grant outrage aveis encharchié. . .
[iiioisiies
Prendeis vos convers et vos
Et lor clonncis larges auinoisiies,
Et lor parleis de vo pitance !
[tance
De chiaus vous taisons bien qui-
Si laissiez rois les gentieus homes
\ nous, qui genlieu> femes soin-
[mes. . .
Chc ierl bien (Iras scionc la penne,
De teis n'a on • me a Andenne
Ne a Moustiers ne a Niviele,
Et saohiés qu'on n'en seit nouviele
Ne a Maubuegf ne a Mons". . .
« Amours assemble liant el bas», observe l'adverse partie
Car aussi granl amour encarche
yoo. Uns bons pour une povre garche
Qui n'a viesteinent ne ricboise
K'il feroit pour une duchoisc
Li bien d'amours et de nature,
Ce tiesmoigne bien oscriplurc,
Par seigneurie ne \ont point . . .
Nous, grises cotes de Cistians,
N'affierent pas a vairs manliaus
Ne a vos riches paremens;
Ce n'est mie comparemens.
Mais don cui r, a coi li Ims tient,
[tient,
Qui les communs d'amuur main
A vous nous volons aalir . . .
11 nous samble que nous soions
Bien dignes d'a\oir bcnefisce
En amours, puisqu'en cest oITisce
N'est en nous defaute trouvée. . . .
Grand discours et sentence de Vénus, (|ni donne raison à Cîtean\ :
logy. Car Nature a amer semont
Toutes créatures del mont.
On voit un paisanl de vile
Avoir un aussi biele file
Kn povre cote dépannée
K'une roine couiomiéc
ki est parée a son endroit.
Par seignomie n'a nu> droit
As biens que Nalm e départ ,
Ne as miens aussi d'antre part.
Cette messe des oiseaux, ce plaid des cbanoinesies et des nonnains
par devant Vénus sont d'agréables « risées », mais très irrévérencieuses.
Jean de Condé, comme effrayé de sa hardiesse, se tait fort, pourtant,
d'en tirer des «exemples» poui- "bien aprendre» (à partir du
V. iSiK)). Disons seulement que le jugement précité de Vénus doit
faire penser, selon lui, à la parole de Jésus dans l'évangile de saint Luc :
« Les premiers seront les derniers ». L'opuscide esl donc à deux fins :
I 495. Pour che a Jehans de Gondk Et as fous, pour iaus solachier;
Son dit en teil guise fondé Car a le fois convient cachier
Qu'as sages et as fous puist plaire : Le gra.sse de tous a avoir. . .
As sages , pourprendre exem pla ire ,
Cl', le n" XXXI de l'œuvre de Walri(|uet.
SES ECRITS. 'ifiô
H \a ius(|u'à aposlroplier en finissant chaiioinesses el nonnains de
se marier pliitôl que de servir Vénus, dont le service est «contraire
;"i l'ànio», el à leur leconiraander gravement l'amour de Dieu, le seul
qui leur convienne.
'XXXVIII. D' Enlvndemeul [kV>). — Autre songe. L'auteur ren-
contre Entendement, qu'il connaît dc'jà pour avoir été naguère en sa
compagnie au « (^hastel d'Amors ». ils se promènent ensemble et qua-
torze visions passent sous leurs yeux, doni Entendement explique la
« seneliance » et tire la moralité'''.
1. Un coursier endiallé (|ui ne peu! être arrêté (pie par un in-
lirme. C'est pour cela f[ue l'on dit ([ue « (lent mars vaut d'eiir demie n.
— 2. Une montagne escarpc'-e (pii fourmille de gens, les grands
seigneurs au sommet; les plus haut placés .sont ceux qui choient le
]ilus aisément dans les précipices cpii la bordent. — i^. Des chants de
joie, et, toul à coup, des sanglots. IVl est le bonheur terrestre. —
4. Des bourgeois chas.sent ignominieusement en exil le seigneur cpi'il
se sont donné l'année précédente; ils en changent ainsi tous les ans.
Symbole des «richesses du monde». — 5. Un bergei- qui tond su-
brepticement ses brebis. C'est l'Eglise. — (5. Toutes sortes de bêtes,
noires, blanches, bises; couvertes de peaux de brebis. Ce sont «gens
de religion», les hypocrites. — y. Une rivière navigable. Emblème
de la sagesse. — 8. Deux camps dans un j)ré, l'un misérable et aride,
l'autre honorable el plaisant. L'avarice et son contraire. — 9. Dans
une forêt glacée, deux hommes liés à des arbres : l'un, désespéré, au
bord d'une fosse; l'atitre, en pi'ières, et des oiseaux perchés sur son
arbre. Le mauvais et le pau\re; la fosse est la gueule de l'enfer; quant
aux oiseaux, ils représentent les anges du paradis — 10. Une lice,
des matins « glatissans ». L'envie et les envieux. — 11. Cour du roi
Nobles, dont Renard est le « maistre d'ostel». C'est la cour de Rome.
— 1 2. Une bête hideuse étrangle un damoiseau au milieu de ses ser-
viteurs, sans qu'ils le défendent. C'est la Mort. — i3. Pillage des
biens d'un grand seigneur qui meurt subitement. Instabilité des
choses humaines. — i^. Une dame conduit deux hommes dont les
habits n'ont plus de couleur tant ils s(mt sales, pour les rapproprier,
el les lave à la fontaine. La dame, c'est « Repentance ».
" Cl. le 11" W III (le l'œiivio de Waliiquel.
56.
/i'i/4 JEAN l)K GO:\DK, VIÉNKSTIIKL El POETE FKWÇVIS.
XXXIX. De (lentillescc (Ali)'*'. — Devoirs des gentilshommes.
GentiHeche ne senefic
Fors que bien ouvrer et bien faire.
Tous les hommes sont égaux; origine de la noblesse.
"XL. Des haus homes ou Des .Illf. cornes d'orgueil (Alî). — Hauts
hommes, prenez garde à l'orgueil hI à ses quatre « cornes m :
Cuidier valoir, cuidier savoir,
Cuidier pnoir, cuidier avoir.
XLI. Del'ome(jui avoil .111. anus ( AB). — Conte emprunté, d'après
l'auteur, à « la vie d'un saint » [Barlaam et Josaphat). Un homme avait
trois amis, dont il aimait l'un davantage, le second autant, et le troi-
sième moins que lui-même. En un grave péril, il s'adressa succes-
sivement à tous trois et ne fut sauvé que par le dernier. Moralisation
sur ce thème.
XLII. Da vrai sens ou Don vrai saçjc ( A B). — « Quant sages a iolour
« s'assente, il en est assez plus repris c'uns fols. . . »
XLIII. De la candeillc A B 1. — " l'ovre chose est d'iimanité. » Com-
paraison de la vie et d'nne chandelle : la cire c'est le coi-ps, et l'âme
est la mèche.
XLIV. Sur /'Ave Maria (A B). — Paraphrase de VAve Maria en hiiil
douzains sur deux rimes -'.
\LV. Des deus loiuiis coinpaïqnnns ( AB). — Histoire de Damon et
de Phintias (Cicéron, Deofficiis, III, lo).
\LVI. De cointise[A B). — < Assez de gens blasment cointise » , c esl-
à-dire l'élégance et la tenue; ce])eiidant, " cointise vient d'onesté».
XLVII. Vier rétrograde d'amours (AB). — Quatre strophes de six vers
sur trois rimes; dans chaque strophe, les trois derniers vers repro-
duisent les trois premiers à lebours, et dans l'ordre inverse.
'' Pièce attribuée dubitativeint^nt a Baudouin de Condé et analysée ;i ce lilro <lans V lli>hiiir
liltéiaiiv, t. XXIII, p. •!7T. — ''CI'. Ion" \XI ilproruvrcde Walriquel.
SES ECU lis. 445
XLVIII. I>„ Joiinnis ( VB). — Paraplinise (le Proverbes, VI, 6-8.
XLIX. De Fortune (Ali). — Instabilité df la fortune; conduite a
l<niir, en conséquence, dans toutes les conditions de la vie.
*L. De Fraitcliise ( A B). — Six strophes de douze vers sur deux linies
entrelacées au sujet de la disparition de la Franchise, c est-à-dire
de la noblesse d'àine.
'LI. Des inaliommès ans ijrans seUjneiirs (AB). — Même sujet (rue la
|)ièce n" VI de \Vatri(jnel. (Jliaque grand sei<^nenr a un « niahoniniel »
(lavori) où il " met dou tout se créance», et cpii lui lait du tori en
bien des manières.
*MI. Des charneis anus (fin st lieenf (AB). — Fâcbeux effets de la
désunion « entre cliiaus qui sont d'un lignage ». Les gens de cour ont
grand tort qui rapportent à leur seigneur ce ([ui peut les exciter
contre leurs proches.
LUI. Li lais de l'ourse ( A B). — L'amour ennoblit et Iranstorme
le vilain en gentilhomme; tel, l'ourson que sa mère a léché.
LIV. Li con/ors d'amours (AH). — SonnVaiices doni l'anjour est
cause et comment v remédier.
LV. De Viporresie des .laeohins (AB). — Dialiibe contre les Domi-
nicains. C'est un membre fie cet Ordre qui a t;mpoisonné l'enuiercur
Henri VII, son pénitent, dans l'ostie : un si bon prince! Ils sont
avides, ivrognes, hypocrites, gourmands, luxurieux, etc. Il y a pour-
tant des exceptions.
LVI. Des vilains et des courtois ( \B). — Vilain est cpii fait vilenie,
quel que soit son rang. « Tout sont gentil cil qui bien font. »
LVII. Du eletc (fui Ju repus deriere l'escrin (A B). — Dans ce fabliau,
qu'il appelle une « truffe de vérité », el dont la scène est en Hainaut,
l'auteur raconte l'historiette bien connue de la dame qui cache un de
ses amants quand l'autre arrive et cet autre lui-même au retour du
mari. Le mari esl représenté comme '< wihos solTrans», c'est-à-dire
cocu et patient.
446
JEAN DE CONDÉ, MENESTREL ET POETE FRANÇAIS.
XVllI. Pourquoi on doit Jemes honorer (AB). — Contre ceux qui
médisent des femmes. On doit les honorer à cause de la Vierge Marie,
et chacun à cause de sa mère. Mais la médisance
S'une femme est jonc et jolie
Qui mete son cors a folie
Et soit de mal faire escriée,
De li fera plus grant criée
Que de .XX. bonnes. . ,
Et pourtant elles seraient presque excusables de faillir, en certains
cas
Quant il est une jouvencele
Gracieuse, plaisans et bêle,
Il seront il .xx. ou il trente;
Chascuns aura a li entente
Et si vorra s'atnour aquere
Et ne cessera de tour querre
Comment il s'en puist solacier. . .
Chascuns y querl a bras tendus
Et a pour li ses las tendus.
Chascuns dist qu'il muert et dévie
l'it que pour li perdra la vie
S'il n'a de secours briement . . .
Kn soupirs, en larmes, en cris.
En messages et en escris ,
Kn maint fort penser li convoient ;
"V'i'st mer\ eille >'il le desvuicnt.
Et li auquant par tricherie,
Par fausseté, par sorcherie,
[mctent,
Ou par lais tours dont s'entre-
[tent
Si font tant qu'au desous le me-
Et (le son cors le Heshouneurent.
N'est pas merveille se deveurent
.XX. leu ou .\xx. une brebis. . .
S'a la femme le cuer moult fort
Qui puet eschaper par effort
Fa qui tous ces perilz trespasse. . .
Je di par devant toutes gens
[gens
Que cesl trésors moult biaus et
De bêle et bone et sage dame . . .
LIX. Dm papeilloii (A H). — Nous avons vu, en notre temps, périr
maints princes « de mort moult sauvage ». Et nunc enidimim. Ceux qui
ne tienneni pas compte de ces avertissements du Ciel sont comme les
papillons qui se brûlent à la chandelle.
*LX. Du sirnje (AB). — Contre les extravagances de la mode, si
changeante de nos jours que qui s'absente de son pays pendant deux
mois la trouve toul autre au retour.
Les Jones gens qui ore vienent
Desguiséement se maintienent .
De dras fait on diverses tailles,
Deropures et entretailles ;
Et jadis qui tels dras vestoient
Tout pour hiraut tenu estoient ;
Or les vestent gros et menu . . .
SES ÉCRITS. 447
Oh! ces chaperons à large « coquille tournée au travers», revenant
«droit sur l'ueil» pour retomber sur les épaules et par devant sur la
poitrine, qui forcent le porteur à « regarder en biscorgnet» !
Or sont venues en avant Par grans bendes et par quar-
Courtes manches a bec devant, [tiers. . .
Trop estroites parmi tes bras. Li autre .se çaignenl si bas
Kt si découpe on les bons dras Que la couroie est sus les rains. . .
Les singes font des grimaces et imitent ce (ju'ils voient faire; ainsi
des hommes à la mode, nombreux dans toutes les conditions. Voici
que les vilains eux-mêmes ont des « manches boutonnées » :
Si ni a vilain ne bergier De soie, et autres contenances
Qui ne veulle sans atargier Fere , com il voit genz d onnour'".
Avoir boulonnées les miinces
LXI. Des mauvais usages du siècle (AB). — Banalités sur la déca-
dence du siècle, dont l'auteur a été témoin durant sa vie.
*LX11. De hntejoie (A B). — Un vaillant homme, un prud'homme,
est dit à bon droit « Portejoie », car lexemple de ses exploits rayonne ,
réchauffe et réjouit tout autour de lui. Cf. le n" 11 de Watriquel.
LXIII. Dou los dou monde (AB). — «Ne doit prudom avoir hance
« en los mondain. "
LXIV. Dou villain despensier[\B). — Lo « despensier » qui est trop
économe fait honte à son maître; qu'on le pende. Pièce en vers équi-
voques, dont presque tous les vers se terminent par un dérivé de
pendre ou de penser.
*LXV. De biauié et de grasce (AB). — La seconde de ces qualités
suffit; le concours des deux est irrésistible. Bonté et sagesse les
doivent doubler.
*LXV1. Des Jacobins et des Fremenears (AB). — Les Jacobins et
les Frères Mineurs vont prêchant que donner aux ménestrels, c'est
'"' Comparer des lérnoignages analogues Sur le costume des éléijanis au v/i' siècle, dans les
Mélanges offerts à M. Emile Picot. I. I" (Paris, igiS). p. IJ9.
V'i8 .lEViN DE (X).M)K, MENESTREL El POE'l'E EHANÇAIS.
sacrifier au diable. Cependant, David «harpa», et il a positivement
conseillé d'en faire autant i^Ps. XXXIll, 2-3); la Sainte Chandelle
d'Arros lut remise par la Vierge à deux ménestrels; les fous qu'on
mène à Saint-Acaire, près d'Haspres'' ., nejx'iivent souffrir les airs de
vielle : le flia])le qu'ils ont au corps n'aime ])as la musique.
Joie (honnête) con\ient en saison, et c'est même un devoir pour
les princes :
Or ronviunl il i\ur it'sliaudic l'Jt de tel soivire deservent
Soit joie pai" menesliaiidie. [\ent I>i incneslrcl c'oii l)i(>n leur (hca'.
Do tel iiic^tier les M'igneur.s ser-
L'auteur apostrophe ensuite Jacobins et Cordeliers; il connaît fan-
cienne et la nouvelle loi, et le leur montrera en leur faisant honte des
anciens exem])les, qu'ils s'abstiennent de suivre, aussi bien que les
préceptes des saints Dominique et François. Quoi! s'attaquer aux
pauvres ménestrels, qui gagnent les « vieux dras " des seigneurs en les
amusant et « se chavissent de povreté " (vivent de privations). Jean est
sincèrement indigné :
D'iroiir m'en avez eM-liauffé! Va les joueurs d'arbalestriaus;
lia parole dont vous liaitiez Ne devez pas meller entr'iaus
Pu dite pour les enchanteurs [ ment . . .
Et pour les fans eniregeteurs Cens <pii se mettent d'ynstru-
*LXV11. De Force contre Nature (B). — " Forte chose en a loi
" aprendre. » Les jongleurs dressent chevaux, ours «t chiens; c'est
moins facile de dresser des hommes. Pensées sur l'éducation. " .\a-
" turc passe nourreture», et, contre mauvaise nature, nul remède
(|ue la force.
LXVlil. Du selcjneurde Mureyni (A B). — Ecrit peu de temps après
l'exécution d'Enguerran de Marigni. L'auteur s'instruit au spectacle
des choses de son temps; faventure de Marigni a fait voir avec éclat
les inconvénients de forgueil. Il n'est pas au courant des circonstances
de févénement, et f avoue (v. i6.'>); on dit bien des choses, et tout
n'est pas vrai. Mais il énonce du moins, contre le favori disgracié,
' Ait. de Valcnciennes, c " île lioHchaiii (Nord).
si'S KCRirs. 'l'a)
comme éclio de ses coinpatiioles, élrangeis an io\auine de l''i-aiice,
un griei certain :
1 5(), Il fU'sroboit lus niairhcans Ne par ])ioiiri- ne par picdier,
Qui boni' monnoie portoii-nl Que leur inonnoic m- piTcUsseiit,
Si tost qu'en ^Vance entré esl oient. Ains convenoil qu'il la vendissent
Se leur monnoie ne chantassent A nieschief; e'esloit «rans desrois.
Ou premier ehange ou il passassent, Ce avoit coniinandé li rojs
Nus ne les eu pooit aidier. Par le conseil du Iraytour.
Eriguerran de Marigni, dit-on, voulait laire pape l'archevêque de
Sens, son Irère, et devenir, lui-même, empereur. C'est l'envie, pour-
tant, qui a surtout déterminé sa chute.
*LX1X. Des loseiKjers et des rilains (B). — .lean reproche aux grands
seigneurs d'accorder leur conhance à des gens indignes, qui les
llattent, et de s'entourer d'individus de bas étage:
Car li vilains, d'ordure esirais.
Si tost (pi'il parvient a ricluscc.
Il bel bonneur et gentillescc
*LXX. Du prince (jiii croit boqrdeurs (B). — (ion Ire les mauvais
conseillers.
*LXX1. De la torche (li). — Môme sujet. Eloge dn bon vieux
temps : Alexandre, César, Artur, Charlemagne avaient un entourage
honorable; ce n'était pas «la merdaille » d'aujourd'hui.
Le litre de la pièce est tiré de la conclusion :
Seignour prince , or ne vous anuil ,
Vous alez aussi com par nuit. . . Car qui son pooir en feroit
Portez ce Dit en lieu de forsse. Par nuit et par jour eler verroit.
LXXIl. Li sentiers battus (B). — Anecdote à l'appui du prin-
cipe qu'il ne faut « ramprosner » autrui (car on s'attire parfois des
ripostes). La scène est pendant un tournoi entre Péronne et Athies
de Vermandois. Chevaliers, dames et demoiselles font une «reine",
pour jouer au Uoy qui ne ment^^\ (îette « reine » pose à un chevalier,
^'' Cf. Vj.Wcevïfnet, l''ia<jc und AnlivorUspiclc ilertf, dans la Ziilsi lu Ifl ftir romaiiische t'Iiilo-
in derfranzôsischen Liieratur des l't. .Jahhun- Ingie, t. XXXIII (ujo^), p. 696.
IIISI'. HTTKR. X\X\. 07
3 1 * .-..."". .,«.o«.,.r.
450 JEAN DE CONDÉ, MENESTREL ET POETE FRANÇAIS.
un ancien soupirant, qu'elle avait autrefois refusé d'épouser, une
question indiscrète, et accueille sa réponse par une réflexion à la fois
impertinente et grossière. On sourit. Mais lorsque, conformément à
la règle du jeu, c'est au tour du chevalier de poser une question à la
« reine », il la paye de la même monnaie, plus brutalement encore; et
l'auditoire s'esclaffe.
'LXXIIl. De la fontaine (B). — Jean de Coudé recommande de
servir un vaillant homme; c'est là un grand bonheur, et toujours
profitable. Le prud'homme idéal est comparé successivement an
soleil, à l'étoile tramontane, à une fontaine inépuisable.
LXXIV. Du mantel saint Martin (B). — Eloge de la largesse;
exemple de saint Martin.
LXXV. Des lus et des bêchés (B). — « Propriétés » de ces deuv sortes
de poissons; comparaison des « lus» (brochets) aux rois, qui dévorent
le menu fretin, et des « bêchés » (saumons) aux agents des rois (« bail-
lieu et prevost et maieur»), qui dévorent, pour leur propre compte,
les proies ordinaires de leurs maîtres.
Il est impossible de classer les écrits de Jean de Gondé dans l'ordre
chronologique de la rédaction. Trois seulement sont à peu près datés,
nous l'avons vu. A peine peut-on remarquer en outre que le dit D^n
lévrier (n" XXXIV), exceptionnellement faible et maladroit, est sans
doute une œuvre de jeunesse, tandis que celui Des Jacobins et des
Fremrneurs (n° LXVI), où, comme dans quelques autres, l'auteur
parle avec complaisance de la renommée qu'il a acquise (v. 3ia),
doit être au moins de sa maturité.
11 y a dans son bagage plusieurs soi'tes de pièces :
1° Des romans d'aventure, assez brefs, mais qui sont tout à lait
de la même veine que ceux du xii* et du xiii" siècle : Dou lévrier
(n° XXXIV), le Lai dou blanc chevalier (n° I), le Dit dou chevalier a le
manche (n" XXllI). À quoi l'on peut joindre le conte, très sommai-
rement esquissé, Dou varlet hi ama le femme au bonrcjois (n'XXIV);
2° Des contes grivois, daps le genre des fabliaux : n"' XIV, XV,
XXX,LVII, LXXIl;
3° Des fantaisies allégoriques, dont la plus singulière, comme la
SES ECRITS. 451
plus jolie, est la Messe des nlsiaus [n" XXXVIl), à laquelle l'auteur a
soudé le débat plaisant et fort libre Des chanonesses et des grises
nonains. Le dit i\ Entendement [n° XXXVIll), avec l'interprétation de
(Quatorze visions, appartient aussi à cette catégorie;
i" Questions d'amour, professées ou débattues, comme YAcort
d'armes et d'amours ( n° X), teinté de mythologie antique; De le pelote
(n" XXVÏII), De l'amant hardi et de l'amant cremeteus (n" XXXIII); De
l'ourse (n° LUI); Conjors d'amours (n° LIV). Une des pièces de ce
genre (n° XLVIl) se présente comme un exercice d'acrobatie mé-
trique;
ô" Considérations morales, qui sont de vrais «sermons» laïques
(cf. Dou pliron, v. 3; et Des Jacobins et des Fremeneurs , v. 'iôy); Des
.III. sages (n^XIII), Dou frai n (n" XVIII), Pour (jaels .II. cozes on vit
an monde (n" XIX), De boin non >" XXVII), De le mortel vie (n° XXIX),
Dr gcntillesce (n" XXXIX), Des quatre cornes d'orgueil (n" XL), De For-
tune (n" XLIX), De Portejoie (n° LXll), Dou los dou monde (n" LXIIl), etc.
Ces dits moraux forment la majeure partie de l'iiuvre de Jean;
quelques-uns sont en forme de conte ( n"' IV, XIII, XXXV, XLI, XLV) ;
d'autres .«^ont des paraphrases de versets bibliques (n"' VI, XVI,
XLVIII) ou de paraboles évangéliques (n° VIII). — On y peut rat-
tacher les lamentations sur les mœurs du siècle, tels que les n°' XXV 1,
Ll, LX, LXIX, LXXl, etc.; et les essais pédagogiques (n"' XXVI.
LXVII);
6" Dits composés à propos d'événements contemporains (n" LV,
\XX11, LXVIII). La riposte personnelle aux attaques des Ordres
mendiants contre les ménestrels (n° LXVI) est de la même inspi-
ration;
7° Poèmes dévots : De le Pashe (n° XXV) et sur Y Ave Maria
(n"XLIV).
( le bagage a la plus grande analogie avec celui du père de Jean ,
Baudouin de Condé, lequel a composé aussi beaucoup de dits à pré-
tentions didactiques et moralisantes, sous des titres qui ont évidem-
ment inspiré ceux que Jean a adoptés [Dou Wardecors, dou Mantiel;
Dou Pellican, dou Dragon, de la Rose; d'Envie, d'Amour, de la Mort;
dou Baceler, dou Preudomme; etc. ). Tant pour la forme que pour le fond,
il ne serait pas aisé, sans les rubriques des manuscrits, de discerner
aujourd'hui les dits de Baudouin d'avec ceux de Jean : mêmes sujets,
57.
452 JEAN l)K CONDK, VIRNESTREL El' l>()E'rE FKWÇAIS.
incmes pensées, et même adresse aux jeux des rimes équivoques el
des strophes à vers «rétrogrades». Il y ^ hien des indices que Jean
savait par cœur ce que Baudouin avait écrit; et il a déclaré lui-même
que son ambition n'allait qu'à «glaner» aj)rès un père qui lui avail
appris son métier [Don levner, v. 5o et suiv.).
Or Baudouin avait été un homme sérieux, entretenant la plus
haute idée de la « mission » sociale des ménestrels qui sont « maistres
« de leur menesirandie » [Des liiraiis, v. 49)1 et un goût décidé pour la
prédication morale; particulièrement animé contre ceux de ses con-
frères, ou soi-disant tels, «envieux et inesdisans, qui bien ne dienl
« ne ne lont »; contre les bouffons de bas étage qui compromettaient la
profession; o\ contre les hérauts d'armes. De même, Jean considère
positivement son « service » comme un sacerdoce :
C'est sicrviclies hiuus et ruiiiloi*- Dv cuntci- aucun snrvcntois
De retraire aucuu si(i\eutoif> Dcvanl prince puissant et riclie;
Par devant preudhomnic a se labte..." Et je, (|ui serf de tel serviclie,
Di par devant grans et meneurs . . . ''^'
Biel sont pour recordei' en court
Li dit qui sont plesant et court. On ne demande autre sermon
C'est entremis l)iaus el courlois En plusours liex ou je parole .
(S)
Il savait d'ailleurs par expérience que tel n'était pas le meilleur
moyen de se (< • i'ifr la laveur des auditoires; mais le devoir avani
tout :
Et pour cou ne se nocI relraire .ii poui' iaus ne se retraira
Jehans de CiONDEi de Itien dire. De. bien dire. .
Si en sont plain d'anui el d'ire Se il ninuvès en onl ei)>ie
Pluiseur. Quel sont il? lii mauvais, Puur <;ou n'afierl pas qu'il se taise. . . '
Dont souvent ai 1 épris les fais. . .
Le devoir avant tout; et ce devoir était aussi à ses yeux un dioit,
le « droit fie son métier » :
Si coin Jehan de Co.ndé conte Et enuorte a fere les biens.
Qui, en pluseurs dis qu'il repreni, Ja soit ce c'on n'en face riens,
liCS malz du siècle nioull reprent I.i dr(ii> de son mestier t'aporle'-''.
'" Éd. Scheler, f. Il, ].. id.}. — '- Ihid.. t. III. p. -'.-sg. — "> Un,l. , I. III, p. af);. — '*) /M..
t. 11, p. a-'iS. - ^ Ihid.. I. m, p. aS-î.
SES KCKITS. 45;i
Toutefois, il n souvent exprimé les senliuients mélancoliques que
lui inspiraient rinditlérence de son public à ses « liiaus mos », à ses
« biaus dis », c'est-à-din; à la noblesse soutenue de sa pensée et de son
élocution, et la vanité de ses efforts :
Pour ce c'on fd de bien pelil Kt aussi tait ctiius en apert
Porc je moult souvent l'apetit ()ui It; bien a celui recorde
Dp bien dire, et de bien conter. . . " Qui a l'escouter ne s'acorde,
Si en sui plains d'anui et d'ire Ainz li desplest et li anoie.
IMus que je ne monstre souvent. Se saumons a pourchiaus doiinoie,
lÀ lioin qui souHle contre vent Moul seroient mal emploie... '-
A ensienl sa peine perl ;
Le pauvre lean avoue qu il ne sait plus « oii prendre matere qui
« puist estie a cliascun plaisans». Une sufïil point à ses auditeurs (|ii'il
« raccourcisse » ses " sermons « '^'; on lui réclatne des « risées » :
(iens sont qui ont plus kier risées S'en ai estel souvent semons
Fa mokeries desf^bisées De risées a rime mettre'" .
Oïr, que ne lacent sieimons ;
Il ne semble [)as que Baudouin de Condé se soit souvent résigné à
rire, pour mieux plaire, quoiqu'il en fût très capable [Des hlraiis].
Son lils a essayé |)lusieurs fois; mais, sauf une ou deux (notamment
dans l'épisode Des chanonesses et des (frises nonains)^ ses plaisanteries
sont un peu Iroides, contraintes et faites, en vérité, comme par
acquit de conscience. D'autre part elles ne sont jamais fort basses.
.lean, selon nous, n'a guère excellé qu'un jour, et ce n'est pas en
riant : c'est en souriant, dans les conversations familières du Chevalier
a le manche. — Kn somme, Baudouin et Jean ont été des ménestrels
d'une exceptionnelle tenue.
Leur émule Watriquet — disciple de l'un, condisciple de l'autre,
— qui se guindé d'ordinaire, ainsi qu'eux, à un niveau moral si
élevé que, seule, la fleur d'ennui s'y épanouit encore, n'observe pas,
nous l'avons vu, la même mesure lorsqu'il cesse de prêcher. Sa cui-
sine littéraire, comme le goût des hommes du moyen âge, fait alter-
ner les fadeurs sententieuses et les épices les plus violentes. C'est (ju'il
'" Éd. Scliel.i, t. III, p. i6i; d. p. 321. — ' Ibid.. l. III, p. lU- — '' Mil., t. Il, p. yll :
« Et je voel que cils dis soit conis; — S'erl mie\ oys. . . » — '*' Ihid. , t. Il, p. i ■?.-,.
454 JEAN DE CONDK, MÉNESTREL. — SES KCRITS.
avait personneHement plus de tempérament. Il est à peine croyable
que, après avoir relevé les traits de ressemblance extérieure entre
Jean de Condé et Watriquet, institué entre ces deux fils spirituels de
Baudouin une comparaison suivie, et posé la question de savoir
lequel a pu exercer quelque influence sur l'autre, on ait conclu
récemment que Jean de Condé, l'emportant sur son confrère et con-
temporain à tous les points de vue, notamment «en élan poétique»,
Watriquet est celui des deux qui , sans doute , fut redevable à l'autre ''l
Car, en fait, Jean de Condé et Watri(juet ont puisé aux mêmes
sources, et traité souvent, comme au concours, les mêmes sujets :
de là le parallélisme de leurs lieux communs et de leurs manières de
parler; mais Jean n'était qu un homme de talent et Watriquet, en
outre, avait, parfois, des lueurs : de là, entre eux, une différence.
Pour ne pas en avoii- le sentiment, ou apprécier cette différence à
contre-sens, il faut être tout à fait privé de ce tact littéraire in-
définissable, et si nécessaire, que les connaissances philologiques
ai;^uisent, sans en tenir lieu.
Fr. Novati a lait savoir, en 1906, qu'il s'occupait alors, depuis
plusieurs années, de rechercher les sources des écrits de Jean de
Condé '''; et il a donné, de ces recherches, en même temps qu'un
spécimen (à propos du Dit du koc , n° II), les conclusions générales.
Conclusions qui n'ont rien d'inattendu : Jean de Condé, dit le savant
critique, ne tire guère quoi que ce soit de son propre fonds; il n'in-
vente pas ses thèmes; il s'appuie toujours sur quelque autorité : ver.set
de l'Evangile, page de Bestiaire, fabliau ou pièce en vers latins
rythmiques. Son art est de délayer, sans craindre le rabâchage. En
3uoi il ne diffère pas de son père Baudouin, mais non plus de Jean
e Meun — dont, du reste, il a aussi subi l'influence — ni de tous
ses contemporains.
C. L.
'" J. Wiegand, op. cit., p. ga et suiv. • rica Lombarda» sur Fr. Novati, a bien voulu
'*' Stadi medievali . t. I", p. 490. — M. Pio nous informer que les papiers de son regretté
Rajna, auteur d'un volume cdmmémoratif ami ont été déposés récemment à la Bibliotera
publié en i()i8, à Milan, parla • Società .Sto- Braidense.
JEAN D'ANNEUX, CLERC SÉCULIER. — SA VIE. 455
JEA\ D'ANXEIJX,
CLERC SÉCULIER ET MORALISTE.
I. I^e P. Denifle et M. Châtelain ont inséré dans le Chaiiulariain
Universitads Parisiensis une lettre de Jean XXIl , du i " novembre 1 3 'j6 ,
pour maître Jean d'Anneux'"', docteur en théologie, curé ou recteur
de Sainl-Amand-en-Puelle, au diocèse de Tournai'^'. Le pape dispense
maître Jean de l'obligation de la résidence dans son bénéfice : i" pen-
dant le séjour qu'il a fait en cour de Rome, d'avril à la Toussaint
dernière; i" « uscpie ad triennium post Parisius sacram theologiam
« legendo ».
D'autre part, Casimir Oudin a eu connaissance d'un manuscril,
conservé en son temps sous le n" 2 dans la bibliothèque du CîoUège
des Cholets, à Paris, dont le titre était : Trailalus de obedientia exhi-
benda pastoribtis a laicis, coinpilatus anno Domini MCCCXXVI I a maqistro
Jounnc de Aniiosis, dorlure tlteuloijie recjente e( consocio Joannis de Poliaco^^'.
Ainsi Jean d'Anneux avait été, de notoriété pid)lique, un compagnon
de cet ardent défenseur des séculiers contre les Mendiants, Jean de
Pouilli, dont nos prédécesseurs n'ont plus trouvé de traces après
l321-l32i«').
John Maynsforth, /p/Zoïc de Merton Collège, Oxford, a inséré,
entre les années 1^20 et i43o, dans un recueil de pièces qu'il for-
mait pour la confusion des moines de toutes les robes, parmi des
opuscules de Guillaume de Saint-Amour, de Thomas de Wylton, de
''• En latin, (Ze i4/mosis. Anneux, canton de l'opuscule de Jean d'Anneux était transcrit
Marcoing (Nord). dans ce manuscrit à la suite d'un exemplaire
''' C/iorJatirium..., t.ll, p. a94.Cr. A. Fayen, de Pierre de Blois. Un catalogue antérieur.
Lettres de Jean XXII. t. II (1 309 ) , n° 1 860 (on publié par E. Châtelain [Note sur les manascrits
a imprimé ici «Jean d'Amiens» au lieu de dn Collège des Ckolets. Pétris, 1889. «Pernozze
«Jean d'Anneux»). • Jacob -Azéma») décrit ce même manuscril
*'' G. Oudin, Commentai tus de scriptoribus comme il suit (p. a5) : 'Epistolae 180 Pétri
ecclesiaslicis , t. III, col. 802. Cf. un catalogue «Blesensis, quaedam opuscula Senecae, et
de la bibliothèque du Collège des Cholets, «opuscula.»
fiibi. nat. , lat. i3o68, loi. aa'i : on y voit que '*' //is<oire /iHeraiVe, t.XXXIV, p. 357.
^ir)6 JEAN D'ANNELX, CLEKC SÉCLLJER ET MOHM.ISTE.
MicJjel de Césène, etc., un Irait»- (lon[ voici le litre : Brevis tracUttin
ad honorem Dei et Ecclesic annpilattis Avinione a inaqhlro .Inltaime de \n-
nusis, sacre llieologie doctorc , aiino Domini MCCCXWHI , sepliina die
di'ceinims, cujus anime iJiopicieUir Dens^^K
Knfin, on trouve dans un recueil d"oj)u.scules de |)iélé en français
dialecte du Hainaut), transcrit en i35if^) el venu à la Bibliodjiujue
de l'Arsenal avec les collections de M. de Paulni), nu traité intitulé:
Quidam tractatiis de reçjnnine primipnm <juem (ompilavil maipster .lo/ianiiex
de Annosis, doetor sacre llie(do(jie , < aralus Saiicti imandi in Pabiila, misstis
pro epistola domino comili Hanonie Giullelmo hone inemorie, nuorum ani-
mabus omnipotens Deiis parcai ^'. Pas de date. Ce traité est antérieur à
la mort d'un comte (luillannte de Hainaut. M. Ileni) Martin a cru
qu'il s'agissait de (iuillaume 11 (ti345)'''; mais il esl certain (juil
s'agit de Guillaume I", mort en juin i SSy'' ; car, dès le ic) novembre
1829, Jean d'Anneux n'existait plus.
(le jour-là, .lean XXII conféra à (ioppo Jannut ri de Florence, cha-
pelain du cardinal Xnnihaldo de Saint-Laurent in Lucina^'^\ l'église de
.Saint-Amand au diocèse de Tournai, vacante par le décès in eitria
de Jean d'Anneux, professeur de théologie, aussi chapelain dudil
cardinal'''.
II. Jean d'Anneux, dont la biographie est si obscure, en raison de
ce qu'il n'appartint à aucune corporation soucieuse de la réputation
littéraire de ses mend)res et de ce qu'il ne fut d'ailleurs revêtu d'au-
'' Ce inanuscrif, dont (]. Ouiliu a eu con- " Honry Martin, l.u dioli ibe (fv Jean d' \ii-
naissance, est aujouid'Imi consorvé à la Bi- iicii.r , dans Ips Mélniujcs Emile l'iiot. I. Il
l)liolhi''<|iif Hodiélpnne, lîodi. r)2. Le Irailé de Paiis, i((i.J), n. a3n.
Jean d'Anneux occupe les folios 1 ycj-aoa , que ^' C'est ce ccnile (îuillaunu-, dit le Bon,
nous avons fait phologiaphier. I.a phntogra- f,'endre de Charles de Valois, <|ui fut le jiatron
|)hie est maintenant conservée à la Bibliothè(|u<- de Jean de Condé (ci-dessus, p. 4^i8, n° xxxii
des Anliives nationales, sous la cote M m 1(^9. i|ui parait dans le poème du « Vliiacle de (^am-
(.etle date est assurée nolannnciit par une hrou »( dont nous parlerons ' ; et pour qui un
annotation en vers latins (|ui suit , dans le ms. moine de Saint-Landelin, à (irespin, prés de
(le l'Arsenal, le Traclatiis de Jean d'Anneux. Valenciennes, aurait compilé le roman de Per-
lée premier de ces vers, relatif à Jean, qui <r/or«t (voir 7?oi;iaHia , I. \XIII , 1894, p- 84)
contient peut-être un calembour sur son nom ' Cet Annibnldo avait été, avant son éleva-
'aimis , .Innosis), est clair, [..es deux suivants. tion au cardinalat, pourvu d'une prébende danr.
qui sont obscurs, donnent le nom du copiste, l'église d'Arras (/{ef/eîtum l'Iementis papae l'',
Georges de Thuin, comme Ilenrv Martin l'a ad annnm i3lS, n" 9814); d'' là, sans doute,
montré. ses relations avec les originaires du nord de la
Bibl. de l'Arsenal, n' -iO.K), loi. -.ni- France.
■'•'*3. •) A. Fayen, op. cit., t. Il, n' afiyô.
SKS KClilTS. '157
ctiiu; yriindc cliarj'c, lui un puhlicislc aclil : il ;i ùcril ;ai moins siv
ouvrages, dont nous ne connaissons maintenant que deux.
De oitKDiEMiA h.xHiBEMjA PAsTOHiliLs A LAicis. — (>. Oudin indi(iue
en ces termes rincijTil de ce traité dans le manuscrit perdu du Collège
(les (iliolets : « Oheditc prepositis vestris et subjacete cis ; ipsi enim vigilant ,
" ratwnem redditiin pro animnhus vestris. Ista verba scripta sunt in Epi-
ci slola ad Hebreos, cap. i .S , ubi precij)itur siibditi ad prelatum obc-
« dientia. ><
(,o^TliA FH4Ti{h:s. — Uans le manuscrit d'Oxlord, ce traité commence
ainsi : » Filios eimtnvi et exaltavi ; ipsi anlem spernerunt mv. Ys. , I, -i.
«Quatuor modi sunt reddendi. »
L'auteur constate et condamne d'abord l'ingratitude de certains
>i frères " à l'égard du Saint-Siège; mais il ne tarde pas à les nommer.
Leur règle a été confirmée par laveur spéciale de Rome, cpioiqu'elle
cûl été compilée « a viro illitcrato, simplici et ydiota », bon et saint
d'ailleurs, saint François. Mais ils refusent de reconnaître l'interpré-
tation qu'en donne l'autoi-ité aspostolique quand elle n'est pas con-
forme à leurs désirs et cherchent alors des appuis du dehors contre
cette autorité. Ileicsie, et pis (pie cela! — - 11 s'agit ici de la contro-
verse consécutive aux décrétales de Jean XXII Cum iiiter nonnuUos et
Ad couditorem , au sujet de la doctrine des l'Vanciscains sur la Pau-
vreté'*'. Jean d'Xnneux se range résolument parmi les adversaires les
plus intransigeants des Mineurs. Il s'était déjà montré tel, nous l'ap-
prenons de lui, dans un autre ouvrage : «Je crois, saul meilleur avis,
« que mieux vaut être riche (jue pauvre au service du Christ, comme
"je l'ai déterminé naguère à l^aris dans mes (Juestiones de (iwddx't^'K »
11 s'étonne des prétentions de saint l'Vançois, qui, « licet insipiens »,
crut avoir découvei"t une manière de vivre et un type de perfection
supérieurs à ceux dont tant d'illustres docteurs s'étaient auparavant
contentés. 11 ne craint pas de dire que la règle franciscaine doit être
révoquée, abolie : «Régula Francisci revocanda », attendu (pie l'on
''' Histoire litternire , I. XXXIV, \). 3/17, i^'S « pau|ieruiii sustentacionem quaiii esse panjicr
et sniv. « propler Christuin et bene uti pauperluto,
'"' Fol. 18a v° : «CrPfld, sal\o im-liori judi- « sicul alias detemiinavi Parisius in Quoslio-
«cio, qaod raclius est esse dives propter Chris- " nibus nostris de nuolibet. »
« liim et l)ene uti diviciis ad I)ci hnnorem et
IlISr. I.ITTKK. — NWV. 5 S
458 JE\N D'ANNKllX, Cr.ERC SKCULIKR ET MORALISTE
s'en targue jusqu'à la présomption et jusqu'à la révolte, sans la prali-
quer vraiment (car il y a, dans l'Ordre des Mineurs, encore plus
d'hypocrites que de dupes]. Et ce ne sera pas la première fois que le
Saint-Siège sera revenu sur des décisions antérieures. La décrétale
Exiit de Nicolas III a exalté jadis le mouvement des « Spirituels », en
l'appuyant par l'alllrmation que le Christ et les apôtres avaient prati-
qué le renoncement ahsolu à la propriété. Mais d'autres décrétales
sont intervenues depuis en sens contraire. Elles ont délié les langues;
Jean d'Anneux est un de ceux qui en ont profité naguère, à Paris,
pour libérer leur conscience*"'. Il s'étend ensuite sur les griefs bien
connus des séculiers contre les Mendiants, en matière de juridiction
paroissiale: sépultures''^*, confessions''*', etc. En ce qui louche les
confessions, il renvoie, du reste, à un traité de son cru sur la matière''*'.
Mais il revient bientôt à l'historique des bulles successives de Jean XXll,
qu'il a commentées à Paris («et predicta legi Parisius»), à chacune
desquelles grandissaient, il s'en souvient, la rage et la malignité des
aboyeurs. Ils « adhérèrent enhn au Bavarois»; ce sont eux qui lui ont
conseillé ce qu'il a lait; » laïque, illettré », Louis de Bavière n'aurait
pas inventé spontanément la procédure qu'ils suggérèrent. . .
Dans la seconde partie de l'opuscule, qui commence au folio 192
par une lettre ornée, l'auteur revient sur la fausse humilité des reli-
gieux, qui dissimule mal leur orgueil, et qui leur a fait susciter un
schisme contre le pape légitime. Il se demande surtout quels sont les
remèdes aux dangers précédemment définis. Les frères de l'Ordre de
Saint-François sont trop nombreux pour qu'on puisse s'en débarrasser
en les mettant tous en prison'*'; le scandale serait trop grand, et leurs
amis du monde laïque les feraient relâcher. De même ([ue Dieu retire
■' fol. 187 : » Kt ego lui uiiiis de doctori- «sunl de conlessioiiibiis reddunlur in traclatu
« bus le^'entibiis illas [decretales] Parisius, et « meo Dr roiifessionibiis , in quo sunt quatuor
«sic impiété sunt Scripture [Sap. , X, 21 ) : «articuli de isla mateiia mafjni et dilTusi: pri-
t Aperuit os niiitorum, quia prius non andeba- «mus esl de confitenlis obedierilia; secuiidus
u iims loqui . . . '1 « osl de conlessionis cITiracia; tertius est de
'' Fol. 189 : « Divitcs omnes vel quasi » coulessoreordinano; quarlusesl deconfessore
«in\it.int ad sepultnras in domibus suis; de advenlirio. Ideo hic dimitlo. . . >
« pauppribus vero non curant, quia ibi non est II parait évident (|ue Jean d Anneux
• eniolumentum temporale. '1 pense ici à la procédure appliquée aux Tem-
'*' /fc. .« Videmus quod principes et divite.'». pliers, qui s'était montrée naguère si eflicace
« quorum Craties sunt conlessores, sunt pejores contre un Ordre puissant; on sait que son ami
«et magis tiraimi quara soiebant. » .lean de Pouilli l'avait approuvée hautement
'' //>. ; « Bationesonmium islorumque dicti ' Histoire lillernire , t. XX.XFV', p. •!''.3 et suiv.).
SES ECRITS. 459
sa i;ràce au pécheur, il faut tout simplement les priver de leurs privi-
lèges. « Révocation, révocation ! .. Plus de sépultures dans les maisons
des Mineurs, au préjudice des curés; le retour au droit commun par
la suppression des exemptions. On ne s'y est pas pris à temps, et le
péril, (pii aurait pu jadis être éciasé dans l'œuf, s'est développé jus-
qu'à la complicité avec le Bavarois. Prenons garde (pi'il ne s'aggrave
encore si l'on n'intervient promplement: « Sicut mihidixerunt quidam
« cardinales, in aliquibus partibus predicant contra papam et etiam
« magnilicant et aprobant suum pseudopapam. » Cependant le pape
ne suit pas la route qui conviendrait dans les circonstances :
Dominus papa l'ovel eos adhuc, aliqiiando eos episcopando et peticiones eomm
txaudiendo et eoriim maliciis non obviando.
Ils ne fen déchirent pas moins. Le droit commun, le droit com-
mun! On ne sauiait agir autrement :
Si tpiscopi ptcctiit. piivantui' episcupatibus suis. Si curati petcent, suspenduntur
a sacranientis. Si canonici peccent, puniunlur in prebendis suis, et capeiiani in capel-
laniis suis; sed in nulio istoium possunt isti fratres puniri ; et per suas mendicitates,
predicaciones, adulariones et fictiones, et per eorum simulatas sanctitates, id est
ypocrisim, nbtinebunt satis, velit nolit papa. . .
Le traité se termine par une conclusion en forme de résumé
(«Quatuor raciones propter quas pravitas hujus generacionis est
" reprobanda ") et par une avalanche de citations à l'appui''^.
De REGiMi\E l'HiNciPVM (en français). — Inc. : «A vous prinches
« poissans en tierre .lehans d'Anneus, entre les mestres de divinité
"li meures, désire vo salut ou chiel et sagement vo peule gouvrener
« en tierre ...»
L'auteur adresse à son .. chier seigneur » un petit livre qu'il a fait
pour lui nouvellement, avec l'aide de Dieu, et qui est divisé en trois
parties.
1. Li première est pour (juoi li souverains sires voel les seiyneurs lerriiens
et le commun peuple suurmonter. — Le ujonde est ainsi ordonné que les
uns sont souverains et les autres sujets. H y a deux sortes de souve-
'■' La plupart des citations dont lopus- au De riaustro animae de Hueues de Saint-
cute loisonne sont empmntées à l'Fcriture et Victor.
58.
'i()0 .IK\N DWNEUX, CLKIU; SKCl I.IKK Kl MOinMSTK.
lains, spirituels et temporels. Mais souverains et sujets ont des devoirs
réciproques. « Cascuns priiiches est tenus a cascun de ses sougiés %
pour le bien commun; et si un prince porte préjudice au bien com-
nuin en ne taisant pas son devoir, il est j)lus cou])able qu'un mallai-
leur ordinaire, pour cinq raisons. Or il y a de tels princes, (jui
mettent au pillage ce qu'ils déviaient garder, non pour défendre leur
pays, mais «pour leur beubans mener en tournoiz, en joustes, en
■ maisnies, en clievaus, ensi que on voit a l'uel . . ., et il leur samble
" qu'il font bien pour cliou qu'il sontloet des liiraus, des menestreus,
"des chevalliers a niagres dens, des hocebrides, (b's gens seivans et
"des maingnans pour cliou qu'il y prendeni. . . ». Ainsi n'agissaient
pas les anciens. Mais la vengeance de Dieu s'exerce contre ceux
d'aujourd'hui; car, comme dit le pro\(irbe : «H n'est si biaus ven-
" ghieres que Dieus». Certains péchés crient entre tous vengeance au
ciel : sang répandu , tyrannie, exploitation du peuple.
II. Li seconde csl commvnl il doivent cnscuii ses soiujis (joiivrener. —
Les deux liuides à suivie sont la raison naturelle et l'I^rrilure. delà
posé, l'auteur s'engage dans des développements (|ui ressemblent
Iteaucoui) à ceux de la j)ii'mière partie. « Pour çou sont les rebellions
"au jour d'ui eu aucuns liens, «jue li souverain destniissent, lion-
" nissenl, apovrisseni et asiervissent leur sougis ensi ({ue on voit
"avenir. . . On se poel esmerveillier (pu- tel prinche pensent, com-
' ment il osent vivre ne comment il osent morrir. " On doit llélrir les
Ivrans de trois D et de trois T : " Deshonneurent , dampnent.
" destruisent; tirant, tollant, truant. •
m. Li lierclie est (lucls conjiesseurs el (jiiels toiiseillcurs il (hnrcnl
(tppieller. — L'auteur n'a pas une haute opinion des conlesseurs
des princes de son temps (pour la pluj)arl membres de ces
Ordres Mendiants qu'il abborre : " ches ypocrites menteurs, ces
" faus frères en abblt religieus... ». Ils le font penser à Hcnart :
" Knsi cou cante de Renart , ([ui vont estre confessieres |)our avoir
« riqueces et honneurs"'. . . > Ils « taisent vérité pour avoir bouclu' a
o Ce |)ass.i";e, inlén'ssaiil pour I lii>l(>i i(|iic I. WXVIII (1877;, |>. (id.'i. ft . de noint-au ,
<le la fal)lp de Heiiaid confcssctii , a clé [«iblié, par M. Henry \lartiii (/. r., p. •!.")8:, (\\\\ n a
il'après If iiis. de l'Arsenal, par 1,. Delisle, pas lonnii la pri>niièri' l'-dilioi).
dans la Bihliotli'ijin' ilr l'iùoir îles ihnrlvf ,
SES KCRITS. 4GI
"Court". Quant aux conseillers, il faudrait exiger d'eux les quatre
([uaiités requises au chapitre 18 de l'Exode; et c'est ce qu'on ne lait
pas : " Li prinche en leur tierre soustiennent les .luis et les Louibars
" useriers pour argent. . . «
(Conclusion : " Or est II tanips de ce livre (inner. Car pourlis n'est
" mie eni plentet parler. »
Il y a un post scniitiiin :
(jliicr singneur, ur viin gc a \ousfspi'sciauiiuiit, car vous vos deslruissiéscliiertaiii-
iHineiit s'il esl ciisi c'on dit. (lar on dist, quant vous avôs oy vos boins conseiHcurs,
V'ius Itîs iaissiôs, pf oicrs lf>s drcrvpurs. Item on dist (jiic vous fourmenés vos sougis,
si (jue il vuident \o pays. Ilfm on dist que pour argent soustenés les usseriers, les
JAinibars, les .luis; et ensi ipstos a yauls tenus et liies. Item on dist que vous donnés
aiictorité de malctotes niaisement tolir; et ensi vous iestes tenus dou rendre cl dr
iistau\lir. ftem on dist que vous adamagiés les abheyes trop souvent en mariages,
eni priei es qui; on n'ose refuser et em pluiseurs manières autrement, si qu'il ne piieent
leur églises amender, (|ui bien t)esoing en auroient, ne reclievoir tant de pers(>rllle^
(|iril soloient, ne donner a-^ pnvres ensi qu'il deveroienl.
La lettre ouverte de .lean d'Anueux à (iiiillaunie de llainaut donne
une idée assez favorable de son courage, mais la plus médiocie de
son talent. Les développt^mentset les citations, d'une grande banalité,
s'y suivent comme au hasard; et, si court que soit l'ouvrage, il est
encombré de redites, lîref, Jean d'Anneux, quand il écrit en français,
a l'air de bégayer. La même ignorance totale de lart de composer
s'accuse du reste dans scni traité Cmitra fralres.
Sehmo\es. — Il \ avait, d'après Sanderus''', un recueil manusciil
de Sermons de Jean d'Anneux dans la bibliothèque des chanoines
réguliers m Vnllr Sancti Martini, à Lou\ain. Plusieurs manuscrits de
cette librairie sont maintenant à la Bibliothèque royale de Bruxelles
ou à liruges. Mais il ne paraît |)as que celui dont il s'agit ait été con-
servé.
On a vu plus haut que lean d'Anneux se réfèie lui-même à des
(Jnestwnes de (juolibet qu'il avait délerminées et à son activité comme
commentateur des bulles de .lean \XII sur la question de la Pauvreté
(publiées à partir de iSri), pendant son séjour à l'Université de
'' Bihliothccn MifHii , I. Il , |., 2 i>i.
î 2
462 ARNAUD ROIARD, FRERE MINEUR.
Paris. Si ces Questiones existent encore, nul ne les a, jnsqn'à présent,
rencontrées sous son nom.
H n'y a non plus aucune trace du traité De con/esslonibus que, dans
son Contra Jratres , Jean d'Anneux déclare avoir écrit et dont il fait
connaître le plan.
Le Catalogue de la librairie pontificale d'Avignon sous Urbain \
offre, dans l'édition que M. Faucon en adonnée, l'article suivant:» Item,
quidam liber Jo. de Aynonis, cooperlus corio viridi, qui incipit in
secundo folio in passiunibus et finit in penultimo folio si/i'". » Il est pos-
sible que « Aynonis » soit ici pour « Annosis >k Qu'un ouvrage de Jean
d'Anneux, familier d'un cardinal, eût ligure dans la bibliothèque des
papes, cela serait très naturel.
C. L.
ARNAUD ROIARD, FRÈRE MINEUR.
Parmi les personnages qui approuvèrent, le 12 mars i3ii, des
statuts touchant l'élection du recteur et des conseillers et l'admini-
stration générale de l'Université de Toulouse, figure le frère mineur
Arnaud Roiard [Roiardi) , «lecteur en théologie» dans le couvent de
son Ordre à Toulouse'^', (llément \, le 29 mars i3i4, invita formel-
Icii ent François de Naples, chancelier de Paris, à conférer à frère
Arnaud, dont il fait le plus vif éloge, les insignes de la maîtrise et
de la Ucentia docendi en théologie'^\ Il semble que Clément connaissait
très particulièrenient la famille de ce religieux, originaire de sa ré-
gion (Arnaud était natif de Lisle-sur-Drone en Périgord); il l'a
comblé de bienfaits pendant tout son pontificat**'.
'' M. Faucon, La librnirie des pufies d'Avi- quuntiti- de lettres en faveur d'itier Roiard,
ijiion.t. I" (Paris, )88()), p. 242, n" i854. sous-diacre, archiprêtre d'Archiac au diocèse
•'' Dotn Vaissetc, Histoire généiale de Lan- de Saintes (« ut legum studio intendere valeat » :
yuedoc {éd. Privât, t. VII, pr. , col. ii"])- n" 6109; ri', n" ôgSS); de maître Bernard
''' Reyestum Clementis papae l", n" io'.i85. Hoiard, archidiacre de Saintes, chapelain da
Cf. Denifle et Châtelain , Chartulariiiw Uniiei- pape, litteninim papnlium contradictaram au-
fitatis Purisiensù: , t. II, p. 170. ditor dès iSog (n°' niG, -2263, 3865, 4o56
'* Vo\r. d^ins h Begestum Clementif papae] ' ^219, 6515,8696, 8878, iotS.^, etc.), qui
SA VIE. 46:i
Frère Arnaud, très bien en cour depuis le commencement de sa
carrière, se rangea plusieurs fois sous Jean XXII au nombre des
théologiens agréables à l'autorité suprême. Il fut un des douze
docteurs notables qui, avant le ii juin i3i8, se prononcèrent
contre l'orthodoxie de tiois propositions (jui avaient des partisans
dans son Ordre, relatives au costume spécial que certains frères
prétendaient avoir le droit de revêtir malgré la défense du pape
et des prélats*''. Un peu plus tard, membre de la Commission
chargée d'examiner des arli( les extraits de la postilic de frère Pierre
Jean [Olivi] sur l'Apocalypse, il s'associa aux condamnations pro-
noncées *'^\
Il était alors, avec frère Bertrand de La Tour, qui souscrivit comme
lui à cette dernière consultation, le franciscain le plus en \ ue de la
province d'Aquitaine. Lorsque frère Bertrand, nommé archevêque
de Salerne le 3 septembre ii^2o, se démit de son archevêché en ac-
cédant au cardinalat'^', c'est lui qui le remplaça (3o avril i 3^ i ). Il a
occupé ce siège pendant près de dix ans. On sait que le roi Robert,
(|ui régnait alors à Naples^'", était grand ami de l'Ordre de Saint-
LraTiçois, au point de ne pas craindie d'intervenir j)er.sonnellement.
])ar des écrits de polémique, dans ses querelles intérieures : il a écrit
tiii Traclalus de pauperlale evaii<iclica très peu de temps après l'arrivée
de frère \rnaud dans son rovaume, à l'époque même où le nouvel
archevêque do Salerne s'engageait aussi dans la fameuse controverse
sur la Pauvreté du Christ et des Apôtres que Jean XXII eut la pré-
tention de clore par sa bulle Cum inter nonntdios, le 15 novem-
bre i323.
\rnaud Roiard avait pris parti en cette allaire, comme ses illustres
conlrères, les cardinaux Vidal du Four et Bertrand de La Tour, pour
la thèse qui n'avait pas l'agrément de Jean XXII.
On verra, dans la notice que nous consacrerons au cardinal
lut évêqiie d'Arras ( K. Albe, Autour de aussi beaucoup de lettres concernantes Koiartl:
Jean XXII, t. II, p. P.36); de Guillaume n°' 1201, i536, ^â'ti.elc.
l\oiard, archiprètre de Saint- Pardoux au dio- '" Denille et Châtelain, op. cil., p. 517.
cèse de Périgueux (n" 68.5o, I0333). — hier '*' Piid., p. aSg.
était le frère d'Arnaud, qui avait encore un '' Voir la notice de Bertrand de La Tour,
neveu nommé Elio {(înlliu chrhiinnu , t. IL, au t. XXXVI.
fol. i5i4). *' W. Goetz, Koniij Robert von Neapel (Tii-
Les registres de Jean XXII [Lettres coin bingcn, 1910), p. -i-]. Cf. Histoire lilterairc,
niuiies, analysées par G Mollat) contiennent t. XXXIV, p. iv>'i.
fii)li AUiNAll) KOlAHl), FHKHK \ll\Kl W.
Vidal, le récit, pai- Nicolas le Minorité, de la scène on le poniife
irrité maltraita si fort en paroles ces trois lumières de l'Ordre.
L'archevêque de Salerne eut sa part : « Enm dominns Johannes
" acriter et enormiter redarj^^nit. » Le chroniqueur ajoute (|ue, sous
l'averse, il aurait persisté. Toutefois, condamné, comme ses anciens,
parla bulle du i 2 novembre, il s'y soumit, naturellement, de même'' .
Vers la fin de sa vie, frère Arnaud souhaita d'exercer dans son
pays natal les fonctions épiscopales, cpiitte à renoncer au litre de
métropolitain dont il avait été revêtu dans farcliidiocèse, pour ainsi
dire colonial, qu'il avait longtemps administré. Le 27 juin ]33o, il
fut transféré en conséquence sur le siège de Sarlal, avec la per-
mission de conserver le paUium'-K 11 est inori le .So novembre i334.
La Gallid rhnstiaua dit (jue l'évêque de Sarlai vieillissant aimait
la retraite et qu'il habita presque conslammenl le château de
« iîoucheyral »<^'. Il s'agit de Bouyssiéral, château des évoques de
Sarlal au xiv' siècle, dans la commune d'\las-rÉvê(|uc, d'où des
chartes d'Xrnaud Roiard sont en effet datées''.
SKS ÉCKITS.
Les écrits d'Arnaud Roiard sont, suivant l'ordre chronologif|ue
)robable :
I. Sh:i{MO\Ks. — On a, dans un recueil de sermons prononcés à
Toulouse, chez les Mineurs, au commencement du xiv'^ siècle, phi-
sieurs homélies de frère Arnaud, alors qu'il exerçait dans cette maison
les fonctions de lecteur"*'. L'une d'elles, sur les devoirs du prédicateur,
' l\ayiial(1i, I. \ . |i. ■>49- Cl'. Waddiii;;, OkHiiiiiii S. lùninisii fUdiiiaf, i8o()), |i. i)i(,
iiiiialfs \nnoinni , I. III, j). .')7r). col. a.
-' Ucgistrcs de Jean \XII. Lellies coin- ''' BiM. iiat., Coll. de IViigoid, t. XXX\ I
iniinos, année .\IV, cj). ■796- — F. Tocco (Kvêché de Saiiat). — On trouve dans ce
( /,(( (inistione ilclla poverlà nel ser.olo xiv. \ohime le dt''|)ouiHemen(, au point de vue de
Nanoli, it)io, |i. '.!()) a vu, dans re transfert, l'évtV]ue et de i'évèché de Sarlat, des ref;istre>
une (lisgràce due à l'attitude (rArnan<l en des papes ilWvif^non, et notamment de
i.'iaa; ce n'est qu'une conjecture, et peu pro- .lean XXII.
haliie. '^' Manusciil n" Saç) de Toulouse, loi. 1,
''* (iiiUiii iliiisliaiw,t.U,co\. i^ii-ŒSha- .»;>, i34, iSy, i56 > . (U. Hhloiie qéncrale de
lalea, Siipplniiciiiiiiii . . . nd Sviiptores liinin lAtnijuedoc , I. \\\ . 1, p. ;)88.
SKs I (Kirs. 'Ki.')
est ;ulrt'S>»'t< iiuixersitali -«ttirlfiitiuin I IioIosp ; niip aulre a été
coiiiposée ><a(l postulaiidaiii j)liivian) • -' . — Niui^ avons lu ce>;
sermons; il-- nous ont paru insi^inliants.
II. 'rnunns nr. nwh.nTMh Chrisii h.i n'osioi oium ejis. —
Otto pu-re. qui toinnienco par : > I truni asserere (ihristuni et aptis-
lolos. . . . se trouve dans le manuscrit lat. n' .'îy'jo fol. ôo \°-b5
(lu Vatican et dans le n" i ;() , loi. 68-7 1 des manuscrits latins de la
Hibliotln'que de Saint-Marc à V enise ' . Klle a ete publiée par F. Tocco,
La (fiiistinm' délia jun-vr((i itel secolo \ii ^iccondo mmn dociimenti Naixili.
1910 . p. 7 '1-77. ('v>i une consultation; elle est beaucoup moins
dévelopj)ee (jne celle du cardinal \ idal du F'our sur \r même suiel,
dont nous parlerons.
III. l)isii\i:iio\t:s. — Waddiui;. dans se^ Sniptoivfi Onlinis Mi-
ininim, cite, parmi les ()uvra;.,^es de frère Arnaud : ■ Opus tlieolo'dcuin
nioralium distinctionum , ordine alpliabetico dii^eslum. ad Iio-
bertum. re<»;em Siciliae. Ipsum librum autoyraplium pulibro niinio
et rej^is ellii^ie ornafum pênes me liabeo ' . Extat eciam l^e'^ii ms. in
bibliotlieca Minorum. » Sbaralea, (pii en avait vu un antre exem-
plaire à Assise, indique yincifùt de la dédicace a liobert de Xaples
' Excellentissinio domino R.. l)ei <;ratia Jérusalem et Sicilie illuslri
re^i. devotus ejus. . . >-) et celui de l'ouvrage lui-niéuie : < Abjectio
est bona tripliriter >. Un troisienu- exemplaire, contemporain de
l'auteur, se trouve maintenant a la Hibliotbeque nationale lnou\.
acq. lai. .S8i>. Il \ eu a un quatrième, du xi\ siècle aussi, a la
Riblioteca communale de Serra San Ouirico n" 1 (j . Un cinquième
est siguale^^lans une bibliothèque j)rivee ' .
Voici le tf'xte de la prélace; ou jugera par la du stvie de l'arclie-
véque de Saleriie.
E\coll?Jilissinu> domino 1\. . Dei <;ratia .lenisalem et .Siiilic illii>tri clirisfiano ret'i.
tlevotus ejus frater Vrnaidus, ptrmissiontMtiviriaSalt'initaïui- an hiepiscopus, salutein
'' Fol. 33. ili" »■.• i-.'n-eii;iii'iiuiil ,iii K. 1'. du^ijoiA tilcii • .
Foi. 1 jH r. ('iliiloiiiic ■li< liii,-< in.inii;iil< fl inipiiniis
Li' uoiii lie l aiitt'iii- esl eMropif Jau» cet composant h hibliollmiiu' ,1,- \(. ,/,■ CaniLia, t II
i'\enn|ilaln'dii x\' siècle : • Arnaldum Honaidi •>. FloiriKe , i8i(o). ji 1 1 . Ce miUiiiio. qui ost ilii
L»' maïKisci il ili- \\;«Ulin<; ol ronxTM- \i\' sitH-lo, no n-nlfiiiit' iiui' la nrrniière iMilii-
iiiaiDienant cher, [v- Fi-.mcisraiii> de Ihiiiliii. de l'oimai,'!' A à M ( oiiiiniuiu-alion du It. I'.
•■oii- l.i (.tito .V 4'l- NoiiN Mimiiu'-. icde^ablev Audit- (ialIcKtiit.
Ill>l. I.l I IKR.
3(t
466 ARNAUD ROIARD. FRERE MINEUR.
rum omni rcverentia, et per Scriplure Sacre speculativa studia ad clariini divinilatis
intuilum pervenire et fruitionis dulcedine satiari.
Quemadinodum, juxta vulgare pi"overbiuin, ilkid quod est \ilo facit rarilas pn-
ciosuiii , sic e contra, jiixt;i Scriptuif tcstimonium, illud qund est prceiosum copia
lacit vile. Teinporibus iicmpe Salomonis lanta fuit argenti copia (|uod nuHius precii
putabalur. Sed rêvera, mi domine, (anta est hodie Distinclionum copia quibus iti
sermonibus utuntur ad popidum et ad clerum (juod merito possiint reddi viles in
conspectu régie majestatis, maxime pensata vestra vivacilate ingenii et in scriptis
sacris experiencia leclionis. Nunquani [sic] melius arbitrer, fidem promissi servando.
niea dicta, licet vilia, pro vili portione, ut verbis utar beati doctoris, offerre corani
regia magestate qiiani si lacendo velut fidei f'raclor arguerer, quod apud vestram cel-
situdinem possel crimen non médiocre jndicari. Ideopreclare dominationi vestrepro-
missas mitto Distiiiciioncs, confident palaciuin cordis veslri tanta esse clenientic
dulcedine superlusmn (piod iiibil eril ei faslidiosum quod sit aliqualiter fructuosum.
In (|uibus non semper servavi ordinem alpbabeti, prout in Concordanciis ponitur ;
sed aliqnando vocabula juxta similitudinem ordinavi, quandoque vero prout meo
conceptui occurrebant, cuni ad boc non poluerimus semper perfecte animuin appli-
care, multis aliis impeditus. Quia vero suni prius crimina abicienda quan» inscrende
virtutes, idcirco a malonnn abjectione opus incipiendum decrevi, ad honoiem
oranipoteiitis Dei el beatorum Francisei et Ludovici, Vestre Celsitudinis secundum
carnem gerinani"', quorum religionem, ut experiencia certa docet, clemencia
majestatis vestre fovet el jirosequitur benivolencia singulari ob dex ocioneni et reve-
renciam eorunubin.
Ce dictionnaire alphabétique (le lieux comiiuuis bibliques à
l'usage des prédicateurs est en vérité au nombre des plus médiocres
ouvrages de ce genre qui aient été conservés: necomportant aucune
anecdote, amnine allusion aux hommes et aux choses du tenq^s, il
ne nous apprend rien. Le roi Robert de Naples, grand amateur de
sermons et qui en a composé lui-même, s'est-il servi du vade mecnm,
ou guide-âne, que l'archevêque de Salerne avait couq^osé, semble-
t-il, à sa demande? On le saurait peut-être en confrontant cet ou-
vrage avec les sermons du roi'-'. Mais c'est une comparaison (jue
nous avouons n'avoir pas laite.
"' lj()ul> (i Anjou . évèquc de rdiildiisc, «sine iii'iiicctloiic liliioiuiu sicul «• |ii()inji(r
canonisi' en a\ril iSi'y. « |)iiliiil i<'C()ilif,'eic (ml et propici ca addld-
'*' \'()ir le rhapitrc «Die Predif^ten Kôiil;,' <• iucruiit ritalioiics capilidorum) » et ceux «quos
Roberis», dans l'onvraf^e cit/' de W. Goelz udoinifius rcx fecil pioccssu tem|)(»ris poslqiiam
(p. /lb-70), avec les litres et les incipil de tous « pliires libios vidit et lej^il ». Les uns el le-.
les sermons du roi conservés dans quatre autn-s sont aussi peu substantiels que les
manuscrits d'Italie (Venise, Rome, Florence Distinctions de l'archevêque. — W. (itel/ n'a
el Naples). Dans ces recueils une distinction pas eu connaissance du dictionnaire de hère
est établie entie les sermons qu'- le roi lil Arnaud.
SES ÉCRITS. 4(i7
iV. Ouvrages perdus ou supposés. — Wadding a eu entre les
mains un opuscule dédié, comme les Distinctlnnes, au roi Robert
de Naples, dont le titre était : De ana Noë.
Il altrihne encoie, sans plus, à frère Arnaud une Pusulla in Apo-
lulypsiii, peut-être par suite de quelque confusion due à ce que
Irère Arnaud prit part à la condanmation de la Postille de frère
Pierre-Jean O/Zw sur ce sujet; «t un Commentaire sur les Sentences:
Super (jualuor libros Senteniiaruin.
C. L.
(illLLAlME DE MOMLALZLN, CANONISTE.
Jusqu'à ces derniers temps, rares étaient les renseignements (pie
nous possédions sur la biographie de Guillaume de Montlauzim '*'.
Grâce à des travaux récents, nous sommes aujourd'hui mieux
informés'"^'.
Au commencement du xiv'' siècle, le nom de Montlauzun était
celui d'une famille noble, qui l'avait pris d'un village du Quercy, situé
dans la région sud-ouest de notre département du Lot '■*'. Son chef,
Pierre, portait le litre de chevalier; parmi ses enfants, nous
connaissons, outre Guillaume, qui était un cadet, l'aîné de la famille,
nommé Pierre comme son père'"*, et un autre lils appelé Bertrand.
Les MontlauzAui n'étaient pas dépourvus des biens de la fortune;
nous savons qu'outre les domaines fonciers qui leur appartenaient
dans leur pays d'origine, ils possédaient un vaste hôtel à Toulouse '* .
*'' Il est peul-ètre superflu de relever l'cnoi- '' Sur cette CamiUe, voir les renseignements
mité lie l'assertion de René Choppiii, De Do- tournis par l'acte transcrit dans un registre du
niwno Franciir, lil). 111, lit. xwii, n° i3. Trésor des chartes, Arcli. nal.. J.l 66, n° 3fi,'5.
d'après lequel Ciuillaume de Montlauzun aurait — Cf. Albe, article cité, p. lôy. L'auteur retrace
enseigné le droit à Poitiers en ii5j. l'Iiistoire de cette famille jusqu'au xvi' siècle.
'' Nous devons de précieux renseignements "' Dans l'acte précité, il est qualifié doini-
à l'article publié par M. le chanoine Albe, lellas. Plusieurs membres de la famille entrè-
archivisle du diocèse de Cahors, dans la Revue rent dans les ordres.
religieuse de Cahors et de Boc-Amadoiir, l. Wl, ''' Voir l'acte publié par Marcel Fournier,
iqo5-ino6, sous le titre : Montlauzun, le Col- Statuts et itrivilèfjes des Universités françaises ,
lege de ilonltniKun i> Toulouse, p. i->o, i38. t. l", p. 65 1 et suiv.
59.
'l('»M
(.1 ll.l.\l \It I)K MONTLUZIN. CWOMSTK
Les inforiiiatii^ns nous iiianquent sur la jeuness»' (le (imH.imuc de
Montlauzun. Nuu> pomons alfiriuer sans léinérite (ju il ftiidia l.i
théologie et le droit eaiioiiique. Sûrement il fréquenta le> écoles de
Paris; nous en sommes assures parle récit qu'il lait d'un incident
dramatique >ur\<'nu dans le (juarlier des écoles, dont le héros fut un
jeune Anglais, son sociiis a l'Lniversité ' . A une époque que nous ne
pouvons indiquer avfi- précision, il ht profession religieuse dans
l'Ordre de Cluny '.
En i3o8, il était maître de Keuvie de lal)ba\e cluniMenne de
Lezal. sise au (^l(l(•e^e de Rieux. entre 1 Ariege et la Garonne '. Il est
vraisemblalile que ^•e^ Jonctions ne lurent pas une sinécure, car il
les exerça a I époque de la construclitm du cloître de labhaye ^ .
Il lesconserxa ju-tpiau jour où il fut nomme ahhé du monastère de
Montierneid a P(»itieis \ (lest en i3ia (ju'il lut ajipele au gouver-
nement de cette ahl)ave. (pi'il garda juscpi a sa mort.
Grâce a ses écrits, ntms ne sommes point de|X)urvus d'nilormation>
>nr cette première phase de sa vie , celle qui s"ache\a en i 3 1 9 et dont
le centre fut Toulouse. Nous sommes moins bien renseignés sur la
dernière peiiode. dont le centre fut Poitiers.
Deux traits ( aracteiisenl la vie de (iuillaumede Montlau/un depuis
le commencement du \iv' siècle jusqu'au début de son gouverne-
ment abbatial : il vovagea et il enseigna. Nous sommes enchns à crone
(pi il commença ]îar voyager comme visiteur de l'Ordre deClunv:
il parcourut la France; il alla sûrement en Italie, en \llemagne, peut-
' < Sed quid de illu mm i<i iiieii Anglicu (|ui.
ii.iluralilei' doraiieii>. in Mijiore sui somni sir
liimiler involulus. l'.iii^iuà i\il de wctesia beati
r>enedi« Il usquc .«i fliniom ,S<-ijuane de iiode
i'( ibi queaidaui puciurii iiiUi leot, deiiidc
iiversus, adhiu diiiiiijeii>. |H>^uil >•■ in lecto ?■
Montlaïuun se deinaïuie -i ce meurtre rendait
irrefjulier le nieàirtiiiT qui etail «leiT. Il se yrn
nonce pour la netralivc et int(K{i]e a l'appui de
eetU' solution I e\enqili- <l.' Loi Genèse, \IX,
.1? et suiv.j. Cf. Api>anita' lonstitutionam Cte-
mentif fxipœ quinti qiiirdtiiti partit ala, éd. de
Caen. i .» i a . loi. H'i. Nmi*. eitoii'» <el ou>ra^e
90US le lilre d Appoi . ( U menl. . d ajires i étlilioii
de i5if : mai>. comme cette édition ne repru-
iluit pas iulé^ralemenl 1 ouvrage de Moiit-
lauzun, nous ren\o\oii:>, jxtur les passades qui
n V Tigurenl [tas, .m nianusciil iG^O'! du fonds
latin (le la Bililiotliciinc M.'<liiMi.ile. Quand nou^
ne mentionnons pa»- e\pressement «- m.inu
sciil . le tcite < Itc doit êliT clK-irhc dans I é<li
tion de i ."ti •.
' Les |iiovisionsd altlH' qu il olilint en t'iii
Mollal . Lettref iumiiinite< df Jean XXII.
n i.'liôi le désipieni eomm»- moine du mo
n.islere de dun\.
Il e^l désigné sO«-> ce titre : mitiuiclias ri
opeiiiriu> notlri iiiuiinsleiii dans la procuration
qui lui lut donnée le -a j\ril i3(>8, et dont
il sera question ci-desM>u>.
■ Galtiii I hiiflidiiu , l. XIJI.col. aia-n.)
Mollat . n i.'i.'i.'ii - mai i.'lîi). (.es let
très confèrent à un nou>eau titulaire, uionic
du monastère, les lonctions de maitre di-
I œuvre de Léut , tacaiite> jtai la promotion
il<- (luillaumi' di' MonllflU2un.
être en Any;lL'tei re ; enliii il parait avoii- lait un bcjoni- assez. I<)ii<^ an
delà des Pyrénées, dans les pays de la Couronne d'\ragon, où il visita
les ré^'ions les plus récemment conquises sur les Musulmans. Est-ce au
cours de ces voyages qu'il se trouva à Lyon, en i3o5, où il assista
au couronnement du j)ape (llénient \ ? Lui-même raconte ' ([u'il était
présent, me ibi présente el aadiente , lorsque, ajirès la fonction solen-
nelle, le nouveau pontife, à la demande de Philippe le Bel et d'autres
puissants personnages, suspendit l'effel des rigoureuses censures (pie
Boniface VIII, dans la huile Clerms laicos, avait j>ortées contre les
j)rinces et seigneurs coupahles de violer rimmunit»' des hiens ecclé-
siastiques. Queitpies années jilus tard, en avril i3o8, il fut l'un des
quatre députés chargés de représenter le monastère de Lézat à l'as-
semblée convo(juee a Tours par Philippe le Bel pour trait<'r de
laflaire des Templiers'"-. L'assiMnhlée devait s'ouvrir le b» mai : dès
le 3, les députes de Lézat se trouvaient à Poitiers, où étaient alors
établis le pap» (ilément V et sa cour. C,e jour-là. Guillaume de Mont-
lauzun et un de ses collègues, \rnaud Arrufat, curé de Carbonne au
diocèse de Toulouse, se donnant le titre de piocureurs généraux du
monastère m ciiiia liomana < omnwrantes , se déclarèrent arrêtés par un
empêchement inéluctable et hors d'état de se rendre commodément
a Tours; il en firent dresser acte par l'official diocésain ^^. Il seiait
intéressant de saAoir au vrai pour quel motif Montlauzun el son com-
pagnon s'abstinrent de prendre part à l'assemblée. Furenl-ils retenus
à Poitiers par un \ulgaire incident de voyage, ou bien appréhen-
daient-ils d'aAoir a prendre parti dans une redoutable question, sur
laquelle l'accord semblait loin d'être lait entre le Pape et le Boi ? Nous
devons renoncer à résoudre ci- problème. Du moins n'est-il pas
invraisemblable de croire que Montlauzun séjourna quehjue temps
a Poitiers, et \ acquit, du clergé seculiei" et régulier si nombreux
dans cette ville, une connaissance qui de\ait lui être fort utile dans
la suite de sa carrière.
' Lecliiia 4«/(c; St.ilo ^ nous citerons ainsi , l)lic par d. Picol , Doiamenls relulils uuj ijut'
<l après If litre de la seule édition coniiui-. iiéiiéianx el assembléen réunies loin J'hilippe le
l'Apparalaf sur le Se\(e;, éd. <le Toulouse, Bel. p. .")5ij ; la désignation des députés lui
i534, fol. if-t. Baluze {\itœ fiapuruni Aveniu- laiU- le •! i a\ril par le chapitre du inonus-
iiensium, t. I", p. 809 a signalé ce fait d'après 1ère de l>é/.at.
notre auteur. Arth. nal, J '11 4 (^.n" i.lti; Picot, «/>.
"' .\rcli. n;it.. J '1 1 '1 C, n' i'.i-, texte pu- ril.. p. ."ibo.
/l70 GUILLAIME DE MONTIAUZLN, CANOMSTK.
Ce ne lui sans doute pas très lt)ngtem|is après son séjour dans la capi-
tale (lu Poitou que Montlauzun, en sa qualité de docteur en décrets,
lut appelé à enseigner le droit canonique à l'Université de Toulouse.
A cette époque, il pouvait y rencontrer, parmi ses collègues, cano-
nistes ou légistes, un groupe d'hommes ''^ la plupart ses compatriotes,
dont les noms, grâce à la confiance dont les a honorés Jean XXII,
ont marqué dans l'histoire de l'Eglise : Pierre des Prés'-', Bertrand de
Monllavet '^', originaires du Qiiercy; Pierre Teissier, de Saint-Aiilonin
de Rouergue, qui tous trois siégèrent dans le Sacré Collège; Armand de
iNarcès '''', lui aussi quercinois, plus tard doyen du cha])itie du Tescou,
à Montauban, et ensuite promu à l'archevèche d'Aix; (ifuillaume du
(iun'^*, .lesselin de Cassagnes •'''. C'est encore un quercinois i(ui sup-
pléa Guillaume de Montlauzun quand, en i3i4, probablement pour
raison de santé, il dut suspendre son enseignement*^'; sa place
lut alors remplie par Bertrand de Sainl-Geniès, qui, longtemps
après, devenu patriarche d'Aquilée, fut mis à mort par les Vénitiens,
contre lesquels il défendait les droits de son église, et qui fut plus tard
placé sur les autels, comme l'avait été Thomas de Cantorbéry *"'.
Il est inqiossible de reconstituer le programme de l'enseignement
(lue Montlauzun donna à Toulouse. Mais nous pouvons faire con-
naître le nom de deux de ses élèves. L'un, de naissance royale, des-
tiné dès son enlaiice aux plus hautes dignités ecclésiastiques, est
l'infant .lean d'Aragon, lils pumé du roi .laime 11 ^'. Montlauzun lui
avait donné les ])iemièies leçons de droit canonique; c'est encore à
.lean d'Aragon qu'en i 3 19, comme on le verra plus loin, pour fournir
à son élèvt- l'occasion de se pcrlectionner dans la connaissance des lois
' \()ir les iKims des maîtres qui adjK'rtTi'nl- ' Ci-drssus, p. 365. Narcès enseignait à
aux statuts di i3i4 ( MarceJ Fournier, Stuluts Toulouse en i3i8 (Moilat, op. lil.. n° 743o).
(I iiriviléyes des Universités françaises, t. 1", ' \'oir la iioliie qui lui est loiisarréc dans le
p. '195) et les noms de mailres toulousains présent volume, p. 364.
indiqués pai- le même auteur : Histoire de In '*' Voir ci-dessus , p. 348.
science du droit en France, p. 33i et suiv. ' Marcel FownivA, Statuts et privilèges , I. I",
" Sur ce personnage, voir Albe, Prélats loc. cit.
originaires <ln Quercy, dans les Annales de " Albe, Prélats originaires du Quercy, loi.
^uintLouis-desFrnnçais, t. Vlll, i9o3-lyo'i, cit., p. i44elsuiv.
p. 187 et suiv.; et aussi A. Coulon, Lettres '" C'est probablement a ce t'ait, travesti par
secrètes et riirinles de Jean XXII relatives à la des récits erronés, que lait allusion Trilheim
France, 11° iil>. 'De viris illaslribus Ordinis Sancti Benedicti.
'" Voir ce qui est dit de lui dans la notice cap. is6) quand il dit que Montlauzun fit à
consacrée a Guillaume du Cun, ciMiessus, Poitiers l'éducation des fds du roi de Hougrie
p. 366. et d'autres jeunes nobles.
S\ VI K.
'\ll
de l'Eglise, il dédiait son commentaire sur les Clémentines. Le jeune
prince, alors âgé de 2"] ans, était déjà chanoine, pourvu d'un arclii-
diaconé du diocèse de Tolède, doyen de Burgos, abbé conimen-
dataire du monastère bénédictin de Monlearagon, au diocèse de
Huesca, en même temp^ (|uc cliancelier du royaume paternel'''.
Est-ce pour accompagner son royal élève que Montlauzun IVancliit
les Pyrénées? Il est permis de le supposer, sans que nous soyons en
mesure de l'afTirmer. L'antre disciple de (luillaume de Montlauzun
dont le nom est |)arvenn jusqu'à nous s'appelait Pons de Ville-
mur. Vraisemblablement il apjiartenait, non à la famille de Vil-
lemur qui eut pour chef un neveu de Jean XXIL'', mais à une autre
famille de Villemur, établie dans le comté de Eoix, dont plusieurs
membres ])ortèient successivement le nom de Pons. Les relations
de ce personnage avec (luillauine de Montlauzun s'expliquent pro-
bablement ])ar le voisinage de la résidence de sa famille et de l'ab-
baye de Lézat. l'aut-il l'identifier avec un prélat du même nom qui,
après avoir été abbé de LézaI, fut nommé évèque de (louserans et
mourut en iSyo.^* c'est une question que nou.s ne sommes pas en
mesure de résoudre''*'.
' Begesluiit démentis papœ V", n"' 7078,
1)717, 9797; Mollat, 11° 3343; Eubel, Hier-
nrehia catkoliva , t. 1", p. ^79 «t 487. Sur l<'s
négociations entamées par la cour <r\ruf,'(iii,
après IVlectioii du Jean XXII, pour poiirvoii-
l'infant de bénéfices, cf. Finke, Acta Arngn-
itensia, passim, et Histoire littéraire , t. XXXiV,
p. i3i. Il fut promu à l'archovéché de Tolède
le i4 novembre i3i9.
'*' M. Albe incline vers cette opinion (Les
prélats originaires du Qaerey, dans les Annales
de Saint-Louis-des-Français, igo3, t. Vlil ,
p. 3o3, en note). Nous ne croyons pas devoir
nous y rallier pour les motifs suivants: 1" Le
neveu de Jean XXII , Pierre de Via , qui fui
seigneur de Villemur en Toulousain (au dio
lèse de Montauban], n'acquit cette baronnie
qLi'après l'année i3i7 (cf. dom Vaissete, ///s-
tnire générale de Languedoc, nou\. édit. . t. IX,
p. 343). Par conséquent ce n'est pas avant
cette époque que le litre de Villemur a pu être
porté par un membre de sa famille. Or, le
Sacrnmentale , que Montlauzun dédie à son
ancien élève Pons de Villemur, date au plus
tard de 1 317. — ?.* Le prénom de Pons ne
se ietrou\e pas (lans la descendance du
neveu de ,lean X.\ll (cf. Albe, Autour de
Jean Wll . dans les Annales de Suint- Louis -
des- français, lyoa , t. VII, p. 119 et sui\. .
En revanche il est fréquent chez les Villemur
du comté de Foix ; nous v trouvons à la fin
du xiii' siècle et en i33i) deux chefs de la-
mille ainsi désignés : Pontius de Villamuri.
miles et baro (\'aissete, op. cit., t. X, col. Sa.'i
et 85oj.
Nous connaissons plusieurs mentions
d'ecclésiastiques portant le nom de Pons de
Villemur, qui toutes datent de la première
moitié du xiv' siècle; elles désignent sans
doute des personnages appartenante la famille
du comté de Foiv, mais il est difficile de les
identifier. En i3o9, '^" sollicitait de Clé-
ment V pour un Pons de Villemur un béné-
fice de la Seu d'Urgel (Finke, Acta Arac/o-
nensia, p. "/ai)- Est-ce ce personnage que nous
retrouverons plus lard chanoine à Lerida
(Mollat, n" 13498), puis archidiacre, enfin
évêque de cette ville, et qui mourut en iSaS
(Eubel, Ifierarcliia catholirn, t. I", p. i8.3V;'
— En 13-17, "" Pons de Villemur, chanoine
'l7-2
GULIAIMK l)K \K)\TL\l/l\, CWOMSIK
(iiiillaume de Moiiflauzun ne finit pas sa carrier»^ à Lezat. I.t-
■)<S juillet i-^i(), dans un .itic aulhfutique '.il prend le titre d'ahlie
du monastère clunisien. dit Mdntierneul, dont on peut voir encore
rantinue église à Poitiers. (!e])endanf, c'est seulement a la date du
3o mais kvm que .lean WII, après avoir casse deux élections, le
préposa par une bulle à la conduite de celte ahhaye. vacante, dit le
Pa])e, par la nioil de 1 ahhe Marlin '. rden n es| plus embrouillé ipie
la cliront)logie des abbes de Montierneuf pour celle epo<pu\ telle
que la donnent les auteurs de la dallia christiaiia. Les mentions
insérées dans ce recueil, où ne lioiire pas l'abbe Marlin, et où lave-
nemenl de Montlauzun est reporté à l'année \^^'\ '. soni tout à lait
incobérenfes el ne inerilent pas d être prises en (on'>ider.tlit)u. San>
doute les auteurs de la (uiUia >e sout laisse égarer |)ar les indications
coulradicloires résultant (relectit)ns contestées, (iuillaume lui-niénie
avait été vraisemblablenient le bénéficiaire d'une de ces élections, ce
(]ui expliquerait que, dès i.îiç), il se soit altribue le titre dabbe,
titre infecté de quebpie vice dont il ne put être purge (pu^ par l'inter-
vention du Saint-Siège. Ciràce à sa ipialité de quercinois, Mout-
lau/.un était en bonne position pour foblenir : c'est viaisembla-
blement ce qui expliipie la bulle de i 3j i.
Par l'acte de juillet i .) i () ' où, pour la premièie lois, il parait avec
le litre d'abbé, Guillaume de Montlau/.un se proposa (facconq)lir
>on NO'u de pauvreté en icnoncant à sa fortune au |)rolif d'une o'uxre
pie. D'accord avec st's frères et neveux, il établit dan^ Ibôtel de sa
fouille, sis à Toulouse, le Collège qui devait porter sou nom; il lui
le^'lilur ili- ,S;iilll .Sci iiill .1 loiilciiiM', i>blc-
nilil I OXlMTlaliM' (Moll.ll. 11 !StH)() . L<>
lO jainiiT i.vi8. (■ l'sl ciuorc un Poii'^ de
Villeninr à i|iii osl accoiilé un |)ri>ilèi,'o en
laMMii- (II' ses ('hHlos [Ibiil., »" ,')0()()8); jinil-
èlro Caiit-il %oii' en lui If ilianoino di-
.Saint-Scniin. Nous ne savons si c'est le même
iiersoniiaye nu un autre qui fut abbe «le I.ezat
et i|uill« celle abbave en ilUli p<iur inonler
sur le siège é|)iseo|).il de (louseraiis (F]ul>el.
(>/>. (If., I. I". |). nii). Nous ii^nidons d'ail-
leiiis à <|iielle é|>rK]ue li- ini^me Pons lui ébi
abbe de Le/ai el s il \ tut (-onlem[XM ain de
Miiiillauzun. Pour (ju'il en lïit ainsi, il taiidrail
i|U il eiil passé un (leiiii->ii ele au luoiiaslere de
l.('/al.
' Ade de loiidalioii An Coll. !,'•• de Mniill.iii
/un a Toulouse: <oir ci-des-iiN, |i. '|6-, note •'.
' Mollat . n" 1 .■? I 5 1 . (Test le ,'> ih lobre I ,'vi i
t|ue Guillaume |ia\a a la eoiii de itonie luie
partie du iiwimunt' servitiiiin du a l'occasion de
••a noiniiialion : Arch. du \atican, liitroiliis il
Exituf . iv^. '|-j, loi. I 1 eommuilicalion de
M. le chanoine VIIk- '.
' Il aurait été au|iara\aiit [irieur de .Sainl
Paul. — l.a notice de (iiiillauiiX' de Mont
lau/.im , re^liijt'v par doni K->tieiiiiol et lopie»' |wi
dom Fonleiieaii Bibl. de Poitieis», (ailledioii
Fonleneau, t. I.WII, |). V> i el suiv. \ ii'eNl |ws
moins erronée.
' Marcel Fouriiiei. Sliiliils el /•ririléijfy ilfs
I nirei 'lies /i (inriii'^ri . t. I", p. 6->\ et sui\.
S\ \IK. 'l73
assigna, en biens-fonds provenant de ses parents ou acquis par lui, une
dotation dont les revenus devaient être employés à l'entretien de
six étudiants, (les étudiants, cpie la générosité du fondateur mettait
à même d'acquérir gratuitement « la perle si précieuse de la science
catholique», devaient être choisis de préférence, s'il s'en trouvait,
dans la parenté des Montlauxun. J/acte de fondation, passé le
u8 juillet i3i9, fut confirmé par le testament de Guillaume, daté
du ."^1 juillet suivant'"; mais, pour des causes (|ui nous échappent,
il ne reçut effet que quelques années plus tard. C'est le 21 juil-
let i3*i9 que la fondation fut approuvée par Jean XXll ; f appro-
bation de f archevêque de Toulouse ne fut donnée que le 3i jan-
vier i33o. Désormais, le collège fut ouvert suivant l'intention du
fondateur et demeura en plein exercice. Tout(^fois, à la fin du xiV^ siè-
cle, sans doute par suite des désolations (piamena la guerre de
Cent ans, les revenus des in» meubles sis dans le Toulousain cl le
Qucrcy se trouvèrent sensiblement amoindris, si bien qu'il fallut,
en i3()7, réduire les charges auxquelles ces revenus devaient sub-
venir. La réduction fut importante, car, à dater de cette époque, le
collège ne dut recevoir que deux étudiants, dont un prêtre chargé
d'assurer le service des fondations^-'. (!ràce à cette sage mesure, la
volonté généreuse de Montlauzun ne cessa point de porter ses fruits.
Au surplus, en consacrant la portion principale de sa fortune à réta-
blissement de son collège, il n'oublia pas ses proches parents : en
février 1329, il afléctait les revenus d'une terre du Quercy à la fon-
dation d'un anniversaire pour son père et ses frères décédés*'''.
Avec son élection aux fonctions d'abbé s'ouvrit pour Cuillaume
de Montlauzun une nouvelle période. A la dillerence de son prédé-
cesseur, qui, vraisemblablement en qualité de commendataire, se
contentait de toucher les revenus de sa mense, il prit en mains le
gouvernement du monastère qui lui était confié. Nous ne voyons pas
qu'il ait accompli d'autre tâche, si ce n'est celle que lui imposèrent
quelques missions données par le Saint-Siège pour fexécution de
'■' Archives de la Haute-Garonne, série 1), M. Albe). Cf. sur ces fondations l'acle ton-
(iiisse «Divers collègts». serve au Trésor <l('s chartes, cité ci-dessus,
'*' Marcel Fournier, op. rit., I. I', p. (igfî p. 467, note 3. D'après l'abbé de Foulhiac,
el suiv. cité par Lacoste dans son Histoire da QuercY,
<'' Terre de Caminci, commune de Le- Montlauzun aurait, dès i3a4, fondé une ch;i-
bii'il, canton de Montcuq (communication de jx-Henie à Cahors.
iiisr. i.rrriin. — \\\v. (io
47/1 GLILLALME DE MONTJ.Al'Zl \ , flWONISTE.
rescrits pontificaux concernant en général des ck-rcs ou des moines
(le la région'*'. Le succès récompensa ses efforts : en mars i33o, les
visiteurs de l'Ordre de Cluny constatèrent le bon état moral et maté-
riel de Montierneuf, qui comptait alors trente-neuf religieux, y
comiîris l'abbé'"^'. Ils n'y avaient point trouvé Guillaume, occupé lui-
même en ce moment à visiter les maisons dépendant de son abbaye;
mais ils recueillirent un témoignage de l'estime où il était tenu, hv
sénéclial de Poitou avait été saisi de plaintes très graves contre le
prieur de l'Arlige, maison subordonnée à Montierneut. S'il ne le lit
point jeter en prison, c'est, déclara-t-il, par égard pour l'abbé,
ob leverenliam ilicti abbalis. 11 ajouta c[u'il ne recourrait à ce moyen
extrême que si Montlauzun ne réussissait point, par sou action per-
sonnelle, à réprimer le désordre et à en cbâtier l'auteur.
L'abbé de Montierneuf ne se borna pas à maintenir le bon ordre
dans le couvent qui lui était conlle; il se préoccupa de faire des
revenus qu'il percevait un emploi conforme à leur destination. C'est
ainsi qu'il établit au monastère une librairie et la garnit de manuscrits
dus à sa libéralité'^'. De même il fonda dans l'église une cliapellenie
dite du Saint-Sacrement [Corpus Christl),el la cbargea, par semaine,
de trois messes qui furent dites les messes «du point du jour»''';
remarquez que cette fondation s'accorde bien avec le développement
de la dévotion à l'Eucharistie, attesté par la solennité de la Fête-Dieu
qui se généralisa sous le pontificat de .lean XXU.
Montlauzun était libéral; mais, en bon juristt', il tenaità maintenir
intact le temporel dont la défense lui était conliée. De cela nous avons
au moinsdèux témoignages. En i336, il fait procéder à une en(|uête
sur les di-oits fie justice ([ue son abbaye prétend posséder à Ghiré''''.
'■' Cl. Mollat , 11° 10385 ; ahbc Vidai, /,c»/7;> de In science du droit eu France, p. 197)-
loniniunes de Benoît XII, ri" 1117, :!')'l>, '' d'illiii chrislinud . l. Il, col. 1270-1:171.
tiqni), 53^1, O738, <>8o7. '■' " lleni est iina capellania fundata in allaii
'*' Rédct, Visite des tnona>lères de l'Ordre de « ([iiod diiitur de Coi pore Clirisli, per il. (iiiil-
('lariY situés dans la province de Poitou, I^iSO, «leliiiiiiii de Monte Lauduno, linjus inonaslerii
/."i'/ii, dans \e!i Archives historiques du Poitou, « abbateni, oneiala de ii[ missis cjualibet hebdo-
I. IV, p. '107 et siii\. — \ ers le temps où « iiiada diceiidis in auioia diei, et vocalur missa
.Montlaïuun la gouvernail, l'abbaye de Montiei- « r/» point du jour « (entrait d'une notice du
neul compta iiarmi ses membres un moine, xv' siècle copiée par doin Fonteneau, Bibl.de
Pierre Bonnelie, solemnis doctordecretorum, ^u'i Poitiers, Colleclion Fonteneau, t. XIX, p. 5o8 ;
fut orofesseur à Angers et finit sa carriéiT communication de M. Léonce Célier).
en '.349 comme abbé de Saint-Aubin en '"' Arcb. de la Vienne, série H, Monlier-
celle même ville (Marcel Fournier, Histoire neuf, liasse 9.').
SA VIE.
475
Le 4 mai i34'j, il oljfienl du Parlement une sentence condamnant
l'abbé du Jard*'' à payer à Montierneuf une pension annuelle de
5o livres tournois pour le temporel de la chapelle de Saint-Nicolas-
du-Jard. C'esi au hasard cpie nous devons la conservation de ces deux
uicnlions'-*; il n'est pas impossible que Montlauzun ail soutenu en
justice d'autres procès dont la mémoire ne nous a pas été conservée.
Lougtem])s il garda sa lucidité et la vigueur de son esprit; car, à
une date qui ne peut êlre antérieure à i3^(0, il écrivait encore un
commentaire sur la constitution de lîenoît XII réformant les moines
noirs. Son gouvernement abbatial se piolongea jusqu'à sa mort, sur-
venue le 2 janvier i343'^'. Sou corps fut inluimé dans l'église du
monastère, à la droite du maître-autel. Au cours de sa dernière ma-
ladie il avail, par testament, légué 2 5oo livres de petits tournois à
l'œuvre de l'église du monastère, qui avait grand besoin de répa-
rations'*'.
Quehjues seuiaincs plus tard, le 3 avril, Montieiiieul recevait les
visiteurs chargés, en vertu de la constitution de l'Ordre, d'examiner
la situation spirituelle et temporelle de la maison. Du procès-verbal
de leur visite'^', il résulte que la communauté était aussi nombreuse
qu'en i33o, et que son état spirituel ne méritait point de graves
critiques''''. Il n'en était j)as de même de l'administiation temporelle
de Guillaume de Montlauzun : les visiteurs constatèrent à reyrel
''' Monastère de Lieu -Dion- en -Jard, des
l 'remontres, au diocèse de Luçon.
''' Arch. nat., X" y, fol. 298 v". Nous en
devons la connaissance à l'obll^'cante éiiidition
de M. Léonce Célier, ainsi que celle des ren-
seignements résumés dans la note qui suit.
'' On lit dans le cartulaire-obituaire du
w' siècle, conservé aux Archives de la Vienne
(H ao5, fol. 30 \°), la mention suivante :
«Servicia que fiunt in Quadragesima
«Reverendus dominus abbas de Monteloduno,
«qui glossavit Clementinas et composuil (rac-
« iatum sjiper sacramenta ecclesie et luit nota-
« bilis doctor in dccrelis, qui sepelifur ante ma-
l'gnum allare a laleredexiro. »
Au folio 149 \°, on lit: «Die iv" nouas
<> januarii, dcnosicio dompni Guillelmi de Mon-
«telauduno, riujus monasterii abbatis. « Le suc-
cesseur de Guillaume est mentionné au cours
de l'année i343 (Bibl. de Poitiers, Coll. Fon-
leneau, I. XIX, p. 477, copie d'une pièce (irée
des archives de l'abbaye).
'*' Voir sur l'exécution de ce legs et la dif-
ficulté que souleva le successeur de Guillaume,
une lettre de Clément VI (Déprez, Lelircs doses
]Hitentes cl cuiialcs de Clément 17 se rupporlnnl
à ht France, n° aog). Celte lettre est du 3 juin
i343. Déjà, à cette date, Etienne, qui avait
été choisi pour succéder à Guillaume comme
abbé de Montierneuf, était venu à Avignon et
avait été transféré par le pape au monastère
de Saint-Thibery, diocèse d'Agde, en qualité
d'abbé.
'■'' Rédet, Visites des monastères de l'Ordre de
CUmy , etc.. . , loc. cit., p. 4i3.
I'^' Les visiteurs disent que les vicaires du
nouvel abbé ont pu ramener le service divin
ad statum pristinum ei debitum; comme cela
s'est fait en quelques semaines , il y a lieu de
croire que le mal n'était pas grave.
Go.
/i70 GllJI.LXlJME DE MONTLALZDN, CANOMSTE.
qu il avait laissé dépérir les édifices du monastère et les biens de la
inense , faute de faire les travaux d'entretion qui eussent été nécessaires,
et que cependant il avait épuisé toutes les ressources disponibles.
Ils lui reprochèrent donc des dépenses exagérées, qu'ils paraisseut
imputer aux divers procès soutenus par lui à l'occasion des droits
tie servitude et (le justice prétendus par les représentants du domaine
royal. Ces procès auraient coûté fort cher, sans compter que, par
suite des incidents qui s'y produisirent, le temporel du monastère
avait été mis sous la main du roi el y était demeuré jusqu'au jour
où, par l'elfet d'une démarche qui suivit immédiatement la mort de
Montlauzuii, les représentants du nouvel abbé réussirent à obtenir
la mainlevée. N'y a-t-il pas quelque exagération dans ces critiques?
Les visiteurs n'ont-ils pas subi l'inlluence des o])posanls qui ne
|)Ouvaient manquer dans une communauté nombreuse, aux dernières
années d'un gouvernement abbatial qui avait duré un qu.ul de siècle!'
Ont-ils tenu compte du legs important lait par Montlauzun pour la
réparation de l'église.' Il est difficile de répondre à ces questions : ce
qui est certain, c'est (pie les archives du Parlement de Paris, poul-
ies dernières années de notre abbé, ont gardé la trace d'un seul
procès, mentionné ])lus haut, qui le mit aux prises avec le monastère
du Jard.
Quoi qu'il en soil , il semble bien , d'a|)rès les témoignages que nous
avons recueillis, (jue Montlauzun lui un supérieur dévoué au bien
spirituel et temporel de son Ordre et du couvent dont il était le
chef, et que, en ce qui le concerne personnellement, il se montra libé-
i"al et désintéressé.
SES ÉCRITS.
(iuillaume de Montlauzun a laissé plusieurs ouvrages consacrés
exclusivement au droit ecclésiastique; ce sont des commentaires des
décrétales publiées de son temps. En outre, on lui doit une œuvre mi-
théologique mi-canonique, 'mli\.\i\ée\e Sacramentale.
I. — Au premier rang des œuvres canoniques de Montlauzun se
place un groupe de deux ouvrages, publiés à quelques années de dis-
tance, qui sont liés par des rapports étroits et .se complètent mutuel-
SES ECRITS. /i77
lement. C'est, avec sa Lccturasur le Sexte de Boniface VIII, l'œuvre
portant le titre d'Apparat us, qui a pour objet à la fois les Clémentines
et trois des plus anciennes des décrétales connues sous le nom
d'Extravagantes de Jean XXII'''.
Montlauzun composa d'abord la Lrc/n/'a sur le Sexte. Il n'est cepen-
dant pas le premier qui ait commenté In célèbre recueil. Jean André,
Gui de Baisio, le cardinal Le Moine l avaient précédé; lui-même les
cite souvent. Au surj)lus, d'un passage que nous avons mentionné, il
résulte clairement que son œuvre est postérieure au couronnement
de Clément V, c'est-à-dire au i4 septembre iSoS'''. D'autre part,
ou verra plus loin qu elle esl ;intérieure au Sa( ramcntalc, composé
vraisemblablement en iSiy'". Ainsi la Lertiira date d'une année
comprise entre i3o6 et i3i6; peut-être pouvons-nous préciser
davantage en la déclarant antérieure à l'année i 3 i 4, époque à laquelle,
pour raison de santé, Montlauzun dut suspendre ses leçons. Pendant
cette période, Montlauzun enseigna le droit canohicpie à Toulouse;
ainsi s'expliquent ses nombreuses allusions à cette ville et à la région
f{ui l'environne. Il s'en faut d'ailleurs de beaucotq) que l'œuvre
de Montlauzun sur le Sexte ait exercé une influence égale à celle des
œuvres analogues de ses prédécesseurs, en particulier de Y Apparat us
de Jean André; Montlanzun est venu trop tard, à un moment oi'i la
])lace était prise. Nous ne connaissons pas de manuscrit de sa Lcctura
sur le Sexte'*'; mais il en existe une édition, donnée à Toulouse
en 1624, et considérablement augmentée d'additions dues au juris-
consulte Biaise Auriol.
Le commentaire sur les Clémentines'""', connu sous le nom dAppa-
''' Nous rappelons que, pour nous conl'oi- |)()itant le n° 679, ronime ronlenaiit lAppa-
nier aux éditions, nous désignerons le premier inlus de Guillaume de Montlauzun sur le Sexte.
de CCS ouvrages parle titre de Lectnra super ''' Inc. : «Magnifiée bunitatis niireque pie-
Sexto et le second par celui (Wippnniliis Cle- lalis Quia a Joiianne et de.Iohanne.n
mcntinariim, MAyvscniTS. Bibl. nal., lat. 4jo8, /|1 i6(les
'"' Voir ci-dessus, p. 469. Extravagantes seulement), i433i, i69()3;Bibl.
''' Voir ci-dessous , p. 48 1. Sainte-Geneviève, 338; Amiens, 369: Arras,
''' D'après Oudin, il en existait un ma- 4^7, 5io, 54i; Angers, 390, Sga , 393; Gam-
nuscrit à Saint-Bénigne de Dijon [Comineii- brai, 628; Chartres, 383; Laoïi, 379, 386;
Inriusdescriploribiis ecclesiasticis A. U\, col. g66); Reims, 743; Rouen, 733, 752; Metz, 112;
cl'. Catalogue ge'néral des mamiscrits des l)iblin- Saint-Omer, 44o, 44 1, 458; Saint-Claude, 11;
ihèques publiques de France. l.\\[). \53,col.->.. Oxford, Corpus Chrisli Collège, 70; Oxford,
C'est par erreur que Schulte (Gcscliiclile der Exeter Collège, 17; Cambridge, Gonvilie and
Quellen nnd Literalnr des canonischen Rechis . Gains Collège, 269; Worcester, Chapitre, F 168
t. Il, p. 197) indique un manuscrit d'Angers, (fragnienti; Esrurial, (! Il 5, G I G, Kl 4,
3 3
/i78
GllLLAUME DE MONTLAUZUN, CAPsOMSTE.
mtiis, est un ouvrage analogue au précédent. Il est consacré, non
seulement au recueil des constitutions de Clément V, promulgué le
2 0 octobre iSiy"), mais aux premières en date des Extravagantes de
Jean XXII, à savoir, les décrétales Suscepli regiminis, Exsecrabilis et
Sedes ApostoUca. En deux passages où l'auteur traite des origines de
l'Islamisme, il nous averti! qu'il écrit au juinlemps d'une année qui
ne peut être que i3ig ou i32o'^*. Or l'ouvrage est dédié, comme
on l'a dit plus haut, à l'infant Je.Tu d'Aragon, auquel l'auteur donne
le titre de chancelier du royaume, titre qu'il a cessé de porter à la lin
de l'année iSig'^^ Nous pouvons en conclure que Y Appnratas sur les
H 1 1 ; Berlin, Bibl. royale, Coiliccs clccloialcs,
683 ; Bamberp, P 111 3 ^t ) 9 ; Praf^ue , IV D 3 ;
Bamberg, PII 23, et Berne, 4go; Pérouse,
3o6 (ces trois derniers manuscrits ne com-
prennent que le commentaire sur les Extrava-
gantes). J. W. Bickell, à la p. 12 de l'ouvrage
cilé ci-dessous, signale deux nianusciits du
commentaire sur les Extravagantes conservés à
Stuttgart, dans la bibliothèque du Boi. On
trouve au fol. 171) du manuscrit Arundel 432 ,
au Brilish Muséum, une vepeùtio sur l'Extra-
vagante Exsecrahilis.
Editions. Borne, 1/175 [Glossœ in lies
H.Ttrindganles Johnnnis XXII: Hain , Rcpcrlo-
iinm,n° 1 1 ^gS) ; Bouen, i5i2, édition frag-
mentaire, avec ce litre : Appuiiilus consliln-
(ionum Cknwntis papœ <iiiiiili qiiœdnin pai iicuUe ;
Paris, 1517, in 8° ; le conrnientaire sur les
Clémentines est imprimé, du moins en partie.
Ml tome VI des llcpelilioncs jiiiis canonki (éd.
de N'cnise, 1587, fol. r3S;éd. de Cologne,
1G18, j). 282 et suiv.). Le commentaire sur
les trois Extravagantes ligure dans le mémo
lomc VI (Venise, fol. 1 , 23, 25 et Cologne,
p. 1, 48, 5i de la seconde pagination). La
glose sur les Extravagairtes a aussi été insérée
par François de Pavinis dans son Dacidits pas-
loralis sive Iractnlus visilnlioiiiun, ouvrage im-
primé à Paris en 1 5o3 et en r 5o8 (cf. J. W.
Bickell, p. a5). On lira plus loin ce qui est
dit de l'insertion du commentaii-e sur les
Extravagantes dans les éditions glosées des Ex-
travagantes communes au Corpus ji<ris rniw-
uici. Sur ces diverses éditions, J. W. Bickell,
Ueler die Entslehung iiiid dcn heiitigen Gc-
hrnach dcr heiden Extraïugoutensammlungen
des Corpus jnris canonici, Marbourg, 1825,
p. 25.
'- Pour des raisons que nous ignor'ons,
Morrtiauzun s'est abstenu' de commenter la
célébr-o l)ulle de Clément V, Exivi de Para-
dlso, concernant l'interprétation de la règle
des Frères Mineurs ( 1 , Clément., V, 1 1 ). A-t-il
cru devoir étendi'e à celte corrstitution la dé-
lense jiortée par Nicolas 111 dans sa bulle
Exiit qui séminal sur le même objet (3, 5ex/e,
V, 12)? Le pape \ dit formellement : ut glosse
non fiant , sauf pour des explications relevant
de la grammaire. D autres commentateur's des
Clémentines n'ont pas eu ce scrupule.
'^' Les deux passages où l'on rencorrtre cette
indication se trouvent dans X Apparatm sur les
Clémentines : sur- 1 , Clém., I, i , et sur c. un,
Clem., V, 2 [Appar. Clément, fol. 3, v° et
Bibl. nat., lai. 16902, loi. 167). Ces passages
sont corrompus; mais l'allusion à l'année de
rincarnalion est irrconlestabic. On y trouve une
allusion erronée à une année où il faut voir
l'année 709 tle l'hégire, coriespondanl à l'an-
née iSig de l'ère chrétienne.
■' En i32o, le royauirre d'.\ragon avait un
autre clrancelier (Finke, Acta Aragonensia .
l. 1, p. xi.lll). D'ailleurs, .lean fut pourvu de
l'archeviVhé de Tolède le r4 novembre i3r9
(Eubel, Ilierarchia, t. 1", p. 487). C'est sans
doute à cette occasion qu'il renonça à la
chancellerie d'Ar-agon. Ainsi VApparalas est
antérieur à cette date, ou tout au moins à
l'époque où Monllau/un eut connaissance de
la nomination de l'irrfant. D'autre part,r.4/i-
pnratus sur les ('lémentines (voir ci-dessous,
et fol. 2i5 \° du manuscr'it lai. 1690a de
la Bibl. liai.) l'ait allusion à une décrétalc de
Jean XXll, favorable au Tiers-Ordre de saint
François, qui parait être celle du a3 février
i3i9 (Eubel, niillniinm frnnciscannm , t. V,
SES l'IClUTS. 479
Clémentines lut composé en iSic). Il précéda ainsi de quelques
années l'ouvrage analogue de Jesselin de Cassagnes, publié en i333,
et celui de Jean André, publié en iS^ô*''.
L'œuvre de Montlauzun lut accueillie favorablement par les cano-
nistes, à en juger par le nombre des manuscrits et des éditions
([ui sont parvenus jusqu'à nous. Mais, du moins en ce qui concerne
la partie (pii traite des Clémentines, son succès demeura intérieur
à celui qui était réservé au commentaire de Jean André. Il n'en lut
pas de même de la portion de \ Apparalus de Monllauzim consacrée
aux trois Klxtravagantes; au début du xvi'' siècle, Cliappuis la fit
imprimer dans le Corpus juns canonici, comme commentaire du
texte de ces mêmes décrétales insérées dans la série des Ecctravcuiaiiles
loininunes^'K Son exenqale fut suivi par d'antres éditeurs du grand
recueil canoni([uc, si bien ([u'on ])eut dire ([ue ce commentaire tle
Montlauzun devint une œuvre classique, familière à tous les juriscon-
sultes.
Dans ses divers commentaires, Guillaume de Montlauzun suit une
marche identique. Se conformant à l'ordre des décrétales, il les étudie
successivement, en commençant par indiquer la division de chacune.
Puis il en lait connaître les origines, qu'il a recherchées dans la
législation antérieure ou encore dans la glose ou dans les écrits des
canonistes. 11 passe ensuite à l'explication du texte, eu la rattachant
à chacun des mots importants qu'il met en évidence, selon le
procédé si fréquemment employé par les juristes à cette époc[ue.
Le commentaire est abondant, et, sous la plume de l'auteur, se
transforme parfois en un exposé magistral.
Outre le Corpus juris canoiùci, le Corpus j uns civilis et les gloses
qui les accompagnent, Guillaume de Montlauzun cite, dans ses
commentaires, de nombreux ouvrages : les Livres saints; parmi les
écrits des canonistes, ceux de Hugucio, de Vincent, de ÏAbbas aiili-
|). i63). Tout compte lait, i'Apparatiis sur les '' l-e texte et le commentaire paiiu'ont
CIcinenlines ilale viuiseinblahlement du piii\- en i5oo, à Paris; Clia[>puis a publié les
temps flo rain)éc iSiQ. E-vtravarfanles cominaiwi , à la suite des E\-
''* C'est à toit qu'on a présenté VApixiiahis travugantes de Jean \.\II, pour l'édition du
de Jean André sur les Clémentines comme le Corpus juris cdiioniri entreprise par Ulrich
premier en date des commentaires sur ce re- Gering.
cueil (Schulte, np.cit. . t. Il, p. 317 et 2/(8).
'i80 GUILLAUME DE MONTLAUZLN, CANON JSTE.
(juiis, de Bernard de Coiripostelle, de Guillaume Durant l'Ancien,
de Henri de Suse dit le cardinal d'Oslie, de Garcia, de Geofiroi de
Trani, du cardinal Le Moine, de Pierre de Sampson, de Gui de
Baisio et de Jean André; parmi les écrits des légistes, ceux d'Azon,
de Dino de Mugello, d'Albert de Pavie et de ]acc\\iesBaIduiiii.
Montlauzun, dès qu'il eut quitté le Languedoc pour Poitiers,
semble avoir abandonné ses travaux canoniques. Alors que Jean XXII
promulguait de nombreuses décrétales qui attiraient l'attention de
tous les jurisconsultes, il s'abstient d'en donner l'interprétation :
il est tout entier à ses devoirs monasticjues. Mais c'est la considé-
ration de ces mêmes de\oirs <|ui devait plus tard, le ramener an\
études juridiques ; il se retrouva canoniste (juand il s'agit d'e\-
pliquer un texte du plus grand intérêt pour les religieux de son
Ordre.
Entre les décrétales de la première moitié du xn*" siècle, l'une
des plus célèbres est celle par laquelle Benoît XII réforma les moines
noirs, c'est-à-dire les anciens bénédictins et l'Ordre de Cluny.
Elle est datée du .20 juin i336 et conq)rend trente-neul articles,
qui peuvent être ramenés à queKpies points : organisation des cha-
pitres généraux, particuliers et de visiteurs, réorganisation minu-
tieuse des études des religieux, discipline à laquelle ils sont soumis,
administration du temporel. Cette constitution de i336 fut com-
plétée par une seconde bulle du même pontife, en date du 3 dé-
cembre i34o. Montlauzun, à la différence de quelques-uns de ses
collègues, supérieurs d'abbayes françaises, n'avait pas été appelé à
participer aux travaux préparatoires; mais il crut bien faire de
commenter la nouvelle décrétale. A un âge avancé, il composa un
ouvrage ini])ortant, demeuré inédit, que nous ne connaissons que
par un manuscrit : le n" Ai'^i du fonds latin de la Bibliothèque
nationale '*\ L'auteur avait sous les yeux, non seulement la consti-
tution de i336, mais la bulle de décembre i34o; c'est dire qu'il n'a
pas achevé son œuvre avant i34i : or, on sait qu'il mourut le
2 janvier i343. Son commentaire est donc un fruit du travail des
dernières années de sa vie'-'.
''' Manuscrit du xiv' sièclr. Ixc. : ii()uo- ''' II n'y a donc pas lieu de s'étonner de voir
niani de clcmentissiino papa nostro. . . » <|u"il mentionne (Toi. (5 ) les chapitres de Cluny
SI'.S l'ICMITS.
'|8I
CoiMinc dans sfs |)nT('(lriils oux rages, \lonlIaii/uii siiil pas à pas le
U'\te (le la bulle. Il s'y montre plus que jamais écrivain ahondant, se
livrant à de nombreuses dif)ressions, souvent intéressantes pour l'iiis-
lorien des idées et des nxeurs du XIV^siècle. 11 y met à contrihution les
sources du droit canonique et du droit civil, comme dans ses précé-
dents ()uvra<,res; on y reuKirrpie même une citation des Lihri Feudo-
riim. Ainsi qu'on peut s'y attendre, il y l'ait nsa<;(' des textes bibli-
(pies; il y invo([ne aussi les règles de saint Benoît et (!«• saint Basile,
les écrits des l'eres et (fU(d(pu's légendes de saints.
11. — Les liommes du moyen âge ont moins connu (luillaume de
Montlauzun par ses commentaires sur les décrétales (nie par son
(cuvre intitulée Sacranirntnlc'^ \ d'un caraclèi-e mixte, Itmant à la l'ois
de la tliéologie et du droit canon. Il coin])osa cel ouvrage après l'aNè-
iienuMit de Jean XXll; nous n'en pouvons douter j)uls(|u'il y fait allu-
sion à un incident (][f conclave où lut élu ce ])onlité<-). Ainsi \e Sa<ra-
inenlale \\\'s[ ])as antérieur an mois d'août i.'^it); toutefois il l'ut aciievé
avant la composilio)i de 1" [ppnrnhis sur les (Héntenlines, c'est-à-dire
avant i3i().0n peul le déduire de ce que l'auteur ne ])rend pas le titre
d'abbé, (pi'ilporlaitdés le mois de juillet i 3 i 9, et aussi de ce que, dans
son prologue, il renxoie bien à son commentaire du Sevle, mais non
à l'ouvrage consacré aux Clenu'ntines. Il imus semble d'ailleurs qu'il
n'est pas im])ossible de préciser davantage. Nous inclinons à croire
(pie le SacrumeiHalc date de 1 3 1 7 , j)arce (ju'il resulie d'un passage de
cet écrit'*^ que l'auteur considérait encore comme en vigueur la
décrétale de Benoît XI ////(■/• 'ciwctas^''\ Or celte décréatale, réputée
pl de (Jnioges, tenus, ilit-il, au lours île In
première année iiui siiisit la iiminul^alion de
la bulle.
* Im;. : «Cai'issiiiKi lilio suo. . . Si^naluni
est super nos lumen ...»
MAyvscniTs. Bibl. nal., lat. Saoi à 0-207.
■i/iVr), iogS, /|ioi , /|io<S: Ma/.arine, iSaô;
Amiens, 076 ; Arras, 6()o; Bayenx, chapitre,
■ )7; Charti-es, '.'>2-j ; Laon, 386; Heiins, .'iio.
.")2i, -jV); Saint-Mihiel, oq; Tours, 487 et
438; Troycs, 1360; \iitir.' l'alat. I.tl. (i()3:
HAle, Cl. i(); ()%i;ud, Balliol Colle-e,
1 48; Cambridge, CorpuN (,'hristi Colle-e, 8'i
(incomplet); Escurial, P 1 3; Trêves. a5i;
Munich , 3.)() I7, •!()8() I , etc. jKiiurl , 1 9/4 ; l'.ain-
berf,', Q. M. 48; Mnf(deb()urg, Gymnase, 101 ,
3o(i; Dresde, P .S.'i; \ieiuie, Schottenstil'l ,
IF a, 5; Prajjue, l niversité, V 3 17. Les
derniers manuscnts ont été signalés par Schtille,
op. iit., l. II, p. ic)8, note <).
'' Il s'agit de la conduite que tint alors le
cardinal Bérengei IVédol , qui s'abstint de par-
liciper à l'élection, el n'entra jias au conclave.
'' Bibl. nal., lai. .>!o5,foJ. 12.
'*' On trouvi! le texte de celle décrétale dans
les Kxlra\agantes communes, où elle forme le
chajiitro i du litre Dr prmhgiis flib. v).
(il
482 GUILL\111VIE DE MONTJ.AUZIN. CWOMSTK.
trop favorable aux Ordres nieiuliants, fut abrogée jiar une bulle ai-
Clément V, la bulle Diidiun, insérée aux Clénieulines''' et, par consé-
quent, publiée le 25 octobre 1017. H serait surprenant que, s'il avait
écrit en i3i8, Montlauzun, en général bien informé, eût fait état He
la décrétale Inter ciinrtas qui dérogeait au droit commuu, si déjà
elle avait été abrogée.
Au début du Sacramentale, Montlauzun fait connaître le but qu'il
y vise. On sait que jusqu'au xi*^ siècle le droit canonitjue n'était
qu'une brandie de la divinitas , comme on disait alors, c'est-à-dire de
lii théologie. C'est surtout sous l'influence du puissant mouvement
d'idées dont la querelle des investitures fut l'occasion qu'il pril
l'allure d'une branche distincte et autonome de la science sacrée.
L'évolution par laquelle, vers la même époque, fut restaurée la con-
naissance scientifique du droit romain, ne fit qu'acceutuer celte ten-
dance en fournissant au droit canon une méthode et des catégories.
Au xiiT'' siècle, la séparation de la théologie et du droit canon était
accomplie. Chacune des deux disciplines demandait cinq ou six ans
d'études; aussi était-il rare de rencontrer un clerc qui se résignât à
un long et fastidieux travail pour acquérir la connaissance approfon-
die de l'une et de l'antre. On pouvait être canoniste, voire même
docteur en décrets, sans être versé dans la théologie, et, réciproque-
ment, il arrivai! souvent que les théologiens fussent étrangers au
droit canonique. CepcMidanl, comme le marque bien la légende d'après
laquelle Pierre Louibarrl et Gratien étaient frères, les deux sciences
étaient étroitement apparentées; elles avaient même en plusieurs
provinces un domaine commun. Or, (piand ilsy pénétraient, les cano-
nistes,eu contact avec les nécessités de la vie pratique, et mal habi-
tués aux raisonnements des théologiens, s'étonnaient de quelques-unes
de leurs conclusions et jwrfois les contestaient. En nwanche, il dut
arriver quelquefois ([ue l'ignorance des jurisconsultes en matière de
théologie causa du scandale. On connaît le jiassage où un contempo-
rain, le continuateur de Guillaume de Nangis, place les maîtres en
héologie de Paris bien au-dessus des juristes, dont il y avait alors un
si grand nondjre en Avignon, parce ({ue ceux-ci ne savent guère de
'' 2, (liéineiit., III, 7. — Dans son coin- tiit liirl bien que la bulle de Benoit \l a été abio
inenlaiie sut la constitution de Benoit XII j;ce par Clément V (Bil)l. nat., Int. 'util.
|>our la ri'fornie (les moini"; noirs, MontliUl/uii loi. 'i i v").
SES ÉCKITS. /i8;i
théologie, tandis ([uc ceux-là mclias sciant (juod débet tcneri et credi in
Jide '".
Out'hjues années avant l'époque où lurent formulées ces critiques,
Monllauzun avait estin)é indispensable de réunir en un volume
les notions nécessaires pour donner à ses confrères canonistes une
intelligence plus complète de l'enseignement théologi(jue sur les
matières mixtes. Tel est l'objet du Sacrameiitale. L'auteur annonce,
dès la première page, qu'il y traite de certains points ihéologiques
[(juedum pnncta theologica] dont les canonistes n'ont pas l'intelligence
claire, autant parce qu'ils ne connaissent pas le vocabulaire des théo-
logiens que parce qu'ils ne savent point suivre leurs raisonnements sub-
tils {propter subtilem eoium inodnm Iradendi vel tractandi). Monllauzun
e-nlend d ailleurs n'en faire qu'un bref exposé, se restreignant aux
matières qui sont en relations étroites avec les cas étudiés par les
(•anonistes et avec les principes de leur science'"'.
Ayant ainsi indiqué l'objet de son livre, l'auteur donne la table
des chapitres dont il est conq)osé. En la parcourant, le lecteur
s'aperçoit bien vite que, conformément au titre de son ouvrage, c'est
surtout la matière des sacrements que l'auteur étudie : c'est d'ailleurs
vraiment le domaine mixte, relevant à la fois des deux disciplines,
comme on peut s'en convaincre en ouvrant les écrits de Gratien et de
Pierre Lombard. Les six premiers chapitres sont consacrés à la
îhéorie générale des sacrements: «de caractère, de clave ordinis, de
clave juridictionis, de verbis,de signis, de sacramentis in génère... »
Les chapitres (pii suivent traitent successivement des sept sacrements :
baptême, confirmation, ordre '^', eucharistie, mari;)ge, pénitence et
l'xtrème-onction. L'ouvrage se termine par divers chapitres où sont
exposées des matières connexes à la théorie des sacrements, parce
qu'elles concernent ou ceux qui en sont les ministres ou les fidèles qui
les reçoivent : ces matières sont celles des indulgences, qui se ratta-
chent à la pénitence, les causes diveises qui peuvent rendre le n)inistre
■'• ('hiuni(iiie latine ib; Guillaume de Nnngis , sncremenl remplissent oii/.e rhapitres, à sa-
imI. lie la Soriélé de l'histoire de France, I. Il, \oir : «De sacraniento onliiiis in génère, de
]>■ 1-58. ordine psalmistatus, de ordine clericalus,
' Nous analysons iri le préambule du de ordine hostiariatus, de ordine lectorialus,
Sacramentale. de ordine exorcislalus, deolFicio acolitalus, de
-'' L'ordre l'ournil la matière de plusiiiiis ordine subdiaconatus, de ordine diaconatus,
rhapiires. les développements concernant ce de ordine presbiteratus, de ordine episcopali. «
61.
484 Gllll-LVLIMK DE VIONTLM/IN. CWOMSTK.
du sacrement irrégulier, les censures ecclésiastiques, qui soiil «les
causes d'incapacité, soit pour le ininlslrc, soit pour le suj(!l des
sacrements, et enfui la théorie générale de la dispense.
Outre les textes et les gloses de l'un el d«> l'autre droits et les écrits
des canonistes mentionnés dans les précédents ouvrages (aux(|(iels il
faut ajouter le traité De eacomnianicalloiu' cl inlerdicto de liérenger Fré-
dol), l'auteur invoque f autorité de la Bible, celle d'un livre lifurgi-
(lue, le Ponlillcal, celle de saint Augustin, de saint Ambroise, de saint
Grégoire, du pscudo-Areopagite, de saint (Juvsostome, de Pierre
Lombard, de Hugues de Sainl-Viclor, de fnreTlioinas, qui n'est autre
que saint Thomas d'A([uin, canonise eu ['^■^'^, de hère Raymond,
c'est-à-dire de saint Raymond de Peiiafort. Enfui on rencontre dans
le Sacramentale le nom (f Arislote.
Il convienl de Faire remarquer (pif Montlauzun ne s'est ])as ciu
obligé de présenter, sur chacune de (^es matières, un aperçu (fen-
semblede l'enseignement. Souvent il s'est restreint à ce qui lui a paru
nécessaire pour atteindre sou but. Ainsi, à propos du mariage, il
<X)ncentre sou attention suc les liaucaillcs, sur la formation du lien
conjugal, sur l'indissolubilité de ce lien et sur le pouvoir, appartenant
à l'Eglise, de tranchei- les questions mafiimoniales, parce (pif tout cela
dépend étroitement de la théologie; en revanche il néglige les euq)('-
chemenls au mariage (|ui relévenl surtout du droit canonique et
u'olfrent guère de dillicultés d'ordre théologi([ue. Il lui arrive d'ail-
leurs de ne pas traiter ex projesao les questions im|)Oitantes (jui, sur
la matière des sacrements, divisent les théologiens de son temps; il
se contente souvent de faire connaître en brel les diverses solutions
(fune controverse, sans nommer les auteurs au\(|uelsil les emprunt(!.
Encore qu'il se montie jiarfois é(lecti([ue. il piMiche le plus sou\ent
vers les opinions communément admises, et il lui arrive de ne pas
indiquer la solution cpii a ses préféiences. Sou (BUvre est plus un
répertoire qu'un ouvrage scientilique.
Les chapitres du Sacrainenlule sont de longueur loit inégale :
])lusieurs (l'entre eux présentent de très abondants développements,
tandis (pie d'autres sont beaucoup plus brels. (le (jui accroît encore
ladillér(>nc(; entre les divers chapitres, c'est que l'œuvre de Montlau-
/.un n'est pas homogène, f-ia plupart des chapitres sont des exposés
didactiques, construits méthodiquemenl, oii les textes sont invoqués
SES KCKITS. 4Hr)
comme des ai-<;uin«'nls à l'appui des conclusions proposées. Mais
(pielques chapitres ne sont autre chose que des commentaires de
décrétales, doni ranlcnr se borne à interpréter le texte. C'est ainsi
((ue l'important chapitre sur le baptême est un comnientaire de
la décrétalc Majores du pape innocent III (c. 3,X, ni, /^i); de
même le cha])ilre sur l'eucharistie est lait du commentaire sur la
décrétale Cuin Marthœ du même pontile (c. () , X, in, 4i)- H semble
(pie l'auteur ait emprunté ces chapitres à un Apparalm sur les décré-
tales de (jrcgoire I\, non connu de nous ' , qu'il avait peut-être coin-
po.séen vue de son enseignement, quand il était professeur à Toulouse,
et qu'il les ait transportes dans son œuvre sans se donner la peine
de les relondre. lien résulte que ces portions du Sacrameiitale ne sont
pas en harmonie avec les autres : l'auteur, suivant pas à pas le texte
de la décrétale, se trouve amené à des hors-d'œu\ re et à des dijrres-
sions -', au lieu d'observer la méthode à laquelle il se conlbrme dans
les autres parties du Sacraincntale. H a sans doute simplilié son tra-
vail, mais la composition de son œuvre n y a pas gagné.
Il n'est pas dilîlcile d'apercevoir les motils (pii ont valu au Sacra-
meiitale le succès (pi'il a obtenu. D'une |)arl, il précise les points sur
les({uels les théologiens et les canonistes étaient j)lus ou moins en
désaccord; à titre d'exemple, on peut citer les controverses sur les
formules du baptême"'', sur l'institution de l'Extrême-Onction '"',
sur le nombre des ordres sacrés "', sur la nécessité plus ou moins im-
périeuse de la confession ''' et sur la prétention des curés à prononcer
des excommunications'' . Kn second lieu, Montlauzun évite, autant
qu'il le peut, les questions qui, de son temps, donnent lieu à de vives
<'' \u couis (lu comiiifiilairf i\f la flétri'- 1-ilii et l'iilris cl Siiirilns Sniirli (Bibl. nal.,
lalo Cum Maiilue (fol. la \°), mi trouve un lai. o2o5, lot. ?..'> et a4). Sur ces lonliover-
ifiivoi a ce qui est dit supin in pinhemio liiijifi ses cl celles indiquées plus loin, cl. J.Turmel,
lihri. qui semble bien viser la dernière partie Hisloirc dr lu Théoloijic jmsilivi- depuis l'oriyiiir
(le la décrétale He.v iKiii/icus, prologue des jusqu'au nmiilc dr Tronic. Védil., p. /ii^el
décrétales de (in'goire l\. Ce t'ait conlirme suiv.
notre hypothèse . d'après laquelle Monllauzuii '*' Ihid.. fol. G3 v".
aurait utilisé un commentaire des décrétales <'' La tonsure est-elle un ordi»;.' (Ibiil..
de Grégoire IX. fol. Stî v ). La même question se pose pour
'-' Ainsi, en connncntanl la décrétale Cunt ré|iiscopal ; cf. Lerlnni super Sexio , fol. 3, cl
Miirthœ , ii traite de la limite des pouvoirs du Sacrnmentnle . fol. ^i.
pape et de certaines questions qui concernent ''■ Ihid., fol. 62.
les fins dernières. >' Ihid., M. -]{) \".
'^' Baptême /» uoininc Cliristi, in nouùiic
480 GUILLAUME DE MONTLALZUN, CANOMSTE.
cuiilioverses,ou tout au moins ne s'y engage pas à fond; par exemple,
la question alors brûlante des droits réciproques des curés et des
religieux mendiants'*', ou encore la discussion relative à l'immaculée
Conception , dont il eût pu être tenté de s'occuper à propos du baptême;
grâce à cette prudente réserve, il ne iieurte aucun de ses lecteurs.
En troisième lieu, l'auteur trait»' d'un grand nombre de dilTicultés
|)ratiqucs (|ue soulève l'administration dt-s sacrements'"^*; il sulïit,
pour s'en rendre comjjte, de parcourir les pages où est exposée
la théoiie du baptême. Pour ces divers motifs, le Sacramentale lut
accueilli très favorablement, et, dès sa publication, se répandit dans
les diverses églises d'Occident; la quantité des manuscrits qui en ont
été conservés jusqu'à nous le démontre suffisamment. Ce succès ne
s'est d'ailleurs pas maintenu jusqu'à l'époque moderne. Baluze faisait
remarquer qu'il ne connaissait pas d'édition du Sacramentale''^\ cl
là-dessus, nous en sommes au même point que Baluze. Il n'en est
pas moins vrai que le iSucramenlalc mérite l'attention des théologiens,
et plus encore celle de quiconque s'intéresse à l'histoire du droit
canonique dans ses rapports avec la théologie.
Essayons maintenant de dégager des ccritsde Montlauzun quelques-
uns des traits qui caractéris<:'nt son originale personnalité.
Montlauzun est avant tout un canoniste. H s'est fait une haute idée
de la science à laquelle il s'est consacré. Lorsqu'il traite des études
des jeunes religieux, il a l'occasion de montrer l'importance et les
difficultés de cette science. H ne suffit pas, dit-Il, que le canoniste soit
familier avec les lois de l'Eglise, dont le nombre s'augmente chaque
jour par la publication de nouvelles décrétales; encore laut-il qu'il
soit versé dans la connaissance de la Bible et du droit civil ''*', qu'il
possède des notions suffisantes de la théologie des sacrements, de la
morale, du gouvernement desames, et pour cela qu'il n'ignore point
les conclusions du Maître des Sentences, avec lequel Gratien s'accorde
'' Voii" ce qaen onl dil nos predecesseuis , * Ailleurs, dans son Apparatus sur la con-
à pro[)osde Jean de Pouilli , t. XXXIV, p. aSa ^litlltion de Benoit XII (Bil)l nat., lat. 4i!i,
et suiv. toi. ô v°), Montlanzun montre qu'il sait de
'*' Chemin taisant, il donne son avis sur «piel prix est pour le canoniste la /eja/ij itien/ia,
l'âge moyen de la premii^re communion, qu'il c'esl-à-dire la connnissann' du droit romain,
fixe à dix ans et demi (Ms. cité, foi. /igj. '|"'' dit il, a été si utile ;i Gratien et à Ray-
' Viiw. I. I", p. 809. inond de Penal'ort.
SKS RCniTS. 487
assoz bien'''. La lâche esl considérable; VIontlauzun estime qu'il esl
raisonnable d'y consacrer six années. Il se méfie ajuste titre a études
faites trop hàtixenient. Pour en détourner ses lecteurs, il cite l'exem-
ple d'une trentaine de légistes venus d'Orléans à Toulouse; ils aban-
donnaient le droit civil pour le droit canonique, gràceauquel ils espé-
raient arriver plus rapidement aux prébendes et aux prélatures. Dr ils
étaient si pressés, qu'ils ne prirent pas le temps de se débarrasser des
mauvaises habitudes de l'école orléanaise, où l'on négligeait le texte
pour ne connaître que la glose '■^\ Nous ne savons si Montlauzun lui-
même avait donné à l'étude du droit canonique les six années qu'il
demandait aux jeunes clercs. En tout cas, il avait maîtrisé les cnlfi-
cultés de cette science, dont il possédait les textes, les principes et
les méthodes; ses écrils attestent qu'il avait acquis la connaissance
approfondie (\n droit romain, qu'il juge indispensable au canoniste.
\']n tout cela il ressemble à nombre de ses contemporains; ce qui lui
appartient en propre, c'est la clarté et la finesse du raisonnement;
c'est le souci de ramener les solutions de détail à une idée générale;
c'est enfin la tendance, accusée dans toute son œuvre, à tenir compte
des faits et à les placer en regard des règles juridiques. Cela est vrai,
qu'il s'agisse des faits du passé, que Montlauzun allait chercher dans
l'histoire, ou des faits du présent, qu'il avait pu observer au cours de
ses voyages. Il n'est pas inutile de demander à (pielqnes (>\emples
la preuve de cette dernière assertion.
Le goût de Montlauzun pour l'histoire se traduit en plus d'un pas-
sage de son œuvre, ("est ainsi que, dans son commentaire sur les
Clémentines, il s'occupe de l'origine des religions juive et musul-
mane et esquisse, avec les idées de son temps, une biographie de
Mahomet'^'. Pour justifierles prétentions du roi de France à l'indépen-
dance vis-à-vis du pouvoir impérial, il fait remarquer que c'est dans
la personne de Charlemagne que l'Empire lut transféré aux Germains;
or, dit-il, il est peu probable que, en acce])tant l'honneur qui lui était
lait, Charles ait voulu soumettre à une puissance supérieure son
])ropre héritage, (juod est rcgnum Fmncomm. Jean le Teutonique,
ajoute Montlauzun, est d'un autre avis; mais on peut croire qu'il cède
à son inclination ou à la voix de la chair et du sang''"'.
''' Ibid., fol. 19. — -■ Ibid., Fol. 19 et k) : « (|iiasi «oiilisl de ^dossls juris caiiuiiici, . . . non
• ciirabantde levlii.» — " Appar. ('lemrnt. , loi. 8'!. — ' Appai: Clément. . M. 3'>. \°.
'l88 CIIIJ^MMK l)K MOMLAIZIN, (.WOMSIK.
( !o II t'st pas sciileinenl ;i l'occasion fies ('Néiioioents d ordre i^f-
néral, c'est aussi à propos du déveloj)penient des iiisfitutions ecclé-
siastiques (pie Montlauzuii en appelle à l'histoire. Lorsqu'il doit
traiter des inesui'es ])rises contre les hérétiques, il expose en hrel ce
qu'il sait des lois dirigées contre eux par Frédéric 11 et de la destinée
de ces lois an xiiT siècle'''. S'il s'occupe du personnel exerçant la juri-
diction dans l'Mglise, il ne niaïupie pas de faire reinarcpier ([ue l'ol-
licial est un ])ersoiiiia}^c de création récente, (piil a le tort de taire
remonter seulement an ponlillcat fllnnocent 1\ '. Quand il en vient
à l'élude du sacrement de l'ordre, il rappelle (pie la lormfî primitive
de C(> sacrement se réduisait à l'imposition (l(>s mains accompagnée
d'une prière; il ajoute (pie cette lormi' snlTirail eiicoie à créer des
prétics, si l'Ilglise, cédant plus lard à des inllnences parmi lesquelles
celle de Denys rAréo])agite lui semble prépondérante, n y avait ajouté
d'autres lormes qu'il est nécessaire d'observei- '''. Traitant des sons-
diaci'es, il fait remarquer que la régie (pii leur im|)ose la chasteté ne
remonte pas aux t(Mnps primitifs, et (pi'elle résulte seulement des dé-
crélales de quelques papes, parmi les(piels il nomme Grégoire le
drand'''. A |)ropos d'une décrétale contenue au Sexie, il fait uiu!
courte histoire, d'ailleurs erronée, de l'origine des élections épisco-
pales''\ lue fois élu, le nouvel e\è(pie doit obtenir la confirmation
de l'autorité ecclésiastique su])érieure; Montlaiizun lait remar(puM'
que, /«/(' anninwii , cette autorité est le métroj)olilain assisté de ses suf-
Iragants, et rjue, si le pouvoir de confirmera passé au ])ape, c'est par
prescription que le Pontife romain l'a acquis*''. (!(;tte obseivation lut
relexée par Balu/.e, (jui crut \ trouxer un argument (mi faveur des
thèses gallicanes'^*.
S'il évoque volontiers le |)assé, M(jntlauzun .s'adresse bien plus fre-
(piemment au présent. Il n'a pas lais.sé dans rond)!e le fait que, à la
mort de (Hément V, le cardinal Rérenger J^'rédol a pu continuer
d'exercer ses fonctions de grand pénitencier en s'abstenant d'entrer
au conclave; ce fait constitue un précédent (|ui pourra être utilisé'"*.
' Lvrtuiii super Sf.vlo , (ol. i>.>.. » l'aj);i liiiiuii jaiii prebCiipsil ciiiitra,
'*' \ppt)r. Clenifiil. , loi. 1 o. < iijiis ;iiir|<iill;il(' liddie coiiscriaiilur » [Snrnt-
'' Sanamentale , lîibl. nal.. Lil. .'v'm.'), ;/ich((i/c, Bil)i. iial. . lat. ."ÎTof), loi. /|i v").
li)I. 'lo et suiv. '' Ndlo (le l>alii/.e sur Maica, De <<>»-
' Ibid., loi. j8 \". lonlin iSncerilolii et Inipcrii, t. Il , p. 190.
'" LecUini super Srjcio , \\>i. ■'.■'. \ '. ' \ppar. ( Iriiirnl.. B\h\. uM. , lat. ifi^O'!,
SKS KCRITS. 'l89
Dm procès des Templiers, il ne dit (pi'un mot; pour démontrer les
dniigers des associations secrètes, après avoir cité les paroles du
Psalmiste : Non conyregabo conventicula conim de san<jmmhiis^^\ il
rappelle que la ruine de l'Ordre du Temple lut le résultat des dé-
sordres dont étaient l'occasion les assemblées mystérieuses tenues
pour la réception des nouveaux adeptes*'', (^e sont là des faits qui
concernent l'histoire générale de l'Eglise; grâce à ses nombreux
voyages, Montlauzun n'est pas moins informé de tout ce qui peut
intéresser le canoniste dans la vie des églises particulières. Non seule-
ment, comme il est nilurel, il cite fré([uemment les hommes et les
choses de Toulouse et de la région dont Toulouse est le centre, non
seulement, pour un motif (jui a été indi<pié plus haut, il fait de nom-
breuses allusions à Poitiers'^', la \iHe aux cent Aingt églises*',, à ses
chapitres, et à ses monastères, au clergé du Poitou, aux mouirs de ce
|)a^s, où, dit-il en gémissanl, les seigneurs i'e<;us dans les maisons
religieuses à litre d'Iiôtes n'estimeraient pas digne d'eux un repas
comprenant moins de sept à huit ])lats '', mais il signale des laits qui
concernent Rouen, Tours, Técamp, Beanvais, La Charité, Aulim,
(]|ini\ , le prieuré de Saint-Musèbe à Auxerre; il est renseigné sur les
pri\iléges des chanoines de Bayeux et de Chartres, qui exercent la
juridiction spirituelle sur les habitants des domaines qui constituent
leurs prébendes. A Paris, il a nMnarqué les prérogatives des aichi-
diacres, qui possèdent la juridiction ordinaire ; mais ce qui l'a
le plus frappé, sans qu'il en soit nullenn'tit choqué, c'est le mode
singidierde répression de l'adultère qui v est en usage'''', et qui semble
r<»l. 171; Sacramcntale , Wi\A. iial., hit. .'>>.o.), (Appar. Clément., BihI. imt., lat. ifigo!.
loi. yi v". — -CI. Histoire liltirain-, I. X\XU , loi. 1G8 v°); inciition de la prison di' r(''\i'(|iic
|). n8. (le Poilieis .ui rhàteaii de Cli.iinii^iiy, qui l'sl
'' Ps. )!i, \. 4. 'l't"» malsaine (Ibid., rd., loi. ()(j v"); ineiitioii
"' Apparat. Clément., Bil>l. iial. , lai. relative aux prébendes de X.-D. de Poilieis
16903, (cl. 30i). Nos prédécesseurs oui rap {Ibid., \'(>l. 116); inenlion relative aux dîmes
[lelé que Jean de Pouilli croyait aussi à la cul- de Poitiers (Bibl. nat., lat. i(ii(03, toi. i^q^.
pabilité des Templiers (Histoire littéraire, '' lhid.,io\. 175.
I. XXXIV, p. 328 et suiv.). ' Appaiatus sur la Bénédirline : Bibl. n.il.,
'' En voici quelques exemples : mention de lat. /ii2i, loi. 3o.
particularités concernant la coUation des pré- ■"' D après le récit de Montiaiuuu, le mari
l>endes dans les divers chapitres de Poitiers trompé était juché sur un àne, le vi.sage
( Lertnra saper Se.rto, (ol. 81, 86, 1 3(i, et Ap- tourné vers la queue de l'animal, et l'àne était
parât. Clément., Bibl. nat., lat. 1 (ic)(j! , «onduit par la femme coupable. En cet équi-
fol. 175); mention de l'abbé de Notre- pa^'^- 1»- couple parcourait les rues, précédé
Dame [-la-Grande] de Poitiers, qwi est séculier d'un héraut qui le signalait à la risée et au
Misr. i.rrTKn. — x\\\. 63
fim) GUfLI.MMK l)K MONTLAIZIN. C WOMSTl..
destiné à laire lioute au mari trompé autani ([u'à la feiimif iiifulclc.
Montlauzun à séjourné sans doute plus d une fois en \\if>ii()n; en
fout cas, il connaît le style de la Cour romaine, et n'ignore pas le nom
des auditeurs chargés de l'instruction des causes importantes. De
Naples, il a appris que le Pape a accordé cent jours d'indulgence a
chacun des fidèles qui entendraient un sermon prêché par les prédi-
cateurs du roi Robert. Il ne sait si cette faveur s'étend aux sermons
prêches par le monarque lui-même, qui, comme on le sait, aimait a
cultiver l'éloquence de la chaire; puis, nialicieuseiuent, il se demanda
si le sage roi a bien reçu de l'autorilc ecclésiastique la mission qui
lui est nécessaire pour annoncer la j^arolr de Dieu ' . Montlauzun
n'ignore pas les événements qui se passent dans l'Empire, non seule-
ment les faits gi'aves, mais ceux d'ime importance secondaire, comme
par exemple, le procès soulevé récemment à propos de l'élection du
i)révôl du chapitre de Mayence ''. Il rappelle qu'au cours de son
voyage en Allemagne, il a vu des évèques coilFés d'un bonnet de lin,
ce qui semble peu conforme aux règles posée par les Décrétales.
\u surplus, il a été témoin du même fait el de faits analogues au
cours d'un voyage au delà des Pyrénées. Les habitants de ce pa\s
sont épris de couleurs voyantes, si bien rjue les clercs en égaient leur
somhre costume et que quelques-uns vont jusrju'à remplacer la roix'
noire j)ar une robe verte ou rouge; en bon méridional, .Montlauztui
ne s'en scandalise pas trop '■. En revanche, il blâme la coutume, sui\i('
dans ces régions, de tenir dans les églises des parlements, c'est-à-dire
des réunions générales de corporations ou de communautés'''. Il
semble d'ailleurs prendre plaisir à rapportei'ce qu'il a vu au cours de
ses voyages à travers la péninsule 11 a connu les recteurs séculiers
des églises de Castille qui se donnent le titre d'abbés, et ceux de Lé-
rida qui prennent celui de prieurs; il a scruté les titres des décioia-
leurs de Catalogne, dont beaucoup ne peuvent se fonder que sur la
lihiriic ( Iniiar. Clciiuiil., loi. 91) v'). Mont- 1 itMJ (|iie >/ .■.// //(((((/u/i/ci «ik n/H* , c l'sUwliie s'il
l;ni/iiii t'ilc aussi, sans les nUiquor, il s'en laul, est liaiidic' outre mesure. En ce cas, la cousi-
les nsai;cs de Calal()';ne, d'après les(|U('ls une i(uence osl fjrave; elle n est autre <(ue la perle
ameiide est intli^^'éeau mari trompé. Cl. Appui . dos imnumités cléricales, (ie qui est répréhen
(Iriiiciit. , IVihl. nal., lat. i6i)i)'., fol. •'. 1 5 v". sible, aux Neu\ de Monllau/.un, c'est le port
' Sdirnmeiitdle, Bibl. nat., lai. ."iao."». d'un habit bariolé; il n'en a va pas <le même de
fol. ()fi. la robe uniformément \erle ou roujfe ( {ppm .
'' l.eilinn ^iiper Sexio , loi. f» v". Clément., fol. /(Ci v").
^ Il .iilinel (pie riiabil ne cesse d'èlre cle- ■' /./•iliirii siiprr Sr.rto, fol. 111 v".
SlvS KCRITS. 'l'.H
j)osscssion prolonj>;<'e. U est informé des usages agricoles de ce pa^ s; il
sait aussi les règles d'abstinence*'', moins rigoureuses que celles sui-
vies en France, auxquelles sont soumis les lidèles, dispensés de l'absti-
nence du samedi'^'. H critique l'avarice du roi d'Aragon, Jaime 11,
qui, en échange d'un tribut levé sur les Juifs, leur laisse la licence
(le pratiquer l'usure'''', ou encore les exactions con)inises par son liis,
qui a n)is la main sur les sommes réunies pour subvenir aux fiais
de la ci'oisade'*''. Surtout, il est scandalisé de l'extrême liberté doni
jouissent les sectateurs de Mahomet dans les i-égions afiranchies de
la domination de l'Islam'^'. H les a vus à l'œuvre dans les pays soumis
à la Maison d'Aragon, dans les royaumes de Valence et de Murcie,
parfois mêlés à la population chrétienne, comme à lluesca, parfois
retirés dans des cpiartiers séparés, comme cà Lérida, mais toujours
alfectant de n'avoir point d'égards pour les chrétiens, et troul)lanl
inq)udemmenl la célébration de leurs ])lus grandes fêtes par des
clameurs bruyantes, au milieu desquelles retentit l'appel que le
muezzin lance du haul des minarets. Nombreuses sont les observa-
tions de ce genre qui se rencontrent dans les écrits de Montiauzun;
elles [)rouvent avec évidence cjue leui' auteur ne s'est pas borné à
pâlir sur les livres, mais qu'il s'est mêlé aux hommes et a regardé
la vie.
Aussi, s'il se montre partisan zélé des légies que la njorale el la loi
canonique imposent aux clercs et aux laïques et s'il n'hésite pas a
flétrir les abus, où qu'il les rencontre, sou expérience le met en garde
contre les opinions extrêmes et lui inspire plutôt des appréciations
modérées**''. Un passage de son commentaire sur le Sexte prouve qu'il
n'a guère de sympathie pour Boniface Vlll ; (piand il en vient à la
décrétale Ad succideridos '^' (c. un., Sexte, V, .i), dirigée par le pontife
contre ses adversaires les Colonna, Montlauzun écrit: «A nous.
Il Toulousains, le souvenir en est odieux, à cause de l'épouse de
« Jacques Colonna, qui était une Franc;aise, originaire de notre pays*'*.
'" Bibl. liai., lat. /|i:!i, loi. 3o v°. cViils. Il en l'sl un {Sacrainentale, liibl. nat.,
'■' Appui: Clément. , {o\. 78. lat. 3-.!()5, loi. iG) où, sous une forme dii-
■^' Appav. C/emen(. , loi. 86. bitalive qui seiiilile cacher l'ironie, il s'en prend
'' Bibl. nat., laf. /iiai.fol. i5. aux su|KMieurs «cclésiastiques qui accuniiileiil
'"' Appar. Clément. ( sur c. un. \', :>., de Jmlti'is les bénéfices sur la lète de leurs parents.
et Saracenis). Bibl. nat., lat. 1690a, fol 'HjS. '' Lectura super Sewto, fol. laS v".
"' Cela résulte de nombreux passajjes de ses "' Montlauzun coinniet ici une légère erreur.
6a.
492 (;iJlLL\UME DE VIONTLMZIN. CANONJSTK.
<i Aussi nous n'avons souci de lire cette décrélale ni dans les écoJes ni
«ailleurs, aula ex mala parte nobis altinet. « D'ailleurs Vlontlauzun
se délie des dangers de l'omnipotence, qu'il voudrait contenir dans
les limites lixées par la prudence. " S'il est vrai, écrit-il, que le prince
" soit allranchi des lois, il n'en est pas moins tenu de vivre suivant les
«lois.» Quant au pape, il a sans dou[(; la plénitude dr la puissance,
il est la lex animata, c'est lui qui assigne à tous les mendjres de la
hiérarchie la part de juridiclion qu'ils devront exercer'", mais il ne
doit point agir sans ])rendre le conseil des cardinaux, (j'esl là une
règle souvent violée, (jue Célestin \ lui-même eut le tort d'enfreindre
([uelquefois. Sans doute celle impoitatu'e donnée au Sacré Collège
répond à une tendance du temps, mais ce n'est pas seulement poui-
obéir ta cette tendance que Montlauzun, hostile, comme on le verra,
aux Franciscains et surtout à ceux d'entre eux qui appartiennent au
i)arti des Spirituels, décoche en passant ce trait au |)ontile dont la
mémoire leur était particulièrement chère.
Un tel esprit était naturellement ennemi des excès de zèle. On ne
s'étoniuîra point de le voir recommander aux supérieurs ecclésias-
tiques de n'être point faciles à admettre les accusations d'hérésie -',
ou critiquer un statut de l'évèque de Bnrcelone, auquel il re[)roche
d'amoindrir la liberté (pii doit ètic laissée! à la défense". Les idées
dont il s'ins|)ire se niontrent bien lorsqu'il traite du privilège du for,
qui fut, dans la première moitié du xiv' siècle, l'occasion de tant de
conflits entre les deux pouvoirs : Montlauzun propose des solutions
modérées, qu'en bon jurisconsulte il essaie de rattacher <à une idée
générale. Contrairement à l'opinion de certains canonistes, il refuse
nettement le privilège aux membres du Tiers-Ordre de saint {''lançois
Le mariage auijiici il iaii allusion est celui, 3t()5, lui. i ■! : « Solam pott-stalcrn coriunilIciRll
lion (le Ja<ques Coloiuia, mais (lElicimi', fils |)oj>uluni vel sublialiondi lominissum iX'Us
(le Jean Colonna et neveu du caidiual Jac(|ues, conunisll soli Pelro»; donc, cVsl aux surns-
qui, le 8 janvier i-i86, épousa Gaiicerandc, seurs de Pierre qu'il ap|iarlicnl lio lonléii'i'
lillf de Jourdain de liste- Jourdain , dont la fa celle [luissance cl de la retirer. (ïiiillaume de
mille était originaire de la région toulousaine Montlauzun est aux antipodes de la doclrine
et a> ait récemment fourni un évêque, Bernard, sur laquelle des canonistes du xiv* siècle oui
a l'église deToulouse(renseignemenlsdus à l'o^ tenté d'établir le droit divin des cures,
hligeance de M. fi. Digard, d'après la Collection '' » Nec dehel cpiis niuiiuin facile judicari
de Languedoc à la Bihl. nat., I. VI, fol. iVf^)- hereticus» [Lectura super Sextn, fol. i i- v" ).
''' Sur ce droit du pap- de donner et de re- '' ipparatiisCleiiieiit.,Wth\. nat., lat. itigo! ,
tirer la juridiclion que Jésus-Clirist a confiée à fol. l'j-j v°. Ce passage esl résumé dans
saint Pierre, \oir le STriïjnie;i^(/c, Bihl. nat, lai. l'éKJition, fol. -m v".
SKS HXRITS. 493
d'Assise, aux eruiiles de Montserrateii GatalogiH", el aussi aux lépreux,
encore qu'ils soieul placés sous la surveillance du clergé; quant aux
laïques affectés au service des hôpitaux, il ne les admet à en jouir
pour leur personne qu'à des conditions spéciales, sans étendre
l'iinniunité à leurs biens personnels. C'est qu(% comme il le dit,
tous ces personnages ab ntero matris sunt laici el siib putestate secidaii.
Pour échaj)])er au for séculier, qui est le droit commun, il faut
prouver la (pialité de clerc ou de membre d'un Ordre religieux
approuvé; or, de ceux ([ui viennent d'être énuniérés, l'auteur peut
écrire ce c[u'il a écrit des lépreux : « Indiqnez-moi le motif pour
lequel ils auraient cessé d'a])partenir au morule laïque» [Da mihi
modurn per iiueiii sublati sniit)'^K Quant aux clercs mariés, lorsqu'il
commente la décrétait' de BonifaceVIll, insérée au Sexte, qui règle
leur condition, il part du principe que, même en se mariant cuiit
tinica et vinjiiie, ils ont renoncé à la cléricature et, par conséquent, à
ses privilèges, à moins qu'ils ne fournissent la prt'uve contraire en
portant la tonsure et le costume ecclésiastique''. Visiblement il ne
tient pas à outrance à maintenir ces personnag(!s sous la juridiction
de l'official. Aussi ne reproduit-il pas les crilicpies que ses contem-
porains, Guillaume Durant le Jeune'' et Pirrre ./rtro6< "''.avaient adres-
sées à la décrétale de Bonilace Mil, au(juel on reprocbait d'avoir
sacrifié les droits et les intéiéts dh la juridiction de l'Eglise. Sans
doute Montlauzun admet les règles posées par le droit canonique;
mais il n'est pas disposé à les étendre non plus qu'à les exagérer. C<*
n'est pas lui ([ui, sans raison grave, proxoqnerait sur ce point des
conflits entre les deux juridictions.
Montlauzun est ])r()londément pénétré des devoirs du clergé, tant
régulier que séculier. Mais, parce qu'il est habitué à tenir compte des
l'éalités, et sait que les vertus héroïques ne courent [)as les rues, il ne
dépense pas ses forces à la ])onrsuite d'un idéal tro]) ('levé. Facile-
ment, d'aucuns diront trop facilement, il est enclin à faire des con-
cessions à la laiblesse humaine. De tous les prélats pourvus de riches
bénéfices, il n'attend pas le désintéressement et l'abnégation qui
conviendraient à leur vocation; il ne se dissimule pas qu'en paissant
-'' Appar. Clément., fol. '(8. — '' Lertnra super Sexto Jol. -jS. Us ne gardent dioit au for ecclé-
siastique qu'en matière «le délit. C'est la doctrine de Boiiiface VIII , e. i , Sexte, III , -j. — ■'' Voir
ci-dessus, p. 87. — ' \iiren Prnrtiia (éd. de Cologne, i.">-5), p. ?n)^.
494 GIILLAIME DE MONTLAIZIN, CANOMSTK.
les brebis, il en esi qui les tondront quelque peu. Passe encore s'ils
les tondent cnrialiter, comme dit Montlauzun, c'est-à-dire avec modé-
ration ; il réserve son bLàme le plus sé\ère pour ceux qui dévorent à la
fois la chair, la peau et la laine de leurs ouailles''. Quand il traite de
la réforme des Bénédictins, il n'a point de peine à reconnaître que,
dans les monastères, la préoccupation du temporel alourdit sinj^ni-
lièrement l'élan vers la vie parfaite, et que souvent Marthe fait grand
tort à Marie'-'. Il ne reconnaît pas le moine des temps anciens dans
ce personnage qui, sans souci de son habit et de sa condition, fré-
quente les cours des princes et des hommes j)uissants. Cependant ce
soin donné au tenqwrel est, de l'avis de Montlauzun, un mal néces-
saire à l'époque où il vit; aussi, commentant la constitution de
Benoît XII, il s'occupe sans doute du spirituel, mais ne néglige pas
l'exposé des règles qui assurent la conserxation et la bonne adminis-
tration des biens. Il semble même estimer que quelques-unes des
prescriptions édictées par le pape ahn de maintenir la pratique de la
pauvreté sont d'une exécution très difficile : pour que les moines
n'aient rien en propre et ne cherchent pas à se créer des ressources
personnelles, il faudrait, dit Montlauzun, qu'ils fussent assurés de
recevoir régulièrement de leurs supérieurs ce qui leur est strictement
nécessaire'^'. Or il n'en peut être ainsi, à cause de l'avidité des princes
et des puissants de ce monde ffui, sous l'influence de Satan, s'at-
tachent à détruire l'ordre monastique, à la fondation duquel, sous
l'inspiration de l'Esprit Saint, leurs prédécesseurs ont puissamment
contribué. Que peut faire un abbé ou un prieur pour ses subor-
donnés quand, axant rénni les revenus et fruits indispensables à leur
entretien, il voit venir un officier qui, au nom du roi ou de quelque
autre haut personnage, grand seigneur ou prélat, lui extorque en
une heure les lessources si péniblement amassées ? Le fait est fré-
quent, et les religieux le savent ''"'. Si, en vue de cette éventualité qui
les expose à mourir de faim, ils songent à prendre quelques précau-
tions, faut-il leur réserver tout le blâme et les accabler des anathèmes
dont les anciens Pères frappaient le moine coupable du vice de pro-
'' Appar. Clément.. Bibt. iiut., hil. i6gO!, '' Sm des \c\iitioiih du luème genre, \oir
(ol. iq/i v°. ce qui est dit dans l'article consacré par nos pié-
'"' Bil)l. nal. , lat. 4iïi, loi. i. décesscurs à Jacques de Tliërines, t. XXXiV,
' lhl,L. fol. n/j-'lb. p. :!l6.
SKS KCKITS. ^195
nriété? Au lieu de resserrer la discipline à laquelle ils sont soumis,
n'y aurait-il pas lieu de leur appliquer la parole fie saint Grégoire,
empruntée à un texte qui fi^niredans le Décret de Gralien : « Ideo cum
\enia suo ingenio relinquendi suiit, ne forte |)ejores existant, si atali
consuetudine prohibeantur ' «P 11 faut tenir conqjte des circonstances
aussi bien que des principes : une longue expérience des hommes
et des choses en a convaincu \Iontlau/.uii. Sans doule il ne veut rien
abandonner de ce (pi'il estime essentiel au mainlieii el au dévelop-
pement de la vie religieuse; mais le supérieur doit se garder de de-
mander l'impossible et de s'acharner à défendre des préceptes que
saint Benoît mitigerait s'il re\enail au monde''. Monllauzun se peint
lui-même dans cette ap|)réciati()n, placée cà la suite du commcn-
laire de l'une des prescriplions de Benoît XII: " Talia non niniis
Il a mare traclanda sunt, scd cum ([uodam temperamento '^'. »
Il send)le (rue la vie, doni Montlanznii a la notion si complète, ait
pénétré son style; il est alerte, mordant et se laisse entraîner par sa
\erve au point de dépasser parfois la mesure. Aussi ses écrits n'ont
ni la monotonie, ni la sécheresse, ni le pédantisme qui rendent sou-
vent fastidieuse la lecture des onivres des jurisconsultes de son tenqjs.
Il sait d'ailleurs les animer par des jM'océdés ([ui lui sont propres,
et (lui, comme on le verra, ne sont pas tous à l'abri de la critique.
Il a volontiers recours à des élymologies, en général fantaisistes,
dont beaucoup sont empruntées à Isidore de Sévill»- et (pielques-unes
au Digeste''''; d'autres sembleni lui appartenir en propre, l'ai le lisanl
on apprend, non sans surprise, que caslrum vient de castrare , parce
que, (lit-il, dans les forteresses, « castratur licentia habitantium ne H-
ceat eis vagari »''"'; que mcndtcatis vient de mène, (fiiod est defecliis" ,
el jociiïator, de jocn et aclor. Quant au mot itnmenis, il a pour origine
Numa imperator, ce qui s'expli<[ue parce (jue Numa a donné aux
Romains la numération. Peut-être la plus remarquable de ces étymo-
logies est-elle celle du mol papa. Le Pontife romain, écrit Mont-
"' D. IV, c. G. riMiiiiin Guliis : 18, pi., Ditjc.ile , X\l , 1.
' Ces idées soni lus clièifs à Moiitlaii/iin : ' Mimllauzun s'est notaiiiinciil iiispiié
il les développait déjà cii i,'ii() dans son l/j .li> élymologies données par Pomponiiis : :i39,
pumliis Cleinentiniiruin . loi. 68. *• ''• 7 '' '''' n'Kjcfle , I., i(i.
'•'' Appar. sur la Bénédicline : Bilil. iial., Lpiliirti super Sn.vto, fol. i\:.
lai. /U3I, fol. '(S v'. Celle pluase est lac " U'i'l., loi. 108 \'.
eninniodalion d'nn le\le du jni isconsnllc
/|96 (ILIIJ.ALMK DE MOiNTLAUZLiN , CANOMSTK.
lauzun, esl le somiiK^I de riiunianité, le vicaire de Dieu sur la leire;
en approchant fie lui, les hommes, saisis d'admiration, exprimèrent
leurs sentiments par une interjection qui devint la désio^nation de sa
dignité'*'. On pourrait multiplier ces exemples'' et \ ajouter certains
jeux de mots parfois puérils ou grossiers''^
L'auteur aime aussi les comparaisons et s'en seit volontiers. Toutes
ne sont pas d'égale valeur; il en esl qui sont justes ou tout au moins
ingénieuses; d'autres forcées ou insignifiantes. En \oici quelcjues
exemples. (Certains sacrements marquent d'un caractère ceux qui les
reçoivent; mais ce caractère n'est jias le même pour tous. Ainsi celui
qu'imprime l'ordie sur l'àme du ])rèti-e n'est pas le même ([ue celui
que le baptême ou la confirujation communique au simple fidèle; de
•même la llenr de lys, emblème du roi de France, a une signification
différente sur le vêtement du sénéchal on sur celui de l'humble ser-
gent'*'. L'évêque et le prêtre ont reçu de l'ordination le même pouvoir ;
et cependant leur action est fort inégale, parce que la matière sur
laquelle s'exerce cette action leui- a été inégalement répartie par l'au-
torité supérieure; uti for-geron , si excellent qu'il soit, ne peut tra-
vailler que le fer (pi'on lui donne à forger*"'. Le commendataire auquel ,
pour un lenqis très bref, est confiée l'administration d'une paroisse,
n'est pas soumis aux mêmes règles que le curé, dont le titre est ])er-
pétiiel; d(> même le régime de la courge dilîére de celui (\\i dattier''"'.
S'agit-il d'expliquer la déchéance originelle, en vertu de laquelle
l'homme, jadis gouverné par la loi de la raison, est tombé sous la
loi des sens, Montlauzun le compare au chevalier félon, que le roi,
en le dégradant, réduit à la condition des paysans, siib lecjc rusttco-
riim^^K Le bois du pin garde toujouisuiu' odeur désagréable; faites-en un
tonneau et remplissez-le d'excellent vin, le tonneau et le vin seront
bientôt gâtés ; ainsi l'âme infusée dans le corps humain («infusa in
'' Ajifxtr. Clément., fol. i oo v". Icrniis /loicoc iiihuhilal ». Montlauzun, ù |)r()|(0>
'"' Qu'il nous soit permis d'en citer encore «lu Tiers-Ordre franciscain, dit que ce n'est pas
un , à propos du mot Jisinnsatio. Il vient de (lis, .'i proprement parler un Ordre, non est propiit:
quodestdiversum.el de^p;iîo/f, « nam mullaet onio . sed sewpitcrnns liniror [Apparat. Cle-
diversa cogitare et jiensare quis habet qui vull ment., fol. ()() \°).
ulililer dispcnsare» (Siic;ome;ifn/f, Bihl. liai., '*' Sairtnnenlidr , Bil)l. nat. , lat. il'ioâ,
lai. ."iaoS.fol. 88). loi. \ v".
'' Voici un de ces jeux de mois. Lelixiede ' '' Ibid., loi. 12.
.lob (X, aa) décrit l'enfer commis un lieu " Leituin super Sexio , (oi. 16 v".
c ubi umbra niorlis et iiiillns 011I0, sed scnipi- '' Appnr. Cleincnl., lai. i()()oa, fol. iC() v'.
SKS KCHITS. 407
coipore») m conliaclf l;i souilliiie, et c'e.sl ainsi (|iie se Irausinel
le péché originel''', l^e jardinier lait une blessure à l'arbre ([u'ilgrefle,
mais c'est une blessure salutaire; il en est de même de la dispense,
qui ne porte atteinte au droil commun que p(^)Ui' le plus grand bien
des âmes'''^l Longue serait cette énumération, s'il fallait mentionner
toutes les comparaisons au\([uelles se complaît notre auteur.
Montlau/,un, (pii ne manque ])as d'esprit , s'en croit j^eut-être plus
(pi'il n'en a: en lous cas, il ne laisse pas <''clia])per l'occasion de
lancer un trait malicicîux. L^st-il amené à parler de la lemme, il dit
que si l'homme est l'image de Dieu, elle n'est (jue l'image de
l'iiomme*"". Décrivant l'embarras du mari qui, vis-à-vis d'une épouse
coquette, ne sait s'il doit enq)loyer la douceur ou la manière forte,
il signale les inconvénients des deux partis et il ajoute : « Les maris
demeurent perplexes; aussi les laisserons-nous à leui* perplexité ''. »
Pour exprimer l'idée ([ue ton les les hérésies se tiennent, il fait remar-
quer qu't'lles sont al lâchées les unes aux aulres par la (jueue'*'. Ti"ai-
tanf du droil fie délensc, (|ni à juste titre esl sacré j)our lui, il ajoute
([ue si le diable avail nu procès, il faudrait en sa personne protéger
ce droit"''. Il compare irrévérencieuseuuMit à des chapons les abbés
mitres qui, ressemblant au\ évoques parles insignes, n'ont point la
prérogative d'engendrer par l'ordination une postérité spirituelle''';
il est piquant de constater que ce trait a été lancé par \lontlauzun
fort peu de temps avant le jour on lui-même devint abbé de Mon-
lierneuf.
Ce n'est point d'ailleurs l'habitude de Montlauzun de retenir un
mot qu'il croit spirituel quand ce mot peut porter ombrage ou causer
des froissements. Il a fort peu de sympathie pour les Ordres men-
diants dont il bl.àme les rivalités et les dissensions, et en particulier
pour les plus importants d'entre eux, les Dominicains et les Fran-
ciscains; aux membres de ces deux Ordres il reproche d'être des
confesseurs trop indulgents , notamment pour les lidèlesqui s'acquit-
tent mal de l'obligation de payer la dîme, et, quand il leur arrive de
bâtir une église, de prolonger plus qu'il n'est nécessaire la période
''' Sacra meii tnle , Bibl. iial., lat. oQof), '*' Ibid., loi. loo.
foi. 38. ''■' Lecliira super Sexio . iol. i ic) v°,
<-' Ibiil.. loi. 88. f) Ibid.. loi. «7 v'.
'' Appar. Clément., loi. 84 V. i') Ibid., fol. 26.
iirsr. i.riTKii. — \\\v. 63
3 ; * --."•» >",„<„,.
498 GIIFJ.AUMK DK VIONTLMZLN, C VNOMSTI..
de conslructioii pour prolonger d'aiilanl c('ll(^ des qiiAtos ' . (l'est siir-
lout pour les Franciscains qu'il a la deni dure. Les l'rcrcs Mineiiis,
dit-il, portent des vêtements bruns mal lails el pins mal ornes : sed
fréquenter griites sah specie a(jni (jeninl lupuin- . Il ne manque pas
de rappeler que la thèse qui leur était chère, sur la |iauvreté absolue
du Christel des apôtres, a été condamnée par Jean XXll; lui-même
s(> montre assez sceptique sur la manière dont ils pratiquent cette
pauvreté, el rappelle plutôt ironiquement que, à les entendr(>, les ali-
ments qu'ils mangent ne leur appartiennent pas en propre "'. D'ail-
leurs, si, individuellement, chacun d'eux s'eilorce de ne connaître
aucune appropriation et d'ignorer- l'usage de l'adjectil jiossessil,
leur Ordre, comme les autres Ordres mendiants, fait tout le con-
traire; aussi leur prospérité s'accroît chaque jour, tandis (pie les an-
ciens Ordres déclinent*''. En particulier, le Tiers-Ordre de saint Fran-
çois d'Assise excite sa verve satirique. C'est un groupement anormal,
dont les membres, dit-il, n'étant ni clercs ni religieux, ne reçoivent
aucune direction, et marchent désordonnés a la manière des saute-
i-elles. Sans doute ils peuvent se donner un chef; mais l'élection,
encore qu'elle soit pratiquée dans les Ordres religieux, n'a nuHemenI
les faveurs de Montlauzun'^'. Quoi qu'il en soit, il lui laui bien tolé-
rer les tertiaires, puisque leur règl(>, approuvée par Nicolas III.
ainsi qu'il le rappelle, a été tout récemment confirmée par Jean XXII"'.
Montlauzun lance nneépigramme assez leste aux gens mariés qui lonl
partie du Tiers-Ordre; on sent qu'il serait plus acerbe encore s'il s'agis-
sait des communautésde béguins et de béguines condamnées par Clé-
ment V'', avec lesquelles, très correctement, il ne confond pas le
Tiers-Ordre. Mais, à coup sni-, toute cette végétation d'associations
l'' Lcclurn super Seuto , {(>]. 7. '"■ .'l/)/iar. 67<';»f»/. , fol. ()9, et Ribi. nal., lat.
'■-' .^/Y«ir. C/(';(irH(., Bibl. nat., lat. i(j()()!, 1 (p()o>. , loi. un v", ?. 1 5 v". I.e ^3 l'évriei-
liil. -joi v°. ' •'" i) ' •'''"" ^^^" a puhlii- une bulle favorable
'' Appar. sur la Bénédicliiie, Ribl. nat., an Tiers-Oi-die : F^ubel , Ihillnniiw frnnvh-
liil. '1121, fol. 4i v". ((iniiiii , t. V, |). I'>'S.
'■' //),VZ. ,lol. 25. '1, Clénienl., III, 11. Cf. Appar. Cle
'^' Dans son coninienlaire sur les (Ilétneii- uiciil.. Kibl. nat., lai. i6i)oa, fol. aoi cl
fines (IVibl. nat., lat. rr)()0>, fol. i(|/|\"), -îoi v°. L'auteur n'a pu connaître la constilii-
MoMtlnu7.un dépeint le désarroi |)roduil dans les tion du inènie pape, du •>.() février i3''.2 , ré|)ri-
inonaslères pai- la piatique des élections. Les inant les e\ces et les ern-urs de certains grou-
inoines, incapables de se dirif^er, s'éparpillent |k>s du Tiers Ordre franciscain (Coulon, Lcltrrs
comme des souris dans la paille. Celte pi.i- si-iretrsrl rininlrs dcJenii XKl! ,n° i,38i).
li(pie aboutit à la desliuclion des moines noirs.
SES ECRITS. 'H) 9
nées (lu niouvfniciit fraïuiscaiii n'est point de son f^oùt, et il n'en
lait pas mystère.
Il ne caclie pas non plus, (juoiqu'il l'expiinie avec réserve, sa
(lésapprobalion aux prélats (jui, sous prétexte qu'il leur est permis
(le faire la charité à leurs parents besogneux, accumulent les béné-
lices sur des membres de leur famille; cette criticpu; \enait à point à
l'époque où vivait Montlauzun. Ailleurs, commentant la décret aie où
le pape Clément \ déclare louable la coutume (|ui lui réserve les
bénéfices vacants in curiu, il ajoute : «Tout curé vante ses reliques,
chacun tire l'eau à son moulin*' . " Quand il établit les conditions
auxquelles, à son avis, les supérieurs peuvent user du droit de dis-
pense, il les laméne à cjnelques règles destinées à maintenir l'exercice
de ce droit dans des limites raisonnables; mais il ne se fait pas d'illu-
sion et continue (l'un ton mélancolique : " Aujourd'hui nobles et puis-
sants obtiennent les dispenses sans qu'elles soient justifiées par la
moindre de ces raisons; encore passerons-nous sous silence l'argu-
ment le plus souvent employé: l'argent maîlreet roi,/)etu/i/a recjina -K «
C'est par ce mot que Montlauzun termine son Sacrantentale.
En somme, encore que nous ne lermions pas les yeux sur ses
travers, Montlauzun nous laisse rinq)ression d'un homme à l'esprit
vif, original, primesautier, d'ailleurs mûri par l'expérience;, bon
canoniste, d'aspirations modérées, d'humeur plutôt satirique, et
religieux fidèle aux devoii's de son état.
L'œuvre canoniciue de Montlauzun se distingue par des qualités
assez rares pour ([u'elle ne soit |)as demeurée sans iniluence. On a pu
constater, par le nombre de manuscrits qui ont été conservés, la dii-
fusion large du commentaire sur les Clémentines et les Extravagantes
de Jean XXII; le Sacramenlale fut répandu plus largement encore.
Dès le \i\'' siècle, les canonistes ont marqué l'estime où ils tenaient
les écrits de l'abbé de Montierneuf. Simon Vairel lui emprunte les
(déments d'une compilation sur les Clémentines''; vers le même
temps, son explication du Sexte fournit des matériaux à Jean de Bour-
bon et à Gaillard de Durfort '; Pierre Bertrand et d'autres invoquent
son autorité. Leurs successeurs ne manquent j)as de le citer :
''' Lecturii sapei- Sexto, loi. 80. — ''' l.iil. ^^20"), loi. gS v°. — ' Maniisnils île Reims, u" -/x'^.
— •' IhiJ., I." -?,H.
(j.) .
500 (iLILLAUiVlE DE MONTJ.ALZL.N, CANOMSTE.
voyez, par exemple, les écrits de Henri Bohic*'' et de Gilles Belle-
inère'""^. Au déclin du xiv*' siècle, Montlauzun est mentionné avec
éloge par François de Zabarella*"*' et, plus tard, par le juriste Arnold
(iheyboven, de Rotterdam, dans son Remissoriumjuns utrius(jue^'*K Au
XVI* siècle, le Sacrumenlale , qui n'a pas eu les honneurs de l'impres-
sion, semble n'être plus connu ; il n'en est pas de même des commen-
taires sur les décrétales. Sans doute le commentaire sur le Sexte,
ainsi qu'on l'a dit plus haut, n'a été ])ublié qu'une fois; mais on con-
naît plusieurs éditions de ÏApparatiis sur les Clémentines et les Extra-
vagantes; bien plus, la partie consacrée aux Extravagantes lut,
nous l'avons indiqué, ioiprimée comme glose dans les éditions du
(Cornus jiiris canonici données au xvi" siècle. 11 n'est pas étonnant dès
lors que les ex])lications dues à Guillaume de Montlauzun soient
souvent citées par les canonistes qui commentent ces décrétales*^'.
11 n'y a pas qu'eux pour invoquer ses opinions : Bernard Lauret,
premier président au Parlement de Toulouse, dans son traité sur
l'arrestation des clercs par le juge séculier'"', et Arnoul Ruzé*^', dans
son traité sur la régale, lont appel à son autorité. Biaise Auriol,
jurisconsulte de Toulouse, qui édita le commentaire de Montlauzun
sur les Clémentines, ne manque pas de louer sou prédécesseur.
Cependant, en déjiit de l'épithètc de doclor eleganlissimus que lui avait
décernée un contemj)orain **' et (jue répétait un érudit toulousain
du xvi* siècle, ^icolas Bertrand*'^', Montlauzun ne devait pas conserver,
i)armi les canouisles français, la place qu'avait paru lui assurer le
succès de son ceuvre. Peut-être esliinera-t-on qu'il méritait mieux
''' Dans ses DistiiK lianes in \ liOivs Décréta- swniiiii iiiiii siijicr lùelesiis , au t. \VI îles Triu-
lium; cf. Schullc, o/). ( /(. , I. Il, p. t68. (nlits itniieisijiii is.
'"" Voir sou commcnlairi' sur les Clénicn- '*' l'iisns e.riinii iii qiiihusjudcx sieenlaris po-
tiiies,dans les Repetitioiies juiis canonici, éd. test niaims iiuponere in personas clericoruni. Kd.
de Cologne, 1618, t. \. île 1 .'ny, non loliotée.coiisil. \mi et consd. i i\.
"' Leelnin saper (leiiieiiliiiis , éd. de l,\(>n, ' Tructatns juris reyalite . w"'" privilegjiuni ,
i,");ri, loi. •.:. éd. ileTuiin, in-lol., i664, J). ao, ai, 56,67.
*' (^1. Ri\ier, dans la Xrilselirift Jiir Revlits- 1.05 ouM'ages de Montlauxuii cilés par Ru/.é
ijcsrhiehie , t. XI, p. /|5(). sont ses commentaires sur le Se\te elles E\lia-
-'' On pourrait citer la piupai-t des coniuieii- vagantes.
lalenrs des Clémentines et des Extravagantes. '' Vila /" de Benoit \ll, dans Baluze, Vilw
\ oii', par exemple, le «oiunierUaiie d'Pjlienno fuipariiin Arenioncnsium , t. I", j). lo8.
Aajreri sur la (îléinenline Ut rlericaram ( i , '*' Nicolaus Bertrandi, /)e To/oianoru/ii y«fi.«
Cléui. , 1, ((); cl. I\ei}elilioncs juvis canon ir i , ul> m lie eumiila , Touloust-, i.)a5.
Cologne, 1618, I. \l, p. 7.') el suiv. — Voii
aussi le mémoire du inêinc anleui' : De polestatc
SES KCKITS. 501
que les quelques lignes (ju'il a obtenues des historiens du droit cano-
nique au xix'^ siècle.
ÉCKITS DOUTF.UV OU APOCRYPHES
ATTRIBUÉS À Guillaume de Montlauzln.
i"On trouve cité, parmi les manuscrits conservés autrefois à
labbaye de Saint-Bénignii de Dijon : Gudlelmi de Montelaudaiio Ap-
paratns in libro de Agno dominico Joannis pape XKfl *". Nous ne connais-
sons pas autrement cette œuvre de Montlauzun, non plus que l'ou-
vrage attribué ici à Jean XXll.
2° Le manuscrit 4 108 du fonds latin de la Bibliothèque nationale
de Paris " et le manuscrit l'S/i de la librairie de la cathédrale de
Cologne nous ont conservé un traité en 4i) articles : De modo obser-
vandi (fuodlihet interdictum; inemor'ialc (juaddam pro sinpiicibus^^K Ce mé-
moire est anonyme dans le manuscrit de Paris; dans le manuscrit de
Cologne, le scribe a ajouté après les derniers mots : « Willclmus
de Lauduno ».
En dépit de cette indication, nous ne pouvons nullement affirmer
que le mémoire précité doive être attribué à Guillaume de Monl-
lauzun. Le droit qui y est exposé remonte aux premières années du
XIV' siècle, et en tous cas n'est pas postérieur au pontificat de Ikmi-
faceVlll; l'auteur annonce d'ailleurs qu'il traite de la matière de
l'interdit usecundum jura que vigent et viguerunl anno Domini
M" CGC" primo». Cette époque est antérieure à celle où se déploya
l'activité de Montlauzun dans le domaine du droit canonique. Au
surplus, le mémoire ne présente aucun des caractères qui donnent
aux écrits de Montlauzun une allure si personnelle.
3° Le manuscrit 4557 du fonds latin de la Bibliothèque nationale,
exécuté au \r siècle**^, offre (fol. 96 v" et 97) un court traité sur
''' Catnloijue gciicnit des manuscrits des îiibUn- sm l'excommunication el l'interdit (E. \ eina^ ,
Ihéques publiques r/cv départements, t. V (Dijon), Le Liber de excomnnmicatione du cardinal lîi-
p. 456. Ce manuscrit faisait, au xvii' siècle, remjer lùédol, Paris, 1912), el le texte que
partie de la Bibliotlieca Janiniana ; le sort n'en nous signalons. Le manuscrit de Cologne con-
est pas connu. lient les statuts du chapitre métropolitain.
^'' Ce manuscrit contient ri/)/)((r«(«.s sur le-, <" Ms.de Paris, foL 86-88.
('/emenfmwel le .Smromentnfc de Guillaume di- '*' Ce manuscrit contient divers IrnTnunts
Montlauzun ; le mémoire de Bt-renger Frédol et disserlations canoniques.
502 GLILLALAJE l)K MO.NTLAIjZLN, C\.N()MSTE.
l'obligation qui s'impose aux juges séculiers de restituer les clercs
arrêtés par eux. Ce traité commence par les uiots : « Queritur an
captus per judicem. . . m C'est une consultation sur les dilTicullés
])ratlques que soulevait l'application du célèbre décret Si judex
lahiis, rendu par Bonilace VllI ". Le scribe ipii la transcrivit a
ajouté a la fin ces mots : «Giiillelmus de Moiitelauduno ». Les idées
développées dans ce mémoire ne sont pas en désaccord avec celles de
iVlontlauzun ; mais on n^ reconnaît nullement la manière, non plus
que le style, du jurisconsulte toulousain.
4° Tritheim ^' et Forster''' placent sous le iion\ de Montlauzun,
outre le Sncramevlale, une Siimma Je casihvs (ce n'est peut-être qu'un
autre titre du même ouvrage), et beaucoiq) d'opuscules de droit et
de gloses qui n'ont pas été retrouvés.
3° Baluze lui impute un traité De cardinuhbus , ([u'il dit cité par
Gilles Le Maistre, en un chapitre de son tiaité De rerjalibus^'^K Cette
attribution est erronée. Que l'on Aeuille bien se reporter à l'édition
des œuvres de Le Maistre, donnée à Paris en i (iyS par Claude Bernard.
A la ])age 3io on trouvera une citation de Mar. Laud., c'est-à-dire
Martin de Laon, qui est bien l'auteur d'un traité De cardmalibiis, à la
composition duquel Montlauzun n'a eu aucune part.
6" Sanders 'BiLhotlicca lielijica, t. H, ]i. ic)i) signale l'existence,
dans la bibliothèque des chanoines de Tongres, d'un ouvrage énigm-
atique ainsi intitulé : « Guillelmus deMontelauduno, De gloria cœlesti.
Nous ne pouvons attacher aucune valeur à cette indication que rien
ne confirme.
7" II en est de même de cette autre indication que Bethmann^''
donne d'après le manuscrit 6667 de sir Thomas Phillipps : Cfiromcon
G. de Montelaudimo. L'auteur de cette mention a vraisemblablement
commis une erreur sur le titre de l'ouvrage contenu dans ce ma-
nuscrit ^dont le sort actuel est ignoré).
8" On a parfois placé à tort sous le nom de Guillaume de Mont-
lauzun un recueil de sermons ([ui ont été aussi imputés au frère
' la, St'xie, V, II. ('éd.; voir aussi la noti? ajoutée par Baluze ;i
'" Calaloqus scriplorum ecclesiasticorum (i':i- l'ouvrage fie Marca, Concordia Sncerdotii <■(
ris, i5i2), loi. ii8v°. Imperii , livre VI, c. \.
'^' De historia juris civilis Roinaiii lihri très (*' Archiv der Geselhchaft fiir ûltcre deaisriir
(Bàle, i565), p. 337. (ieschichtsliiinde. f. IX , p. 5oi.
■' Vitœ pnparam Avenionensium , 1. 1", p. 8o() ;
SKS KCIUTS. r,()3
|)ièclieur (luiHaunic fie Latiduno, el qui apparticnneiil à son confifMc
(luillaume Péraull *".
9" On a atlrihiip à GuiUaiime de Moutlauztm un liailé De
pro/essione monaclioniin, conscivc dans Irois manuscrils : Bibl. nal.,
lalin 12402; Douai, 1267; Troyes, 37/). Celte atlribution résulte
sans doute de ce que le traité De pro/essione monaclionim est, dans !<•
manuscrit de Iroyes, donné comme l'ouvrage de Guillaume de Lau-
duno^'^l II sulFil de parcourir cet écrit pour se convaincre qu'on n'y re-
trouve en aucune façon la manière caractéristique de notre auteur.
Au surplus, Montlauzun avait lail pi-ofession a Cluny: or, le religieux
qui a composé le De professume monachonun n'appartenait sûrement
pas à l'Ordre de Cluiu. En ellet, dans le cliapiti-e /)r transita mniiasterii
ad munasteriiun , il écrit '' : " l'orle vult alicpiis de GInniaceiisihus
institutis ad nosiram \enire pauperlalem. »
10" Nous croyons devoir signaler enfin un opuscule contenu dans
le manuscrit 2701 des manuscrits d'Auguste [de Brunswick],
à Wolfenbùtlel, ([ui est intitulé (fol. 38-92) : Régula beati Bencdicli ,
cum reportatis 11 illielmi de Montelaiiduno '' — Nous ne connaissons
aucun ouvrage de Guillaume de Montlauzun sur la règle de
saint Benoit. Sans doute faut-il voir dans ce titre une indication erro-
née du commentaire de Montlauzun sur la constitution de Benoît XII
réformant les moines noirs; le même manuscril contieni le texte de
la conslitutitm de Benoit \ll.
1». F.
' Cf. Sanders, BiW. Behiica. t. II, p. 139 ; ' Bihl. nal., lat. i3?io2, liil. iS;.
(^)in-tif et Echard , Srnyoip« Onlims Piwdiio- " (). \oii Ileineinann, !)lc Haiidsduiflci
/onim, t. 1", p. Go(). lier herzoylichen Bihliolhek zu Wolfenbùtlel.
'■ Voir h ('nlnlniiiic di"> manuscrits de 2' partie. Die Aiuinsleisctien Handsilnipen .
Troyes, p. 520. t. VI. p. .17'!.
504 liER.NAUl) 1)K l'WASSAC, TR()LMJX)IH.
BKRNAHD l)K PAAASSVC, TROl lUDOl R,
UN DES KOÎVDATEIRS f)ES JEUX FLORVUX.
Les Jeux l'Moraux de roidouso, aii\(juels nos devanciers ont
fait denx rapides allusions '', furent célébrés pour la première fois
au mois de mai i3qV T^e moment est donc venu de j)arler plus au
long de l'origine de cette institution. C'est ce que nous allons faire
d'après les documents authentiques''', et sans nous ai-rêter au per-
sonnage légendaire de Clémence Isaure, que la critique a depuis
longtemps banni de l'histoire du xiv" siècle.
La poésie en langue vulgaire du Midi ou langue d'oc, qui avait jeté
un si vif éclat pendant près de deux siècles, s'éteignait lentement
sous les règnes de Philippe le Bel et de ses fils''*'. Là même où
subsistait un reste de ferveur pour les anciens troubadours — los
antics trohadon, comme l'on disait déjà, ayant conscience de la déca-
dence de leur art — et où l'on s'elVorçait de maintenir la tradition en
cultivant la langue qui leur avait servi d'organe et qui avait conquis,
grâce à eux, une partie de l'Italie et de l'Espagne, la masse du public
méridional devenait de ])lus en plus indifférente aux efforts de
quelques cénacles isolés.
Tel était l'état de choses qu'on pouvait constater à Toulouse, uu
des derniers foyers littéraires, en i .'i23. Il s'v trouvait encore sept ama-
teurs passionnés pour « le gai savoir de composer en roman », et con-
vaincus qu'en chantant ils travaillaient m à la gloire et à l'honneur de
" Dieu, de sa glorieuse mère et de tous les saints du paradis ". \yant
'' Histoire lilléroire, I. .\\l\ , p. 43/j ; est de noire de>oir de faire reinaniuer <jue les
t. XXXII, p. 58. dofails donnés par Jean de Noslredame sur
''' Publiés en dernier lieu par (>aiTii!le (]ha- les prétendus poètes provençaux de la cour de
hanean, Histoire de Languedoc , éd. Privât, t. X Philippe le Long, et trop complaisaniment
(iSSÔj.p. 177 et s. La iéi:eale Histoire critique accueillis par nos de\anciers [Histoire littérnire,
(les Jeux Floraii.r , de M. F. de fiélis 'Toulouse, t. \X1V, p. 43.")), sont absolument apocryphes,
1 1)1 r? ), ne contient rien de nouveau ; cf. /?o/im- bien qu'un historien récent semble encore y
iiji3, t. XLII, p. 'i^l). .njouler loi (P. Lehugeur, Histoire de PliHipi>c
nui
■'' ('f. H if taire littérnire , t. \\\ll, p. Ôy. Il le l^ouij , 181)7. P- ''•'**))•
SA ME. 505
rrussi , grâce à la pratique de leur art , à « vivre en joie et allégresse et à
"fuir mélancolie et tristesse, eiHiemiesdu gai savoir », ils ne se tenaient
j)aspour satisfaits. Ils voulaient non seulement un public plus étendu
pour leurs œuvres, mais encore un culte plus solennel el des hom-
mages plus éclatants pour la Muse elle-même. Aussi prirent-ils l'ini-
tiative hasardeuse de convoquer une sorte de congrès de troubadours
pour le i" mai i3i4, s'engageant à donner une violette d'or en
prix à la pièce de poésie « romane » qui serait jugée la plus parfaite.
La convocation qu'ils lancèrent nous a été conservée. Elle est datée du
mardi 8 novembre i3'j3, au pied d'un laurier, au faubourg des
Augustines de Toulouse. En voici le début :
Als Iiuiioral)los ri als pms Sens c valois c cortezia ,
Scnhors, ami\ c ronipanlios, La sobrcgaya companhia
Ats (pials es donatz le sabois Dois set ti<)l)adors de Thotoza
Don creysh als l)Os f;augz c pla/cis. Salut e inays vida joyoza'".
L'appel des se])t troubadours lut entendu. Le « gai savoir» tint ses
assises à Toulouse au jour dit. Aux promoteurs de la solennité
se joignirent, ])our recevoir les amateurs accourus delà région voisine,
en même temps que beaucoup de notables personnages, chevaliei's,
docteurs, licenciés, bourgeois et marchands de la ville, les membres
du (1 capitoL'^' » , qui décidèreut de prendre à leur charge les frais
de la violette promise au lauréat. La journée du i*"' mai fut con-
sacrée à la réception des compositions; le lendemain, après avoir
entendu la messe en corps, les Sept examinèrent à huis clos les œuvres
qui leur avaient été soumises; le 3 mai, ils proclamèrent publique-
ment que la violette était attribuée à maître Arnaud Vidal, de Castel-
naudari, pour une chanson en l'honneur de la Vierge'"*'. El l'on
s'ajourna à l'année suivante. Les Jeux Floraux étaient fondés.
Dès cette première session, le «congrès» avait fait place à un
«concours»; les initiateurs, cpii prirent bientôt le titre de « mante-
'"' Ilist. (le l.anyiiedoi- , t. X, p. i8i. ilu latin cupiloUum, on créa le mot de cupitole
''' C'<(/)i<o/,t chapitre», écrit plus récemment poiu' designer rhôtel de ville. Voir Eugène
cii/)i<ouJ, était le nom donné nlors à l'assemblée Martin-Chabot, La tradition capiloline à Tou-
niunicipale de Toulouse, dont chaque membre loiise , dans les Annales du Midi, ic)i-j-ii^i8,
était dit cupilolwr. Bientôt, par abréviation, on I. XXIX . p. 345 et. s.
qualifia de capital ou cupiloiil chaque membre ''' Voir plus loin, p. .>i3,la notice consacrét-
de cette assemblée^ [''inalcmeot , à l'imil;ilion .i ce troubadour.
iliST. i.iTTÉH. — \\x\. 64
506
l^KKWUI) DK I^VN'VSSXC, TllOl 15 \l)()l li.
« nedors del <^ay saber», s'en constlluèreiil naturellement les juges.
C'était une mainmise sur la poésie, (jui n'allait pas sans dommage
pour celle-ci; mais pouvait-il en être autrement? Une institution qui
veut durer ne s'accommode pas du i-egime de l'anarchie. Le nouveau
tribunal eut le mérite de s'organiser rapidement. Il se donna un chan-
celier, un «bedeau» faisant fonction d'appariteui' et de secrétaire,
et il se lit graver un sceau. Se considérant comme une manière d'Uni-
versité, il décerna des diplômes de bachelier et de docteur «en gai
« savoir 1'. A la violette, seul prix ])rimitif et qui resta le plus élevé, s»'
joignirent bientôt l'églantine et le souci, sans préjudice de prix extra-
ordinaires, décernés à l'occasion. Enlin la compagnie assura la rédac-
tion d'un code doctrinal, les Levs (l'Ainurs , ([iii fut confiée au zèle du
chancelier, maitr»' Guillaume Moliniei-, cl achevée en i356. C'est
à cette date qu'il conviendra de parler en détail de ce code et d'ap-
précier en même temps le rôle littéraire de la nouvelle institution.
Au point où nous en sommes, nous devons nous borner à faire
connaître les documents relatifs à la personne et aux écrits des fou-
dateurs.
Le matiuscrit de TAcadémie des .leux Floraux, auquel nous avons
emprunté les détails qui |)réccdent, nous a conservé leurs noms dans
l'ordre suisanl : " iiernat de Panassac, donzel ; Guilhem de Lobra, bor-
•1 gués ; Ijercnguier de Sant-Plancat, Pevre de Mejana-Seira, cam-
«biayi-es; Cuilhem de Contant, Pey Camo, mercadiers; mestre Bei-
« nat Oth, notari de la cort del viguier de Tholosa ». Donc, un noble,
un bourgeois, deux changeurs, deux marchands et un notaire. Des
six derniers nous ne. connaissons que le nom et la ]iosition sociale ''.
Nous sommes mieux partagés en ce qui concerne Bernard de Panas-
sac. L'article (pii lui est consacré dans la liituirapltic Toiiloiisainc ,
publiée à Paris en i8'J.V"^', est sans valeur, mais, dès 1862, le
'' lia l'U- qiiestidn ici iiiêine (Histotie lille-
Kiivc, I. W, 11. ri()8j (l'un troubadour appelé
Pierre ('nmor [\;\ varianle Cariier est fautive)
couiiiie auteur dune chanson amoureuse délui-
lant par ce vers :
liai/, clianl i- ilianlan mirais.
{.'attribution est incertaine (voirR. Bai tscli ,
(iruiidriss (1er proecnz. Litenitiir, Elherteld,
i87'.(, p. 167, arl. .'>3i), n" 7). I.e tniiili.i-
dour en question ne saurait, en tout cas,
être idenlilié avec le Pey Ciiino de i.'>''..'5.
Il s'est conservé en original un acte pri\é
ilu iO octobre i3i3, muni du sceau de \a
sénéchaussée de loulonse, qui a été passé et
signé par B. Oth ( lieriinnlus Ollioitis, pnhllni^
ilotniiii re(ji:i et curie iliili sinilli notiirins) ; on en
trouve une analyse dans (labié et Mazcns, Cur-
tnlaire lies Aldmnn , i883,p. i82-i83.
"' l'onie II , p. 1 iS-i 21).
S\ VIK. 5o:
D' .J.-B. Noulet a écrit sur lui une notice consciencieuse''*, qui ne
demanfle qu'à être complétée à l'aide de documents récemment
découverts.
SA VIK.
Bernard de Panassac appartenait à une famille noble qui tire son
nom de la localité de Panassac'^', jadis comprise dans le comté d'As-
larac. Les « de Panassac » pullulent dans les documents gascons, surtout
dans les cartulaires, du x" au xiii* siècle, sans qu'il soit possible d'en
dresser un tableau généalogique. Un fait seul est à retenir, qui a
été cité par M. l'abbé (lazauran d'après un acte perdu dont l'ana-
lyse nous est parvenue : en i2l\2, un lîernard de Panassac fit liom-
mage au comte d'Astarac Jean, dit Centulle, pour le cbâteau d'Ar-
rouède, limitrophe de Panassac'*'. (leleudalaire est vraisemblablement
le grand-père du troubadour, car ce dernier, comme nous leverrons,
lut lui aussi seigneur d'Arrouède.
Nous ignorons les raisons qui déterminèrent notre Bernard de
Panassac à venir à Toulouse et à y fixer sa résidence dès avant i 32 3.
« Peut-être, dit le D' Noulet, tout seigneur gascon qu'il était, remplis-
II sait-il à Toulouse quelque charge publique; on sait que Galambias
i< de Panassac y était sénéchal pour le roi (iharles VW , en i ^/|o ''*'. «La
remarque n'a pas la portée qu'on semble lui attribuer, et l'hypothèse
n'a aucune vraisemblance. Si Bernard de Panassac avait eu une fonc-
tion publique à Toulouse, l'anonyme qui nous a transmis le récit de
la fondation des Jeux l'Moiaux n'aurait pas manqué de le jiarerdu titre
de cette fonction. Or il le qualifie simplement de don:el, damoiseau.
C'est le premier degré de la hiérarchie féodale. Bernard de Panassic
''' Elle a paru dans tes Mém. de l'Académie avec le verbe panni-, voler, el le substantif snc.
des Sciences de Toulouse, année iS.^s, p. 85, '^* Cartuliiire de /Jert/oHes (I.a Hase, uioj),
ol a c'ié réimprimée dans le volumo intitulé : p. .')iio. Une analyse conservée dans le dossier
Deux manuscrits provençaux du xiy' siècle . . . , Panassac du Cabinet des titres de la Bibliothè-
par J.-B. Noulet et Camille Chabitneau (Pu- que nationale (iiis. Ir. 28 673, dossier 49^97,
bliralions de la Société des langues romanes, n° 33) porte que l'hommage lut rendu pour les
Montpellier et Paris, 1888), p. xi-xv. deux châteaux de Panassac et d'Arrouède.
'*' Commune du canton de \fasseube, ar- **' Deux manuscrits prov., p. xiv. Galambias
roiidissement de Mirande. Notons en passint est une mauvaise leçon pour (xn/(/utias, prénom
que ce nom de lieu ne correspond pas , gascon , rare en dehors de la famille de Panassac ,
malgré les apparences, à un nom gallo-romain qui parait se rattacher au substantif galaubia ,
en -iacus. Il a été formé, au moven âge, magnificence.
508 lîEUNVKI) DE l»\\\SS\C. THOMBADOl li.
mourut sans avoir été adoulié chevalier, trop pauvre, spmhlc-t-il,
plutôt que trop jeune, pour avoir ambitionné et obtenu cet honneur.
Le séjour à Toulouse d'un seigneur de l'Astarac n'a rien d'extra-
ordinaire. La grande ville attirait nalurellenunità elle la noblesse des
environs, qui ne dédaignait pas d'y venir suivre les cours de l'Uni-
versité, et qui s'y faisait trop souvent remarquer par sa turbulence et
par sa facilité à jouer du couteau'"'. Nous ignorons si Bernard de
Panassac fréquenta l'Université; en tout cas, te milieu bourgeois, où
se maintenait encore le culte de la poésie des troubadours, exerça
sur lui une influence incontestable. Il oublia son dialecte gascon et
emprunta le dialecte languedocien pour s'essayer lui aussi dans l'art
du M gai savoir». Les deux |)oésies qui nous sont parvenues sous son
nom remontent vraisemblablement à cette épocpie. Il prit part, comme
nous lavons dit, à la fondation des Jeux Floraux en i 3^ 3- 1 .^2 4. Depuis
lors, nous ne savons rien de son activité liltéraire; il est probable qu'il
ne tarda pas à regagner ses terres d'Astaiac, où des soucis jilus graves
agitèrent tragiquement ses derniers jours. Nous possédons en ellet
sur son compte des documents d'ordre judiciaire, que nous allons
brièvement résumer'-'.
Au cours de l'année i33o, un procès retentissant se déroula devant
le tribunal du sénéchal de Toulouse et d'Albi.Les confins de la Gas-
cogne et du Languedoc avaient étéle théalrcde nombreux assassinats,
parmi lesquels celui du baile royal de Roulaur'*', (léraud d'Aguin,
damoiseau, criait surtout vengeance. La liste des accusés est longue; elle
comprend une trentaine de noms, dont le premier est celui de Bernard
de Panassac. Port d'aimes prohibées, infraction delasauvegarde royale,
complicité d'incendie et d'assassinat par recel de criminels bannis du
rovaume, tels étaient les principaux chefs d'accusation. Ne retenons
(Hie ce qui concerne notre ])ersonnage: le sénéchal le condamna aune
double amende, montant à liooo livies tournois, et décréta que son
château d'Arrouède serait rasé. Panassac fil appel du jugement devant
'' (iiiKi l'rères de la noble maison de Pennt', sur la claicel décapité trois \oi\n a|iiès, le
en Mhigeois, étaient étudiants :i IVjulouse i8 juillet iS.'iJ ; voir Ilisl. de l.anijHedoc ,
en i333. Ils lialtitaient la même maison, a\ec l. I\, |>. 4^1-483.
un nombreux personnel d'amis et de serviteurs, ' CI'. Annales du Miili, kji .')-i()i6, t. XXVII-
itu moment où leur familier, noble lui aussi, XXVIII, p. S-j-.^)! et p. SSçj-SgS; uji^-igiB,
\imeri Bcrenpuier, commit sur la personnedu I. XXIX XXX, p. ■(:î.')-'>3i et 3()3-3(i4; '<)'9"
• capiloul» François de (iaure un assassinai pour ig'>.o,l. \XXIXXXII,p. /|3()-/|3.>.
li'iiiR'l 11 i'iil prêt ipitiiminenl jugé , ituilllé, Irainé '' C.anl. de Saramon, arr. (rViicli.
SA VIE. 301)
le Parlement de Paris, ainsi que ses coaccusés, mais il mourut avant
que la cour su|)rême eût rendu son arrêt définitif. Sa mort doit-sc
placer entre le Si mai i333 et le 23 janvier i336. Il laissait une
veuve, Englesia d'Orbessan, et deux filles, Albria et Mascarosa, dont
la première était fiancée, ou se fiança peu après, à un fidèle serviteur
du roi, Guillaume de Villers'"'.
Sur ces entrefaites, le roi Philippe VI, étant venu cà Toulouse, reçut
une supplique en faveur de la famille de Panassac et y fitbon accueil.
Par lettres patentes du 23 janvier i33G, en considération du futur
mariage, le souverain remit l'amende encourue parle défunt. (lommc
bien on pense, la cérén^onie matrimoniale ne tarda guère. Une fois le
mariage consommé, nouvelle supplique, nouvelle faveur. Philippe VI,
poursuivant sa tournée, était à Montpellier : par d'autres lettres
patentes, datées de cette ville, au mois de février, il fit grâce de la
flémolition du château d'Arrouède. Mais le Parlement instruisait tou-
jours la cause d'appel et poursuivait son enquête. Le résultat ne fut pas
favorable à la mémoire de Panassac, car la cour maintint d'abord rigou-
reusement les condamnations prononcées par le sénéchal de Tou-
louse, bien qu'elle n'ignorât pas les deux lettres de rémission accordées
par le roi. Toutefois, elle finit par s'incliner, pour des motifs qu'il est
facile de deviner. La rédaction définitive de l'arrêt, rendu le 23 dé-
cembre i338 et dont la date ne fut pas modifiée, porte que la cour
s'abstient de se prononcer sur le cas de Panassac, couvert par un
double témoignage de la faveur royale.
Inclinons-nous à son exemple. Le roi de France a le droit de faire
grâce et de suspendre le cours de la justice, laquelle émane de lui.
Si d'ailleurs la culpabilité de Panassac semble établie, une condani
nation de ce genre, dans les idées de l'époque, n'avait rien de désho-
norant pour un gentilhomme. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit de
choses <le Gascogne, et que la noblesse gasconne, revendiquani
hautement devant les tribunaux le droit de se faire justice elle-même,
proclamait encore la légalité des guerres privées'-'.
Cl En l'appelant de Villers, nous suivons maître des requêtes de l'hôtel, peu après i344
l'exemple qu'il donna lui-même dans la seconde (André Guillois, /{ec/i. sar les maîtres des reqnè
partie de sa carrière ; mais il est possible qu'il tes de l'hôtel Paris, 1901,, p. :>.56-3 57).
lut originaire du Languedoc et que la forme ''' \'oici ce qu'on lit dans le résumé «les
primitive de son nom de famille fut de ViUar^ moyens produits devant le sénéchal de lou-
{ Histoire litléniire . t. XXIV, p. -i 1 4 )• H mourut louse , vers la m.'n.o époque, par un seigneur
3 S
510 liKK.WlU) DE PANASSAC, TROLDVDOLH.
SES ECRITS.
L'iiunieur batailleuse de Bernard de Panassac n'a laissé aucune
trace dans les deux pièces lyriques qui nous sont parvenues sous son
nom. Elles pourraient aussi bien avoir été composées par l'un quel-
conque des paisibles bourgeois qui fréquentaient avec lui, en i323,
le poétique verger du faubourg des Augustines de Toulouse.
La plus anciennement publiée est un «vers»*'* en décasyllabes,
qui débute ainsi :
Eli vos lauzar es, dona, nios aturs'-'.
Celte composition comprend cinq couplets de huit vers, suivis
d'une lornada ou envoi de quatre vers. Elle se rapproche du cadre que
les Leys d'Amors assignent auxcoblas retrocjradadas per acordansa, avec in-
troduction d'une rime nouvelle de deux en deux couplets'^*. Cette
dernière particularité donne un certain cachet d'originalité à la
poésie au point de vue de la forme. Pour le fond, il est bon d'avertir
le lecteur que Panassac n'a pas en vue un amour profane : sa dame
n'est pas une créature terrestre; c'est la Vierge Marie qu'il encense.
I*'rère Raimond de Cornet admirait la «gran maestria » dont Panassac
avait fait preuve dans son «vers». Mais comme il craignait qu'on se
méprît sur l'intention de l'auteur, il conqDOsa un commentaire poé-
li(ine pour démon Irer qu'il s'agissait effectivement
De la \'orge plazen
Mayre di' Dieu, Maria.
Pourtant, il ne faut pas une grande perspicacité pour comprendre
que c'est dans le Paradis que réside la « dame » de Panassac, et que
de 1 liauzaii (Oton de Pardaillan) et ses nom- ''' C'est le nom que le poète donne iui-
l)rcu\ complues, arcusés de violences analo- m^me à son œuvre, v. 6 :
gués : ..prediclis rei-, ad sui defensloneni propo- Soplogui vos que prensjalz aquest .ers.
« nentibus . . . quod , si alirpia commiserant ,
• hoc fecerant giierreiando, prout sibi licitum Chez les troubadours de la décadence, il n'y a
«erat secundum consueludinem terre Arma- plus de distinction entre le re/v. et la cnnio.
«niaci et Fiixensis in talil)iis approbatam et in ''' Dernière édition dans Noulet et Cha-
«contradictoriojudiciooblenlam» (ArrêtduPai- baneau, ouvr. cité, p. 56-Gi.
lemenl, du 1 6 janvier i339, Arch.nat., X" 8. ''' Cf. .leanroy, dans flomanm, igiS.t.XLII
fol. 19 \''-3 1). P- 487-481).
SES ECRITS. 511
c'est là que le poète aspire à se trouver à ses pieds. Le deuxième
couplet suffit à en persuader le lecteur :
Pivcios cors, blaiix i- lis, lufz e clars, E sini pogiics valer gienhs o conjiiis
Cogitan vt-y mot soen de travers Qu'aïs vostres pos estes, doua, rèpaiis
Vostias fayssos Hins un mantel de pers Me fora grans, que vos etz ferma naus
Estelat (l'aur, foldrat de menutz vars. On vuelti passar a l'estreg porl segiu's.
Peut-être Kainiond de Cornet a-t-il pris un soin superflu; mais
comme, sans son commentaire, le «vers» de Bernard de Panassac
aurait sombré, nous lui devons delà reconnaissance. Laissons aussi
au chantre de la Vierge le bénédce du jugement favorable de son
commentateur sans le chicaner. Nos idées sur la poésie sont troi)
diilérentes de celles qui régnaient alors à Toulouse pour qu'il n'ait
pas le droit de nous récuser.
La seconde pièce de Bernard de Panassac n'a pas eu l'honneur d'être
commentée. Le scribe catalan qui l'a transcrite, dans le seul manuscril
qui nous l'ail transmise'"', l'a accompagnée de cette mention: « fo
«coronada». Dans sa pensée, il s'agit évidemment d'un prix obtenu
aux Jeux Floraux de Toulouse; mais ce que nous savons du rôle de
notre poète dément ce que le scribe veut nous faire accroire. On ne
peut être en même temps juge et lauréat d'un concours.
Écrite en décasyllabes, cette poésie comprend six couplets de hui!
vers et deux Inriiadas de quatre vers. Les couplets sont adressés alter-
nativement à Amour et à la«dame». Cette fois, il s'agit indubita-
blement d'une dame en chair et en os, et non de la Vierge Marie.
L amour prolane a moins bien inspiré Panassac que l'amour divin
On jugera de la banahté de ses pensées et de la médiocrité de sor.
style par la première déclaration qu'il fait cà sa dame (deuxième
couplet) :
Doua gentils, plena d'umilitat, Faus a saber, flors de grau gentilcza.
Monda d'erguyl, compliinen de tolz Les, C'Ainor nii fay gaya canso hastir
Cambra d'onor hoii pretz albergatz ses, Amb laquai vuyl far sab.r ses mentir
Digna d'amar, gaya (lors d'onestal, Als fis aymans quais es vostra nobleza.
'''Chansonnier Gil y Gil, conservé aujoui- p. 4 a-44, d'après une copie do M. J.Massô Tor-
d'hui à Barcelone, Bibl. de Calalof,'ne, nis. rents, débute ainsi :
n" 1/(6. La chanson, publiée pour la première
(nis dans les innnlrs (lu Midi, if)l5, I XWir, Amors, car saj que farci/ piclal.
512 BERNARD DE PANASSAC, TROUBADOUR.— SES KClillS.
Ailleurs, le poète fait eilort pour atteindre à une certaine origi-
nalité, sinon dans la pensée, du moins dans l'expression, mais l'effort
n'est pas toujours heureux. Par exemple, le pouvoir d'Amour est dit
trop pus forlz cjue hetams, « beaucoup plus fort que béton », image
nouvelle, sinon poétique, mais qui ne s'est probablement présentée
à l'esprit de l'auteur que sous la contrainte de la rime.
Un autre procédé consiste à renchérir sur les idées familières à la
lyrique amoureuse. Maint troubadour avait déclaré que, le jour où
il avait le bonheur devoir sa dame, rien ne pouvait lui arriver do
Jacheux''*; Panassac étend à toute l'année la vertu de ce talisman :
Lo jora qiieiis ve.y, gazayiii tal ricjucza
One ])uys nom pot de lot l'an mal vcnii-.
Plus d'un aussi s'était plaint de ses propres yeux et les avait accusés
de trahison''^'; aucun n'avait assez manqué de goût pour souhaiter
(lue sa dame voulût bien en garder un et lui renvoyer l'autre :
l^ii'gatz li doiirhs, Amers, tan qncus en creza.
Pus ha In roi-, (juclam vuyia laissai'
L'ii (Iris meus liuyls quez am ley van e^^tar.
En somme, les deux échantillons conservés ne nous donnent pas
une haute idée du talent poétique de Bernard de Panassac, bien
que l'auteur se vante de « tenir les droits chemins d'Amour » et d'avoir
« bien appris lart de trouver », ce qui l'a fait considérer par un cri-
tique moderne comme un chef d'école '■'l
Nous nous consolons de ne rien posséder de ce qu'avaient composé
les autres membres de la « sobregaya companhia ». S'il est établi
historiquement qu'il y avait sept troubadours à Toulouse en iSsS,
il n'est pas sûr qu'il y eût parmi eux un vrai « poète ». Aucun docu-
ment, du moins, ne l'a révélé jusqu'ici.
A. T.
'"' Voir A. Jeani'oy et J.-J. Satverda de '^' J. Aiiglade, Les oiiyines du gai savoir,
(irave. Poésies de Uc de Saint-Cire (Toulouse, dans Rfliiieil de l'Académie des Jeux Floraux,
i<ji3), p. 173. 1919, p. 1 83.
'*' Ihid., p. 169 et 17a.
AKNALD \ll)\t., TROUBADOUR — S\ VIK. 513
ARNALI) VIDAL, TROUBADOUR,
PREMIER LAURÉAT DES JEUX FLORAUX.
Le nom d'Arnaud Vidal, premier lauréat des Jeux Floraux, avait
l'té tiré de l'oubli depuis plus de deux siècles''*, et la chanson à la
Vier<i;e, qui lui valut la violette d'or, avait été publiée et traduite de-
puis soixante-dix-sept ans*^', lorque Paul Meyer eut la bonne fortune,
en 1866, de découvrir le manuscrit d'un roman en vers, Guillaume
de La Barre, composé par le même auteur et dont personne ne soup-
çonnait l'existence'". Une chanson pieuse et un roman d'aventures :
de ces deux ouvrages découle le peu que nous savons sur le compte
du poète, son nom n'ayant été rencontré dans aucun document d'ar-
chives.
SA VIE.
Arnaud Vidal était de Castelnaudari. 11 n'a pas tenu à faire connaître
sa patrie en se nommant à la fin de son roman :
Aqufst romans fe ses enueg
Vj ses trebalh n'Ar[naut] Vidal,
Cuy Dieus defenda de tôt mal'*'.
''' Le premier érudit qui lait prononcé pa- M. le marquis de La Garde, par Paul Meyer
rail être Guillaume Catel; voir ses Mémoires de (Paris, A. Franck, 1868 ; extrait de la Revue
/'/listoircrfuLan^uei/of (Toulouse, i633), p. 4o3. de Gmcotjne, années 1867-1868). Acquis par
'*' Par l'abbé Magi, dans le fleruei/ de l'Aca- le duc d'Aumale, en i8G(), le manuscrit est
demie des Jeux Floraux, année 1 78g. Cf. J.B. aujourd'hui au Musée Condé, à ChantiUy, où
Noulet, Las Joyns del Gay Saber (Paris el Tou- il porte le n° 1571. En iSy.'î, Paul Mejer en
louse, [1849]), p. 3. Une nouvelle édition de a donné une édition intégrale, précédée c''une
l'ouvrage de Noulet, où les textes ont été revus introduction et suivie d'un vocabulaire, dans
sur les manuscrits, a été donnée récemment la collection de la Société des anciens textes
par M. Jeanroy dans la Bibliotlièqae méiid'wiude , français ( Guillaame de La Barre, roman d'aven-
1" série, t. XVI (Toulouse, i<)i4). tares, par Arnaad Vidal, de Castelnaudari).
''' Giiillauwe de La Barre, roman d'aventure Nous imprimons «La Barre» avec L majuscule,
idiniHisécn 1,'ilS jinr Arnaud Vidal, de Castel- contrairement à la pratique de l'éditeur el de
iKHidiiry, notice accompagnée d'un glossaire, sa génération,
publiée d 'apicsie ms. unique appartenant à '*' Vers .')338-534o.
514 \UNAUD VIDAL, TROUBADOLIH.
Mais le scril)e n'a pas iinilé sa réserve, car on lit en [ête du manu-
scrit (Musée (iondé, n" lôyi) : Aciiwst libre Je Ar[naut] Vidal deJ CastrI
Non d'Ali. La même indication (igure dans le titre de la chanson à la
Vierffe''' et dans le récit officiel de la fondation des Jeux Florauv'-'.
Il n'v a donc pas lieu de la révoquer en doute; mais on peut s'étonner
que, s'adressant à la Vierge, le poète se donne, dans le dernier couplet
de sa chanson, pour un dévot du sanctuaire d'UzesIe, lequel est à
quelque soixante lieues de Castelnaudaii'*' :
Si cum soy lay autreyatz h'ii vostra ciiinbra onrada
On verlalz es aiitiTyada, l)'LIz<;ila. . . '
Chahaneau suppose'^* qu'Arnaud Vidal avait été, dans son enfance,
consacré à la Vierge dans cette église, où le pape Clément V, né aux
environs, institua un collège de chanoines en i 3 i 3 , et où il fut inhu-
mé l'année suivante. ïl est plus naturel de croire que le poète fait
alhision à un pèlerinage, dont il a tenu à rappeler le souvenir dans
sa chanson comme un hommage personnel à la Vierge. La dévotion
à Notre-Dame d'Uzeste ne dut se répandre au loin qu'après l'élé-
vation de Clément V à la papauté (i3o5), quand la reconstruction
du sanctuaire eut été entreprise par le souverain pontife'^'. La visite
d'Aiiiaud Vidal à (Jzeste est probahlcment postérieure à i3i4; à cette
date, il n'ét.iit plus un enfant.
Notre p()ètf> t\st (jualifié n maître» dans le récit de la fondation des
.leux Floraux'' , tandis (pi'il se contente de placer la particule hono-
rable /)' devant son nom dans l'épilogue de Gnillaume de La Barre cité
ci-dessus. Laut-il croire qu'il a conquis ce titre entre i3i8 et xZilx .'
Et quelle en esl au juste* la portée? Au bas de la hiérarchie univer-
sitaire, on était inailre es arts. Arnaud Vidal a nécessairement coni-
tnencé parla, mais il a pu s'élever plus haut et être gradué en droit,
ne fût-ce (pie bachelier en lois. Paul Meyer a justement remarqué
(ine certains ])assages de Giilllawne de La Barre témoignent que fau-
teur est familier avec la procédure et qu'il tient à le montrer'*'. On
''' Ci-dessous, |). ôaf). '"' Cf. Abbé Biun, Vzesle, notes historiques.
'■'' Ci-dessous, p. .')i3. dans Société (ircliéol. île Bordeaux, \dn)?> ,
'') Çaulon do VillaïKiiKut, an. de Bazas. I. XVIII, |i. i et s.
'*' Édition .loanroy, |i. 5, vers 66-6(). ''' Ci-dessous, p. 5 16.
'' UniL, p. •>.{)?<■, cf. Revae des knyiies ro- '"' Guillaume de La Barre, intiod., p. la-
manes
i8i)7, I. XI., |i. .'175, note 4. 1.^.
S\ VIE. 515
l'imogine volontiers exerçant un office de notaire et attaché à quelque
cour (le justice, comme l'était un des fondateurs des Jeux Floraux,
« mestre Bernât Oth», notaire de la viguerie de Toulouse''', et cela
dès le temps même où il travaillait à son roman. En tout cas, un
notaire n'aurait pas mieux précisé la date cà laquelle en lut achevée
la rédaction :
A l'issida dei mes de may De Nostre Seiiher Jhesu Crist...
Fo faitz e coriipHtz est romans, .M. e .CGC. e .XVIII'^'.
En l'an qu'om comtava dels ans
Donc, dès la lin de mai i3i8, Guillaume de La Barre dut prendre
le chemin d'Auterive'*l Là, en etl'et, résidait un ondrahle haro, Sicaid
de Montaut, à qui le poète avait tenu à en faire hommage, et dont
il célèbre sans mesure et les vertus et les aïeux, allant même jusqu'à
le dire (Dieu sait sur quel fondement!) « né de lignage royal »'"'. La
lamille de Montant est souvent mentionnée dans les documents de
la région toulousaine, mais nous ne savons presque rien sur le baron ,
probablement Sicard II, que se choisit Arnaud Vidal comme pro-
tecteur. Pourtant le poète se llattait — et, en fin de compte, il a eu
laison — que sa dédicace tournerait à l'honneur de celui qui devail
la recevoir :
Al pros Sicarl \ay de Montaut, E, quan seias alhors legitz,
Mo romans, dirg a Autariha, Tu lausa sos taitz c sos ditzf^l
E am luy por estar t'ariba ;
Ce qui est plus honorable encore pour cette famille, c'est qu'un
autre de ses membres, RaimondAt, seigneur de Fuydaniel'''', a cultivé
lui-même la poésie provençale et que deux de ses chansons, encore
inédites, nous sont parvenues'^'. Mais il y a autre chose à retenir dans
l'épilogue de Guillaume de La Barre, et qui tire à conséquence pour
(') Cf. ci-dessus, p. 5o6. ''' Vers 53 1 3-53 18.
'»' Vers 5326-5337. *" Canton d'Auterive.
''' Aujourd'hui ch.-l. de canton de Tarr. de •'' Voir une noie sur la famille de Montaul,
Muret. où ce fait est précisé, Aniinles da Midi, 1920,
'*' Mogatz de rnsilz Para, fina e iintarnl , t. XXXI, p. 336-338.
E nalz de linnije reynl ( vers 5a98-53oo).
6.-) .
510 ARNAUD VIDAL, TROUBADOUR.
la biographie de l'auteur; c'est l'aveu d'une raison intime qui l'a dé-
cidé à s'adresser au baron d'Auterive :
Quar Dieus m'a volgut revelar Viiclh que sia, si a luy platz ,
Qu'ieu en luy trobaray dreitura Qu'estât ay un temps cncaiitatz
O correctiu de desmesuia Ab lot jorii prometif ses dar;
Que ai'an fâcha alcus baros. .. E iio'ii vuelh aidres declaiar,
Et ieu tDStenips, e uios cantars, Mas sieus seray tant cant viuray"'.
Mo senhor en tntz mos affars
Pas n'est besoin de lire entre les lignes. Arnaud Vidal a beau
déclarer, vers la fin, qu'il ne dit pas tout; il en a dit assez pour nous
apprendre qu'il avait eu des déceptions avec certains barons, qu'on
lui avait fait tort (^des mesura), et que, pendant un temps, il avait été
abusé iencantatz) jiar des promesses non suivies d'elfet. \ous n'hésitons
pas à voir dans ce passage une allusion à des compositions dédiées
à d'autres seigneurs, et qui ne lui avaient pas valu le succès qu'il
en espérait. 11 comptait sans doute sur sa nouvelle (euvre et sur celui
à qui il l'offrait pour obtenir sa revanche-.
Nous ne savons quel accueil trouva le roman de Guillaume de
La Barre à \uterive. Mais si, au début de mai i32;^, le poète n'avait
pas encore eu cette revanche qu'il escomptait dès la fin de i3i8, il
pouvait difficilement la rêver plus éclatante que celle qui lui fut
donnée, en la royale et noble cité de Toulouse, par le jugement
solennel des sept «vaillants, sages, sidotils et discrets seigneurs» qui
venaient de prendre l'initiative d'un congrès de la «gaie science»,
auquel Arnaud Vidal ne pouvait manquer de participer. Laissons la
parole au narrateur anonyme qui en a perpétué le souvenir en têle
d'une rédaction des Leys d'Amors, premier code des .leux Floraux :
Lo primier joni de may, li dit set senhor receubero los dictatz, de mayti e de
vespre; e l'endema, auzida lor messa, ilh s'ajustero per vezer los dictatz e per elegir
lo mays net. Et l'autre jour après, so fo le ters jorii de may, festa de santa Crotz,
jutjero en public e donero la joya do la viuleta a nieslre Ar[naut] Vidal de Castel-
noudarri (loqual, atjuel ineteys an, de fag creero doclor en la gaya sciensa) per una
noela canso ques hac fayta de Nostra Dona'^'.
''' Vers 53o8-53ii et 5.3i9-53a5. Nous Leys d'Anwrs, éd. i. \nglade (Toulouse,
modinous la ponrtviation fie l'éditeur. '()'9' '■ ' • !'• ' '')■ Pour p'"s de clarté, nous
''' Hist. de Lnnrjuedoc , t. X, p. i8.^; cf. mettons entre parenthèse une proposition
SES KCRITS. 517
La violette d'or et, peu après, le titre de docteur en la gaie science !
Il y avait là de quoi dissiper l'amertume de bien des déboires. L'an-
née 1 32^ dut être douce à Arnaud Vidal. Le reste de sa carrière fut-il
illuminé de ce rayon de gloire? Nous l'ignorons, car nous ignorons
tout de sa vie après cette date mémorable. Peut-être vaut-il mieux
{ju'il en soit ainsi, et qu'il disparaisse à nos yeux comme enseveli
dans son trionq)lie. Lia génération suivante conserva son souvenir,
car la chanson couronnée en i3a4 prit place, vers i35o, dans un re-
cueil qui nous l'a transmise avec le nom de l'auteur et cette mention
fort exacte : « gazanhet ne la violeta del aur a Toloza, so es assaber
la premicra que s'i donet, e fo en l'an M.CCCXXIV" ». Puis l'oubli
vint, mais non définitif. L'érudition moderne ayant commencé son
œuvre réparatrice, une rue de Toulouse reçut, en i834, le nom
d'Arnaud Vidal, qu'elle porte encore aujourd'hui'^'.
SES ECRITS.
1. OviLLAUME DE La HaRRE , ROMAN d'aVENTURF.S.
Inconnu de la légende aussi bien que de l'histoire, le personnage
qui donne son nom au roman, Guillaume de La Barre'^', parait être
sorti de l'imagination d'Arnaud Vidal. Le romancier affirme que son
héros fut, à la fin de sa carrière, le premier duc de Guïenne par
la grâce du roi d'Angleterre, et qu'il «régna» vingt ans*'^'. Nous
incidente qui fait partie de la dernière phrase: le nom du héros par la seule initiale G, quand
celle proposition a donné lieu à un contre-sens il est suivi de son surnom, exprimé ou sous-
dont ilsera question plus loin, p. 5a6. entendu; mais ailleurs il écrit Guillem en
'■' Edition Jcanroy, p. i. toutes lettres (vers i654, ao3l, etc.).
'*' Délibération municipale du 17 mai i834. Notons que l'auteur abrège souvent Gaillem
el arrêté conforme du maire de Toulouse, pris de La Barra, en Gaillem Barra pour la mesure
le 32 mai suivant. Cette mesure administrative du vers. Le cri de guerre de Guillaume est :
a mieux servi la mémoire d'Arnaud Vidal au- Barra, Barra! (vers 4'i53, etc.).
près do ses compatriotes que le fait d'avoir '*' Vers 5264-5273. Cette affirmation repose,
trouvé place dans un roman du baron de La- semble-l-il, sur un vague souvenir de Texis-
mothe-Langon depuis longtemps oublié , My- tence de nombreux ducs de Guïenne du nom
Mtères de la tour de Saint-Jean, oa les Chevaliers de Guillaume, dont le premier, Guillaume dit
du Temple (Paris, 1818, 4 vol. in-ia). le Pieux, mourut en 918, et le dernier, Guil-
•'' Le scribe du roman représente toujours laume X, en 1137.
518 AliNAlU VIDAL, I IU)l lUDOU',.
sommes pourtant bien loin de la Guïenne quand le roman commence,
en ces termes :
En una terra lay tll ngria E laysscc so lllli lieretiei-,
Ac un rey (luVMa de Suriu, \dn>it e franc e plascnticr,
Qiies ac nom lo rey de I^a Serra, .Itne dVtat eiitro \iiit ans.
Le (|uals estec lonc temps ses gucrra,
La scène s'ouvre en llonj^rie*", ])ays assez vague, dont le souverain
porte le titre de « roi de La Serre », d'après le non) de la ville où il
réside ordinairement '''). Le jeune roi de La Serre s'étant résolu à
prendre temme, deux de ses vassaux, Chabert le Roux et Guillaume
de La Barre, partent en ambassade pour l'Angleterre; accompagnés
de cinquante bommes de bonne naissance, outre les valets, et menant
avec eux vingt sommiers cbargés d'or et d'argent, ils vont demander
la main de la fdle du loi pour leur maître.
Ce i)réambide tient dans une centaine devers; mais il en faut lire
ensuite plus de deux mille avant d'arriver à la célébration du mariage
projeté, qui a beu à La Serre, en présence du roi el de la reine d'An-
gleterre, venus pour assister leur fdle. L'ambassade du roi de La Serre
s'était, en ellèt, heurtée, en débarquant en Angleterre, aux gardiens
du port de Malléon, dont le maître était un puissant Sarrasin :à lorce
de cou|)s d'épée et de miracles, grâce aussi cà l'aide sournoise fournie
aux chrétiens par la dame de Malléon, le Crucifix avait triomphé des
faux dieux liafom et Tarvagan, et tous les Sarrasins avaient reçu le
baptême. Dans cette première partie, Chabert le Roux n'est pas moins
exalté que Guillaume de La Barre; mais il n'est plus question de lui
par la suite, et tout l'intérêt se concentre sur son compagnon.
C'est à Guillaume de La Barre, letiré dans son château pour soigner
une maladie survenue inopinément avant le mariage, que s'adresse
le roi de La Serre pour lui offrir le gouvernement du royaume, pen-
dant que lui-même dirigera une expédition militaire. Bien qu'on
''' Le picinier veis signifie : aLà-bas, dans Qm- no --iaTi (li«'s|)<rat ,
une leire df Hongrie», el non, comme le dit ^'»s que i;ar<lu lur hallal
l'éditeur : .Dans une terre par delà la Hon- ^^ .a^ram.nl que ...an pro.nos.
^lien. Quand les habilanls d une autre cité de '' Un royaume de Serre, non moins l'antai
Hongrie, non di^ignée noniinafivenicnt , sont siste, figure dans les romans de Mél'uicm el
assiégés et demandent du secours au roi de La d'£.«Yinor, qui ont pour auteur Girard d'A-
Serre, rrlui-ci leur envoie dire (vers sSk)- miens (Histoire lilltrnire , l. XXXI, p. 174-
9.53 1 ) : iS'')).
SKS l-XRITS. 519
ail oublié de l'invilcr aux uoces et (ju'il en manifeste son dépit, bien
qu'il vienne de perdre sa femme et qu'il ait à veiller sur deux enlants,
un lils de sept ans et une fdle de trois ans, Guillaume finit par accepter
l'offre qui lui est faite, el il ])art pour La Serre. Jamais gouverneur
ne s'acquitta aussi ])ien de ses fondions (vers 2754 et s.) :
Aiic no cug que iiegus hoin vis Ni miels se saubes far gausir.
Cavalier ayssi govornar. Ni miels se saubes perregir
Ni (jue tant geni o saubes lar, (^om fey Eu (î[uilleinl de l^a BariH.
Mais la reine, l'inflammable Eglantine, qui s'était éprise du gou-
verneur, sans atten(h'e son arrivée, dès que le roi avait fait son éloge
devant elle'"', le mande dans sa chambre et s'olïre impudemment à
lui (vers 2797 et s.) :
« El cor m'avetz mes un désir « Que fassatz de mi (jueus vulhatz,
" De fin' amor (jue ve de vos, « Et que tant sïatz mes j)rivatz
» Qu'ades vos die lot ad estros « Cum fora mos maiitz, <i y los. "
Guillaume, in\o(juanl la foi qu'il doit à son seigneur, lefuse de
l'écouler davantage. La dame crie à l'aide et, devant ses gens accou-
rus, joue la comédie du viol et ordonne de saisir « le traître ». Guillaume
n'a que le temps de sauter à clieval et de s'eiduir à La Barre, où il se
tortille après avoir conté cette lamentable aventure à ses sujets.
Prévenu el circonvenu par la reine, le roi revient à La Serre et fait
citer le prétendu coupable selon les usages. Guillaume, qui n'a garde
de comparaître, est condamné par contumace à être pendu à la porte
de son château, qu'une armée vient aussitôt assiéger. Pour épargnera
ses hommes les borreursd'un siège, il se résout à prendre le chemin de
l'exil, et il leur lait part en ces termes de sa résolution (vers '^9^3 et s.) :
" Senhors, lo reys mi \ol aucir; « E prestalz mi mon bon cavalli,
« E pus quem coven a morir « E , ses garsso e ses vassalh,
» Per liahat de mo senbor, « Ab mos efantetz m'en iray;
« Mais vuelh morii a gran dolor « E , quan dos jorns anat auiay,
« Que si vos autri inoiïatz. « E vos li rendetz lo castel. »
« Le filh e la filham layssatz
''' Le poète n'établit aucun lien entre cet future reine de La Sei-re dans sa nudité pour
amour, qui éclate si brusquement, et l'épisode s'assurer de sa perfection corporelle (vers 1912-
singulier de l'ambassade matrimoniale, où Guil- 1927).
lanme de La Barre est admis à contenipler la
520 ARWl'D VIDAL, I H0L1UIX)I:R.
Ainsi fut fait. Chevauchant dans la nuit, sa fiHe devant la selle et
son fils derrière, le loyal chevalier s'en va à l'aventure. Il est hébergé
huit jours dans une maison de lépreux'*', où il apprend que ses sujets
se sont rendus au roi, et il s'en réjouit en disant à voix basse, mais
avec des larmes dans les yeux (vers 3o3i et s.) :
" Aqiiel ver Dicus (jue venc en crolz < Çhtav mos pobifs ikid is delitz!
■> En sia lausatz e grasitz > Trop haii be lait toi so ([ii'ieu vuelli. »
Plus loin , une lecluse acce|)te de se charger de sa lilie et de l'élever.
Puis, il lui faut soutenir une lutte inégale contre douze larrons; il en
tue six, mais llnalemcnt il a le dessous; on le dépouille et on le laisse
pour mort auprès de son his, que les six larrons épargnent et auquel,
par pitié, ils font une aumône de vingt llorins. Suit une scène tou-
chante entre le fds, c|ui se désole, ei le père, qui reprend ses sens.
Persuadé qu'il va mourir, Guillaume révèle son nom à l'enfant et lui
ordonne impérieusement de continuer sa route. Tout le passage
mériterait d'être cité; en voici l'essentiel (vers SaSo-SiSg; 3246-
3293):
\ra fo la nueytz trop osciira;
El paire so inoc un petit
Quant ausic del lilh un gian crit,
El fils val (Icsrubrirla rara :
« Ara, lo inieu planlet, ara,
" Qu'ieu soy \ius c non vali mens,
« Mas ([u'estiam tôt siniplaniens
'< E vejam (juc Dieus nos dara. »
Ab tant l'efant colar se va
E mieg dels brasses de son paire.
I^ejorns fon bels e clars e gpnt,
(Juel solels se fo ja levatz.
E, quan le jorns fon escalfafz,
El se sentie alrevolir
iiO cavaliers, e pueyss vay dir
''' Vers MjSS et s. l.fi chef de lu lépr'oseric
est un clirvalier, et on n'y donne l'hospitalité
qu'à des chevaliers, lesquels doivent s'engager
à V séjourner au moins huit jours. Celte hospi-
t.ilité est somptueuse : le |iain, le vin et le piment
viennent de la ville voisine, et Guillaume est
A so lilh : « Le mieus cars élans,
" [eu me senti trop nialenans
« E suy trop près del Irespassar,
" Per (pi'ieu, fils, te vuelli coniandar,
> E menibrct be so (piet diray :.
" Tu non sabesges (jual nom ay
" Ni no sabes nio sobrenoni :
u G[uillem] de La Barra per nom.
Un cavalier d<?zeretal
" Per portar a senhor liallat.
" Et aquest nom niembret tostemps,
n Quar enqueras seras cssems,
« Si Dieu platz, am nostre linage.
« \ra vay foras del boscage,
11 Qu'ieu no vuelh quem vejas morir. »
E l'efant se pren esmarrir
servi par un homme sain, iîien qu'Arnaud
Vidal écrive en i3i8, rien ne fait prévoir les
indignes traitements que la superstition popu-
laire, exploitée par la cupidité du fisc, devait
attirer aux lépreux, trois ans plus tard, dans
toute la France.
SES ÉCRITS. :,2l
E vay son paire tan baysar Vay dir: « Senher, a Dieu sïatzl
Que no s'en podïa layssar, « E, sius platz, senher, vos mi datz
Ni pariar mot, ni pauc ni <^ran. .. La vostra benedictïo.
Kl paire vay dir a i'efant : — Benasiguat lo Rey del tro
« Jhesu Crist te puesca valer, « El sieu Filh ei Sant Esperit !
« Qu'ieu not puesc autre pro lener, .. E no metas ges en oblit
« Ni not puesc, fils, acosselhar « Lo mieu nom, per negu allar.
« Mas que pesses tost de l'anar, « Dieus te do tal rey encontrar
.' E que tostemps sïas liais, « Quet prenha per son escudier! »
« Quel linages es naturals Adonc plorec lo cavalier
" Don vfs, per paire c per maire. Al partiment de son effant.
« E tôt filh dou croire son ])aire, L'efantel s'en vay ab aytant,
« Per quem crey, e faras ton pro. >> 'l'ot de pas, regardan son paire . . .
L'efantet, ses autra razo,
Soyons sans inquiétude sur le soil de l'enfant. Recueilli et récon-
forté par des bergers, il est immédiatement pris comme écuyer par le
roi d'Arménie, qui se trouve là fort à point, et qui, n'ayant ni lils, ni
fille, en fait son héritier. Quant à sa sœur, Braylimonde (vers 3802),
elle n'a pas une moins brillante fortune, quoiqu'elle en attende plus
longtemps l'aubaine. À l'âge de dix ans, elle épouse le jeune comte de
Terramade, dont le père défunt avait fondé la recluserie où elle
avait été recueillie (vers Sôog-SSôg).
Guillaume de La Barre, comme bien on pense, ne succombe pas
à ses blessures. Un « mege natural » le soigne, le guérit et le garde
auprès de lui pendant sept ans. Après quoi le bon médecin meurt, et
ses héritiers invitent Guillaume à faire «son pro», c'est-à-dire à se
tirer d'affaire tout seul. Pendant quinze") ans et plus, il va à l'aventure,
mendiant son pain et répétant le même refrain pitoyable (vers 388o-
3885):
Et ac près un aytal usage , Al cavalier dezeretat
Quan querïa qu'om li fes be, Per portar a senor lialtat,
E dizia qu'om l'agues merce Qu'estiers no sabia quérir, .
Mais un jour, ayant rêvé que sa (ille était devenue comtesse et son
his roi, il se résout à revenir vers « sa terre ». Terramade se trouve sur
sa route. La comtesse ne le reconnaît pas; mais émue, au souvenir de
'■' Sur la chronologie de ses aventures, qui laisse lieaucoup à désirer, voir Annales du Midi
1919-1920, t. XXXI-XXXn,p.33/|. '
IIIST. I.ITTBB. XXXV.
66
522 ARNAUD VIDAL, TROUBADOUK.
son père, en entendant la prière fin Grntil home dezerctat Per porlar a
senhor lialtat , elle lui donne sa bouise, et elle l'invite à passer les fêtes
de Noël à sa cour. Puis, d'un commun accord, le comle et la cou)-
tesse de Terramade lui demandent de diriger l'éducation de leurs
quatre enfants. Guillaume accepte, et remplit ces fonctions pendani
trois ans; après (juoi, il se laisse faire chevalier une seconde lois, de
crainte de se trahir en refusant, et il reçoit l'ofiice de grand sénéchal,
avec un château comme dotation.
Sur ces entrefaites, le roi d'Arménie ayant réclamé l'hommage dti
comte de Terramade, ce dernier charge le grand sénéchal de répondre
par un refus hautain à cette demande. Un combat singulier est décidé
pour trancher la question; chaque partie choisit son champion, et
l'on devine que le père et le (ils vont combattre l'un contre fauti<'. La
fantaisie géographique du rotnancier veut que le roi de Cornouaille
ait la garde du champ clos.
\près quelques passes, les champions s'étant réciproquement dés-
arçonnés et combattant à pied, le fils terrasse le père et lui saute sur
le corps, fépieu lève Mais à sa demande, par grande courtoisie, il
l'aide à se remettre sur pieds pour reprendre la lutte à chances égales.
C'est alors que Guillaume, liahissant son incognito, pousse son cri
de guerre (vers 445.'î) :
« tîarra , Barrn ! ([iie Dieus o vol ! »
Le fils a enfin reconnu son père : il lui cède le terrain, puis, pour-
suivi, il s'agenouille et crie merci. Étonnement de Guillaume, qui
demande (vers 4468-9):
"... Don est, ni per que
« Mi voies tant merce claiiiar:'
Et le fils répond (vers 44 70-^) 47 5) :
• Payre, tura volguist enjendrar, » E quoi layssei et bosc niieg mort
• Et ieu soy le lieu» verays fils , « Quan li doze lairo per tort
• Qu'avem passait mans grans périls, « El bosc t'aneron assautar. »
Le roi de Cornouaille, entrant dans le champ clos pour demander
ce qui se passe, les trouve dans les bras l'un de l'autre, el l'on s'e\-
SES liCRlïS.
52:5
plique. Le roi d'Arménie et le comte de Terramade prennent très bien
ce dénouement imprévu (vers 45 1 2-^5 1 7) :
Lo reys el pros coms cascus plura
De gaug, que cascus hac trop gran.
Tug essems se van alegraii,
E leiron aqiii patz jurada
Lo reys el coms e sa mainada
Cum si fossan fraires girmas.
Guillaume ayant narré ses aventures et embrassé sa fille, un souper
a lieu, suivi d'une « cour » qui ne dure pas moins d'un mois et où les
dons sont j)rodigués à tout venant (vers 4654-4662] :
E, sertas, semblarian (aulas
Dels dos ques deron en la cort ,
Quar non i ac ni clop ni sort
Ni luns jocglars que no fos ries;
Ane us no s'en tornec mendiiîs
De ia cort , per pauc que valgues ;
Complida fon en totas res,
E senes tôt defalhiinent
Un mes durée complidament.
Le roi d'Arménie envoie alors un baron auprès du roi de La Serre
pour le sommer de rendre à Guillaume son château et de lui faire
droit. Grâce à l'entremise d'un bourgeois de La Barre, tout s'arrange
au mieux. Le roi de La Serre se déclare prêt à pardonner, si la reine
y consent. L'astucieuse Eglantine, qui brûle toujours pour notre héros,
trouve le moyen de sauver la face en avouant qu'elle lui a fait des
propositions déshonnêtes, mais seulement pour mettre à fépreuve sa
loyauté vis-à-vis de son seigneur, et qu'il y a répondu avec indi-
gnation. Guillaume est reçu triomphalement à La Barre et à La Serre.
Puis l'auteur imagine, sans doute pour ôter à la reine toute occasion
de pécher de nouveau, que le roi d'Angleterre appelle Guillaume de
La Barre à sa cour, où il le garde pendant sept ans, et le fait, en mou-
rant, duc de Guïenne (vers 5260-5277] :
Lo reys fo malautes greument
De la malautia que moric.
A mosenti'en G[uillem] gequic
Una terra rica e plana :
Aquil vai far duc de Guïana.
El reys vay passar e morir,
El cavaliers vay possezir,
Aytant quant vise, aquel dugat.
Le premiers ducs fo, per vertat,
Mosenli'en ri[uillem], ses falcia,
E visquet ab eavalaria
Et am compliment de tôt be,
E moric ducs ab liai te ,
Quant bac ayssi renhat vint ans.
E vay morir al Vendre Sant
Mosenli'en G[uillem] de La Barra ,
Del quai fo sa mort mot amara,
Et es eneara, quan sove.
66.
524 MWAUl) VIDAL, TROUBA[)OUR.
Tel est le poème, comprenant 5344 vers, qu'Arnaud Vidal acheva,
comme nous l'avons dit, à la fin de mai 1 3 1 8 et qu'il dédia à Sicard
de Montant, seigneur d'Auterive. H appartient au genre des romans
d'aventures, abondant dans la littérature en langue d'oïl, mais dont
la littérature en langue rl'oc ne possède que deux autres spécimens,
Jaiifré et Blandin de Cornouaille. Très inférieur à Jaii/ré, noire poème
oflFre plus d'intérêt que Blandin de Cornouaille , mais, en somme, il fait
peu d'honneur à une littérature qui, dans un genre voisin, le roman
de mœurs, avait produit, un siècle auparavant, le chef-d'œuvre de
Flamenca. Son éditeur n'a d'ailleurs pas cherché à en surfaire la valeur.
Aiirès l'avoir analysé minutieusement, il écrit : « On a pu y reconnaî-
« tre bien des situations, bien des traits (jue des récits plus anciens
« olfraient déjà. C'est dire que le poème d'\rnaut Vidal est formé de
«lieux communs; et, comme d'ailleurs le style en est très faible, le
« roman. . . n'est, à aucun égard, destiné à occuper un rang élevé
"dans la littérature dn moyen-âge, ni niéme dans le genre auquel
« il appartient. Toutefois, par cela seul qu'il est écrit en langue d'oi ,
« il mérite une attention particulière'*'. »
f^étude de l'éditeur s'est portée spécialement sur deux points :
rechercher où Arnaud Vidal a jiu prendre quelques-uns des lieux
communs qu'il a introduits dans son roman, et, avant tout, le thème
de l'épouse infidèle et calomniatrice, qui en est le ressort principal'^';
étudier en détail le style , la versification et la langue de l'auteur'^'.
Sur le premier point, Paul Meyer a institué une comparaison in-
structive entre Guillaume de La Barre et la huitième nouvelle de la
deuxième journée du Décaméron. Que l'œuvre d'Arnaud Vidal ait
franchi les Alpes et servi de modèle cà Boccace, ce serait pour elle
— quelle que soit sa faible valeur intrinsèque — une biillanle
recommandation. Mais la preuve reste à faire, et il faut avouer, avec
l'éditeur de Guillaume de La Barre, que fhypothèse d'une source
commune, bien que cette source n'ait pas été retrouvée, est beaucoup
plus vraisemblable que celle d'un emprunt direct.
Le second point a été traité d'une manière approfondie par Paul
Meyer, qui lui a consacré trente-deux pages, et qui a jugé très
sévèrement la manière d'écrire de notre auteur. Arnaud Vidal, dit-il,
<') Édition citée, introd., p. wxi. — ''' /ftiV/. . p. \xxi-xi.vii. — "' //»trf. , p. xr.vii-i.x\n.
SES ÉCRITS. 525
«conte lourdement et sans esprit; il n'y a pas clans tout son roman
«une fine observation, un sentiment exprimé avec délicatesse, unf
" image vraiment poétique; on peut lire des pages entières sans ren-
" contrer un vers à mettre en relief; tout ce qui découle de sa plume
" est uniformément banal et plat ». Nous sommes plus enclins à l'in-
dulgence, et quelques épisodes nous paraissent faits pour plaire. Si
l'auteur n'a ni élévation ni piofondeur, il nous émeut parfois en se
tenant à fleur de terre, tout près de la nature, et il arrive, comme
à son insu, à produire, à force de simplicité, une impression durable
sur l'esprit du lecteur. Sa versification a certaines particularités qui la
distinguent de celle des troubadours antérieurs; il manie l'octosyllabe
avec dextérité. Sa langue abonde en singularités; néologismes e(
archaïsmes y voisinent pêle-mêle, ce qui n'est pas à son avantage au
point de vue esthétique. Seuls les linguistes, épris des questions
d'évolution grammaticale, y trouvent leur profit; après Paul Meyer,
Camille (habaneau y a relevé plus d'une particularité curieuse'' ,
sans épuiser complètement la matière'^'.
II. (inANSON À LA Vierge.
Cette poésie, couronnée solennellement le 3 mai i3q4, comme
« la plus nette .> de toutes celles qui furent présentées au premier con-
cours de Toulouse, est qualifiée de cirvenlés par le scribe qui nous l'a
conservée, mais le terme est impropre. C'est bien une canso, comme
le dit l'auteur du récit de la fondation des Jeux Floraux. Elle se con»-
pose de 73 vers, répartis en cinq couplets sln(jidars de i3 vers,
suivis d'une tornada de 8 vers; les rimes, sauf trois, sont de celles
que les Leys d'Amors appellent dictionals derivativas per meimamen v
creissemen '^l
Les chansons à la Vierge, qui souvent se bornent à paraphraser
des hymnes latines, échappent à l'analyse par leur nature même.
Inconnues à la plus ancienne lyrique provençale, elles ont sup-
planté à la longue les chansons profanes'*'. La recherche de l'allité-
•'1 Bévue des langues romanes. 1897, t. XL, <') Revae des langues rowmes . 1807, t. XI.
H- 574-584. p. 5^5. ^ J/' •
J'r ^°"" "°^ '""'""^tv ,'v t tT' ' ^o"","'"' ''" '" •'• ^&*^^« ' ^ troubadour Guivaut Riguier
Muh, .9.9-20. t. XXXI-XXXII, p. 3a3-336. (Bordeaux et Paris, .905), p. a83 et s:
3 5
520
BERNAIU) WIOUOS.
ration a fini par y étoufler les élans de piété naïve et les traces de
poésie sincère qu'on remarque dans les premiers modèles qui nous
sont parvenus. Arnaud Vidal ne se distingue pas, à ce point de vue,
de ses contemporains : il n'est ni un novateur ni un rénovateur. Toute
sa maîtrise réside dans la forme, et il suflira de citer le premier cou-
plet de sa chanson pour que le lecteur s'en fasse une idée:
Mayres de Dieu, Verges pura.
Vas vos me vir de cor pur,
Ab esperansa segiira,
Tant qu'ab nierse m'assegur
Que m'escur
Say, tan qu'a la fi s'atui-
M'arma lay on gaugz s'atura.
Verges, ab dreyta inezura,
Prec preguetz Dieu nom mezur,
Car, per dreg, en loc escur
M'arm' auria cambr' escura ;
E, car d(^ vos nom rancur,
Dels gaugz dels sels non endur ''
A. T.
BERNARD AMOROS,
COLLECTIOIN^E^jR DE POÉSIES EN PROVENÇAL ET EN LATIN.
I. On sait depuis longtemps que, vers iSSg, Jacques Tessier, de
Tarascon, a copié un chansonnier provençal très considérable, dû à
un clerc du moyen âge, nommé Bernard Amoros, qui l'avait fait pré-
céder d'une préface, et qu'une partie de cette copie est conservée
à la Riccardiana de Florence. On possède maintenant, du reste,
la copie complète de ce chansonnier, telle qu'elle fut exécutée au
''' D'après Paul Meyer {Guilluume de La
liane, intiod., p. x-xi), Arnaud Vidal aurait
composé, outre la chanson dont nous venons
de |)arle)-, couronnée le 3 mai i3a4, une autre
chanson à la Vierge, pour laquelle il aurait été
lait doctor en la gayo acietisa, et qui ne nous
aurait pas été conservée. Cette alTirmation,
contre lai|uelle Chabaneau ne s'est pas expres-
sément inscrit en faux [lievue des lancjues
romanes, 1897, t. XL, p. 575, note i), ne re-
pose que sur une interprétation erronée du
récit des Leys d' A mors que nous avons cité tex-
luellemenl ci-dessus, p. 5 16. C'est la chanson
que nous possédons qui valut à son auteur et
la violette d'or et le titre de doctor en la gaya
sciensa. J.-B. Noulet s'est encore plus grave-
ment mépris en écrivant [Mémoires de la So-
ciété archéologique du Midi de la France, i8()/i.
2* série, t. X, p. laa) : «Arnaud Vidal fut
deux lois encore lauréat et enfin docteur en la
gaie science sans que les dernières cumposi-
lions lyriques qui lui méritèrent cette distinc-
tion aient été retrouvées. •
SES ECRITS. 527
xv!*^ siècle par Jacques Tessier. Ce qui u)anque à la Riccardiana a été
retrouvé, en efTei , flans la Collection Campori, à l'Estense de Modène,
par M. le professeur Giulio Bertoni, en 1898 '".
Le manuscrit original de Bernard Amorosest perdu; mais la pré-
lace (|uc le compilateur avait mise en tête de sa collection figure dans
la copie de la Riccardiana. Quoiqu'elle ait déjàété imprimée, toutau
long, au moins troisfois^^), nous en reproduisons les premières lignes :
Eu Bernartz Ainoros, ciergues '■^K scriptors d'aquest libre, si fui d'Alvergna, don
son estât maint hou trobador, e fui d'una villa (fue a nom Saint Flor de Planeza, e
sui usatz luenc temps per t^roenza, per las eticontradas on son moût de bonz troba-
dois, et ai vistas et auzidas maiiifas bonas chaiisos. Et ai après tant en l'art de Irobar
qu'eu sai cognoisser c de\ezir en rimas, et en vulgar et en lati, per cas e per verl)e
lo dreiz trobar del fais. Per qu'eu die qe en bona fe eu ai escrig en aquest libre
drechamen lo miels q'ieu ai sauput e pogut. E si ai moût eraendat d'aquo q'ieu trobei
en l'issemple
Le clerc Bernard Amoros était donc de Saint-Flour; il séjourna
longtemps « en Provence » ; et c'était un amateur de poésies ^"^ Il s'es-
timait connaisseur en matière de versification et de langage, tant en
latin (pi'en langue vulgaire. C'était non seulemenl un collectionneur,
mais, pour ainsi dire, un philologue, car il s'appliquait à reproduire
exactement les textes qui lui paraissaient dignes de figurer dans son
recueil. 11 le faisait, ou croyait le faire (car les modernes ne sont pas
tous d'avis qu'il ait toujours bien agi en cette matière), avec prudence :
fiiGranz faillirs es d'ome que si fai emendador sitôt ades no n'a l'entencion, qe main-
tas vefz per fracbuia d'i-ntendimen \cnon afollat maint bon mot obrat priinamen e
d'avinen razo, si coin dis uns savis :
Blasmat venon <" per frachui'a Maintas vetz de razon prima
D'entendimen obra pura Per raaintz fols qes tenon lima.
'" Des éditions diplomatiques ont été don- t. XLt ( 1898), p. 35o. KJition partielle dans
nées des manuscnls de la Kiccardiana et de G. Bertoni, Il canzoniere provenzak di Bernarl
ILslense par E. Stengel et G. Beiloni; l'in- . 1 moros (Friburgo, Svizzera 191 i) p ix
dicati.m détaillée s'en trouve dans A. Jeanroy, W G. Bertoni qualifie toujours Bernard
Bibhoçjraphie sommaire des chansonmcrs proven- Amoros de « moine»; mais il le fait d'autorité
f"^ if""!*' '9'^)' P- '9 et suiv. sans preuves, et'à lencontre de cette indication
Par Grutzmacher(/lrc/(ii>/((r (/as S(U(/i«m précise.
derneuerenSprachen. t. XXXIU, p. à'ij); pai- W Son recueil, classifié par genres, com -
ri.- Bartich dàm le JdhrhiK h fur lomanischv und prend, avec des chansons proprement dites
eiighsche Literatur. t. XI ( 1 870) , p. 1 2 ; et par des sirventes. des desrortz et des tenzo^.
h .Slengel dans la Revue des langues rommrs . O .Sic. Poni- HInsniadn ven. . . '>
528 BKRNARD AMOllOS.
Mas ieu m'en sui ben gardatz, que maint luec son q'eu no n'ai ben aut
l'entendimen , per q'ieu no i ai ren volgut niudar, per paoi' (ju'ieu non pejuits
l'obra
A quelle époque le clerc Bernard A moros travaillait-il de la sorte?
Au xin" siècle, selon K. Bartscli, «car il était sans doute contempo-
rain du bel âge de la lyrique provençale »''|. Mais il ne dit nulle ])art
qu'il ait été contemporain de ce bel âge. A cheval sur le xiii*^ et le
\iv' siècle, d'après G. Bertoni'-^. 11 est certain que les collections an-
térieures dont Bernard Amoros s'est servi (« l'issemple ») ne contenaient
pas de pièces postérieures à la fin du xiii" siècle, ni même aucune
])ièce précisément datée et postérieure à la bataille de Tagliacozzo
( 1 268); et il est j)robable que la préface du compilateur est antérieure
à l'érection de Saint-Flour en évêclié ( i3 1 7),puisque la ville de «Saint
Flor de Planeza » est nommée, par lui, enfant du pays, sans qu'il
soit fait mention de sa dignité épiscopale. Il est difficile de préciser
davantage; mais la plupart des grands chansonniers ])rovençau\,
analogues à celui de Bernard, datent des premières décades du
XIV" siècle; il n'y a aucune raison de croire que celui-ci ne soit pas
du même temps.
M. Boudet a écrit dans la préface de ses Reciisli es consulaires de Saint-
/'7ou/ '^' : M Bernard Amouroux, de Saint-Flour, l'auteur de l'ample
collection des poésies des troubadours, vit encore en i338 dans sa
ville natale. . . »; mais il n'a pas donné de référence. M. Bélard, archi-
viste municipal de Saint-Flour, a bien voulu chercher pour nous la
source de cette alhrmation; et, dans les comptes municipaux de son
dépôt (Ch. X, t. I, art. 3), il a trouvé en effet un « B. Amoros » inscrit
parmi les contribuables imposés à la taille au quartier de « La Bastide %
à Saint-Flour, en i324, 133/ et 1 338. Mais il n'est nullement certain,
il n'est môme pas probable (pie ce contribuable soit le compilateur
du chansonnier: notre Bernard Amoros était clerc, et les clercs
n'étaient pas inscrits sur les rôles de la taille. Retenons seulement que
les Amoros du cpiarlier de La Bastide étaient sans doute parents de
''1 Jahrbuch f. rom. iiitd ciujl. Lit., loc. cil., cantaliens, t. I" (Aurillac, 1910), p. 4d9-/i59.
|). i3. Opinion adopU-e dans {'Histoire générale ''' G. Berloni , op. cit., p. xx.
ili: Languedoc (éd. Privât), t. X, p. aaa, ''> M. Boudet, Registres consalairet de Saiiit-
II. .'î, l'I par le duc de la Salle, Troubatlonrs f'/onr (Paris et Riom, 1900), p. xxiv.
SES ECRITS. 529
celui qui nous occupe''^ et qu'il était, par conséquent, originaire, lui-
même, de ce quartier.
II. D'autre part, le relieur Brade!, chargé, vers 1880, de restaurer
le plus ancien registre des Archives de la Faculté de Droit de Paris,
en retira plusieurs feuillets d'un manuscrit en papier du xv* siècle,
de vingt-cinq lignes à la page, glosé, qui sont aujourd'hui conser-
vés sous ie n° 122 aux Archives (et non pas, comme il conviendrait,
dans la Bibliothèque) de la l'acuité'^'. En voici le titre et le début :
liNCIPIT LIBEH l'KOVERBIORUM VCLGARIUM ET SAPIEMUM.
Scribo tibi meti'ice proverbia , dulcis amict' ,
A vulgo ficta, cur sunt vulgaria dicta,
A«l coiidimentum miscens quedam sapientum.
Dogmala prisconim redolet mixtura bonoruin.
A la lin de celte préface (et non pas du recueil, comme il a été
dit'^'), l'auteur se nomme et indique avec précision le contenu et la
date de sa composition :
Aniio miileno ter centum quoque deno
Adjuncto terno, complevit, tempore verno,
Dirtus Amorosus Bernardus, in bis studiosus ,
I^ibrum presentem, proverbia mille tenentem,
Milleque qiiiiigentos versus bic ordine juiictos.
Un certain Bernard Amoros a donc composé, au printemps d'une
année que L. Delisle a dit être i333, et dont le millésime peut aussi,
et même mieux, être déchififré <ii3i3i), ce recueil de proverbes
populaires et d'adages empruntés à la littérature classique, suivant la
méthode inaugurée, dès le premier quart du xi* siècle, dans la Fecanda
ratis d'Egbert de Liège. Mille apophtegmes en tout, et quinze cents
''' M. Bélard nous signale, dans la même (Paris, 1918), p. 488. Le nom de Bernard
séi-ie de comptes , d'autres contribuabiA du Âmoros n'est pas relevé à l'index,
quarlier de La Bastide, nommés Jean et Tho- ''' L. Uelisle, Mélanges de paléographie et de
mas Amoros. bibliographie {Paru, 1880), p. ^39.
'*' Catalogue général des iiianasciits des biblio- '*' Dans ie ms. 12a, qui contient les frag-
ihéqnes publiques de France. Université île Paris ments de deux manuscrils distincts, trouvés
IlISr. I.ITTKB. — xwv. ()7
3 t *
530 BERNARD AMOROS.
vers. De ces quinze cents vers, les fragments conservés en contien-
nent un peu plus de trois cents *', tous aussi mauvais que ceux que
nous avons cités et que ceux-ci, détachés au hasard :
Qui cubât et surgit tarde lit deiiique pauper.
Sepe minus liuut que muitum jussa fueruut.
Qui siiif letitia vivit, mors est sua vita.
Franguntur sepe dentés homini^ sine casu.
Femina tristatur dum que vuh non operafur.
Bernard Amoros, sic est lui qui a écrit ainsi, était tout à faitinexperl
dansTart, dont il savait pourtant le prix"\ de circonscrire une pensée
dans un hexamètre, et de Ty frapper en médaille. Mais, en ce cas, il
n'aurait pas été le seul amateur de j)roverhes mis en vers latins qui , an
moyen âge, ait été aussi maladroit, comme on s'en convainc aisément
en parcourant la collection que M. J. Werner a formée naguère en
dépouillant un certain nombre de manuscrits parémiologiques des
bibliothèques de France et d'Allemagne qui contiennent des guirlandes
analogues à celle de notre Bernard '^'. Dans cette collection générale,
qui est un florilège, il y a certainement quelques vers heureux; ils
sont très rares. Notons, en passant, qu'un assez grand nombre de pau-
vretés figurent à la fois dans le Lihev proverhiomin de Bernard Amoros
et, par exemple, dans le ms. A. XI. 67, anonyme, de l'Université de
Bàle (premier quart du xv" siècle'^'). Bernard Amoros n'est sans doule
|)as coupable du tout, il ne l'est peut-être pas de la majeure ou même
de la moindre partie de ce qu'il a fait entrer dans son recueil; beau-
coup de ses «proverbes» sont des maximes qui couraient dès long-
temps dans les écoles. Si même la comparaison méthodique de son
ouvrage avec les opuscules antérieurs du même genre démontrait
qu'il n'y a, dans le sien, presque rien ou rien de lui, nous n'en serions
pas surpris.
dansla reliure (lu pretnicr registre de la Faculté, ''' J. Werner, Lateinisclie Sprnbwôrter ainl
on a indûment mélangé ce qui provient de Sinnspriiche des Mittetnlters , «us HandsclirKU'ii
l'un et de l'autre. Les Cragments de l'opuscule gesnmmeit (Heidelberg, 1912).
de Bernard Amoros figurent sous les numéros '' Exemples :
d ordre 1 a 7 et 19. Sepe rogare roeala lenere el retenu docere ;
<'' « Non bene lit gratus sermo nisi sit bre- Her tria Hiscipulura faciiint saperare magistrum.
viatus ■ (fol. a). Pelle siib agnina latiut mens sepe iupina.
SES KCIUTS. 531
Le Liber pwverbiorani de Bernard Ainoros n'élail pas classé, comme
l'est celui de J. Werner, par ordre alphabétique des premiers mots
de chaque vers; et les fragments conservés ne laissent pas apercevoir
clairement le plan suivi par le compilateur, s'il y en a un.
m. La chancellerie pontificale a expédié,àpartirde Jean XXII, plu-
sieurs lettres en faveur d'un clerc nommé Bernard Amoros. Le 12 oc-
tobre 1^22, Jean XXII conféra à ce personnage un canonicat dans
l'église de Mirepoix, nonobstant l'/'glise paroissiale de Moussoulens
[de Mossolineliis)^^\ au diocèse de Carcassonne, dont il était déjà
pourvu '-^ Le 8 décembre 1824, nouvelle grâce expectative, au
même, d'un bénéfice « dans la ville ou diocèse de Béziers», à la colla-
tion de févêque, sous la condition qu'il ne le cumulerait pas avec
ceux qu'il avait déjà '^'. Mais, le 5 mars i337, Bernard Amoros était
encore recteur de Moussoulens. Le pape lui accorda ce jour-là, par
une faveur assez rare, l'indulgence plénière in articulo mo/fj5 ''"'.
Mahul, dans son (jartiilaire . . . des communes de l'ancien diocèse de
(larcassonne '^', a connu Bernard Amoros comme recteur de Moussou-
lens, mais seulement à la date du 1 4 juillet i32 1. Ce jour-là, la pré-
sence de Bernard est signalée dans ïaula de l'Inquisition, à Carcas-
sonne, au prononcé de la sentence portée, pour hérésie, contre maître
Guillaume Garric '**'.
Reste à savoir maintenant si tous ces Bernard Amoros contempo-
rains, le compilateur de chansons provençales, le collectionneur de
proverbes et le recteur de Moussoulens, n'en font qu'un.
Il paraît évident que le compilateur de chansons et le collectionneur
de proverbes sont une seule personne. Mais cette personne est-elle le
« B. Amoros » inscrit au rôle des contribuables du quartier de La Bas-
tide à Saint-Flour, ou le recteur de Moussoulens, ou un tiers .3 Nous
avons déjà indiqué la raison qui nous fait pencher à croire que le
contribuable de La Bastide n'est pas notre homme. D'autre part,
''' Moussoulens, commune du canton d'Al- par J.-M. Vidal, n° 47i4- Cf. Lettres closes et
zonne (Aude). patentes, n° 11^6.
'^' Jean XXII. Lettres communes, iinal^&ôes ■*' T. 1" (1857) , p. 162.
par G. Mollal, n* 16417. '*' R. P. Bouges, Histoire ecclésiastique et ci-
'■'' Ibid. , n° a 1 1 83. vile de la ville et da diocèse de Carcassonne (Paris ,
'*' lienoît XII. Lettres communes, analystes 17/n), p. 6a5,col. 2.
67.
b'd'l JEAN GOBI L'ANCIKN.
pourquoi le recteur de Moussoulens ne se serait-il intitulé que
«clergues»? Il est sage, semble-l-il, de ne rien alFirmer. Le nom de
«Bernard Délicieux» était sans doute, à l'époque dont il s'agit, plus
rare encore en Languedoc que celui de « Bernaid Amoros », et cepen-
dant les registres de Jean XXII révèlent ({u'il fut porté alors, non
seulementparle célèbre tribun franciscain, adversaire de l'Inquisition
(+ iSig), mais par un clerc séculier du diocèse de Rodez, qui est
cité de i326 à i3'i8 '".
CL.
LES DEUX JEAN GOBI,
FRÈRES PRÊCHEURS.
Les Gobi étaient, au xiii* et au xiv^ siècle, une des principales
familles d'Alais; leur nom figure constamment dans les listes consu-
laires depuis le milieu du xiii^ siècle jusqu'à i36o ^^K Deux des
membres de cette famille, l'un et l'autre j)rénommés Jean, ont laissé
des écrits.
I
Jean Gobi, senior, parcourut les divers degrés de la hiérarchie dans
les couvents de son Ordre, celui de saint Dominique. On le trouve
sous-lecteur au couvent de Sisteron en 1278, lecteur à Marvejols
en 1381 et à Alais en ii85, étudiant à Paris en 1291, lecteur à
Béziers en 1298, prédicateur général en i3oo, prieur du couvent
'•' Jean XXII. Lettres communes, n" a5857 , le délenscur des Albigeois, le clerc séculier, ou
aGgaS, 4i665. Ajoutons qu'un «Bernardus un tiers ?
ileliciosi ■ figure dans la nomenclature des '*' Voir les relevés , faits d'après les archives lo-
I Scolares illustres» de l'Université de Bologne cales, par A.Bardon, Histoire de la ville d'Alais
à la <late de ia86 (M. Sarti et M. Fattorini, de 1250 à 1M0 (Nlrne», 1894). Cf. Historiens
DecliirisarchiciYmnasii Bononiensisprofessoribtts. de lu Fniiiic, t. X\IV, p. SgS.
t. Il, BononiiK, 1896, p. 3a5,col. 1). Est-ce
SA VIE. blVi
(l'Avignon avant 1003 et (Je celui de Montpellier entre i3o2
et i3o4. Invité, en qualité de prieur de Montpellier, le a8 juil-
let i3o3, à adhérer à l'appel du roi conire Boniface Vlll, il refusa,
« nisi de exprossa voluntate et assensu Prioris generalis tocius Ordi-
« nis » '''. De Montpellier, il passa à Sainl-Maximin, en Provence, et il
resta prieur de cette grande maison de 1 3o4 jusqu'à sa mort, arrivé»!
en 1 S-^S ; pendant deux ans ( 1 3 1 2- 1 3 1 V , il exerça les fonctions d<î
prieur provincial de la seconde province de Provence, mais il ne
semble pas qu'il ait été remplacé, même alors, comme prieur de
Saint-Maximin '"''.
En juin i3o3, Jean Gohi, prieur de Mont])ellier, de passage à
Mais, rédigea, dit-on, le texte d'une transaction entre le seigneur et
les habitants d'Alais au sujet de la leude du blé '^'.
Les anciens bibliographes, comme Echard, n'ont parlé de Jean
Gobi , senior, que pour mettre en garde contre la tentation de confondie
ce personnage avec son homonyme, l'auteur de la Scala celt. Car ils
ne savaient pas qu'il eût écrit lui-même. Il a composé, cependant, un
livre intitulé Miracula béate Marie MaçjdaJene , dont la copie, apparem-
ment unique, jadis conservée à Saint-Maximin, appartenait en i 880,
lorsqu'elle fut décrite par J.-H. Albanès, à M. le marquis de
(ilapiers **'. Il n'est pas douteux que celui qui a tenu la plume pour
composer ce recueil est Jean Gobi l'ancien, (juoiqu'il ne se soit pas
nommé; en ellét, à propos d'une visite faite à Saint-Maximin, le 2 juil-
let i3io, par un miraculé, il déclare : « Michi priori ostendit. . . ".
Il a dû se servir d'un recueil antérieur, où les miracles étaient consignés
suivant l'ordre des temps où ils s'étaient produits; mais, en les racon-
tant, au nombre de quatre-vingt-cinq, il les a classés, et d'une
manière assez bizarre, en groupant les faits de même espèce : miracles
en faveur de prisonniers, d'aveugles, de sourds, de muets, de goutteux,
''' G. Picot, Documents relatifs aux Etats jubilé épiscopal de Monseigneur de Cabrières ,
yendraux et assemblées réunis sous Philippe le Bel t. II ( iSyg), p. 567. — Sur son œuvre admi-
(Paris, igoi), p. igi. Cf. A. Bardon, Listes nistralive à Sainl-Maximin, qui fut très consi-
cbronologiques pour servir à l'histoire de la ville dérable, voir J.-H. All)anès, Histoire du couvent
d'Alais, fasc. 3 (Nîmes, jSgâ), p. 62. royal de Sainl-Maximin (Draguignan, 1880),
''' Sur son CBrriVu/um, voir C. Douais, Lf.'; p. 60-81. Eitr. du Bulletin de la Société
frères Prêcheurs en Gascogne, p. 438; et le d'études. . .delà ville de Draguignan , 1. XII.
même, Acta capitulorum provincialium Ordinis '"' A. Bardon, Histoire de la ville d'Alais de
Fratram Prœdicatorum (Taaloaie, 1895), à la 1250 à 1 3i0 (Nimei, 1894), p. io5.
table. (>!". Mélanges. . .publiés à l'occasion du ''' J.-H. Albanès, op. cit., p. 385 et suiv.
r)3'i LE SE(;0\[) .IK\.N GOlil.
(raiiéués, de lépreux, etc. Dans un dernier chapitre, deux faits
particuliers ont été insérés : l'apparition de la Madeleine à un reclus
de Lyon pour lui indiquer l'emplacement convenable à rétablissement
d'un couvent de Dominicains dans cette ville; et «l'exorcisme d'un
'< possédé qui se fit à Lausanne avec une relique de sainte Madeleine
Cl venue de Vézelai, pendant letjuel les exorcistes entendirent le démon
M se moquer d'eux , en leur reprochant d'employer, comme authentique,
Il une relique ([ui n'avait rien de commun avec la sainte». — Quel-
ques-uns des miracles sont datés: le yS*" de i3io, le 85* de i3i3,
(il s'agit, dans ce 85*^ récit, d'une faveur accordée à l'auteur lui-même,
alors qu'il se rendait au Chapitre général de i3 i3, convoqué à Metz).
Un ancien annaliste de Saint-Maximin, le P. André Lombard, qui
écrivait pendant la première partie du xviii^ siècle d'après des sources
perdues, dit d'ailleurs que Jean Tiobi avait « recueilli les miracles
'< arrivés de 1279a 1 3 1 5 ».
M. Albanès a exprimé, en 1880, le vœu que l'œuvre de Jean Gobi,
senior, fût livrée à l'impression : «C'est, disait-il, un véritable service
«à rendre à l'hagiographie en général et à notre histoire locale '"'. »
H ne paraît pas que ce vœu ait été réalisé depuis quarante ans. — Le
manuscrit, prêté par M. de Clapiers avant 1887 , n'a pas été retrouvé
dans sa succession, et la trace en est perdue '"■^'.
II
Jean Gobi , junior, sans doute neveu du précédent, appartint aussi
à l'Ordre de saint Dominique. Mais sa biographie est restée long-
temps plus obscure que celle du prieur de Saint-Maximin.
I. Sa vie. — Le P. Echard considérait que l'on n'avait, pour situer
dans le temps ce second Jean Gobi, d'autre élément que la dédicace
de son livre intitulé Scala celi à Hugues de Collobrières, prévôt de la
métropole d'Aix; encore ignorait-il les dates extrêmes entre lesquelles
Hugues de Collobrières avait exercé ces fonctions'^'. Quant à B. Hau-
réau, il penchait encore à croire, en 1891, que Jean Gobi, /H/iicr,
'•'' J,-ll. Albanès, p. iig.^. — '"' Communiralion de M. le manjuis de Clapiers à M. Alexaiulrt-
<le I. aborde (df'c. 1919^ — ''' Scri/itorcs Orillni.^ Vreedicntoram , t. F", p. 633.
SES ÉCRITS. 535
n'avait jamais (juitté Alais; et citani une copie de la Scala cet! , datée,
selon lui, de « i3oi », il semblait par là rapporter la composition
de l'ouvrage à une époque antérieure à cette année ''>.
Cependant, dès 1880, J.-H. Albanès avait signalé, dans les archives
de Saint-Maximin, des pièces <|ui établissent que Jean Gobi junior
était «lecteur., dans ce couvent en 1827, et prouvé que Hugues de
Collobrières a\ail été prévôt d'Aix de 182 2 jusqu'à sa mort (5 fé-
vrier i33o''^*). Le lecteur de Saint-Maximin était d'ailleurs en relations
intimes avec la famille du prévôt, puisque, du 8 octobre 1327 ^u
12 février 1828, on le voit procéder à des acquisitions de cens comme'
Itères universalis de Béatrice de Collobrières'^'.
Le second Jean (iobi fut aussi prieur du couvent d'Alais, sa ville
natale. A quelle époque .^ En 1 323-1 32^, comme il sera établi tout à
l'heure. Mais comment se fait-il que, prieur dès i323 à Alais, il soit
redevenu simple lecteurà Saint-Maximin en 1827 .^ Nous le constatons,
sans l'expliquer. Qu'un prieur soit redevenu lecteur, cela n'a d'ailleurs
rien d'impossible: c'est arrivé, notaujment, à liernard Gui. Le second
.lean Gobi a peut-être trouvé naturel de quitter le prieuré d'Alais pour
rejoindre, dans ujie position subordonnée, son aîné à Saint-Maximin.
Quant à la date de sa mort, elle est inconnue.
II. Ses écrits. — Le nom du second Jean Gobi est attaché à des
ouvrages dont le succès a été très grand.
\. ScALA CEu. — On lit, dans la dédicace de ce hvre, certainemeni
composé à Saint-Maximin après 1822 et avant i33oW:
Cum, revertndc pater, inipossibile sit nobis superlucere (sic) divinum radium nisi sul)
velamine simililudinis et figure ; tiinc est quod mentis nostre acies invalida in
<'' B. Ilauréau, /Vo<,.« cl estraih de quelques Ce qui précède était composé lo«que les
manuscrits latins de la Bibliothèque nationale, épreuves d'un nouvel article de G. Huet Le^
t. n p^335. Opinion formellement adoptée rédactions de la .Scala <eli..qai doit par'ailrf
?^''J^-,^'f^^'^']''f,<;}'''^l"'ScalaCeli..d^s dans la Bibliothèque de l'École des chartes
h Bibhotliequedeltcole des chartes, l.LX^Yl pour ,^.o, nous ont été communiquées.
( '9»3). P- 399. — L ejiilictt du ms. lat. 35o6 G. Huel y reconnaît son erreur
est ams. conçu : . Iste liber fuit scriptus et <'» J.-H. Albanès, on. cit., p. 3û4 et suiv
compilatus Trecis per fratrem Guillermum de cf. Gallia christ iana uovissima, t. l" col 165'
Madliaco, Ordinis Fratrum Predicatorum, Autis- ''' Ibidem.
siodorensem , anno Domini m» ccc» primo , in die <«) C'est d'autorité , et sans motif, que G. Grô-
beati Georgu .. Mais un quatrième c a été giatté , ber, Grundriss der romanischen Philologie, t. Il
au mdlesime. J.-H. .\lbanès (p. 4o3, note , ) a 1, p. a8o, assigne i la Scala celi la date de
bim lu . 1401 ». Lccrilure est de colle diilc. i3i6.
536 LK SKCOM) JKAN GOBI.
lani ixcellenti luce non figitur, nisi oani aspiciat per simiiitudines et ixetnpla
Quia vero videtur animus ad cilrsfia inhiare, eo quod dtlectctur narrationibus et
oxemplis sanctorum, idcirco tgo. . . hanc Scalam celi composui ut per eam interduni,
posiposito alio curioso vcl terreno studio, ascendamus ad conteniplandum aliqua dr
rlernis.
I,ateni auteni hujus scale sunl duo, secundum duas hujus opcris partes. — l'ri-
rnuni latus est cognitio siipi'rnoruni cuni ainorc, secunduni cognitio inferiorum et
pretcritorum cuni timoré. Ex primo laterc e\cluduntur peccata et iecundantur virlutts ;
sed, ex secundo, breviter radicantur in nu nte omnes illustres operationes lacté ah
inicio mundi usque ad iiostra tempora , secundum aiuiorum iiumeruin et septcm
.étales.
(îradus autem hujus scale sunt diverse materie que in ea secundum aiphabeti or-
«linem conlt'xuntur.
La Scalaceli est donc un recueil d'exemples édifiants à l'usage des
prédicateurs, en forme d'historiettes moralisées, sous des rubriques,
disposées suivant l'ordre alphabétique, telles que : Abstinentia, acedia,
adidalio, adulterium, advocatns , amhilio , amicitia, ainor, anfjeli, etc. On y
a compté plus de six cents historiettes, sous cent-dix-neuf rubriques.
Le nond)re des historiettes et des rubriques n'est pas du reste uni-
forme dans tous les exemplaires.
Les ouvrages de ce genre ne sont pas rares, comme on sait, dans
la littérature du temps : il suffit de rappeler les noms de Thomas de
Canlimpré, d'Eudes de Cheriton et de Robert Holkot ''. Mais que
[)eiiser de celui-ci.^ — D'al)ord, le nombre des exemplaires manu-
.scrits ([u'on en a ne mesure pas exactement la popularité dont il a
joui. Le P. Echard, au wiii"" siècle, n'en a connu que trois. Le Cabinet
des manuscrits de la Bibliothèque nationale n'en possède qu'un
(lat. 3.S06), avec un abrégé (lat. 16517). Quoique M. Albanès ait
allirmé qu'" il ne serait pas difficile d'en dresser « une bste assez longue
« en consultant les catalogues » '-*, cela n'est qu'une hyjîolhèse ; car, en
fait, nous en connaissons assez peu : Lons-le-Saulnier, n" i ; Marseille,
n" 98; Metz, n" ^38; Strasbourg, n° 82; Troyes, n° i345; Bruges,
n "494 ; Vienne en Autriche, suppl. 2636; Munich, lat. 8976, fol. 189.
La grande popularité de la Scala celi, principalement en Allemagne,
'' Voir J. A. Ilerbeil, C'((/ii/o'yi(c 0/ lo/im/ict'.'i des autres ouvraf^es aiialo;(ues sont soigiieu-
iii ihe (lepartment of manascripts in (lie liritish ment décrits.
Muséum, t. III (London, 1910), où il n'est pas <'' J.-H. Albaiies, op. cit., |>. 4oa.
>|m'slion (le la Sailn celi , mais où la plupart
SES ECRITS. 537
qui n'est pas douteuse, date du temps où l'iniprimerie en multiplia les
copies. lien parut ainsi, coup sur coup, des éditions à Lubeck (i 476),
à LJlm (i48o), à Strasbourg (i483), à Louvain (i485) '*'. — De
nos jours, des opinions contradictoires ont été exprimées sur la
valeur de la composition dont il s'agit : «The Scahi celi is, after the
« Gesta Romanovam , ihe most intcresling of ail the mediaeval story-
M books», dit T. F. Crâne *^'; « livre sans mérite », a prononcé B. Hau-
réau *^'. 11 est du moins certain que cet ouvrage contient une foule
de renseignements intéressants pour l'histoire de la littérature com-
parée et du folklore,
11 est certain aussi que la Scala ccli est une compilation. « Ne
« scripla bec legentibus contempnantur », dit l'auteur dans sa préface,
I in Une liujus libri auctores et hbri ex (|uibus bec extracta sunt po-
« nuntur et ordinantur ». Jean Gobi a pris garde, en elïét, d'indiquei
expressément, dans un paragraphe à part '*\ ses sources, qui sont
les Vitœ Patruni, saint Jérôme, les Dialogues de saint Grégoire, les
Fleurs des Saints, les Histoires scolastiques, le Spéculum exemplorwa
de Jacques de Vitri, la Somme de frère Vincent [de Beauvais j, le Livre
De scpteni doms d'Etienne de Bourbon, le Marialc maynum, le Libev de
vita et perfectione Fratrum Predicutorum, YAlpItabelam narrationam. Ha,
en outre, utilisé ou cité, çà et là, une foule d'autres ouvrages : Pierre
Damien, Pierre Alfonse, Hélinand, les Miracula beali Dominici, les
Gesta comitis Monlisjorûs , etc. Il apparaît par là que la bibliothèque
de Saint-Maxim in, ou celles auxcjuelles l'auteur a eu accès, étaient
fort bien montées **'.
Jean Gobi ne s'est pas interdit, du reste, de recourir à d'autres
sources : « Aliquando aliqua inserui applicando ad mores vel reci-
" tando que ita scripta non reperi, sed iu predicationibus audivi. »
II a même inséré, à l'occasion, quelques phrases dans la langue vul-
gaire de son pays, c'est-à-dire en provençal '^'.
'"' M"' Pellechet, C'afa/ojfue jfe'ne'ra/ d« incii- '*' Bibl. nal., lat. 35o6, fol. 94- Passage
imhles des bihlinthéques publiques de France, imprimé par G. Huet, /oc. ci*., j). agg-Soo.
t. III (1909), p. 594. ''■' Voir le Catalogue de cette bibliothèque
'-' T. F. Crâne , The Exempta of Jacques de en i5o8 (Archives des Bouches-du-Rhône,
Vitry (London, 1890, p. i.xxxix). Quarante B iaa6).
des six cents historiettes de Jean Gobi se re- ''^' Deux passages en provençal ont été relevés
trouvent d'ailleurs dans les Gesta. par J.-H. Aibanës, p. 4oi ; cf. Revue des langues
'■' Loc. cit., p. 335. romanes, 1881 , p. 101, et Romania, t. XLV
HIST. l.ITTKI». — XXXV. 68
538 LE SECOND JEAN GOBI.
Toutes ces historiettes sont racontées sous une forme assez claire,
mais très sommaire, et parfois peu intelligente '"'.
A. Hilka a annoncé récemment une nouvelle édition de la Scala celi
dans sa Collection de textes latins du moyen âge [Sammianfj mittel-
lateinisclier Texte. Heidelberg, depuis 1912). De son côté, G. Huet
a institué une comparaison entre l'édition incunable et les deux
manuscrits de la Bibliothèque nationale'^'. Il a conclu de cette com-
paraison : 1" que le ms. lat. 35o6, plus bref que l'édition, n'est
pas un abrégé, mais représente une première rédaction, primitive;
2° que Jean Gobi est l'auteur, non seulement de la première, mais
de la seconde rédaction, celle des éditions; 3° que le ms. lat. iGSiy
« serait une copie corrigée d'une troisième rédaction de l'ouvrage, faite
aussi par l'auteur lui-même», après la première et avant celle des
éditions. Mais il manque à G. Huet d'avoir pris connaissance de tous
les manuscrits conservés, ce que l'éditeur a fait ou fera sans doute.
2. Dt: spiRiTU GviDONis. — Tel est le titre, dans l'incunable paru
à Delft en i486, cliez Jacobszoon van der Meer '^', d'un opuscule
dont les exemplaires manuscrits, qui présentent entre eux des dif-
férences, sont nombreux dans les bibliothèques anciennes (Inc. :
« Ouoniam, ut dicit Augustiuus in libro de Fide... »).
iiii8-i()i() , |>. i56. — Kn \oici eiicoiT un ''' T. F. (irane en a ia|i|)roclic plus de soi-
ylat. 35o6. fol. 3^ v°, sous le mot (Iorea). \anle-dix des Exeinphi de Jacques de Vitrv
Jean Gobi raconte là, d'après le De M /)/("/im/(ihi> . qu'il a publiés. — \ oir aussi, notamment,
l'histoire des danseurs engloutis dans lenfer : A. Mussalia, dans les Sitzuiijsbericlitc du l'Aca-
, , . ■. , ,1 . , „ demie de Vienne, t. LXIVfiSvo), p. 6n3, cl
• In quadam cintate consuetudo erat ut coree f^v^r t -l j i c- ci- j n
ducerenlur por villam, et juvenes cum larvis lur- t- ^^^ ; Lxbro de los Swtc Snbu>s de Homo.
pissimc starent super ligneos equos. Cum autem Novela Iniducida de latin {de un libro llnmad»
qui<lam predicali>r lios reprehendisset eo quod. . . Soihi Cirll) en romance por Dieyo de Caiiizares
in plalea civitatis in quadam sollerapnilate coreiia- (Madrid, iSija. « Sociedad de Bibliofilos Kspa-
n-nl, venil quedam muititudo demonum in specie noies.); Zeitscbrift fur romanbrhe Philologie,
juvenum et mulieruni coreiîando, et niisriierunt se ^ \W'|I i(n3 n. 46o' et G. Huet articles
loreiianlibus iliis de illa civitale. Et unus illnrum ... ' . ' 1
demonum incepit rantarc et dicere sic : ,,,' „■,,■ ,, , . ..r'. , j . ,
'^ '"' liibUolkeque de l hcole des rharles , ic^'io,
Aysels qui mi enamat [lisez an amatj. p. 3o5-3 i o.
Per mi sera[n] desonrat. (>) ^ii. PeUechet, Cataloifue cité, n* 527a.
De mon joc avcU usât; ^■^^^^ ^,IHj^^ ^ ^^^ reproduite, plus tard, en
Per so vulri qu en siati nasal. • i- i- . 1 b îi
' ' ' a])pen(ii(e (1 autres ouvTaf;es(n. Ilaureau, (ip.
Le copiste du ms. lat. 3,')o6, Guillaume de ri'r.f. Il, p. 33a; cl. lUbliolhéqac de l'Ecole des
Mailli , a noté qu'il ne comprenait pas tes pas- charlef , 1891, p. 45t)- La pagination de l'exeni-
sages en laiitrue >ul^'aire: « Nescio quid est hoc plaire de la Bibliothèque nationale est Iroiihlée
dictum. » après la sitrnature b m.
SES ÉCRITS.
539
Cet opuscule a eu la bonne fortune d'attirer l'attention de
B. Hauréau qui en a fait connaître en i89o,daprès quelques exem-
plaires ('), une forme très analogue à celle qu'olfre l'édition incunable.
G.Schleich,en 1898,53118 avoirentendu parler du travail d'Hauréau,
a publié ce texte une fois de plus, d'après d'autres manuscrits (^).
B. Hauréau savait qu'il en avait été fait, dès le xiv« siècle, une tra-
duction en prose française '^'. Mais il ignorait que le De spiritu Guidonis
eut eu un succès extraoïdinaire, vraiment européen , pendant plus de
deux cents ans. Non seulement, en ellet, il en existe une traduction en
prose française, mais Jean Baudouin de Hosières-aux-Salines en a fait
entrer, au xv'^ siècle, une paraphrase en vers français, à titre d'épisode,
dans la cinquième partie de sa monumentale Instruction de la Vie
mortelle '*'. H en existe aussi des traductions et des paraphrases
anciennes, prose ou vers, en haut-allemand ''', en bas-allemand <"'
en moyen anglais '^', en suédois '«', en gallois'", en catalan""'.
'"' Il a indiqué (dans le Recueil des Nolues
et exlniits des manuscrits, t. XXXIlf, i" p.,
1890, p. 1 1 1 , et dans ses propres Notices et
extntils de quelques manuscrits latins de la Bi-
bliothèque nationale, t. Il, 1891, p. 339) les
manuscrits suivants du texte latin de cette
rédaction, à propos de lexemniaire dont il se
servait, lat. 1 .'^tioa (!.■ la BU)liothèque natio-
nale :
Bibl. roy. de Bruxelles n°' i5'!i, 4361, 8769.
British Muséum: Vesp. El, fol. 219-230; \ esi).
A VI, fol. i34-i40; llarl. 2879, loi. 73-80. Oxford,
C.C.C, n° 218. Oxford, Mertoti, n" i3. Vatican!
Bibl. palatine, n° 397.
B. Hauréau ne savait pas que H. Brandès
avait publié, dès 1887, dans le Jahrbuch des
Vereins fur niederdeutsctie Sprachjorscliuny ,
t. XIII, p. 83, une liste de manuscrits latins
du De spiritu Guidonis. H. Brandès cite là des
manuscrits conservés dans les bibliothèques de
Berlin, de Kiel, de Mulhouse, de Munich,
d'Osnabrûck , de Wolfenbùltei.
•'' G. Schleich, The Gast oj Gy (Berlin,
1898). T. I" de la Collection Palœstra, publiée
sous la direction d'Alojs Brandi et Eric
Schmidt. — G. Schleich s'est servi de trois
manuscrits seulement, et en cite quelques
autres (Fairfax, n" a3; etc.).
Un assez grand nombre de manuscriu n'ont
été connus ni de Brandès, ni d'Hauréau, ni de
Schleich. Citons, entre autres, au British Mu-
séum : Old Royal Mss., 7 B xiii, fol. 239-344;
Additionai Manuscripts , n° 34 1 ^3 , foL.i o 1 - u)6.
'^' H en signale trois manuscrits (Vatican,
Bef^in. 1389; Bibl. nat., fr. iSaiy, qui est
incomplet; Arsenal, n° 2680). Ajoutez: Cam-
brai, n° 2i3, fol. i58 , et Troyes. n° i465
'*' Romania. t. XXXV (1906), p. 552.
''' H. Brandès, lac. cit., p. 84.
'*' Ibidem. — Une preuve de la popularité
du De spiritu Guidonis en Allemagne au
XV' siècle est l'usage qu'en a fait Hermann Kor-
ner dans sa Chronica novella (éd. I. Schwahii,
Gôltingen, 1895).
''' Traduction en prose et paraphrase en octo-
syllabiques. L'une et l'autre ont été publiées
par C. Horstmann, Richard Rulle de Humpolc
and hisJollowers,t. II(London, 1896), p. 292,
et dans l'ouvrage cité de G. Schleich. Zupitzà
s'est intéressé aussi à cet ouvrage ( Literarisches
Centratblatl . 1897, col. GSy). — Sir David
Lyndsay, roi d'armes d'Ecosse (i490-i555),
dit, dans i'épitre liminaire de son poème intitule
The Dreme, comment il amusait le jeune roi
Jacques V en chanUnt, en dansant, en contre-
faisant le diable ou «the greislie (iaislof Gye..
Cité par W. H. SchoGeld, ,]fytl,ical bards and
the lifc of William Waltace (Cambridge, Mass.,
1920), p. 42.
'•'""'' '*' H. Brandès, loco citato, p. 85.
68.
5'j() LE SECOND JEAN GOBI.
Enfin, B. Hauréaii a étudié la forme du De spiritu Guidonis qu'il
connaissait sans soupçonner qu'il y en eût une autre. Or, il y en a
une autre, certainement antérieure et primitive, et qui fournit la clé
de faits inintelligibles sans son secours. On ne peut pas dire que cette
rédaction soit tout à fait inconnue, car quelques-uns des manuscrits
qui font conservée ont passé dpj)uis trente ans sous les yeux d'érudits
apparemment qualifiés pour en tirer parti (G. Schleich, A. Bardon).
(leiHMidant la valeur n'en a pas encore été misé en lumière. Il convient
d'en parler d'abord.
Le manuscrit j i-3-2 de la Bibliothèque universitaire de Barcelone,
qui contient une traduction en catalan du texte le plus répandu du
De spiritu Guidonis '", présente (fautre part — dans un cahier distinct,
(lui ne faisait pas partie du manuscrit primitif — une rédaction en
latin (le la même historiette, qui en diflère beaucoup. Elle est insérée
dans une lettr«> d'un catalan, frère Beiiiard de Ribera, de l'Ordre des
frères Prêcheurs, familier du cardinal de Pellegrue, à févêquc Gui
(l(^ M ijorque.
Voici le commencement de cette lettre '"^' :
llevenndo in Cliristo patri domino (luidoni, Dei gratia opiscopo Majoricarum
nicnon et fotius sacre pagine egregio prolessori ''', suus in oninil)us fraler Beinardus
lie Hiparia, Ontinis Predicalonini , familiaris reverendi palris aniici vestri carissiini
<loinini eardinalis de Peiiagrua, se toluni cum recomendacione tiuinili ac devota.
llevennde pater ef domine, vobis scribere et signilTicare voliii ipicddam mirabile
(|uo<l non recordor me audisse née legisse ita continualum diutine sicut in pre-
srnti rutulo ronlinetur. Que omnia pleiiarie veritatem continent secundum (|Uod
(tomino Summo t\>iitiflici est Iiosfiiisnm et dominis cardinalil)us per rotulum
infrascriptum.
— '•' Dans un manuscrit des premières an- a, y. lua. — La traduction catalane a été pu-
iiées du XV* siècle. (|ui appartient à la Shrews- hliée depuis, d'après ce manuscrit, parR.Miquel
Imrv School. Voir le tome I" des Reports on y Planas, dans son recueil intitulé; lAetfcndes de
innmi^cviph in thc WeUh Innjnn'je , p. 1117. /'n/Jni riWn ( Barcelona , i()i/|),p. 17.'».
— '"■' Ms. n° 3ii des Carmes dérliaussés de •'' Voir la note précédente.
Barcelone, aujourd'Itui à la Biiiiiothèque de ''* D'après la copie que nous devons à l 'obii-
rUniversité de cette ville. — Ce manuscrit, si- geance de M. F. Valls-Taberner, des .\rcluves
1,'nalé par le P. Villanueva ( Vinje lilerario à les de la Couronne d'Arapon.
ù/foi'io dr Ë':pnnii. t. XVIII, p. 34i)< * ^'*' '' '^.e carme Gui Terrien, de Perpignan,
idenlilié à la Ribliollièqno di- l'Université de évècjue de Majorque ( 1 ,^3 1 -iSSî), qui aura sa
IVircelone par \. Morcl-Kalio, dans le Giuiiiliis^ notice dans notre i-ecueil.
i/<7- roinnnisriien l'hilologie de G. Grôber, t. Il,
SES ÉCRITS. 541
Suit le texte du « rouleau » annonce, procès-verbal qui est précisé-
ment la rédaction nouvelle que nous nous proposons de taire connaître.
La lettre s'achève en ces termes :
Bene vaieat vestre reverencia paternitatis, quam consenet Dominiis per tempora
longiora. Datum Avinione, in festo beati Georgii martiris '".
Conventum nostrum Majoricarum vestre gracie recomendo. Dominas meus cardi-
iiaiis dePeiiagrua miiltum vos comendat et tiabet vos pro certo in visceribus caritatis
et totum Ordinem vestmm, quare pUiceat vobis quod pro ipso orelis et orare faciatis
et pro me f'amulo \estro. Deo gratias. Amen.
Le même procès-verbal a été transcrit dans le manuscrit 167 de
Ripoll, conservé aux Archives de la Couronne d'Aragon, à Barcelone
(xiy" siècle, sur papier) i^'. Là. il n'est précédé d'aucun préambule;
mais il est suivi d'une note ainsi conçue '^ :
Revelationem raissam domino Sunmio Pontifici et dominis cardinalibus, lectani
in pleno Consistorio, ego frater Beniardus de Riparia mito vobis: inno Domini M
CGC XX' m-, etc.
Scire vos volo quod frater Petrus Caiterii, procurator Ordinis, diiit michi in \'
die f'ebruarii quod dominus Papa mandavit sibi qiiod predictus frater Johannes Gobi,
prior Alestensis, cum melioribus personis tocius ville, inquisitionem diligenter fa-
ciant '^' sub juramento, requisiti ab Hlis qiii audierunt illam vocem quod diligentissime
inquirerent si ibi est vel iatet aliquid figurationis. l'nde de piedictis que vobis mito
firma fides invenitur per testes innumeros fidedignos. Et fratres eciam inissi sunt de
Avenione qui inquestam redactam in formam publicani représentent domino nostro
Pape et coiiegio dominonmi cardinalium. Nam adhuc illa vo\ continuatur; et sive a
l>arbaris Angticis, Scotis, Alamaimis, interrogetur, unicuiqiie dat responsionem in
cujuslibet proprium idioma.
Frère Bernard de Ribera n'est pas le seul hôte de la Curie qui,
ayant eu communication du procès-verbal en question, en ait envoyé
copie dans son pays ou à ses confrères. Le même procès-verbal a été
copié, au moyen âge, dans un manuscrit de la Chartreuse de Bellary,
au diocèse d'Auxerre '^' ; il est probable qu'il avait été adressé aux
m ^e r^t '■ ' ^'■^"^ t ''' ^*"' 1* commune de Chàteauueuf-\"al-de-
l-ol 78 V . — Voir sur ce manuscrit, les Bargis (Nièvre). — Une transcription de cette
.^Uzungsberuhte de,- k. Akadem.e der Wissen- partie du manuscrit de la Chartreuse de Bellarv
schajten m M ,en . Phil. - hist. Klasse, t. CLXIX (cité doripnal. sombie-t-U, jw labl.e L. Char'-
(>)*r ' ''' ï^M u- 1- Il -r L '*"''• ^*^ dernier historien de cette maison,
Copie de M t . \ allâ-Taberner. mais dont nous n'avons pas réussi à déterminer
61e, pour .lecerunt.. le sort actuel) se trouve dans les papiers do
3 7
542 LE SECOND JEAN CiOBl.
Cliailreiix de Bellary par un de leurs correspondants en Avignon.
D'autre part, maître Jean de Uosse, évêque de Carlisle (dont le pré-
décesseur mourut le i" novembie i324), fit tenir d'Avignon ce
document à l'archevêcjue de Cantorbéry, Walter Reynolds (t 16 no-
vembre 1327)'''. Un autre exemplaire parvint encore, à notre connais-
sance, en Ecosse, où Walter Bower, le continuateur dix Siuticlironicon
de.lean deFordun, l'inséra, au xv" siècle, dans sa Chronique'"-'. Enlin
le procès-verbal a été connu aussi, de bonne heure, en Italie, puisque
le chroniqueur llorenlin Villani en a eu vent '■'l
Dans le manusciit écossais que Bower a transcrit pour sa conti-
nuation de la Chronique de Jean de Fordun, le texte du rouleau était
précédé d'un billet de l'expéditeur anonyme à un prélat non dénommé,
en ces termes :
Sciil)it iralor Joliaiines (îoby domino Joliaiini XXII, summo puiitifiri, su!) atles-
lalioiu' sigilli communis civilalis Alesli, quoddam quod scquilur niiratiile prope
(iUriani Romanam, de (|Uo stupor magnus exortus est in partibus. Mira[n]tur
eccitsia, dominus Papa tt taidinaies de quodam spirilu cujusdain l>oni liominis <|ui
dcct'sserat, cujus spiritus frequenttr auditus est, et non tantuni in secreto, sed
pnsenlibus tam rriigiosis (jiiani laïcis in mulliludinc copiosa, et non lantuni semel
vel])i,s, sed eliani pluries, (juia loties venit ad locum ul)i manere consuevit. Iden
l'acte siint sibi inlei rogationcs pcr viros religiosos et fidedigiios. Et quomodo inquit ,
respondit, et copiam responsioii[um] ipsius, vestre sanctilati tiansniitto. Ad secretiora
vero (|ue de mysteriis fidei suiit est inlerdicta sibi poteslas ut débet (iic) respondtrc,
etc. — Senipcr conservet vos Clnistus ad regimen ecclesie sue.
Les excm()laires du rouleau commencent ])ar : «Anno Domini
1 millesimo trecentesimo vicesimo tertio, in feslivitatibus Natalis Do-
.1 mini M, ou par : « Ego frater Johannes Gobi, prior Predicatorum in
« conventu Alestensi, rogatus per meliores homines de Alesto. . . ».
riiilibc^rl (io La Maiv,, conseiller au Parlement note : « Nolandum quoil in lileia quadam missa
de Dijon, à la Bibliollièc|ue de l'Arsenal archicpiscopo Canluariensi (e» morjfe : Waltero
(nis. tSiio, fol. 11)8). — (ielte Iranscripliuii, Rej^inaldi) de (!iiria lioniana ab e[)isco|Ki Kar-
quioHVe des lacunes, a été assez incorrccleinent leolensi, videlicet mafjistro Johanne de Hosse,
publiée par A. Bardon, uft. cit.. p. yo4-20(). continebatur quoil sequitur. » — La pbolo;,'ra-
L'ouvrai^e del'abbé L. Cliarraull a été pui)lié phie de ce texte est à la l^ibliolhè(|ue des
i\i\ns le liuUclin de lu Sniiclé invpiniiisc des Icllrc.': , .\rchives nationales, sous la cote M m lit).
.<cic'«c« £'( ((/'(i, t. XXII ( 1 ()<)8), p. 38()-47*>. '■' Jolmnnis de Forduii Smlichrnnicon , éd.
''' Le tevte abréf,'édu procès-\erbal, transcrit \V. (ioodall, I. Il (Kdinburj^i, 1759). Reproduit
dans le nis. Harléien () 1 2 (fol. 3.'Vj /)-335j par G. Sclileich, op. ci/. , p. i.\.
du Musée britannique, y est précédé de celle ''' (.f. plus loin, p. ôSf), note i.
SKS ECHITS.
543
Mais c'est en véiilé, dans lous les cas, le même incipit : «Ego, frater
«.fohannes (iohi», précédé ou non d'une date. On reconnaîtra à ces
mots les exemplaires nouveaux qui restent peut-être encore à
signaler'''.
Analysons maintenant ce document singulier, dont l'auteur s'est
ainsi nommé, sans ambiguïté possible, dès la première ligne*^'^'.
La scène est à Alais'^', en décembre iSaS et janvier i324'*). Un
honorable bourgeois de cette ville, nommé Gui du Tour*^), est mort
''' iNotoiis en passant que, d'après un des
inanuscrils de Barcelone, Jean Gobi avait
adressé d'iil)ord son procès-verbal à frère Pierre
Gantier, piocureur de l'Ordre de saint Domi-
nique en cour de Home :
Annci Doinini millesiino trecenlesimi) viccsimo
lercio, in lèsli\ilatil)iis Nalali's Dominl, Iratcr Jo-
hannt's, Ordlnis Piediratoruin, prior in convenlu
lie Aleslo, srri()sit fralri Peiro Galterii, procura-
lori Ordiiiis predicii, evislcnli in Romana Curia,
omnia que ^eciintur
D'après le manuscrit écossais, l'envoi avait
été fait à Jean XXII directement, siili nltesla-
lionc si(jiHi cnmnim civitatis Ale^ti. 11 est vrai-
semblabii' (pie ces renseignements sont exacts
l'im et l'autre.
•'' Nous suivons les manuscrits de Bellary
l't de Barcelone, en tenant compte du texte de
W . Rowci-, qui contient un passage de plus au
pnilieu et qui est tron(|ué à la lin.
'^' H. Brandès, dont l'article est intitulé
(iiiido voit Alet, a cru qu'il s'agissait de la ville
c'piscopale d'Alet (.\ude). G. Schleich s'est
l'scrlmé assez longuement dans i'Archiv de
Herrig, t. XCVIll (181,7), P- ^ç)», pour dé-
montrer qu'il s'agit d'Alais (Gard); ce qui est
(•vident.
Il est spéciliédans la rédaction remaniée que
la «civitas Alesti» est à vingt-quatre (ou trente)
milles (ou li('ucs) de la Cour romaine, c'est-
.i-diro d'Avignon.
Le dernier érudit qui ait parlé de l'Esprit
de Gui, W. H. Scholield écrit, dans son ou-
vrage cité (1930) : «Guy was a citizen of
Alexti, near Bayonne...» Pour s'expliquer
celte sin^'ulière afFu-mation, voir plus loin,
p. 55/j, note 3.
''' Les manuscrits de Barcelone et la Chro-
nique de Bower ont « iSaS », celui qui dérive
de la lettre de l'évêque de Carlisle et celui de
Bellary f i334 •• — Les manuscrits de la rédac-
tion la plus répandue offrent des millésimes
variés: 1 .5 1 /i, i S-îS, iSi^i, .334, K^-iLMais
il est à remarquer que la plupart des exem-
plaires s'accordent à indiquer un millésime
qui se termine par un 4; les leçons i3i4
et 1 334 sont pour 1 324 > par omission ou addi-
tion d'un X. — .lean Baudouin de Bosières-
aux-Salines, qui a versilié en français, au
xv* siècle, l'histoire du Bevenant d'Alais, la
date aussi de 1 3a4 ( nom<ini(i , loc. cit. , p. 55^ ).
B. Hauréau a adopté la leçon « i333», parce
qu'elle est fournie, dit-il, par le plus ancien
manuscrit (Vesp. K 1) ; mais les maïuiscrits ne
sont pas datés ; Vesp. E 1 est du commence-
ment du XV* siècle ; et il est clair, dans ces con-
ditions, (pie l'argument n'a pas de force pro-
bante. Cependant, il tombe juste.
'*' Dans plusieurs manuscrits de la rédaction
commune les scribes n'ont gardé <pie le pré-
nom, en supprimant le surnom, d'une lecture
embarrassante ou douteuse. Dans ceux où le
surnom est rapporté, on lit de Tornu, tic Tniu-iin
ou de Ttirno, de Curno ou de Corvo. Les ma-
nuscrits de Barcelone et le manuscrit Har-
léien ()i-j portent nettement «Corvo». Il n'\
a, bien entendu, aucun compte à tenir de la
forme «Gui de Tarnol», <pii est dans certains
exemplaires delà traduction (ranc^aise en jirose
(Cambrai, n° a 10), ni du « Guido vanTermen »
des traductions en bas-allemand.
A. Bardon restitue, arbitrairement, «de
Tournon » ; P. Meycr propose aussi , de son
côté, cette restitution hypothétique (Roiiuinia.
loc. cit., p. 55a). Mais il y a, dans le départe-
ment du Gard, des lieux dits «La Tour» ou
«Le Tour», dont Tiirniim est le nom ancien.
Le surnom de Corvo [de Corp'; a été porté à
544
LE SECOND JEAN GOBI.
récemment. Mais la veuve entend , la nuit, la voix du défunt. Sur l'avis
de ses voisins, qui l'entendent aussi, elle est allée consulter les Frères
Prêcheurs. Le prieur Jean Gobi, qui raconte, accompagné de frère Jean
Bonafous, « lecteur en philosophie'''», de frère Déodat Durand, de
frère G. Raoul de Millau, et de plus de cent séculiers, dont le sei-
gneur d'Alais et maître Pierre de la Bruguière, notaire'^', se transporte
sur les lieux. Toutes les précautions ayant été prises, jusque sous les
tuiles et dans les environs, pour éviter la fraude et l'illusion, et infor-
més que la voix part de la chambre, voire du lit du défunt, les quatre
moines s'enferment dans ladite chambre, chacun avec sa lanterne, et
s'assoient en rang d'oignon sur le lit mortuaire, en récitant les neuf
lectiones mortuorum cuin Utania. Ils étaient seuls dans la maison avec la
veuve, qui était couchée et qu'ils avaient eu soin de flanquer d'une
duègne, ncforsilan posset nobis frandem aUcjuamfacere. Le prieur, sans
en avertir personne, s'était d'ailleurs muni, à tout hasard, d'une
hostie consacrée. Cependant un souflle passe, comme un bruit de
balai sur le sol, et la veuve s'écrie : «Le voilà!» Une voix se fait
entendre, en effet; elle est faible, mais distincte : c'est bien la voix de
feu Gui. Les quatre moines s'arrangent pour cerner l'endroit d'où
elle semble émaner; et la conversation s'engage entre le prieur et
l'Esprit. Celui-ci répond volontiers aux questions qui lui sont posées:
il connaît le prieur; il ne connaît pas frère Jean Bonafous; il est en
purgatoire pour avoir oflensé sa mère; mais il n'est pas in purgatonu
commuiii : il est astreint à faire son purgatoire « particulier», pendant
deux ans, dans les lieux mêmes où il a péché, à moins qu'on ne le
soulage. Mais quel soulagement, quels « sufirages » désire-t-il? Des
messes, et d'autres prières, comme les sept psaumes de la pénitence ;
cent messes, par exemple'^'. L'âme déclare qu'elle est soumise au
celle époque par divers personnages; voir la
liio-hibtio(fraphie d'Ulysse Chevalier à l'article
« Jean de Cors « et Jcnn XXII. Lettres communes,
analysées par G. MoUat, n°' ^o, 878 , etc.
'"' » Johannes Genofossi • , dans la Chronique
rcossaise, où tous les noms sont estropiés.
'*' Consul en i328. H y a des pièces signées
de ce notaire aux Archives municipales d'Alais
(A. Bardon, p. 4i).
O Ici, le prieur cherche à prendre l'Esprit
on défaut. Il avait célébré ce jour-là, dans la
matinée, une messe à l'intention de feu Gui.
« Elgo hodie celebravi pro te ; rogo le ut dicas
« michi de quo ?» — Respondit : • De Spi-
« ritu sancto». — Tune ego, in ista respon-
• sione non perfecte ipsum intelligens , aiii :
itMentiris. nam, licet in missa mea dtias oni-
tciones de Spiritii sancto dixerim, tamen prin-
ticipale ojjicium fait de mortais. — Verumtamen
• illi qui stabant dixerunt mihi quod mortuus
■ bene responderat, quod virtute Spiritos Sancti,
• cujus in missam memoriam feceram , sua
• pena multum fuerat alleviata; quamvis hoc
« ego perfecte non intellexerim. •
SES ECRITS. 5/i5
supplice du feu; et le prieur s'en étonne : «Quomodo spiritus incor-
« poreus potesl pati a flamma corporea? »; « C'est la volonté de Dieu » ,
dit la voix. Jean Gobi demande ensuite au patient s'il est possible de
lui transférer, à lui, patient, le bénéfice des indulgences que, lui,
prieur, s'est acquises pendant tout un an. Sur la réponse affirmative
de l'intéressé, l'opération a lieu sur le champ. La glace ainsi rompue,
le bon prieur profite d'une occasion si rare pour s'enquérir, auprès de
celui qu'il vient d'aider si efficacement, des choses de l'autre monde. H
apprend ainsi qu'au moment de passer, les mourants sont environnés
d'un horrible concours de démons; que les démons croient à la Sainte
Trinité; que les péchés confessés, mais pour lesquels on n'a pas encore
satisfait, sont comptés au passif des morts; que l'àme, délivrée du
corps, habet scienliain de rébus naturalibiis. Sur quoi le prieur : « Ex quo tu
« habes talem scientiam , quare ergo non loqueris michi litteraliter'''.-^ » ;
mais l'Esprit s'en déclare incapable, en alléguant seulement, pour
toute excuse, que Dieu ne le veut pas, et en ajoutant : « Maintenant,
«laissez-moi tranquille». Cependant le prieur confie à son interlo-
cuteur l'étonnement qu'il éprouve : Quoi! une pauvre àme a besoin
de secours et ce n'est pas aux religieux, c'est à sa femme qu'elle
s'adresse , au risque de la tourmenter et de la compromettre. « C'est que
«je l'aime beaucoup, dit l'Esprit; et puis, elle n'ignore pas ce qui me
«trouble. «Jean Gobi voudrait bien savoir encore si, depuis son décès.
Gui a vu tels ou tels de leurs communes connaissances, récemmenl
décédées, parmi les élus ou parmi les damnés; mais l'Esprit répond
que Dieu ne veut pas qu'on sache, ici-bas, ces choses-là. Infatigable,
le prieur, au nom de l'hostie dont il est porteur, ordonne alors de le
suivre à l'Esprit, qui se dispose à obéir, et il lui demande en même
temps s'il est mort en état de contrition, ef aîicjua alia de virtute confes-
sionis, et pourquoi c'est lui qui « revient » , non pas un autre . . . Mais la
veuve, effrayée, s'évanouit quand la voix passe devant elle. Et alors,
silence.
A partir d'ici, il y a divergence entre les textes du procès-verbal à
notre disposition. On lit, dans le manuscrit de Bellary et dans les
manuscrits de Barcelone, que, après l'évanouissement de la veuve,
les spectateurs n'entendirent plus qu'une voix lamentable errant dans
'* C'est-à-dire en laliii.
HIST. I.ITTlin. — \\\v. Gq
3 7 *
546 LK SECOND JEAN (;OBi.
la maison; puis, rien du tout, et Ton s'en alla; mais, dans le procès-
verbal que Bower a connu , la séance continuait comme il suit. La veuve
commence à grincer des dents et à pousser des cris furibonds, ad mo-
dum mnUeris Jnnbunde. Le prieur interpelle l'Esprit : «In virtute pas-
« sionis Christi, quero a te causam hujus perlurbationis uxoris tue. »
L'esprit répond:» Ipsamet scit causam; pete ab ea. » Alors, au milieu
d'un profond silence, la veuve commence à entrer en convulsions et
à clamer hautement : « Domine Jesu Cliriste, adjuva me in isto labore
«in quo graviter suni vexata. » Le prieur s'adresse à elle, mais elle
était «comme en extase» et ne répondait rien. Alors Jean Gobi, indi-
gné, dans un élan de son cœur [cum impetu animi sai), se retourne
vers l'Esprit : « Adjuro te, creatura Dei, per virtuteni vulnerum et cor-
« poris Jesu Christi, et per lac et iacrynias matris ejus, ut nunc mihi
« dicas hujus rei veritatem. » L'Esprit se décide à entrer dans la voie des
aveux. S'il est là, ce n'est pas, comme il l'a déclaré d'abord, pour avoir
offensé sa mère, c'est à cause d'un énorme péché qu'il a jadis commis,
en ce lieu, avec sa femme, pour lequel elle n'a pas satisfait. Quel
péché? dit le prieur ; indique-le nous, pour que nous puissions en
détourner nos ouailles. Non pas, non pas, répond l'Esprit; nous nous
en sommes confessés, ma femme et moi ; ledit péché est donc oublié
de Dieu (fiioad culpain; seulement il ne l'est pas (juoad penam, et
c'est ce qui fait mon malheur.« Tamen dicas, prior, conjugatis et pre-
« dica senjper ut melius inter se teneant régulas matrimonii; sunl
« enim diversi casus in ([uibus peccant conjugati, et, nisi melius
«se abstincant, Deus capiel inde gravem vindictam. » Puis, lout se
tait, et on s'en va, comme dans les autres textes. — Cet épisode
est-il une intrusion dans le procès-verbal qui parvint en Ecosse, ou
bien a-t-il été volontairement supprimé du procès-verbal original, où
il figurait, par frère Bernard de Ribera et par le correspondant des
moines de Bellary? II y a bien des raisons de pencher pour la seconde
hypothèse; l'une d'elles est que le rédacteur du De spiritn Gaidonis
remanié dont nous parlerons plus loin, lequel suit fidèlement le
procès-verbal original en le développant et en l'arrangeant à sa
guise, a connu le morceau complémentaire dont il s'agit'''.
'"' Comparer le texte de M. Bower (cf. que le passage rapporté par M. Bower n'était
G. Silileich, p. i.ix) et celui de la rédaction pas dans le procès-verbal primitif, il faut
remaniée [ib. , p. -ji)). — Si l'on suppose admettre que Bower a combiné le procès-verltal
SES KCRITS. 5'i7
Quoi qu'il en soit, il semble que Jean Gobi avait pris goût à ces
entrevues; car il n'eut rien de plus pressé que d'accepter ou de pro-
voquer une seconde séance, ad majorem cértitndinem. La veille de l'Epi-
phanie, après matines sonnées au monastère de Saint-Germain de
Montaigu, qui domine, sur sa colline, le couvent des Dominicains
d'Alais''', toujours escorté de frère Jean Bonafous, « lecteur en philo-
(I Sophie», et aussi, maintenant, de frère Raimon Cabassa, «second
lecteur en philosophie », et d'un troisième acolyte, le prieur se rendit
de nouveau au domicile de feu Gui, où la veuve, entourée de dames,
se trouvait engagée dans un dialogue avec l'Esprit. Cette fois, la veuve
commença elle-même l'interrogatoire. Mais le prieur ne put bientôt
se tenir de s'en mêler '^^ Ayant manœuvré de rechef, lui et ses con-
frères, de manière à ce que le point d'où partait la Voix se trouvât
entouré par eux, in medio nostrnm, « Reste-là » , dit-il alors à l'Invisible ;
M tu me connais; qui suis-je!'». La Voix répondit : « Lo yjnour » *^' ! —
« (îrois-tu à l'Incarnation? » — « Très certainement ». — « Les sufl'iM-
« ges de l'Eglise ont-ils raccourci ta peine .-^d — «Oui, je n'ai plus
« à souffrir ici que jusqu'à Pâques ». — Cependant Jean Gobi tient à
éclaircir cette étrange circonstance que le patient subit sa peine, du
moins en partie, hors du purgatoire commun : « Habes tu ergo aliani
II penam prêter illam qnam habes in isto hospicio .►^ » Hélas! oui, l'Es-
prit a encore à subir d'autres peines que celles qu'il endure, la nuit,
dans son ancien domicile; il les subit pendant le jour dans le purga-
toire commun. Le prieur, ([ui l'avait deviné, demande brusquement à
son captif, lequel avait refusé antérieurement de faire le signe de la
croix, sous prétexte qu'il n'avait pas de mains : « As-tu des oreilles? "
— «Non». — «Cependant, tu m'entends». — «Parce que c'est la
«volonté de Dieu». — Là-dessus, l'auditoire ouït comme un souille,
puis plus rien.
Ces deux procès-verbaux peignent à nos yeux le bon prieur inter-
rogant, dans sa parfaite ignorance de cette scientia de reluis natu-
ralihiis — dont l'Esprit de Gui n'attribuait, du reste, la connaissance
qu'aux défunts — et, en particulier, de l'art du ventriloque. Mais,
procès-verbal primitif avec la rédaction renia- brusquement : « Post hujusmodi muitos dia-
niée, ce dont il n'y a pas d'autre indice. logos
''' Ce détail topopraphique est très exact. ''' Nouvelle preuve que la conversation avait
''' A partir d'ici, le texte écossais s'arrête lieu en langue vulgaire.
Go.
548 LE SECOND JEAN GOBI.
en leur temps, lus en Consistoire, devant le pape et les cardinaux,
sans doute par le procureur de l'Ordre dominicain, à qui, comme
on l'a vu plus haut, ils avaient été adressés, ils parurent très consi-
dérables. On jugea urgent d'éclaircir l'affaire par une nouvelle
enquête, indépendante de la première et confiée, en partie, à des
hommes nouveaux.
La suite immédiate des événements nous est connue par la lettre
précitée de frère Bernard de Ribera, dont la dernière partie doit à
présent être citée tout entière :
Lecto vero predicto rotulo in Consistorio coram domino nostro Suramo Pontiflice ,
et cardinalibus admirantibus super premissis, dominas Summus Pontifex mandavit
archiepiscopo Aquensi '" quod mitteret ibi duos fratres Ordinis nostri, qui auctori-
tate papali mandarent domino loci predicti de Alesto et judici domini régis Francie
necnon et omnibus consulibus dicti loci quod facerent inquestam diligentissirae , sub
virtute obediencie et prestiti juramenti, si contenta in [dic]to rotulo habeant verita-
tem. Fada vero inquesta ut dominus Summus Pontiffex preceperat, inventum est
plus quam per quinque milia personài-um quod predictus rotulus in omnibus plenarie
continebat veritatem, mullaque admiracione digna audita sunt per illos qui inques-
tam faciebant. Nam dominus Johannes , doctor legum, judex domini régis Francie,
cum inquisivisset si ipse aliquid boni portaret supra se, respondit dictus spiritus :
« Certe sic, domine judex; vos enim portatis horas béate Marie Vii'ginis, in zona
« vestra. » Et tune ipse, manum ad zonam aplicans, invenit horas quas plus quam
ducentis personis hostendit. Et predictus spiritus seniel apparuit cum magno lumine,
et tamen alias non apparuerat. Interrogavit predictun» spiritum quidam frater Béate
Marie Virginis de Carmelo, qui erat ibi cum muitis aliis religiosis et secularibus :
« Adjuro te, spiritus, dixit ille frater de Carmelo, quid signifficat illud lumen quod
" nos videmus,cum alias non hostenderis te cum lumine, sed solum viva voce. ȕunc
spiritus respondit alta voce : « Istud lumen quod videtis est angélus meus bonus qui,
« compléta penitencia, perducet me ad gaudia paradisi. " Demum duo fratres nostri,
qui iverant ad predictum locum de Alesto ex parte Summi Pontificis, cum per très
iioctes cum meiioribus de villa interrogassent predictum spiritum, cum canonicis
regularibus, monachis nigris et aliis religiosis de Pauportate necnon et in presencin
plus quam trescentarum personarum, unus de fratribus interrogavit predictum spiri-
tum : « Adjuro te per Creatorem et per virlutem Coqioris Cbristi ut dicas nobis sub
« qua specie joqueris nobis. » Qui respondit : » Sub specic columbe », omnibus audien-
tibus. Et dictus frater adjurans eum dixit sic : « Per virtutem Christi precipio tibi
« quod hostendas nobis aliquod signum quod sub specie columbe loquaris » ; et spiri-
tus respondit : « Faciam. » Et statim, cum esset bora circa gallicantum et nulla
plumma esset in toto hospicio, subito invenit se totum cohopertum plummis albis:
''' Jacques de Conçois (i323-i32i)), frère pn-clii-ur.
SES ECRITS. 549
quod videntes seculares et religiosi in admiracione quamplurima sunt conversi. Dictus
vero frater voccatur (rater Arnaldus de Pcrpiniano'", de conventu'*> Fratrum Predi-
catorum de Pc[r]piniano, et bonus clericus et fama clarus et predicacione facundus.
Quid plura? Voces ille et responsiones continuate sunt a festo Nativitatis Domini usque
ad septimanani sauctam. Si ex tune aliquid audituni fuerit, vobis, doiniiio meo,
scribam.
Ainsi une nouvelle enquête fut ordonnée, et à cette occasion , frère
Bernard de Ribera l'affirme le 2 3 avril, un peu plus de quatre mois
après la mort de Gui du Tour, le bruit ne tarda pas à se répandre
qu'elle avait révélé et révélait des merveilles bien plus étonnantes
encore que celles qu'attestent les honnêtes procès-verbaux de Jean
Gobi, lesquels, dès décembre et janvier, avaient attiré l'attention sur
le revenant d'Alais. Les instruments de cette nouvelle enquête offi-
cielle sont perdus. Mais l'extraordinaire histoire avait déjà aupa-
ravant pris son vol dans toute la chrétienté. Et elle ne devait plus
cesser dès lors, naturellement, de s'embelhr à travers les transmis-
sions. Or le texte le plus répandu du De spiritii Guidonis, celui dont
le succès a été si grand, vraiment européen, durable jusqu'en
plein xv!*" siècle, et qui a même fait oublier, jusqu'à maintenant, les
textes primitifs, n'est autre chose qu'un des arrangements dont
l'aventure d'Alais fut de bonne heure 1 objet. Il reste à faire voir dans
quelles conditions, dans quelles intentions et comment ce travail a
été exécuté.
Dans le texte le plus répandu du De spiritu Guidonis, ce n'est pas
Jean Gobi qui parle. Un narrateur anonyme rapporte les conver-
sations d'un prieur des dominicains d'Alais — parfois, mais non pas
toujours, désigné sous le nom de Jean Gobi — avec l'Esprit de
feu Gui. La mise en scène et les circonstances sont à peu près les
mêmes que dans le procès-verbal primitif, qui est en général suivi;
elles sont simplement banalisées; mais, d'une part, les noms propres
des assistants du prieur, si précisément énoncés sous la plume de
Jean Gobi, ont été supprimés'^' ou écorchés; de l'autre, le récit est
plus développé : le prieur pose beaucoup plus de questions, et
'' Ms. : Papiniano. guière (« Pefru» de Urugeria ») ; mai» ce nom est
>'' Ms. -.predicacione. écorché dans l'édition incunable, et dans la plu-
'*' Sauf celui da notai re'Pierre de La Bru part des manuscrits, en • Petnis de Burgundia».
550 LE SECOND JEAN (;0B1.
l'Esprit, au lieu de répondre, pour ainsi dire, par monosyllalies, se
répand en dissertations; au lieu de parler avec une simplicité de
])onne femme, ses réponses sont amples, subtiles, parfois imper-
tinentes''\ et enfin, ça et là, tendancieuses.
L'intention pour ainsi dire doctrinale et catécliétique s'allirme dès
les premiers mots :
Quoniam, ut dicit beatiis Augustiiius in Ubro Di' fide ad Pctrum, niiraculum est
quir(|uid arduiim vel insolitum ad fidei roboracionem , <t quia Qiwrumtjiie
scripta sunt, ad nosb-am doctrinam scriptn sunt
La méthode du rédacteur s'affirme aussi, très clairement, à propos
de l'une des premières questions du prieur. Dans le procès-verbal,
Jean Gobi déclare cpi'il demanda d'abord à l'Esprit s'il était un bon
ou un mauvais Esprit : « Ego interrogavi si esset bonus Spiritus aut
(I malus. » L'Esprit répondit : « Bonus » ; et c'est tout. Or voici ce cpie
le rédacteur du De sptritii Gauloms a brodé sur ce canevas si court :
Prior proposuit haiir qiieslionfm : " Onis ps tu, spiritus bonus an malus?» Res-
pondit Vo\ : «Spiritus bonus sum, quia Dei creatura sum. Omnis crealura Dci , in
«quantum crealura est, bona est secundum illud : Vidit Deus cuncla qac faccrat et
« eiaiil valde bona. Et onuiis spiritus est creatura Dei. Ergo omnis spiritus, in quan
« tuni crealura Dei est, l)onus est et non malus. Cum ergo ego sum spiritus Guidonis
« nupiT morlui, bonus spiritus ego sum et non mahis, quantum ad meam naturam.
i< Sed malus sum ego modo, quantum ad meam penam malam, quam pacior. » —
Cui prior : « lu bac responsione tu reddes le malum spirilum esse, quod prol)o sic.
Il Omnis pena est bona, que recte infligitur alicui pro peccalo suo, quia bonum est
<i el justum (|Uo«l peccalum punialur. Sed tu dicis cjuod suslines nunc penam pro pec-
« calo luo ; ergo pena in se bona est, quia est juste libi a Deo inflicla. Falsum ergo
« dicis quod tu es spiritus malus in boc quod lu malam penam suslines. » — Respon-
dit \o\ (licens : «Omnis pena est in se jusla et bona, in rjiiantum a l\'i judiciu
« procedil ; sed mata est ad illum cui datur, quia datur nulli sine merito pecca-
« torum suorum. Unde isla pena, quam pacior, nunc est michi mala, (juia micbi
dalur pro peccatis meis prius perpetralis. [Etc.]. »
Autre exemple. Le prieur s'informe curieusement de l'endroit précis
où se trouve le cummiine Pnrgatorium (rien de pareil dans le procès-
verbal original de Jean Gobi). Et comme l'Esprit répond : « Au centre
«de la Terre », ilrépli(jue : « Quomodoposset Purgatorium, locus spiri-
''' Lb^prit du procès -verhal, courtois et comme celui Je la rédaction commune : «Ad-
oboissant.à peine impatieiU, n'aurait pas dit, « hue mudicuni lumen sapientie, prior, est in te».
SES ECRITS. 551
« tualis, et Terra, locuscorporalis, esse in eodem loco? » L'Esprit n'est
pas désarçonné : « Sicut anima est tota in toto corpore, ita locus
" spirituaiis est unitus loco corporali. »
Encore un exemple. Le prieur demanda : « Pour combien d'âmes
un prêtre peut-il célébrer?» (il n'y a, naturellement, rien de pareil
dans le procès-verbal original de Jean Gobi). L'Esprit répond :
Unus sacerdos potest semel et semel celebrare missam pro omnibus vivis et
defunctis, quia virtus sacramenti Corporis Christi extendit se ad omnes. Et ista est
causa. Sicut Christus Deus semel levatus est orans in cruce et tune totaliter obtulit
se Deo patri suo, non solum pro salvatione unius nacionis, immo pro salufe tocius
humani generis, sic in missa cujuslibet sacerdotis confertur Christus totaliter Deus
et débet in sacramento altaris offerri pro salute omnium fidelium lam vivorum quam
mortuorum. Unde ita bene potest sacerdos celebrare pro omnibus quam pro duobus,
et mullo melius, quia hec est difierentia inter bonum spirituale et bonum temporale .
bonum temporale, quando plus partitur, in tanto minus est in se Sed non sic
de bono spirituali, quia quanto magis partilur, tanlo magis in se augmentatur
C'en est assez. Il est évident que les procès-verbaux de Jean Gobi
sont tombés entre les mains d'un homme d'Ecole qui s'est amusé à
les «développer» en instituant, entre «le prieur» et «l'Esprit», des
colloques analogues à ceux qui étaient en usage dans les Universités
de son temps; à quoi rien n'est à comparer aujourd'hui, heureuse-
ment, en fait de puérilité, si ce n'est, peut-être, les exercices scriplu-
raires et lalmudiques des synagogues les plus arriérées de l'Europe
orientale ''^ L'Esprit de Gui discute, ergote, déploie son érudition,
coupe et recoupe des cheveux en quatre. G. Schleich a dressé la liste
des questions controversées de foi et de discipline que l'auteur du
remaniement traite ainsi en les accrochant tant bien que mal aux
naïves interrogations authentiques du prieur ; il n'y en a pas moins
de trente'^*. Mais nous n'en rapporterons qu'une, la plus caracté-
ristique.
La douzième question du prieur, dans le De spirita Guidonis, est :
Il Utrum Deus esset in celo in quo erunt sancti.**» L'Esprit répond :
M Dixit mihi angélus meus : Eslo in hac pena uscjue Pascfia et tanc videbis
'( recjem celonim in diademate suo cnm angelis et sanclis suis. >> Il tranche
'"' L'Esprit se sert des formules en usage dans l'Ecole; il dit : « Maie arguis, o prior. . . » Et le
prieur réplique : «Modo capio te in verbis luis. . . ». — '*' G. Schleicli , o/i. cit., p. Lxni.
552 LE SECOND JEAN COBJ.
donc par là, iniplicitemeul, la question fameuse de la Vision béati-
fique, qui a fait couler tant d'encre au commencement du second
quart du xiv*" siècle, c'est-à-dire celle de savoir à quel moment les
élus entrent en jouissance de la pleine béatitude céleste (voir Dieu
face à face) , aussitôt qu'ils n'ont pluS rien à expier, ou seulement
après le Jugement dernier. Il la tranche dans le sens que les hommes
d'Université devaient choisir lors des controverses déchaînées, surloul
à partir de 1 33 i-i 332 , par le pape Jean XXII, protagoniste de l'opi-
nion contraire'"'. Et l'autorité surnaturelle qu'il invoque, celle d'un
ange, n'a pas manqué d'être alléguée, par la suite, on le pense bien,
à la confusion de Jean XXII '"^'.
La rédaction remaniée est tout entière de cette teneur, à l'excep-
tion des passages purement et simplement copiés dans les procès-
verbaux que le remanieur avait sous les yeux comme nous les avons
maintenant, et de quelques lignes, à la (in, que l'on peut croire, en
raison même de leur couleur analogue à celle desdits passages, em-
pruntées à un procès-verbal perdu. 11 est question, par exemple, à la
fin de la rédaction remaniée, de ce qui paraît être la mise en scène
d'une dernière entrevue de Jean Gobi avec l'Esprit, dont il n'y a pas
trace dans les rouleaux conservés. Le lendemain de l'Epiphanie'^', à
la prière de la veuve, le prieur se rend de nouveau chez Gui du Tour,
cette fois avec des Augustins, des Mineuis, des écoliers, en enton-
nant Placebo et Dirige. Bruit de balai. Une voix faible, comme d'un
malade, prononce: «Pourquoi me tourmentez- vous. ^ Qu'avez-vous
« encore à me demander.^ » Alors le prieur :
Ecce congrogati sumus hic ut testimonium perhibeamus de diclis tuis corani
domino papa, cuin tempus postulaverit. Die ergo nobis aliquid mirabile !
Mais si cette exhortation incongrue a figuré réellement dans un
procès-verbal de Jean Gobi, la réponse qu'y fait l'Esprit, dans la
rédaction remaniée, n'est assurément pas de la même provenance.
L'exhortation provoque, en effet, un accès de colère et un flot de
f'i Voir Histoire littciaire, t. XXXIV, • el faciem Christi ante dietn Judicii ; unde ipse
11. r)54. • papa eliam erroneus creditur, per prescriptn
''' On lit à la fin do l'édition de i486: tcorreclus.»
«Tempore Johannis pape WII quidam erronée '^' La deuxième entrevue, dont le procès-ver-
• sentiebant de animabus purgatis etiam et bai a été conservé , est, non pas du lendemain,
«s.inctis, se. quod non vidèrent gtoriam Dei mais de la veille de l'Epiphanie.
SES ÉCRITS. 553
paroles de la part de l'Esprit, dont la langue, et pour cause, n'est
jamais si bien pendue, si l'on peut dire, dans les procès-verbaux
authentiques. Accès qui se traduit par une sortie dans le goût des
déclamations de certains précurseurs de la Réforme, contemporains
de Jean Gobi :
Ego non sum Deus ; ipse enim est qui ioquitur et tacit mirabiUa ! Sed tioc dico
vobis ut melius predicetis, et scitote lioc : nisi essent preces Béate Marie Virginis et
mérita sanctonim, Deus acciperet vindictam de majoribus commorantium in terra
Non est enim ventas neque scientia Dei in terra Vadatis vias vestras et orate
pro me.
L'Esprit refuse enfin, à bon droit, de répondre à une suprême
indiscrélion de son interlocuteur, dont le remanieur est l'auteur cer-
tain : « Quot pape debent esse ante finem mundi ? .. Et on s'en tient là.
Le De spiritu Guidonis s'achève d'ailleurs, dans la plupart des ma-
nuscrits et des éditions, par l'information suivante : « ffec omnia pro-
« bala sunl coram domino papa Johanne XXII ; et iterum in Pascha
« inisit illuc, et non invenei uni diclum Spiritum; unde igitur creditur
» quod jam régnât in celis. »
Est-il possible, maintenant, de savoir où cette adultération fla-
grante des procès-verbaux de Jean Gobi a été consommée? Peut-être.
En effet, il est fait mention à plusieurs reprises, dans l'édition pour
ainsi dire scolastique du De spiritu Guidonis, de la ville de Bologne,
dont il n'est pas, bien entendu, soufflé mot dans les procès-verbaux.'
Au sujet du problème de la valeur des messes pour le soulagement
«les défunts, par exemple, fEspril de Gui se permet d'appuyer des
conseils qu'il adresse au clergé par un fait qui, déclare-t-il, lui est
[lersonnel :
Et isto modo ego Guydo sum liberatus a pena Purgatorii per .nu. annos cicius
quam deberem. Habeo unum pauperem iratrem vaide religiosum, quem tu prior
bene nosti. Ego eum sustentavi, postquam fuerit in scoiis Bononie") per quinque
annos, et ipse pro me tune spccialiter oravit et nunc devotas oraciones adDeum pro
me facit, cujus oracionibus sic sum modo adjutus quod non ero in pena Purffatorii
iHsi ad Pascha r o
'■> Un des manuscrits dont .'est servi G. Schleirh lournit ici la variante : .in schola romana.
( op. cit. , p. 57).
BIST. IITTÉR. XXXV.
70
55'!
r.E SECOND JEAN GOBI.
El plus
Sicut fiebal hodie iii villa Bononie'" de, quodam tratre mortuo qiiod adjudicatus
liierat per angelum ad commune Purgatoriura
Enfui, dans la Iraduction catalane, entre autres, le nom de la ville
d'Alais, théâtre certain de l'apparition, est remplacé tout bonne-
ment par celui de la ville de Bologne au titre même de l'opuscule :
( Tractn <ie iina disputa. Demandes fêtas pei- un prior dels frares de
la « Orde dels Preliicadors del covent de Bolonya ab la anima ho
« spirit de Guido de Corvo, ciutada de Bolunya » D'anciens
lecteurs, qui n'ignoraient pas que favenlure de fécbappé du Pur-
gatoire s'était passée à Alais, ont été surpris et embarrassés de ces
mentions répétées de Bologne. Mais ils en ont conclu, ou feint d'en
conclure, à la synonymie des deux iionis. On lit dans un manu-
scrit cité par B. Hauréau :« In civitate Allecti, que jam Bononia
« vocatur'*'. »
Tout se présente, en somme, comme si le procès-verbal de Jean
Gobi, prieur d'Alais, ovail été de bonne heure, en Italie ou ailleurs.
i)ar les soins d'un ancien étudiant de Bologne '"^l, l'objet de re-
"' (i. Sclileicli a rejeté iri «Bononie> parmi
les variantes (|>. (jt \ quoique ce soll la leçon
normale des manuscrits, pour adopter la for-
me absurde «simonis» (assurément pour «Si-
monie», c'esl-:'vdire un synonyme péjoratif du
nom de l\ome
"I Notices. ... t. II, p. 33a. Cf Villanueva,
toc. cil. : « Prior Mestensis, <juod idem dicit ac
Bononiensis. •
Synonymie im. liminaire, cola va sans dire. Le
nictinnnairc Inpi^ijrnptiiqncitn Gard ne connaît,
au mot 0 Alais», aucune lorme de ce f^enre.
I, 'ancien nom de Bologne est Fetsina.
^' Les arguments énoncés ici à l'ap|iui de
• elle conclusion ne sont pourtant pas tous
décisifs au même degré, et voici pourquoi.
On lit dans un certain nombre de manu-
scrits, notamment dans \esp. E i : • In civitale
• Alestie, que distat a Curia a|)ostolica , que .\ve-
■ niona [sic] \ocatur, per .xxiv. milliaria».
Dans le manuscrit Hiez de la Bil)li()thè(|ue de
Berlin, ce texte, assurément primitif, est de
venu : «In civitate Allecti, que distal a Curia
« a|K>sl()lica , que jam Baiona vocatur. jwr. ...»
Dans Harl. ulyg : «In civitate Aylesley, que
■ distat a Curia apostolica, que Vncon.i vocatur,
«jier ". Le nom d'Avignon a été altéré
de même, dans d'autres manuscrits, en Vcrniid.
l'aronii , Bnicnu, Doiana, Vizoniie. etc. Mais
c'est toujours « .\vignon n qui est le sni)strat de
ces leçons bi/.arres. Or il a pu exisliT des nu
nuscrits — nous n'en connaissons pas, en fail
— où l'on lisait, de même : » In civitale Allesti.
uque distat a Curia apostolica, (|U(^ jam Bo-
• nonia vocatur, per ». L'incise que tlistul
n Ctiriii apusinlicii a pu tomber aisément, par
mégarde, et il serait resté ce (jui se voit dans
beaucoup d'exemplaires : uln civitate Vllesli.
que jam Bononia vocatur ». \insi s'ex|)li-
querait très bien, par un simple bourdon,
l'absurde synonymie.
I,«s deux mentions de Bologne dans le corps
même de la rédaction remaniée sont donc plus
considérables, pour faire penser (|u'elle a été
composée en Italie ou par un étudiant bolo-
nais, que le titre, en apparence si clair, (l<' la
traduction catalane.
SES ECRITS. 555
maniements qui l'allongèrent fort et qui en altérèrent gravement le
caractère et Téconomie.
Il est à noter (lu reste que le chroniqueur florentin Villani (ti348],
qui a parlé à loisir de l'ksprit de Gui du Tour, situe ce miracle à
Alais, non à Bologne, et ne sait rien, semble-t-il, de la rédaction
remaniée'"'.
B. llauréau ne connaissait que la rédaction remaniée. Or noire
illustre confrère était un homme dans la tradition du xviii" siècle
français; il ne croyait pas aux miracles; par contre, il soupç<jnnait
aisément limposlure. En conséquence, persuadé, comme tout le
monde, que la rédaction remaniée était de Jean Gobi'^', il a accusé
le prieur d'Alais d'avoir voulu tromper ses contemporains. «On vent
«bien admettre, dit-il'^', que la femme et les amis du défunt aient
« pris pour sa voix un bruit par eux entendu pendant une ou phi-
(I sieurs nuits, et qu'ils soient venus ensuite, pleins de trouble, en-
« trctenir le prieur Jean Gobi de ce fait singulier. Mais on ne peut
(douter que celui-ci n'ait inventé le reste. Le reste est donc une
«fiction )) Hauréau ajoute : «Constatons ce que Jean Gobi
« s'est proposé lorsqu'il a rédigé ce débat imaginaire. Estimant sans
M doute qu'on négligeait trop, dans sa ville natale, de prier et de
«faire prier pour les morts, il a jugé qu'il était bon de prouver
«l'utilité de ces prières. Voilà, comme il nous semble, son prin-
« cipal dessein, mais non pas le seul. ...» Et le savant historien,
>oulignant le passage précité qui touche au problème de la Vision
béatifique, y voyait ce qu'il appelle une « malice» du bon prieur''''.
Que Jean Gobi soit donc aujourd'hui lavé de ces imputations.
Il y a, en effet, dans la rédaction remaniée du De .spiritu Gaidonis ,
beaucoup d'inventions, et l'intention frauduleuse n'y nmnque pas
dans plusieurs passages, notamment dans celui qui a trait à la Vision
''' Historié universali, I. IX,c. a33 : « D'uno «leur. • L. Delisle avait dit vingt-cinq ans plus
« grande miracolo che apparve in Proenza. » tôt : « très probablement « ( Bibliothèque de
Cf. Raynaldi, Annales eccîesiastici , sous l'an- l'Ecole des chartes, i89i,p. 491).
née i3a4 (d'après Villani). ''' Notices et extraits de quelques manuscriti
''' G. Huel a écrit en 1916, en parlant de latins de la Bibliothèque nationale, t. 11, p.34a-
la seconde rédaction, sans connaître la pre- '*' A. Bardon (p. aoy) conclut de même :
inière {loc. cit., p. 299) : «Le récit de l'appa- «Jean Gobi connaissait sa théologie; c'est tout
« rition d'une àme du Purgatoire , dont « ce qu'il fallait [c'est-à-dire tout ce qu'il a voulu]
• Jean Gobi est à peu près certainement l'au- «prouver.»
70.
550 JEAN FAURE, LEGISTE.
béatifique. Mais le bon prieur n'est pour rien dans tout cela. C'est un
pédant anonyme, peut-êlre étranger, probablement novice (plusieurs
indices le laissent soupçonner) et fort peu intelligent, qui a défiguré
ainsi les interrogatoires que Jean Gobi a\ait cru, de bonne foi, adres-
ser à feu Gui et qu'il avait fait subir, en réalité , à sa veuve , per-
sonne sans doute hystérique, et, en même temps, pourvue d'un talent
particulier pour se faire entendre à distance. Hystérie et parole à dis-
lance, avec dédoublement épisodique de la personnalité, sont des phé-
nomènes dont l'association pathologique a été observée plus d'une fois ,
de nos jours, à la Salpêtrière.
C. L.
JEAN FAIRE, LEGISTE.
Le juriste connu sous le nom de Fabri — en langue vulgaire de son
pays, Faure — a joui, auprès de nos anciens jurisconsultes, d'une
réputation méritée. Un de ses compatriotes n'a pas craint, dès le
XVI* siècle, de le proclamer « le premier des jurisconsultes gaulois » '''.
Tout au moins peut-on dire que Jean Faure tient une place très
lionorable parmi les hommes qui, en France, ont contribué au pro-
grès de la science du droit. On ne s'en douterait guère, en lisant la
maigre notice que Savigny lui a consacrée ''^'.
Au début de son Commentaire sur les Institutes*^^ l'auteur se
désigne lui-même sous le nom de Joannes Fabri, de Monleberulphi^''^
dictas, diotesis Enfjolisme, provincie Burdecjalensis. Le lieu auquel il se
rattache par cette désignation est la petite ville de Montbron ,
chef-lieu d'une baronnie de l'Angoumois, où sa famille était
'*' François de Coriieu, ouvrage cité p. 557, titre (Jétermiiié. Les manuscrits et les éditions
note I, 3' éd., p. 106. le désignent sous les noms de Commentarii ou
''' Savigny, Geschichte des rômisclien Rechts de Lectura , qui sont des titres donnés après
iw MiHe/a/ter, 3* édit. , f. VI, p. Ao et suiv. coup. Pour la commo<lité de notre exposé,
'^' Nous citerons le Commentaire des Insfi- nous adopterons le litre de Commentaire.
tûtes, d'après l'édition de Paris, i53i. L'au- '' (^onjt'clure excellente de Françoii Du-
Icur ne parait pas avoir donné à cet ouvrage un chesne. Les tnss. ont \fonte, Monteitalphi.
SA VIE. 557
établie'". Cette famille se rattachait d'ailleurs à un diocèse voi-
sin : elle possédait depuis plusieurs générations la seigneurie ou
repaire (comme on disait dans le pays) de Masmillaguet, sis en la
paroisse de Rougnac (Charente). D'après les recherches de Fran-
çois Duchesne, ce domaine avait appartenu à Etienne Faure, aïeul
de notre jurisconsulte, qui le transmit à son fds Gérard. Celui-ci
épousa Almoïse de Salvamg, qui lui apporta le domaine deRoussines,
compris dans les limites de la seigneurie de Montbron.De ce mariage
naquirent deux fils, Elie et Jean, et une fille du nom de Pétronille.
Leur naissance est sans doute de beaucoup antérieure à i aS/j , époque
à laquelle Gérard et Almoïse réglèrent le sort de leurs biens; en
ellet, à ce moment, leur fille Pétronille était déjà veuve. En vertu d'un
testament-jiartage, la seigneurie de Masmillaguet fut attribuée au fils
aine Elie*^', tandis que Jean, à charge de fournir à sa sœur un capital
en argent, reçut le domaine de Roussines, dont il prit quelquefois
le nom'^'. Il se nomme lui-même aussi bien Jean de Roussines (r/c
Riincinis) que Jean de Montbron.
Nous connaissons mal les débuts de Jean Faure dans la vie.
Il nous apprend que la nature l'avait doté d'une chevelure rousse,
grâce à laquelle, déçu par une interprétation erronée qui est impu-
table au glossateur des Institutes, il se flattait de ressembler, non
seulement au roi David, mais à l'empereur Justinien '*'. De bonne
heure il fut destiné aux études juridiques. Nous savons qu'il fréquenta
l'Université de Montpellier à une époque qu'il ne nous est pas permis
de déterminer avec précision '^' ; peut-être même fut-il envoyé à Bo-
logne pour V poursuivre ses études'^'. Si ces voyages lointains et ces
''' Nous empruntons les renseignemenls que de Poitiers. Le 13 septembre iSaS, Jean XXII
nous donnons sur cette famille à François lui accorde une nouvelle expectative à lu
de Corlieu , auteur du Recueil en forme d'his- condition qu'il abandonnera son prieuré
toire de la ville et des comtes d'Angoalème (édil. (G. Mollat, Lettres communes de Jean XXII,
de iSyG, p. ii6; édit. de 1629, p. 106), et n" 353a et 18220). Le nom de baptême de
surtout à François Duchesne, f/ù(oire lies cA«n- ce personnage nous permet de le rattacher
ceKers rie France (Paris, 1 680), p. 84o et suiv. sans invraisemblance à la famille de Jean
'*' On trouve dans les documents pontifl- Faure , et plus particulièrement à son frère
caui de cette époque la mention d'un person- aîné Elie, dont il a pu être le fils ou le i'dleul.
nage, Eïie de Montbron, pourvu de l'expecta- ''' Exemples : CommenJdiVe , fol. 'i-jç) v° et
tive d'une prébende au chapitre de Limoges 4o6.
sous Clément \ , plus tard moine à Saint-Flo- '"' Ibid. , fol. 3.
rent de Saumui'. et, en i3a3, prieur du mo- ''"' Ibid., loi. aaS.
nastère de Notre-Dame de Veniers, au diocèse '"' Voir la mention qu'il tait des méthodes
3 3
ri58 JEAN FAUllK, I.IXilSTE.
séjours prolongés dans les Universités furent onéreux à sa famille, lui-
même sut en tirer un excellent parti; kWlessus nous sommes ren-
seignés par un acte de i32^ , où sont mentionnées les récriminations
de son frère aîné'"'. Non seulement, y est-il dit, la terre de Roussines,
donnée en partage à Jean, était d'une valeur notablement supériiuire
au domaine paternel attribué à Elie, mais encore Jean avait profité
des sommes d'argent employées pendant nombre d'années à l'en-
tretenir aux écoles et avait été ainsi mis en état de remplir des fonc-
tions aussi rémunératrices qu'honorables, et d'acquérir pour lui-
même une fortune importante. H n'y a pas que ce témoignage qui
atteste l'aisance du jurisconsulte; quelques années plus tard, en i334,
un autre Jean Faure, probablement son fils, lui aussi versé dans
l'étude du droit (il était licencié es lois), épousait la fille d'un riche
bourgeois d'Angoulême'^l
Sur cette carrière brillante du cadet, qui excitait la jalousie de son
aîné, nous ne possédons que fort peu de renseignements. Que Jean
Faure se soit élevé jusques à la dignité de chancelier de France, ainsi
que l'ont pensé quelques anciens auteurs, c'est là une opinion que
personne aujourd'hui ne s'aviserait de soutenir. Avant tout, il fut
avocat; il le dit, et d'ailleurs nous pourrions nous en douter, ne
fût-ce qu'en lisant les passages de ses écrits où il s'occupe avec un
intérêt évident du barreau, de ses privilèges et de ses obligations.
Il ajoute qu'il fut ])endant treize ans éloigné de son cabinet de travail
et de ses livres'^*. Ce temps fut employé par lui à des voyages où il
traitait d'alFaires d'ordre judiciaire; c'est à l'occasion de ces voyages
([u'il composa un ouvrage, le B/ei^/atre du Code, de dimensions assez ré-
duites pour qu'il pût l'emporter avec lui dans une « mallette » exiguë.
L'auteur des Recherches de la France, Etienne Pasquier, donne une
indication de nature à nous permettre de deviner le motif des voyages
de liologiii', Commentaire, loi. 3.49 v°, et ci- sur Jean Faure, jurisconsalte angoumoi.ùn du
dessous, p. Sfi.S. Un texte du xv'siècle nomme xiv' siècle, dans le BuUelin de la Société ar-
.lean Faure duclur Doiiiiiiieiisis ; voir le titre du chéoloijique et historique de la Charente , IV* sé-
yfencWoriuni composé par Pierre Hoque, docteur rie, t. Ilf, i865, p. 87 et suiv.
de Poitiers , sur l'œuvre de Faure : manuscrit ''' H s'agit du passage du Commentaire où
de la Bibliothèque de Bordeaux, n° /|o5, l'auteur se prononce pour la thèse de la res-
lol. f)6. Ce nianuMiit a été exéiiité en i/|6o. ponsabllité de l'avocat qui a perdu sa cause
'' François Duchesne, up.cil., p. 8/(1-842. pcr imprndentinm (fol. lU v"). Faure ajoute :
>" Voir les documents publiés par M. Henri «Contra me loquor, qui advocatus sum, et lui
l.éridon n la suite de sa notice intilulée : Notice annisxrii dislractus a studio: sed parcant socii. »
SA VIK. 559
(le Jean Faure'"'; il avait, d'après Pasquier, rempli les fonctions de
sénéchal de la baronnie de La Rocliefoucauld eu Angoumois, c'est-
à-dire qu'il avait tenu le siège de la haute justice de cette baronnie.
Sans contredit, Jean Faure put être à la fois, pendant un certain
temps, avocat et chef de la justice de La Rochefoucauld. L'histoire
judiciaire de l'ancienne France montre qu'il n'y avait aucune incom-
patibilité entre le ministèn; du barreau et les fonctions déjuge sei-
gneurial; il en fut ainsi jusques à la lin de l'Ancien Régime. Or, on
(onnaît en Vngoumois, dans la région même à laquelhî appartenait
Jean Faure, un certain nombre de baronnies possédant d'importants
droits de justice; c'est ainsi qu'il est possible de constater l'existence
de sénéchaussées seigneuriales, non seulement à La Rochefoucauld,
mais à Montbron, à Marthon et en d'autres lieux du voisinage'-'.
Il n'est nullement invraisemblable qu'un jurisconsulte estimé pour
sa science et son expérience ait cumulé les fonctions de sénpchal
en plusieurs circonscriptions baronniales. Au xvii* siècle, un même
personnage était à la fois sénéchal de La Rochefoucauld, de Blanzac,
de Marthon, de Mussidan, de Barbezieux et fie Cellefrouin'-''. Qu'une
fortune analogue soit échue à Jean Faure, excellent jurisconsulte, ce
fait n'aurait rien d'étonnant et sulhrait à expliquer les incessants
voyages au cours desquels il était absorbé par des occupations d'ordre
judiciaire.
Après treize ans de cette vie errante, Jean Faure redevint simple-
ment avocat, exerçant son ministère près des juridictionsd'Angou-
lême. On a pu se demander si, à cette époque de sa vie, il n'avait
pas reçu la mission d'enseigner le droit. Un vieil historien d'Angou-
lême dit bien que Jean Faure fut représenté sur sa tombe «en une
" chaire avec ses habits doctoraux'''* », ce qui ne fournit pas un argu-
ment décisif, le costume d'avocat ou de magistrat dont était revêtue
l'effigie du défunt ayant pu donner lieu à une interprétation erronée.
lOn traitant de ses ouvrages, nous aurons l'occasion de montrer que
les deux écrits juridiques qui composent son œuvre ne sont nulle-
ment la reproduction d'un enseignement oral. Au surplus, dans ces
écrits, l'auteur fait allusion à trois Universités, mais ce n'est point
pour dire qu'il y enseigna. Il rappelle qu'il fut étudiant à Montpel-
'"' Recherches. Uv. IX, chap. xxxix. — '*' Voir, sur tous ces points, Archives de la Charente.
F, 5-, 58, ()0, fil. 70, 4fii. — ''' IHri.. V, 60. — ''' François de Corlieu, loc. cit.
500 JEAN FAURE, LWUSTK.
lier; il cite avec éloge la méthode suivie par les maîtres de Bologne,
et il adresse d'acerbes critiques à ceux d'Orléans. Quand, pour
donner un exemple destiné à faciliter l'intelligence de ses explica-
tions, il lui faut mettre en scène des personnages, c'est l'évêque,
l'ofTicial, un bourgeois d'Angoulême qu'il présente à ses lecteurs''';
il n'en eût ])as été de même s'il eût vécu dans une ville d'Université.
En somme, il ne semble nullement démontré que Jean Faure ait
quitté sa ville natale pour professer le droit civil dans une école de
haut enseignement.
C'est à Angoulème que s'acheva la carrière de notre jurisconsulte.
11 mourut dans cette ville et y fut enseveli dans le cloître des Frères
Prêcheurs. D'après le témoignage de l'historien d'Angoulême, François
de Corlieu'^', qui, écrivant en i566, avait pu encore voir l'épitaphe
fie Jean Faure, sa mort serait survenue «environ l'an i34o", date
qui n'est nullement invraisemblable. Gravée à côté de la « représen-
" tation » du défunt, son épjtaphe contenait «plusieurs sortes de
vers "à sa louange». Le monument consacré à sa mémoire fut
endommagé lors des dévastations commises par les Huguenots en
i56i; mais la tombe de Jean Faure ne fut pas violée par eux. Ses
restes y reposèrent jusques à l'année 1822 ; à cette époque, qui fut
celle de la construction du Palais de Justice sur l'emplacement du
couvent des Jacobins, le cercueil du jurisconsulte fut ouvert, «ses
«cendres furent jetées au vent, et le plomb du cercueil lut vendu
« au plus offrant *'^' ». Au prix de cette profanation, qu'il eût été si facile
d'éviter, fut édifié l'auditoire où plaident de nos jours les avocats
d'Angoulême, successeurs de Jean Faure.
SES ECRITS.
Nous connaissons deux ouvrages de Jean Faure, imprimés plus
d'une fois depuis la fin du xv* siècle. L'un est le Breviarium sur
les livres I-IX du Gode de Justinien**'; on sait que l'explication
'*' Commentaire, fol. 4a, ^79. Sig v*. crit en l'année làog, provient de Saint-Viclor
'*' Loc. cit. de Paris); Reims, n° 83o (xv' siècle), a appar-
''' Léridon, op. cit., p. la. tenu à Goillaume Fiilastre, doyen de Reims,
'' Mahcicrits. Mazarine, n° i/|i3(trans- puis cardinal ; Tours, n°*65oel 65 1 (xv* siècle).
SES ECRITS.
501
(les textes contenus dans ces livres formait, dans nombre d'écoles,
l'une des bases de l'enseignement du droit civil. L'autre, de
beaucoup le plus important et le plus répandu , est le Commen-
taire sur les quatre livres des Instilutes du même empereur, c'est-
à-dire sur le manuel classique où est résumé l'ensemble du
droit").
Ces deux écrits de Jean b'aure nous semblent présenter un carac-
tère qui leur est commun; ce ne sont pas des recueils de leçons
professées dans une chaire et ensuite recueillies et livrées au
public sous la forme d'un volume. Le Breviarium n'est nullement
l'œuvre d'un maître attaché à une Université; c'est, comme on l'a
dit plus haut, parce que des occupations professionnelles lui impo-
saient de fréquentes absences que l'auteur voulut réunir les notions
les plus importantes du droit en un volume destiné à lui tenir lieu
de bibliothèque au cours de ses voyages. Si le Commentaire sur les
Institutes contient un plus grand nombre d'amples développements,
En oiilro, Hiinel [Cutnloiji lihioiiim iiuuiuscrip-
Inrnm, col. 980) inentioniu- la pr(''s<'nce d'un
manuscrit à Sé\ille, dans la Bibliotheca Go-
lunibina, AA, i4-<, 36.
Éditioiss. Trois éditions antérieures à i5oo
sont mentionnées dans le Calaloyue général
des incunuhles des hiblioliièques publiques de
France, par M"* M. PcUechet : une donnée à
Louvain vers \\']b, une à Lyon en i48o,
une à Paris en 1/199 (cf. Hain, Reperloriwn,
II"' 68^5-6846). Nous coimaissons en outre
les éditions suivantes, du xvi' siècle : Paris,
r'mars i5i6 (anc. st.), et 1 545 ; Ljon, iSao,
1537, i55o, 1598. Sur les éditions de Lyon,
if. Baudrier, tiibliographie lyonnaise, t. V,
|). 36-!; X, p. "204 et ia3; VI, p. 474. Voir
aussi Léridou, op. cil., p. 45.
'"' Mahdscrits. Bibl. nat. , lat. 444'? (xv° siè-
cle); Mazarine, i4ia (début du xv' siècle,
([ui provient de Saint-Victor); Amiens, n° 35o
(xv' siècle) ; Douai, n° J73 (xv' siècle); Saint-
Omer, n° 48 1; Tours, n° 04 1 (commence-
ment du xv' siècle); Oxford, Ail Soûls, Sg
(transcrit en i4o6 par un étudiant d'Orléans) ;
Madrid, Bibl. royale, A AI, et Séville , Colum-
bina, W i4o, 3, d'après Hànel, op. cit.,
col. 9G9 et 9H0.
Editions. I.e Catalogue général des incu-
nables de France, par M"' M. Pellechrt, sij^nale
Hisi. iiiréB. — \\\v.
deux éditions du Commentaire ou Lecturu
sur les Institutes: l'une saris indication typo-
graphique, l'autre donnée a \enise en 1499-
ilain mentionne en outre quatre éditions de
Venise, i488, 1^193, 1496 et 1497. Au
xvi* siècle, de nombreuses éditions ont éti'
publiées à Lyon. Nous Indiquerons avec la
Bibliographie lyonnaise de Bauflrier, les édi-
tions de i5i3, i5a3, i5j7, 1637, i54o,
i543, i546, 1678, 1593 (Baudrier, X,
p. 391; I, p. 2i4; VIll, p. 42; VI,
p. 187; V, p. ao4; VII, p. 4o3 ; X,
p. i48; VI, p. 476; V, p. 507). On peut
citer encore des éditions de Lyon, i53i;
Milan, i5o4; Venise, lôiG, ces deux der-
nières signalées par l'Index inséré au tome X
des Annales tjpographici de Panzer; en tout
dix-huit éditions entré les origines de l'impri-
merie et 1 600.
Deux exemplaires figoi'aieut dans la biblio-
thèque de Claude Bellièvre en iô3o [Mélanges
offerts à M. Emile Picot, t. II, 1913, p. 346,
n° 35). Les écrits de Jean Faure avaient
aussi trouvé place dans 'a bibliothèque de
Gilles Perrin , archidiacre de Josas au xvi" siè-
cle (Ualletin hist. et phil. da Comité des
travaiuc historiqaes, 1896, pages 776. et
783). .
3 C *
502 JEAN FAURE, LEGISTE.
et coiislituc une œuvre plus complète, il n'a pas davantage laspecl
d'un recueil de leçons professées en chaire. Comme le Brevianuin, le
Commentaire n'a jamais été qu'une œuvre écrite ; on en j)eut trouver
la preuve dans les expressions employées à diverses reprises par
l'auteur. Au début de son explication du litre des actions, il se com-
pare aux auties scriploivs jaris civilts, et oppose ses procédés aux
leurs: «Ego aulem in hoc toto volumine contrario stylo usus sum ■■,
dit-il, et il ajoute que, s'il ne se fût agi que de répéter ce qui avait déjà
été dit, il n'eûl pas été besoin de nova scriptura^'K Ailleurs, faisant
allusion à la doctrine de quelques-uns de ses prédécesseurs sur une
question controversée, il ajoute : « Ego melius non possem scribere
quam ipsi'*'. » Plus loin, s'excusant de mettre un terme à des considé-
rations >ur la matière des interdits, il ajoute : « Sed scripturarum iu)n
essel finis cui vellet omnia tangore'^'. » Ces observations confirment
uotre conclusion antérieurement énoncée : Jean Faure fit œuvre
d'écrivain, mais non de professeur.
Il n'en possédait pas moins une culture juridique aussi étendue
que profonde, étant familier a\ec les textes et le-, auteurs qui les
ont conimeiitcs. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir ses écrits :
à côté d'innombrables citations empruntées aux diverses parties du
Corjxis jnns civilis et du Corpus jaris canonici (y compris les Clémen-
tines), a Ih glose (pii Is accompagne (^t à quelques passages de la
Lomharda et des Libri Fendnriim, Jean Faure cite, parmi l(>s civi-
listes, de nombreux auteurs italiens, Martiims, Bulgarus, Cypria-
nus''*', Placentin, Odefroi, Hugolinus, Roffroi de Bénévenl, Accurse,
Jacques /"xtldiiini, Jacques de Arena, Azon, Jean Bassien, Fi-ançois
Accurse, Dino de Mugello, et enfin Cino da Pistoia, dont on ren-
contre tout au moins, dans le Commentaire i,nv les Institutes, une cita-
tion authentique empruntée à la Lectiiru sur le (^ode cpie Cino
composa entie i .') i i et i 3 i /| ^^K Cino est le légiste le j)lus récent dont
'"' Fol. T^'i v". *"' Ciette citatiun est insérée au cou^^ du
'*' Fol. 34b v'. coiiiinerilaire du paragraphe ,'j du titre II du
'■■' Fol. Sg^i v". livre I des Instilutes, De jure ndtiinili, qenliuni
■*' Il ne faut ijas cioire que la uienlion Cy , et civili loi. i4); elle si- trouve dans les nia-
qui s<? rencontie dans le texte du Commentaire nuserit>, comme nous l'avons pu constalei
Ici', fol. 376)50 lapporle à (linus de Pisloie; Maiaiini'. l4l2, fol. l'^\ Bibi n^il., latin
elle concerne le ;,dossateur Cyprianus. Il en àià'i < loi. 17 v"). Il n'en est pas de mêm^- de
est ainsi menu- (|uand , par erreur, l'éditeur a la citation de Cinus qui parait se trouver dans
imp
rimé C'in. le HrfiinriiimlM.S'S \°]. sur c. J<, Code , III ,
SES ECRITS. 56;t
Faure ait utilisé les ouvrages. Quoique Savigny en ail ])u penser^'',
si Bariole esl mentionné clans les écrits de Jean Paure, son nom n'v
paraît que dans des passages interpolés; il en est de même du nom
du contemporain de Bartole, Jacques Butrigarius'^'. H convient de
faire remarquer qu'à la dillerence de son émule Pierre Jacohi, notre
jurisconsulte se rattache étroitement aux deux maîtres qui, à la lin du
\nr siècle et au début du xiv^, ont été l'honneur de la science fran-
çai.^e, encore que justice ne leur ait pas toujours été rendue; nous
avons iioiiinié Jacques de Revigny et Pierre de Belleperche, qui mou-
r-.iiviil liin évéque de Verdun et l'autre évêque d'Xuxerre. Sans se
croire ohligé d'adopter aveuglément toutes leurs opinions, Jean Faiire
en tient toujours compte, et les cite prestpie à chaque page de son
Commentaire. Pour expliquer les passages obscurs des Lihn Fendorum ,
il a recours à la glose devenue classique de Jacques Columbl. En
outre, il a puisé abondamment aux ('crits des canonisles; on ren-
contre ]ilus ou moins fréquemment dans son œuvre les noms de
Bernard de Compostelle, «le Pierre de Sampson'''', d'Henri de Suse,
cardinal d'Ostie, de (leotTroi de Trani, de Guillaume Durant, le
célèbre auteur du Spéculum, el enlln ceux du cardinal Le Moine el
de Jean André, tous deux ses contemporains. .
Jean Faure ne s'est pas enfermé dans les limites étroites de la litté-
rature purement professionnelle. Il ne manque pas de citer la Bible;
il s'est adressé aux ouvrages de divers auteurs non juridicpies. « Non
" seulement il est permis au jurisconsulte, écrit-il, d'invoquer à l'appui
'< de ses opinions les dires des poètes et des philosophes de l'antiquité;
" mais il est beau, il est élégant de le faire. Toutefois, ajoute-t-il ,
'( l'autorité de ces écrivains ne nous lie pas si ce n'est dans la matière
'•pour laquelle ils possèdent une compétence spéciale; ainsi faudra-
I t-il suivre Priscien en ce qui concerne la grammaire, Aristote pour
"la logique et la philosophie naturelle, Hippocrate quand il s'agira
l)'apr<'s le manuscrit i4i3 de la Mazariiu- loi. 678 ) et 11 la citalion de Butrigaiius qui
(loi. /(a v"), il faut lire Dinus et non Cmns. lifi^io au l'olio 246. Voir le manuscrit de la
En ce qui concerne la confusion avec Gypria- Mazarine i/ii"?, loi. 318 et .'5o7 v", et le ma-
nus, voir plus haut. nnscrit de la Bibl. nat., latin 4443,101. iiS
'" Op. cit., t. VI, p. 35. el jof) v".
'' Ces remarques s'appliquent aux deux '" Ce canotiiste est cité au moins une l'ois
citations de Bartole fjiii se rencontrent dans le dans le Cnnimentnirc , (ol. T) v°.
Cninmentiiire sur les InslitiUes ffol. t46 et
56^1 JEAN FAURE, LKdISTE.
« de médecine'"'. » Notre auteur ne craint pas d'affirmer cette opinion
à l'encontre de celle des hommes qu'il appelle sunphces légiste, qui
ne savent rien des poètes et des philosophes de l'antiquité, et, qui pis
est, ignorent les moralistes dont la lecture est un bienfait pour l'âme et
peut contribuer à la sauver. Sous l'empire de ces idées, Jean Faure
ne se fait aucun scrupule de citer Aristote, Gicéron, Sénèque, Clau-
dien; il convient d'ajouter qu'il cite avec eux les auteurs chrétiens,
saint Basile, les Pères latins, Hugues de Saint-Victor et saint Bernard.
Son esprit curieux s'est aussi porté vers les questions d'ordre
scientifique. C'est ainsi qu'à propos d'un passage des Institutes '■'' où
est' mentionné Yelectrum, il dit que le véritable elertram n'est pas le
Froduit d'une combinaison de l'or et de l'argent, comme semble
indiquer Justinieii. C'est un métal distinct, jouissant d'une propriété
merveilleuse : quand on jette un poison dans un vase fait de ce métal,
le vase prend aussitôt toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Faure
raconte qu'il en a élé instruit par les Elymologiœ d'Isidore de Séville'^'
et qu'il a fait avec succès la démonstration de ce phénomène en pré-
sence d'un grand personnage. Il s'exprime à cette occasion avec un
dédain non dissimulé sur le compte de l'auteur de la glose des Insti-
tutes, qui n'a rien vu de tout cela. « C'était sans doute, dit-il, un très
" grand légiste, mais il n'en semble pas moins un grand ignorant dans
- les autres facultés. «
Ce n'est point seulement par l'étude des œuvres juridiques, litté-
raires ou scientifiques que Jean Faure s'est préparé à la carrière
dn droit. En homme du xiv*^ siècle, il s'est formé à la dialectique,
et s'il se garde d'en abuser, il sait, à l'occasion, en tirer parti. Il
connaît d'ailleurs les ressources de l'argumentation ; pour intei-
préter les textes qui font difficulté, il use de distinctions souvent
justes, parfois subtiles; il sait rechercher la ratio Icgis, recourir à
l'argument historique, ou encore, s'il en est besoin, à l'argument
d'analogie qu'il emploie volontiers. Il n'ignore pas fusage qui peut
être fait des brocards, ou, pour user d'une expression familière à
ses contemporains, de la via bwcardica, mais il ne s'en sert qu'avec
la réserve qui convient à un homme avisé et judicieux **l
'" Commentaire, foi. aao. '*' Conuiientaire , fol. 137. Sur ia via bro-
'*' Intl., Il, S '17. CA. Commentaire, fol. 66- airdica et in critique qu'en iaiMit un coatem-
''' Cr Etymolngim, XVI, a4. porain de Faure, Gino da Pisloit, cf. Savi^y,
SES ECRITS. 565
On ne s'étonnera pas de ce qu'un esprit ainsi cultivé et assoupli ait
reconnu les lacunes et les défauts de l'enseignement qui se donnait
dans les Universités et des écrits juridiques produits par la génération
qui en sortait. Jean Faure critique vivement les maîtres qui, infidèles
aux traditions de Bologne, ne pré.sentent pas chaque année à leurs
élèves un ensemble de leçons correspondant à un cycle complet
d'études, par exemple uncontmenlairedu Digestum vêtus ou du Code,
et se bornent à un enseignement fragmentaire. Qu'ils enseignent en
rVance ou en Italie, Jean Faure blâme ceux qui, loin de concentrer
leur attention sur les matières nécessaires et substantielles, s'arrêtenl
à des questions de luxe, magis ad ostentatiunem (juam ad instractionem ,
et servent à leurs auditeurs des outres pleines de vent sous prétexte
de leur exposer des opinions nouvelles'"'. Ainsi ils ensevelissent, sous
le fatras des systèmes et la multitude des livres, le texte même des
lois que les étudiants ne connaissent pas, non plus que les décisions
qui y sont contenues'''. Il convient de faire la guerre aux subtilités
inutiles et aux discussions oiseuses; il convient de se défier de la foule
innombrable des écrits, et pour cela de se rappeler le motdeSenèque :
« Distrahit librorum multitudo''' ». Ayez les livres que vous pourrez lire
utilement, n'en lisez pas autant que vous pourriez en avoir.
Il semble bien que, par ces diverses critiques, Jean Faure fasse le
procès de l'enseignement tel qu'il est donné dans certaines Universités
de son temps, par exemple à Montpellier, où l'on n'hésite pas
à permettre au professeur de s'appesantir sur certains points, sauf à
négliger les autres ou à les renvoyer à l'enseignement extraordinaire'''.
11 dédaignait, comme devait le faire après lui Bartole , les gloses des
maîtres d'Orléans, connues pour dire le contraire de la proposition
contenue au texte'^', ou leur enseignement fort propre à ébranler,
op. cit., a* éd., t. 111, p. 568; t. VI, p. 91, et '*' «Audeotibi dicei-e quod nesril legem qui
Luigi Chiappelli, Vitn e opère giuridiche di non legit totum Codicem de aecpio progressii
Cino da Pistoia (Pisioie , 1881), p. iga.Chiap- in anno, et idem de aliis voluminibus, et sicfit
l>elli cite le passage du commentaire de Cino Bononiae. • {Commentaire, fol. 2/19 v*.)
sur la loi a, Code de Jastinien, VII, 56, ainsi <'' Ibid., fol. aio v°.
conçu: iVia est brocardica, et ideo semper du- ''' Ibid., fol. a.
' bia • , et cet autre passage du commentaire de ''* Marcel Fouraier , Histoire de hi science
la loi 16, ibid., IV, 35 : «Ista qiHMtio cadit in du droit en France, p. 5o6, 5a6-5-!7.
vias brocardicas que semper »unt plene sen- '*' Commentaire, fol. 336 v". Cf. Bartole, sur
tibus et ideo evitandep per doctores quantum les Institutes, liv. I, tit. 1 : 1 Hoc esaet glossa
possint. » Aureliancnsis , quo? textum destruit. •
56() JEW KALI\K, I.WilS'IK.
sans iriiit, les parties certaines de la science juridique "\ ou enliii
le jargon, moitié latin moitié français, dont ils usaient en chaire.
Mieux vaudrait, dit-il, se servii- du grossier patois [(jrossum idioinu'^
des Angoumoisins et des Poitevins, à la condition d'être en mesuie
de comprendre et de ])arler le latin '"', qui, en somme, est jiour les
hommes de cette épcxpie, la vraie langue du droit. En coujposanl ses
ouvrages, .lean Faure s'est propose de montrer comment on peut
donner en latin un enseignement répondant aux hesoins de ceux
qui élurlient le flroit. Tel est le but de ses deux livres.
Le lireviariam sur le Code est incontestablement le premier en date.
Le Commentaire sur les Institutes renvoie maintes lois à cet ouvrage;
quant au renvoi au Commentaire qu'on trouve dans le lireviunum
il (igure dans un passage interpolé (pii ne se retrouve point dans les
manuscrits*''. Sur l'époqueuii fut composé le Dieviarium, nous n'avons
point d'indication précise; mais nous pouvons le tenir pour postérieur
au 'i5 octobre i3i7, date de la promulgation par Jean XXll des
(Clémentines, qui y sont citées'*'. 11 fut certainement rédigé entre
i3i7 et l'époque où fut écrit le Commeiilaiie, (pu ne saurait, comme
on le veira bientôt, être antérieur à i 335. On ne risqueguèrede com-
mettre une grave erreur en en plaçant la con) position approxima-
tivement vers i395 ou i33o, en ui» temps où l'auteur était encore
iluu'ians et neyocians^''K Le Commentaire sur les Institutes, d'après une
indication donnée par .lean Faure, a été rédigé sous le pontilicat de
Benoit XII; il ne peut donc être antérieur à i335''''. Si l'on admet,
comme nous avons cru devoir le faire ''', que Faure est mort « environ
l'an 1 3/|0 », on en conclura (pie son dernier livre a dû être compose
entre i335 et i34o. Aussi ne .s'élonnera-t-on pas d'y rtuicontrer un
passage (pii n'a guère pu être écrit qu'au moment où la guerre de
Cent ans, qui s'ouvrit en i339, était proche, si déjà elle n'avait
éclaté'**'. Il serait surprenant que dans un livre écrit en France à cette
épo(jue, Bartole eût j^u être cité; il était encore ])en connu en Italie,
''' Commentaire , loi. 36/| v'. ''' Commentaire , loi. 5 v".
'" Ihid., loi. 5'2 v°. ''' Voir ci-dessus, |i. 56o.
'' iireviniium , loi. i 8. (.<■ renvoi ne lifjure '' C'est le |)assnge (fol. i i ) ou l'auleur dit :
|>as dans le manuscrit de la M.i/.Hi'iiu', II* i/ji."». «Et per hor videtur (]uod ii\ \nf,'liap non (lossil
'' Voir fol. (), où est riléi' l.i iléciéinle i. indireie helliini régi FraneiaB pix) relius qua*
Clémentines. V, l i . leiiel al) codein, si rei Fraiiriae velil sibi jus
'' lliid., loi. '|. laciTc In suis rausis. u
SKS KCIUTS. 567
à plus forU" raisoi) élait-il ignoré de l'autre coté des \lpes. On ren-
contre bien des citations de Bartole dans le Commentaire, mais,
comme on l'a dit, les passages où il est nommé ne liraient pas dajis
les manuscrits el ont été ajoutés après coup par les éditeurs
Des deux ouvrages de Faure, le Commentaire est de beaucoup le
plus important, par l'ampleur de l'exposé et la richesse des dévelop-
pements. Mais, dans l'un et l'autre, la méthode suivie est la même;
l'auteur se propose d'y dégager les règles du droit obscurcies par les
controverses on ensevelies sous la masse compacte des écrits des glos-
sateurs et des commentateurs. Il tien! à bon droit le texte, et non la
glose, pour le fondement de la science juridique. vSans la reproduire
in extensn , il présente très brièvement sur chaque mot important les
opinions de la glose; toutefois, il ne s'astreint nullenumt à les suivre.
A l'exemple de son prédécesseur Pierre de Belleperche, et de son
contemporain Cino <la Pistoia'*', il connaît les lacunes et les défauts
de la glose, et sait au besoin les montrer; ce n'est pas lui qui méri-
terait d'être accusé d'idol.âtrie pour l'œuvre d'Accurse. De même, sur
les (Hieslions douteuses qu'il rencontre, il indique les solutions don-
nées par les docteurs, qu'il présente le plus souvent sous la forme
d'apostilles à la glose. Sans doute, en principe, il conseille de s'en
rapporter à la cnmmunis opinio''^^ des maîtres de la science du droit;
mais cela ne l'empêche pas, le cas échéant, de critiquer leurs doc-
trines, usant à l'égard de ses prédécesseurs ou de ses contemporains
d'un jugement indépendant et d'une verve parfois très caustic(ue.
Uix oj)inions des autres il ajoute, dit-il, ce que Dieu lui inspire;
ce sont parfois de brèves explications, parfois des exposés magistraux
où sont traitées les plus graves questions. Là, Jean Faure permet
d'apprécier sa maîtrise des textes et des écrits juridiques; là, il lui
arrive de se ressouvenir des leçons de dialectique qu'il a reçues dans
sa jeunesse, témoins la première page de l'explication des Institutes,
où il traite de la matière et des caractères de la science du droit, ou
encore le début du commentaire du livre IV du même ouvrage
où, à la suite de Placentin et d'Azon, de Jacques de Revigny et de
''' Cl. Luigi Chiappelli, Vita e opcrc (jiari- avant tout compte du texte. Par ces tendances,
dirhe di Cino da Pistoia (Pistoie, 1881), Cino cl Faure, qui le suit de quelques annôes,
p. i88. On constate dans les ouvrages de Cino présentent quelque analogie.
uiK- indépendance nettement accusée vis-à-vis '*' Commentaire, fol. "t.
(le la tjloM' el mi souci 1res marqué de Icnir
5()S JKW FAURK, LK(jlSTK.
Pierre de Belleperche, il s'efforce de définir l'action et den déter-
miner la nature. A ces exemples on en pourrait ajouter beaucoup
d'autres; mais il n'est pas moins vrai que cette manière de comprendre
la science juridique n'est pas celle que préfère l'auteur. Nul moins
3ue lui n'a de goût pour les discussions purement verbales. A propos
es observations de la glose sur la définition de l'obligation, donnée
par les Institutes, Jean Famé, après quelques considérations «ju'il
tient à présenter en bref (car, dit-il, son lecteur non indigel dictis),
pose la question de savoir si l'obligation est un être réel ou pure-
ment intellectuel. Là-dessus il répond: « Pour résoudre ce problème,
dispute selon la logique, toi qui es récemment arrivé de Paris; tu ne
t'es pas encore appliqué aux connaissances d'où découlent le lait
et le miel; par ces disputes auxquelles tu te livreras, tu acquerras
peu de gloire ''^. « Aucun passage ne donne une idée plus juste des
tendances de Jean Kaure, de la manière claire et réaliste qu'il affec-
tionne, et de faversion qu'il éprouve pour l'interminable et obscur
bavardage de certains docteurs.
C'est que notre jurisconsulte a reçu en partage un esprit iiel
et perspicace; il discerne rapidement le point vital d'une question et
sait le mettre en pleine lumière. En voici un exemple. Les juristes
n'ignorent pas que peu de matières ont été plus embrouillées, corrirne
à plaisir, que celle des actions dites mixtes, c'est-à-dire des actions
en partage et en bornage; d'un mot, Jean Faure place son lecteur
sur le véritable terrain en montrant qu'elles sont essentiellement
des actions personnelles, procédant de quasi-contrats '^\ Ce qu'il fait
à propos de cette tbéorie, il le répète à propos de beaucoup d'autres.
Par là, il simplifie la tâcbe de ses lecteurs et leur montre le chemin.
On ne s'étonnera pas de constater que ses sympathies vont moins aux
théoriciens qu'aux praticiens. Gilles Bellemère avait bien raison
d'écrire de lui, dès le xiv*" siècle, qu'il était un esprit plus pratique
que spéculatif.
Animé de ces dis])ositions, Faure n'eût trouvé aucune satisfaction
a étudier le droit romain comme une législation morte. Ce n'est pas
lui qui se fût appliqué, ainsi que le faisaient les glossateurs, à en dis-
séquer le cadavre pour en analyser exactement toutes les parties;
''"' Commentaire , loi. i tÎj \°. — '' Commentnire , fol. aSo v° et 3n v*.
SES ECRITS. 569
ce n'est pas lui qui, à la façon des humanistes de la Renaissance ou
de publicisles et érudits d'une époque plus récente, se fût résigné
à ne considérer l'étude des lois de Rome que comme une branche
de la connaissance de l'antiquité , c'est-à-dire comme une étude de
luxe pour le jurisconsulte. Son ambition, comme d'ailleurs celle
de ses contemporains, était plus haute; ils trouvaient dans le droit
romain un cadre excellent auquel ils pouvaient adapter les insti-
tutions de leur temps, et des méthodes utiles pour l'interprétation
des lois; qu'on se souvienne des efforts de Jacques de Revigny pour
systématiser le droit féodal d'après les principes romains'". Ainsi
avait été ouverte une voie où devaient se précipiter les jurisconsultes
du XIV' siècle; parmi eux nul ne suivit cette voie avec plus d'empres-
sement que Jean Faure. De très nombreux passages de ses écrits
en fourniraient la preuve; qu'il nous suffise d'en donner quelques
exemples. Pour déterminer l'état juridique des conditionarii , gens
de condition inférieure du bailliage de Bourges et des régions voi-
sines, il a recours aux règles relatives aux colons romains du
Bas-Limpire '^'. 11 étend l'institution du pécule (juasi caslrense aux
fonctionnaires des seigneurs féodaux, comtes et barons, et aussi
aux officiaux des prélats '''; il met l'action (fuod jassu au service du
créancier qui a passé un contrat avec un moine autorisé par son
abbé'*'. Il applique aux biens d'église, avec des distinctions variées,
la classification romaine des biens en trois catégories : sacrés, reli-
gieux et profanes '^'. Il place sur le même pied la stipulation ro-
maine et le contrat par lettre qui fut d'un emploi si général au moyen
àge'^\ l'une et l'autre étant destinés à rendre les mêmes services. Il
introduit les communautés taisibles dans la catégorie des sociétés'''.
On pourrait multiplier ces exemples; nous nous permettrons seu-
lement d'ajouter que c'est surtout par ses efforts pour faire entrer
la propriété féodale dans les cadres romains que Jean Faure a marqué
sa trace. H s'est préoccupé de trouver, dans l'arsenal juridique des
Romains, des moyens de protéger les rapports de droit nés de ce
fait que divers attributs de la souveraineté sont tombés dans le
'"' Cl". Pieire de ïourtoulou. Les œuvres île <*' Ibid., foL 35a*
/ar</uM(fcileiii(/nj (Paris, 1899), p. 45 et suiv. ''' Ihid. , io\. ^%.
" Commentaire, foi. 386. '*' Ibid., fol. Sog.
' md..\'o\.%^. C /ftlW..foJ. 2 35.
HIST. I.ITTER. XXW.
7a
570 JEAN FAURE, LEGISTE.
domaine el le commerce des particuliers; c'est ainsi qu'aux seigneurs
justiciers qui doivent défendre leur juridiction contre des préten-
tions rivales, il donne les interdits et l'action confessoire que le droit
romain met au service du titulaire des droits de servitude'''. C'est
encore sous l'empire de cette idée que, poussant à bout la théorie
des deux domaines, le domaine direct et le domaine utile, créée par
Accurse et développée par ses successeurs, Jean Faure a eu le mérite
d'en déduire «une pleine et franche conception du caractère relatif
« des deux domaines», et donné ainsi à la théorie toute son utilité
pratique. « Sa doctrine sur ce point, dit un bon juge, fut la dernière
«pierre de l'édifice; elle prévalut partout chez nous et ne fut nulle
«part ensuite plus largement exposée'^'. » Remarquez d'ailleurs que
Jean Faure, quand il lui arrive d'assimiler une institution coutumière
à une institution romaine, n'use de l'assimilation qu'avec discerne-
ment, sans lui faire produire des conséquences de pure logique qui
euss'^nt été fâcheuses. S'il rapproche le bail à cens de l'emphytéose,
il ne les confond pas'^'; comme ses pareils, il distingue nettement
l'investiture féodale de la tradition romaine'*', il compare sans doute
avec la tutelle agnatique organisée par la loi des XII Tables le privi-
lège de tutelle réservé aux agnats par les coutumes d'Angoumois, de
Saintongeet de Poitou, mais il se garde d'imposer à ses contemporains
toutes les règles de l'institution romaine'^'. En bon jurisconsulte, il
ne se lie pas les mains par les assimilations dont il dégage le prin-
cipe; il sait en écarter les conséquences qui lui semblent contraires
à la nature des choses ou à l'équité.
Ainsi, Jean Faure, tout en exposant le droit romain, ne perd jamais
de vue le droit qu'enseignaient ceux qu'il appelle les consuetudtnaru^^\
c'est-à-dire les jurisconsultes coutumiers; il a présent à l'esprit l'en-
semble de règles juridiques qui constitue pour lui la consuetudo regni
Franciœ. C'est cette coutume générale qu'il invoque, plus fréquem-
ment que les coutumes régionales ou locales. D'ailleurs, qu'il s'agisse
de droit romain ou de droit coutumier, il ne tient pas sa tâche pour
achevée quand il a dégagé une règle juridique; il faut encore (ju'il
''' Commentaire, loi. 3oi el pussim. '■' Cummentaire , fol. j'jS v°.
''■ E. Meyniai, Notice sur la formation du '*' Breviariam, fol. 77.
domaine divisé , au tume II des Mélanges l'itting, '' Commentaire , fol. Sy.
j). 46i. '* Exemple : Commentaire , fol. 4o5.
SES ECKITS. 571
donne, à ceux qui devront appliquer cette règle, les conseils que lui
suggère son expérience. Sur tel point douteux, quel parti suivre dans
la pratique quotidienne? «Je sais, dit-il, que, sur ce point, les jugos
« s'en tiennent à l'opinion de la glose; c'est donc à la glose qu'il faut
«se conformer ''l » S'il se trouve en présence d'un usage universel-
lement adopté par les praticiens, il ne manque pas d'en informer ses
lecteurs : sicut toia die fit in caria, écril-il, ou : etsictota diefaciunt advo-
cati^^l Que s'il s'agit d'une règle universellement rejetée, il se croit
obligé de le dire : (juod mim(juam vidi senare'^K Nuîf mieux que lui
ne connaît les errements suivis par la juridiction suprême, la Caria
Francicr, qu'il appelle parfois le Parlement'*'; en maints passages il
renvoie le lecteur à la jurisprudence de celte Cour'*'. Il garde d'ail-
leurs, vis-à-vis des arrêts qu'elle rend et du style qu'elle suit, l'indépen-
dance de son jugement et de sa critique. S'il dit parfois : Caria Franaœ
non serval has sabtilitates^^\ ce qui, dans sa bouche, est un éloge, il
n'hésile pas à présenter comme contraires à la justice des décisions
de celle Cour rendues en une forme (]ui lui semble réprouvée par le
droit*''. Surtout il ne ménage pas ses conseils aux avocats qui ont la
charge de rédiger les actes importants de la procédure, aussi bien
qu'aux procureurs qui représentent les parties en justice. Tant pis
pour celui d'entre eux qui ne tiendra pas compte de ses avis; il sera
vivement réprimandé : « Fatuusest advocatus qui talem exceptionem
non admisit'*'. »
On n'aurait qu'imparfaitement fait connaître le jurisconsulte
qu'était Jean Faure, si l'on ne faisait remarquer qu'il s'occupa surtout
du droit privé, (^omme il convenait à sa double qualité d'avocat et de
magistrat, le droit public ne tient dans ses écrits qu'une place secon-
daire. Cependant, en plus d'une page, il a l'occasion d'en donner des
notions. H reconnaît très nettement que la souveraineté est conférée
par le peuple, ad (juem de jure communi spécial eleclio et crealio prin-
I" Commentaire, Jol. 368. fol. 38a, 384, 386 v», 388, SSo, Soo, 3qi
'" fbi<^- . '<'!• 369 et 38 1 . 39 1 V', 396 , 3qq et passim.
"> Ibid.. (ol. 366 V. ^(.) ml, fol 39/v.
'*' . De consuetudine PaiiamieDti est quod ''' Ibid. , foi. 398.
dominus qui comparuit in propria persona '' /fciti.. foi. 39a. — On trouvera une autre
non potest dimillere pro se procuralorem nisi preuve de son esprit pratique dans les recom-
oblenla iicenlia a curia vei gratla régis.» (Corn- mandations minutieuses qu'il fait (fol. gS v°)
mentaire .ioV 187 v'.) au sujet de la confection matérielle des testa-
'" Voir, .î titre d'exemple , le Commentaire, ments.
572 JEAN FAURE, LEGISTK.
cipis''^^; telle est la théorie des romanistes, le principe héréditaire n'étant
à leur avis qu'une coutume qui déroge à ce principe. Pour eux , c'est de
la délégation du peuple que procède le pouvoir de l'Empereur, seul
souverain qui ait qualité pour faire des lois universelles. Avec ce
pouvoir qui s'étend, en théorie, à toute la chrétienté, Faure concilie
tant bien que mal l'existence d'Etats indépendants, tels que la France,
dont les chefs ne reconnaissent pas de supérieurs et n'obéissent pas
aux lois de l'Empire (^*. Quant aux seigneurs féodaux, il est certaine-
ment enclin à contenir leurs pouvoirs dans de justes limites. Comtes
et barons sont pour lui soumis au sénéchal qui représente le roi dans
la région'^'; qu'ils ne s'avisent pas de se conduire en empereurs dans
leurs domaines, d'y lever des taxes insolites que le prince lui-même ne
peut imposer en conscience que ob necessitatem et utihtatem publicam,
ou encore de prétendre , au mépris du droit des sujets, qu'eux-mêmes
sont maîtres exclusifs des chemins et des cours d'eau'*'; qu'ils ne
s'enhardissent pas jusqu'à transformer, sous prétexte de nécessité
urgente, les églises en forteresses. Une autre tendance manifeste chez
.lean Faure est celle d'affermir la situation des officiers de l'ordre
judiciaire et administratif; il est à remarquer que déjà il les consi-
dère comme propriétaires de leurs charges, tant il est soucieux de les
protéger contre l'arbitraire de l'administration supérieure, des baillis
et des sénéchaux '^'.
Être dévoués au roi , tenir en échec les seigneurs féodaux, défendre
les intérêts de classe des hommes de loi, ne sont-ce pas là autant de
traits qui, jusqu'à la fin de la monarchie, caractériseront cette légion
de gens de robe, magistrats ou avocats, qui, en France, constitueront
l'élément supérieur de la bourgeoisie ? Et pour mieux marquer la
lessemblance, il nous est possible de discerner dans la personne de
Jean Faure un autre trait : une adhésion entière à la foi et à la morale
du christianisme, se combinant avec une réserve quelque peu défiante
vis-à-vis du clergé, contre lequel, sur le terrain de la juridiction, les
juristes séculiers mènent depuis longtemps une lutte acharnée.
'•' Brevinrium, loi. \ v°. ''• Commentaire, fol. 77; ci. fot. 42 et 11.
''* • Non glorienlur impériales ex hoc quod '* Ihid., fol. 58.
regnum Francie esset subjectum Imperio : ([uia '* • Cuni officia sint officialium quoad pro-
hic loquitur ( Ju.slinianus) de quadain Francia prielafem. • Ibid., fol. 35. — CA. firevinrinm ,
(juae es! Alcinaiinia. " Commentaire , fol. lî v", >ur loi. u).
le mot Frnncuf. — Cf. Breviarium, fol. 1 et a.
SES ECRITS. 573
On ne saurait douter que Jean Faure ne fût pénétré des croyances
catholiques, en matière de foi aussi bien que de morale. De la reli-
gion, (|u'ii conçoit comme le lien qui unit l'âme à Dieu, il se fait
une très haute idée; aussi il la veut grave et sérieuse, sincère et pro-
fonde, résultat de la libre adhésion du fidèle et non de la contrainte;
sur ce point il répète le texte d'un ancien concile de Tolède, qu'il a
trouvé dans le Décret de Gratien'"'. H recommande aux fidèles de
conserver cette foi comme un précieux dépôt et pour cela d'éviter les
recherches indiscrètes ou inutiles qui pourraient la mettre en péril '^',
il leur rappelle le conseil de l'auteur de l'FiCclésiastique : Altiora ne
(liKusieris^^K 11 les met surtout en garde contre la tentation de se
livrer à ces investigations ambitieuses par lesquelles l'homme se flatte
de surprendre les secrets de Dieu. Que le chrétien étudie la nature
pour connaître les vertus médicales des plantes et qu'il ajoute foi à ces
vertus, il le peut et il le doit: « Haecenim naturaliterfiunt ''"'»; mais qu'il
ne s'adonne pas à la superstition, à la magie, aux pratiques occultes,
qui peu à peu le conduiront à des crimes tels que les envoûtements'*'.
Il ne s'exposera pas à ces périls, s'il s'abstient de franchir les
limites que lui assigne la doctrine et s'il se borne, suivant le conseil
«le notre auteur, à croire ce que croit l'Eglise romaine. .lean Faure
n'hésite pas à reconnaître l'autorité suprême de cette Eglise et la plé-
nitude de puissance du Pape. Le successeur de saint Pierre est délen-
teur des deux glaives, le spirituel et le teniporel'^'. «On ne trouve
" nulle part, dit Jean Faure, que le Seigneur, conférant la puissance
" à Pierre, l'ait restreinte aux choses spirituelles. » Cette autorité du
Pape est sans linntes, puisque, le cas échéant, il peut, notre juris-
consulte le reconnaît, déposer les rois.
Pour entendre la pensée de Jean Faure, il faut, de ces passages,
en rapprocher d'autres dont, sur certains points, l'accent est sensible-
ment dilTérent. Sans doute le Pape a reçu les deux glaives; mais «je
«crois volontiers, ajoute le jurisconsulte, qu'il ne doit pas s'immiscer
" dans la juridiction séculière »; sauf dans les cas extrêmes'^*, où sont
'"' D. XJjV, c. 5; cl. Krei'iiirium, iol. 6 v°et 7. bile quud homo possit mori pi-r verba seu
'"' Ibid.. fol 274. inçantationes ; sed forte inlellipilur quando
''' [II, 2*î. proceditur ad atiquod factum, sinit ad (rac
•'• Cl. Breviariiim, loi. 273 v" et 274. tionem imaginis. i>
'*' A la fin du Commentaire (fol. 4o5 v'), ''' Hrex'iariiim , fol. 5.
on lit c« passage : » Et nota hic unum mira- ''' Ibid.
2 9
r^l/i JEAN FALRE, I.KCJISTE.
en péril le salut des âmes et les droits supérieurs de la justice, il fail
bien de tenir le glaive temporel au fourreau. Pour mieux marquer
son opinion, Jean Faure rassemble alors les textes connus, depuis
ceux de l'Evangile*'' jusqu'à un passage de saint Bernard, d'où l'on
peut induire que le rôle de la puissance ecclésiastique n'est pas de
diriger les allaires temporelles*'^'. De même, il se garde bien de mécon-
naître les privilèges traditionnels que les pouvoirs publics du moyen
âge reconnaissent au clergé; mais il n'est pas disposé à les étendre.
En quelques mots, il refuse les privilèges de clergie aux clercs mariés,
si ce n'est, à certaines conditions, le privilège du for en matière de
délits '■*'; il ne s'élend guère sur les controverses qu'a soulevées cette
question. — Quand il est amené à se poser une autre question, très
vivement discutée de son temps, celle de savoir si le clerc poursuivi en
matière réelle immobilière a droit à la compétence des cours d'Eglise,
il répond : « A la vérité, des opinions divergentes ont été proposées sur
« ce point. Quoi qu'il en puisse être de la règle de droit, les cardinaux
«et les évêquesrépondent, jele sais, que, dans le royaume de France,
« le juge séculier est compétent pour connaître des matières réelles,
•< et que les clercs peuvent se défendre devant son tribunal dans les
«procès portant sur ces matières. C'est pourquoi, étant moi-même
« du royaume, je ne combats point ses lois'*'. » Au surplus, il ne pro-
fesse point un respect aveugle pour tous ceux qui portent le costume
clérical. « L'habit ne fait pas le moine, écril-il; il y a peut-être plus
« d'hommes vraiment religieux parmi ceux qui portent le vêlement
« séculier que parmi ceux qui sont revêtus d'un autre costume. » Ce
qui importe, c'est de bien vivre, et non de s'envelopper d'une chape
sous iacpielle s'abrite parfois une âme chargée de crimes'^'. D'ailleurs,
il ne dissimule pas sa haute estime pour le religieux qui mène une
''' /Jrei'wiium, (ol. 5. Il (omnience partes dit des clercs mariés «quod de iilis judicaii
Jexles de saint Jean, III, 17 ; XVIII, 36, et VI, .dum est sicut de laicis in causis pecuniariis^.
i5. S'il respecte leur privilège en matière «le délits,
''• Ibid. c'est sans doute par applicaliou de la décrélale
''' Ibid., fol. 8 et iG v°. Dans ce der- de Bonilace VIII, c. 1, in Sexto, III, 3; il ne
nier passage, après avoir posé en principe s'agit en ce cas que des clercs mariés ciim
(lUé les clercs mariés n'oni pas droit au l'or uiiicn et virijine qui portent l'hahit et la Ion
ecclésiastique: «Item hodie llallit régula] in sure.
dericis conjugatis», Jean Kaure discute en '*' Commentaire, loi. '6-jà; Breviariam ,
(|uel(|iies mots la valeur de la coutume con- loi. 1 ti v°.
traire. — .\iUeurs [Commentaire . Col. Tf]?)] il '■■' Hrrviarinm , fol. 6 v".
SKS EGHITS. 575
vie conforme à ses vœux, (j'est pour assurer la sincérité de ces vœux
que Jean Faure l)làme les moines qui, par leurs sollicitations indis-
(^èles, ne crai<;nent pas d'entraver la liberté des novices'''.
On ne s'étonnera pas de ce que Jean Faure, appartenant, comme
on le voit, à lacatéjjorie des lé<;isfes, garde son indépendance vis-à-vis
descanonistes. Or, suj- plus d'un point de la doctrine juridique, légistes
et canonisles sont en désaccord ; il s'en faut de beaucoup que notre
auteui' adopte toutes les solutions canoniques. C'est ainsi qu'en un pas-
sage de son Coinincntaire sur les Institutes, il semble fairedu mariage un
contrat verbal'""', ce qui n'est nullement conforme au droit canon, qui
ne soumet l'échange des consentements à aucune forme. Sur la valeur
de la renonciation, confirmée par le serment, en vertu de lacjuelle
une femme mariée s'était engagée à ne point criti(pier l'aliénation d'un
fonds dotal consentie par son mari, des décrëtales d'Innocent 111 et de
Boniface VllI se prononçaient sans ambages; par respect pour le ser-
ment et |iour exiler des parjures, elles donnaient effet à la renoncia-
tion, (Micore que faliénalion du fonds fût contraire à la loi civile'^'.
Sans se mettre en opposition directe avec ces décrélales, Jean Faure
résout la question par des moyens termes et des distinctions variées'*'.
De même, s'il reconnaît au juge ecclésiastique le droit, qui lui avait
été contesté, de pi-ononcer des amendes, il ne lui permet d'en user(|ue
lors([ue cela intéresse la partie civile'^'. On pourrait, à cesexem])les,
en ajoul,er d'autres : en général, notre jurisconsulte s'en tient aux
opinions des légistes.
Ce j)ortrait de Jean Faure ne serait pas achevé si nous ne signa-
lions chez lui un autre trait caractéristique qui n'est autre que son
souci des considérations morales. Si l'étude du droit canonique et
civil lui parut digne d'être recommandée, c'est surtout à cause de la
forte instruction morale qu'elle donne à ceux qui le cultivent. Lui-
même en est tout pénétré, et, en maints passages, laisse voir ses
préoccupations. Il ne manque pas, quand l'occasion se présente, de
fustiger le vice et ceux qui s'en font les protecteurs. Les hommes
qui s'adonnent à la luxure se placent, à son avis, au-dessous des
''* 11 s'appuie sur les deruirres lignes d'une ''' C. 28, Décrétâtes de Gréqoire IX, 11, a4;
décrétale (c. 18, Dénétales, 111, 3 a): « facil pro c. -a, Sexle, 11, 11.
« religiosis qui suggeiunt pueris quod intrent in '*' Commentaire, Col. 85 v° et 86; Brevin
• religionem • (Commenfoire, fol. 8). ri'um, fol. loi.
''' r.f fol. ■:>- '" Breviarium , loi. .Hi \°.
576 JEW FAllRE, i.KCilSTK.
animaux; l'homme étant raisonnable par nature, ce qui est naturel
aux animaux est, pour l'honime, contraire à sa nature. « Sois donc
«homme, ajoute-t-il, et non bête; que la volupté d'une heure ne
«t'asservisse pas à ton corps, chose très vile. Crois-moi, de même
« que la cupidité est la source de tous les maux, de même la luxure
«rassemble en elle-même le venin de tous les péchés'"'. « L'homme
est souvent conduit à la luxure par les mauvaises lectures; aussi notre
jurisconsulte s'indigne contre ceux qui se délectent à lire ou a
entendre des romans et des contes '^', et leur rappelle la condamnation
portée par saint Paul contre ceux qui donnent toute leur attention
à des fables'^'. Plus souvent encore c'est la perversité des compagnons
ou la faiblesse des supérieurs qui propage la débauche. Un jeune étu-
diant est entré dans une société de^o/mrrfi'*' qui sont corrompus ; quand
il reviendraàde meilleurs sentiments, il pourra intenter contre ses cor-
rupteurs une action analogue à l'action romaine de servo corrupto. Cette
opinion a été proposée par Pierre de Belleperche, et Jean Faure lui
donne son approbation complète : « Est bona et aequa, quamvis non
« sit vei'a. » « Plût au ciel, ajoute-t-il, (jue tous les corrupteurs de la
« jeunesse dussent payer leurs méfaits'^' ! » Quelques-uns des supérieurs
laïques ou ecclésiastiques ne sont pas traités avec plus de douceur;
Faure voudrait voir bannis les hommes puissants, surtout les mau-
vais justiciers, qui entretiennent à leur service des gens de sac et de
corde, sauf à les désavouer quand ils sont trop compromis, Qu encore
les abbés qui gardent en leur dépendance des moines aussi étran-
gers au bon sens qu'à la justice. Ces chefs indignes sont infiniment
plus coupal)les que les tristes personnages dont ils se sont fait des
instruments '**',
Le vice et la corruption seraient moindres si les hommes écoutaient
les leçons du droit. Malheureusement ceux qui sont chargés de la
répression du crime laissent trop souvent le pouvoir s'énerver en
leurs mains. Le concubinage, comme toute fornication, est un crime
contre Dieu et la foi chrétienne; cependant les docteurs tolèrent que
les enfants qui en sont issus succèdent à leurs parents^'. L'adul-
(') Commentaire, loi. 363 v». ''' CJ. Bonilace VIII, c. i. in Sexto. III, i.
'*' Ibid., fol. 8. «Contra illos qui delectan- '*' Commentaire, fol. 319.
lur in romantiis et fabulis. • '*' Ibid., fol. 36o v*.
''' Ad Timotheiim, II, iv, /|. ''' Brcriariurn , fol. iSfi.
SES hXKITS. 577
tère est puni de mort par le droit divin, comme on peut le voir en
ouvrant le Deutérononie; les constitutions impériales lui infligent
aussi la peine capitale*''. Notre auteur se demande par quelle faiblesse
les juges humains ont pu laisser tomber en désuétude la peine établie
par Dieu même, au risque de contaminer la société. Grâce à leur in-
dulgence, on peut dire que rien n'est plus sain dans le corps social, du
sommet à la base; les grands et les petits sont également dépravés, le
lys est gâté comme rhysope'"^'( est-ce une allusion aux scandales donnés
par la famille royale à la lin du règne de Philippe le Bel?) D'une ma-
nière générale, Faure n'est nullement enclin à permettre que la ré-
pression s'affaiblisse; on en pourrait donner plus d'une preuve. Il
réfute les crihcpies dirigées contre la loi Coriieha de sicariis, que d'au-
cims trouvent troj) rigoureuse en certains points''^'. Après avoir rap-
pelé que le vol commis par un serviteur est toujours puni de mort,
tandis que, si le vol est commis par un étranger, la sentence capitale
n'est prononcée (pi'en cas de récidi\e'*', Faure se demande quelle
devra être la décision du juge (juand le délit sera à la fois l'œuvre
d'un domesti(|ue (ît d'un étranger; à cette question il répond que tous
deux devront être pendus'^'. Nous sommes loin de la commisération du
bon Pierre .lacobi , qui ne pouvait souffrir que l'on pendit un coupable
« pour le premier vol'®' ».
Si rigide d'ailleurs que soit la conception qu'il s'est faite du juge
chargé d'assurer la répression des crimes, Jean Faure sait reconnaître
la limite qui sépare le domaine de la justice humaine de celui de la
justice divine. « H y a des sots, écrit-il, qui s'imaginent que les con-
II damnés à mort sont, par le fait même, des réprouvés voués à la
«damnation, damnati in anima»; sans se mettre en peine d'opposer à
cette opinion une réfutation en forme, il se borne à ajouter ces mots:
« quod plus quam fatuum est dicere'^' ».
Faure ne traitait pas les délits civils avec plus de ménagements
que les délits contraires à la loi pénale. H se ffatte de s'être prononcé,
tout avocat qu'il fût, pour la responsabilité des avocats envers leurs
clients à raison de leurs fautes'"'. Il ne se contente pas d'ailleurs d'ap-
''' Faure parait (aire allusion à la r. .'4o, Code ''' /&i(i. , fol. 4o(J.
ile.lustiiiien, IX., ç), nd legem Juliamde adulteriis. '"' Aurea PracticaUhellnriim(Co\o^e, i57.'>),
' Comnuiildirr, loi. 4o5. (). 376..
. '*' Commentaire , toi. in^y v". ''' Commentaire , toi. /|o4 v°.
"'' Ihid.. fol. 40;). '"I Ibid., fol. 2i V°.
msi. i,Mi>;n. — \\\v. 73
578 JEAN FAURE, LEGISTE.
précier les actes humains au point de vue des règles purement juri-
diques; il lui arrive de les apprécier au point de vue de la conscience
chrétienne. Sans aller aussi loin dans cette voie que les canonistes,
il s'inquiète comme eux du péché et de ses conséquences. Le cas
échéant, il n'hésite point à transformer le devoir moral en obligation
juridique. C'est ainsi qu'il fut amené, en plusieurs passages de ses
œuvres, à exposer la théorie, qui nous paraît à tort très moderne, de
l'abus du droit. En vertu de cette théorie Faure condamne, non point
seulement comme moraliste, mais comme jurisconsulte, la conduite
de l'homme qui, sans aucun profit pour lui-même, use de son droit
de manière à nuire à autrui'"'. Là-dessus notre juriste pose des prin-
cipes qui, dit-il, pourront servir à résoudre un grand nombre de
questions. Il est piquant de constater que le vieux jurisconsulte a in-
terprété, plus raisonnablement que beaucoup de ses successeurs,
l'adage Qui suo jure utiliir neminem Iccdit, et qu'il a été ainsi le précur-
seur d'une jurisprudence que notre génération a vue se développer
progressivement et tient pour une conquête précieuse.
Les c(Hisidérations d'ordre moral, qui étaient chères à Jean Faure,
le conduisirent à des conclusions très personnelles quand, commen-
tant le titre ix du livre I\ des Institules, si quadrupes pauperiem fecerit ,
il dut examiner les conséquences des méfaits commis par les animaux.
H est, à son avis, des animaux auxquels il convient d'attribuer un cer-
tain degré de raison; aussi croit-il pouvoir leur imputer des délits.
Il ^ a lieu, dit-il, lorsque l'animal a causé un dommage, de voir
s'il est en faute, accipiendo culpain (jualis possil cadere in eo '"■'. 11 en
donne des exemples doni le plus remarquable est emprunté aux
mœurs du chien. Selon lui, cet animal est exempt de faute s'il
s'approprie un morceau de viande abandonné, sans gardien, vu un
lieu ouvert à tous; il n'en est pas de même lorsqu'il rompt le garde-
manger où est conservée la viande, renver.se la chaudière où elle
cuil. ou terrifie par ses grondements la jjersonne qui en a la garde.
La conséquence en est que, conformément aux règles posées pour les
délits d'esclaves, si le chien est en faute, le maître peut être pour-
suivi; si, au contraire, la conduite de l'animal ne prête pas à la critique,
il ne saurait être question de poursuite contre le maître. La solution
''' Voir l'exposé complet de la théorir dan> le Breviunuin , toi. 80 >°, et dans le Cominentitirc,
loi. 35. - '" Ihiil, fol. 363 V .
SES KCRIÏS. 579
est incontestable; mais la manière dont Jean Faure la justifie ne
manque pas d'originalité. Au surplus, l'idée qu'il y développe est
peut-être empruntée à deux fragments du Digeste"', ou encore auv
doctrines de quelques écrivains de l'Antiquité qui attribuaient une
certaine moralité aux animaux.
Les écrits de Jean Faure occupent une place importante dans la
série des (cuvres juridiques. Le fait que nous avons pu signaler dix-
huit éditions de son Commentaire sur les Institules antérieures à la
fin du xvi" siècle suffit à attester l'estime où le tenaient nos anciens
jurisconsultes. L'autorité de Faure comme interprèle du droit romain
était universellement reconnue bien avant que Dumoulin eût dit de lui
qu'il était Romani juris perilissimus. De bonne heuie sa réputation
avait franchi les limites du royaume; il fut cité par les juriscon-
sultes italiens dès la seconde moitié du xiv* siècle. Au siècle suivant,
des auteurs tels qu'Alexandre d'Imola et Jason rendent témoignage
de ses excellentes qualités'-'. Mais c'est surtout en France que se fait
sentir l'influence de Jean Faure. On peut s'en rendre compte si l'on re-
marque que dix éditions de son Comm<?«/af/ï' parurent au xyi" siècle dans
la seule ville de Lyon, ^^u surplus il sulht, pour s'en assurer, de con-
stater l'autorité dont jouissaient ses écrits auprès des écrivains juridi-
ques et des praticiens. Déjà, à la Un du xiv^ siècle, il était loué par Gilles
Bellemère ; pour les siècles suivants, on peut invoquer'^' les témoi-
"^nages de Chasseneuz, dans son commentaire sur la Coutume de
Bourgogne, de Dumoulin qui lui rend hommage, non seulement
comme romaniste, mais comme maître du droit coutumier, de Tira-
queau dans son Traité de la noblesse, de Brodeau dans son commentaire
du titre de la coutume de Paris consacré au retrait lignager, et d'An-
toine Mornac dans ses Obscrvationes sur la première constitution du
(vode de Justinien. Il convient d'ajouter à cette énumération le com-
patriote de Faure, Jean Vigier, qui, en maintes pages de son com-
mentaire sur la Coutume d'Angoumois, ne manque pas de citer celui
qu'avec une respectueuse sympathie, il appelle « notre Faure ». Tous
ces éloges pourraient être ramenés à deux phrases : l'une tirée du com-
''' Cl. I, p. 7 et 1 1, Difeste.W, i (solutions <^' Ces lémoign.iges ont été réunis par Tai-
d'Ulpien ot de Quintus Mucius). sand dans son ouvrage : Les vies des plus
''' M.intua, De viris ittastribas , au tome I" célèbres jurisconsultes (Paris, 1767), p. 181
des Trnctntus unirersi jaris (Venise, ir)8/|), et suiv.
fol, i6/( v°-
580 ANONYME DE METZ.
mentaire de Nicolas Boyer sur la Coutume de Hourges, où Jean Faure
est proclamé le premier des jurisconsultes coutumiers de France :
« summusFranciœconsuetudinarius'" », et l'autre où Fabricius résume
son appréciation en des termes qui rappellent les expressions de
Jason : « Doctor subtilis et perspicacissimus et fundamentalis '*' ». C'est
en bref l'appréciation unanime des maîtres de notre ancienne juris-
prudence sur Jean Faure.
Ecrit aithibué à tort à Jean Faure.
Savigny, dans sa première édition , att libuait à Jean l'aure une courte
Repetitio super materia (juastionis seu torturœ^^' . Cet écrit ligure à la suite
du Breviarium dans quelques éditions du xyi*" siècle, notamment dans
celles qui furent données à Paris en i5i6 et en i5-45. La Repetitio
saper materia (juœstionis ne porte en aucune façon le caractère des
écrits de Jean Faure. En outre, divers passages prouvent qu'elle a
l'té rédigée en Italie : il y est question du statut local et du podestat.
Il y est parlé de la coutume générale d'Italie « que nous observons'*' ».
Enfin Bartole y est cité, tandis que Faure ne le cite pas et proba-
blement n'a pas connu ses (Buvres. 11 convient donc de rayer cet écrit
(le la liste des ouvrages de Jean Faure. C'est d'ailleurs l'opinion à
laquelle se ranjj^e Saviffnv dans sa deuxième édition '^'.
P. F.
A^^ONYME,
AUTEUR D'UN POÈME SUR LA GUERRE DE METZ EN 132'i.
Après avoir été la capitale du royaume mérovingien d'Austrasie,
Metz était devenue en 980 terre d'Empire, aux termes d'un accord
'■' Titre de» fiei's, ch. î4- — '*' Hihliotheca médite et infinue latinitatif (éd. Maa»i), t. Il,
p. i35. — ''' Grfchichtc (les rômifclieii Rerhtes im MiUeMtir, i. VI (i" éd.), p. 4o. — '*' N" i4.
— O T. Vr, p. 43. note a.
SON POÈME. 581
entre l'empereur Othoii II et le roi de France Lothaire. Dès lors,
tout en conservant à leur ville le titre nominal de cité impériale,
qui pouvait empêcher leurs puissants voisins, le duc de Lorraine
et le roi de France, de la réunir à leurs domaines, les Messins
avaient constamment travaillé à s'affranchir de toute domination
extérieure. Au xm* siècle, ils avaient réussi également à se soustraire
à l'autorité de If urs évêques , qui n'avaient plus conservé que
le droit de marquer la monnaie à l'efligie de saint Etienne, et de
conférer l'investiture aux magistrats chargés de rendre la justice et
déjà désignés auparavant par les conseillers populaires.
Ainsi artranchis de toute suzeraineté impériale ou épiscopale, les
citoyens de Metz entretenaient avec leurs nombreux et puissants
voisins des relations d'un caractère purement commercial. Les pro-
ductions d'un territoire fertile en vignobles et en céréales, la fabrica-
tion des draps avaient enrichi beaucoup d'entre eux, et maintes fois
les ducs de Lorraine ou de Luxembourg et les comtes de Bar avaient
eu recours à eux. Si quelque prince ou baron des contrées voisines,
dit un chroniqueur messin*'', avait besoin d'or ou d'argent, il en
trouvait à l'hôtel des changes, où les bourgeois tenaient leur
banque'^', contre des gages convenables, terres ou seigneuries, ou
contre des obligations, qu'on déposait dans les arches des amans
(les notaires de Metz) ; quand les emprunteurs manquaient à leurs
engagements, les terres étaient saisies et les gages confisqués. Il en
résultait que la grande richesse des Messins les rendait un objet de
crainte et d'envie pour leurs voisins. Desimpies bourgeois prenaient
ainsi possession de terres reçues en garantie des prêts qu'ils avaient
consentis, et souvent allaient jusqu'à refuser, en qualité de citoyens
de la libre cité de Metz, l'hommage que devaient au suzerain ces
arrière-fiefs. La mauvaise humeur de ces puissants débiteurs les
j)oussa à des projets de vengeance.
Edouard, marquis du Pont et comte de Bar, se trouvait» au début
de l'année i33^., débiteur de fortes .sommes, qui l'avaient aidé à se
racheter de la prison dans laquelle le duc de Lorraine, Ferri IV,
''* Les Chroniques de la ville de Mett.re- mentionne : Li usarier ie Mtlz (Leroux de
cueillie». . . p«r .l.-F. Hngnenin (MeU, i838), Lincy, Le Livre des proverbes Jrnnçais , 2' éd.,
p. 39. 1869,1. I", p. 364).
'~' Dès le mil' siècle, le Dit de l'Apostoile
582 ANONYME DE METZ.
l'avait retenu plusieurs années'"'. Une simple bourgeoise de Metz,
clame Poince, veuve de Nicolas de La Court, lui avait prêté, en i 3 i5,
dix-neuf à vingt mille livres en sous d'or et en bons petits tournois.
Comme les délais fixés pour le remboursement étaient passés, la
dame, protégée par l'échevinage, avait pris possession de plusieurs
terres du domaine de son débiteur. Edouard, une fois réconcilié avec
le duc de Lorraine, devint le plus ardent promT)teur d'une ligue
destinée à châtier l'orgueilleuse cité. Le jeune roi titulaire de Dohènie,
Jean de Luxembourg, qui, plus tard, devait chercher et trouver une
mort glorieuse dans la funeste plaine de Crécy, se joignit à eux , pour
satisfaire apparemment quelque ressentiment analogue, el quand
l'archevêque de Trêves, Baudouin de Luxembourg, vit se former
l'orage qui allait fondre sur Metz, il s'empressa de prendre le parti
de son neveu. Ces quatre princes, une fois assurés de leurs disposi-
tions réciproques, se réunirent d'abord à Thionville dans les domaines
du comte de Bar, puis à Remich, petite ville du Luxembourg, où,
le 2 5 août i32^, ils conclurent un traité d'alliance contre la cité de
Metz''^' et s'engagèrent à n'accepter séparément aucun accord avant
d'avoir mis à la raison ces insolents banquiers.
Tel fut le début de la campagne qu'un rimeur anonyme a de
son mieux racontée, non en chroniqueur impartial, mais pour
défendre le bon droit de ses concitoyens. Son poème compte J96
couplets, de sept vers chacun, au total 2,072 vers octosyllabicpies.
Le style de l'auteur a conservé l'empreinte messine, mais sa langue
a été systématiquement rajeunie par les copistes du xv* siècle. Voici
comment il débute :
I . I^our esctievir mirancolie Or m'en dont Dieu a lel fin traire
Qui m'ait esteit souvent contraire, C'on n'y puisse trouver folie.
Une matière ai cntaillie Ne nulle rien qui puist desplaire.
Dont je voira plussieurs vers faire.
''' La Guerre de Metz, en i32U , poème du élu de Metz, Henri 1", dauphin de Viennois,
XIV* siècle, publié iiar E. de Bouleiller, avec la se joignit aux conlédérés le i5 novembre sui-
collaborntion de F. Bonnardot (Paris, iSyS), vanl [ihid, p. 5a,')-5a6). CI. Les Chroniques de
p. 6. la ville de Metz, p. 89 vl suiv. ; La Gueiic
"' Voir Histoire (jcnénile de Metz, par des de Metz en 13'2i, publiée par E. de ISouteiller.
relif,'ieu\ bénédictins [D. Tabouillol, elc] iniroduclion, p. 6 et suiv.; et Wesiphal,
Mel7. i775,in-4°\t. Il, p. 5a/i-5a5. L'évétpie Gescliirhle der Sladt Metz, t. I", p. i-j-jel suiv.
SON POUME. 583
î. Touttes flours soiinonte la rose. Car en lie maint prosperiteit,
Chescuns sait bien, c'est veriteit ; Franchise, avoir et gens pitouse.
Pour ceu vons ai dist reste chose Cortoisie et humiliteit.
Qii'ensi fait Mt^ts toutes cileis.
3. Mets est la nieie de franchise ; Elle ne doit taille, ne prise.
Qui ceu ne croit , il se dessoit. Ne droiture, quel qu'elle soit. . .
Il parle ainsi longuement des libertés de la grande cité avant de
se complaire à rappeler son opulence :
h. La grant richesse ne l'avoir Ne les bleis qui sont on greniers.
Qui est a Mets, ne les deniere Ne les vins qui sont on seliers. . .
Vous n'y porriés parmy savoir,
Les iMessins ont d'ailleurs tous les genres de bouté. Ils sont chari-
tables et grands aumôniers; ils ont des hospices, des maisons de
refuge. La ville supporte les frais de la sépulture des pauvres; elle
fait bon accueil aux étrangers. Le genre de vie de ses habitants est
des plus modestes; ils sont assurément fort pieux, mais sans perdre
de vue leur intérêt :
8. Messe oient devott-ment.
Puis vait chescun a son affaire.
Nulle part il n'y a une cité plus riche et plus prospère : l'air y est
doux et sain ; le bon vin y abonde. 11 y a dans la «ville trois jours de
marché par semaine, où l'on voit étalés draps d'or et d'écarlate, rares
fourrures, ornements et vases d'église, heaumes, épées et harnache-
ments de tout genre:
i6. Il n'ait chose, tant soit salvaige, S'une chose ait auctoriteit.
Qu'est à l'homme necessiteit, Aulcuns dient par lor usaige:
Sans aultre part faire voiaige, « C'est Mets ! », font il, « en veriteit ».
C'en ne trouvai si en la citeit.
Le bourgeois de Metz prête volontiers, mais on le voit emprunter
rarement. Il n'hésite pas à avancer de fortes sommes dès qu'on lui
donne en garantie des meubles, des joyaux ou des terres. Lui repro-
chera-t-on de prendre des sûretés ? Non, sans aucun doute, et dès
58'i
WONYVIK r)K MF/rz.
nu'un grand seigneur a donné des gages, en échange de l'argent
dont il a besoin, il ne devrait pas s'indigner de les perdre, à défaut
de payement aux termes échus. Pourquoi serait-il permis aux grands
plutôt qu'aux petits de violer leurs contrats? C'est en ne faisant aucune
acception de personnes (jue les gens de Metz ont mérité le respect et
recueilli l'estime de tout le monde :
[^S. Mets oui anue conte ul roy,
Duc et prince et auitre baron
Conques ne li firent desroy
I.a monlance d'ung esperon.
iMais desorrnaix m)us conterons
D'une assemblée et d'ung conroy
C'ont faite enti'auK. nri. laron.
Peut-être l'original portait-t-il a baron » , car le mot" larron » est bien
rude, appliqué aux puissants personnages qui allaient déclarer la
guerre à la ville et que plus loin notre poète nommera « les quatre
rois", bien qu'un seid d'entre eux, Jean de Luxembourg, ait jamais
porté couronne.
Vi-Ileiais! pourquoy font alliance
Sus ceulx de MetsP l\ien ne lor
[doient,
l'it s'ont lieii mainte finance
De noz citains (jui lor prestoient.
Eu tons besoins les seconoient
tJebieid, devin, d'argent à crance.
Et de quanque meslier a voient.
Aussitôt que l'échevinage de iVletz avait appris ce qui s'était passé
dans les assemblées de Thionville et de Remich, il avait envoyé vers
le roi de Bohême pour lui demander ce que la ville avait à craindre
de lui et de ses nouveaux alliés :
'19. Il demandent s'a Mets vendroient,
Et il lespondent sans dongier
Que, s'il y vont, bien le sauroient.
Sans paraître blessés de cet insidtant accueil, les échevins Hrent
demander par un second, puis par un troisième envoyé quels étaient
les griels qu'on leur reprochait, se déclarant prêts à donner satisfaction
sans délai. On ne daigna pas les écouter. La guerre était imminente;
les bourgeois s'y préparèrent de leur mieux. Ils accumulent blés,
larines et tonnes de vin ; les villageois du pays messin se hâtent de
SON POEME. 585
transporter dans la ville tout ce qui pouvait être de bonne prise
pour l'ennemi :
56. Chescuns ses biens a Mets amoinne,
Qu'il ne lait rien qu'en puist mener,
Fors que foin et i'estrain d'awoinne.
À peine les hérauts eurent-ils porté le défi des quatre confédérés
que le pays messin fut envahi, d'abord par les gens d'armes du roi
de Bohême, puis par ceux du comte de Bar. J^urieux de voir leur
échapper les riches proies qu'ils comptaient surprendre , les ennemis
dévastèrent toute la contrée, et du haut des murs de la ville on vit
les flammes dévorer les fermes, les bourgs et les villages. Cette entrée
subite en campagne était une violation des lois de la guerre :
6i . Nenil certes, il n'est pas roy,
Car il deûst .xl. jours
Estre tous coys, et ses conrois
Deùst avoir ausy séjour.
Cil qui conquerre veult honnour
Ne doit pas faire tel desroi
Qu'il en seroit blameis tous jours.
Le 16 septembre 1824, les Luxembourgeois et les Barrois s'avan-
cèrent jusqu'à deux lieues de la ville et dressèrent leurs tentes autour
du village de Malroy, qu'ils brûlèrent ensuite ainsi que plusieurs des
villages voisins. Et cependant les Messins hésitaient à faire une sortie
pour punir les pillards et les incendiaires. Enfin un bourgeois, qui
avait précédemment gagné les éperons de chevalier, Jacques Gron-
gnat''\ réunit une troupe de braves gens, fondit àl'improviste sur les
Luxembourgeois et les mit en fuite en capturant un de leurs chefs.
Il rentra triomphant dans la ville ; mais cet exploit n'empêcha pas le
comte de Bar, le roi Jean et l'archevêque de Trêves, dont le contin-
gent venait d'arriver, de donner l'assaut à la ville du côté du faubourg
Saint-Julien. Les échevins, confiants dans la force de leurs murailles,
hésitaient à faire une nouvelle sortie pour repousser les assaillants,
'"' Strophe 71 de l'édition E. de BooteiUer, p. i4o, et notes, p. a8i.
HIST. LITTÉB. XXXV. ^^
586 ANONYME DE METZ.
lorsque le sire de Bitche, comte de Deux-Ponls, (|iii des premiers
a\ait répondu à l'appel des bourgeois de Metz, leur déclara qu'il
renonçait à son engagement si l'on n'ouvrait pas la porte à ses
hommes d'armes :
80. Il ait parkit a haulle chiere : « ( Kiant ce vaiirait a col ftirir,
« Allrs moy tost la porto ouvrir 1 « 'l'eni'S vous tuit a ma haiiiuri',
1. Ne vous Iraheis humais arieiv. « Hui en ferons graiil part morir. «
« Prenés l'srus pour vous rouvrir;
Le succès justifia cette généreuse résolution. Le roi de Bohême,
dont les soldats savaient mieux piller que combattre, donna le signal
de la retraite; il ne fut plus question de réduire la ville, et l'armée
confédérée s'éloigna sans tenter aucune nouvelle attaque. Le sire de
Bitche, à son tour, la poursuivit dans sa retraite et ramena plusieurs
prisonniers, entre autres un pre>ix chevalier, Henri de Fenestrange,
dont la ville pouvait espérer une forte rançon'". On le taxa à six
mille livres; mais les amis qu'il avait parmi les nobles venus au
secours de la ville s'interposèrent en sa faveur, en déclarant qu'ils ne
souffriraient pas qu'on exigeât d'Henri de Fenestrange autre chose
qu(> le serment de ne plus porter les armes contre la ville :
I 1 2. Li soldiour firent partie Plux ne seruienl nulz d'ialz armés.
Pour monsignour Ilanri a Mets ; Il fut quitte par tel maistric;
Entre aulx ont fait une ahaitie La vit on bien qu'il fut ameis.
()ue, cil n'estoil quitte clamés,
D'après cet incident, on peut se faire une idée juste des obstacles
que rencontrait l'échevinage parmi ses alliés. H avait à compter aussi
avec les Messins eux-mêmes. Pour mettre la ville en état de soutenir
un second siège, on avait jugé nécessaire d'abattre les maisons qui
bordaient les fossés, qu'on voulait élargir. De là grands sujets de mé-
contentement. Ceux qu'atteignaient ces nouvelles mesures soute-
naient que rien ne les justifiait. Puis les auxiliaires, flamands, alle-
mands et suisses, insistaient pour qu'on les lançât à la poursuite de
l'ennemi, mais à la condition de n'avoir pas la milice bourgeoise
avec eux. H y eut, à ce propos, de grands débats dans le conseil,
■'' Voie ibid., |). i5o el aS().
SON POKMK. 587
et, comme il arrive assez ordinairement, plus on délibéra, plus on
trouva de raisons pour ne rien aventurer :
1 iS. Gui qu'il fut bel ne cui fut lait, Et, s'il ars ont, il arderont.
De la ville point n'isseront. Kt, o'il ont fait honte ne lait.
On temps après, se Dieu leur lait, D'autreteil jeu lor jueront.
Des ennemis se vengeront
Toutefois quand les ennemis, après avoir tout ravagé, tout brûlé
dans le pays d'« Entre deux eaux"'», voulurent mettre en sûreté le
butin recueilli, ils trouvèrent sur la Moselle plusieurs bateaux en-
nemis, qui leur en disputèrent le passage. Au reste, cette campagne
fut assez peu honorable pour les belligérants des deux partis : les
délenseurs de Metz s'étaient contentés de quelques rares sorties et
n'avaient rien fait pour arrêter le ravage et l'incendie de leur terri-
toire.
Ces premières hostilités avaient commencé le 25 septembre i32/i
et ne s'étaient pas prolongées au delà du i" octobre. Ce fut bientôt
le tour des représailles. Les confédérés avaient licencié leurs troupes,
persuadés que la leçon infligée aux bourgeois de Metz était sufiisante,
et, qu'ayant à peine osé paraître devant eux, ils ne songeraient pas
à se venger. Mais, dit notre rimeur :
I '46. Se quitte sont en tel manière, Mais reulx qui ont trop convoitiet,
11 averont bien aploitiet ; Il avicnt bien a parderriere
Se lour terre demoure entière. Qu'il pardent tout ou la moitiet.
On lour ferait grant amitiet.
Ce qui tenait le plus au cœur des Messins, c'était l'incendie
de nombreuses maisons qui leur étaient engagées pour garantie
d'emprunts contractés envers eux avant la guerre. Les représailles
furent terribles, et, au lieu de les exercer pendant quelques jours,
les Messins, durant plus de trois mois, répandirent la terreur et
la désolation sur les frontières du Barrois, de la Lorraine, du
Luxembourg et du diocèse de Trêves. Les confédérés ne tardèrent
pas à riposter, et Jean de Luxembourg, qui avait envahi une seconde
''' La Moselle el la Scille.
588
ANONYME DE METZ.
fois le territoire de Metz, fut arrêté par la compagnie du Raugraf
Conrad :
167. Celui jour ont bien esploitiet
Cil de Mets, qui ont retenu
Maintz bon prison, et luit haitiet
En leur hosteih sont revenu.
De ceu leur est bien advenu
Qu'il n'ont mies en vain gaitîet :
Liez en furent grans et menus.
Non contents de cette première expédition, les Messins, le jour des
Morts, envahirent le Barrois, sans que le comte Edouard essayât
même de les inquiéter :
1 6 i . Ly pays lut brûlez et ars;
Beste n'y laissent ne vitaille.
A Monsons estoit Endovvars,
Qui ne lor fist oncques baitaille ;
Il redoubtoit trop la pitaille
Pour ceu qu'avoit mains mortels
[dars
Et mainte espée que bien taille.
Dans une seconde excursion, plus heureuse que la première, le
roi Jean surprit les gardiens d'un nouveau pont, que les Messins
avaient appelé le Pont des Morts'''; il le fit jeter bas, en retenant pri-
sonniers ceux qui n'avaient pas su le défendre. Une autre fois, Thicrri
de Bierp*^', un de ses chevaliers, ramena vingt bourgeois, et dans le
nombre l'opulent GeofProi Corbel '^'. Une autre fois encore, le roi,
profitant du recueillement avec lequel les Messins fêtaient la grande
semaine de Noël, ordonnait à ses gens de se répandre dans les vignes,
déjà vendangées par lui l'année précédente, et d'en arracher les
ceps. C'est là ce que notre rimeur lui reproche avec le plus d'amer-
tume :
199. Oncques ne lut de bonne ligne
Certes atrais, ne de haultesse,
Li roy qui fait destruire vigne;
Ce n'est pas fait de gentilesse.
300. Cil qui n'aimment vin et vignoble
Ne sont pas neis de bonne geste.
Car jamais lai, ne clerc, ne noble,
S'il n'ont du vin, ne feront feste.
Car dou vin naist toute liesse.
Je vorroie qu'il heut la tigne
Quant les vigueurs ensi apresse.
Sans vin chanter ne puent preste
Messe, qui est chose très noble ;
Dont mefTait moult qui vin ten-
[peste.
''* Strophe 178 de La Guerre de Metz, édi-
tion E. deBonleiller, p. ii)6.
''' Strophe 191, p. aoa.
''' Strophe 19a.
SON POÈME. 589
Et il y a grande apparence que ceux de Metz, qu'il nomme « wau-
dessours'''», ou boute-feus, répandus sur le vaste territoire ennemi,
ne traitaient pas mieux tout ce qu'ils trouvaient sur leur passage,
vignes, fourrages, meubles et maisons.
Notre chronique ne se poursuit pas assez loin pour raconter la fin
de la lutte, qui désola pendant deux ans, avec des alternatives di-
verses, d'un côté le comté de Bar, le duché de Luxembourg, le diocèse
de Trêves et la Lorraine, de l'autre toutle territoire messin. Les perles,
les dégâts, les pillages avaient été réciproques; mais tout en usant,
semble-t-il,de plus rudes représailles, les Messins, qui les infligeaient
aux quatre agresseurs, en avaient plus souffert que chacun d'eux en
particulier. Si nous accordions une foi entière aux récits contempo-
rains, il faudrait attribuer à nos citadins la meilleure part dans le
succès; nous les trouverions aussi très résolus à ne poser les armes
qu'après avoir obtenu de leurs ennemis la réparation de tous les maux
que la guerre avait entraînés'^'. Mais, il ne faut pas l'oublier, toutes les
relations que nous avons pu confronter sont dues à des habitants de
Metz '^', et, si nous nous arrêtons aux conditions de la paix conclue le
3 mars i3a5 (i326 n. st.) '*', nous voyons que les concessions
faites par la ville sont loin d'être compensées par celles que lui
accordent les confédérés. Ainsi, de part et d'autre, les prisonniers
sont renvoyés sans rançon, le butin reste à ceux qui l'ont recueilli,
et aucune réclamation n'est admise pour couvrir les frais de la
guerre. Les engagements contractés avant la guerre conservent
leur plein effet, et les Messins gardent la faculté d'acquérir et de
conserver des fiefs, mais à la condition de satisfaire au service attaché
à ces fiefs.
Ainsi, ceux qui avaient, avant la guerre, voulu échapper à ces obh-
gations les acceptaient maintenant. Bien plus, les Messins consentaient
à payer aux princes confédérés une somme de quinze mille livres, à
'" On désignait sous ce nom les conduc- lies par J.-F. Huguenin (Metz, i838,gr. in-8).
leurs des trains de bois, et par extension des Cf. la Notice de M. Auguste Prost sur les Chro-
cclaireurs. Le Dictionnaire de l'ancienne langue niques de Me<^...,dans les Mémoires de l'Acadé-
f'rançaife de Godefroy (t. VIII, p. SaS) en cite mie nationale de Metz. Sa' année, i85o-i85i,
plusieurs exemples, tous empruntés à notre p. ao8-255.
poème. '*' Preuves de l'histoire de Metz, des Béné-
(" Strophe 276 de La Guerre de Metz en dictins, t. IV, p. ig-aA, et E. de Bouteiller,
132i, édition E. de Bouteiller, p. a46. La Guerre de Metz en 132à. p. ioà-àoç), avec
''' Les Chroniques de la ville de Metz, recueil- facsimiie.
4 0
590 WONYMK DE MEIZ.
des termes assez rapprochés, et quatre des principaux bourgeois de-
vaient s'en porter garants. De tels résultais nous mettent en garde
contre tout ce que nous disent les chroniqueurs contemporains de la
fierté avec laquelle les bourgeois avaient reçu les premières propo-
sitions de paix et de l'insistance que les princes confédérés avaient
mise à les faire accepter. De part et d'autre, de nombreux villages
incendiés, beaucoup de pillages, d'énormes dépenses, sans parler des
pertes d'hommes, durent faire également regretter aux uns et aux
autres d'avoir provoqué une lutte si longtemps continuée et dont le
résultat devait être stérile. Elle eut cependant l'avantage de montrer ;'i
de puissants voisins qu'ils devaient traiter les bourgeois de Metz sur un
pied de parfaite égalité.
L'auteur anonyme de cette importante relation était apparemment
un citoyen de la ville, et, suivant toutes les probabilités, un clerc. On
ne voit pas qu'il se compte une seule fois au nombre des hommes
d'armes, sergents, écuyers ou chevaliers, qui payèrent alors do leur
personne. Son style, sans jamais s'élever au-dessus d'un récit en prose,
n'est pas à mépriser : il est clair, animé, rapide et n'abonde pas,
comme tant d'autres, en lieux communs. S'il passe lestement sur les
journées dans lesquelles ses concitoyens n'ont pas eu l'avantage, il
laisse deviner que, à son avis, ils auraient dû sortir de leurs murailles
quand le roi de Bohême avait donné le signal de la dévastation de
leur territoire. Après avoir raconté la première retraite des confédérés,
il ajoute :
1^8. Scciizde Mets ont lâchement Je vou^ dit bien selon ma crance,
Des ennemis prise vangcnrc , Ains que la guerre ait finement ,
Puis qu'ils firent département, Lors ferait Mets duel et pesance.
Ne les tenés point a vitance.
Et, s'il ne nous a pas fait assister à la fin de la guerre et au traité
de paix qui rétablit entre les diverses parties la bonne intelligence
ancienne, c'est apparemment parce qu'il n'avait pas été le témoin
de la dernière période de cette levée de boucliers, soit que la mort
l'ait surpris avant l'achèvement de son œuvre, soit que, ne vou-
lant pas lui donner de publicité, il ait négligé d'y mettre la dernière
SON POEMK. 591
Les trois manuscrits présentement connus qui nous ont conservé le
texte de la Guenede .\/e/2 sont d'origine messine, mais postérieurs tous
Irois de plus d'un siècle aux événements dont ils ont transmis le récit;
la date de leur copie ne semble pas pouvoir être reculée plus haut
que le milieu du xv^ siècle. L'exemplaire le plus complet du poèn)e
(le la (jiicrrc de Metz, après avoir fait partie des collections de Balles-
dens et de Colbert, porte aujourd'hui le n° 6782 des manuscrits du
fonds français à la Bibliothèque nationale. Il compte, comme il a été
(lit plus haut, 2075 vers, répartis en 296 couplets, de sept vers
chacun, et on lit en tète le titre suivant : « De la guerre des trois rois
« qui mirent le siège devant la bonne cité de Mets en l'an mil cccc
«et xliiij ans. X Cette dernière date provient d'une erreur évidente
(lu copiste, qui a confondu le siège de Metz par Charles VII et liem;
d'Anjou, roi de Sicile et duc de Lorraine, en 1 444. avec celui de i324-
C'est ce manuscrit qui a été pris pour base de l'édition de la Guerre de
Metz en 1324, publiée en 1875 par 1"^. de Bouteiller, avec la collabo-
ration de F. Bonnardot, mais il ne contient que ce seul poème, sans
aucune des onze petites pièces imprimées à la suite par les mêmes
éditeurs. Celles-ci, par contre, acconqjagnent le poème dans les deux
autres manuscrits >''.
Le premier de ces manuscrits, après avoir été recueilli par un
érudit ujcssin, le comte Enimery, a été accpiis de ses héritiers
en 1849 et est aujourd'hui conservé sous le n" 83 i [81] à la Biblio-
lhè(pie de Metz; c'est un précieux recueil de chroniques et de pièces
lelalives à l'histoire des événements dont Metz a été le théâtre aux
\iv''et XV' siècles. Le texte de notre poème y est intitulé : « Une coro-
« nique et un biaul dit de la guerre que le roy Jean de Bahaigne fist
i( aveuc l'archevesque deTrieve, le duc de Lorrainne et le quien de
" Bair contre cianix de Metz par mil m' et xxmi. » 11 ne compte dans
ce manuscrit que 2o3i vers, occupant les feuillets 77 à i33, et est
suivi, aux feuillets i34 à 180, des onze petites pièces énumérées plus
loin. Le dernier manuscrit contient ces mêmes pièces à la suite du
poème, avec une simple interversion de ri4i;(' Maria, rejeté après lesdeux
'' On tiouveia une dfsciiplion délailléi- de pioduil tlans le ('nUilo<jtie<jéiicial des wdnit.Hiils
ces deux manuscrits dans le Catalogue des (Paris, 1879, '""'i'')' '■ V' P- ^9-^"^î)^- ^'•
iii'inuscrits relatifs à l'Instoire de Metz,... par aussi E. de Bouteiller, La Guerre de Met:
M. Clercs (Met/, .85G. in-S"), p. 5()-C5; re- en i:i'2'l . p. Sig ct4i3.
592 RIMEURS DE METZ.
Credo, sans aucun des autres textes historiques transcrits dans le précé-
dent volume. Le poème lui-même n'y compte que 2016 vers. Au début
du xvi" siècle, il appartenait à la fille d'un échevin de Metz, Anne de
Gournay, et il se trouvait encore à Metz dans la seconde moitié du
xviii" siècle, lors([u'en 1770 le secrétaire de l'Académie, Dupré de
Geneste, en fit une copie inscrite aujourd'hui sous le n° 882 [82] des
manuscrits de la Bibliothèque de Metz. Les éditeurs de la Guerre de
Metz déploraient, en 1 876 , la perte de ce manuscrit dont ils n'ont pu
utiliser que la copie faite par Dupré de Geneste; il devait être retrouvé
dix ans plus tard à Nancy, et son dernier possesseur connu, PaulLalle-
mand , en a publié en i885 une description exacte dans le Journal
de la Société d'archéologie lorraine '*'.
Il y a lieu de dire maintenant quelques mots de ces onze petites
pièces de vers, composées pendant la guerre de Metz ou à son occa-
sion'^' et qu'on trouve copiées à la suite de notre poème dans deux
des manuscrits :
I. C'est le serment le pappegay des Tresez de la guerre de Mets et du
Commun. — (ie petit poème, de i4o vers, débute ainsi :
L'autrier estois lés ung airbre...
Ce papegay ou perroquet, chargé de faire le sermon,
1 7. Venus estoit iour des escolles ;
Si les preschoit par paraboles.
Il nous conduit au nid de la cigogne, dame Berthe, qui repré-
sente la justice de Metz. L'oiseau a rempli d'ordures toute la ville et
provoqué de grands tumultes, heureusement apaisés par le gerfaut,
qui n'est autre que messire André de La Pierre, chevalier d'Artois
soudoyé.
II. C'est du moins ce que nous révèle le petit poème suivant, qui
ne compte que 82 vers et est intitulé : C'est l'exposition du sarmont le
C 34' année, p. 1 1 7-1 a3, et tirage à pari et toutes les recherches ponr le découvrir n'ont
«le 6 p. in-8°. — Ce manuscrit ne figure pas au ])u jusqu'ici aboutir.
Catalogne de la vente de la bibliothèque de ''' Edition E. de Bouteiller, p. Siô-Sgi.
M. P. Lallemand, faite à Dijon en mai 1897,
LEURS POEMES. 593
pappegay, composé pour dissiper l'obscurité de l'allégorie précédente ,
ainsi que l'auteur nous en avertit dès le début :
Or vous dirais rentondement, 5. Les orduroz, ce sont 11 lais
Car j'ay parle! obscurément : Que contre Deu ont estez fais
Mets est le nis, entendes bien, Par damme Berte la justice.
Qu'ait heii honnour et tout bien.
III. Un troisième poème, aussi médiocre que les deux précédents
et qui fait corps avec eux, est intitulé : C'est la confirmacion*le jai dlngle-
lerrc an celui sarmont du pappegay. Il compte 47 vers et débute ainsi :
Quant le sarmont du pappegay
Fut parfenis, si com dit ay...
Ces trois petits poèmes, composés sans doute par le même auteur,
sont l'œuvre d'un Messin fort mal disposé pour les magistrats de la
ville; le geai, venu de Londres, estime en effet que
Par les saiges est Mets foidée
35. El par les lolz est rafilée.
IV. C'est la Propkccie maistre Lambelin de Cornuollc.
Dieu gart la compaignie de péchiez el de crime!
La Prophétie de maître Lambelin de Cornouaille, auteur dont le
nom, que nous allons retrouver plus loin, n'est pas connu d'ailleurs,
offre plus d'intérêt et n'est pas entièrement dépourvue de valeur lit-
téraire. Elle compte 76 vers, répartis en 19 quatrains monorimes,
qui apportent quelques détails nouveaux sur l'état de la cité ainsi que
sur les discordes intestines que semblaient raviver encore les dangers
de la guerre extérieure. Le petit peuple accusait l'échevinage et les
échevins accusaient les Parages.
Or est li povres foibles et li Commis est fors;
Li Comuns fait a Mets ses lois et ses alTors.
Dieu dont la fin soit bonne, c'est tout mes resconfors;
2 à- Se paix avions dedens nous, paix aurienz defors.
La guerre qu'est dedens fait a Mets giand dapmaige;
Ne sont pas d'un accort li Commun, li Paraige.
HIST. I.ITTKB. XXW. ^5
394 RIMEIKS DK MK'IZ.
L'auteur gourmande ensuite les quatre souverains, qu'il délie de
prendre Metz :
()uant de vins de Blenoii ^eia nieiir iKiu\elle
Que vauronl ^i^s d'Arlxiis, d' \u\ais ou de Roclicllc
Adont seront seigneurs Irieve, Nancev, Bair, L. . '
56. De la riteit que cict entrr Saille et Muselle.
Quant il n'aMa ribaus es foierez de Champaifjiie,
Et i avrai la couronne de Navaire et d'Espai<<ne,
Et serai roy en paix de France et d'AUemaigne,
\dont serait Mets prinse por le roi de Bahaigne.
V. Le titre de la pièce suivante : C'est li A. B. (]. maistrc Asselui du
Pont contre cenLr de Mets, indique tout de suite dans quel esprit elle a
été conçue. Maître Asselin, notaire de Ponl-à-Mousson, ville du conile
de Bar, attaque dès le début les Messins :
Chascun me dit a cpioy je pance: Bien sont plains de grant démesure,
Je pance a Mets, son ne me pance. Quant ilz cuident par leur usure
Tuis ceulx de Mets sont fols nays. Leur voisins mater et confondre,
ils n'ont en euk sens ne science. Hz font leur lois et leur mesure,
Pour queil raison, pour queil science Hz sont plux prenans que presuif,
6. Seront ilz seigneurs du pays? 12. Hz sacorchent après le tondre.
Dans le reste de la pièce, qui compte 180 vers, repartis en 3o si-
vains, Asselin exhorte les Messins, tantôt par de douces paroles, tan-
tôt par de rudes menaces, à faire amende honorable aux princes
(ju'ils ont offensés.
Vi. La réplique ne se fit pas attendre; elle est intitulée : C'esi In
rcscepcwn maistre Lambehn, recteur de Paris et d'Orliens. Lambelin.-
dont le nom figure en tête de la Proplœcie précédente, dit son fait a
maître Asselin dans ce petit poème de 186 vers, répartis également
en sixains, et qui débute ainsi :
Que Dieu me garl de mal et d'ire !
J'ay trop grand dieul quant j oye dire
Nulz mal de Mets, ei st; me poise...
' Initiale de lAixcmbourg.
I.KIRS POEVIES. Mlf)
Sa réponse est à la fois dédai<>neiise et véhémente; les traits en
vont exchisivenienl frapper les sujets du comte de Bar :
En \eiitc je me rrnivrille En mal liiiri- cliescim d'eulx vaille.
Comment ouzent k'Aer roiiiiille Ils ne gardent leste ne vaille;
Nul/, dos Coiitaulz devant proudomuie. T)^. Pour ce Rarrois harretours nomme.
Les cinq pièces ([ui suivent, animées d'un même sentiment patrio-
tique, sont cependant d'un caractère plus particulièrement religieux,
et si nous ne savons rien non plus de leurs auteurs, dont les noms
sont sans doute supposés, elles témoignent, du moins, que ceux-ci
étaient aussi attaciiés à leur patrie qu'à leur foi.
VM. La première intitulée : C'osl une l^alenoslre de la guère de Met:,
(jue linhiu lie la Vah'e /ist , débute ainsi :
Cil (juestauliiit l'ierre l'aposlrc
Me dont sa ■,'iaice et puis lavoslre...
L'auteur n'y dissimule pas la misère de ses concitoyens durant cette
longue guerre, dont il souhaite la lin :
[dveiiiiil, ainsi adveintçuel Des povre/. gens hien te souveigne;
Dieu, des rilains pitiet le preigne; Hz ont pou hleil', cherbons et leigne,
De ton ayde ont grant mestier. '42. Et sVruxrent |)on de lour mestier.
Elle compte i8o vers, répartis en sixains, connue le sont toutes
les pièces qui suivent.
Mil et IX. C'est le (iredo Henreis de Heis.
l'atvr noitcr sens le Credo
\e vaidroit riens, sicnt credo
Dès le début l'auteur constate les véritables motifs de la guerre:
les emprunts contractés par les princes confédérés :
I^a guerre vient par leui* acroire,
Car per prester, c'est sens mescroiic ,
1 9.. Mets ait guaingniez mains anemis.
Notre auteur, peut-être un clerc, y déplore les maux causés par
la guerre aux domaines temporels de l'évèque Louis de Poitiers,
596 RIMEl RS DE METZ.
qui venait de se détacher des confédérés pour prendre le parti de
la cité.
Ce premier Credo compte 2 34 vers et est suivi d'un autre beau-
coup plus court (78 vers) : C'est le Credo Michelet Petitpain, qui
maint devant les Repanties; celui-ci débute ainsi :
Le grant Credo sens le pelit,
Siciit credo, vavilrait petit...
L'auteur de ces vers fort médiocres y exprime surtout des vœux
en faveur d'une paix prochaine.
X. L'avant-dernière pièce, qui compte 72 vers, est intitulée: C'est
li Ave Maria Margueron du Pont Rengmont. Elle débute par :
Ains iroie Irans maria
Que laissasse Ave Maiia,
Quant l'ay trouvé en Y A. B. C...
et ne se distingue des précédentes que par un sentiment plus marqué
de lassitude et un plus vif désir de conciliation. Il suffira d'en citer le
second sixain , qui est le meilleur :
Ave! Seigneurs, ouvreis la porte ; Ung si biaul dont com je raporte :
Bien soit venuz qui paix aporte , C'est paix , pour nous muelz depour-
Plus bel juei ne puet pourter. [ter.
I G. Teii vat a Romme qui n'aporte
XI. La onzième et dernière de ces petites poésies, inspirées par
la guerre de Metz, est intitulée : C'est ung Benedicite de Loivis de Pitié,
evesauede Metz. Elle compte 1 2 strophes de six vers, terminées par un
envoi de huit vers sur deux rimes alternées, au total 80 vers, et
débute ainsi :
Seigneur, pour Dieu, paix /acite.'
S'ourez le Benedicite...
C'est un dernier appel à la paix et un éloge dithyrambique du nou-
vel évêque de Metz, Louis de Poitiers, qui avait succédé, le ï" fé-
vrier i325, à Henri I", dauphin de Viennois. Le prélat avait été
sans doute l'un des garants du paiement des quinze mille livres, au-
LELRS R)KiMI':S.
597
quel les Messins avaient consenti, comme une des conditions de la
paix; c'est ce qui paraît résulter des vers suivants :
Car pour plaisir la gent crueirt-,
Et pour faire la paix entière,
60. Sa propre terre ait mis en gaigc.
Si Louis de Poitiers avait été contraint de quitter le siège de Lan-
gres à la suite de différends avec son chapitre ^'', il semble qu'il
n'ait pas tardé à se concilier la reconnaissance de ses nouveaux
diocésains.
H. O.
NOTICES SUCCINCTES.
Raimond Béqvin, frère prêcheur.
I. Les actes des chapitres généraux et provinciaux de l'Ordre de
saint Dominique, où sont nommés beaucoup de frères, avec l'indi-
cation de leurs fonctions, ont permis d'esquisser comme il suit la
carrière de frère Raimond Béquin'-', qui paraît pour la première fois
comme lecteur à Albi en 19.98'^'. On le trouve ensuite étudiant
en théologie au couvent de Montpellier en i3o2, sous-lecteur au
couvent d'Agen en i3o3, de Bordeaux en i3o4; sans fonctions au
'"' On trouve l'écho de ce» différends, que le
chapitre avaîl portés en Cour de Rome et au
Parlement de Paris, dans un poème latin
unonyme, qui a été conservé par le manu-
scrit 38, fol. 49-64, de la BioUothèque de
Langres. Quelques extraits de ce poème ont été
[tubliés en 1900 par M. P. Alphandéry dans
e Moyen Age, a' série, t. IV, p. 569-607.
''' Les manuscrits donnent tantôt Dequini
(l'ornae adoptée par Echard et par Deniile),
tantôt Beguini. on encore Bigin ( Archiv fur
Lileruliir-und kircliengeschichle , t. Il, p. ■>. iG,
note 5). La forme Béquin se rencontre dans
des actes contemporains de la région (CaUi-
logue général des manuscrùs , t. XXIII, p. i65).
— Un certain Pons Béquin, sans doute parent
de frère Raimond, reçut de Jean XXII un
canonicat en i3a4 (Lettres communes, ana-
lysées par G. Mollat, n* aio83).
''' C. Douais, Acta capitalorum prorlncia-
tiam Ordinis Fralrum Prœdicatorum (Toulouse,
1896), p. 432.
598 NO'I'ICES SLCCINCTES.
couvent de Toulouse en i3o5; lecteur au couvent de Bayonnr
en i3o6, à Orthez en i3o8, à Cahois en i3ii, à Toulouse en
i3i'<; prieur du couveni de Toulouse de i3i3 à i3i5, où il
fit bàlir une sacristie iKnivelle; prédicateur j>énéral en i3i.V'.
Le Chapitre général tenu à Pampelune dans la seconde quinzaine de
mai 1 3 17 l'assigna pour « lire », cette année-là, les Sentences à l'aris'""'.
11 est dès lors comblé d'honneurs. Maître du Sacré Palais en i32 1'",
Il fut un des oratenrs qui, t-n juillet 1 32 3, lors des cérémonies de la
canonisation de saint Thomas d'Aquin, ])rononcèr('nt m curia l'élogi-
du nouveau saint. On ne voit pas hien pourquoi les capitouls de
Toulouse prirent la peine, vers la lin de cette même année, dr recom-
mander au pape un personnage déjà si lavorisé'. Déliniteur au Cha-
pitre général de son Ordre en i3i^i, il tut nommé par Jean \XII,
le 19 mars, patriarclio de Jérusalem. Le P. Echard a noté (|ue ce
fut le cardinal-évêque de Sabine (le dominicain Guillaume Pierre
de Godin, de Bay)nne, dont la notice sera dans notre prochain
volume) qui procéda à sa consécration; il était son compatriote et,
sans (It)ute, son protecteur.
Montfaucon a signalé, parmi les manuscrits du \atican, une
I Censura Rhemundi, patriarche .ferosolimitani, et aliorum a Johanne
X\ll delegatorum, super articulis .lacobi, archiepiscopi Aquensis » '■' .
Mention qui a passé longtemps inaperçue. Mais, de cette pièce, nous
aurons l'occasion de parler bientôt, dans la notice cojisacrée a
Durand de Saint-Pour( ain ". Il sullit d'indiquer ici ([ue Piaimond
Béquin, patriarche de Jérusalem, présida la commission de théolo-
giens instituée par Jean \XI1, entre mars i3>6 et février 1327,
pour examiner des propositions suspectes qui lui avaient été sou-
mises par Jaccjues de Conçois, archevêque d'Aix.
\u patriarchat de Jéiitsalein était, à cette époque, annexée l'admi-
nistiation du diocèse de Limassol en Chypre. Frère liaimond alla
'' C. Douai», Les Frères Piriheiira en G(i< ' A. (-oulon. Lettres secrètes et iiiriales du
conne au xiii' et nu. xiy' siècle ( Paris, i><85), jinpe Jean Wll, n* i88ç).
p. 471. CI. Quélir et Erhartl, Scriptorcs Onli- ' Montl'aucon , Bibliolhecn hibliulhecaruni .
nis Preedicutoruni . t. I", |>. ;)6o. I. I". p. i35' et '107'.
' Dcnille et (ilialciain, ('hnrliilariniii lui- " Noire notice sur Duranil de Saint-Poiir-
versilalis Parisiensis , t. Il, p. jo'i. cain linurera au lomc \\\\ I de \' Histoire
■' J.Catalani, De matjistni Savri Pnlntii iij n- littéraire,
stoliri (Roin.-p, 1751), p- •)7-
UAIMOM) BKQl IN. .lUO
lésulei- dans l'île. On a des lettres de Jean \XII qui lui sont adressées
au sujet de la conduite à tenir là contre les Nestoriens'*'. H y mourut
en i328, et fut remplacé dans le patriarchat par son confrère Jean
(le Naples.
II. Nicolas Bertrand attribue à frère Raimond «Quodlibeta varia
«et alia quaedain opuscula», mais il ajoute que ces ouvrages sont
perdus "-'. Tous les bibliographes l'ont répété depuis.
Cependant le manuscrit 5()2 de la Bibliothèque de Reims —
])récieux recueil d'œuvres dominicaines de la première moitié
du xiv*^ siècle, provenant de la librairie de l'archevêque Gui de Roye,
— a conservé (fol. fi\ v" — 77) un Quolibet de Raimond Bcquin :
» Incipil Qiwdlihct magistri li. Heyiuiu , Oïdinis Prcdicatoriiin. Oueritur
ntrum Ghristus et apostoli habuerint aliqua bona.. . »
Les questions de ce Quolibet sont au nombre de dix, savoir :
1. Utrum Chiishis cl ;i|)ostoli habutrint .nliqua timporalia in conimuni quaiituin
ad proprietatcm it Hominium.
2. Itruni esscncia divina cognoscatnr a \iator<' naUiraliler, sccuncUiin (jus pro
|)riam el dislinclam ralionem.
3. Utruin inti'llcctus \iaton.s possit aliqua viitutc j)('rtiii(jt'rf ad claiam et r\i-
dcntem essencic divinr cognilionem.
4. Utrum iiitiHi'cliis beatus possit clari' cl c\id<nl('r rogiiosccrc diviiiam csscn-
ciam, non congnosccndo propriclatcs relatives.
!). Utrum ad vidcndiiin clare dixinam essenciam rc([airatur de ncccssilali' Itinieii
glorie.
6. Utrum esMtieia divina distiiiguatui' alitjun modo a pioprieijitc rclaliva vri a
pcrsona.
7. Utrum libellas voiunlatis consislal formalilcr in placencia ejus.
H. Ltrum de ente in comniuni possit formari imus conccplus.
9. Utrum babil us scientificus habeat unitatem realem vel rationis.
10. Utrum cognitio coiifusa ])recedat delei minatain.
La première ([uestion se rattache à une controverse vivement agi-
tée au temps de Jean XXII, celle de la pauvreté monastique. Elle
''' Haynaldi, limalcs crdcsiastici , aimée '- Nicolas Bertrand, /Je r/io/osiiHorHm //w/i's
i;)24, S44; iiiG,i'.S. CL Jean XXll. Lellres (Tholosap, ifui;.
romnuincs, anal\sccs |).ir (j. Mollat, n° a63t)7.
(■)()0 NOTICKS S( CCLNCTËS.
a été détachée pour former un opuscule à part dans le manuscrit 27;")
de la Bibliothèque de Laon, où elle est anonyme*'*.
H existe au moins un second exemplaire du Quolibet de frère
Baimond. Comme la première question y manque, cet eî^emplaire,
anonyme, commence par la seconde du manuscrit de Reims : « Utrum
" essentia divina cognoscatur a viatore», etc. Il se trouve dans le
numéro 3i4 de la Bibliothèque d'Avignon, qui provient du couvent
des Frères Prêcheurs de cette ville.
C. L.
Jean «Doa//v/c/», frèhe prêcheur.
Le manuscrit latin 3 100 de la Bibliothèque nationale (anc. Col-
bert 3216) est un beau volume en parchemin, d'une écriture beau-
coup plus soignée que celle de la plupart des manuscrits scolastiques,
el dont la première page est discrètement ornée. 11 contient un abrégé
de la Seciinda Scciinde de Thomas d'Aquin (Inc. : Utrum objeclumfidei
sit Veritas prima). On en a depuis longtemps remarqué Vexplicit''^\ car
l'auleur y est nommé (fol. 260 verso) :
Explicit Summa utcumque abreviata et per quasdam decisiones dearticulata, ex-
cerpta de Sccanda Secundo sancti Thome de Aquino, Ordinis Fratruni Predicatoruin,
per fratrem Johannein Dominiri, cjusdem Ordinis, de expresse mandato sanctissimi
palris et domini nostri domini Johannis, divina providencia Sacrosancte Romane
ac uiiiversalis Ecclesie pape XXII, compléta in Avenione anno Domini M° CGC"
XXIil", pontificatus sui anno [en hianc), sahbato post festum venerabilis doctoris
sancti Thome predicti immédiate subséquente.
La canonisation de saint Thomas est de juillet i323 et sa fête est
célébrée le 7 mars; l'abiégé du frère Jean Dominici fut donc achevé
le samedi 10 mars i32/i (n. st.).
Cet abréviateur, qui travailla sur l'ordre exprès de Jean XXII, n'est
autre, sans doute, que le frère Jean Dominici, lecteur de théologie
cliH7, les Frères Prêcheurs de Narbonne, que le même Jean XXII ad-
'■ l.'incijiil el V explicit du traité anonyme (/icatorum, t. 1", p. 558, col. i. — Echard a pu-
n' .')) (le ce manuscrit de Laon sont iden- l)lié là, d'après le ms. latin 3ioo, le texte de
li(|uos à ceux de la première question du la première question, pour faire partagera ses
<Uiolibcl de frère Raimond dans le manuscrit lecteurs l'opinion favorable qu'il avait des pro-
ile lU'ims (fol. 4'i v'-49). cédés dont l'abréviateur s'est servi, et de sa
"' Quélifct Kcharil, .Sfri'/)(o)« Oi(/i;!(\ /'/«' clarté.
JEAN DE BLANGI. 601
joignit en iSaS à deux autres personnages, l'archevêque de Brindisi
et un chanoine d' A versa, pour réconcilier avec l'Eglise romaine, en
Serbie, Ouroch, le roi du pays, qui avait manifesté l'intention d'ab-
jurerle schisme grec''*. C'est aussi, sans doute, le «frère Jean Domi-
nici, dit de Montpellier», qui avait débuté comme lecteur de logique
à Narbonne en 1296'^'; qui avait été ensuite lecteur à Ramiers
(1297) et à Valence (i3oi)'^'; et qui avait repris à Narbonne, en
i3o3, les fonctions de lecteur'*.
Il ne semble pas que son ouvrage, quel qu'en soit le mérite, ait eu
du succès. Car nous n'en connaissons que l'exemplaire solennel de la
Bibliothèque du roi.
C. L. .
.h:A^ DE Blangi , théologien.
I. En juin iSiy, Thomas de Bailli et les membres de la Faculté
de théologie de l'Université de Paris informèrent Michel de Mortemer
(en Normandie), cardinal de la promotion de décembre i3i2 et pro-
tecteur naturel des originaires de Normandie en cour de Rome, que
maître Jean de Blangi'*', docteur en théologie, son compatriote, très
reconnaissant de l'expectative de la prébende dans l'église de Rouen
qui venait de lui être conférée sur la recommandation dudit cardinal,
craignait d'avoir longtemps à attendre, et n'avait pas, en attendant,
de quoi « tenir son état ». En conséquence, considérant quantum dede-
cus sit ecclesie Del doctorem m tlieologia in nccessariis sustinerc dejcctiim ,
ils le priaient de faire en sorte que maître Jean eût satisfaction''''.
Maître Jean était docteur en théologie depuis i3i3-i3i4, car, le
12 octobre i336, Benoît \11 déclare, dans une bulle, que Jean de
Blangi régentait, à cette date, en l'Université de Paris, depuis vingt-
deux ans et davantage'"'. H le savait bien, car lorsque ce pape
s'appelait encore Jacques Fournier, il avait été le condisciple de Jean
''' Raynaldi {Annalet ccdeiiatlict , éd. <lo *' Ibid., p. 472.
Lucques, t. V, p. aa5) a publié celte pièce '^' Blangy-sor-Bresle, air. de Neiifchâlel
d'après le registre cxi du Vatican (p. 263) (.Seine-Inférieure).
Cf. G. Mollat, n° 1662. ''' Denille et Châtelain, Cliartulanum Uni-
'*' C. Douais, Acta capitulornm Ordinis Fia- vcrsitatis Parisiensis, t. II, p. 2o5.
Irum Preedicatoram (Toulouse, 1896), p. /|o6. '' Ibid., p. 468.
'') Ibid., p. 4j5et /|6i.
IIIST. I.ITTÉR. XXXV. 76
(■)()2 NOTICKS SLCCINCTKS.
à Paris; an témoignage de Vllistoria episcoponim AnlissioJorensidni ,
il avait même conquis la licence et le doctorat en même temps
que son camaïade normand ''.
L'expectative d'un canonicat à Rouen avait été procurée à maître
lean par le cardinal Michel dès le i3 novembre i.îiti. Il lut fait cha-
noine do Beauvais le lo janvier 1^2 i'"'. 11 était, en outre, chanoine
de Paris en i336'^'.
A t[uelle époque Jean de Blangi devint-il doven de la Faculté
de théologie de Paris? Il l'était déjà le 3o juin 1329'''; et, !<-
1 "^ juin i335, Benoît \I1 dit (|u'il l'a été per maltos annos^'\
Par un compte sans date, mais qui a été rédigé entre i32i) et
1 336, on sait enfin qu'il habitait rue des Cordeliers [in rlco Miiioriiiii^^
à Paris <^
Le 2 janvier i334, \ingt-neuf maîtres en théologie de l'Université
de Paris adressèrent à Philippe VI une lettre célèbre pour lui présen-
ter oiriciellement une sorte de compte rendu de l'assemblée que ce
prince avait convoquée en sa présence, au Bois de Vincennes, le
■?3 décembre précédent, et qui avait délibéré sur la question contro-
versée de la Vision béatifique. Jean de Blangi , qui s'intitule dans cette
pièce archidiacre du \ exin en l'Eglise de Rouen, y est nommé le
second, après le chancelier Guillaume Bernard.
L'amitié de Benoît \1I, et sans doute celle de Pierre Roger, qui fut
archevêque de Rouen avant de passer sur le siège de Sens, valurent à
ce théologien si estimé le siège épiscopal d'Auxerre, au commence-
ment de l'année i33()'^. Evêque d'Auxerre, il assista l'année suiNante
avec son métrojiolitain , Pierre lioger, à la conclusion des trêves d'Arras
entre les rois de France et d'Angleterre'^. Mais les actes de son épi-
scopal sont très rares ^^\ et la fonction lui pesait. Il obtint, qneicjues
" Deiiillc et (Ihatelain, p. 20."), nolt' 2. ' Froissait, Chroniiiiu- , cd. S. Lucc, t. II,
'■■' Ihid. — V.n i3,S6, il adressas Benoit \II p. 85 et 264-
une requête |)our être pajé de certains fruits '' M. Ch. Pori-c, archiviste tie l'Yonne, (jui
de celte prébende que le chapitre de Beau\ai3 a bien ^oulu les rechercher pour nous aux
hii refusait pour cause de non-résidence (p. ifiS. \rchives de l'\oniie, n'en a trouvé qu'un
l.ettic citée à la note précédente. ((! i<)48): une charte du l'\ ruai io/|i, insé-
' Lettre de Jean \XII, i/i((/., p. /|()8, note. réc à la suite de la cliarte d'affranchissement
'• Ibitl. des habitants d'Oiss par le chapitre d'Auxeri-e,
'■■' Ihul., |>. (itj.'î, col. 1. du 3 mars i.>''ii, d.ms un vidimus des pré-
'■' Galitit clirisliaiKi, t. \ll, col. 3l8; cf. J. vots de Villeneuve-le Roi. Kn voici le texte:
l.nnnoii ie;ili \(naiiw iiyinnnsii l'nvisieiisi.i his- \ to,,/ ,cu\ qui \erront co^ présentes Litres,
Uinii (Parisiis, i^'<~~ ' , p. 891. nuii'* Jehan/ , parla :;raci^ de Dieu c\csquo d'Aucerre,
MCOI.AS iyK\M-:/A'l. 00,^
iinnées plus tard, de Clément VI (Pierre Roger) la permission de s'en
défaire en f^ardanl une pension sur les revenus de la uiense. Il voulait
retourner à Paris, théâtre de son activité passée. Mais il mourut des
laligues du voyage, en arrivant, à la mi-mars 1 3/j5. Il fut enterré dans
l'église d<; la Cliartreuse de Vauvert, sous une lame de cuivre. Son
épitaplic a été publiée : Hicjacet recolcnde memorie Jnannes de Blaïuiiaco,
liotomafjcnsis diocesis, doctor in sacra tlieologia, episcopus Autissiodorensis.
(lujiis anima reqmcscal in pare. Qm olnit anno Domini MCCCXLUII^^ .
II. i\os prédécesseurs, qui ont rendu compte de l'assendjlée précitée
du Bois de Vincennes en décembre i,S33 '-, n'ont pas mentionné la
part qu'y prit le doyen Jean de Blangi. Ils l'auraient fait certainement
s'ils avaient su — ce que tout le monde parait avoir ignoré jusqu'à
présent — que cest ce personnage qui porta la parole, au nom de
ses confrères, en cette circonstance solennelle, et que son discours a
été conservé. Il se trouve dans un manuscrit du xu*" siècle au Musée
britannique (Arnndel, n° I91). où il est intitulé (fol. 35 v") :
<< Baciones magistri Johannis de filaniaco, inagistri in tlieologia,
" deducte et proposite publiée \n quodam sermone, in presencia
" régis Fraucie, de Visione Dei sanclarum animarum. »
Jean de lilangi, le tliéologien le plus (mi vue de l'Université de
Paris pendant dix ans et davantage, a dû composer bien d'autres
écrits, ne serait-ce que ses lectures obligatoires de régent. Mais s'il en
existe encore, nous n'en connaissons aucun exemplaire sous son nom.
C. L.
\h:OI.\S l)E\\E/.\i, CWOMSIE.
I. Nicolas d'Ennezat, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, était vrai-
seujblablement, comme son nom l'indique, originaire de l'Au-
>alul on Aosli'i' Sciyiieiir. Sii\oir faisons a loui que de i|uoy nous avons mis noslre seaul en ces présentes
iKiu^ la remission de la iiiaiu morte faite par hono- lettres a la requeste desdiz honorables. Données]
raldcs personnes noi aniez le. doyen et chapitre de le jeudi, octave de l'Ascension Nostre Seigneur, l'an
noslre église d'Aucerrc an- hahitanz de leur ville de grâce mil trois cens et quarente et ung.
il'Oisv, et en la forme et manière contenues en la , >, „ ,,. , ,,,', ,.
.■I.a^rjtrc en laquelle csnoslres présentes lettres sont , /'• ''oinmeraye , Histoire de l Eglise
annexées, loons, volons, gréons et approvons. Et pour >,illwdrale de lioueit ( Houen , ib8b), p. 133.
que la chose soit plus lérme et estable a perpe- ' Ilhloivc lillêrnire, t. WXIV, J). GlO.
tuiténous V mectons iiostrederret (sic), (^iilesmoini;
76.
60/j NOTICKS SLCCINCTES.
vergue''*. Un personnage de ce nom et de celte qualité paraît soiivenl
dans les actes du Procès des Templiers comme commissaire de l'in-
quisiteur Guillaume de Paris *^'. D autre part on sait par un acte du
9 septembre 182 1'^' que, à raison de sa qualité d'exécuteur des der-
nières volontés d'une certaine Agnès rfe Graeriis, le frère Nicolas d'En-
nezat était entré en conllit avec les autorités universitaires et avait
tenu des propos qui parurent attentatoires aux privilèges de l'Univer-
sité et de la Faculté des Arts : il fut obligé de leur en présenter, par
écrit, ses humbles excuses. Quétif et Échard ont cru que le religieux
dominicain qui dut ainsi s'incliner devant l'Université était peut-être
un personnage différent de notre jurisconsulte, son confrère et son
homonyme*''. Nous n'apercevons pas la moindre raison de partager
cette opinion. À notre avis, il n'y eut qu'un seul Nicolas d'Ennezat,
de l'Ordre des Frères Prêcheurs, qui vivait dans le premier tiers du
xiv* siècle. Peut-être enseigna-t-il au couvent de la rue Saint-Jacques;
c'est une hypothèse que Quétif et Fxhard semblent admettre sans
hésiter.
11. Chaque fois qu'un grand recueil de lois a été mis en circu-
lation, des juristes se sont empressés d'en dresser des répertoires; la
littérature juridique de tous les temps, du nôtre en particulier, en
lournit de nombreux exemples. Aussi ne faut-il pas s'étonner de con-
stater que, après l'apparition du Décret et des collections de Décré-
tales, les canonistes se livrèrent à la composition d'une foule d'ou-
vrages de ce genre. C'est à de tels travaux que Nicolas d'Ennezat
a consacré son activité; nous ne connaissons de lui aucun écrit
original.
Son œuvre comprend trois tables. Celle du Décret de Gratien est
un index alphabétique des principales matières, avec renvoi aux
'' Quel il' el Kchîinl, iSfri/)/()/e,v 0/(ii»i,v /'/«•- '" J. Michelet, Procès des Templiers , I. Il,
dwatorum, t. I", p. .>49: Schulte, Geseinchtc p. fwx. et passim.
(lerQnellenundLiterntiirdescanonischenRcchls, <'' Texte dans Du Boiilay, Hisloria Universi-
I. FI, p. 33i. Ënnezat est nn chef-lieu de tatis Pariiiensis . X. W , f. i88, et dans Denifle-
i-anton du Puy de-Dôme, arr. de Riom. On et Châtelain, CharlalnriiimUitiversitatis Parisien-
l'onnail un Guillaume d'Ennezat , rfor/or /cynni . ^is . t. I", p. a46, n' 800. L'original est au\
it Montpellier en 1 3/i 1 (Marcel Fournier, SfnfB/,* Vitli. nat., M 67', n° 46.
rf privilèfjes des Universités françaises, t. Il, '• M. Fouiiiier, Histoire de la svicme du
p. 86). droit en France , t. 1", p. 549-
NICOLAS DKNNKZ AT. 005
textes *'). lin ce qui concerne les Décrétales de Grégoire IX, auxquelles
ii a réuni le Sexte, la table dressée par frère Nicolas est double '-^i
d'abord une liste, suivant l'ordre du recueil, des titres contenus
dans chaque livre et des constitutions qui le composent; chacune
de celles-ci, désignée par ses premiers mots, reçoit en outre une
indication sommaire constituée par le jeu des lettres de l'alphabet
précédées du numéro de chacpie livre, pour faciliter les références;
vient ensuite l'index alphabétique des principales matières, avec ren-
vois aux textes. La table alphabétique des Clémentines est établie
d'après les mêmes principes'^'; dans quelques manuscrits, elle se
termine par ces mots: Exphcit tabula super Seiitunuin [librum Decre-
talium] yra^r/i- N. de Anesiaco, Ordinis Fratrum Predicatonim, aiino Do-
mini M" VAX" A/A".
D'après ce que dit l'auteur dans la préface qu'il a placée en tête de
la table du Décret, ces indices étaient destinés à venir en aide aux
étudiants pauvres, copiam libroriim non Itabentes. C'est un grand service
qu'il croit leur rendre; aussi recommande-t-il au lecteur de prier
pour frère Nicolas d'Ennezat, (jiii non soluni pro se, sed pro mullis in hoc
laboravit.
Les labiés de Nicolas d'Ennezat n'ont pas été imprimées. Elles se
trouvent souvent réunies, par exemple dans les manuscrits suivants :
Bibl. nal., nouv. acq. lat. 770, fol. 26 et suiv. ; Mazarine, i3o8 (pro-
venant de Saint-Victor); Amiens, 383; Reims, 748; Saint-Quentin,
79; Saint-Omer, 5ii et 554; Vendôme, 90; Munich, lat. 9657. Le
manuscrit 547 ^^ Saint-Omer paraît ne contenir que la table des
Décrétales et du Sexte; le manuscrit 17 de Merton Collège, Oxford,
contient seulement la table des Clémentines; voir aussi des manu-
scrits de Konigsberg ''' et de Breslau'"' signalés par Schulte, et le
manuscrit du Vatican (lat. 5709) signalé par R. Scholz'''.
P. V.
''' \m.. «Salvaloris gralia... \bbates '*' Scliulle, op. cil., I. I[, p. '!.')i.
poslquam benediclioneni. . . » Quétit'et Kcliard '^' Schulte, op. cit. , t. II , p. Mo.
ne signalent pas la table du Décret. '*' R. Scholz, Vnhekannle hiichcnpulitischv
'*' Inc. : « Sicut spiritualla et tenuporalia Streitschriflen mis drr Zeit Ludwitjs des Baieni .
dilTerunt. . . » I. I", p. 7, dans la lUhliolliek des Preussischeu
''' Ivc. : « Abbatisse si debeant benc- hislorisrhen Iiisliliils in nom (I. I\ et \,
dici. » 191 ^).
OOC) NOTICES SLCCINCTKS.
SiMo.\ Vaihet, canomste.
I. Schulte a le premier signalé Simon Vairet, ([u'il connaissait par
le catalogue des manuscrits d'Arras, et dont il sait seulement qu'il
était professeur de l'un et l'autre droits*''. Nous sommes en mesure
de lournir sur sa personne cpielques renseignements plus précis.
En i3i8, Vairet était à la lois chanoine de Saint-Quentin el
membre de deux chapitres du diocèse de Térouanne : le chapitre
de Saint-Sauveur de Saint-Pol, et le chapitre qui, à Liilers, desservait
l'église dédiée à saint Omer'-'; il professait en outre le droit civil et le
droit canonique, (l'était déjà à cette époque un personnage d'un certain
âge et d'une certaine importance, puisque, le 20 juillet de cette même
année i3i8, Jean XXll le pourvut d'une place de chanoine au cha-
pitre métropolitain de Reims, concession que le Pape dut renouvelei'
le .3 avril i3 19 '''.Le 20 novembre de l'année suivante, il est désigné,
avec deux chanoines d'Arras, pour exécuter un rescrit pontifical
relatif à une prébende du chapitre de Saint-Amé de Douai. Ces
quelques informations donnent à penser qu'il appartenait à la
])rovince ecclésiastique de Heims et à la région du Nord de la l'rance;
cette hypothèse est encore conlirmée par le fait que les manu-
scrits connus de .ses ouvrages sont conservés à \rras, à Douai, à
\miens et à Reims. Les liens qui l'unissaient à la région du Nord ne
(levaient pas se rompre. Nous savons, par un document de i336,
([u'à cette époque il avait joint à ses autres bénélices un canonical à
la cathédrale d'Arras : le i" juin de cette année, il était chargé d'une
délégation de Benoit Xll concernant une affaire qui intéressait un
chanoine de Cambrai ' . Cependant, il n'était pas sans attaches avec le
milieu parisien'*', où, sans aucun doute, il passa une portion consi-
dérable de sa vie. C'est à Paris (|u'il enseigna le droit canonique.
'') SchultP, (iesrhichle lier Qncllcn iiiid Lile- •*) Vidal, n" 9448.
ratiir des canoiniihcn Hechts, I. II, p. 4o5. ''' Il est possible qu'il ait cii des parents à
''' Voir les bulles indiquées à la note sui- Taris. De son temps, il y avait à la Chambre
\ante. des comptes un clerc nommé Jean \'airel
'^' Mollat, op. cil., n" 78/1O et çiio."); Ar- {Actes du Parlement de Paris, l. 1" , n°' 778 el
nold Fayen, Lettres de Jean Wll [Aiiiilecla ia3o; F. Auberl, Le Parlement de Paris île
VaticanoMijira ,i. ]"), n" G23 el 70(). l'hilipjic le Bel à Charles \ II, p. 172).
SLMON VVIUKT. 007
En 1828, il est cité comme jiigeur au v Enquêtes du Parlement'';
toutefois, son nom ne se retrouve pas dans la liste des jugeurs de
i336C^'.
Un acte où figurent ses exécuteurs testamentaires, en date du
2-2 novembre iS^y '', fait croire (jue sa mort fut de peu antérieure
à ce jour. Son confière, Jean de Thélu, comme lui docteur en
décrets et chanoine de Saint-Quentin, avait, par testament, fondé en
l'église Saint-André-des-Arts une cfiapellenie et réglé les condi-
tions de la nomination du chapelain. Or, par l'acte précité, les
exécuteurs des dernières volontés de Vairet, d'accord avec ceux
auxquels Jean de Thélu avait confié les siennes, remirent aux
représentants de l'Université un sac scellé du cachet de Vairet où se
trouvait une somme importante*''. La destination de cette somme
était indiquée par un billet de la main du défunt, où se lisaient ces
mots : « Pro magistro J. de Tlielu, si de mea hereditate non faciam. »
Il est clair que Vairet entendait participer à la fondation de Thélu,
([ue sans doute il avait quelque temps rêvé de faire lui-même. Les
Intentions des deux donateurs furent réalisées. Le i4 juin i348''',
l'Université enqjloyait les capitaux dont elle disposait à acheter des
rentes dont les arrérages devaient constituer la dotation de la tuture
chapellenie. Le 10 octobre, l'évêque de Paris fondait la (•ha])elleiiie
et en nommait le premier bénéficier, sur la présentation de la corpo-
ration des maîtres et des écoliers de l'Université; ce chapelain n'étail
autre que le philosophe Jean Buridan"''.
'■' \ndci- GinWoh, lurlificlics sur ks maitres (cl'. J. ViarcJ , .lniiriKinx du l'irsar de l'Iii
des requêtes de t'Iiôlel (Paris, 1909J, |). ■i-''-. lippe de Valois, 11" 1 /|68 et la note). Il fnnl
''' P. riuilhiernioî, Kiiqiiéles el procès, donc substituer l'année iSIS à Tannée 1008
[>. 638. indiquée par Du Houlay.
''' Denilleet Chalolain, ( linrlulariiim l iiiix'r- '"' L'I nivcrsité s'adressa à rc\0(|uolp 5 août
sitntis P((i isieiisis , t. Il, i). G19, n" 1 i."),'). i3/i8 et lui présenta Biiiidan, sur le nom du
"' /|/i6 florins d'or, 70 llorins à l'agneau, quel les personnages cliargés de cette mission
20 à la niasse, la gros tournois. par le testament de 'J'hélu s'étaient entendus
'^' Cet iicte est repioduit dans l'acte de fon- dès le mois d'octobre précédent (l)enille cl
dation émanant de l'évêque de Paris cl publié (Jiatelain, op. cil., I. Il, p. 6''. i, n" iiT), etl)u
par Du Boulay, lllslorin rnieersilalls l'nrisien- Boulay, o^. cil., t. IV, p. 307). I/évéque ré-
sis, t. IV, p. 3o/i et siiiv. Il est, dans cet ou- pondit à la requête des universitaires par l'acle
vrage, daté du samedi lA juin i3o8. Cette de fondation du 10 orlobrc i.'i/iS, dont on
date est fausse pour diverses raisons. J.e trouvera le texic in e.rlenso dans l'ouvrage di'
i/i juin I J08 n'était point un samedi, l.e pré- Du Boulay. L'acte est meniionni- dans celui
vnt de Paris, Guillaume Gormont, qui reçut de Denille el Cliatclain avec la date du 18 oc-
l'acte, clait prévol le samedi i/j juin 10^8 lobre.
()08 NOTICES SUCCINCTES.
11. Nous connaissons deux ouvrages de Simon Vairet. L'un est une
compilation, suivant l'ordre des Clémentines, tirée des principaux
commentateurs de ce recueil. \ airet recueillit d'abord les fragments d<'
trois commentaires, ceux de Guillaume de Montlauzun, de Jesselin
de Cassagnes et de Jean André'''. Le commentaire de Jean André, le
moins ancien, paraît avoir été composé en iSaG; l'œuvre de Vairet,
dans son premier état, date donc d'une année postérieure à iSaC.
\près l'avoir composée, il eut connaissance d'un nouveau commen-
taire sur les Clémentines, celui du maître italien Paul de Liazarus,
d'abord élève de l'Université de Bologne, qui enseignait à Pérouse
en iSaS, puis revint à Bologne et vécut jusqu'à l'année i356'-.
Nous ignorons la date de sa Lectiira sur les (Jémentines, et par con-
séquent nous ne pouvons déterminer l'année où Vairet put lui em-
prunter des extraits pour compléter sa compilation. Mais nous n'avons
pas grande chance de nous tromper en plaçant la composition de
cette Lecturn entre i33o et i3,45.
Les manuscrits que nous possédons de l'œuvre de Vairet sont
au nombre de trois : Arras, 482; Douai, 621; Reims, 7^5; ils re-
])roduisent ce travail dans son second état, c'est-à-dire fait d'extraits
lires des commentaires des quatre docteurs. L'auteur indique dans
sa préface'^' la méthode qu'il a suivie. Chacun des quatre commen-
tateurs a fourni à Vairet une série de textes. La série de Jean André,
la plus importante, à cause de la haute estime où est tenu cet auteur,
constitue vraiment la base de son ouvrage. Dans les séries de Guil-
laume de Montlauzun et de Jesselin de Cassagnes, Vairet a distingué
des extraits qu'il en a retirés pour les joindre aux passages correspon-
dants de la série de Jean André, et d'autres qu'il a laissés à leur place
dans leur propre série. 11 ne s'est point livré à ce travail sur les frag-
ments tirés par lui de l'œuVre de Paul de Liazariu, qu'il a connue
après coup; tous les extraits de cet auteur sont demeurés dans la
quatrième série.
'' -Nous en sommes inforniés par la préface, g"*-'» et de Paul de Liazaiiis (ms. Gi|7 de Ja
donl un fragment a été publié par Schuite, Bihiiollièque de l'Arsenal, provenant de
/or. rit. Il ne faut pas confondre cet ouvrage Saiiit-Viclor, fol. IJO et suiv.).
avec une compilation anonyme faite de trois ''' Cf. Schuite, op. cit., t. Il, p. 2'î6 et
coiinncntaires sur les (Clémentines, triplex saiw, et Histoire littéraire, i. XWW, \t. 63 1 .
///o<n; les trois commentaires sont ceux de Guil- ''' Ixc. : ■ Hic glosas quatuor auctoruai , de
laumc de Montlauzun, de Jesselin de Cdssa- cisiscorum prcfationibiis . . . •
ANONniE, AUTEIR DU «COITUMIER D'ARTOIS.. 60*)
L'ouvrage de Vairet est fait à peu près entièrement à coups de
ciseaux; ce qu'il a ajouté de son fonds aux textes qu'il empruntait à
autrui est très peu de chose, mcltd nul parnm ah els cxtvaneum addensde
meo. Les textes extraits de l'œuvre de Jean \ndré ont été en "énéral
respectés. L'auteur a pris plus de liberté avec les écrits des autres
maîtres; il s'est cru autorisé, le cas échéant, à les abréger, tout en
conservant les développements nécessaires pour l'intelligence de la
question de droit. Pour alléger son livre, il n'a pas hésité à omettre
tous les passages qui, reproduits, eussent été purement et simple-
ment des répétitions : Non enim eœpedit omma m omnilnis Itcriini scrihi.
Enhn, il a donné à son œuvre une disposition matérielle telle que le
lecteur peut toujours savoir auquel des quatre maîtres il a affaire.
C'est en suivant ces règles que Vairet a cru faire une œuvre utile aux
canonistes ses contemporains, si curieux de résoudre les questions
soulevées ])ar l'application des Clémentines. Il signe modestement
cette œuvre de son nom, suivi de ces épithètes : mintinus addiscentinm,
utnusqiiejuris modiciis y)/-o/pssor'''.
L'autre ouvrage de Simon Vairet qui nous est parvenu est moins
original encore que le premier. C'est une table alphabétique, à
l'usage des jurisconsultes, des textes de la Bible et d'autres ouvrages
contenus dans les recueils de droit. Elle est intitulée : « Tabula do-
)nini Symonis Bayreti (^/c), juris professoris, composita secundum
ordinem alphabeti ad inveniendum plures concordias ad unam dic-
tionem. » Cet ouvrage nous a été conservé flans le manuscrit 383 do
la Bibliothèque d'Amiens'^'.
P. F.
A\o\y^rE, autelr du ^i Coutumier n'Anrois».
Le Coiitumier d Artois, œuvre privée où pour la première fols fut
consigné le droit de cette province, m; nous a été conservé que par
les deux manuscrits 5^48 et 52/^9 du fonds français de la Biblio-
thèque nationale. En lybG, Adrien Maillart, avocat au Parlement de
Paris, qui, par ses études et l'exercice du barreau, avait acquis une
''* Ce sont les derniers mots de la préface. Iilinlhàiucs publiques de France. Dci>arlcineuls,
'"' Vutalo(jiie ijcncrnl des manuscrits des Bi- t. \l\,p. i83.
IIIST. I.ITTKB. — \\\v. 77
()10 NOTICES SICCIXCTES.
connaissance très étendue du droit artésien ''^ le publia pour la pre-
mière fois, non sans se permettre certaines licences avec le texte'-'.
Maillart n'avait d'ailleurs connu qu'un seul manuscrit, le n° 5^49-
En i883, Adolphe Tardif en donna, d'après les deux manuscrits, une
nouvelle édition plus correcte'^'; cette édition était destinée à prendre
place dans une (Collection de textes réunis pour l'enseignement de
l'histoire du droit.
Le Coulumicr d'Artois est écrit en dialecte du pays; il est divisé en
56 titres, dont chacun est précédé d'une rubrique. Si l'auteur parait,
au début, s'être conformé à un plan qui rappelle celui du Conseil dv
Pierre de Fontaines, il l'a vite abandonné; la suite de son œuvre
semble caractérisée par une absence complète de méthode.
Il n'est pas difficile de dater cet écrit; il fut composé entre i 2 85,
date de l'expédition de Philippe le Hardi en Aragon, à laquelle il est
fait allusion, et i3o2, année où mourut le comte d'Artois Robert II,
du vivant duquel le Coutumier fut certainement rédigé. Sans doute
le lecteur peut, à première vue, être tenté de donner au Coutumier
une date un peu plus basse. Il y rencontre en eiïet, à propos d'un
procès intéressant les biens dépendant de la commanderie de Loi-
son'*', plusieurs mentions des cbevaliers de l'Hôpital; or cette com-
manderie ne put appartenir aux Hospitaliers qu'après la dévolution,
réalisée en i3i5, des biens de l'Ordre du Temple. Toutefois, en y
regardant de près, il est facile de se convaincre que ces mentions
proviennent de corrections faites à la rédaction primitive. Ce qui le
prouve, c'est la présence, à côté des passages se référant à l'Hôpital,
d'autres passages non corrigés qui se rapportent au Temple'^ . Cett(;
bigarrure ne saurait s'expliquer que par une correction incomplète
du texte primitif, qui fut faite après coup.
L'œuvre elle-même se distingue par certains caractères :
1° Pour une part importante, elle n'est point originale. L'auteur y
.1 transcrit, sans y faire de changements graves, des fragments consi-
dérables de deux ouvrages appartenant à la littérature juridique du
C Ses papiers furent acquis après sa mort ''■ C'oitliimiei (/éiiéral d'Arlois, 175(1, in-fol.
par Etienne Caulet, évoque de Grenoble, bi- '' Coutumier d'Arlois , Pari», i883. Kos ci-
bliopliile bien connu; ils sont encore conser\ es talions se réfèrent à cette édition.
» la Bibliothèque publique de cette ville , '' Titres XIX et suiv. — Loison , r" " do
manuscrits 1 356-1 368. On y trouve de Irè» (liiinpa^'nc-lez-Hesdin, Pas-de-Calais,
nombreux dossiers inti'ressant l'Artois. ''' Cf. p. 5a et 5(i.
VNONYMK, \LTELJl DL «COUTLMIER D'ARTOIS.. 611
\iir siècle. En premier lieu, il a fait de larges emprunts au Conseil de
Pierre de Fontaines. Non seulement, comme l'a fait remarquer Adol-
phe Tardif"), il s'en est approprié tout le prologue, sans songer à aver-
tir le lecleur de ce plagiat, mais il en a extrait maints passages qui ont
pris place surtout dans la première moitié de son recueil; on le peut
constater par l'examen des titres I", 111, VU que nous citons à litre
d'exemples. Le second des ouvrages qui ont fortement inlluencé le
Contutmer d'Artois n'est autre que les Étahlissements de saint Louis.
Celte inlluencé a été mise en lumière par Adolphe Tardif et par Paul
Viollet'-'. Klle se manifeste notamment au cours des titres IX-XI
XIII, MV-XVll, WXlll, \XXIV, \\\V, XLVIII. L'auteur se per-
met d'ailleurs de modifier parfois le texte de son modèle; c'est ainsi
qu'à la fin du tilr<> X\XV (S 5), il signale un usage plus favorable
à^la leinme noble qui a failli (jue n'était la règle consignée dans les
lùahlisscnienls. D'après lui, on doit tout au moins la faire « vivre avoir
selonc sa foie aventure ».
2" Beaucoup des règles recueillies par l'auteur et ()résentées,
comme on l'a dit, d'une manière assez désordonnée, concernent la
procédure civile et l'instruction criminelle. Il traite aussi en pins d'un
passage (le la relation féodale, de la distinction des biens, du droit
des héritages, c'est-à-dire de la propriété foncière, des mineurs, de
la femme mariée et des successions. Sans aucun doute son expose
Il est pas complet; mais on y trouve réunies beaucoup des prescrip-
tions importantes du droit féodal et coutumier. L'auteur appartient
sûrement à la catégorie des juristes qu'on appelait de son temps les
consuetudinarii.
3" Il avait d'ailleurs d'aulres connaissances juridiques que celles
que lui fournissait le droit coutumier. Il n'est pas besoin d'une
longue élude de son (l'uvre pour demeurer convaincu qu'il avait
SUIVI, en quelque Université, peut-être à Orléans, l'enseignement
du droit civil et du droit canonique, et qu'il était pénétré des no-
tions qu'il y avait acquises. 11 cite les Décrétales de Grégoire IX,
et, plus souvent, les compilations de Justinien, dont il lui arrive
parfois de traduire les textes. Si l'on veut des preuves de l'influence
qu'exerce sur lui le droit romain, il suffira de se reporter au
1') p. MM. _ ^) P. Viollet, lùdbliisemenls de sa'ii.t Louis, I. 1", p. 31a.
77-
012 NOTICES SUCCINCTES.
titre XXXI , sur la rescision des ventes immobilières , et au titre X W II ,
sur la restitution en entier accordée aux mineurs, institutions pure-
ment romaines, que l'auteur tient à introduire dans la pratique cou-
lumière, ou encore aux divers titres relatifs à la procédure : titre VII
sur les exceptions, titre VIII sur la règle Spoliatus aiite omnia resti-
laeudiis, titres IX et X sur l'office des procureurs et des avocats,
titres XL VII et \LV III sur l'instruction criminelle, titre XLIX et sui-
vants sur les preuves, où l'on peut voir le système des preuves
romaines à côté du combat judiciaire; titres LU et LUI cù est exposée
la distinction d'origine canonique entre le juge ordinaire et le juge
délégué, et enfin titre LIV, où, à propos des arbitres, l'auteur se
complaît à des développements provenant de la «loy», c'est-à-dire
des textes romains.
4° Sa connaissance du droit n'était pas seulement théorique; il en
doit une bonne part à la pratique judiciaire. Selon toutes les vrai-
semblances, il était avocat, et exerçait sa profession devant les diverses
juridictions de la province, de préférence, semble-t-il, devant les
juridictions séculières, celles du comte ou des cours seigneuriales. H
fait des allusions fréquentes aux procès qui s'y sont débattus, raconte
ce qu'il y a vu et indique la conduite qu'il tint lui-même dans une
affaire qui lui était confiée'''.
Tel qu'il se présente à nous, le Contiumer d'Arlois se place dans
la famille des œuvres qui ont ])ré2oaré la romanisation du droit cou-
tumier, comme le Conseil de Pierre de Fontaines et le Livre de Jos-
l'ice et de Plel. Au surplus ce coutumier ne paraît pas avoir été très
répandu; nous n'en voulons d'autre preuve que le petit nombre de
manuscrits qui en ont été conservés. Il convient toutefois de faire
remarquer que Boutillier, jurisconsulte originaire d'Artois, lui a fait
des emprunts lorsqu'il a écrit sa Somme rural '"^'. On retrouve
notamment, dans ladite Somme, les développements que l'auteur
du Coutumier a consacrés à deux procès, celui des gens de « Daufine »
contre les Templiers, et celui auquel donna lieu la succession
d'Eustache de Neuville, chevalier mort au voyage d'Aragon.
P. F.
'■' Page G3, n" 7. — '=' Cf. Artois, G, S a, 19 et 20; 3.i, S 2; 39, S 10 et .''17,5 j; et
l^outiUier, fit. 78; 33; 98: 74 et 34 (éd. de Lyon, i6-.!i, p. 783, 35'i, 961, 737 et 385).
«COMPILATIO DE USIBUS ANDEGAVIE «. (iKi
AS0\YMK, AUTEUR DE LA « CoMPlLATlO DE USIHUS
ET CONSUETUDINIBUS AnDEGAVIE».
Les travaux de l'érudition pendant la seconde moitié du mk*" siècle
ont jeté la lumière sur l'histoire du droit angevin au moyen âge. H a
été établi qu'une rédaction, d'ailleurs non olficielle, de la Coutume de
l'Anjou avait été faite vers le milieu du xiii" siècle, probablement en
i'j/i6; Paul VioHei a montré que cette Coutume ainsi rédigée forme
la base du livre I" des Etablissements de saint Loa/s'''.
On connaît, par un manuscrit de la Bibliothèque nationale,
Ir. 18985, une autre rédaction française des usages angevins,
la CompUatio de usibas et consuetadmibus Andeijavw, œuvre anonyme,
pubHée par Marnier, en i853, et de nouveau, en 1877, par
C.-J. Beautemps-Beaupré'^'. Laferrière y voyait un procès-verbal,
fait pour l'Anjou, de l'enquête qu'il s'imaginait avoir été ordonnée
par saint Louis sur les diverses coutumes du royaume, et il rap-
portait ce procès-verbal à l'année 12G8 ''. Cette opinion n'a trouvé
aucun écho. Nul ne conteste que la Compilatio soit une œuvre privée,
et c'est à ce titre qu'il en est traité ici.
Si l'on s'est eflbrcé d'en déterminer l'auteur, à coup sur on n'y a
pas réussi. Tout ce qu'il est permis de dire, c'est que la (loinpilutio esl
l'œuvre d'un praticien angevin. Ce jurisconsulte s'est attaché à réunii-
des règles de législation féodale ou coutumière qui concernent le droit
privé, la procédure civile et le droit pénal; il ignore, ou tout au
moins écarte, le droit romain et le droit canonique. H s'est d'ailleurs
lort peu préoccupé de présenter les diverses matières du droit d'après
un ordre méthodique. Son principal souci est de les ramener à des
formules aussi brèves que possible; il est l'ennemi des explications et
des développements que l'on trouve en abondance dans d'autres
ouvrages contemporains, par exemple dans celui de Beaumanoir
ou dans la Très ancienne Coutume de lirctacjne. H n'y a guère qu'un
article où il s'aventure à une sorte de rapide commentaire : c'est celui
*'' Cf. Paul Viollel, Etablissements de saint Louis, t. I", p. 8 et suiv. — '"' Contâmes et institu-
tions Je l'Anjou et du Maine antérieures aa xri' siècle (Paris, 1877), t. 1", p. 44 et suiv. —
*'' Reine critique de législation, f. IV (i854). p. i45.
0|/i NOTICES SLCCLNCTES.
où il (lit que le meurtrier peut être poursuivi même quand personne
n'a formé plainte contre lui, car le sanj^j se plaint; il y invoque, pour
en faire la preuve, le passage de la Genèse où Dieu dit à Cain : « I.e
« sang d'Abel, ton frère, que tu as tué, crie vers moi de la terre au
.( ciel'"'. » Non moins rares sont les citations de coutumes de pays voi-
sins ou des décisions de jurisprudence : l'auteur cite une fois l'usage
de la Touraine, une fois celui du Poitou et une lois un jugement
rendu par un chevalier nommé Aimeri de La Chevritre.
La détermination de la date de la Coinpilalio fait (pielque dilli-
culté. LUe est certainement postérieure à la première rédaction de la
Coutume, qui, on l'a dit, est une œuvre du milieu du xiii* siècle.
Paul Viollet, pour de bonnes raisons, la tient pour un écrit du
\iv'' siècle -'. Nous estimons qu'il n'est pas impossible de resserrer les
limites de la période :\u cours de laquelle la Compihdio a été rédigée.
D'une part, il paraît vraisemblable que l'acte de la royauté visé par
l'art. 55 est l'ordonnance du 28 juillet i3i5 sur les dettes des Juifs.
D'autre part, il y oui, de i326 à i328, au moins quatre dispositions
législatives''' sur l'amortissement; la dernière, qui est du ^3 novembre
1028, pourrait bien être le «noveaus commendemenz dou Iioy » au-
quel il est fait allusion dans l'art. 94. En ce cas la rédaction de la
Comp'dai'u) aurait suivi de peu l'avènement de Philippe de Valois
à la couionne de France. D'ailleurs la Coinpilalio ne lait pas mention
du comte et suppose (jue l'Anjou relève directement du roi; or, telle
fut la situation de l'Anjou de i328 à i332.
Peut-être serait-on tenté d'alléguer, contre cette opinion, que le
roi dont parle la (lompilulio est le comte d'Anjou, roi de Sicile
(1266-1290). Mais nous ne croyons pas qu'une telle ronlusion se
soit ghssée dans l'esprit habituellement précis de notre jurisconsulte.
Dans ce texte, le roi ne peut être que le monarque (|ui exerce en
x\njou les droits régaliens, auxquels il est plus d'une lois fait allusion,
et qui connaît des cas royaux. D'ailleurs le roi auquel l'art. 2 i
attribue les meubles des usuriers et qui règne à la lois sur l'Anjou,
le Poitou et le Maine, est incontestablement le roi de balance.
Nous estimons donc que la Coinpilalio de iisibus \ndc(javie est
l'œuvre d'un jurisconsulte peu ordonné, mais enneuii de dévelop-
''' Art. 7; c(. (icnésc, IV, lo. — ''' Op. cil., p. 3o et suiv. — '■^'' Orilmnuio es itcs rois de France
lie la troisième nice , I. 1' , |). 786(1 797; I. H, p. l3 et 23.
IILC.IES DE CAKOI.S. GIT)
pements réputés par lui superflus, qui, vers i33o, a tracé un tableau
raccourci du droit coutumier angevin.
P. F.
HlGlF.S DE (Imoi.S, I.KtilSTE.
I. Le juricon5ultc Hugues de (larols n'est connu que par des tra-
vaux récents. Né hors mariage, puisqu'il dut être légitimé par Philippe
le Bel en i 3 i 2 ''), il était originaire d'une petite ville du Languedoc,
Montréal (Aude). Il se fit clerc et étudia le droit civil à Toulouse, oîi,
vers 1290, il eut pour maître Pierre de Terrières, plus tard chance-
lier de Charles II de Sicile et archevêque d'Arles '"" En 1 3 i 2 , époque à
laquelle il obtint sa légitimation, il est qualifié dejiirisperitiis, habitant
Toulouse, lin acte du 1 1 octobre 1 3 1 9 , passé à Béziers, dans lequel il
figure comme témoin, lui donne le titre de doctor legiim^^\ que nous
retrouvons dans un arrêt du Parlement de i3i8 ''. Cet arrêt le délé-
guait à la connaissance d'un appel formé contre une sentence du juge
des causes criminelles de la sénéchaussée de Toulouse; d'autres arrêts
fie i3iG, i3i8 et i32 2 attestent que le Parlement confiait volontiers
à Hugues des délégations de ce genre '\ Par sa science juridique, il
avait mérité d'être un des docteurs chargés de tenir la place du tri-
bunal suprême promis au Languedoc en i3o3; mais, tandis que ce
tribunal eût rendu des sentences en dernier ressort, les sentences des
délégués de Toulouse étaient soumises au contrôle du Parlement
de Paris.
Hugues de Carols ne termina ])oint sa carrièie à Toulouse. Dès
la fin de l'année 1 325 , il était viguier de Carcassonne et l'un des deux
conservateurs du salin de cette ville; l'autre était Jacques Barthé-
''' Voiri"arlicie d'Anloine ïhoma», Ix jurh aimii , Arles, n°' i389-l/i5o; chanoine Albe,
ronsulle Iliigo de CarroUif on Cnrroliis , dans Aatour de. leanXXU , dans \ei Annales de Sainl-
\es Annules du Midi, iSgS, I. V, p. 379-381, on Louis^les-Français , 1901-1902, t. VF, p. 358
esl publié l'acte de légitimation donné par Plii- el suiv. ; et, du môme auteur. Prélats ori<ji-
lippe le Delen i3ia. C'est à tort que Boularic, noires du (Juercy, iliid., igo/i-igoT), t. IX,
suivi par Delisle, l'a nommé Hugues (!<■ C.ha- p. 321.
rolles. (' Arch. nat., .IJ Gi, n" 43i.
''' Sur ce personnage, \oir Ilistoiic lil- '' Boularic, Arles du Parlement de Paris,
téraire , I. XXV, p. 468 et suiv.; A. Thomas, t. H, n° 52o/|.
Extraits des ArcMres dn Vatican, dans les ^/e- ''' Ibid., n'" /1798, r)3o8 et 6995. Hugues
/imjei de l'Ecole françaisede Home, I. Il, p. 1 i.'i- n'était pas le seul docteur à qui l'on confiât de
i35; Albanès-Chevalier, Gnllia cliristiona noris- telles missions; cf. 11° 5307.
(•)!(. NOTICES SUCCINCTES.
lemy, avocat du roi près la sénéchaussée de Carcassonne'"'. Hugues
de Carols exerçait encore ces fonctions en i32() : nous en avons la
preuve par un acte du 3o mars, où, au nom du roi, il approuve une
transaction passée entre l'abbaye de Lézat et les fermiers du salin'-'.
Il s'intitule dans cet acte : «Huf^o de GarroUis, legum professor, cle-
« riens domini Régis, conservalor jurium, libertatum et privilegiorum
« salini (iarcassone. « Nous ne savons rien de lui postérieurement à
l'année iS^g.
II. Une œuvre de la jeunesse d'Hugues de Carols est contenue
dans le manuscrit 653 de la Bibliothèque de Tours**', provenant
de la cathédrale de celte ville. C'est un traité de droit romain,
rédigé, comme nous l'apprend une mention du manuscrit, au cours
de la cinquième année d'études juridiques de l'auteur, qui coïncida
avec l'année i2i)5*''). Cet ouvrage est dédié à Guillaume de (>répi,
prévôt de Saint-Quentin en Vermandois, conseiller du roi de France;
c'est une Lectarn sur VArhnr actwnain d'un maitre fort connu, le cé-
lèbre Jean Bassien , originaire de Crémone, que l'auteur appelle .lean
de Crémone. VArbor actionuin, qui date vraisemblablement de la fin
du Ml" siècle, jouissait d'une grande vogue. En le commentant,
Hugues entreprenait une besogne où il avait eu de nombreux
préflécesseurs. S'il se mit à l'œuvre, c'est qu'il était mécontent de
l'ouvrage de ses devanciers, «quia doctrinam liujus operis nostri
« predecessores incertam et quasi insolitam dimiserunt ». 11 indique
son plan dans le préambule de son œuvre, ([ui a été publié par
L. Delisle'"''; l'étude du manuscrit de Tours prouve (jue ce plan a
été réalisé.
Après avoir, dans ce préambule quelque peu prétentieux, mais
'' Voir l'acte indiqué à la note suivante. Arts, lAtttinliiie latine <ln moyen l'uje fl'aiis,
qui reproduit les lettres d'insfilulion des con '890), p. 84-89. ("est M. Delisle qui a signalé,
servateure. dans ce manuscrit l'oeuvre, ignorée jusqu'.i lui,
'■' Arch. nal., .IJ 67, n° 1 1 1 ; cf. Blbl. nal., de Hugues de (]arols.
Coll. Doat, 103, fol. u()i et suiv. La transac- '*' Cetledale S3 trouve au fol. 33 du manu-
lion fut conclue à Toulouse entre Pons de scrit, où l'on peut lire : «Quia nd iinoin inten-
\iilemur, abbé de F..c2al, et les fermiers du « tum pcrveni, regratior summo Deo et beale
sel. Il Marie \ irgini , domine nostre, sanrio Michaeli
' \oir, sur ce manuscrit, L. Delisle, In- « archangelo et omnibus sanctis, non quantum
stinriions adressées par le Comité des travaux «del)eo sed quantum possuni, anno Domini
liittoriques et scientijiqnes aux correspondants du « M° CC° XC' quinte. »
Miiii.<(cte de l'fnstruction publique et des iieau.i- '■''■ Dans l'écrit précité.
JKAN "l)K LKIDLNO" ILT LOI IS DK MELLN. 617
dont la littérature juridique de son temps nous offre des exemples,
présenté le portrait de la jurisprudence , revêtue du soleil et couronnée
d'étoiles, comme la femme de l'Apocalypse, après avoir décrit la fi-
gure géométrique, inventée par Bassien, qu'il faut quelque bonne
volonté pour assimiler à un arbre, l'auteur résume la théorie du
lihellus introductif de l'instance, et traite successivement des diverses
actions romaines. 11 étudie d'abord, conformément à son modèle, les
actions prétoriennes réelles, parmi lesquelles il place en première
ligne la Publicienne, l'action réelle rescisoire et la Servienne; pour
chaque action, il donne une formule de libellas. Lorsqu'il a épuisé la
matière des actions, il passe aux stipulations prétoriennes et aux dé-
crets d'envoi en possession; il termine en traitant de l'office du juge
et de la répression des faits délictueux, non sans y avoir entremêlé
des notions sur la coutume et la théorie juridique de la divisibilité
et de l'indivisibilité, qu'on ne s'attendrait guère à trouver dans un
ouvrage de pure pratique judiciaire.
Telle qu'il se présente, l'écrit en question de Hugues de Garols
prerid place dans la série des œuvres de procédure dont l'origine re-
monte à YArbor aciionum et qui furent continuées à la fois par les
commentaires de l'ouvrage de Bassien et par les traités De libellis ci
conceptione libelloium, dont le plus célèbre en Trance fui la Praclica
aurea de Pierre Jacobi.
Dans ses Sincjularia^^^ le jurisconsulte dauphinois Gui Pape men-
tionne une autre œuvre de Hugues de Carols, qu'il désigne par ces
mots : Tractatus m materta coiisuetudinis ; il en cite quelques lignes.
Mous ne la connaissons point autrement.
P. F.
JeA\ m de LeUDIJ\0» , XrAÎTRE Es ARTS, ET LoUIS DE MeLI'\.
Dans un manuscrit duxiv^ siècle, fort soigné en toutes ses parties,
qui contient divers ouvrages bien connus de la littérature scolastique
et qui porte le n" 493 à [la Bibliothèque de Reims, se trouve, du
.'■' Éd. del.yon. i533,n«8o3.
HIST. I.ITTÉR. XXXV. 78
618 NOTICES SLiCClNCTES.
folio i5i au folio 166 v°, un opuscule dont voici les premiers
mots :
Ad honorcm Dei omiiipoUiilis et ingenii «lomini mci dcjinini Lndovici de Meluii-
diino volo dispulare hanc questionem: « An in uno et codcm iiidifxijduo loniia
generis sil alia ipalitcr et sul)stantiantcr a forma speciui. »
L'auteur est nommé, et son ouvrage est daté à la fin :
Explirit tpicslio de pluralitate formarum et diversilate generis cl spcciei, ordinala
pcr magistruni Johannem de Leuduno, et roniplcta anno Domini i3iy, ■>.3 dû
januarii.
Louis de Melun, suppôt de l'Université, habitant près de la porlc
Saint-Marcel, à Paris, figure sur un rôle d'imposition, daté par
MM. Denifle et Châtelain, qui l'ont publié, de septembre 1.W9 à
mars i336''^ ^^ Y ^ bien de l'apparence que ce personnage, sur
lequel les éditeurs du Gartulaire de l'Université de Paris n'ont pas
fait d'observation, n'est autre que le Louis de Melun, chanoine de
(.hartres ])ar collation de l'évêque llobert de Joigni (entre i3i5 el
1326)'^', à qui Charles IV conféra la chantrerie de Chartres, le
•î4 avril i326, par droit de régale*^', et qui garda cette importante
prébende après avoir soutenu, et perdu, un long procès au Parle-
ment contre maître Philippe Nicolas, lequel se prévalait d'une colla-
tion antagoniste du pape'**'. 11 appartenait à la grande famille des
vicomtes de Melun, et sa mère était une fille de la maison de Sulli.
Quant à ce Jean de Lcuduno^^^ qui acheva , le 2 3 février 1 3 1 8 (n. st. ] ,
la dissertation dont il s'agit, il n'est nommé, à notre connaissance,
que dans un Obituaire de Saint-Victor de Paris: il serait mort le /j no-
Acmbre d'une année indéterminée'**'.
<'' (1i(irliiliiiiiiin liiivcrsilatis l'arisieiisls , t. II, H ncsl question de tout cela ni d.-ins VUislo'iie
|>. G63, roi. I. de Cliailres de K. de l.'J'^pinois, ni dans Le
''' Arcli. nat., .1 S'il)', ii" 2iS. Ecoles de Chai 1res on moyen «'/e de A. Clei\ai.
''' Ihid., n" 1. '*' Peut-être «de Leudon ». Il y a, en Seliu -
'*' Les iellri'sde Philippe VI , qui conllnnenl el-Marne, au voisinage des domaines de la
à Louis de Melun la possession de la clian- maison de Melun, deux Leudon, dont la forme
Irerie de (lliarlies et qui annulent l'arrêt du ancienne était certainement Leudaniiin : un
Parlement en faveur de maltie Philippe INico- hameau dans la commune do Li/ines-et-Maisun-
las, .sont (lu -j octobre i33/i (Arch. nat., JJ Houge, et une commune du canton de La
()(), n" i38i ). L'arrêt en question a été gratté ferté-Gaucher.
sur le registre du Parlement (X'*6, fol. /|o/j v°) '*' Hintoi-irnx de In France, Ohlliwires. I. I",
et le dossier de l'alTaire porté au Trésor des (Paris, igo'j), p. ."»g8 : « Anniversaiinm
chartes, où il est encore (.1 ?i'\(); cf. \olires et niagistii Johannis de Lnduno» (xiv" siècle .
ealrails des iiiiiiiiisirils , t. XL, ir)i-,p. l65|.
.IK\N «DE LEUDUNO» ET I.01JIS DE MELUN. 619
Maître Jean indique son plan :
De isia qncslione sic piocedam. IVimo poiiam rationos pio parle airirmativa
quas nescio solvere. Secundo ponam rationes ad opposituin que sunt quasi démon
sirationes apud alios. Teicio respondeho ad eas secundum posse meuni. Quarto remo-
vel)o quasdam responsiones et inslancias quihus aliqui nituntur dehililare primam
rationum nicarum.
La quatrième partie, toute polémique, la plus intéressante, com-
mence au folio i6i \°, col. 2, en ces termes: «Omnibus hiis expe-
«ditiscum lande [)ei,onere])aturmiclii quaternuscujusdam sociorum
« nostrorum magne sublilitatis et profundi ingenii, in quo ipse labo-
« rabat ad solulionem nostre prime rationis... >. Mais la discussion ne
s'engage à fond contre l'émule anonyme qu'au folio 1 63, col. 2:
«Nunc accedo magis ad rationes istius viri... » Discussion serrée, où
maître Jean cite textuellement, çà et là, les expressions mêmes' du
contradicteur'", sans craindre d'avouer, honnêtement, ses propres
hésitations '■'>. Discussion très courtoise; car l'anonyme, peut-être
« monseigneur.. Louis de Melun lui-même, est couvert de fleurs inat-
tendues: « Et rêvera firmiter teneo quod si ille voluisset laborare ad
«defensionem illius mee rationis, ipsetaliter laborasset eam et cavil-
« lariones contra eam omnino extirpasse! quod non oportuisset me ad
« hec agenda vocari ; tamen de hoc ego regracior ei super hoc quod
« ipse michi ipsi reliquit perHcere quod inceperam...'^' ...
Maître Jean s'excuse, en terminant, d'avoir été prolixe; mais à son
sens, il le fallait, pour déblayer le terrain de tant d'arguties et remet-
tre en lumière la vérité obscurcie moins par les arguments que par
l'illustration de ses contradicteurs :
Omnibus igitur hiis caviilalionilms evlemiinatis, facile .st unicuique hene dispo-
sito... removere universas e>asiones... et defendere illaui antiquam veritatem de
plurahtate iormarum, generis «t speciei, que aliquo tcmpore negala crat magis
propter famositatcm negantium eam quam propter elTiracitatem ralionum. Nullus
itaque studiosus et verus philosophice veritalis amicus in hujus operis longitudine
fatigetur, nam, etsi . Veritas slot in paucis », ut consueverunt aliqui proverbialiter
''* «liée sunt verba l.ujus Niri. nichii addilo |.uto, quedani omnino impossibiUa... .(fol i65
nKh.1 remoto. Hec autein verba, licel ex enii- O . Jstad est multum difficile; dico tame
(loi
78
men
nentis perspicacilalis profundilale processe «l"»'' michi videlur ad nresens... .'( loi i6AvM
nnl, lamen includunt multa improbabilia cl, O Fol. itiG.
620 NOTICKS SICCINCTES.
Hicori', tamen, (iiin aiiqua vcritas est occulta et a nuiltis igiiola, a pluribusqiie
iiegata, indiget dcclaratioiiibus... per quas iieduiu proveclis scd et junioribus
satisfiat.
Use montre foit préoccupé, d'un bouta l'autre de son ouvrage,
des besoins et des objections possibles des « juniores ». C'était assuré-
ment un professeur, l'^t sa dissertation est un très bon spécimen des
discussions pédagogico-philosophic|ues qui étaient le pain quotidien
de la Faculté des Arts en l'Université de Paris au temps des derniers
Capétiens directs.
CL.
Hahthélemi Fléchieii, maître es arts.
1. Barthélemi Flécliier [Flexerii), maître es arts, paraît en cette
qualité comme ayant approuvé plusieurs statuts de l'Université de
Toulouse, datés de 1828 et de 1829, et comme recteur de ladite
Université en 1 3 28.
Dom Vaissete a écrit, il est vrai, que «en iSa/i, Barthélémy
« Fléchier, maître es arts et recteur de l'Université de Toulouse, fit
«divers règlements pour modérer les fêtes, les jeux et les banquets
« excessifs que les écoliers faisaient lorsqu'ils prenaient quelque degré;
« il fut statué, ce jour-là, que le nouveau licencié ne pourrait se faire
« accompagner que par deux trompettes et un tambour en allant à
(< l'église et en revenant chez lui » '"'. Mais dom Vaissete s'est trompé :
les statuts en question sont datés, dans la source même qu'il
indique*-', de i3'j8.
Le 7 juillet de cette année, maître Barthélemi a souscrit des statuts
universitaires sur le salaire des bedeaux; mais le recteur était alors
Pierre de Murinais, chanoine de Saint-Antoine en Viennois, docteur
en décret -^K
D'autre part, dans deux statuts de la même année — lun sur le
'' Dom Vaissete, Uiflo'uc ijciurale ilc Lan- hliolbèque nationale. \uir le l'olin 6i de ce
tiaedoc , t. IX, p. 47&- Reproduit sans obser- manuscrit.
\ations par B. Hauréau dans le Journal dei '^' Dom Vaissete, op. lil., f. VII. |>r. ,
Savants, i883,p. 64^. col. 5ao. Cf. M. Fournier, SUituls et piivi-
'*' La source indiquée est «Baluze, 366». tèijes des Uiiiversiles françaises. I. 1" (Paris,
Ce volume, copié de la main de Baluze, est 1890), p- 49<).
aujourd'hui le manuscrit latin /iaai de la Bi-
BARTHKLF.MI FI.KCHIKi;. 021
cérémonial des examens''', l'autre d'un caractère sompluaire et sur \v.
régime des études, notamment dans la Facuhé des Arts - — qui ne
sont datés que du niHlésime (i328), sans indication de mois, les
formules initiales portent: « Existente rectore magistro Bartholomeo
« Fleciiern »; ce qui n'empêche pas, du reste, que le nom de « Bartlié-
II lemi Fléchier, maître es arts», y figure aussi, sans autre qualifi-
cation, parmi les souscriptions finales ^^'.
11 faut conclure de ces faits que Barthélemi Fléchier lut recteur
pendant le quatrième trimestre (octobre-décembre) de 1 3'.<8. On sait,
en eflet, qu'à Toulouse la dignité rectorale n'était conférée que pour
trois mois; que le recteur du prenn'er trimestre de l'an était toujours
un ci\iliste ou un décretiste; que, quand c'était un civiliste, le
recteur du troisième triuiestre était toujours un décretiste (ce cpii fut
le cas en i328) et celui du quatrième un «logicien» de la Faculté
des Arts'', comme notre Barthélemi.
Le 3o mai 1329, d'autres statuts pour la Faculté des Arts lurent
adoptés « relatu et querela coram nobis propositis per venerabiles
" viros niagistrum Hugonem Cellerii et magistrum Bartholomeum
• Flexerii, magislros in artibus, aclu legentes in studio Tholo-
nsano»*^'. La courte magistrature de Barthélemi, le seul incident de
sa vie qui soit connu''', avait alors, naturellement, pris fin.
IL On a de ce maître une Questio determinala «de Virginitate ».
Inc.: «Questio est utrum virginitas sil virtus moralis et videtur
« quod non. » Nous en connaissons deux exemplaires du xiv" siècle,
l'un et fautre à la suite de résumés ou de commentaires de l'Ethique
d'Aristote, dans le manuscrit 169 (fol. ()()-ioô) de Bordeaux'' et
dans le manuscrit 692 de Douai.
•'' Doin Vaissete, coJ. 5.!5; M. Foiiinier, ces statuts, ledit persomiagc « ct.iit redc\enu
|>. 5oi. «simple maître».
'■-' BibHollièquenationale.lat. 4i23, fol. 61- '' Voiries statuts de i3i 1 (Dom V'aisscle,
(ia. Cette pièce intéressante a été omise dans op. liu. t. Vil, col. 45o, S 3 el 4).
les éditions. '^' Doiii Vaissete, col. 52G; M. Fournier,
' ' Le fait qu'un personnage soit mentionné p. 5o.j.
comme maître, sans antre qualification, dans <'' Nous nous sommes assurés que le recteur
les souscriptions Hnales de statuts dont le» for- de 1 328 n'a laissé aucune trace au\ Vrchives
mutes initiales ont disparu, ne suflît donc pas de la Haute-Garonne.
à prouver, comme on l'a pensé [Journal des ''' On Ut dans cet exemplaire, à la lin : "l'A
SdiaitU , i883, p. 6/ia), que, à l'époque de « isia suinciant de questione determinata a ma-
()22 NOTICES SI CCINCTRS.
11 ne laul pas conclure de ïincipit précité (pie Baiihélemi Flc-
chier ait été d'avis que la virginité n'est pas une vei'lu ; car sa Qiicslto
commence, suivant l'usage, par l'exposé des arguments donnés
«contre» et «pour» la thèse que l'auteur va s'efforcer d'éclaircir
ensuite jwr des considérations personnelles. Il y avait des gens qui
niaient, d'autres qui aflirmaient que la virginité fût une vertu morale.
Telles sont, par exemple , quelques-unes des douze raisons que faisaien I
valoir les premiers :
i^II]. Nullu virlus iiicludiliir in vicio. . ., sed \iigiiiitas incliKliliii' iii \icio. t'adl ,
(|uia siippoiiiliir iiiseiisihililati , supposita integritate cor[)()iis. Oiiaïc non ot \irhis.
I^XIJ. Nulluin c'Oiivi'nit (">sc xiiliioMnn nioralitor sine prudoncia . . ., si-d alicpir
\iigini's suni l'aliio, ut dicilur in EvangL'Iio. . . Et pcr consoquens virginilas non r>i
\ nliis.
Ayant ainsi post» le contre et le pour [In opposllani arcjuitur 5« »,
Barthelenii aborde lui-même le problème [Ad (jucstionem islam ivs-
pondeoy, et il convient, dit-il, fl'adopter à ce sujet un plan en
six points :
Spx sunt vidoiida.
l'riino insistonduiii rsl circa passioni's rirca qiias sunl \irlules morales, j. Circa
dcHiniliunoin virlulis. S. (lirca cjus divisioneni. h. l'rincipaliter circa xirtuli^
ninrali's. 3. Circa virlulis intcliectuales. G. Insislondum circa proposituni prin-
cipale.
(.luu'un de ces points [aiiiciili) est, bien entendu, subdivise à son
tour (le premier en six), défini et discuté à grand renfort de rélé-
rences à D'^lbique aristotélicienne.
1/auteur répond enfin aux objections qu'il avait mises d'abord en
axant. Voici ce qui a trait à celles que nous avons citées :
\irginilas non gcncratur t'\ ahstinenciis siiupliciler suniptis, scd c\ ahstincnciis
ut flectis, et niaxiiue e\ doctionibus ipsis; et ticc sunt opéra ex quibus generatur
\irginilas; et liée sic accepta sunt totaliter diversa ab operibus ex cpiibus insensibi-
lilas gentM-atur.
\(l m""', diceuduni (juod ali(|ue virgines secundum carnis integrilaleni, non
» gistro lîarlholomco Floxerii, magislro in ar- avec celui de Douai, qui est inlilulé : i Qiieslio
• libus Tholosei. Cet exemplaire n'en est pas «de Virgiiiitalc édita a magistro Bartholomeo
moinsconiplet, comme l'atteste la comparaison «Flexerii, niagistro iii arlil)us Tolose. •
PIEUIŒ DE COLRPALAI. (i^ii
liiibontfs mciilis iiitif,'iitalfm, siint l'aliif, de (|iiil)iis ai^ucbalur ; vir{;iiies autem
siTuiuluni nioroni lial)ciil('>i corpdiis et mentis intcgritatein nunqiiaiii sunl latiii vel
latue.
B. Hauréau, qui n'avait pas lu Bartiiélemi Flécliier, lui promit,
eu i883, sur le vu des rubriques relevées dans les manuscrits de
Bordeaux et de Douai, une notice dans V Histoire littévairc^^K La voilà :
on saura désormais (pie le maitre de Toulouse a parlé et même écrit
([uelquelois, sinon toujours, en mauvais style, comme bien d'autres
dans 1 Ecole, pour nr rien dire d'important.
C. L.
ViERni: DE CornPALAI , AURÉ de S \l\T-(iEini il\-l>ES-PRKS.
En i3o(), l'abbatiat de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, étant va-
cant, les moines élurent en discorde deux personnaf>es, qui, par la
suite, résignèrent l'un et l'autre, (ilément \ pourvut à la vacance,
dans ces conditions, en transportant à Saint-Ciermain, le â juillet,
Pierre de Courpalai, abbé de Saint-Jean de Laon'- .
Pierre, d'une lamiHe bien connue de la cliàlellenie de Provins,
était docteur en décrets.
Nous n'avons |)as à raconter ici l'Iiistoire de son administration à
Saint-Germain-des-Prés; il suffira d'indiquer «pie dom Jîouillart, qui
la esquissée'', n'a pas su (|ue,en 1826, Jean XXII, après avoir trans-
léré d'autorité Pierre de Courpalai à l'abbave de Fécamp, ce qui
ressemble à une disgrâce, pour le remplacer à Sainl-(!ermain par
Pierre Roger, le futur Clément M, consentit, à la suite de nous ne
savons quelles interventions, à canceller ces mesures '''. — Pierre
de Courpalai lut employé par le pape et par le roi, notamment
dans l'aliairc des rempliers*'"^ et à la Cbambre des comptes'"'; on le
"' Journal des Savants , ioc. cit. '*' Cli.-V. L.mglois, Rc(jhlres perdus de la
' Re<jesluiii Ctcinenlis papuc l ", n" i 1 58 ; Chambre des compics . dans les Notices cl cx-
i{. n° iiGo. traits des nninuscriti-, 1. XL (i()i7), p. 81. —
'^' Dom Bouillarl , flistoire de l'ahliayc royale Kn 1 3 1 5 et en 1 3 1 (i , l'abbé de Saint-(ierniaiii-
dcSuint-Gerniain-desi'ii-: (Paris, l'a'i), |'. i48 dos-Prés fut chargé de plusieurs missions di-
c't suiv. plomatiques c\ polilitjucs (A. Artoimr, Le
'' Denille et Châtelain, Cltarluhirium lui- mouvement de i.'Hi. Paris, i()i!, p. •").'), 70;
irrsitatis l'iirisieiisis , t. Il, p. 'jig.nolc /|. cf. H.Wnquct, Le hiiillinjie deVerminidois. Paris,
i/nV/.,p. i2().Cf. (iallia cliristiana. \. \i\ , i()i(),p. ?,>•>.
col. ',57.
i,2'i NOTICES SUCCINCTES.
voit i)arailre flans lotîtes les grandes cérémonies qui eurent lien, à
Paris, en son lenij^s'". H est mort le 3 avril i33r> (n. st.).
Doni Boniilart écrit : « L'abbé Pierre . . . composa un petit épitoinc
((de l'histoire de chaque Roy de France qui avoit fait du bien, ou qui
<( avoit été enterré dans son abbaye. 11 le lit transcrire sur des tableaux,
1 et appliquer ensuite aux piliers de l'église de Saint-(iermain-des-Prés,
" au-dessus de chaque sépulture, en forme d'épitaphe. Ils y sont reste/,
«tant que l'écriture a été lisible. Cet ouvrage, quoique de peu de
« conséquence, s'est conservé jusquesà nos jours, et se trouve dans un
.< des carlulaires de l'abbaye'-'. " L'opuscule de l'abbé Pierre se trouve
en ellet dans le cartulaire dit de l'abbé (luillaunic (Arch. nal., LL
1026, fol. 289-293), avec cet explicit :
ilci- il gcslis Franroruin antiquis a^MiinpIa, pcr \ciu'ial)iltin autcm IVtrum Ar
Corpalayo, ahhaliMU istiiis rccicsio, coinpciuliosi' sunt compilala anno Doinini INl"
litTciitcsiino li'icpsimo.
Les notices, au nombre de douze, et dont trois sont desépitaphes,
concernent (llovis, Childebert («Hic jacet. . . ")'", (Uotaire, Chilpé-
ricf" I lie jacet. . . »), Clotaire H («Hic jacet. . . »),Dagobert, Pépin,
(îliarlemagne, Louis le Pieux '''\ Charles le Gbauve'^', Louis le (iros,
Philip]ie H (" Icf/HisiVo/- cognominalus »).
\j. Là.
Pierre \ idil, fhère i'HÈciievr, AsrHO\OME.
•Le nom de cet astronome peu connu n'a pas échappé à Echard ,
mais il ne figure dans les Scriptores Ordinis Prœdicatorum^^^ que sur
la foi du catalogue des manuscrits de Daluze, imprimé en 1719,
où Pclrus Vilalis est mentionné comme auteur d'un calendrier dédié
au pape Jean XXll'^'. Le manuscrit de Baluze est aujourd'hui à la
'' C'es[ à (]uoi s'esl intéressé surtout dom « ista cruce aurea per Childebertuni rpgem liic
l^oulilart. » reposita. » Cf. Dom Bouillârt, op. rit., p. 77.
' Dom Bouillârt, op. ci». , p. i5i. ' « Ludovicus Pius. Supra puteuni sacrarii. •
"' La nolicp de Childebert se termine par ' «Carolus Calviis. Juxta tumbam Ullro-
nnc pièce de dix vers. inc. : iFrancorum rer- » gothc regine. »
•■ lor prerlarus. . . » Suit (fol. ayo) le récit d'un '*' Tome II, p. .^37.
mintcle arrivé en 1061 : <• Nota miraculum dr '' Il n'est pas fait mention de noire autour
IMEURË \ IDAL. 025
Bibliothèque nationale, où il porte le n" 7/120 \ du tonds latin. Paul
Meyer, ayant eu l'occasion de le décrire, a donné un extrait de la
dédicace de Pierre Vidal et deviné qu'elle devait être postérieure de
peu à ravènenient de Jean XXII au pontifical'"'. L'étude directe
du manuscrit m; permet pas seulement d'être plus précis; elle nous
lait connaître les raisons qui ont décidé l'auteur à composer son calen-
drier et à le dédier au pape. Ces raisons sont d'ordre scientifique et
méritent d'être citées textuellement. Voici donc, avec le début de In
dédicace, la partie essentielle du prologue qui fait corps avec elle :
Sedfiis ciini ruliiciii ;id tronum graciu cjus rui iiomrn crat Jacobus piius '-',
nuiir autom, tim|)(M(' f^iacio, inorito Johaniu's est nomoii cjus XXII"', . . . , offero
ego, fiatfr tVtnis Vitalis, Onlinis Fratinim Predicaforum, et nomini ejus ascriho
lioc pifscns \oviim kalendanum, super Montempesulianuni ordinatum, per quod
duo magna limiinaria, >idelicet soi et luna, in suis iiiolibus, quantum ad aliquid, in
presenli teinpoie coiiiguntur, ad emendationem kalendarii Ecclesie Sacrosancle,
(lue*-", non hahens niaculam ncc lugam, nichil débet falsum vel indecens continere.
Quia igilur, I\iler Sancte, voseslis hi\ mundi et lucerna ardens et lucens super
eandalabiiun {sic) Ecclesii- situata, lumen cpinque ad illuminationem et gtoriani
plebis universalis F^rlesie Sanrte Dei, ideo ad vos patet pertinere diu ncclecta in
lucem producere, et piedictorum duorum iuminaiiuni motus eorrigere, per (pie
lesta Ecclesie mobilia siuun suscipiunt fundamentum... In hoc autem festo ''' et aliis
lestis mobilibus quandocpie Chrisli Ecclesia ab institutione Domini supradicta mu!
tum deviatet discordât, in subsannationem sui ab hiis qui loris suni, Judeis scilicel
perfidis, a l>o merilo reprobatis. Sic enim patuit isto anno Domini m", ccc". wm". ,
(|uia Pasca nostrun», «piod secundum predicla esse debuit in . 1 9". die marcii, célébra
lum fuit .•l'.V. die aprilis, distans aprimo termine per .,'56. dies, cpiod etiam»^* potesl
distare amplius in lulurum... Quamvis autem kalendarium Ecclesie Sacrosancle,
secundum tempus institutionis sue prime, bene extiteril ordinatum, hodie tamen,
propter correclionis'''' ejus incurian» et necligenciam, multum deviat ab astrologia
et sencibili {sic) veritate, \idelicetin equinoxiis atque solsticiis... et in motu etiam
lune..., nam hodie luna est jam .5'. quando ab P^cclesia pronunciatur esse prima, et ,
nisi in posterum corrigatur, pronunciabitur esse prima quando erit lumine tola
plena.
Ex quibus omnibus, l*aler Sancte, conveniens videtur valde et utile ut, prius-
([uam seneibilior [sic) error appareat in Ecclesia Sancta Dei, veslra ubiiibet vul-
gata discrecio provideat ut bec tanta inconveniencia boc tempore gracie per vos,
\icarium graciosum, a Cbristi Ecclesia extirpentur et, quantum comode poterit
dans l'article que Yflislolrc lltltinire a consacre ■' Ms. ; qui.
récemment à ce pape. ''■ La fôtc de Pâques.
'■' Roniinilii , l8()7, I. WVI, p. 2,36-23-. ^' Ms. : cccm ( = ccc/pjia).
<'• Ms. : /)/'(f/i»v. "' \]s. : coirectioneni.
79
llisr. LIITKH.
()26 NOTICES SUCCINCTKS.
lieri, sicut iii preseiiti s[c]edula jam factum est, atl lonj^a lenipoia kalendariiim
Ecclesie, expuigato lalsitatis fundameuto veteri, coirigalui' ' ...
Comme on a pu le remarquer, notre auteur indique la date de
l'année où il offrit son œuvre au pape : i 3i8. Montpellier servant de
hase à ses calculs, on est jîorté à croire qu'il résidait dans cette ville.
Son Novum kalendariuni pari de i 3 1 1 et comprend trois cycles de dix-
neuf ans ; le «canon» qui le précède explique comment, avec de
légères additions et corrections, on peut en faire un calendrier per-
])étuel.
Quant à la réforme proposée au pa|)e Jean AXll, on sait que, .si
elle ne fut promulguée (jue par Grégoire XIII, en 1682, elle pré-
occupa, depuis l'an 1200, JDeaucoup d'astronomes et de prélats
instruits, el que le pape Clément Vl fut sur le point de la réaliser,
en i345'-l Jean XXII ne paraît pas s'y être intéressé, à en juger par
le silence des documents relatifs à son pontificat. L'initiative prise
par frère Pierre \idal n'en est pas moins louable pour avoir échoué,
en son temps, et pour avoir échappé, dans le nôtre, aux érudits (pii
se sont occu])és de cette question.
Les procès-verhaux des chapitres provinciaux des Dominicains
mentionnent pour la première fois un frère « P. Vitalis » en 1 28 1 ; il
suivait alors le cours de ^tnluraIl(l au couvent de Perpignan'". iNous
le trouvons comme lecteur de logique à Marseille, en 1282, el à
Tarascon, en 1 280 , puis'*' de nouveau étudiant en ]\atumli<t à Béziers
et qualifié cette fois*^' «P. Vitalis de Montepessulano » , en 1284.
Il étudie la théologie à Montpellier'*' en 1287, 1288 et 1289, est
nommé lecteur de la Bible à Collioure'^, en 1298, et à Perpignan'**
en 129G, et passe avec le titre de lecteur en théologie à Arles'"', (mi
1299, au Puy'"", en 1 3oo, à Saint-Maxiniin'" , en i3oi, et à \u-
benas''^' en i3o2. Dans ce dernier emploi, il est appelé « P. Vitalis de
Montepessulano». Xous croyons que, dans tous ces textes, il s'agit
de notre auteur, sans nous dissimuler pourtant que l'existence de
C Ms. cilé, loi. M)i. '"' ll>itl., p. 3or>, 3i,i cl .îa/i.
''' \o'irP.W\hem. LcSysIéiiiedii l/o»(/e, I. IV '' Ilnil., p. ;5-'|.
(Paris, i9iG),p. Y-'y-^t-]- ■"' llild,, p. '\o\.
'^' C. l)ouais, Acid caf)iluloiuiH j)roviiniii- ''' llnd. , p. \?>{').
//h Ml... (Toulouse . I Xi|1 ) , 1 , 7 '18. ''"' Und. , p. 4â i .
<" Und., p. iGo e( ■■!f)8. <"' //./</., p. /iJfS.
!'l Ibid., p. -.77. !'-i Und.. p. ',(18.
RAIMOND BANCXL. 027
n?ligieu\ homonymes complique la question. J.e chanoine Douais
affirme qu'il y a eu vers la même époque trois Pierre Vidal dans
l'Ordre de saint Dominique: l'un de Montpellier, l'autre de Figeac,
le troisième de Carcassonne**'. En réalité, le texte auquel il renvoie
pour Pierre Vidal de Figeac porte « R. Vitalis», c'est-à-dire Raimond
Vidal, et non « P. Vitalis » '-'. Mais la -< trinité .- subsiste, car nous
trouvons un « P. Vitalis Caturcensem n chargé de lire les Sentences à
Gahors en iSaS'", lequel reparaît, appelé simplement «P. Vitalis»,
en i3>,6, avec le même emploi à Saint-.lunien '', en i3'i8, comme
lecteur de théologie à Limoux '5>, et, en i.^jg, conime lecteur de
Xnturaha flans la même ville ''^'. L'absence de mentions relatives à
Irère Pierre \ idal de Montpellier, à partir de i3o<, tient seulement
à c que les procès-verbaux des chapitres provinciaux de la nouvelle
|)rovnicc de Pro\ence, créée en i3o3, ne nous sont pas parvenus;
nous ne ])ossédons, en eftet, que les procès-verbaux de la ])rovince
de Toulouse, dont Montpellier ne faisait pas partie.
\. T.
HilMOM) BA\Clf., FRÈRE MISEVR, iSTROSOME.
Le n.anuscrit latin -j/iio a de la Riblif.lhèque nationale, copié
vers i333 dans le Midi de la France, contient, du folio Sy v° au
lolio (i3, un calendrier astronomique qui porte le titre suivant:
(lonjnnccwnes solis cnm lima sccundinn motus mcdios conim, secmdnm
maf/islruin H. Bamal[is], Jratrem Mmorum Onlinis.
Un peu plus loin, folio 7 1, se trouve un tableau résumé des phéno-
mènes astronomiques, suivi d'un exposé théorique et pratique de la
manière de s'en servir, et précédé d'une rubrique développée : Inciini
corrertio halemiarli Jacti a fmlre R" Vmmalis, Ordniis Minomm, et hoc est
ranon priml halendaru magistri Bancalls, ut patri In ipsa tabula et in
scripto seqnenli; et hic est regala de conjnnccwmbus mediis lune cum sole et
adsciendum nomina aspectuum cum temporibus scrtilis, videlicet tmjonic et
ihetrafjoni et opposicionis medie. Le texte débute par: Innovacinnes seii
'l-vércs Prêcheurs en G.nco^uc (Paris el ^'i Bibl. „at., lai. .V,8- (copie du ms. 'm,,
Auch, ,885),p. 91). dcToulouse), p. 8-..;j. '
Bibl. de Toulouse, ms. /.go, fol. 387 ' Ril.l. n.it., I.il. .,',87 p 86a
eommunuation de .M. F. Galaberl). ) //,,,/ ,, H-., '
:^' /W.,foI. 1/,6. ■' I- / ••
79-
028 NOTICES SICCINCTES.
conjuncciones lune cuiii sole, et se réfère aux célèbres tables de Tolède.
C'est un manuel qui n'olïre rien de personnel. Comme l'auteur prend
pour base l'année i3io, il est certain qu'il vivait au début du xiv'
siècle. Paul Meyer a signalé les deux opuscules dans la description
([u'il a donnée du manuscrit latin 74 20 a''*; il déclare qu'il ne possède
aucun renseignement sur l'auteur. En tenant compte du lait que
l'œuvre de frère Bancal a été utilisée par maîti-e Etienne Arblanl, et
connue d'un anonyme toulousain qui a commenté Arblant, comme
on le verra dans l'article qui suit, on peut conjecturer que ce reli-
f^ieux appartenait au couvent de Toulouse.
A. T.
Maître Etienne ARBLi^T, astroi\ome.
Aucun bibliographe n'a enregistré le nom de cet astronome. Tout
ce que nous savons de lui nous est fourni par le manuscrit 2872 de
la Bibliothèque de l'Arsenal, où est transcrit, du folio 6 1*^ au folio 6/4'',
un commentaire français d'une de ses couvres dont le texte, proba-
blement rédigé en latin, ne nous est pas parvenu. Le commentaire
lui-même semble êlre traduit du latin. Il débute, sans titre, par ces
mots: Car science meduinul la ihsposicwn de l'aeir consi[de]re, la canse de
les disposicions de l'aeir, ce sont les corps celestiauh, ainsr corne est dit au
premier livre de Melaures '"-'. Et nous ne le possédons pas en entier,
car le scribe s'arrête sur cette remarque : Ci def/aut le kalendier susdit;
Cl recoure:: nu halcndier la /iorn<?''''.
''' Romnn'ui , i^i)7, I- XWI, |). ao^l-'ij'i. de rAcadémie des Irise liptioas, séance du
\os citations sont faites d'après le manuscrit, ri février i8()(), p. uioi ). Cette communica-
et non d'après les evlraits publiés par Paul lion a échappé à Picire Duhem, qui a con-
Meycr. sacré un ^rand article à (Guillaume de Saint-
*'' .Sic, pour Afclcaii--, ouvrage attribué à Cloud, dans son ou\raf;e intitulé: Le iSys-
Aristote. lèine du Monde, t. 1\' (Paris, 1916), p. 10-
'^' Il s'agit du calendrier dédié |ku' Guil- ii). Duheni ignore aussi que Guillaume de
laiinie de Salnl-Cloud à la veuve de Philippe Saint-Cloud, après avoir offert à la reine-
le Haixli, Marie de Brabant; voir Histoire litlc- mère son Calendriev rédigé en latin, en fit une
mire. t. \XV, p. &'.S--^!i. Nous saisissons cette version française pour la reine Marie de
occasion pour compléter ce qui a été dit ici Champagne, femme de Philipjie le Bel, morte
(le ce célèbre astronome. Dès l'apparition de en i3o5. Celte nouvelle forme, importante
notre tome X\V, D' Vvezac signala dans le pour l'histoire de notre langue, est con-
ms. 1037 de 1 Arsenal l'existence de son tenue dans le ms. ,^.>'i de l'Arsenal ( voir H.
))etil Irailé intitulé: Clililas insiriimenli qitod Warlin , Calai. de:t iii>'. de I Arsenal , iSSô, l. \" ,
Dircctoriuni tifipcUitliii voir les Coiiiples rendus p. 3((/i-o<)r), où rien ne fait soupçonner lefail.
NICOLAS DE lA IIORBK. 02<>
Voici ce qui y est dit sur le compte de maître Etienne Arblant:
Entre les autres auctors le quel soufisaninenl, et non supi'rllue[uieut] , legiere-
ment et exemplairement, traicta'" du soleil et de la lune tant quant à mire en appar
lient, fu maistre Esti{eiin]e Arblant, le quel fu compilaire de ceste Roe, de la quelle
exposicion (en l'aide de Dieu devant mise) de ehaseune entend à bailler en lettres.
Et di bien: compilaiie, <(uar il ne fit pas le kalendrier, mais le fit fi-ere Raymon
Bancal'"^', de l'Ordre des Meneurs; et le rémanent fisi le devant dit maistre Estienne
en son Qaadraii, et en eeste figure le conq)ila... Le tytie est til : ('/est lu Iloe à savoir
In conjonction et ladislanre dn soleil et de la lune... '^'.
Un peu plus loin, à propos du caleudrier, le commentateur précise
la date: « Ce kalendrier fu fait en l'an que l'en comptoil mil cccx. » El
il ajoute bientôt : « En l'an présent se compte par la Incarnacion
Mcccxxxv. o H est donc établi que c'est entre ces deux dates, i3io et
i335, que maître Etienne Arblant coujposa le seul ouvrage qui ail
porté son nom jusqu'à nous. Le commentateur était de Toulouse,
assurément''''; mais cela ne suffit peut-être pas pour que nous assi-
gnions la même patrie à notre auteur.
A. T.
Nicolas nn La IIohhe, rR\Di<:rh:in.
Le manuscrit 291 1 de la Bibliothèque de lArsenal, flu w*^ siècle,
contient la traduction, en français, de traités astrologiques et météo-
rologiques, dont l'autetir, qui les écrivit ou latin au xiii*" siècle. Gui
Bonati, de Forli, est bien connu. Il y a six parties : I. « Introductoire >>;
IL «Interrogations»; III. «Elections»; IV. «Révolutions»; V. « Nati-
« viles»; VI. «Des pluycs et mutacions do l'air. . . »'-''. Le manuscrit
est mutilé au commencement, à la fin delà pn-niière partie, et après
les lignes initiales du chapitre xi. du premier traité de la sixième
partie, laquelle en comportait trois.
que nous signalons d'après l'élude directe du ' \ oir la notice précédcnip.
manascrit). Un autre exeniplalre du Calendrier ''' Ms. cité, loi. 62".
de Guillaume en français se trouve dans le '*' Cf. ms. cité, fol. 6o:«Kt se est vrav à
ms. 5^3 de Rennes. Toulouze. •
''' Une syntaxe plus rigoureuse deman- *■■' La traduction a été laite d'après un ma-
derait lesquels... traiclereiil : mais l'anonyme, nuscrit analogue à celui des œuvres de (îui
né dans le Midi, manie assez gauchement le Bonati qui porte aujourd'hui, .i la Bibliolh(-<]ue
français. do la Sorhonne, le n' 5<(A (xix' siècle).
(VM)
NOIICKS SK.CINC'I'KS.
Uejfplicit (le la |>reniièi'e partie a disparu, mais on lit encore à In
lin de la seconde (loi. iô6 \") : < Cy fine la translation de la 11' partie
"de ce livre, laquelle fusl terminée par ledit Nicolas de La Horhe
" le quinziesme jour de décembre l'an M CCC W \ II ".
\u tome XXIV (p. 'j85)de Vfhstoirc littéraire, nos prédécesseurs
ont mentionné en passant la traduction de Nicolas de La llorbe. Ils la
connaissaient par une noie des Bénédictins, conservée dans les ar-
chives de la Commission, d'où il ressort (jue I). Prospcr Tassin, reli-
«•ienx de Saint-Ouen de Rouen, avait comminiiqué à ses confrères,
continuateurs de D. Rivet, la description d'un manuscrit conservé au
wiii" siècle dans «la bihliolliéque de M. 1' \iclievêque, m(''decin à
" Rouen ». (Jr celte description s'applique de tous points au manuscrit
de l'Arsenal (j<'idis à M. de Paulmy, d'apiès le CiitahHjue imprime
de ce dépôt). Il semble donc (ju un seul exemplaire de rouvra<,fe de
Nicolas de La llorbe ail été jusquà présent signalé.
Il y en a un autre à la Ribliotlièque de \ alenciennes, sous le
n".i4^; d es! aiissi i\\\ w* siècle et incomplet'' .
La librairie de (lliarles V, si riche en livres de ce genre, ne
possédait les œuvres de (lui Bonati (pieu latin i^.liulicia stillariiin .
m" (')(')-; Dr pliiriis, u" 77'S).
C. L.
Ah\oii. HE ()i i\oi h:\ii'Oi\ , \ii':Dh:(:i\ i:r isrnoi.ocLE.
Arnoul de Quinquempoix ' est le seul des nombreux médecins
attachés au service de Philippe le Bel et de ses (ils dont l'activité scien-
tilique nous soit al lestée ". Il tirait vraisemblablement son nom du
'' i'c.ijtlicit (le; Li Sciniiili' [lailli' e>l ;iiiisi
«DiKii (Iniib le lus. ili; \ aionâeiines : "... la-
(Miclle lu teiiiiifit'C par ledil Mcolasdo Bchoil)c
le xv' jiiiir (1p <lcr(Miil)ie l'an mil cci.r.wxii. .1
'"' Menlionné par nos iiri'drresscurs, sans
ivftTence : « Ernoul Qniquc'in|)nisl, citTr» ( Ilis
Iniie lillérnire, I. WIV, p. '170). Pour son nom
lie famillf, nous adoptons l'orlhographc olli-
< icilc (lu village au(|u('l nous le rattachons,
inalgn- son jx-u (lo l'ondenicnl étymologique; la
forme |)rin)itive est en cfTet ('iiKfHenpoUl, pour
('»(' qu'en pohl . sorte de t\H\ signifiant ; • V qui
(|u"il en p(''se». I,es doiMun''iils du lemp». I .ip-
pellent hniilpliiis île <)aiijucupvil , en i.'lici
. Aich. nat. , .IJ /|5, n° i4i ) > ^rnalj'us de (Juin-
ijuiiipoist , en i3l5 (l.udcuig, [\eUqui(V iiwiiii-
scriptoruin , t. XII ,p. (}"]), Ailciiulpliuf de (Juin-
qncmpni.v , en iS'iG (J. Viard , Joiiinniii ./»
'l'iesor de (,'liinles IV le Bel, n" 10216;.
''' Notons en passant que le ms. 1 io de la
Bibliothèque d'Avranches, qui vient de niailic
.leaii Mellequin, uoun a conserx- deux ordon-
naiia's, en latin, de cet autre médecin ro>al.
loi. ao8 v°; cl. Vdidl. ijèn. des mss. des hilil.
lie Fi lime, t. X, p. .'>5. D'aolro part, c'est san>
Inudement cpi'on a l.iit de maître .Vrmen^^aud
AUMHL 1)K Ol IMH I:MIM)|\. 031
\iHa<;e de Ouinqueiiipoix, canton de Sainl-Jast-en-Cliaus.sée (Oisej,
auquel une rue de Paris doit égaleineiil le sien, plutôt que d'un
villaji^e homonyme, situé dans le canton de l'ormerie, arrondissement
de Beauvais, qui s'écrit oniciellement (Jnincampoix, ou de toute autie
localité désignée par le même vocable" .
Nous ne saAons rien de ses éludes ni de ses débuts. Quand il nous
apparaît dans les documents, il est dej)nis longtemps attaché à la
cour : le 3o mai i3o4, en récompense de ses services, il obtient de
Philippe le Bel une rente à vie de loo livres -', et, le 27 juin i3 10, une
rente héréditaire de .)o livres sur le Trésor ". Sous Louis \, nous le
voyons en service, à raison de quatre sous par jour, pendant onze
jours seulement, échelonnés de juillet à novend)re 1 3 1 5 ''. Naturelle-
ment, il a des princes dans sa clientèle : le 1 .) juin iSiy , la comtesse
d'Arlois et de Bourgogne, Mahaut, donn(> ordre de lui payer huit
livres parisis, « pour ce qu'il s'est pris garde de llobert, nostre (11, qui
« estoil malade» '. 11 reste en faveur sous Philippe V. Par lettres
datées d'Amiens, en juillet i3:<o, le roi l'auforiscî à tenir noblement,
en arrière-fief de la couronne, sans pa^er de finance, une rente en
terres de vingt-tjuatres livres, acquise de Jean de Coudun, chevalier,
à Clairoix, près de (lontpiègne''^''. Nous retrouvons son nom dans les
Journatix du Trésor de Charles le Bel, mais une fois seulement.
Un document coiuptable, du 1" décembre i3'j(), établit que maître
Arnoul avait alors cessé de vivre et ((uc sa uiort est postérieuiv
à i3 ■
■>. ]
(71
Un manuscrit du \i\' siècle de la Bibliothèque nationale nous a
conservé, en l'attribuanl à notre auteur, la traduction d'un o|)uscule
BLiise, (le Montpellier, un iiu'deciu de Philippe Maçon, /.(( liltc tir Clninlilly , Seuils, i ()o8 ,
le Bel lllisloire lillcniirc , t. XXIV, (). 470 el p. 4).
/171 ;ef. iTiiW. , I. \X\'III, p. loi ). — Auxœuvres '"' I.eKre tianserile dans le Litre lOitiie .
<!'Aini( iigaud énumérces par nos de\ancieis d<! la Cliainlire des lomples, n" 73l delait--
il faut ajouter deux versions, faites d'après lilulion de ce ie<;islre par Cli.-V. Langlois dans
l'arabe, d'opuscules de fîalien, celle des (îùo- les I\utiies et extitiils des ntaiiiiscrils, t. XL,
;ioniif(/ et celle du Liif ; tie ttujnititmc prapiittruin |). .'>.')(>.
tivfecliitiiit el vitioruii) ; celle dernière est datée ''* Arcli. iiat.,.IJ 45, n° i4i • CI. la restitution
du i4 août 1299 ( nis. 5i de la Bibl. de l'Aca- du J.'nic loiit/c , n" r)()G.
demie de médecine, loi. aa3 et 227; cf. CataL <*' Lude«ig, ouvr. cité.
(/rà. (les mss. des bibl. île l'niiue, Paris, t. I", '' J.-M. Richard, Mtiltitiil , coiitlrssr tl' \iliiis
1909, p. 367). cille l'tiiiiiiioiiiie , 1877, p. i5.^, note 2.
''' On sait que la ville de (iliantilli a eu pour '''' Arch. nal., J.l ^9, n° 45 '•
noyau un hameau de ce nom, qui di'pcndait '■ .1. Viard, ouvr. cité, n* io5i6.
en 1380 de la paroisse di- Gouvieux (Gustave
(.;i2 NOTICES SLCCINCTKS.
astrologùjue d' \II)uinasar. Elle est précédée de la ruhri([ue suivante :
Chi commcnclic Alhnmacor, Des dédions selonc les regars et les conjonc-
tions de le lune as planettes par les l"2 signes; et llernoiis de QuKjaen-
poir (sic) les translata ''. Le début correspond exactement à celui
d'une version latine contenue dans le manuscrit latin 7435 de la
Bibliothèque nationale, folio i-3'i , comme on ]>eut en juger par ce
tableau comparatif :
l)i\it Albuniazai' : Plaïuit niiclii, iiiler (.lie ilist Vlbuniar.ar : Entre les autns
cetera voliiiiiina qui' (II' signorumjufliciis livres que j'ai fais des jugemens des si-
il planetaruui composui, de eicclionibus gnes, il me plet à dire aucune coze des
aliquidexplicare... (Bibl. nat., lat. -iiSS, tiections de le lune (Bibl. nat., J"r.
loi. i). (il 3, fol. .'(.■)).
Mais les tables, (|ui consliluent l'essentiel de l'opuscule d'Albumasar
et qui occupent les folios 4-32 du manuscrit latin, ne figurent pas
dans le manuscrit français. Klles manquent aussi, semble-t-il, dans
une aulre copie de la même traduction donnée comme anonyme pai-
le manuscrit liegin. lat. i337 du Vatican, (|ui est du w*" siècle'-'.
Le roi Charles V possédait un manuscrit, aujourd'hui perdu, qui
contenait une aulre traduction française dont l'initiative, sinon l'exécu-
tion, V élait attribuée à maître Arnoul. Ce manuscrit est ainsi décrit
dans l'inventaire de (lilles Mallet, rédiifé en i373 :
s
Mkindus de inihiibiis et pliiviis en latin, cl avec la Rédemption des fis d' Israël , i-n
un volume rouvert de parcliemin, que fist translater de ebrieu ru franrois, à Paris,
maistrc \inoul de Oui<|uanipoit..'-".
Des personnes versées en bibliographie hébraïque, que nous avons
consultées, estiment que l'ouvrage dont il s'agit ici ne peut être que
le Séfèr ha Geonllali (ou «Livre de la Rédemption «) de Moïse ben
Nahmi, traité relatif à l'époque de la venue du Messie, où l'auteur a
répété et développé les idées qu'il avait exposées dans la fameuse
controverse de Barcelone, en 1260. Le te.xtc hébreu de cet opuscule,
antérieur à 1270 — puisque Moïse est mort cette année-là — a été
souvent imprinu'.
A. T.
'' Bibl. nat., Ir. 6i3, loi. i43' laiic. 11' 7095; ri'. P. Paris, Manusrrils friinçois, t. V, p. ao4-
21)5). — •'-■ Notices cl edtniits. 1879, t. Wlll, j' pallie, p. iM. — '* L. Delisle, Reclieniies
sur la Ubidiiie de (huiles V, partli- Il (Paris, 19')-), p. 127, 11' 777-
ANONYME, TRADUCTEUR DES «LETTRES \ UUCILIUS". 033
Anonyme italien,
AUTEUR d'une TRADUCTION FRANÇAISE DES LETTRES DE SÉNÈQUE À LuCILIUS.
Le manuscrit français 12235 tle la Bibliothèque nationale et le
ms. add. i5434 du Musée britannique, tous deux exécutés en
Italie au xiv'' siècle, contiennent, sous une forme tout à lait pareille,
une traduction française des Lettres de Sénèque à Lucilius, qui a été
si<^nalée pour la premièi'e fois, en i84o, par Paulin Paris, d'après le
manuscrit français 12 235 *'*, et dont Paul Meyer a parlé avec plus de
détails au Congrès international des sciences historiques tenu à Rome
en 1 9o3 ''^'. Le traducteur n'a pas fait connaître son nom , mais il nous
apprend, dans un intéressant prologue, par qui il a été sollicité
d'entreprendre celte tâche. Voici ses propres termes :
Por ce que cil qui les translata ne fu pas tle la langue françoise, ne de si haut
enging ne tle si parfonde science corne à la matière afiert , il s'escuse ii tous coulz qui
1 uevre verront que il ne le blasment se il a failli en aucune part tle la propriété de
la langue ou aus sentences de l'aucteur, et leur prie humbleiuent tjue, par leur
bonté et par leur franchise, l'en vueillent corrigier et amender en l'un et en l'autre.
Car il confesse bien que ce fu trop grant presumplion d'emprendrc si haute chose à
translater; mes il ne le fist pas de son gré, car misire Bartholomy Singuilerfe (sic)
th; Naples, conte de Caserte et grant chambellenc du roiaume de Cezile, l'en pria et
li commanda '".
Le grand seigneur dont il est question dans ce prologue apparte-
nait à la famille Siginulfo. Il est bien connu des historiens. Après avoir
été le favori du roi de Naples Chai les II d'Anjou, dont son frère
Serge fut grand amiral, il tomba en disgrâce comme soupçonné
d'adultère avec la première femme du prince de Tarente. II réussit
toutefois à se disculper ; mais, après la mort du roi, il se vit
condamné par contumace au bannissement et à l'amende, comme
convaincu d'une tentative d'assassinat sur la personne même du
prince de Tarente (3o décembre i3io), et ses biens furent confis-
qués. Réfugié auprès de Frédéric d'Aragon, il mourut en Sicile, vers
''' ^{anusc^its français, I. III, p. 3o5- trouvera dans le mémoire cité les références
307. que nous ne donnons pas ici.
''' Atti del Congresso internazionale di scienze '^' Bibl. nat., fr. i2a35, fol. i (loxte publié
storiche, t. IV (Rome, 1904), p. 37-40. On par P. Meyer, revu par nous sur le manuscrit ).
HIST. I.ITTKR. XXXV. 8o
03/1 NOTICKS SLCCINCTKS.
i3i("). Gomme Barthélemi Siginulfo ne devint comte de Caserte cinc
le 3o ,septeml)re i3û8, nous pouvons avec vraisemblance dater
notre traduction de i3o8-i3io.
Le traducteur nous dit qu'il n'est pas » do la langue françoisC";
il. faut donc voir en lui un com])alriote du comte de Caserte
Bien rares sont les Italiens du Sud qui ont écrit en français au
moyen âge, malgré les circonstances politiques rpii amenèrent à
régner dans cette région les Normands, au w" siècle, et les Angevins,
au XIII''. Paul Meyer déclare que notre traduction est le seul ouvrage
français composé dans le royaume de Naplesqu'il connaisse '', oubliant
([u'il avait admis comme j^robable l'attribution à l'Italie méridionale
d'un autre traducteur qui, à la demande d'un comte de Miliircc non
identifié, a fait passer dans notre langue, vers la fin du xm' sièclo,
les cbroniques d'Isidore, d'Ikitrope, de Paul Diacre et d'Aimé du
Mont-Gassin*"'. Il (^st certain que le tiaducteur qui travailla pour le
comte de Mihtrée était un Italien du Sud, et qui savait fort mal
le français '■''. En revancbe, celui à qui s'adressa Barlbélcmi Siginulfo
possédait bien notre langue, et les italianismes sont relativement rares
sous sa plume. 11 est d'autant ])lus regrettable que sa tradurlicm des
Lettres à Lucilius n'ait ])as été ccninue dans notre ])ays, où la lifte-
rature en langue vulgaire dut attendre jusqu'au règne de Gbarles \
pour s'enrichir d'un ouvrage authentique de Sénèque, le De rcincdti.i
/nrliulnnun , mis en fiançais par Jaccpies Bauchant'''.
C'est dans une autre direction que l'œuvre de notre anon^ me trou\a
de l'écho. Le roi Martin 1 ", qui régna sur fAragon et sur la Sicile et
mourut en i ^oij, possédait dans sa bibliothèque un manuscrit, aujour-
d'hui perdu, qui contenait les « Lpistolas de Seneca en siciliâ »''■. Il est
vraisemblable que cette version sicilienne dérivait de la version fran-
çaise exécutée dans les circonstances que nous avons rapportées et
(lue l'exil de Siginulfo dut faire connaître en Sicile. Ce qui est certain,
en tout cas, c'est que l'œuvre de notre anonyme a servi de base à
''' Alli cités, p. ()."). '" 0. Dflarc, ïsloiic de /i A(i(m'i»( i noiii'ii .
'■' Iliid., p. 83-9'i. Hap|iclons, en passant, 189'! ), p. xlii et suix.
(pie l'idenlification d'Aimr du Mont-d.issin '*' L. Delislo, l\cvhcnhei fiir lu libmiiic de
avecAmal, archevêque de Bordeaut, admise Charles V, 1" paiiic, p. 88-()i; cf. Hi<toiie
par nos devanciers [Histoire lilléruire, t. I\, littéraire, l. WIV, j). iH-'..
p. aa6) est erronée ; cf. A. Molinier, Sonnes '*' Milà v Konlanals, l'ronulircs en LfjiiiHn
de l'histoire de lùmirr. n°" 1000 et '!()7'2. (Barcelone, 1861), p. 'kjo.
GEFROJ DE PICQUK.M. 035
une version catalane dont la Bibliothèque nationale possède un bel
exemplaire manuscrit du xv" siècle, le n° 8'j du fonds espaj^nol. Le
titre le proclame en ces termes: Lo libre de Seneca de les Epistoles
fjuc el trames a Lucill, Iransladades de lali en frances , e piiys de Jranccs
en catluda. VA l'étude du texte catalan confirme l'assertion du titre'''.
\.T.
GeFROI de PlCQLIGM,
AUTEL R iri'NE EXPOSITIOS FRANÇAISE SUR LE \0UiEAU TeSTAME\T.
Le manuscrit i i du fonds latin d'Urbin de la Bibliothèque du
Vatican, exécuté par le scribe Pierre de Cambrai, qui en termina
la copie le iS janvier 1822, et orné de miniatures, nous a conservé
une Exposition française des Evangiles, des Actes des \])ôtres et de
l'Apocalvpse, dont l'auteur, nommé Ce/rot de Pinkcyni, a tenu, lui
aussi, à préciser le jour où il mit la dernière main à sa lourde tâche
(notez que le volume contient 425 feuillets, à deux colonnes de
5 1 lignes), lequel jour fut le lundi 24 août 1 82 1 . Ce qui est pluspré-
<ieux, c'est que Gefroi nous fait connaître le nom du personnage pour
((uiil s'était mis à l'œuvre; il nous dit, en ellet, qu'il " travailla à la
« requeste, pétition et amonestement de magnilique et excellent sei-
' gnour Ferrantin de Maletestes, fdl du boneureus et renomé baron
" Vlaletestin *-' ». Ainsi donc il est avéréque, trois semaines avant la mort
de Dante, le français affirmait son prestige en Romagne, vrai-
semblablement à Himini, à la cour même de la célèbre lamille des
Malatesta. L'auteur se persuade que Kerrantin «avait receu du conseil
«du Très Haut, par inspiration ou par commandement, de devoir
« faire translater ceste gioriouse oevre en language franchois pour la
«commune utilité de tous». Son nom, où l'on ne peut hésiter à
reconnaître celui de la ville de Plcquigni, sur la Somme, et la forme
même de l'adjectif /ranc/jofs témoignent de son origine picarde. Mais
les courts extraits qu'on a publiés de cette œuvre nous causent
quelque surprise. Il est manifeste, en effet, que son « franchois » est
'"' A. Morel-Fatio, ('(ilaloijue des niss. espa- moyen àijc (Paris, i88/i), p. 267-268; r(.
ijnols el portuyais (Paris, 1892), p. 3o; cf. K. Langlois dans Nolices et extraits, 1889,
llitioire littéraire, t. XXIV, p. 543. t. XXXIII, ■>.' partie, p. 2(j^-■i()^^.
'*' Samuel Berger, La Bible française an
ao.
fi30 NOTICES SLCCINCTES.
éinaiHf d'ilalianisnies, ce qui ne peut s'expliquer que par un long
séjour à Rimini ou dans quelque autre cour seigneuriale de l'Italie.
Ce n est pas à Picquigni (ju'il a appris, par exemple, à donner au
verbe mettre le participe passé barbare we^u''', à dire com pour
«avec»'^', cime pour « punaise «'''^ laborier pour « travail »'''', etc. En-
registrons seulement ce curieux phénomène d'hybridilé linguistique,
dont l'étude approfondie ne saurait trouver place ici. Nous ne
sommes pas non plus en mesure d'apprécier, dans ses rapports avec
l'exégèse sacrée, l'œuvre accomplie par Gefroi de Picquigni, car elle
attend encore un éditeur. Nous étions seulement tenus d'en signaler
l'existence '^l
A. T.
A\0!\YAtK,
AUTEUR d'une EmiORTATIO.S DE CIRCONSTANCE À LA CHARITÉ.
Un contemporain a écrit sur les deux derniers feuillets du manu-
scrit 782 de Rouen, qui vient de Jumièges, une pièce en vers latins
et français alternés, composée pour inviter les riches à venir en aide
aux pauvres gens, lors de la famine de i3 16. Douze couplets de huit
vers octosyllabiques sur deux rimes. Inc. :
En l'an de l'incarnation
Assiint tresdecim cum tribus...
Cette pièce a été publiée par P. Meyer dans le Bulletin de la
Société des anciens textes français, t. \X\III ( 1907), p. 54-56.
CL.
AXONYME,
AUTEUR DU a Dit des Moustiers de Paris».
11 v a sous ce titre, dans le manuscrit fr. 1 2483 de la Bibliothèque
nationale, une énumération versifiée des éghses de Paris où le culte
'"' «A>onsnon8 metu a exécution » (S.Ber- ^'- Les seigneurs d'Esle possédaient, en 1 437,
ger, p. u66). un manuscrit analogue à VUrbinas lai. >i, à
'*' Ibid., p. 367 :• comm humle révérence. • moins que ce ne soit ce manuscrit lui-même
'^' Ibid., p. 368: «ois maistres qai créa le qui figure dans leur catalogue; voir Romania ,
bueftist la iiHit' antressi. > 1889, t. XVIII, p. 397.
'* Ibid.: tMon /(i')o/ier feni.»
ANONYME, AUTEUR DES « LXXIl BIAUTES ». (i;^7
était public quand elle fut dressée'^'. Elle a été publiée deux fois*"^'.
Pour de bonnes raisons, H.-L. Bordier a daté ce petit poème fies
environs de i325'-".
L'auteur avait antérieurement composé un opuscule du même
genre, où il avait, à son dire, « fet mencion des églises ou devocion
" est plus monstrée qu'en autre lieu ».
Il avait entrepris celui-ci à la requête d'un mécène :
Un gentilhomme m'otroia Que trestous les moustiers meïsse
Son hoslel, et si me proia De I^aris en rime et en dit.
(Me je, pour s'amoiir, tant fcisse
Notons que l'anonyme n'est pas si dévot qu'il ne se laisse aller à
parler, en passant, du bon vin des Cordeliers '''.
Saint-Magloire est, naturellement, mentionné (v. 191); mais rien
n'indique que l'auteur se soit intéressé particulièrement à cette église,
pour laquelle certains rimeurs ont, comme on sait, travaillé à cette
époque.
C. L.
Al\OI>JYME, AiTEiR DES uDl\]SIO.\S DES SOIXANTE ET DOUZE BIÀUTÉS
QUI SO.\T Ei\ DAMES ».
Ce qui vaut à cet anonyme l'honneur d avoir ici une notice, c'est
qu'il a daté le seul poème qu'on soit en droit de lui attribuer (Bibl.
nat,, fr. 24432, fol. 245)^*'. Bien d'autres pièces du même genre,
voire sur le même sujet'''', parce qu'elles sont anonymes et sans date,
ne sauraient être ainsi isolées de la masse énorme des petits poèmes
du xiii' et du xiv" siècle.
Les M Divisions » se composent de seize douzains de vers octosylla-
biques, du type xxxvi de G. Naetebus. Il y a, en outre, une sorte d'in-
troduction et, à la fin, une manière d'envoi, qui donnent d'une
'"' Not.etexlr. (les man., i.WlX, 2' ^. p. b^3. '"' Celte pièce n'a pas été réimprimée depuis
<^' Voir A. Lângfors, Les incipil des poèmes Méon, Nouveau Recueil de fabliaux et contes,
français, p. 423. f. 1" (Paris, iSaS), p. 407.
''' H.-L. Bordier. Les églises et monastères de '*' G. Naetebus (Die nicht-lyrmhenStroplien
Paris (Paris, 1 856) , p. aS. formen des Altfranzôsischen. Leipzig, 1891,
'*' Cr. la Chronique de GelVoi de Paris, p. 1 14) en cite plusieurs.
V. 682,"),
ù:\8 notices SICCJNCTES.
façon lorl obscure quelques notions sur les ciiconslances où celle
composition fut bâclée :
L'an de grâce mil c liois cens Ei» ce! temps lu et a cel jour
Et trente deux fui je tracens, Que chevaliers iu Jehan de France'-'.
A Eucerre, compaignons queire, Lors me souxint esire en souflrance
Por eulz compaignier et en(|aerre D'une excusacion a faire . . .
Des de<luis, car iere a séjour ".
L'envoi final est à l'adresse de
Micliiau, del e\esque porlier
D'Aucerre
L'auteui- dédie sa pièce descriptive des perfections physiques de
sa dame, qu'il déclare diijnc d'être reine « entre les dames de Paris »,
à ce « Micliiau », compagnon de la joyeuse comj)agnie qu'il était allt-
chercher à Auxerre. Il semble dire que la matière lui en avait été
fournie par un troisième compagnon de celte même compagnie, (|ui
est nommé par deux fois: « Bertaut de Chastcillon », « serganl le roy "
(v. 23/|), faiseur d' «exploits» (v. aS). 11 est dit, énigmatiqncmeni ,
de ce Bertaut, pour rimer avec «argent», que «il art gent » (v. 28).
On est donc là dans une société de condition très modeste, dont il
n'y a aucune chance pour que les membres aient laissé des traces
dans les archives. Nous ne savons rien, en effet, du sergent Bertaul
de Chàtillon''* ni de « Michiau », porlier de l'évêque d'Auxerre.
CL.
/(i/wov \ii>\i., \iiKVH d'un I'OÈMH: e\ i.am.ve doïl.
H ne faudrait pas conclure du fait que La Chace des mesdisans,
poème allégorique en français, de 760 vers environ, daté de i338,
ligure dans Les « Incipit » des poèmes français antérieurs aa x\ i' siècle de
<') Ms. cl éd.: I. jeté a ce jour». Paris, 18G0, p. 379), séduit par l'homopho-
''' Les i'èles de la chevalerie du prince Jean nie approximative de «Bertaut » et de « Bretex »,
eurent lieu à Paris le 29 septembre i.iSa a hasardé, sans l'ombre d'un autre motif, que
(Chronique anonyme, dans les A/cmoiV« Je /(( les « Divisions des .LXXII. biaulez » sont «un
Soticlé (le l'Iiistoire de l'aris, t. \1, p. i5o). souvenir» de l'auteur du Tournoi Je Cluiuveiid
''' A. Dinaux [Les Trotivèics hnibançons. 1285).
UVIMON VIDAI.. iVM
\. Lan"-for.s''' avec la seulo indication qu'il s'en trouve deux copies
dans le manuscrit français j^/lJa, ([ue ce poème est anonyme et
inédit. L'auteur s'appelait « Remon Vidal» (v. 68). Le poème a été
publié par M. Alfred Mercier dans les Annales du Midi (t. VI, 189/»,
p. A68-/,93). ,
On ne sait, du reste, de l'auteur que son nom, trop répandu
pour ([u'on puisse espérer de l'identifier avec un des Raimon Vidal
dont il y a trace dans les chartes (l'alors. Mais il résulte de sou poème,
où sont mis en scène trente-cin([ personnaj-jes identifiables, qu'il vi-
vait, sans doute en qualité de ménestrel, à la cour des grands sei-
gneurs de la partie occidentale du Languedoc, sans doute à celle de
Fa maison de l'Isle-Jourdain'- . Les personnages qui étaient, sem-
ble-t-il, à la léte de la société où il fréquentait, tous plus ou moins
apparentés, sont le comte Bertrand de l'Isle-.lourdain et son trèrc
(iaston; le comte Gaston II de Koix; Constance d'Aragon, femine de
.laime H, roi de Majorque; Béatrice de Clermont, comtesse d'Arma-
gnac et de Rodez; "Marguerite de Poitiers, fille d'Aimar de Valen-
tinois, vicomtesse de Beaumont; Marguerite de Gonlaut; les deux
s(Burs Algaie et Catherine de Talairan; Rosemburge, fille d'Klie de
Périgord et femme de Pierre de (irailli, vicomte de Benauges; etc.
Le sujet du poème, dirigé contre les médisants, si nuisibles en
amour, est un lieu commun des ménestrels de cour. Mais il est, ici,
assez ingénieusement présenté. Un seigneur, cent ans auparavant, a éti-
métamorphosé en sanglier par le Dieu d'Amour, en punition du mal
(pi'il a fait par sa mauvaise langue. Raimon Vidal, invité par (laslon
de risle-Jourdain, qui l'appelle son " cher ami »,suit la chasse à courre
que mène, le 1*' mai i338, une compagnie de dames et de gentiLs-
hommes, avec une meule de chiens dont les noms sont symboliques
(Belacueil, Leesse, Biaumaintien, Dousregart , Privé, Doutance,etc.).
A la fin, le sanglier est tué et on le coupe en morceaux, qui sont pré-
sentés aux dames:
-'i 'i. Or esl mois, rom povez vcoir; VA lY \rinigiiac, qui ce voûte/..
Aussi fussent tuit cit qui sont '. A touz vos pooirs les tuez... ''
Et vous, int'sdames de BcaumonI
C T. 1" (Pari^, 1907, |i. 5i. — '"' Cf., i>las haut, l'articlo consacra a Guillaume ilu Cun.
— '^ Annales du \liili . I. c. , |). 'lyj.
(i'iO NOTICES SICCINCTES.
Cette composition, tout à fait de la même veine que celles de \\a-
Iriquet et de Jean de Condé, offre de l'intérêt surtout parce qu'elle est,
suivant l'expression de l'édileur, «le ])lus ancien texte littéraire
« écrit en français par un homme du Midi de la France » qui ait été
conservé. Il vaut la peine de constater que, vers le temps de l'avène-
ment des Valois, la poésie en langue d'oïl était en honneur dans le
grand monde du pays toulousain, et que le français du Nord y était,
dès lors, très bien su. Les provençalismes que M. Antoine Thomas a
notés dans La Chace des mesdisans''^' sont en nombre insignifiant.
G. L.
A^O.WME,
AVTKVR nv <.^ Livre de ia tresorye» de l'abbaye d'Origisy.
Le manuscrit 86 de la Bibliothèque de Saint-Quentin, connu
depuis longtemps sous le titre de Livre de la tresorye d'Origny Sainle
Benoile^'-', a conservé une compilation rédigée au début du xiv*^ siècle,
quelque peu confuse, mais précieuse pour fhistoire do cette antique
abbaye du diocèse de Laon'^'. On y trouve transcrits, sans ordre
apparent, la vie, le récit des miracles et l'office propre de sainte
Benoîte, à côté des offices de sainte Agnès, de saint Louis et de
quelques autres saints particulièrement honorés dans l'abbaye ; une
longue énumération des reliques dont la réputation attirait à Origny
un nombreux concours de pèlerins; une série de prescriptions litur-
giques les plus minutieuses réglant la célébration des offices au cours
de l'année, la vie quotidienne dans l'abbaye, l'élection de l'abbesse,
la réception et la sépulture des religieuses; puis le texte français d'un
Mystère de la Résurrection'*', des conseils pieux et des sermons en
!'' En appendice de l'édition précitée. de M. Poissonnier, publié dans les Travaux
'■' Une notice détaillée, mais incomplète, de 1869 de la Société académique de Saint-
dp ce manuscrit a été donnée par Auguste Mo- ()uentin (1870, p. 333-4o6), n'ajoute aucun
linier dans le Catalogue général des manuscrits, détail nouveau pour la période ancienne.
(. III (i885), p. a38-2;io. '*' Publié incomplètement par E. de Cousse-
' (inllia christiana, t. IX (1751), col. 620- maker dans le Bulletin du Comité de la langue ,
()37 ; cf. Le Miroir d'Orujny, . . . sur l'histoire de l'histoire et des arts de la France, t. IV, 1857,
manuscrite de leu M. ()uentin de La Fons, p. i3o-i4o; reproduit de même par lui dans
. uré de Saint-André de Saint-Quentin, par le les Drames liturgiques du moyen-âge (Rennes,
\\. P. Pierre de S. Quentin, prédicateur capu- 1860, in-/|°), p. 339-342-
(in (Saint-Quentin, 1660, in-'»'')-lIn mémoire
LIVRE DK I.\ TRESORVE [VORIGNY. -. 6^1 1
français, ])anni lesquels il en est un de Guiart do. Cambrai, une série
(le Dits ou Proverbes des philosophes, également en français; enfin
quelques notes historiques, grâce auxquelles les auteurs de la Gallia
rliristiana , au défaut des archives que les guerres avaient détruites,
ont pu fixer la chronologie des abbesses d'Origny au xiii" siècle et au
début du X1V-. Après Claude llemeré''', les Bollandistesontégalement
ntilisé ce manuscrit pour leur édition de la vie de sainte Benoîte et
pour le commentaire qui la jirécède dans h; tome IV d'octobre des
A (la .sanclorum^-'.
Nous savons la date j)rocise de cette compilation : « Cis livres lu
M fais l'an de grâce mil CGC et quinze», est-il dit à la page 2 55 du
manuscrit; et plus loin une autre note nous apprend que c'est une
religieuse d'Origny, lléloïsede Conflans, sans doute la trésorière de
l'abbaye, qui a présidé à sa rédaction. Son nom est consigné en ces
termes, à la page 335 : «Je lleluis de Conlllans, qui ce livre fis es-
crire. >i lléloise de Conflans était-elle fille de Hugues III, seigneur
de Conflans, comme le disent le P. Anselme et Dufourny'*', qui lui
donnent le prénom d'Hélène et lui attribuent improprement le litre
d'abbesse d'Origny ? Puen ne permet de coidirmer ou de contredire
leur assertion
H. 0.
'' .Ju'/(;<((i Virnmanilnornin viiulicnta et itlii'^- ■^' Histoire (fénéalogiqac et clironolofjiqae ilc
((•((te (Paris, i6'i3, in-4°), p. 6o ot 3?.8-33o. la Maison de h'iance , 3° édit. (1730), t. VI,
'') Page -j i/i el suiv. p. 1 '|.">.
UlSr. I.ITTEB.
3 ♦
81
ADDITIONS ET CORRECTIONS.
P. i38. Écrits ATTiiiiu j':s À Guillaume Dlram.
GniHaume Durant dut, comme il est dit au cours de sa notice,
poursuivre un procès qui se débattait depuis nombre d'années entre
ses prédécesseurs et l'administration royale. Ce procès portait sur les
attributs de la souveraineté que les évèques de Mende revendiquaient
sur le Gévaudan, en vertu, disaient-ils, d'une coutume immémoriale
reconnue et consacrée par le célèbre diplôme de Louis Vil dit Bulle
d'Or'"'. C'est à Guillaume Durant qu'il échut de terminer à l'amiable
ce conllit par la convention de pariage passée entre lui et Philippe
le Bel en février i Soy *"^'.
Quelques années plus tôt, dans la dernière phase du procès, alors
(jue les intérêts du roi étaient confiés à Guillaume de Plaisians'^', les
arguments qui pouvaient être invoqués au proht de la cause de
l'évèque furent réunis et exposés avec une grande richesse de dévelop-
pements dans un copieux mémoire. Ce mémoire est conservé aux
Archives départementales de la Lozère, dans le fonds de l'évèrhé de
Mende (G ySo). En 1896 et 1897, il a été publié, sauf quelques par-
ties, pour la II Société d'agriculture, industrie, sciences et arts» du
département, par MM. Maisonobe et Porée''', avec le concours de
M. le chanoine Bemize.
Il n'est aucune œuvre juridicjue du tenqjs qui présente un plus
haut intérêt pour l'histoire du droit et des institutions. Toutes
les questions importantes qui, au début du xiv" siècle, divisaient les
esprits dans le domaine du droit public y sont très amplement dis-
cutées. L'auteur, pour démontrer les droits des évèques, passe en
revue les divers attributs de la souveraineté. 11 étudie les concessions
''' y\chill(> Liichaiie, Eludes mr les actes </'.■ publié à la suite dfs tomes XLVIII et \L1X
Louis 17/ (Paris, i885) , n° /|5:!. (1896 et 1897) du B((//e/in de la Société cl';if,'ii-
'"' Voir ci-dessus, p. 20. culture, industrie, sciences et arts du dc-
''' Cela résulte de divers passages du nié- prtenicnl de la Lozère. Le mémoire csl
moire que nous signalons. constitué par deux fascicules, avec une M-ule
'*' Mémoire relatif nu pariage île 1307. pagination.
ADDITIONS ET CORRECTIONS. 6.'i;i
(iiii en ont été faites, expressément ou tacitement; il s'efforce de
]ironver que ces concessions sont conformes au droit et que, en tout
cas, des aliénations de la souveraineté peuvent être fondées sur la
coutume ou sur la prescription. Il analyse la relation féodale, et la
suit dans ses conséquences, afin d'établir solidement la suzeraineté
(les tWèques sur les indociles barons du Gévaudan. Il traile des
immunités ecclésiastiques et, à cette occasion, soutient la thèse qu'un
(lit^nitaire de l'Église peut être à la fois prélat et baron, c'est à-dire
cumuler la juridiction spirituelle et la puissance dans l'ordre
lemjîorel. Pour mieux caractériser la situation qu'il attribue à l'évêque
\is-à-vis du roi, il l'assimile, non sans hardiesse, à celle du roi, indé-
])endant au lenq^orel vis-à-vis de l'Empereur, qui lui-même est mo-
narque universel, ou, comme les juristes le répétaient , dominus mnndi;
il est ainsi amené à examiner la question délicate des rapports du
roi et de l'Empereur. Il serait trop long d'indiquer ici toutes les con-
troverses de dioit ])ublic que résout l'auteur de ce mémoire :
plusieurs d'entre celles que nous avons signalées seront de nouveau
discutées, à grand renfort d'arguments, lors delà célèbre assemblée
tenue au Bois de Vincennes en i 828 et iSag.
\ côté de la discussion des points de droit, le mémoire sur le
pariage de Mende contient de longues et importantes discussions de
lait qui intéressent l'histoire du Gévaudan pendant plus d'un siècle; il
s'agiten effet, pour l'auteur, de montrer l'usage qu'ont fait les évêques
desdivers attributs de la souveraineté. 11 ne néglige rien pour mettre en
lumière, par de nombreux témoignages, les ellorts persévérants des
évêques soucieux de maintenir dans le pays l'ordre et la paix mena-
cés par les entreprises des barons : les évêques se servent pour cela,
non seulement des ressources que leur fournit la dotation de leur évê-
ché, mais de celles qu'ils trouvent dans la levée d'un impôt spécial, ou
compois, perçu dans tout le diocèse, et entretiennent ainsi une sorte
de gendarmerie destinée à contenir et à châtier les perturbateurs. Les
avocats de l'évêque sentaient bien que cet argument , ibndé sur les ser-
vices rendus, était capital. Ceux de Philippe le Bel le comprenaient
aussi et ne manquaient pas de répondre que les efforts des prélats avaient
été impuissants et que la paix du roi valait bien mieux que celle de
l'évêque. Quoi qu'il en faille penser, les historiens du Gévaudan trouve-
lont dans ce mémoire une abondante minede précieux renseignements.
«1 .
644 ADDlTlOiNS ET CORBECTIO.NS.
Il n'est pas impossible de déterminer la date à laquelle il lut com-
])osé'". L'auteur y dit que la cause dont il traite est depuis vingt-
deux ans en état, et que, depuis le début de cette période, terme est
donné à chaque parlement pour le prononcé de la sentence. Or, il a
pris soin d'informer le lecteur que les derniers actes de l'instruction
ont été accomplis en i 9,8 1 '■'. Si nous comptons vingt-deux ans à partir
(le 1281, nous obtenons comme date de la rédaction du Mémoire
l'année i3o3. Un autre renseignement donné par l'auteur nous con-
duit au même résultat. H mentionne la publication en Gévaudan d'une
importante ordonnance royale en matière monétaire; cette publi-
cation eut Heu, dit-il, il n'y a pas encore huit années''*'. Il s'agit, très
vraisemblablement, des mesures prises par Philippe le Bel en 1295.
En somme, il n'y a, ce semble, aucune témérité à dater ce mémoire
de i3o3.
11 n'est pas douteux que l'évêque Guillaume Durant en ait été
l'inspirateur, l'aut-il aller plus loin et dire, avec M. Porée, qu'il en
lut l'auteur'*'.-* iNous ne le pensons pas. On n'y reconnaît ni sa manière
ni son style et, d'ailleurs, quelle qu'ait été sa formation juridique, il
ne paraît pas (ju'il ail possédé, en droit romain et en procédure, les
connaissances techniques dont l'auteur du Mémoire donne d'innom-
brables et manifestes preuves. Cet écrit doit, à notre avis, être attribué
à un praticien de la région méridionale, familier avec les affaires du
Gévaudan; il ne serait pas absolument invraisemblable d'y voir l'œuvre
d'un des premiers avocats de Montpellier, Bermond de Montferrier,
qui tenait une place importante aussi bien à l'Université qu'au bar-
leau et qui, nous le savons par les affirmations de son élève Pierre
Jacobi, était un défenseur convaincu des immunités du clergé'^'. Il
faut remarquer que Jacobi lui-même, quelques années plus tard, fut
employé par Guillaume* Durant soit comme homme d'affaires, soit
comme officiai'*'; il n'y aurait rien de surprenant à ce que l'évêque
''' Il est certainpineiil po5téiie\ir !i 1297, '*' Etudes liistorhjna sur h Géraudnn [P»r\i,
année de la canonisntion de saint Louis, 191 9), p. 467.
qui V est toujours appelé beatus Ludovicut , ''' Voir notamment la l'iavlica aurca libello-
v.l au 3 mars 1398, date de la publica- mm de Pierre Jaco/'i (Cologm", i575), p. SgG.
tion du Sexte, qui \ est cilé (cf. liiiUetin cité, '*' Cf. Roger Grand. Un jarisconsulte du
p. 5o5 ). X I y' siècle, Pierre .lacobi, auteur de la
'■' P. 543. là Praclica aurea ' ,dMM\a Bihliothèqne de itcole
<' P. 111. des rlwHes , 1918. 1. LXXIX.
ADDITIONS ET CORRECTIONS. CiT.
eût été, dès le début du xiV siècle, en relations avec le juriscousulle
qui fut le maître et le protecteur de Jacobi. Ce n'est là, d'ailleurs,
qu'une hypothèse. P. F.
P. i49i lignes ly-'io. M. Eugène Martin-Cliabol a trouvé récoiu-
ment aux Archives de Pise le procès-verbal d'une assend)lée du
Conseil général de la commune de celle ville, assemblée tenue
le 27 janvier i3i8, el devant laquelle Bernard Gui et Bertrand de
La Tour exposèrent le but de la mission que leur avait confiée le pape
Jean XXII. On décida qu'une commission de « sapientes viri >• serait
nommée par les Anciens et répondrait « sicul eis videbitur ». M. Martin-
Chabot a lait connaître sa découverte dans une communication
destinée au Congrès des Sociétés savantes de 1921, et intitulée :
Un témoignage du séjour à Fisc de Bernard Gui et de Bertrand de La 'Jour
durant leur mission en Italie. A. T.
P. 201, ligne 2 5. \u lieu de : « Pierre de Parentaise », lire : <i Pierre
de Tarentaise I). A. l.
P. 2i6, lignes 1-2 et note 1. Le manuscrit de Jean, abbe de
Joyenval, se trouve aujourd'hui à la Bibholeca comunale ClicUiaita de
Grosseto, en Toscane, où il porte le n° 1 . 11 a été signalé dans le Fan-
fulla délia domenica du 29 mai 1910 par le bibliothécaire, M. le ])ro-
lesseur Alfred Segré, et l'on en trouve une description sommaire, par
le même auteur, dans le recueil du D' Albano Sorbelli, intitulé :
Inventari dei manoscritti délie hihlioteche d'Jtaha, tome XVi (Forli,
1910), page 39. tîràce à une obligeante communication de M. le
professeur Segré, nous pouvons donner quelques détails plus précis
sur ce manuscrit (parchemin, à 2 colonnes, xiv' siècle) et sur
son ancien propriétaire. On lit en tête : Cronica Jratris Uernurdi Gtit-
donis empta per dominum abhatem Gaudlivallis. A la lin du prologue
des Flores clironicorum, cet abbé a mis sa signature avec paraphe el
son titre : J. Toppeti, Gaudiivallis abbas. H s'agit donc de Jean V
Touppet, sur lequel on peut voir, outre la Gallia christiana, dont les
dates (i432-i44o) sont sujettes à caution, Denifle et Châtelain,
Cliartularium Universitatis Parisiensis , tome IV, à la table, et M. Four-
040 ADDITIONS KT (.OKRKCTIONS.
nier et L. Dorez, La Facidlé de Décret de rihncrsilc de l\iris, lome I ",
pages 3 63, '>85, 3o4, 3 19, 3^5, et tome II, pages o 1 , 60 et i()()-i 10.
On trouve dans ce nianusciùt, qui ne contient que des écrits de Ber-
nard Gui, les suivants, cpie nous désignons, pour abrégei-, par les
numéros qu'ils portent dans notre notice, en suivant l'ordre du
manuscrit : 9 (deuxième édition), 10, 11, i3 (troisième édition),
3o, 7 (deuxième édition), 3, /j , -îG (dernière édition), 39 (dernière
édition), T.") (dernière édition), 2/1 (dernière édition), 37, i5, 1 (|)i<'-
mière édition). Soit, en tout, quinze articles. A. T.
1*. 219, art. 28. lin manuscrit, aujourd'hui perdu, se trouvait au
xvii" siècle dans la bibliothèque de l'abbaye de Pébrac, diocèse de
Saint-Flour (cant. de Langeac, arr. delhioude). Un extrait de l'arlicli'
consacré par Bernard Gui à saint Marien fut e\j)é(lié par le prieur
l^ierre Vaulcoret, le i3 janvier i()r)8, à la demande des ciianoines
d'Evaux (Creuse); il est aujourd'hui conservé dans la collection de
M. iMarant, avoué à Cliambon-sur-Voueizc (Creuse) , qui a bien voulu
nous le communiquer. L'extrait est précédé de ce titre : Extracliiin
e vetere nifiiiiiscnplo /ruirts Berna nli (îiiidonis, Ordiins Pnvdicalonini, ni
Iraelalu (lUi iiisvrdiihir '< \(>miita saiuloram Lcnwvicensis diarests » , asser-
voto in iabhollieca nioiiaslerii Ikahr Marne Piperacensis . . . A. T.
P. 2 53, Dans un recueil de fragments de manuscrits français
(Bibl. nat., n. acq. fr. 934) se trouvent (|uelques feuillets, pour la
j>lupart très mulilés, d'un exemplaire du Livre de Marco Polo, (pii
devront être pris ou considération par le futur éditeur, s'il s'en
trouve, de l'ancien texte français. Les fragments conservés eor-
rcspondent aux chapitres cxv et cwi, cxxvi à cxxyiii (complets),
cxxix, oxxxvin, (.XLVii et cxi.viii de l'édition Pauthier. C. L.
P. 3<)i. iNotie article Pikruk Gexcien était déjà composé en pla-
cards, directement d'après le manuscrit du Vatican, lors([ue l'édition
du Tornnieinent , ])ar M. Mario Pelaez, a été publiée. Il était tiré
lorsque a paru, en 1921, dans la Romnnia (t. XLVl, 1920, p. /jo8),
un compte rendu étendu de cette édition par M. A. Langfors.
\l)l)ITI()NS ET CORRECTIONS. 0/i7
l/auleur du compte rendu a dressé ]a liste des noms propres qui
ligurenl dans le poème (p. 4 io-4 i4 ), ce que l'éditeur avait omis de
faire. C. L.
P. 3{)3, li<rne 8. L'anniversaire de Thomas de Bailli est indiqué au
i5 juin par l'obituaire du Collège du (iardinal Lemoine [Recueil des
liistoriens de la France. Obilnaires, t. I*"', Paris, 1902, p. 776), au i/|
(il)., p. 227) et au 17 [ib., p. 218) du même mois par ceux de la
cathédrale. G. L.
V. 827. Hélaldissons ici une note, ace idenlellcnicnl omise.
La Chronique rimée de Saint -Magloire, continuée jusqu'en i3o4,
est très remarquable par les renseignements (ju'elle donne sur les
inqjositions de la dernière décade du xiii" siècle; les études faites de
nos jours d'après ce qui reste de la comptabilité royale en ont confirmé
la précision extraordinaire. C'est là un trait de ressemblance à noter
entre cette Chronique et celle de Geh'oi de Paris.
Ajoutons fpie le manuscrit lat. 9^27 de la Bibliothèque nationale,
qui contenait l'exemplaire unique de cette Chronique, est revenu à la
Bibliothèque en deux volumes du h)n(ls Jiarrois, mais amputé pré-
cisément des feuillets où elle se trouvait; ces feuillets ont été proba-
blement détruits par le ])ourvoyeur de Barrois. C. L.
P. 3''i4- H y aurait eu lieu de revenir, à propos de l'article Gefroi
DE Paris, sur le Dit de Vérité, dont nos devanciers ont écrit que c'est
« une touchante requête de iL^niversité de Paris contre les puissants
ennemis qui l'attaquaient auprès de Blanche de Castille et de
Louis l\")ii et qu'ils ont datée de «vers 1256». Il est évident, en
effet, à première vue, que, contrairement à l'hypothèse lancée
en l'air par A. .lubinal et que nos devanciers ont essayé de justifier'^',
ce petit poème s'adresse à Philippe le Bel. C'est, suivant l'expres-
sion même de fauteur, une «leifre» — lettre ouverte, à la façon
de celles qui paraissent maintenant dans les journaux — contre les
''' Histoire litléitiiie, l. \XV, p. xxxi. — ''i IbicL, I. XXIII, p. 292 el ^/^o.
(Vis additions et COURECTIONS.
conseillers de ce prince, « coupe bourses », suscileurs et profiteurs de
<>uerre, ceux-là mêmes contre lesquels Gelroi de Paris a tant écrit,
tout à fait dans le même esprit.
Cela l'st évident même lorsqu'on litl'éclilion expurgée du Dit de Verilé
qui se trouve dans le manuscrit français 12483 de la Bibliothèque
nationale''', publiée par A. Jubinal'-', comme nos devanciers l'ont pu
faire. Mais cela l'est davantage encore lorsqu'on étudie celte pièce
dans le manuscrit CXX\. E. 5 de la Bibliothèque de l'Université de
l*avie, où non seulement le texte en est plus correct, mais où elle est
sensiblement plus longue (cinquante vers de plus]'^'.
L'auteur du dit s'adresse au roi de France, au nom de la Vérité,
(pii a été chassée de sa cour (et qui n'a pas trouvé un asile à Rome) :
Mdii mou ont di' ta court <-lia<ii'',
()u'il ti' ^oiiloit avoir lacu\
Parmi les flans . . .
Pourijuoi? Par qui? « Par tele gent que je no nomme, faus, des-
«loiaus», qui justifient par là le proverbe : « Onques mauvais n'ama
" preudomme. » (les gens ne seraient pas ( maîtres ", et ils le sont,
si la Vérité était là, comme jadis :
(),"). Tu crois tel gent qui le font pcistre''': Cil qui a i'cscu et au hyaume
C'est grand meschief. Et a lespée
Se g'y niainsisse, par mon chief. Ont rcceii mainte colée
Ti'l gcnt ne fussent mie cliief En combatant por ta contrée
De ton royaume En tussent maistre'^'. . .
Qui si se font oindre la paume! Mais lout va ce devant derrière'*''. . .
"Ha, gentilz sires», dit la Vérité, rappelle-moi et je démasquerai
les coupables; je découvrirai « le pot aus roses » :
,li' le trairai de tel merele Quanque j'i saurai, bout a bout'".
Que cil cberront en la berele'^'. . . Ni ara ni tel ni estout
Je dirai tout Qui ne me doute.
''' .\oh(■cset€J:t^^itsdeslnanusct■^ls,^. XWW, ''' Cl. la (chronique île GelVoi de Paris,
■y p., |). OaA. V. 159J, r)47o.
'■' A.. lubinal, iVouveau rctnei/..., l. II, p. 83. '*' Ibid. , \>. io.'),col. a.
'■■' iNolice et extraits du ms. de l'avie, par '"' Ibid., v. tjoi, 5236, 7303. Cf. |)lus
A. Miissafin, dans les Sitzungsberiihlc de haut, p. 34>, 34t).
rAradémic de Vienne, phil. et liist., t. L\l\ '"' Ihid., v. 198, 7i4o, "J'^àj-
1870), p. 575. Cf. Romanin , t. I", p. a.'iG. ■■' Ibid. , w. 6'S 1-2.
ADDITIONS ET CORRECTIONS. . 6/1 9
Tieus qui chevauchent on ta route Des desloiaus
Ne verront dedens.i. an goûte Qui, par presens et par joiaus.
Se me rapeles. Ont contre les francs hons"'roiaus
Car j'estendré si haut mes eles Tant meserré . . .
Que tu sauras bien les nouveies
«Roys, rapele moy, si tu oses » Mais tu n'oseras pas; car les
M mestres qui t'ont pris en cure » s'y opposeront : « Chaz scot trop bien
« que! barbe il leiche. » Vœu final :
Dic\ doint que ne sciés trahi*^'!
A lire, dans le manuscrit de Paris, le Dit que nous venons d'analyser,
on a l'impression d'une identité assez frappante de pensée et d'expres-
sion entre ce petit poème, verbeux, mais où il y a de la verve, riche
en trouvailles de mots, et les ouvrages connus de Gefroi de Paris qui
offrent les mêmes caractères'^'. Mais le manuscrit de Paris ne présente,
nous l'avons dit, qu'une édition expurgée, réduite aux généralités.
Dans le manuscrit dePavie, quelqu'un est personnellement visé par
l'auteur, et l'ouvrage est daté.
L'invective ad hominein est d'une violence inouïe :
Tu es ravii ! Aus dames convcndra prester
Mémento, Domine, David, Et du cuir a poil acheter
Qui tant pense as cons et as viz, De ton avoir;
Com grant haillic (îrant honte en deiisses avoir.
Tu li as livrée et baillie. Le pucple, ce dois tu savoir,
Honeur ne H est pas faillie Si s'en corroucc
Pour crupeter. Ne n'est merveille s'il en grouce.
Quels accents! Mais le rimeur ne s'en tient pas là :
Por ce voeil je ma bouche ouvrir Propter David, sei-vum tunin^^>,
Por ce grant barat descouvrir : De Chaaliz,
Bien fet a dire. Qui de Margot et d'Aeliz
Ticx choses nous toUent le rire, Est si durement achaliz.
Si que de grant angoisse et d'ire Si com l'en conte;
Touz tressuon. Or l'as tu fel pareil a conte ....
Merveille est que ne nous tuon
*'' Ms. de Pavie : hoirs. — iRoIausi pour analogues à ceux que nous avons faits pour les
• loiRus s ? passages cités ici , à propos du reste de ia pièce.
'*' Chronique de Gefroi de Paris, v. i5io. '*' Cf. la Chronique de Gefroi, v. ()8i8 :
'*' Onpourraitmultiplierlesrapprochcments, t Prions tuil Dieu propler eam. »
BIST. Linén. — XXXV. 8a
650 ADDITIONS ET CORRFXTIONS.
I^a date est très précise :
Ici veil fcnir ct'ste leitrc . . . V.n l'an M o CGC, V mains,
El lu donnée Lescript, en dispit des Romains,
Eu ce mois d'aoust, a l'entrée, A ma requeste.
\ Orlii'us , ciliés Gdillo i FusÉi: Frans nrys , se In aimes la teste ,
Qui, a SCS mains, Fai snr tes pins privez cnqneste.
dette pièce remarquable fut donc écrite, et très probablement
composée, à Orléans, au commencement du mois d'août 1295'".
Et Guillot Fusée est le nom du copiste, sinon de l'auteur.
Mais quel est le personnage, accusé de mauvaises mœurs en termes
si énergiques, qui es! désigné ici sous le nom biblique de David, et
qui était «de Cliaaliz n'-\^ Dès 1870, A. Mussalia a iait appel sur ce
point à la perspicacité des « connaisseurs de l'histoire de France an
temps de Philippe le Bel", mais, jusqu'ici, sans résultat. — On est
tenté, au premier abord, de soupçonner sous ce mas(|ne un des prin-
cipaux minisires du roi : quelqu'un comme Guillaume Flote, par
exemple; mais il n'y a aucun rapport connu entre Flote et Chaalis.
Il nous semble beaucoup plus probable qu'il s'agit d'un agent du roi
dont l'importance n'était de premier ordre qu'à Orléans, la ville d'où
l'écrit est daté. Le fonctionnaire à qui le roi a confié une « grant
baillie » [ïe bailliage d'Orléans était un des principaux du royaume),
le faisant ainsi «pareil a conte», et que le peuple se courrouce de
voir dépenser l'argent du gouvernement avec des femmes, ne saurait
guère être qu'un agent local et, nommément, le bailli d'Orléans. Or,
en 1 2()5, le bailli d'Orléans était Pierre Saimel ou Saimiaus : un nom
fréquent dans le Valois, où se trouve Chaalis'"''. Ce Pierre Saimel avait
eu une carrière assez exceptionnelle : d'abord bailli d'Amiens (1281-
1286), ])uis de Vitri (1287 ], il était devenu ensuite prévôt de Paris;
mais à ce poste, qui conduisait d'habitude à de très hautes situations
dans l'administration centrale, il ne resta qu'un an ou deux. Il passa
de là, de nouveau en cjualité de bailli, ce qui était déchoir, à Orléans,
'■ Celle (lalo csl certaine. \ oir la vnrianlc '*' Chaalis, c"* de Fontaine-lcs-Corps-Nud»
du ms. de Pavie aux vers 83-8'i : «Lurs n'avoies (Oise).
«tu nule guerre — N'en Gascoignc n'en ''' Ce nom dérive de saim, qui veut dire
«Angleterre — N'en Normandie... «; an «graisse, pellicule qui se forme sur le lall».
lieu de la leçon vague : tEs des d'environ ta Mais il lait penser à « Samuel» (d'où le sobriquet
terre — N'aiilre partie. . . » de David?'.
ADDITIONS ET COKHECTIONS. 051
puis à Troyes, enfin à Tours'"'. Conformément au vœu exprimé par le
rimeur dans ses deux derniers vers précités, Pierre Saimel fut sou-
mis, lorsqu'il sortit de charge à Orléans en 1296, pour sa gestion du
bailliage entre 129-2 et i.jg5,à une enquête par enquêteurs-réfor-
mateurs (ce ((ui n'avait, du reste, rien d'exceptionnel); et le hasard a
conservé des fragments de cette enquête — où, à la vérité, il n'est
question que de la brutalité du personnage, non de ses mœurs'-l
Concluons. Si l'édition expurgée en avait été conservée seule, on
pourrait, sous toutes réserves, attribuer le Dit de Venté à Gefroi de
Paris, en raison des analogies certaines d'attitude et de vocabulaire
que nous avons signalées. Ce serait alors un ouvrage de jeunesse; à
([uoi l'extraordinaire virulence du poème ne contredit certes pas.
D'autre part, l'édition non expurgée porte à croire que le poème est,
sinon d'un certain Guillot Fusée, d'Orléans, du moins d'un rimeur
Orléanais. En ce cas, il faut admettre que ce rimeur, jusqu'à présent in-
connu, avait du talent, et un talent qui fait jienser constamment à
celui de notre Cefroi. Entre Rutebenf et Villon il y a eu plus de poètes
de leur famille sjiirituelle qu'on ne le pense communément. C. L.
P. 365 et 874. Nous avons dit que le jurisconsulte Gaillard de Dur-
fort avait pu être le collègue de Guillaume du Cun lorsque celui-ci
enseignait à Toulouse en 1 3 1 6 et en 1 3 1 7 . En réalité , Gaillard , à cette
époque, était encore un étudiant; en iSao, il n'avait pas achevé ses
éludes de droit (Mollat, Lettres communes de Jean XXII, n° 12671).
Si un membre de la famille de Durfort a enseigné le droit à Toulouse
en même temps que Guillaume du Cun, ce fut peut-être Guillaume
de Durfort, chapelain du Pape, que nous retrouvons plus tard cha-
noine du Puy et de Narbonne et ([ui fut professeur de droit civil
{Ibid.,n°' 23831,23836, 28889, 26358, 30917). — Sur Gaillard
de Durfort, voir la notice publiée par Paul Fournier dans la Nouvelle
revue d'histoire du droit français et étranger (année 1920) au cours de
ses Notes sur (juchjucs canonislcs du xiv' siècle. P. F.
<■' L. Delisle, Préface du t. XXIV des Mis- ''* Cli.-V. Langlols, Doléances recueillies
toriens de la France. C'est par distraction que par les enquêteurs ... des derniers Capétiens
l'auteur dit (p. 28) que Pierre Saimel fut directs, dans la Revue historique, t. C (1909),
bailli de Caen avant d'aller à Paris. p. 74-
82.
TABLE DES AUTEURS ET DES MATIÈRES.
Abano (Pierre d').
ABC d'Asselin du Pont à-Mousson , 3^à-
AMU [Jofroi (f).
Adim iGiilladmk).
Adam d^Orldnns, >icomte royal de Coutances,
Sgo-Sgj.
Advocacic Aoilre Dame, 387-388.
Ailli [Pierre d').
Aimeri Hugonis. évéque de Lodève, i&i,
Aimeri de Plaisance, maitre général de l'Ordro
:\es, Dominicains, 191.
Albert de Gandino . dorteur de Bologne, 363.
Albumazar, 632.
Aldebert de Peyre. prieur d'Ispagnac, 18, /|5.
Alexis [Guillnume).
Alfari (Jordan d'].
Alice de Beaufort, tanto de Philippe V, 'ii'i-4i5.
Alkindus , 63i.
Antand [Henri).
Amnari Aujier, 181.
Amoros [Behnird].
André de La Pierre, chevalier d'Artois, 593.
Andreoln Catani. noble génois, 368.
Anjou. Voir Compilatio.
Amnedx (Je*n I)').
A.NO]«TMES. Anonyme de Bayeui .auteur de quatre
poèmes on français, 385-3g4; — italien, auteur
d'une traduction en français des Lettres de Sénèque
à Luciliu», 633-635; — auteur de la Compilatio de
luibui Andegavic. 6i3-6i5-, — auteur du Coatumier
d Artois. 609-613; — auteur du Dit des moustiers
de Paris. 636-637; — auteur des «Divisions
des .Lxxii. hiautés qui sont en dames 1, 637-638;
— auteur d'une Exhortation de circonstance à la
charité, en vers, 636; — auteur du Livre de /«
tresorye de l'abbaye d'Origny, 6io-6^i.
Aragon [Jean d'].
Abblant (ëtiekne).
Arbor aclionum. Leclura de Hugues de Carols
sur cet ouvrage, 616-617.
.irci (Jean d'].
.Xrmaijnac [Bernard VI. Gaston d).
Armand de Narcis . professeur à Toulouse , ar-
chevêque d'Aix, 365, 369,. 374, 470.
Aruengadd Blaise, de Montpellier, médecin,
63o-63i.
Arnaud Duèse . vicomte de Caraman, 367.
Arnaud Guidonis, maître en théologie, iio.
Arnaud Roiard, frère mineur, évêque de Sarlat,
463-467.
Arnaud de Serano. frère mineur, provincial d'A-
quitaine, 363.
Arnaud de Trian . neveu de Jean XXII, iG4.
Arnadu Vidal, de Castelnaudari , troubadour,
premier lauréat des Jeux Floraux, 5i3'Ô36,
Arnoci. de Qdimqoempoix , médecin et astrologue,
630-633
Arrablay (Cardinal d'), 3o3.
Arii(jie [Priore.' Ordinis), de Bernard Gui, 309.
Artois. Comptes, 399. — Coutumier, 609-613.
ASSELIN DD PoNT-À-SloOSSON, Sgi.
Assise [Jacques d' ).
Astori/ de Peyre, 17, 18, 3/1, 43, 46.
At [RaimonJ].
Augier [Amawi).
Auxerre [Guillaume d').
Ave Maria de Margueron du Pont Rcn^mont,
596.
Bacevu [Martyre de saint), 336-338.
HkiLLi [Baudouin . Jean, Pierre, Thomas de).
Baxcai, ( Raimond).
Barot [ Raimond).
Barthélemi Fléciiier, maitre es arts, recteur
de l'Université de Toulouse, 630-633.
Bartkélemi Siginulfo, comte de Caserte, 633-634.
Bartolt, auteur supposé du Processus Satanœ contra
B. Virgin*m, 387.
Bassien [Jean].
Baudoain de Bailli. 3o3.
Bll'DOUIK DB CONDÉ, 434-435.
f)54
TABLE DES AUTEURS
Baudouin de Luxembourq , archevêque (le Tr:\e^,
ÔSs.
Baycus. Voir Chujicleiic.
Bvaujort [Alice de).
Becoiseau , rbàteau royal, Sgg.
Belteperche [Pierre de).
Benais [Pierre de).
Béqdin (Raimond).
Btjrand VU de Mercœur, conmlable de Cliam-
pn^ne. Ses (liOereods aver Guillaume Durant, Q^,
3ç,^-.',h.
Bérenyer de Ijuidorre, maître général de l'Ordre
des Dominicains, i5o, i5i, i6o, 177.
Berenjaicr de SanlPlanciit , l'un des fondateurs
des Jeux Fioraui, 5o6.
Bcrmond de Montferner, auteur possible d'un mé-
moire attribué à Guillaume Durant, 644-
Bernard [Guillaume].
Bernard Amoros, de Salnl-Flour, collectionneur
de poé^ies en provençal et en latin, 526-532.
Bernard lld.irma(]nac,iô.
Bernard Gii, frire prêcheur, évêque de Lodève,
i.'ip-sSa et G45-646. — Sa vie, i^oiSS. — Ses
l'crils, i,t5-232 et 645-640: Théologie, iS6-i58
Liturgie, 1 58- 160; Hagiographie, 160-170; His
toirc des conciles, 170-175-, des papes, 176-187
de-i empereurs, 187-188; des rois de France et
gé(igrBj)hie de la Gaule, 1881 92; des Dominicains
I ()2-2o3 ; de l'Inquisition , 2o3-309 ; Histoire locale
209-230 : Limoges, 209-224, 645-646; Toulouse
234-226; Lodève, 22O-230. — Écriti rausscmcnt
attribués, 23o-232.
Bernard Jnarduin, seigneur de l'Isle, 362, 367-
368 , 370.
Bernard de Panassac, troubadour, l'un des
fondateurs des Jeux Florauï, 5o4-ôi2.
Bernai d de Bibcra, frère prrêlieur, 54o, S'il,
548, 549.
Bernât O'/i . I un des fondateurs des Jeux Flo-
raux, 5oti , .uô.
Bertaut de CImsiiUon, sergent du roi, 638
Bertrand de La Tour, frère mineur, archevêque
de Salerne,puis cardinal, i46, 149, 463, 645.
Bertrand de Alontfavet , cardinal, 366, 470.
Bertrand du Pnurjel . cardinal, 149.
Bertrand de Saint-Geniès . patriarclie d'Aquilée,
470.
Bélhune [Robert de).
Bierp ( Tliierri de).
Biqamie [Dit de), 32i-3a4-
Biaise {.irmenijatid).
Blanci (Jean de).
Btois. Comptes, 4oo; — Comtes de la maison de
Blois. Voir Gui et Huijurs de Clidtillon.
Blois [Charles de).
Bonati (Gui).
Bhassemex (Watbiqdet;.
Brocard ou Bnrcliard du ilont-.Sion, auteur su|>-
posé du Directoriuni ad passagium faciendum , 283.
Bmidan [Jcan\
Cambrai [Guiart, Pierre de).
Canio [ Pey).
Canlelnup [Thomas de).
Carols (HiccES de).
Cassagnes (Jesselin de).
Catala (Jordan).
Catani [.indreolo).
Cénarel [Gui de).
Ccsiine [Pierre de).
Chaillou de Pesstain. glossateur du roman de
Fauvel. 345, 4 12.
Chanson à la Vierge, par Arnaud Vidal, 525.
Chapclerie Noslre Dame de Baiex , 388-394.
Chanté [Exhortation à la), en vers, 636.
Charles de Blois, duc de Bretagne, 899.
Chastel dAmoTs, 424.
Chastitlon [Bertaut de).
Chàlillon [Gaucher, Gai, Hugues de).
Chepoix [Thibaut de).
Chrnnicoram [Flores], de Bernard Gui, 176.
Chroniijue . en vers, de l'abbaye de Saint-Ma-
gloire de Paris, 327.
Clémence Isaure. 5o4.
Clémentines. Apparatus de Guillaume de Mont-
lauzun, 477, 5oo. — Commentaire de Jessclin de
Cassagnes, 354-36o. — Compilation de Simon
Vairel, 608-609. — Requête des Frères Mmeurs,
342-343. — Voir Septième.
Cocatrix [G.) , 3oî.
Code. Lectura de Guillaume du Cun, 372-
385.
CompHatio de usibus et consuetudinibus Andegavie,
6i3-6iô.
CoM.iLES. Tractatus de modo celebrandi concilii , de
Guillaume Durant, 79. — Opuscules de Bernard
Gui, 171, 178; - de Guillaume Le Maire, 29,
i38.
Conçois [Jacques de).
CoNDK (Jea\ de).
Condé [Baudouin, Pierre de).
Confez [Jean le).
Conjlans [HéloUe de).
Consalvas , frère mineur, 3o5.
Copia, ménestrel, 4oi.
Coppo Jannutri, de Florence, curé de S«int-
Amand-en-Puelle, 456.
Corbel [Geoff'roi).
Cornet ' Baimond de).
ET DES MATIERES.
655
Cnuipalai { Pierre d
(/'ourfoij [Jean ).
Coutamier d'Anjou,
lois, 609-612.
6i3-6i5. — Coutitmiei il'li
Credo. Voir Henreis de Iteis et Mkhclcl Petitpain.
(iri'pi { Guillaume de).
Cites [Nicolas de).
(Un (Gdillaume, Pierre du).
Dômes. Voir Divisions ot Tornoiement.
Décret. Décrétâtes et Se.vte. Tables de Nicola--
«l'Enneiat, 606-607.
Décrctales. Apparatns fausseDient atlriltuù à Jes-
selin (le Cassagnes, 36i.
Dc/ean [Gaucelm).
Digeste. Leclnra de riuillauino du (iiiii, 372-
385.
Directorinm ad pussa<jiiim fncieiulun , (aiisstnirnt
attribué à Guillauiiic' .\dam, 38!-383.
Discipiilornm Damini J. C. (Aomi/10), di' licrnai'd
Gui, 160.
Dits : de la rébellion d'Engleterre et de Flandre,
3'i2-343; — de bigamie, 3ai-334; — des mais,
3^0-342; — des mousliers de Paris, 636-637; —
des pateuostres, 338 34<i; — des planettes, 3'ii;
— des .1111. rois, 34 'r, — du roy, 343-343 ; — de
vérité, 647-Côi.
tytvisions des .LIXII. biautés i/ui sont en dames ,
pornie, 637-638.
Dominicains (Ouvrages de Bernard Gui sur les):
Catalogue des maîtres généraui, ig4; — dis
prieurs provinciaux, 196; — Notices sur diver^
couvents, 196; — Catalogue de tous les couvents,
199; — Actes des chapitres généraux, 200; — drs
chapitres provinciaux, 202. — Autres ouvrages :
()aestiones circa stalula. 2 3 1 ; — De quatuor dotibiis .
(l'Ktienne de Salagnac, ig3, îoi.
D()sii:«ici (Jean).
Dominictis (juondam Insegne, notaire, 65.
Di CuN (Gdillaume, Pierre).
Diièse [Arnaud).
Du Pujr [Baimond).
Ddbant ((juillaume).
Ditrnnd de Saint-Pourrain, 2o4.
Dtiifort [Gaillard de)!
Edouard, marquis du Pont et romtc de lîar,
58i.
Englesia d'Orbessan , veuve de Bernard de Panas-
sac, 509.
Engaerraii de Murigni, 346, 4 '18.
K-sNEZAT (Nicolas d').
l'iiuardus . frère prêcheur, 3o5.
Ernaldas. théologien, de l'Ordre de saint Au-
gustin, 3o5.
Etienne Arulvnt, astronome, 628-6'îri-
Etienne de Salagnac. auteur du De quatuor doit-
bus ijuibus Drus Prediciitoruni Ordinem insignivit .
'93. -SOI.
Etienne de Suisi, arcbi<liacre de Bruges, 3o2.
E.remptionibus [De), traité attribué à Guillaumo
du Cun, 385.
Expérimenta Jo. Pickaerl, 317.
Extravagantes de Jean XXU. Commentaire de
.Icsselin de Cassagnes, 354-36o.
l'vDRE (,If.an).
i'auiel (Koman de), 345.
Fcrrantin de Malalesta, 635.
Ferrièrcs [Pierre de).
rLtCHIER (BaRTHÉI.EMi).
Flores clironicorum , de Bernard Gui,
/'Ville ( Guillaume).
Foi. Opuscules de Bernard Gui : De
dei . i56; — Compendinni Jidci catlinlicr
, Farli [Renier de).
FhACUET (GÉttAlLl deV
lirticilisji-
Fraite [Girard de).
France. Opuscules de Bernard Gui : Arbor généa-
logie rcgum Francorum. 190. — Nomina requin
Francorum, 190. — Beges Francorum. 188. —
Galliarum descriplio , 191.
Francesco Pipino, Pippino . chroniqueur, 181;
traducteur de Marco Polo, 245, 248-25o, 257.
François de Pise. auteur de la Passion de Thonia,
de Tolentino, 270.
Fusée [GitiHot].
656
TABLE DES AUTEURS
Gaillard de Durfuit . cbanoine d'Apen et rliaiilre
lie Cahors, 365, 374, Goi.
(iaUiaiiun descriplin . de Bernard Gui, igi.
Gandino [Albert de).
Garde-Gaérin [La], 5o-55, i35.
Gaston d'Armagnac, i35.
Gaitrelm Dejean , cardinal, 102.
Gaucher de Chiitillon , connétable, 397.
Gkfroi des Nés, traducteur, i-ii-ii-j. — Gefboi
i)K Pabis, auteur d'ouvrages de circonstance et d'une
Cbroniqiie en vers, 357-.<36. — Gefroi, auteur de
.livei-s Dits, 336-3/,G, 047-651.
Gefroi de Picquigm , auteur d'une Exposition
rrançai>e sur le Nouveau Testament, 635-636.
Gencien ( Pierre).
Geojfroi Corhcl . 588.
Geofrin. Voir Jnfroi.
GÉr.AiD DE Krachet, frère prêcheur, 198.
Giiaiidaii. Juifs, 26; Pariage de i3o7, 18-24
€■1 6i2-G4ô.
09.
Girard de /•'niifc
(iom (.1e\n).
Goleui [Jean).
Gontaiit [Gtiillieni de].
(irandimontis [Prinres]
(jiéijoire le Grand (.S
de Bernard (iui
Dialixjuc . traduit en vers
français, 385-386. — lie . traduite en vers français,
.iSr,3S7.
Guerre de Met^ (Poème anonyme sur la) en
i3>'j , 580-597.
Gi'i (Bernard).
Gai [Guiard, Ilélie). — Voir au^si Giiii/i'iiis.
Gui Bonati, astronome, 639 63o.
Gui de Cénarrt, 18, ai.
Gai de Châtillon , comte de Blois, 397.
Gui Guidonis , i4i, i55.
Gui da Tour, bourgeois d'Alais, 543-556.
Guiard Gui , sénécbal de Toulouse, i43.
Guiart de <',aml)rai. Sermon, 04 1.
Guiberl de Peyre. 35.
^Guidonis [De spiritu], 538-556.
Guidonis [Arnaud, Bernard, Gui, Guillaume,
Pierre). — Voir aussi Gui.
Guilliem deGontaut, l'un des fondateurs des Jeux
Floraux, 5oG.
Guilheni de l.ohra, l'un des fondateurs des Jeux
rioraui, 5o6.
GniLLADUK Adam , frère prêcheur, missionnaire en
Orient, 277-284. • — De modo Sarracenos eitirpandi,
280-182; — Direcloriam ad passagiam JacienJam ,
faussement attribué, 282-283. — Autres ouvrages,
-Si.
Gui/(iinme .ilesis, moine de Lyre, 385.
f'iutllanme rf',li/iii(nin< [Vie de S.), 325.
Gui//(iii«ic (/'luxure. 3o4.
Guillaume Bernard, chancelier de l'iniversilé de
Paris, 6o2-6o3.
Guillaume de Crépi, prévôt de Saint-Quentin ,
G16.
Guillaume do Cun , légiste, évèquc de Bâtas «'l
de Saint- Bertrand de Comminges. Sa vie, 361-371.
— Ses écrits : Lectures sur le Digeste et le Code.
372-385.
Guillaume Dcrant le Jeune, évèquc de Mendc-,
1-137, 3o3, 642-645.
Sa vie, 1-64- — Pariage de i3o7 en Gévaudan,
18, 642. — Partage de la Garde-Guérin, 5o. —
Différends avec Bernard VI d'Armagnac, 35; —
•ivec Béraud VII de Mercoeur, 39; — a\ec la famille
de Peyre, 18, 46. — Relations avec Jean XXII,
35. — Rôle à la cour de France, 3i, 56, i5i. - -
Passage en Terre Sainte, 57. — Mort en Chypre,
60.
Ses écrits : Mission en Italie, 64-7 ■■ — Canoni-
sation de Thomas de Canteloup, é\cque de Here-
ford , 72-75. — A<ldilion aux Instructions et Consti-
tutions du Speculator, 75-79. — Tractatus de mot/"
celebrandi cnncilti, 79-1 29. — Mémoire sur les pré-
|)aratifs de la Croisade, 139-134. — Directorium
citori , i34i35. — Correspondance, i35i38. —
Kcrits faussement attribués, i38-i39, 642-645.
Guillaume t'iote , 65o.
Guillaume Guidonis, i43.
Guillaume, comte de Hainaut, 438, iôo.
Guillaume de La Barre, roman d'aventures, 617-
525.
Guillaume de La Broue, évoque de Cahors,
iC5.
Guillaume Le Maire, auteur du LiMlus de rebns
m cnneilio dejintendis, 29, i38.
Guillaume Molinirr, rédacteur des Lejrs dAmors,
5oC.
Guillaume de Montlau/it» . canoniste, abbé de
Monlierneuf, à Poitiers. Sa vie, 467-476. — Ses
écrits, 476-501 ; écrits douteux, 5oi-5o3.
Guillaume de Narbonne . 3o3.
Guillaume de Plaisions, auteur du mémoire sur
les droits du roi en Gévaudan, 642-645.
Gudlaume de Iio(juesel. évêque de Béliers, 6».
Guillaume de Saint-Cloui , astronome, 628.
Guillaum» de Toeco, prieur de Bénévent, i63.
Guillaume de Trie, évéqiie de Bayenx, 390-39^).
Guillaume de Villers , gendre de Bernard de Pa-
nassac, 509.
Guillemin, ménestrel de Hugues de Bourgogne.
399.
Guillot Fasée, d'Orléans, auteur supposé du Dit
de Vérité , 65 1.
ET DES MATIERES.
057
lltis (HENnEIS de).
miie Gui, évéque d'Autun, l'iS.
Ilellequin [Jean).
Ilchiïse de Cnnjlans , Ircsorii rc de l'abbaje d'Ori-
fjiiy, 6iii-
IIknreis de IIeis. Cmla , 5i|5.
Henri imand, niuitre à l'UniMTsité de Pari'-,
3..,i.
Hinri de Mnndcvilti' , chiriirgii'ii, 3i3.
llrni i de Sulli , bouleilicr de Krancc, i5i, '|i3.
Herenlluits [Pierre de).
Ilérout [Laiirenl).
Iliinnti (G.), dorlour es lois, 3C5, 3-'i.
fluipnis , Aimeri).
Hir.iiKS deCaboi.s, lé;»i^le, aiilcur d'une / >■. («i
sur i'Arlior acUnnum. 615017.
Hugues de Châtillon . comte de Itlois, 3ij7.
Uuyues de Qaintinlinc. iH, 3/1.
Hiiinhert de Homans. Enlrails, pnr IJcrnanl Gii
.■:3.
/ii(/uiji/ionij( Praclirn ojlicii).i\v Bornard Gui , 2o3.
Insejnr [Dontinirus (yiinn(/(ii» .
fsaurc [(îlcmriirv).
hnirl [ Itcdnnpll.m drs fils d'), 031
J. Sapiens, 3oô.
.faeobi (Pierre).
Jacques d Assise, clianuine de Meam, 65.
Jacques de Conçois, évèqne de Lodèvo, puis
archevêque d'Aii, i65, .')5i.
Jacques Tessier, copiste d'un cliansoiinier proveii-
rai, 026, 5^7.
Jannutri [Coppo).
Jean d'Anneux, cuit dr Saint-Amand-en-Puelle.
Sa >ie, /|55 'i56. — Ses iVrils, 'i5b-462.
Jean d'Araijun, tils puiné d<^ Jaime II, ^70.
Jean itArci, évéque de Mende et d'Aulun, 61.
Jean Uassien, de C.réinoiie, 563, 616, 617.
Jean de Blangi, doyen de la Faculté de théoloi;ie
de Paris, évéque d'.AuieiTC, 6oi-6o3.
,fean Baridan , 607.
Jean de Condé, ménestrel il poète. Sa vie, /121-
iîd. — Ses écrits, 'lîS iJ'i.
Jean Cimrtins . 3o3.
Jean Domimci . frère prêcheur, auteur d'un
abrégé de la .Secundo sccunde de saint Thomas, 600
601.
Jean FAiiBE.de Monlhron, en Angoumois, lé-
giste. Sa vie, 556-56o. — Ses écrits : Breviarium
sur le Code, 560-560 ; Cummenlairc sur les Insti-
tutes, 566-58o.
Jean Gobi junior, auteur de la .S'cii/a ccli, 534-
538; et du De spiritu Guidonis, 538-556.
Jean Gobi senior, auteur des UiVaciifa béate Ma-
rie Magdalcnc , 532-.'>34.
Jean Golein , traducteur de Bernard Gui, 157,
»6o, 161, 173, 187-181), igi, 210, 3 1 '1 , 21O,
320, iil , 226.
HIST. LITTÉn. XXXV.
Jeun Urllcqain. médecin du roi. C.'io.
Jean Justice, auteur supposé de la Cliafilcrie
Aiiïtie Dame de Batex , 3()3.
Jean Laurent, maître à l'Université de Toulouse,
365.
Jeun le Confez, copiste, 387.
.\v.\.\ ne Levdvno . maître es arts, 617-620
Jean le Mire, chirurgien du roi, 3i3.
Jeun de Luxembourg , roi de Holième, 582.
Jeun Miélot, traducteur du Ihncliiriuni ad pus^u-
qiitni facienduui . 2 83.
Jeun de Montbton, j't-J.
Jean XXII, pape. «De la création du pape Jean»,
329. — Relations avec Guillaume Diirant, 35. —
(.ommentaire de Jesselin de Cassagnes sur les
Exlravaqantes . 35^-36o.
Jean Pitart, chirurgien et poète, 3io-32 4. —
Recettes médicales, 317-321. — Dit do bigamie,
321-324.
Jean, comte de Rouci, '11 3.
Jean de Roussincs . 557.
Jean de Saint-Gobain , 4oo.
Jean de Sancerre, lieutenant du sénéchal de lieau-
caire, 35o.
Jean dt Tkélu, chanoine de Saint-Quentin, G07.
Jean Touppel , ahbé de Joyenval, 216, 6'|)-
Jean du Vijnai, traducteur du Directnrium ad
p(tssagiam Jaciendum , 2 83.
Jesselin db Cassagnes, canonistc. Sa vie, 348-
353. — Ses écrits : Apparalus ou Lectura sur le
.''rxte, les Clémentines et les Extrara/juntcs de
Jean XXll. 353-36o.
Jeux Floraux, leur fondation, 5o'i-5o6.
.S3
658
TABLK DES AUTEURS
Jofroi. Voir Gcfroi.
Jofroi. prieur de Vigeois , 217, aao.
Jofroi d'Ablis, inquisiteur de Carcassonne, i46.
John Mynsfortli, fellow de Merton CoUege,
Oiford, 455.
Jordan d'Alfari, frère mineur, 869.
Jordan Catala , frère prêcheur, missionnaire en
Orient. Sa vie, 260-269. — ^** écrits: Lettres,
370-271 ; Stirabilia Jescripta, i-ji-i-j-j.
Jourdain [Bernard].
Joyenval (Abbaye de), 2 16, 645.
Justice I Jean).
La Barre [Guillaume de).
La Broue [Guillaume de).
La HoaBE (Nicolas de).
Lambelix de CoRNorAULKS, recteur de Paris et
d'Orléans, auteur d'une Propkecie, SgS.
Landorre [Bérencjer de).
La i'terre [.indré de).
La Porte [Rainaad de).
Larchier [Pierre).
La Tour [Bertrand de).
Laurent [Jean).
Laurent Héraut, procureur du roi à Bayeux ,
389.393.
Le Mire [Jean).
Lkudvno (Jean de).
Leys damnrs, 5oG.
Limoges. Opuscules de Bernard Gui : Fandatio
nonasterii S. Augustini Ltmoiicensis, 217; — Nomina
episcoporum Lemovicensium , 2i4; — Nomina sanclo-
rum Lemovicensis diocesis, 219; — Priores Ordinis
Artiste, 209 ; — Priores Ordinis Grandimontis , 2 1 1.
Lobra [Guilliem de).
Lodève. Opuscules de Bernard Gui : Cartidarium
ecclesie Lodorensis , 227; — Catalogus episcoporum
Lodovensium , 229; — Registrum ecclesiarum dioce-
sis Lodovensii, 229; — Statuta, etc., synodi Lodoren-
sis, 228.
Louis X, 828, 33o.
Louis de Melun, chanoine et chantre de Chartres,
G 17-620.
Louis de Poitiers, évéque de Metz, 596.
Liuxembourg [Baudouin, Jean de).
Mayloire [Vie de 5.), 325-326. — Voir .Sni'nl-
Macjloire [Chronique de).
Mahiet, ménestrel de Louis X, 899.
Mais [Dit des). 34o-34ï.
Malatesta [ Ferrantin d$).
Mancasole [Thomcu).
Marco Polo, 233-259, 646. — Sa vie, 23i-
237. — Son iLivre», 238-343; — Géographie de
l'Italie à lui attribuée, 209.
Mahcckbon du Pont Rengmont , 596.
Marigni [Engaerran de).
Martin 1", roi d'Aragon et de Sicile, 634.
Martin Zacharie , amiral génois, 268.
MaynsJoTth [John].
Mejana Serra [Pejre de).
Melun [Louis de).
Mercœur [Béraud VU de).
Metz (Poème anonyme sur la Guerre de) vu
i334, 580-597. — Papegay des Treize de la Guerre,
693 ; Pàtenotrc , 595.
Michel de Morlemer, cardinal, 601, 603.
MiCHELET PsTiTPAiN, auteur d'un Credo, 596.
iUicAiau, portier de l'évéque d'Auierre, 638.
Miélot [Jean].
Mineurs [Frères). Requèle des Frères Mineurs
sur les ClémentiAcs , 343. — Traité contre eux par
Jean d'Ânneux, 457-459.
Mirabilia descripta, de Jordan Calala, 370-277.
Misse [De ordinatione officii), de Bernard Gui , 1 Sg.
Moïse ben Nahmi, auteur du Scfcr ha Geoultali .
632.
Mondex'ille [Henri de).
Montaut {Sicard de).
Montfavet [Bertrand de).
Montferrier [Bermond de].
Montierneuf [Abbaye de), à Poitiers, 472-47!.
MONTLAIZIN (GviLLADUE UE).
Uortemer [Michel de).
)ioustiers de Paris [Dit des], 630-637.
.WrJlèrc de la Résurrection, en français, 64o.
Nadal [Pierre].
Ncirbonne [Gnillaume de).
Nui ces [Armand de
>És (Gepboi des).
ET DES MATIÈRES.
659
Nicolas de Cues , cardinal, 138.
Nicolas d'E.vnezat, frère prêcheur, canoniste,
6o3-6o5. — Ses écrits, 6o4-6o5.
INrcoLAS DE La Horde, Iradiicleur des ueuvres «le
Gui Bonati, 629-630.
Oiiy. Cbarle de Jeau de Blangi, rvèque d'\u-
lerre. 602, Oo3.
Olivi [Pierre-Jean).
OrbeuoA ( Engletia d' ).
Orignj-Sainte-BenoUe (t Livre de la Tresorvei de
l'abbaye d"), 64o-6ài.
Orléans ^ Adam d' ).
Oth {Bernât).
Ourocli. roi de Serbie, 60 1.
399-
i58.
cardinal,
Pa>iassac (Beknabo de).
l'aris. Cbarlreusede V«u\erl, Go3. — CJIironique
de Saint-Magloire, 327, G37. Sij. — Dit des
moasliers de Paris, 636-637. — Tornoiemenl as
dames de Paris, par Pierre Gencien, 285-3oi.
Paris (Gbpboi de).
Pariset, ménestrel de Pbilippe le Loni;
Patenôlre de la Guerre de Meti, Sgâ.
Patenostres {Dit des), 338-34o.
Peccato oriffinali {De), de Bernard Gui
Pelfori de Rabastcns, abbé de Lombez,
63, 64, 363, 36(,.
Pesstain {CkaiUoii de).
PmnTPàiM (Miceielkt).
Pejr Camo, l'un des fondaleuro des Jeui Floraux,
5o6.
Peyre { Àldehert . Astonj. Gaibert , Rickardde).
Peyre de Mejana Serra . i'un des fondateurs des
JeiM Floraui, 5o6.
Philippe V le Long. Sjg, 33o, 344. 345.
Philippe de Valois (Manuel d'bistoire de). 182.
Philippnt, ménestrel de l'évéque de Thérouanne,
4oo.
PiCQDIGNI (GePROI De).
Piequigni {Renaut de).
Pierre d'Ahano, 255.
Pierre d' Ailli , i23-ii6.
Pierre de Bailli, 3o3.
Pierre de Belleperche. jurisconsulte, 379.
Pierre de Renais, évéque de Bayeux, 389, 392.
Pierre de Cambrai, copiste. 635.
Pierre de Césène , 65.
Pierre de Condé, clerc du roi. 391 , 4i3.
PiERnB DE C0DRPALAI, abbé de Saint-Germaio-
des-Pré». 623-624.
Pierre du 6'un, chevalier, 362.
Pierre de Ferrières, jurisconsulte, 379.
Pierre Gencien, auteur du Tornoiemenl «i
dames de Paris , 284-3oi, 646-647.
Pierre Guidonis, i4i.
Pierre de Herenthalt , 181.
Pierre Jacobi. 644-645.
Pierre Jean Olivi, 463, 467.
Pierre Larchier. écolàtre d'Aire, 390-392.
Pierre Nadal, maître à l'Université de Tou-
louse, 365.
Pierre des Prés, cardinal. 470.
Pierre Rémi, financier, 4>3.
Pierre Roger, archevêque de Rouen , puis de Sens,
1G2 . 602.
Pierre .Saimel , ou Saimiaus . bailli d'Orléans,
65o.
Pierre dcSampson, canoniite, 563.
Pierre Teissier, cardinal. 369, 470.
Pierre de Turri , frère mineur, 270.
Pierre Vidal, frère prêcheur, astronome. 624-
627.
l'ipino [Francesco).
Pise [François, Rusticien de).
PiTART (Jean).
Plaisance [Aimeri de).
Planettes {Dit des), Hi.
Polo (Marco).
Poiu de Villemur. 471 . 616.
Poirr (AssELiN dd).
Poirr Rknguont (Màrgdbron dd).
Pouget (Bertrand du).
Prés {Pierre des).
Puy [Raymond du).
QnmQinniPou (Ainodl de)
Qaintinkac [Hujiui de).
QiuUibett de Thomas de Bailli. 3o3-3io; de
RainHMtd Béquin, 697-600; de divers, 3o5.
83.
C60
TAHLE DES AUTEURS
lUilimleiis [ l'elfni I <lc].
Ilaimond At. seigneur ilc Piiyd.inlel, troubadour,
.*) I .).
r.AiMOM) BwcAL, fnrc mineur, astronome,
G 5 -G 3 S.
Itaimnnd Barol. préchanlre de \lrnde, (i.).
lUiMOD BÉiii'^. frère prêclu-ur, patriarrhe «le
.lirnsalem , aulcvir de Quolibets. 5i|7-Coo.
Unimiind de Cmnct , 5io-5ii.
Ilaymnnd du l'ny. évt'qae d'Agdr,370.
Hmmon Vidal, poète, auteur de I.a Chucc «iis
inisditans , 4oo, 638-640.
haimondin. ménestrel, io3.
Ilainatid de La Porte, archevêque de Bourses,
lôo.
Itamusio (G.-B.), éditeur du « Livre » de Marco
Polo, 2'|5-24H.
lidonl de Vt'inais, médecin el tliéologien, 3o2.
Hchellion d'Enijleterre et de Flandre ( Dit de lu ) ,
,1 12-3^3.
Iledeinptiondcsjils d'Israii. 03"!.
Itcmi [PierreV
fienaut , ridame de Pieijuitjni , 316.
Iteniur de Forli , Jurisconsulte, 378-379, 3S.'|.
Hésurrectlnn (Mritère de lu) , lî'io.
liibera [Bernard de).
liichard de Peyre. 48.
Roliert , roi de Naples, 463.
Hobert de Béthune, comte de Flandre, ijo.
Koberl du Sartrin . garde du sceau royal à ('..i-
rentan , 3i4.
Roiii\ DE La Vallke, auteor de la Patenoire de
la (iuerre de Meti, Sgo.
Undrijue, archevêque de Saint-Jacques de C.orn-
|i05lelle. (jorrespondauce avec Bernard (iul, •>07.
ttoqer (Pierre).
lioger de Salerne, chirurgien, 3 10.
UoiAMD (Abmaud).
linmana (llusnbert de).
/(nmc Opuscules de Bernard Gui : Romani inipe-
niliirrs. 1 86 ; — Itomani pontijices , 186.
Houci [Jean, comte de).
tioy{Dit du), 3àî-343; — Dit des .nu. mit.
3'i'i.
Huslicien de Pise , collaborateur de Marco l'olo.
.Sacranientale de Guillaume de Montlaiiziin , '181-
480, 4()9-5oo.
Saimel, ou .Saiinians [Pierre].
.Suinl-Ctoud [Guillaume de).
.Saint-Geniis ( Bertrand de ^.
.Saint-Giibain [Jean de).
.Saint- Maijli.ire de Paris (Abbaye de). Chronique
en vers, 327, G'17. — Voir Marfloirc (Vie de
saint).
Saintl'ourrain [Durand de).
Salajnuc [Etienne de).
Salerne [Roger de).
Hampson [Pierre de).
.Sancerre [Jean de).
Sant-Plancat [Berengaier de).
Sarracenos [De modo exiirpandi), œuvre de Guil-
laume Ailam, 280-282.
.Sartrin [Robert du).
Scala rcti. œuvre de Jean (iobi junior. 534-
538.
.SVnèi/iic. Lettres à Lucilius, traduction française
par un Italien, 633-634.
.Septième, terme désignant les Clénuntines . 342,
(io5.
Serann [Arnaud de).
■Sexte. Apparatas ou Lectura de Jesselin de Cas-
saines, 353-354. — Lectura de Guillaume de
Montlauzun, 477. — Tables de Nicolas d'Ennciat,
606-607.
.Sicard de Montaut. seigneur d'Auterive, 5iS.
.Siginulfo [Barthélemi).
.Simon de Tournai, théologien, 3o4.
Simon Vairet, canoniste, chanoine d'Arras, 606-
C09.
.Soffridus tjuondam Spedalerii , notaire, 65.
Spéculum sanctorale, de Bernard Gui, i65.
Spedalerii [Soff'ridus quondam).
Spirilu Guidonis [De), œuvre de Jean Gobi junior.
.Saisi [Etienne de).
Sulli [Henri de ).
Teissier [Pierre).
Telinn, ou Teliau [ Vie de saint), 3»D.
Templiers (Affaire des), 458. 489, 6o4.
Tessier [Jacques).
ET DES MATIERES.
661
Théla [Jean de).
Tliibaut de Chepoii . éditeur du • Livre • de
Marco Polo, 35i;>55, 257.
Tliierride Bierp. 588.
Tlmmas d'Aquin. Sa légende, par Bernard Gui,
161; abrégé de sa Scciinda secunde . par Jean
Dominici. 600.
Thomas de Bailli, cbancelier <le l'Kglise d-
Pari>. Sa vie, 3oi-3o3, 601, 647. — Ses écrits,
3o3-3jo.
Thomat de Ciinleloup. évéque de Hereford. En-
qurte sur sa canonisation , 20, 72-75.
Thomas Mancasolr , é>èqur de Samarkande, ■>76.
Thomas de Tnirntino, frère mineur, martyr à
Tan.i , 26i , 270.
Tnccn [Guillaume de).
Tolentino [Thomas de).
Tornoiement as diimcs de Paris, poème. Voir
Pierre Gencien.
Toulouse. Collège l'onde par Guillaume de Mont-
laii/iin, 472-/173. — Jeu» Floraux, 5o4. — Opus-
cules de Bernard Gui : Comités Tholosani. ïîS;
— Nomina episcoporum Tholosane sedis , 2j4.
Touppcl [Jean).
Tournai (.Simon de).
Tousel, ménestrel de Loui> X, 399.
Tifiin [Arnaud dt).
Trie [Guillaume de).
Titiri [Pierre de).
Vairei (Simon).
Valois [Philippe de).
Vauverl (Chartreuse de), à Paris, 6o3.
Vémars [ Raoul de ).
Vidal (Arnado, Pikbre, Uaimomd}.
Vies de saints : Magloire, traduction par Gelroi
des Nés, 335-326;— Grégoire, 386-387; —Guil-
laume d'Aquitaine, 325; — Teliau , 326.
Mgnai [Jean du).
Villemur [Pons de).
Vincennes [Assemblée de), i-ji-Z-ji, 6o2-6o3,
G'i;i.
w
WATRiQCtT Bbassemkx, de Couvin, ménestrel du comte de Blois, 3()'i-'i2 1. — Sa \ie,396-4o3.
Ses écrits, io3-42i.
Zacharie [Martin).
TABLE
DES ARTICLES CONTENUS DANS CE TRENTE-CINQUIEME VOLUME.
Avertissement '"
Notice sur Paul Vioi.i.et '>■
Notice sur Noël \'ai.ois "mi
Notice sur Pai t. Mkver "<'
QUATORZIEME SIECLE.
Guillaume Durant le jeuno , c\è((iiL' de Meiide ( P. V. ) i
Bernard Gui , frère prêcheur ( \. T. j 1 3()
Marco Polo (C. L.) 2.^2
Jordan Catala, missionnaire (CL.) 2 Go
(juillaume Adam, missionnaire (H. O. ) '-i"]"]
Pierre (iencien , auteur d'un poème en français (G. L.) a84
Thomas de Bailli, chancelier de Paris (C. L. ) 3oi
Jean Pitart, chirurgien et poète ( \. T. ) 3io
Gcfroi des Nés, ou de Paris, traducteur et publiciste (C. L.) 32^1
Jesselin de Cassaf^'nes , canonislc ( P. F. ). .' 3/iH
(juillaume du Cun, légiste ( P. F. ) 30 1
Anonyme de Bayeux, auteur de quatre poèmes en français (C. L.) 38. >
Watriquel, ménestrel et poète français (C. L. ) 394
Jean de Condé, ménestrel et poète français (C. L.) 42 1
Jean d'Anncux, clerc séculier et moraliste (C. L. ) 4'>r>
Arnaud Roiard, frère mineur (C. I-. ) /i''2
Guillaume de Montlauzun, canoniste (P. F.) 4'>7
Bernard de Panassac, troubadour (A. T. ) ■")o'i
Arnaud Vidal, troubadour, premier lauréat des Jeux Floraux (A. T.) .11 3
Bernard Amoros, compilateur (C. L. ) >26
Les deux Jean Gobi, frères prêcheurs (C. F..) •■)2
Jean Faure, légiste ( P. F. ) ôôC»
Anonyme, auteur d'un poème siu- la guerre de Metz en i324 (H. O.) r)^o
664 TABLE DES ARTICLES DU TRENTE-CINQUIÈME VOLUME.
Notices succinctes :
Raiinond Béquin, frère prêcheur ( C. L. ^ ôgy
Jean Doininici (CL.) 600
Jean de Blangi , théologien (CL.) 60 1
Nicolas d'Ennezal, canonist« ( P. F. ) 6o3
Simon Vaiict , canoniste ( P. F. ) 606
\nonyniP , ;iiitenr du ('outawiir d' \rtuis ( P. F. ) 6ot)
Vnon\ me , aiilciir de la Compilalio de usibiis . 1 udeqavie (P.V.] 61."}
Hugiics de (kirols, légiste (P. F.) 61 5
Jean de Lcuduno et liOuis de Mcluii (CL.) 617
Barthélémy Fléchier, maître es arts (C L.l fiao
Pierre de (>oiu'palai, abbé de Saint-Gormain-des-Prés (C L. GsS
Pierre Vidal, frère prêcheur, astronome (A. T.) 634
Raimond Bancal , frère mineur, astronome ( A. T. ) 637
Maître Etienne Arhlant, astronome ( A. T. ) 638
Nicolas de La Horbe, traducteur (C. L.) 633
\rnoul de Quincam|)oix, médecin et astrologue ( \. T. ) 600
Vnonyme italien, auteur d'une traduction française des Lctlics de Sénèque à
Lucilius (A. T.) '. 63:?
Gefroi de Picquigni, auteur d'une Exposition française sur le .Nouveau Testament
(A. T.) ' 63.')
Anonyme, auteur d'une Exhortation de circonstance à la diiuité (C L. ) 636
Anonyme, auteur du Dit des Moustiers de Paris (C. L.) 636
Anonyme, auteur des «Divisions des .lxxii. hiautés qui sont rn dames» (CL.).... 637
Raimon Vidal, auteur d'un poème en langue d'oil (CL.) 638
Anonyme, autenr du Livre de la Iresuryc de l'abbaye d'Origny (H. O.) 6'io
Additions et corrections 64»
Table des .\utei'rs et des matières 653
uoie uue
FORM lOS
039821